Décision

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Torres Esquivel c. Galitzky

2023 QCTAL 12506

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

613725 31 20220221 G

No demande :

3466819

 

 

Date :

25 avril 2023

Devant le juge administratif :

Jean Gauthier

 

Angelica Torres Esquivel

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Meir Galitzky

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le 21 février 2022, la locataire dépose au Tribunal une demande dont l’objet se lit :

« Ordonner à la partie défenderesse d’exécuter son obligation de faire les réparations urgentes et nécessaires dans le logement pour la sécurité de la locataire et de son enfant : Réparer le plafond qui est tomber, répare le plancher et la plomberie au 1er étage et dans le sous-sol.

Ordonner au locateur de rembourser la totalité du loyer du mois de janvier 2022.

Condamner le défendeur à payer au demandeur à titre de dommages et intérêts la somme totale de 5000$ le tout avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec.

Ordonner l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.

Condamner la partie défenderesse au paiement des frais. »

Pour les motifs suivants :

« Une mise en demeure a été envoyée le 9 février 2022.

La partie défenderesse refuse ou néglige d’effectuer les travaux suivants : de faire les réparations urgentés et nécessaires de réparer le plafond qui s’est effondré dans le logement du locataire causant des dommages au plancher et dans la plomberie. Pour faire les travaux, le propriétaire a pris le service d’un non professionnel et les réparations ne sont pas faites convenables et logement est toujours en chantier et dans un état d’insalubrité surtout dans le sous-sol.

Le 9 février, un préavis de 10 jours indiquant les motifs du dépôt a été dûment transmis à la partie défenderesse.


Cette somme est réclamée à titre de dommages pour les troubles et inconvénients suivants : L’écroulement du plafond a causé des dommages au 1er étage et dans le sous-sole : perte de ses biens personnelles et meubles (divan, vaisselles, nourritures, etc.) et du au fait de cette situation la locataire a perdu plusieurs jours de travail à cet effet.

Le demandeur a droit de déposer son loyer pour les motifs sérieux suivants : Le locateur néglige de faire les réparations urgentes et nécessaires pour rendre le logement en bon état de salubrité (voir photos et rapport). » (SIC)

Les faits pertinents

[2]         Les parties sont liées par le bail d’un logement de trois pièces et demie au loyer mensuel de 732 $ qui a débuté le 1er juillet 2017 et que la locataire occupe avec son fils maintenant âgé de 10 ans depuis le 1er juillet 2016. Il est situé au rez-de-chaussée d’un sixplex de trois étages que le locateur a acquis en avril 2021.

La preuve retenue :

Les témoignages et la preuve documentaire :

En demande :

La locataire :

[3]         Dès juillet 2021, d’importants travaux ont été entrepris sans permis dans trois logements vacants situés au-dessus du logement. D’importants débris de construction jonchaient la cour arrière dont l’accès est permis à la locataire.

[4]         Le 28 décembre 2021, le locateur est avisé que des fenêtres sont manquantes et que le chauffage est dysfonctionnel dans les logements vacants.

[5]         Le 13 janvier 2022 vers 20 heures, un événement culminant cristallise la situation. Des tuyaux gèlent dans les logements en rénovation au deuxième et provoquent un dégât d’eau. Le plafond de la cuisine du logement s’effondre. Les pompiers arrivent, plusieurs tentatives pour joindre le locateur échouent. À 23 heures, la locataire est évacuée à ses frais pour deux jours. Son fils doit aller vivre chez son père à Québec à cause de l’état insalubre du logement et perd des journées d’école. Elle a enfin des nouvelles du locateur le 15 janvier qui lui offre d’utiliser un des logements vacants au deuxième étage. Elle l’occupe du 17 au 24 janvier, sans eau chaude ni chauffage dans un état très sale comportant entre autres des excréments de souris en très grand nombre tel qu’il appert de photos produites. Il s’agit littéralement dun chantier où elle a reçu à au moins une occasion une visite impromptue d’un individu se prétendant le gestionnaire du chantier.

[6]         Le 21 janvier, le locateur lui rend visite et l’informe qu’elle doit se comporter convenablement et lui reproche de s’être adressée à la Ville de Montréal. Il l’informe qu’il veut reprendre son logement éventuellement pour y loger sa famille et qu’elle devra déménager. Cette situation affecte la locataire qui devient très stressée.

[7]         Le 24 janvier, à cause de l’inaction des ouvriers, la locataire prend l’initiative de nettoyer ellemême son logement pour l’occuper au plus vite.

[8]         À la date de l’audience, le plafond de la cuisine n’avait pas encore été repeint.

