94011834
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-10-000153-929
(200-36-000174-912)
(200-27-013940-902)
Le 8 septembre 1994.
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
DELISLE
OTIS, JJ.C.A.
INFOTIQUE TYRA INC.,
APPELANTE - accusée,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
NO: 200-10-000154-927
(200-36-000174-912)
(200-27-013941-900)
MAURICE RACINE,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
NO: 200-10-000155-924
(200-36-000174-912)
(200-27-013939-904)
RÉAL TURGEON,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
LA COUR
, statuant sur le pourvoi de chacune des parties
appelantes contre un jugement rendu le 19 août 1992 par la Cour
supérieure du district de Québec (l'honorable Jean Bienvenue), qui
a rejeté leur appel respectif d'un jugement prononcé le 27
septembre 1991 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale,
district de Québec (l'honorable Jean-François Dionne), qui avait
reconnu leur culpabilité à l'égard de diverses infractions à la Loi
sur les valeurs mobilières, L.R.Q. c. V-1.1;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion ci-annexée de
monsieur le juge Jacques Delisle, à laquelle souscrivent monsieur
le juge Marc Beauregard et madame la juge Louise Otis:
REJETTE chacun des appels, avec frais fixés par
règlement.
MARC BEAUREGARD, J.C.A.
JACQUES DELISLE, J.C.A.
LOUISE OTIS, J.C.A.
Me Alain Pard
PARD, GERVAIS
Procureur des parties appelantes
Me Jean Lorrain
PROULX, BRETON
Procureur de l'intimée
Date de l'audition: le 23 novembre 1993
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-10-000153-929
(200-36-000174-912)
(200-27-013940-902)
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD
DELISLE
OTIS, JJ.C.A.
INFOTIQUE TYRA INC.,
APPELANTE - accusée,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
NO:
200-10-000154-927
(200-36-000174-912)
(200-27-013941-900)
MAURICE RACINE,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
NO: 200-10-000155-924
(200-36-000174-912)
(200-27-013939-904)
RÉAL TURGEON,
APPELANT - accusé,
c.
LA COMMISSION DES VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC,
INTIMÉE - poursuivante.
_____________________________________________
OPINION DU JUGE DELISLE
_______________________
Les appelants se pourvoient contre un jugement de la
Cour supérieure, district de Québec, prononcé le 19 août 1992 par
l'honorable Jean Bienvenue, qui a rejeté leur appel d'un jugement
rendu le 27 septembre 1991 par la Cour du Québec, chambre
criminelle et pénale, district de Québec (l'honorable Jean-
François Dionne), qui avait reconnu la culpabilité des appelants
à l'égard de diverses infractions à la
Loi sur les valeurs
mobilières, L.R.Q. c. V-1.1.
LES CHEFS D'ACCUSATION PORTÉS CONTRE LES APPELANTS
L'appelante Infotique Tyra Inc. (ci-après appelée
"Tyra"), son employé, l'appelant Maurice Racine, et son président
et seul actionnaire, l'appelant Réal Turgeon, ont été accusés de
diverses infractions à la
Loi sur les valeurs mobilières (ci-après
appelée "la Loi"). Sept chefs d'accusation ont été portés contre
Tyra, dix contre Maurice Racine et douze contre Réal Turgeon.
En bref, il était reproché à Tyra d'avoir procédé au
placement de contrats d'investissement tombant sous l'application
de la Loi, sans avoir établi un prospectus soumis au visa de la
Commission des valeurs mobilières (ci-après appelée "la
Commission"), contrairement à l'article 11 de la Loi, commettant
ainsi l'infraction prévue à son article 202.
Maurice Racine, de son côté, était accusé, sous cinq
chefs, d'avoir exercé l'activité de courtier en valeurs au sens de
l'article 5 de la Loi, sans être inscrit à ce titre auprès de la
Commission, en effectuant le placement de contrats d'investissement
soumis à l'application de la Loi, contrevenant ainsi à son article
148 et commettant l'infraction prévue à son article 202, et, sous
cinq autres chefs, d'avoir aidé Tyra, par acte ou omission, à
procéder au placement de contrats d'investissements selon le sensdonné à cette expression à l'article 1 de la Loi, sans avoir établi
de prospectus soumis au visa de la Commission, le tout
contrairement de l'article 11 de la Loi, commettant ainsi l'infrac
tion créée à son article 202 (avec référence à l'article 208).
Quant à Réal Turgeon, il était accusé, sous sept chefs,
d'avoir autorisé ou permis, à titre de dirigeant de Tyra, le
placement d'une forme d'investissement soumis à la Loi, sans avoir
établi un prospectus visé par la Commission, contrairement à
l'article 11 de la Loi, commettant ainsi l'infraction prévue à son
article 205.
Réal Turgeon était également accusé, sous cinq autres
chefs, d'avoir aidé Maurice Racine, par acte ou omission, à exercer
l'activité de courtier en valeurs au sens de l'article 5 de la Loi,
en effectuant le placement de contrat d'investissement, sans que
cette personne soit dûment inscrite à ce titre auprès de la Commis
sion, contrairement à l'article 148 de la Loi, commettant ainsi
l'infraction prévue à son article 202 (avec référence à l'article
208).
LES FAITS
Tyra, une société commerciale dont le siège social est
situé à Victoriaville, Québec, oeuvrait principalement dans le
domaine de l'informatique. Par l'entremise de représentants, Tyra
offrait à des épargnants d'investir des sommes d'argent variant
entre 5 000$ et 20 000$ dans le domaine de la recherche et du
développement en informatique, à l'aide d'un contrat intitulé
"soumission".
Aux termes de cette "soumission", le prix payé incluait
notamment la fourniture d'un disque laser et d'un programme
d'extraction de stockage de l'information sur le disque. La preuve
a toutefois révélé qu'aucun des signataires n'a reçu ou demandé le
disque laser (voir les extraits de témoignages: Cusson, m.i. 130;
Vézina, m.i. 133; Ross, m.i. 135; Samson, m.i. 142; Garneau, m.i.
144 et l'analyse de la preuve faite par le juge Dionne, m.a. 105-
110). En fait, la véritable motivation des investisseurs résidait
dans les avantages fiscaux rattachés à ce type d'investissement
(témoignages de Cusson, Vézina, Ross, Desrochers, Samson, Garneau,
analysés par le juge Dionne, m.a. 105-110). Il a été d'ailleurs
admis que les personnes qui ont investi dans le projet de recherche
proposé par Tyra se sont montrées satisfaites du rendement fiscal
obtenu par leur placement.
