Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Courchesne | 2022 QCCDCPA 36 |
CONSEIL DE DISCIPLINE | ||||
ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC
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CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
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No : | ||||
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DATE : | 15 septembre 2022 | |||
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LE CONSEIL : | Me HÉLÈNE DESGRANGES | Présidente | ||
M. JOCELYN GUIMOND, CPA | Membre | |||
M. WILLIAM POVITZ, CPA | Membre | |||
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CLAUDE MAURER, CPA, en sa qualité de syndic adjoint de l'Ordre des comptables professionnels agréés du Québec
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Plaignant | ||||
c. | ||||
ÉTIENNE COURCHESNE | ||||
Intimé | ||||
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DÉCISION SUR SANCTION | ||||
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE
APERÇU
[1] Pendant qu’il occupe un poste de responsabilités au sein d’une société œuvrant dans l’industrie [du domaine A], l’intimé, M. Étienne Courchesne, alors comptable professionnel agréé, détourne à son profit une imposante somme d’argent.
[2] Après avoir été identifié comme étant l’auteur du détournement de fonds, l’intimé s’engage à rembourser intégralement la somme détournée.
[3] Lors de l’audition du 26 avril 2022, le Conseil le déclare coupable sous l’unique chef de la plainte, d’avoir contrevenu aux articles
[4] La disposition de rattachement retenue par le Conseil pour les fins d’imposition de la sanction est l’article
23. Le membre doit remplir ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité.
QUESTION EN LITIGE
[7] Le Conseil conclut par l’affirmative, car la recommandation conjointe n’est pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, et ce, pour les motifs énoncés ci-après.
PLAINTE
[8] L’unique chef d’infraction contenu à la plainte est ainsi libellé :
Je suis raisonnablement informé, ai raison de croire et crois que ÉTIENNE COURCHESNE, alors qu’il était régulièrement inscrit au tableau de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec au moment des gestes reprochés, a commis l’infraction suivante :
[Transcription textuelle, sauf anonymisation]
CONTEXTE ET RÉSUMÉ DE LA PREUVE
[9] L’intimé est inscrit au tableau de l’Ordre des comptables agréés du Québec le 15 décembre 2003, et ce, jusqu’à la création de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre)[5]. Le 16 mai 2012, il est automatiquement inscrit au tableau de l’Ordre.
[10] L’intimé est à l’emploi de la société A de janvier [...] jusqu’à la date de son congédiement, le 31 mai [...].
[11] En septembre [...], il débute un emploi de contrôleur corporatif au sein de la société C. Dans le cadre de ses fonctions, il est autorisé à signer des chèques ainsi qu’à effectuer des versements électroniques de sommes d’argent.
[12] Le dernier jour de son emploi à la société C, le 21 octobre [...], il informe le directeur financier de cette dernière des détournements de fonds qu’il a effectués alors qu’il était à l’emploi de la société A.
[13] Le ou vers le 21 octobre [...], B, le nouveau Chef de la direction financière de A, transmet une lettre et une demande d’enquête à l’Ordre pour signaler le comportement de l’intimé relativement à l’appropriation sans droit d’une somme d’argent.
[14] L’enquête est assignée à M. Claude Maurer, comptable professionnel agréé et syndic adjoint de l’Ordre (le plaignant).
[15] Le 19 novembre 2021, l’intimé est retiré du tableau des membres par l’Ordre à la suite de sa démission.
[16] Dans le cadre de son enquête, le plaignant demande à l’intimé de remplir des questionnaires.
[17] Le 24 novembre 2021, l’intimé transmet au plaignant les questionnaires complétés ainsi que plusieurs documents. Il assume la responsabilité du détournement de fonds et en attribue la cause aux problèmes de jeux compulsifs dont il souffre.
[18] Il déclare qu’afin d’enrayer ses problèmes de jeux compulsifs, il consulte un psychologue depuis le 12 août 2021. De plus, il participe à des rencontres hebdomadaires auprès de l’Association des Gamblers Anonymes depuis le 19 août 2021.
[19] Il invite le plaignant à communiquer avec le président du Conseil d’administration de A qui, d’après lui, ne souhaite pas sa radiation de l’Ordre.