[9]         Le 2 février, un deuxième incident survient. Un tuyau d’eau brise au sous-sol qui est inondé jusqu’à près de 40 cm. Plusieurs photos de l’état des lieux sont produites. Bien qu’aucune mention n’en soit faite au bail, la locataire l'utilise comme salle de lavage au vu et au su du locateur et avec son autorisation. Il l’informe que les travaux seront effectués seulement le 9 février et personne ne se présente. Il fait défaut de répondre à ses messages textes des 11, 22 et 24 février.

[10]     Dans l’intervalle, un certain Joël Katz qui se dit administrateur et médiateur, tente de la convaincre de quitter les lieux en prétextant tantôt qu’une reprise soit effectuée, tantôt que l’immeuble sera démoli. Il lui parle d’offres monétaires qui ne sont jamais concrétisées.

[11]     Le 22 février, une rencontre a lieu avec lui et le locateur ; ce dernier annonce à la locataire que l’immeuble sera démoli. Par la suite, la locataire reçoit de nombreuses visites impromptues d’individus qui la harcèlent pour qu’elle quitte le logement. Elle ne se sent pas en sécurité, particulièrement avec la présence de son jeune fils qui devient inquiet et anxieux.


[12]     Il est opportun de reproduire ici le compte-rendu de l’intervention des pompiers :

« Arrivée:

Locataire nous attend.

Elle nous mentionne que son plafond a tombé dans sa cuisine.

Celui-ci est tombé suite à un dégât d'eau.

Actions

Nous avons tenté de trouvé la cause du dégât d'eau. Au deuxième et au troisième (Section A-B) les logements sont vacant et rénové. Le chauffage est fermé dans les deux logements. Nous avons remis le chauffage dans ces unités (16 celcius).

De l'eau est trouvé au plancher dans le logement du deuxième étage.

Le voisin nous aide à fermé l'eau dans les logements. Nous avons fermé l'électricité du logement du premier étage.

Puisque la locataire ne peux resté dans son logement, nous avons tenté de rejoindre le propriétaire, Galitzky Meir Yechiel sans succès.

Nous faisons venir un c/o (135) et le 9050. Lorsque le 9050 arrive il prend charge de l'intervention.

9050: Robert Harbour

Dommage

1étage et Cave: Biens abîmé par l'eau (Cave, cuisine et salon) (Perte du locataire/ Frigidaire (nourriture), Table, chaise, four, vaiselle, bien personnel au sous-sol(Plusieurs boites entreposé), divan),

Trou au plafond de la cuisine (10X10), Eau au plancher, Plâtre, peinture, plancher bois-franc.

2 iem: Eau au plancher, tuyau dans le mur perforé. Plancher (Flottant) Plâtre, peinture, moulure en plâtre, plombrie. Perte Bâtiment: 25 000$

Perte du locataire: 5000$

Départ:

9050 reste sur les lieux.

10-5. » (SIC)

[13]     Par ailleurs, un rapport de suivi de l’inspecteur de la Ville de Montréal relate en tous points les éléments évoqués par la locataire particulièrement quant à l’état de la cuisine après le bris de tuyaux du 15 janvier 2022. De nombreuses photos sont jointes au rapport et montrent clairement l’état des lieux.

[14]     Le 9 février 2022, la locataire a dûment transmis une mise en demeure formelle au locateur sans qu’aucune suite concluante n’y soit donnée.

[15]     La locataire a été très affectée par cette situation ; elle a été privée de la présence de son fils, elle a vécu dans des conditions très précaires voire insalubres dans le logement du deuxième étage avec un chauffage déficient en plein hiver. Le harcèlement continuel du locateur et ses multiples menaces d’expulsion l’ont stressée énormément.

Valérie Barrière :

[16]     Elle est locataire du logement adjacent depuis 2006. Elle est parfaitement au courant de la situation puisqu’elle a assisté la locataire tout au long des événements qui ont d’ailleurs affecté également son logement. Elle corrobore le fait que le locateur était presque injoignable et qu’il a tardé à réagir; le plombier a pris plusieurs jours avant de réparer les tuyaux éclatés. Elle a même été menacée d’expulsion. Elle a entre autres participé au nettoyage du sous-sol lors de l’inondation.

Lindsay Sunstrom McLaren :

[17]     Elle est une amie de la locataire. Elle a vu l’état du logement et celui du deuxième étage occupé temporairement qui était tout à fait insalubre. Elle a nettement constaté lors des événements une détérioration de l’état émotionnel de la locataire qu’elle connaît depuis 2012.