En plus de signer la "soumission", les investisseurs se
portaient acquéreurs d'une part dans la Société de Recherches
Expérimentales en Télématique (S.R.E.T.), une société en nom
collectif, pour le prix d'un dollar.
Les investisseurs signaient, simultanément, un troisiè
me contrat intitulé "cession" (m.a. 184), par lequel ils cédaient
à Infotique Ytar Inc. leurs parts, droits et intérêts dans le
prototype de disque laser pour bibliothèque personnelle, à sa juste
valeur marchande, telle qu'établie au début de l'année fiscale de
l'investissement.
Cette procédure en trois parties, soumise aux
investisseurs, est expliquée de la façon suivante par Réal Turgeon
(m.i. 147-148):
Q. Et vous, la société Infotique Ytar, est-ce que
ça vous appartient, cette société-là?
R. Infotique Ytar, oui ça m'appartient.
Q. À cent pour cent (100%)?
R. À cent pour cent (100%).
Q. Comme la société Infotique Tyra?
R. C'est ça.
Q. Si je comprends bien la structure de votre
projet, Infotique Tyra offre une soumission, donc
à l'intérieur d'Infotique Tyra, les gens
investissent une somme d'argent, c'est exact?
R. Oui.
Q. Pour avoir droit à la recherche et développement,
les gens doivent appartenir à la S.R.E.T., d'où
l'adhésion; c'est exact également?
R. D'où l'adhésion, c'est ça.
Q. Donc, les gens deviennent sociétaires d'une
société en nom collectif, ce qui leur donne droit
à la déduction fiscale?
R. C'est ça.
Q. Et vous, par la suite, c'est-à-dire au même
moment, c'est-à-dire au moment même où les gens
signent le contrat, signent également une formule
de cession par laquelle ils vont vous céder les
droits dans leur part, c'est exact?
R. C'est exact, mais pour ceux qui veulent signer,
qui veulent...
Q. Donc, en fait...
R. ... qui veulent céder leur droit.
Q. Je m'excuse, allez-y?
R. Bien, pour ceux qui veulent céder les droits;
s'ils veulent absolument qu'on complète leur disque
laser, on va le faire.
Q. Vous m'avez dit tout à l'heure qu'il n'avait pas
complété pour aucun, à date?
R. Bien, aucun a fait la demande.
Q. Donc, vous n'avez jamais complété, donc vous avez
toujours racheté, si je comprends bien?
R. Oui.
Q. Mais c'est toujours un rachat à cinquante pour
cent (50%) de la valeur?
R. Sensiblement, oui.
Réal Turgeon était le président et seul actionnaire de
Tyra et Infotique Ytar Inc. Il contrôlait également S.R.E.T.,
société acquise quelques années auparavant de Normand Lassonde
(m.i. 93), dirigeant de Geyser Informatics Inc.
Réal Turgeon entretenait, depuis plusieurs années, des
liens étroits avec Geyser Informatics Inc. et Normand Lassonde. Il
avait en outre travaillé pour S.R.E.T. et préparé avec Normand
Lassonde des rapports de recherche.
De son côté, Maurice Racine, avant d'être représentant
pour Tyra dans la région de Québec, travaillait pour le compte de
Geyser Informatics Inc. Il faisait, comme pour Tyra, de la
sollicitation auprès de personnes intéressées à investir dans des
projets de recherche.
Geyser Informatics Inc., qui offrait un produit
semblable à celui proposé par Tyra, a dû cesser ses opérations à
la suite d'une injonction prononcée par la Cour supérieure le 25novembre 1987, qui lui ordonnait essentiellement de cesser toute
activité en vue de procurer le placement de valeurs mobilières
(pour les termes exacts de l'ordonnance, voir
Commission des
valeurs mobilières du Québec c. Geyser Informatics Inc.,
[1990]
R.J.Q. 190
(C.S.)). C'est à la suite de cette interdiction que
Normand Lassonde a cédé S.R.E.T. à Réal Turgeon.
LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC
Dans un jugement bien structuré et motivé, le juge
Jean-François Dionne de la Cour du Québec a condamné les appelants
sous chacun des chefs d'accusation portés contre eux.
Le juge Dionne a analysé, dans un premier temps, si la
forme d'investissement offerte par Tyra était un contrat
d'investissement au sens de l'article 1 de la Loi. Après une revue
minutieuse de la preuve et après avoir fait référence à plusieurs
autorités, le juge a conclu que:
... ce contrat (de soumission) est en fait et en
droit un contrat d'investissement, par lequel la
société Infotique Tyra Inc. voulait capitaliser,
amasser de l'argent afin de permettre une recher
che en télématique et produire théoriquement un
disque laser. Le contrat de soumission est donc une
levée de fonds déguisée
(m.a. 126).
Le juge Dionne a appliqué les principes d'interpréta
tion dégagés par la Cour suprême du Canada, pour ce type de
législation, dans
Pacific Coast Coin Exchange c. C.V.M.O.,
[1978]
2 R.C.S. 112
.
Après avoir déclaré Tyra coupable, le juge a examiné
séparément la culpabilité des deux autres appelants, procédant, à
chaque fois, à une analyse méthodique des composantes de
l'infraction reprochée et des faits mis en preuve.
LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
Saisi des appels interjetés par chacun des trois
appelants, le juge Bienvenue a confirmé la déclaration de
culpabilité et la sentence prononcées contre chacun d'eux.
Ce jugement ne fait qu'approuver les vues exprimées par
le juge Dionne (non sans avoir grandement vanté la qualité du
jugement de ce dernier). C'est pourquoi, en traitant du présent
appel, je me référerai aux motifs du jugement du juge Dionne.
LES MOYENS D'APPEL
Dans leur mémoire, les appelants soulèvent douze
arguments à l'encontre de leurs déclarations de culpabilité (m.a.
7-8). À l'audition, ils en ont également ajouté un: la méprise
quant à l'identité de l'émetteur des valeurs.
Les questions soulevées peuvent être regroupées, de
façon à simplifier leur analyse.