[20] Il affirme n’avoir jamais détourné de fonds à un autre endroit au cours de sa carrière, incluant dans le cadre de son emploi au sein de la société C. Il ajoute avoir « vécu des moments difficiles au cours de ces années, incluant l’isolement de la pandémie COVID-19 »[6].
[21] Lors de l’audition sur sanction, l’intimé témoigne devant le Conseil qu’il est âgé de 45 ans, marié et père de deux enfants d’âge mineur.
[22] Il affirme qu’à l’époque des événements, il éprouvait des problèmes de jeux compulsifs, plus précisément en ce qui a trait aux paris sportifs. Il indique qu’il s’adonnait à ce type de jeux depuis 10 ou 15 ans et que sa dépendance s’est accentuée au fil des années. Il précise ne pas souffrir de dépendance aux loteries ou au casino.
[23] Il affirme qu’il a fallu que la situation à l’origine de la plainte survienne pour qu’il réalise la sévérité de sa dépendance au jeu, ce qu’il refusait de s’avouer.
[24] Il mentionne qu’à l’heure actuelle, sa « famille rapprochée » est au courant de ses problèmes de jeu. Il précise que son épouse savait qu’il s’adonnait au jeu, mais ignorait qu’il avait perdu le contrôle.
[25] Il témoigne être allé chercher de l’aide. Il participe à une séance d’une durée d’une heure avec son psychologue de façon quasi hebdomadaire et assiste aux rencontres de l’Association des Gamblers Anonymes. Il apprécie la fraternité associée à ces rencontres. Il réalise qu’il en a vraiment besoin ainsi que le bien que cela lui apporte.
[26] Il assure le Conseil de son intention de continuer à respecter la transaction intervenue avec [...], la société A, pour rembourser sa dette. Il dit avoir effectué le premier remboursement de 200 000 $ prévu en 2021. Il est motivé à faire tout ce qui est nécessaire pour rembourser le solde de sa dette, et ce, jusqu’au dernier sou. Il perçoit le tout comme une dette d’honneur.
[27] Il témoigne que la somme qu’il a détournée lui a servi entièrement pour s’adonner au jeu compulsif et ne pas s’être du tout enrichi.
[28] Il se dit vraiment désolé de ce qu’il a fait et éprouver de la honte pour la profession. Il s’en excuse.
[29] Il affirme que traverser une telle situation n’est pas chose facile, mais il veut démontrer à ses enfants qu’il peut se relever. Il ajoute qu’il commence à se sentir mieux.
[30] Il est certain qu’il ne « retombera » pas dans le jeu compulsif, il réalise le danger associé à celui-ci et en a tiré une grande leçon. Il a eu peur de tout perdre.
[31] Il mentionne que son épouse lui a retiré toutes ses cartes de crédit, que sa famille lui a donné une chance et qu’ils vont passer à travers cette épreuve ensemble.
[32] Il dit avoir très bien collaboré à l’enquête du Bureau du syndic, avoir « fait face à la musique » et avoir fourni tous les documents nécessaires.
[33] Il témoigne avoir cessé de jouer en mai 2021 et avoir rechuté au mois d’août 2021.
[34] Il assure qu’il n’y aura pas de récidives de sa part tout en demandant humblement qui il est pour dire au Conseil de le croire sur parole. Il explique s’être pris en main et avoir fait les bonnes choses pour s’en sortir. Il ajoute qu’avec le temps, il prouvera qu’il a raison. Il mentionne que sa situation financière actuelle n’est pas facile, qu’il ne fait plus les mêmes revenus.
[35] Depuis le 21 novembre [...], l’intimé travaille au sein de la compagnie de l’un de ses amis à titre de comptable-contrôleur. Il a pris soin d’expliquer tout ce qui s’est passé à cet ami et ne le remerciera jamais assez pour sa confiance. Il a demandé de ne pas avoir accès à de l’argent comptant et de ne pas avoir l’autorité nécessaire pour signer des chèques. Il ajoute que c’est toujours le statu quo à cet égard.
[36] Il aimerait se réinscrire éventuellement au tableau de l’Ordre, mais dit vivre la situation au jour le jour. Il estime être un très bon comptable mis à part cette mésaventure. Jusqu’à ces événements, il était très fier de sa carrière.
