Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et Directeur des poursuites criminelles et pénales | 2024 QCCFP 13 |
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE | ||
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CANADA | ||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||
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DOSSIER No : | 2000017 | |
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DATE : | 19 juin 2024 | |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Denis St-Hilaire | |
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association DES PROCUREURS AUX POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Partie demanderesse | ||
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Partie défenderesse | ||
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DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE D’ORDONNANCE PERMANENTE DE CONFIDENTIALITÉ (Article 119, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1; article 49, Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission de la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.01) | ||
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[1] Le 26 octobre 2022, l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Association) dépose un avis de mésentente à la Commission de la fonction publique (Commission) conformément à l’article 16 de la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective[1] et à l’article 9-1.04 de l’Entente relative aux conditions de travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales 2019‑2023.
[2] Dès le lendemain, soit le 27 octobre 2022, la Commission accueille une demande d’ordonnance provisoire de confidentialité présentée par l’Association visant « la mise sous scellés, la confidentialité, la non-publication, la non-divulgation et la non-diffusion de l’avis de mésentente » et des documents s’y rapportant.
[3] Compte tenu du caractère provisoire des ordonnances prononcées par la Commission, celle-ci doit statuer sur leur caractère permanent lors de la première journée d’audience prévue le 21 mars 2023.
[4] Cette journée d’audition n’a jamais eu lieu puisque les parties sont parvenues à une entente et ont finalement demandé à la Commission, le 17 janvier 2024, de fermer le dossier.
[5] Depuis le dépôt de la demande d’ordonnance provisoire, des accusations criminelles en lien avec le présent dossier ont été déposées et la cause sera entendue prochainement par un juge et un jury à la Cour supérieure.
[6] Le 12 juin 2024, l’Association soumet la présente demande d’ordonnance permanente puisque le caractère public de tout document au dossier risquerait d’interférer et de porter atteinte au processus judiciaire en cours au criminel et d’entraîner des répercussions importantes.
[7] D’ailleurs, une interdiction de publication a été prononcée le 23 février 2023 dans le cadre du processus judiciaire au criminel afin de protéger l’identité de la victime alléguée.
[8] Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne s’oppose pas à cette demande et n’a pas de commentaires à formuler. Il laisse le tout à l’appréciation de la Commission.
[9] La question en litige est la suivante :
La Commission consent-elle à remplacer les ordonnances provisoires du 27 octobre 2022 en ordonnances permanentes de mise sous scellés, de non‑publication, de non-divulgation et de non-diffusion?
[10] La Commission répond positivement à la question.
ANALYSE
[11] L’Association appuie sa demande sur les pouvoirs généraux accordés à la Commission en vertu de l’article 119 de la Loi sur la fonction publique[2] :
119. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence; elle peut notamment rendre toute ordonnance qu’elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider toute question de fait ou de droit.
[12] Le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission de la fonction publique[3] (Règlement) précise à son article 49 :
49. Les audiences de la Commission sont publiques.
La Commission peut toutefois ordonner l’exclusion des témoins et le huis clos, interdire ou restreindre la divulgation, la publication ou la diffusion de témoignages, de renseignements ou de documents, notamment lorsque cela lui paraît nécessaire pour préserver l’ordre public ou pour assurer la bonne administration de la justice.
[13] La présente demande vise à convertir des ordonnances provisoires de mise sous scellés, de non-publication, de non-divulgation et de non-diffusion en ordonnances permanentes afin d’éviter de porter atteinte au processus judiciaire en cours au criminel.
[14] Au stade de l’émission d’ordonnances provisoires, la Commission considère que les motifs invoqués par l’Association semblent, à première vue, susceptibles de causer des préjudices sérieux et irréparables et que la balance des inconvénients milite en faveur d’accorder de telles ordonnances de manière urgente.
[15] La présente demande exige maintenant une analyse plus approfondie.
[16] La Commission constate d’abord que le dossier est fermé puisqu’une entente de règlement est intervenue entre les parties. Néanmoins, le dossier existe toujours et comprend des documents et des informations qui pourraient être obtenus et possiblement diffusés, de manière à compromettre ou à interférer dans le processus judiciaire au criminel, notamment par rapport à la présomption d’innocence de la personne accusée et à la dignité de la victime alléguée.
[17] La cause sera entendue par un juge et un jury, ce qui incite davantage à la prudence. En effet, il pourrait être plus ardu de constituer un jury impartial si des informations sensibles étaient diffusées.
[18] Étant donné que la présomption d’innocence est un pilier de notre système de justice criminelle et que la Cour supérieure a déjà émis une interdiction de publication afin de protéger l’identité de la victime alléguée, la Commission doit en tenir compte dans son analyse.