J'examinerai successivement les moyens suivants:
I - L'assujettissement de la forme d'investissement offerte
par Tyra à la Loi (questions 1, 2, 3 et 4 des appelants).
En examinant cette question, je devrai déterminer le sens
et la portée de l'expression "contrat d'investissement"
employée à l'article 1. de la Loi, en tenant compte des
principes d'interprétation propres à ce type de
législation. Je devrai également examiner la notion de
"placement" pour vérifier si Tyra devait se soumettre à
l'application de l'article 11 de la Loi.
II - La culpabilité de Maurice Racine sous tous les chefs
d'accusation portés contre lui (questions 5 à 7 des ap
pelants).
Cette personne a-t-elle exercé l'activité de courtier, sans
être dûment inscrite auprès de la Commission? Le fait qu'un
des investisseurs n'ait pas fait affaires directement avec
elle empêche-t-il la condamnation de cette personne sous
les chefs 2 et 7? Quelle est la conséquence de l'absence de
déclaration de culpabilité dans le dispositif du jugement
du juge Dionne relativement aux chefs d'accusation 6 à 10
portés contre Maurice Racine?
III - L'application du principe de la chose jugée (ques
tion 8 des appelants).
La condamnation de Maurice Racine sous les chefs 1 à 5
empêche-t-elle sa condamnation sous les chefs 6 à 10, en
vertu du principe de l'interdiction de déclarations de
culpabilité multiples?
IV - La culpabilité de Réal Turgeon sous les chefs d'accu
sation portés contre lui (questions 9 à 11 des appelants).
Réal Turgeon est-il coupable des infractions reprochées
contre lui?
V - L'article 206 de la Loi (question 12 des appelants).
Les appelants peuvent-ils invoquer avec succès les moyens
de défense de prudence et diligence ou d'erreur
raisonnable?
VI - La nécessité d'un "avertissement raisonnable" (moyen
traité aux pages 34-36 du mémoire des appelants).
L'absence d'avertissement raisonnable de ce qui est prohibé
par la Loi peut-elle être invoquée en l'espèce?
VII - La méprise quant à l'identité de l'émetteur des
valeurs (moyen soulevé à l'audience).
Tyra est-elle véritablement celle qui a procédé à
l'émission de valeurs en contravention de la Loi?
I - L'ASSUJETTISSEMENT DU PROJET DE RECHERCHE
OFFERT PAR TYRA À LA LOI
_____________________________________________
A - La définition du contrat d'investissement
La première question à trancher est celle de la
justesse de l'interprétation par le juge Dionne de l'expression
"contrat d'investissement", définie à l'article 1 de la Loi.
Dans l'hypothèse où le juge aurait erronément appelé
"contrats d'investissement" au sens de la Loi les contrats offerts
par Tyra, les appelants devraient alors être déclarés non coupables
des accusations portées contre eux; il ne serait pas alors
nécessaire d'examiner les autres questions qu'ils soulèvent.
L'article 1 de la Loi, après avoir énoncé que celle-
ci s'appliquait, entre autres, aux contrats d'investissement,
définit cette expression comme suit:
Le contrat d'investissement est un contrat par
lequel une personne s'engage, dans l'espérance du
bénéfice qu'on lui a fait entrevoir, à participer
aux risques d'une affaire par la voie d'un apport
ou d'un prêt quelconque, sans posséder les
connaissances requises pour la marche de l'affaire
ou sans obtenir le droit de participer directement
aux décisions concernant la marche de l'affaire."
Pour bien cerner la portée des dispositions de la Loi,
il convient, en premier lieu, de connaître les buts poursuivis par
ce type de législation et les principes d'interprétation que les
tribunaux ont utilisés à leur égard.
Dans
Pacific Coast Coin Exchange c. Commission des
valeurs mobilières de l'Ontario,
[1978] 2 R.C.S. 112
, la Cour
suprême devait justement décider si une convention constituait un
contrat de placement au sens de la loi ontarienne
Securities Act,
R.S.O. 1970, c. 426. Le juge de Grandpré précise, dans un premier
temps, le but poursuivi par la législation ontarienne sur les
valeurs mobilières (p. 126):
...
Il s'agit nettement de la protection du
public...
Le juge de Grandpré poursuit en faisant référence à
l'affaire
Re Ontario Securities Commission and Brigadoon Scotch
Distributors (Canada) Limited (1970), 3 O.R. 714, où le juge Hartt
a écrit (p. 717):
... the basic aim or purpose of the Securities Act,
1966,... is the protection of the investing public
through full, true and plain disclosure of all
material facts relating to securities being issued.
Ce but protecteur de la Loi est mis en évidence à son
article 276, qui spécifie le rôle de la Commission
(1):
276. La Commission des valeurs mobilières du Québec
constituée par la Loi sur les valeurs mobilières
(chapitre V-1) est continuée; elle est chargée de
l'administration de la présente loi et exerce les
fonctions qui y sont prévues.
Elle a pour mission:
10 de favoriser le bon fonctionnement du marché des
valeurs mobilières;
20 d'assurer la protection des épargnants contre les
pratiques déloyales, abusives et frauduleuses;
30 de régir l'information des porteurs de valeurs
mobilières et du public sur les personnes qui font
publiquement appel à l'épargne et sur les valeurs
émises par celles-ci;
40 d'encadrer l'activité des professionnels du
marché des valeurs mobilières, des associations qui
les regroupent et des organismes chargés d'assurer
le fonctionnement d'un marché de valeurs mobilières.
Après avoir précisé, dans
Pacific Coast, le but de la
législation sur les valeurs mobilières, le juge de Grandpré
s'exprime ainsi sur l'interprétation que doit recevoir ce type de
législation (p. 127 et 128):
On doit donner à ce genre de législation protec
trice une interprétation large qui tienne compte
des réalités économiques qu'elle vise. L'élément
décisif est le fond et non la forme.
[...]
Dans la recherche du sens véritable de l'expression
"contrat de placement", il faut aussi penser à un
autre principe important. Comme l'a souligné la Cour
suprême des États-Unis dans SEC v. W.J. Howey Co.,
[328 U.S. 293 (1946)], une définition doit
permettre (à la page 299):
[Traduction]... à la législation d'atteindre son
but, savoir rendre obligatoire la divulgation
complète et juste des faits relatifs à l'émission
"des divers types d'effets qui, dans le commerce,
entrent ordinairement dans la notion de valeurs
mobilières"... Elle contient un principe souple
plutôt que statique, capable de s'adapter aux innom
brables plans employés par ceux qui cherchent à
utiliser l'argent des autres en leur promettant des
profits.