[37] Enfin, les parties admettent que l’intimé ne possède pas d’antécédents disciplinaires et qu’aucune autre plainte disciplinaire n’a été portée contre lui par le passé[7].
ANALYSE
Le Conseil doit-il imposer à l’intimé la sanction que les parties lui recommandent conjointement sous l’unique chef de la plainte?
[38] La décision de principe en matière de recommandation conjointe relative à la sanction est l’arrêt Anthony-Cook[8] de la Cour suprême du Canada. Pour écarter une recommandation conjointe, la sanction proposée doit être susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou être contraire à l’intérêt public. Il s’agit d’un seuil élevé requérant d’en venir à la conclusion que la recommandation est :
[34] […] à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner.[9]
[39] Contrairement à une audience où la détermination de la sanction résulte de propositions divergentes, il y a lieu de « tenir compte de l’avantage, crucial pour le système, qui découle des recommandations conjointes, à savoir la capacité du système de justice de fonctionner équitablement et efficacement »[10].
[40] Le critère de l’intérêt public retenu par la Cour suprême a été appliqué par le Tribunal des professions[11] et, à maintes reprises, par les conseils de discipline. Cette grande déférence à l’égard des recommandations conjointes s’explique par leur caractère vital pour l’administration de la justice en général[12] ainsi qu’au sein du système disciplinaire[13].
[41] En présence d’une recommandation conjointe sur sanction, le Conseil n’a pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction proposée[14]. Il ne doit pas sous le couvert du critère de l'intérêt public, imposer la sanction qu'il trouve plus appropriée dans les circonstances[15].
[42] Quoique la sanction qui aurait pu être imposée à l’issue de l’audition soit pertinente, le Conseil ne doit pas commencer son analyse par une comparaison entre cette sanction et la recommandation conjointe[16].
[43] Il doit plutôt débuter son analyse avec le fondement de la recommandation conjointe, incluant les bénéfices importants de cette dernière pour l’administration de la justice, afin de déterminer s’il y a quelque chose, autre que la durée de la radiation ou de la sanction ou le quantum de l’amende, qui engage l’intérêt public au sens large ou déconsidère l’administration de la justice[17].
[44] Le Conseil ne doit pas se livrer à un exercice de pondération des facteurs pertinents afin d’identifier la sanction appropriée[18]. Il ne doit pas non plus examiner « la justesse de la sanction globale proposée »[19].
[45] L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité ne constitue pas un prérequis pour que les principes relatifs à l’appréciation des recommandations conjointes sur sanction s’appliquent[20]. En effet, la Cour d’appel nous enseigne que ces principes sont applicables même si la recommandation conjointe est soumise au stade de l’audition sur sanction, soit après que la décision sur culpabilité ait été prononcée[21].
[46] Tels sont les principes qui vont guider le Conseil dans l’appréciation de cette recommandation conjointe.
- Représentations du plaignant
[47] L’avocat du plaignant énumère les facteurs objectifs suivants :
Gravité objective de l’infraction
Il plaide que l’infraction commise par l’intimé porte atteinte aux valeurs de la profession et se situe au cœur de son exercice. Il ajoute que le Conseil doit prendre en compte la position hiérarchique et le rôle de l’intimé au sein de la société A au moment où les gestes ont été commis. Il soutient que le lien de confiance a été brisé envers [...] de l’intimé et le public et que l’image de la profession se retrouve entachée aux yeux de ce dernier.
Répétition des manquements et durée de l’infraction
Perception du public
Exemplarité de la sanction et dissuasion
Conséquences
Il argue que [...] de l’intimé a subi des conséquences pécuniaires importantes, soit une :
[…] somme totalisant 978 600$ et ayant eu lieu entre avril [...] et juin [...] :
• 154 626 $ en [...];
• 290 146 $ en [...];
• 343 982 $ en [...];
• 189 846 $ en [...].[22]
Il ajoute que les détournements sont survenus pendant « plusieurs périodes de déclarations, et ce, pour des montants variables »[23]. À la suite de la découverte des montants détournés, la société A a été contrainte d’effectuer un examen complet de toutes les activités reliées aux exercices financiers terminés en [...], [...], [...] de même que les cinq premiers mois de l’exercice [...] en plus de procéder aux ajustements nécessaires. La société A a dû acheminer des communiqués aux utilisateurs des états financiers afin de leur expliquer la situation.