[19] La publicité des débats et plus largement la transparence de la justice sont également des piliers de notre société, mais il y a des exceptions telles que le prévoit l’article 49 du Règlement et la jurisprudence.
[20] Les tribunaux administratifs, tout comme les tribunaux judiciaires, ont une discrétion comme le démontre une récente décision[4] du Tribunal administratif du travail qui applique le test établi par la Cour suprême du Canada en pareilles circonstances :
[24] Or, l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder une ordonnance afin de restreindre la publicité des débats doit se faire en tenant compte du test édicté par la Cour Suprême du Canada dans les arrêts Dagenais et Mentuck, et précisé par la suite dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) et enfin, dans Sherman (Succession) c. Donovan. Cette règle énonce ce qui suit :
[38] […] Pour obtenir gain de cause, la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :
1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et
3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs. […]
[25] L’ensemble de ces conditions doit être rempli afin qu’une telle ordonnance soit accordée. Ce fardeau de la preuve est lourd, et il appartient à la partie qui la requiert. Ajoutons que le test qui doit être appliqué est le même, que ce soit afin de limiter la publicité des débats par l’émission d’une ordonnance de confidentialité visant la non-divulgation, la non-publication, la non-diffusion ou celle visant l’anonymisation.
[Références omises]
[21] La Commission considère que la présomption d’innocence ainsi que de la dignité des victimes alléguées constituent des principes de justice fondamentaux qui sont d’intérêt public dans notre société. Les ordonnances sollicitées s’avèrent donc nécessaires et proportionnelles afin d’écarter tout risque qui pourrait les compromettre ou causer un préjudice sérieux et irréparable. Il s’agit d’enjeux plus importants que de simplement protéger le droit à la vie privée. De plus, les avantages associés à de telles ordonnances dépassent largement ses effets négatifs. En effet, selon toute vraisemblance, la confiance du public envers notre système de justice ne peut être affectée si de telles ordonnances sont émises dans un souci de respect et de protection des individus et de leurs droits fondamentaux.
[22] La Commission a déjà été saisie de demandes similaires. Selon la situation, elle s’est assurée de ne pas prioriser des intérêts purement privés[5], elle a retenu une autre mesure raisonnable telle que le caviardage de certaines informations[6], elle a considéré que l’ordonnance sollicitée n’était pas nécessaire pour préserver l’ordre public ou pour assurer la bonne administration de la justice[7] et elle a voulu protéger des échanges internes au DPCP[8].
[23] La présente demande se distingue, d’une part, puisqu’elle vise à protéger l’information détenue à l’intérieur d’un dossier fermé à la suite d’une entente de règlement et, d’autre part, parce qu’elle s’appuie sur des principes de justice fondamentaux tels que la présomption d’innocence ainsi que le droit à la dignité.
[24] Compte tenu des motifs invoqués et des circonstances particulières de la présente affaire, la prudence est de mise. La Commission accueille donc la demande de l’Association.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
ACCUEILLE la demande d’ordonnance permanente de confidentialité présentée par l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales;
ORDONNE la mise sous scellés de l’avis de mésentente, déposé par l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales le 26 octobre 2022, ainsi que de tous les documents s’y rapportant ;
INTERDIT la divulgation, la publication et la diffusion du contenu de l’avis de mésentente, déposé par l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales le 26 octobre 2022, ainsi que de tous les documents s’y rapportant ;
INTERDIT l’accès aux tiers à l’avis de mésentente, déposé par l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales le 26 octobre 2022, ainsi qu’à tous les documents s’y rapportant ;
RÉSERVE sa compétence afin de modifier ou d’annuler les présentes ordonnances.
Original Signé par : | ||||
| __________________________________ Denis St-Hilaire | |||
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Me Marie-Jo Bouchard | ||||
Procureure de l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales Partie demanderesse | ||||
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Me Anne-Marie Vézina |
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Procureure du Directeur des poursuites criminelles et pénales |
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Partie défenderesse | ||||
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Date de la prise en délibéré : | 18 juin 2024 | |||
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[1] RLRQ, c. P-27.1.
[2] RLRQ, c. F-3.1.1.
[3] RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.01.
[4] Institut national de la recherche scientifique et Rosei, 2024 QCTAT 1974 (CanLII).
[5] Pipon et Ministère des Transports, 2021 QCCFP 4.
[6] Couillard et Ministère des Transports et de la Mobilité durable, 2023 QCCFP 5.
[7] Gonthier et Commission de la fonction publique, 2022 QCCFP 22.
[8] Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Létourneau) et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2020 QCCFP 33.
AVIS :
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