Cela ne signifie pas que la législation vise
uniquement les plans qui sont effectivement
frauduleux; elle a plutôt trait aux accords qui ne
permettent pas aux clients de connaître exactement
la valeur de leur investissement.
Contrairement à la loi ontarienne en cause dans
Pacific
Coast, la loi québécoise sur les valeurs mobilières contient,
depuis 1983 (L.Q. 1982, c. 48), une définition de "contrat
d'investissement". Cette différence amène les appelants à limiter
la portée des principes enseignés par la Cour suprême (m.a. 21):
De plus, la loi ontarienne ne contenait aucune
définition de la notion de contrat d'investisse
ment, ce qui laissait au tribunal le loisir
d'examiner cette notion selon l'interprétation
donnée antérieurement et ce même par les tribunaux
étrangers. Ici au Québec, nous avons une définition
et il faut s'en tenir à cette définition. Ce que le
jugement majoritaire de la Cour suprême énonce,
c'est qu'en l'absence d'une définition l'on doit
avoir une interprétation large de cette notion, mais
jamais ce jugement n'a mentionné qu'il devait y
avoir une interprétation large d'une définition
incluse dans la Loi, ce qui est précisément notre
cas.
Avec égards, retenir une telle prétention équivaudrait
à déformer les principes posés par la Cour suprême. Le principe
d'interprétation large rattaché à une loi du type de la loi
ontarienne sur les valeurs mobilières tenait compte du but visé
par une telle législation, soit la protection du public investis
seur. La loi ontarienne, comme la loi québécoise sur les valeurs
mobilières, doivent être interprétées d'une façon libérale
puisqu'elles visent à protéger le public en rendant obligatoire la
divulgation complète des valeurs offertes aux investisseurs.
Naturellement, l'interprétation libérale commandée par
le but de la Loi doit être filtrée en fonction des termes mêmes de
celle-ci et des définitions qu'elle contient. L'absence de
définition ou l'utilisation de termes généraux dans une loi
pourront constituer des indices supplémentaires menant à une
interprétation large. Cependant, l'existence de définitions plus
précises dans la loi ne peut avoir pour effet d'en limiter indûment
l'application, sans égard aux objectifs premiers recherchés par lelégislateur; une définition doit toujours être comprise de façon
à permettre à la législation d'atteindre son but.
Même en présence de la définition de "contrat d'inves
tissement" contenue à l'article 1 de la Loi, les tribunaux
québécois ont continué d'appliquer les principes d'interprétation
préconisés par la Cour suprême dans
Pacific Coast:
-
___Commission des valeurs mobilières du Québec c. Geyser Infor
matics Inc.,
[1990] R.J.Q. 190
(C.S.), à la page 197, la juge
Piché. Désistement d'appel, 11 avril 1990, C.A.M. 500-09-
001627-892.
-
___Commission des valeurs mobilières c. Lambert, C.S. Montréal,
500-05-009209-899, 18 août 1989, à la page 3, le juge Pierre
Viau.
-
___Corporation Première Équité A.C.P. Inc., C.V.M.Q. 8307, 29 mai
1987, à la page 15, les membres de la Commission, Côté, Cusson
et Dussault.
-
___Commission des valeurs mobilières du Québec c. Thorne, Riddell,
Poissant, Richard, c.a., C.S.P. Terrebonne, 700-27-007847-849,
17 avril 1985, aux pages 5-7, le juge Lagarde.
Pour déterminer la signification de l'expression "con
trat de placement", la Cour suprême, dans
Pacific Coast, s'est
inspirée de la jurisprudence américaine et du test développé par
la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt
Howey, 328 U.S. 293,
aux pages 298, 299 et 301:
Does the scheme involve "an investment of money in
a common enterprise, with profits to come solely
from the efforts of others"?
Le juge de Grandpré a précisé la portée à donner aux
termes "uniquement" (solely), "entreprise commune" (common
enterprise) et "fruit du labeur de tiers" (from the efforts of
others) utilisés dans ce test (p. 129):
Bien des tribunaux américains ont critiqué l'emploi
du mot "uniquement" dans ce critère et en ont
atténué la portée. Il suffit de se reporter à
SEC
v. Koscot Interplanetary Inc., [497 F. 2d 473
(1974)] et à SEC v. Glen W. Turner Enterprises Inc.,
[474 F. 2d 476 (1973)]. Comme le mentionne l'arrêt
Turner, donner une interprétation rigoureuse au mot
"uniquement" (à la page 482) [TRADUCTION] "n'est pas
conforme au but de la Loi. Nous préférons adopter
un critère plus réaliste, savoir le labeur de
personnes autres que l'investisseur est-il
incontestablement déterminant, s'agit-il de cette
direction effective de l'entrepise qui influe
directement sur son échec ou son succès."
Dans ce
même arrêt, on a défini l'expression "entreprise
commune" comme (à la p. 482) [TRADUCTION] "une
entreprise où le sort de l'investisseur est
étroitement lié et subordonné aux fruits du labeur
de ceux qui l'ont incité à investir ou de tiers".
J'accepte d'emblée les raffinements de cette notion.
La définition de "contrat d'investissement" retenue par
le législateur québécois à l'article 1 de la Loi n'est pas en tous
points semblable à celle élaborée par la Cour suprême dans
Pacific
Coast. Cependant, les principes posés par le plus haut tribunal du
pays permettent de mieux saisir certaines de ses composantes
essentielles.
Les appelants élaborent longuement sur la définition de
contrat d'investissement (m.a. 9 et s.). Examinant point par point
chaque composante de celle-ci, ils prétendent que les soumissions
offertes par Tyra ne rencontrent pas, sous plusieurs aspects, les
caractéristiques du contrat d'investissement.
Cette façon d'examiner la définition du contrat
d'investissement comporte le danger imminent d'isoler les
coordonnées de l'ensemble, sans effectuer les liens essentiels
entre les divers éléments de la définition.