[48] L’avocat du plaignant invite également le Conseil à prendre en compte les facteurs subjectifs suivants :
[Transcription textuelle, sauf anonymisation]
[49] Il plaide que la fourchette des sanctions est assez étroite dans les cas d’appropriation de sommes d’argent par un comptable professionnel agréé, car il s’agit d’une infraction se situant au cœur de l’exercice de la profession.
[50] Il soutient que des radiations permanentes ainsi que des révocations du permis d'exercice sont imposées dans la plupart de ces cas.
[51] Il souligne que l’intimé a tiré un bénéfice de l’appropriation des fonds puisque, même s’il ne s’est pas enrichi, il s’est servi de la somme d’argent en question.
[52] Il qualifie la collaboration de l’intimé à l’enquête du plaignant de « sans reproche ».
[53] Il souligne que le risque de récidive de l’intimé est géré par la sanction recommandée par les parties. Il mentionne qu’il existe une possibilité prévue au Code des professions pour l’intimé de présenter une demande de réinscription au tableau de l’Ordre. Tout en reconnaissant que le défi est important, il affirme qu’il s’agit d’une situation méritant qu’une chance soit octroyée à l’intimé de pouvoir réintégrer la profession. Il précise que son rôle ne consiste pas à se prononcer quant à savoir si l’intimé sera ou non éventuellement réintégré au sein de l’Ordre.
[54] Il qualifie le témoignage de l’intimé de sincère et affirme qu’il émane d’un individu qui a pris les moyens pour se redresser.
[55] Quant au poste actuel de l’intimé, il précise qu’être contrôleur ne constitue pas un acte réservé au comptable professionnel agréé.
- Représentations de l’intimé
[56] L’avocat de l’intimé plaide que le Conseil a eu l’opportunité d’entendre le témoignage sincère de son client.
[57] Il argue qu’il ne s’agit pas d’un cas où l’intimé voulait se faire justice parce qu’il s’estimait sous-payé. Bien au contraire, il souligne que son client était et est toujours atteint d’une maladie qualifiée de handicap au sens de la Charte[25] par la jurisprudence.
[58] Il indique que son client a exprimé des regrets et des remords et qu’il se sert de cette situation pour en faire un exemple pour ses enfants. Il ajoute que pour lui c’est un honneur de se rendre jusqu’au bout.
[59] Il plaide que son client a eu sa leçon, est en thérapie et fait preuve d’introspection.
[60] Il attire l’attention du Conseil sur le fait que l’intimé a collaboré à l’enquête du plaignant et que sa collaboration a débuté même antérieurement à celle-ci, lors de ses interactions avec son [...].
[61] Il rappelle que le droit disciplinaire reconnaît la réhabilitation dans une certaine mesure. Il souligne que son client s’est déjà acquitté de rembourser la somme de 200 000 $, ce qui représente 20 % de la somme qu’il a détournée.
[62] Il invoque que la recommandation conjointe sur sanction respecte la fourchette de sanctions applicables en l’espèce.
- Importance et bénéfices de la recommandation conjointe
[63] Le Conseil prend en considération l’importance et les bénéfices de la recommandation conjointe sur sanction présentée par les parties pour les fins de l’administration de la justice.
[64] Elle est le fruit de discussions entre deux parties représentées par des avocats d’expérience. Elle permet d’éviter la tenue d’une audience contestée et la présentation de témoins en plus d’écourter les débats.
- Facteurs objectifs et subjectifs
[65] La recommandation conjointe repose également sur l’appréciation par les parties des facteurs objectifs et subjectifs du dossier.
- Jurisprudence
[66] Le Conseil a examiné la jurisprudence soumise par le plaignant au soutien de la recommandation conjointe[26] ainsi que d’autres décisions rendues en semblables matières.