Chantal Morris :

[18]     Elle est une amie de la locataire depuis trois ans. Cette dernière l’aurait même appelée entre le 10 et le 15 janvier pour lui relater un incident qui aurait endommagé son logement le ou vers le 26 décembre 2021. Elle aurait de plus été témoin des dommages causés au sous-sol après l’inondation du 2 février 2022.

[19]     Le Tribunal ne peut retenir son témoignage puisqu’il contredit les témoignages précédents à l’effet que le premier incident a eu lieu le 13 janvier 2022, ce qui est corroboré par le rapport du service des incendies.

En défense :

Le témoignage du locateur. :

[20]     Il prétend que les travaux ont été effectués avec diligence par des professionnels compétents. Il produit une série de factures d’une entreprise de location d’équipement qui est illisible, particulièrement quant à l’adresse. Elle n’est pas retenue par le Tribunal. Un entrepreneur en plomberie aurait effectué des travaux les 14 et 22 janvier 2022. Les travaux de nettoyage auraient eu lieu les 22 et 23 janvier.

[21]     Il prétend que le sous-sol ne devait être considéré au bail que comme un lieu d’entreposage.

Analyse et décision

[22]     À la lumière de la preuve qui lui a été présentée, le Tribunal considère que le locateur a contrevenu à son obligation stipulée aux articles 1854 et 1864 du Code civil du Québec qui se lisent :

1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.

[23]     Même si un doute a été soulevé quant à la date du bris du tuyau du deuxième étage, il reste que la locataire a été lourdement affectée dans sa jouissance paisible des lieux. Tant les témoignages en demande que les documents fournis par la Ville de Montréal et le service des incendies démontrent clairement que le logement a été gravement endommagé par le bris du tuyau causé par une négligence grossière du locateur.

L’ordonnance d’exécuter des travaux :

[24]     Il appert que la restauration du plafond de la cuisine n’était pas encore terminée lors de la dernière audience. Une ordonnance est donc prononcée.

La diminution de loyer :

[25]     Ce recours permet de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail. Le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie lorsque son montant ne représente plus la valeur de la prestation des obligations du locateur parce que le locataire n’a plus la pleine jouissance des lieux loués. La perte d’usage doit cependant être significative. Un montant de 400 $ est ainsi accordé compte tenu que la date du sinistre est le 13 janvier.

Les dommages :

[26]     Les obligations prévues aux articles 1854 al. 1 et 1864 sont dites « de résultat », ce qui signifie que les moyens de défense du locateur sont limités, comme l'expliquent l'honorable juge Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin :

« Dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute. »[1]

[27]     Celle prévue à l'article 1854 al. 2 en est une « de garantie », ce qui implique une responsabilité plus étendue de sa part :

« En présence enfin d'une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que c'est par le fait même du créancier qu'il a été empêché d'exécuter son obligation, ou encore que l'inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l'obligation assumée. »[2]

[28]     Dans le cas qui nous occupe, il est clairement démontré que le bris de tuyaux est la conséquence de la négligence du locateur quant au manque de chauffage dans les logements en rénovation.

[29]     Les dommages subis par la locataire sont de plusieurs ordres. :

Les dommages matériels :

[30]     Aucune preuve détaillée n’a été fournie et le Tribunal accorde un montant forfaitaire de 200 $ pour la perte de nourriture uniquement.

Les dommages pour troubles et inconvénients :

[31]     Il est indéniable que la locataire a subi de lourds inconvénients. Elle a passé plusieurs heures à nettoyer et éponger les lieux, elle a été privée de la présence de son fils, elle a subi du stress et de l’inquiétude et elle a dû se déplacer dans un logement insalubre. Le Tribunal considère qu’une indemnité de 4 000 $ est juste et équitable dans les circonstances.

[32]     Le Tribunal se permet d’ajouter qu’une demande pour dommages punitifs aurait pu être accordée étant donnée la démonstration du harcèlement par le locateur pour que la locataire quitte le logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]     ACCUEILLE en partie la demande;

[34]     ORDONNE au locateur de terminer tous les travaux de finition au plafond de la cuisine dans les 20 jours des présentes;

[35]     ORDONNE l’exécution provisoire malgré l’appel de la présente ordonnance;

[36]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 4 600 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec depuis le 21 février 2022 et les frais de justice de notification de 90 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean Gauthier

 

Présence(s) :

la locataire

le locateur

Me Jean El Masri, avocat du locateur

Date des audiences : 

7 novembre 2022, 16 janvier et 1er mars 2023

 

 

 


 


[1] Baudouin, Jean-Louis et Jobin, Pierre-Gabriel, Les obligations, Les Éditions Yvon Blais, 5e édition, pp. 36-37.

[2] Idem.

AVIS :
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