En passant, s'il fallait nécessairement analyser la
définition de contrat d'investissement en la décomposant en
plusieurs éléments, il y aurait avantage à retenir l'analyse faite
par les membres de la Commission, Côté, Cusson et Dussault, dans
Corporation Première Équité A.C.P. Inc. et autres, C.V.M.Q. 8307,
29 mai 1987, aux pages 12 à 13:
1
0 "Le contrat d'investissement est un contrat par
lequel un investisseur s'engage":
Le client s'engage ici à souscrire dans le plan
d'investissement qu'on lui propose. Même s'il ne
signait aucun document, il s'engage, tout en
conservant la faculté de se désister. Le mandat
(pièce P-6) ne fait qu'établir les termes généraux
du type de projet convenu. Le contrat notarié
conclut l'opération financière et le transfert de
la propriété sous-jacente.
20 "Dans l'espérance du bénéfice qu'on lui a fait
entrevoir":
Il s'agit du revenu net de location, de l'économie
d'impôts et d'un gain possible en capital.
30 "A participer aux risques d'une affaire par la
voie d'un apport ou d'un prêt quelconque":
L'investissement, dans une part de ce genre de
projet immobilier, comporte plusieurs risques non
seulement quant à la rentabilité et à la plus-value
de l'actif sous-jacent, mais aussi par l'effet de
levier dû à l'emprunt personnel, à l'emprunt
hypothécaire et à la responsabilité conjointe, dans
une entreprise commune.
40 "Sans posséder les connaissances requises pour
la marche de l'affaire":
Tous les témoins entendus, à l'exception de M.
Carignan qui est dans une situation particulière,
ont déclaré ne posséder que peu de connaissances de
l'immobilier et, en particulier, se fier totalement
aux connaissances et à l'expertise de la société et
de ses dirigeants qui peuvent réaliser toutes les
étapes nécessaires pour organiser un programme
complet (en ayant aussi recours à des spécialistes)
qui soit rentable et accessible pour eux. La marche
de l'affaire s'entend de l'ensemble du projet, à
partir du choix de l'immeuble, en passant par
l'évaluation, les améliorations, la conception et
l'organisation juridique et financière, le
groupement de co-investisseurs et l'organisation du
contrôle subséquent, et non seulement de
l'administration courante de l'immeuble. Très peu
d'épargnants, sauf des spécialistes, possèdent les
connaissances nécessaires. Or, c'est le public en
général qui est sollicité et à qui une part dans
une telle affaire est proposée.
50 "Ou sans obtenir le droit de participer direc
tement aux décisions concernant la marche de l'af
faire":
Le disjonctif "ou" est important: il suffit que
cette condition ou la précédente s'applique pour
rendre la définition opérante.
La réalité économique, c'est qu'on offre une part
dans un projet d'investissement, déterminé ou à
l'être; le seul choix du client est d'accepter ou
de refuser. Le mandat établit qui prend toutes les
décisions déterminantes. Toutes les décisions
importantes pour la marche et le succès de l'affaire
sont prises par le promoteur.
La décision d'assumer eux-mêmes l'administration
immobilière et financière ou de la confier à des
spécialistes n'est qu'accessoire et la possibilité
de révoquer ces gérants a une portée marginale. Il
est à noter en l'espèce que la société n'a pas
laissé les conseillers, dans trois projets, jouer
leur rôle.
Dans
Commission des valeurs mobilières du Québec c.
Geyser Informatics Inc.,
[1990] R.J.Q. 190
(C.S.), désistement
d'appel 500-09-001627-892, 1990-04-11, la juge Ginette Piché étaitsaisie d'une requête pour outrage au tribunal présentée par la
Commission. Les intimés étaient accusés d'avoir contrevenu à une
injonction leur enjoignant "
[...] de cesser toute activité en vue
de se procurer, directement ou indirectement, le placement d'une
valeur au sens de la Loi sur les valeurs mobilières,(chapitre V-
1.1), émise par eux-mêmes ou par d'autres personnes, compagnies,
sociétés en commandite ou autres sociétés pour le compte des
défendeurs, à moins que le tout ne soit fait en conformité stricte
de la Loi sur les valeurs mobilières".
L'injonction interdisait toute autre forme d'investis
sement régie par la Commission.
Le projet proposé par Geyser Informatics Inc.
ressemblait en tous points à celui offert par Tyra. Des
représentants rencontraient d'éventuels investisseurs pour les
inciter à investir dans un projet de recherche comportant pour eux
des avantages fiscaux importants. Ces investisseurs signaient par
la suite un contrat séparé par lequel ils adhéraient à S.R.E.T.,
une société en nom collectif. Lors de la signature du mandat de
recherche, ils consentaient, en outre, à l'avance à vendre toutes
leurs parts dans S.R.E.T. à Tecktel, moyennant un montant
équivalent à la valeur commerciale anticipée du mandat, soit 50%
de la mise de fonds.
La juge Piché fut d'avis qu'il y avait bel et bien,
selon la preuve, un contrat d'investissement (p. 197):
La preuve, en fait, a montré clairement que ce
n'était pas le "mandat de recherche", mais la
déduction d'impôt qui intéressait les gens. Mais le
"mandat de recherche" est-il un "contrat d'investis
sement" tel que défini dans la
Loi sur les valeurs
mobilières? Le Tribunal estime qu'on y retrouve
essentiellement les éléments décrits à l'article 1
de la loi.
Après avoir souligné le principe d'interprétation large
préconisé par la Cour suprême dans
Pacific Coast sur ce type de
législation, elle poursuit (à la même page):
L'injonction émise par M. le juge Mayrand inter
disait "toute autre forme d'investissement" régie
par la Commission. S'il ne s'agit pas ici d'un
"investissement" dans Geyser, de quoi s'agit-il? Le
Tribunal estime que la preuve démontre clairement
que c'est un investissement par lequel le "client"
s'engage à participer à une affaire - ici, un
"mandat de recherche" - en investissant une somme
d'argent pour obtenir un bénéfice fiscal et sans
posséder les connaissances requises en télématique.
Le but clair de l'investissement est d'obtenir une
déduction fiscale. Tout le succès du mandat dépend
de Geyser et non de l'investisseur. Le produit
présenté est un abri fiscal sous la forme d'un
mandat de recherche.