[67] Dans les décisions dont le Conseil a connaissance, pour avoir détourné des fonds, frustré [...] de sommes d’argent pour leur bénéfice personnel ou fraudé en contravention à l’article
[68] Dans l’affaire Nareau[28], le conseil de discipline de l’Ordre impose une radiation permanente sous chacun des 16 chefs de la plainte.
[69] Alors qu’il occupe un poste de confiance et de haute responsabilité à titre de contrôleur financier de son employeur, M. Nareau contrefait la signature de l’agente officielle et signataire bancaire autorisée de son employeur, à l’insu de cette dernière, et ce, sur des chèques qu’il a ensuite encaissés à son profit personnel. Il agit ainsi sans aucune autorisation, frustrant ainsi illégalement son employeur de ces sommes.
[70] Le conseil de discipline de l’Ordre souligne que :
[46] Pour des infractions de même nature, la révocation du permis d’exercice des comptables professionnels agréés est généralement ordonnée plutôt qu’une radiation permanente.
[47] Mais le syndic adjoint explique que M. Nareau, compte tenu de son âge et de son passé, pourrait être réhabilité. Il explique de plus qu’il est possible pour des professionnels, comme M. Nareau, de surmonter des dépendances à l’alcool ou aux drogues, et de reprendre l’exercice de leur profession.
[48] En imposant une radiation permanente, M. Nareau aurait ainsi l’opportunité de présenter une nouvelle demande d’inscription, laquelle serait considérée en fonction des circonstances qui prévaudraient à ce moment.[29]
[71] Dans l’affaire Drolet[30], le comité de discipline impose au professionnel la sanction recommandée conjointement par les parties, soit une radiation permanente sous chacun des trois chefs de la plainte.
[72] Quant aux deux premiers chefs, M. Drolet s’était approprié sans droit des sommes d’argent importantes, et ce, sur une période d’environ 13 ans. Le plaignant mentionne que ces sommes ont presque entièrement « fait l’objet d’un règlement hors cour à la satisfaction des créanciers »[31]. Il ne suggère pas une révocation du permis d’exercice parce que M. Drolet « a très bien collaboré à l’enquête et a été franc et transparent depuis les tous débuts »[32].
[73] Dans l’affaire Catalogna[33], le conseil de discipline impose une révocation du permis d’exercice.
[74] Contrairement au présent dossier, il souligne qu’il ne décèle aucune volonté de s’amender de la part de M. Catalogna. Le seul facteur atténuant retenu est l’absence d’antécédents disciplinaires.
[75] Le conseil de discipline souligne que M. Catalogna est un « comptable professionnel agréé d’expérience » et qu’il est « capable de mesurer pleinement les conséquences de ses gestes au moment où il les pose »[34]. Il n’est pas convaincu, par l’examen des facteurs subjectifs en présence, qu’une sanction de radiation, même permanente, soit appropriée[35].
[76] Dans l’affaire Piché[36], le conseil de discipline ordonne la révocation du permis de M. Piché sous chacun des deux premiers chefs de la plainte, dont le premier pour avoir notamment détourné une somme d’agent pour son bénéfice personnel. Aucune preuve permet de croire que M. Piché pouvait être réhabilité.
[77] La situation est différente en l’espèce.
[78] Dans l’affaire Bergeron[37], la révocation du permis d’exercice de M. Bergeron est ordonnée pour avoir notamment détourné à son profil des sommes d’argent totalisant un montant important. Ce dernier ne témoigne aucun remords et « ne présente aucune preuve qui pourrait permettre » au conseil de discipline « de croire qu’il pourrait être réhabilité »[38], ce qui, encore une fois, n’est pas le cas de l’intimé en l’espèce.
[79] Le conseil de discipline estime que M. Bergeron « s’est lui-même rendu inapte à exercer la profession » et qu’il « représente un danger pour le public », ce qui « commande de l’écarter de façon définitive »[39]. Il en vient à la conclusion que seule une révocation de son permis « est à même de rencontrer les objectifs de protection du public, de dissuasion de récidiver et d’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession »[40].