On conteste le fait qu'il n'y ait pas, dans le
présent cas, "d'apport" véritable. Un "apport" n'est
pas un mandat, soumet-on. Ici, l'investisseur
participe aux risques par la voie d'un mandat et
non d'un "apport". Le Tribunal estime qu'on joue
avec les mots. Le mandat n'existe en effet que par
l'apport. Sans "apport" monétaire, il n'y a pas de
mandat. L'interprétation à donner à la
Loi sur les
valeurs mobilières doit être large, nous dit l'arrêt
Pacific Coast:
[La législation][...] contient un principe souple
plutôt que statique, capable de s'adapter aux
innombrables plans employés par ceux qui cherchent
à utiliser l'argent des autres en leur promettant
des profits.
Le législateur a voulu que les contrats d'inves
tissement permettent à ceux qui décident d'y adhérer
de véritablement savoir ce dans quoi ils
s'embarquent. C'est le but de la législation
d'ailleurs, "protéger le monde ordinaire". Et c'est
la raison d'être de l'article 11 de la loi...
Il ressort clairement de ce jugement que la juge Piché
n'a pas isolé chacun des éléments de la définition du contrat
d'investissement, mais les a considérés dans leur ensemble, sous
l'éclairage du but poursuivi par la Loi.
Dans le présent cas, pour connaître la nature exacte du
projet de recherche offert par Tyra pour le stockage de données sur
disque laser, le juge Dionne a d'abord précisé le rôle joué par
cette société (m.a. 120-121):
- concevoir un plan de financement;
- faire une demande pour un produit ou service;
- rechercher les personnes pouvant investir;
- évaluer leur capacité de financement;
- évaluer les économies fiscales pouvant en résulter;
- prévoir les formules de soumission, d'adhésion et de ces
sion;
- gérer le placement d'argent et les sommes affectées à la
recherche;
- gérer le projet de recherche lui-même fait par la
S.R.E.T.;
- donner les documents nécessaires pour que chaque
investisseur puisse recevoir les remboursements d'impôt
auprès du gouvernement.
Le juge souligne ensuite la grande similitude de la
structure financière du produit offert par Tyra et l'apport en
capital qu'il nécessite avec la situation qui existait dans
Les
Rentes immobilières Michel Maheux Inc. c. Commission des valeurs
immobilières de Québec,
J.E. 86-969
(C.A.). Le juge conclut:
Même si dans l'ancienne loi des valeurs mobilières,
le contrat d'investissement n'était pas défini comme
celui que l'on retrouve maintenant à la loi de 1983,
la Cour est d'avis que la personne s'engage à
participer au risque d'une affaire par la voie d'un
apport.
Le juge Dionne rejette la prétention de la défense qui
voulait limiter l'espérance de profits à ceux découlant seulement
des activités de Tyra. Il écrit:
La preuve de même qu'une connaissance même sommaire
du monde des affaires nous indiquent indubitablement
que les investisseurs ont signé cet engagement en
raison du bénéfice escompté. La Loi ne précise pas
certains moyens particuliers pour l'obtenir. On n'a
jamais indiqué dans cette définition que le bénéfice
escompté devait être
nécessairement lié au profit
de la compagnie Infotique Tyra Inc. Le bénéfice peut
s'entendre aussi bien d'un manque à gagner ou, comme
dans le cas qui nous occupe, d'un abaissement
substantiel de l'impôt à payer.
Tyra proposait selon lui une forme d'investissement qui
comportait des risques. Le juge Dionne mentionne, comme risques
potentiels, l'adhésion à une société en nom collectif impliquant
une responsabilité solidaire pour les associés, le refus du
ministère du Revenu d'effectuer les déductions fiscales, le non-
remboursement à 50% de la valeur initiale lors de la cession à
Infotic Ytar Inc. et les risques encourus par les personnes qui ont
dû emprunter pour pouvoir verser les sommes investies.
Il rejette aussi l'argument des défendeurs qu'il n'y
avait pas eu d'apport au sens de la Loi:
La définition du contrat d'investissement stipule
que pour qu'il y ait contrat d'investissement, il
doit nécessairement avoir un apport ou un prêt
quelconque. Parce que le mot apport n'est pas défini
dans la loi et que les sociétaires font partie d'une
entreprise commune, on nous invite à considérer
qu'il ne s'agit pas d'un apport au sens de la loi.
Nous ne pouvons souscrire à cette argumentation. Il
faut donner aux mots leur sens ordinaire. L'absence
d'une définition n'emporte pas de soi une défi
cience à moins que le vocable soit utilisé dans la
Loi pour désigner deux (2) réalités distinctes.
Cette déficience de légistique (sic) bénéficierait
alors à l'accusé, mais ce n'est pas le cas ici.
L'investissement en argent par les personnes
intéressées entre, selon nous, dans la définition
"d'apport prévu par la loi". Il n'y aurait jamais
eu "soumission" acceptée s'il n'y avait pas eu
"apport monétaire". La soumission n'existe en effet
que par l'apport monétaire".
Le juge conclut finalement que le mandat de recherche
proposé par Tyra était un contrat d'investissement au sens de
l'article 1 de la Loi.
Le juge Dionne a correctement interprété la définition
de contrat d'investissement et aucun des reproches formulés par les
appelants à l'encontre de cette interprétation ne doit être retenu.
Le juge a analysé dans leur ensemble les éléments de la définition
de contrat d'investissement. C'était la bonne approche. Il fallait
éviter d'encapsuler chacune des composantes de cette définition.
B - L'existence d'un prospectus
Suivant l'article 11 de la Loi:
Toute personne qui entend procéder au placement
d'une valeur est tenue d'établir un prospectus
soumis au visa de la Commission. La demande de visa
est accompagnée des documents prévus par règlement.
Les appelants soumettent qu'une des conditions essen
tielles à l'application de cette disposition fait ici défaut: il
n'y aurait pas eu de "placement" au sens de la définition de ce
terme contenue à l'article 5 de la Loi:
"placement":
1) le fait, par un émetteur, de rechercher ou de
trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de ses
titres;
2) le fait, par le preneur ferme, de rechercher ou
de trouver des acquéreurs de titres qui ont fait
l'objet de la prise ferme;
3) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui
a acquis ses titres sous le régime d'une dispense
prévue aux articles 43 à 56, de rechercher ou de
trouver des acquéreurs sans bénéficier d'une
dispense définitive de prospectus;
4) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui
a acquis des titres sans que fût établi le
prospectus exigé par la loi et sans que l'opération
fît l'objet d'une dispense, de rechercher ou de
trouver des acquéreurs;
5) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui
a acquis ses titres à l'extérieur du Québec, de
rechercher ou de trouver des acquéreurs au Québec,
sauf sur une bourse ou sur le marché hors cote;
6) le fait de rechercher ou de trouver des
acquéreurs pour des titres d'une société
antérieurement fermée qui n'ont pas encore fait
l'objet d'un prospectus;
7) le fait, par un intermédiaire, de rechercher ou
de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de
titres faisant l'objet d'un placement en vertu des
paragraphes 1 à 6;
8) le fait, par un émetteur, de donner en garantie
des titres émis par lui à cette fin;
Reprenant tous les paragraphes de la définition, les
appelants soulignent qu'il doit y avoir émission ou souscription
de
titres pour qu'il y ait placement en vertu de l'article 11 de
la Loi. Or ici, les documents signés ne constitueraient pas, selon
eux, un titre, i.e. un certificat représentatif d'une valeur
mobilière.
L'article 11 de la Loi constitue l'une de ses dis
positions les plus importantes. Cet article veut assurer la
protection des investisseurs en rendant obligatoire la divulgation
complète de tous les faits relatifs à l'émission d'une valeur.
Le cadre d'application de la Loi est d'abord et avant
tout délimité par ses articles 1 et 2:
Art. 1. Application. - La présente loi s'applique
aux formes d'investissement suivantes:
1) une valeur immobilière reconnue comme telle dans
le commerce, notamment les actions, les obligations,
les parts sociales des entités constituées en
corporation ainsi que les droits et les bons de
souscription;
2) un titre, autre qu'une obligation, constatant un
emprunt d'argent;
3) un dépôt d'argent constaté ou non par un
certificat à l'exception de ceux reçus par les
gouvernements du Québec et du Canada, leurs
ministères et les organismes qui en sont
mandataires;
4) une option et un contrat à terme négociable sur
valeurs mobilières, de même qu'un contrat à terme
de bons du Trésor;
5) une option sur un contrat à terme de marchandises
ou de titres financiers;
6) une part d'un club d'investissement;
7) un contrat d'investissement;
8) une option quelconque négociable sur un marché
organisé;
9) toute autre forme d'investissement déterminée par
règlement.
Contrat d'investissement. - Le contrat
d'investissement est un contrat par lequel une
personne s'engage, dans l'espérance du bénéfice
qu'on lui a fait entrevoir, à participer aux risques
d'une affaire par la voie d'un apport ou d'un prêt
quelconque, sans posséder les connaissances requises
pour la marche de l'affaire ou sans obtenir le droit
de participer directement aux décisions concernant
la marche de l'affaire.
Art. 2. Application du régime. - Le régime établi
par la présente loi et les règlements pour les
valeurs mobilières s'applique aux autres formes
d'investissement énumérées à l'article 1, sous
réserve des dérogations expresses et compte tenu
des adaptations nécessaires.
Dans la mesure où une forme d'investissement tombe sous
l'application de l'article 1 de la Loi, elle est alors soumise aux
exigences de celle-ci, à moins de se situer dans le cadre d'une
exception (exemple: dispense de prospectus, art. 41 et s. de la
Loi.
Le but de la Loi ne permet pas de limiter indûment son
cadre d'application par une conception trop étroite des termes
"placement" et "titre".
Dans
Lassonde et Geyser Informatics Inc. c. Commission
des valeurs mobilières du Québec,
J.E. 93-645
(C.S.), en appel
C.A.Q. 200-10-000025-937, 200-10-000028-931, le juge Trotier de la
Cour supérieure a eu l'occasion de se prononcer sur la justesse
d'un argument un peu semblable à celui avancé par les appelants
(aux pages 15 et 16):
En fait, les appelants plaident que le mandat de
recherche aurait dû faire l'objet d'une disposition
spécifique et ce, afin de bien respecter le principe
du droit au doute raisonnable enchassé dans les
Chartes. Ils soutiennent que l'emploi des mots
"titres, valeurs et contrat d'investissement"
entraînent inévitablement un doute raisonnable."
Cette prétention ne résiste pas à l'analyse.
L'article 1 énumère un ensemble de produits aux
quels la loi s'applique suivant l'article 2, dont
le contrat d'investissement:
"Le régime établi par la présente loi et les
règlements pour les valeurs mobilières s'applique
aux autres formes d'investissement énumérées à
l'article 1, sous réserve des dérogations expres
ses et compte tenu des adaptations nécessaires."
Or, le régime dont parle ce dernier article vise
clairement à renseigner les investisseurs sur les
produits offerts, quelque soit le vocable utilisé.
Comme l'écrit le juge Beetz dans l'arrêt Morgentaler
[1988] 1 R.C.S. 30
, à la page 107: "Souplesse n'est
pas synonyme d'imprécision."
Ce régime entraîne par voie de conséquence
l'application de l'article 11 de la loi: le pla
cement d'une valeur doit être précédé d'un pros
pectus visé par la Commission.
Sur le tout, nous sommes d'avis que la Loi n'offre
pas d'ambiguité quant à l'intention du Législateur.
Les problèmes d'interprétation qui se soulèvent en
cette affaire relèvent plutôt de la relative
complexité du plan développé par le promoteur.
J'ai conclu plus haut dans cette opinion que, compte
tenu de l'objectif poursuivi par le législateur en adoptant la Loi
et de l'interprétation libérale qu'elle doit recevoir, le produit
offert par Tyra constituait un contrat d'investissement, au sens
de l'article 1 de la Loi.
L'ingéniosité du plan proposé par les appelants ne peut
avoir pour conséquence de limiter la conception des termes
"placement" et "titre" et de leur faire bénéficier des ambiguïtés
qu'ils pensent avoir dénoter dans l'interprétation des termes de
la Loi.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants,
interpréter libéralement une loi
(2) de façon à atteindre le but
qu'elle poursuit ne va pas forcément à l'encontre du principe de
l'interprétation restrictive visant à faire bénéficier une personne
accusée des doutes soulevés lors de l'interprétation d'une
disposition législative.
Le juge Cory, dans
R. c. Hasselwander,
[1993] 2 R.C.S.