[80] Le Conseil en arrive à une conclusion différente en l’espèce.
iii. Conclusion
[81] Le Conseil impose à l’intimé la sanction suggérée par les parties sous l’unique chef de la plainte, à savoir une radiation permanente, car la recommandation conjointe n’est pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[82] Des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la sanction proposée ne fait pas échec au bon fonctionnement du système de justice disciplinaire.
[83] Cette sanction s’inscrit dans la fourchette des sanctions applicables pour une infraction de même nature.
[84] Le Conseil tient à souligner que le détournement à son profit d’une somme d’argent constitue, sans contredit, l'une des infractions les plus graves qu'un comptable professionnel agréé puisse commettre[41]. Ce faisant, l’intimé porte atteinte aux valeurs fondamentales attendues d’un membre de la profession dont l’intégrité et l’honnêteté[42].
[85] L’intégrité est même qualifiée à juste titre par la jurisprudence comme étant « la pierre d’assise de la profession »[43].
[86] L’infraction commise par l’intimé est objectivement grave. Elle se situe au cœur de l’exercice de la profession, met en péril la protection du public et porte atteinte à l’image de la profession et au lien de confiance avec le public.
[87] Le poste hiérarchique et de confiance occupé par l’intimé, le montant élevé détourné et l'impact important sur la victime qui aurait dû pouvoir se fier à l'intégrité de son chef de la direction financière et comptable professionnel agréé, font partie des facteurs aggravants. Plutôt que de se montrer digne de ses responsabilités, l’intimé a plutôt profité de sa position hiérarchique stratégique et abusé de la confiance de [...] pour détourner des fonds.
[88] Le fait que l’intimé ait détourné à plusieurs reprises des fonds pour une somme totalisant 978 600 $, et ce, pendant une période de temps importante est aggravant. Il ne s’agit pas d’un acte isolé commis sans préméditation.
[89] Au moment de la commission de l’infraction, l’intimé est inscrit depuis plusieurs années au tableau de l’Ordre, ce qui constitue un facteur subjectif aggravant dans les circonstances[44]. Considérant son expérience, il aurait dû être plus vigilant à l’égard de cette obligation déontologique.
[90] Il a tiré un profil personnel des sommes détournées en les utilisant pour s’adonner à des paris sportifs.
[91] Le Conseil prend en compte, à titre de facteurs subjectifs atténuants, le plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé, sa reconnaissance des faits, ses remords sincères, ses excuses et son absence d’antécédents disciplinaires.
[92] Ayant eu le bénéfice d'entendre son témoignage, le Conseil est à même de constater que l'intimé fait preuve d'introspection, qu’il a su obtenir de l'aide pour faire face à son problème de dépendance au jeu, qu’il a cheminé et fait face à ses responsabilités.
[93] Sans vouloir atténuer la gravité de sa faute et l'impact sur [...], l'engagement de l'intimé à rembourser la somme détournée jusqu'au dernier sou combiné au fait qu'il a déjà remboursé une somme importante constitue un facteur atténuant d'importance. Il en est de même de sa dépendance au jeu.
[94] Le professionnel étant légalement tenu de collaborer avec le syndic de son ordre professionnel, la collaboration de l’intimé à l’enquête du plaignant constitue, en l’espèce, un facteur neutre[45].
[95] Le fait que l’intimé ne soit plus membre de l’Ordre est pertinent dans l’évaluation de son risque de récidive. Le Conseil estime que ce risque demeure existant s’il se réinscrit au tableau.
[96] En l’espèce, l’imposition d’une radiation permanente est nécessaire afin de s’assurer qu’elle soit suffisamment dissuasive par rapport à l’intimé et que par son exemplarité, elle dissuade les autres membres de l’Ordre de commettre cette infraction. Il est essentiel de passer un message clair que le détournement de fonds par un comptable professionnel agréé ne saurait être toléré.
[97] La recommandation conjointe est conforme aux enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Marston c. Autorité des marchés financiers[46]. La Cour y reprend les propos de l’auteur Pierre Bernard quant à l’importance à octroyer aux facteurs subjectifs par rapport aux facteurs objectifs lors de la détermination de la sanction :
[68] Plus loin, l'auteur ajoute :
En ce sens, un comité de discipline a amorcé une réflexion qui peut s'avérer intéressante pour nous. En effet, dans Avocats (Corp. professionnelle des) c. Schneiberg le comité de discipline disait :
Les facteurs subjectifs doivent être utilisés avec soin. On ne doit pas leur accorder une importance telle qu'ils prévalent sur la gravité objective de l'infraction puisqu'ils portent sur la personnalité de l'intimé alors que la gravité objective porte sur l'exercice de la profession.
[…][47]
[98] Contrairement à la révocation du permis d’exercice, l’imposition d’une période de radiation permanente laisse la porte ouverte à la possibilité pour l’intimé de demander à nouveau un jour son inscription au tableau par voie de requête adressée au conseil de discipline en vertu de l’article
[99] Par ailleurs, le deuxième alinéa de l’article
[100] Enfin, le Conseil adhère à la recommandation conjointe en condamnant l’intimé au paiement des déboursés. Il n’existe pas, en l’instance, de circonstances particulières pour lesquelles il y a lieu de déroger à l’application du principe général suivant lequel la partie qui succombe supporte les déboursés[48].
[101] Lorsqu’une radiation permanente est imposée, le deuxième alinéa de l’article
[102] Le troisième alinéa de cet article précise que l’Ordre peut récupérer du professionnel les frais payés pour la publication des avis. Aucune intervention du Conseil n’est donc requise à cet égard pour ce faire.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, CE JOUR :
[103] IMPOSE à l’intimé une radiation permanente.
[104] CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés en vertu de l’article
| ___________________________ Me HÉLÈNE DESGRANGES Présidente
___________________________ M. JOCELYN GUIMOND, CPA Membre
___________________________ M. WILLIAM POVITZ, CPA Membre
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Me Jean Lanctot | ||
Avocat du plaignant | ||
| ||
Me Pascal A. Pelletier | ||
Avocat de l’intimé | ||
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26 avril 2022 | ||
[1] RLRQ, c. C-48.1, r. 6.
[2] RLRQ, c. C-26.
[3] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Courchesne, CD no 47-21-00394 (motifs de la décision sur culpabilité).
[4] Plainte datée du 8 décembre 2021.
[5] Pièce P-1.
[6] Pièce P-7 en liasse.
[7] Pièce P-8 : paragr. 3.
[8] R. c. Anthony‑Cook,
[9] Id., paragr. 34.
[10] Id., paragr. 48.
[12] R. c. Anthony‑Cook, supra, note 8, paragr. 40.
[13] Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Ungureanu,
[14] Chan c. Médecins (Ordre professionnel des),
[15] R. c. Binet,
[16] R. c. Belakziz,
[17] Ibid.
[18] Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon,
[19] Ibid.
[20] Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Talarico, 2022 QCCDBQ 52, paragr. 121.
[21] Baptiste c. R.,
[22] « Plan d’argumentation du plaignant sur sanction 26 avril 2022 », p. 9.
[23] Ibid.
[24] Id., p. 9.
[25] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[26] Jean-Guy Villeneuve, Nathalie Dubé, Tina Hobday,
[27] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Paquette, 2018 CanLII 107083 (QC CPA); Comptables agréés (Ordre professionnel des) c. Bibeau,
[29] Id., paragr. 46-48.
[30] Comptables agréés (Ordre professionnel des) c. Drolet, supra, note 26.
[31] Id., paragr. 7.
[32] Id., paragr. 15.
[33] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Catalogna, supra, note 26.
[34] Id., paragr. 150.
[35] Ibid.
[36] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Piché, supra, note 26.
[37] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Bergeron, supra, note 26.
[38] Id., paragr. 34.
[39] Id., paragr. 35.
[40] Id., paragr. 36.
[41] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Catalogna, supra, note 26, paragr. 88.
[42] Théroux c. Comptables professionnels agréés (Ordre des),
[43] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Catalogna, supra, note 26, paragr. 85.
[44] Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Gauthier,
[45] Technologistes médicaux (Ordre professionnel des) c. Bizier,
[46]
[47] Marston c. Autorité des marchés financiers, supra, note 46, paragr. 68; Pierre Bernard, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », (2004) 206 Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire 2004, 73, p. 114.
[48] Murphy c. Chambre de la sécurité financière,
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.