398
, a eu l'occasion de concilier ces deux principes en apparence
contradictoires:
La règle de l'interprétation restrictive des lois
pénales semble entrer en conflit avec l'art.
12
de
la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21,
qui prévoit:
Tout texte est sensé apporter une solution
de droit et s'interprète de la manière la
plus équitable et la plus large qui soit
compatible avec la réalisation de son ob
jet.
C'est en accordant un rôle subsidaire à la règle de
l'interprétation restrictive des lois pénales qu'on
a réglé le conflit apparent qui existait entre
l'interprétation restrictive d'une loi pénale et
l'interprétation fondée sur l'apport d'une solution
de droit qu'exige l'art.
12
de la
Loi
d'interprétation.
Le juge Cory fait ensuite référence aux affaires
R. c.
Bélanger,
[1970] R.C.S. 567
et
R. c. Goulis (1981), 125 D.L.R. (3d)
137 (Ont. C.A.), pour ajouter
(3) (p. 413):
La règle de l'interprétation restrictive devient
donc applicable seulement lorsque les tentatives
d'interprétation neutre proposées à l'art.
12
de la
Loi d'interprétation laissent subsister un doute
raisonnable quant au sens ou à la portée du texte
de la loi. Comme l'a signalé le professeur Côté,
cela signifie que, même dans le cas des lois
pénales, il faut rechercher la véritable intention
du législateur et appliquer le sens qui correspond
à ses objets...
La complexité de la forme d'investissement présentée
par Tyra a rendu sa qualification en regard de la Loi plus
difficile. Cette difficulté n'a cependant pas créé de réelle
ambiguïté puisque le cadre d'application de la loi et le but
qu'elle poursuit demeuraient bien délimités. Dans ces
circonstances, il n'y a pas lieu d'appliquer la règle de
l'interprétation restrictive.
II - LA CULPABILITÉ DE MAURICE RACINE
_____________________________________
Je rappelle que Maurice Racine était accusé, sous cinq
chefs (1 à 5), d'avoir exercé l'activité de courtier en valeurs au
sens de l'article 5 de la Loi, sans être inscrit à ce titre auprès
de la Commission, en effectuant le placement de contrats
d'investissement soumis à l'application de la Loi, contrevenant
ainsi à son article 148 et commettant l'infraction prévue à son
article 202, et, sous cinq autres chefs (6 à 10), d'avoir aidé
Tyra, par acte ou omission, à procéder au placement de contrats
d'investissements selon le sens donné à cette expression à
l'article 1 de la Loi, sans avoir établi de prospectus soumis au
visa de la Commission, le tout contrairement à l'article 11 de la
Loi, commettant ainsi l'infraction créée à son article 202 (avec
référence à l'article 208).
Dans un premier temps, cet appelant plaide que la
preuve ne permet pas d'établir sa culpabilité sous les cinq chefs
d'accusation d'avoir exercé l'activité de courtier en valeurs sans
être dûment inscrit auprès de la Commission.
La définition de "courtier en valeurs" se retrouve à
l'article 5 de la Loi:
"courtier en valeurs": toute personne:
10 qui exerce l'activité d'intermédiaire dans les
opérations sur valeurs;
20 qui fait des opérations de contrepartie sur
valeurs, à titre accessoire ou principal;
30 qui effectue le placement d'une valeur, pour son
propre compte ou pour le compte d'autrui;
40 qui fait du démarchage relié à une activité visée
aux paragraphes 10 à 30;
"démarchage": l'activité de la personne qui se rend
habituellement à la résidence de personnes, sur
leurs lieux de travail ou dans les lieux publics,
ou qui utilise de façon habituelle les
communications téléphoniques, des lettres ou des
circulaires, soit pour proposer l'acquisition ou
l'aliénation de valeurs, ou une participation à des
opérations sur valeurs, soit pour offrir des
services ou donner des conseils en vue des mêmes
fins.
L'article 148 de la Loi oblige, pour sa part, tout
courtier ou conseiller en valeurs à s'inscrire à ce titre auprès
de la Commission pour exercer son activité.
Selon le juge Dionne, l'ensemble de la preuve sur les
activités exercées par Maurice Racine répondait aux critères de la
définition de courtier en valeurs.
Il s'agit là d'une appréciation de faits. En
conséquence, l'appel logé par Maurice Racine à l'encontre des chefs1 à 5 doit être rejeté puisqu'il ne soulève pas exclusivement une
question de droit.
Maurice Racine plaide, en second lieu, qu'il devrait
être déclaré non coupable des chefs d'accusation 2 et 7 portés
contre lui, parce qu'il n'a pas fait affaires avec la personne y
mentionnée. Ces chefs se lisent respectivement comme suit:
20 Le ou vers le 15 décembre 1989, a exercé l'activité
de courtier en valeurs au sens de l'article
5
de la
Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., chap. V-
1.1), sans être inscrit à ce titre auprès de la
Commission des valeurs mobilières du Québec, en
effectuant le placement d'un contrat
d'investissement, suivant la définition de l'article
1 de cette Loi, émis par Infotique Tyra Inc. auprès
de Paul H. Desrochers, à savoir une soumission pour
un montant de vingt mille dollars (20,000 $), le
tout en contravention de l'article 148 de ladite
Loi, commettant ainsi une infraction prévue à
l'article
202
de la Loi sur les valeurs mobilières.
70 Le ou vers le 15 décembre 1989, aidé Infotique Tyra
Inc., par acte ou omission, à procéder au placement
d'un contrat d'investissement, suivant la définition
de l'article
1
de la Loi sur les valeurs mobilières
(L.R.Q., chap. V-1.1), sans avoir eu un prospectus
visé par la Commission des valeurs mobilières,
auprès de Paul H. Desrochers, soit une soumission
pour une considération totale de vingt mille dollars
(20,000 $), le tout en contravention de l'article
11 de la Loi et commettant ainsi une infraction à
l'article 202 de ladite Loi, avec référence à
l'article 208 de celle-ci.
Je mets de côté, pour le moment, ce dernier chef
d'accusation. J'en disposerai lorsque je traiterai globalement des
chefs d'accusation 6 à 10.
Pour ce qui est de la déclaration de culpabilité de
Maurice Racine sous le chef d'accusation 2
0, elle ne peut faire
l'objet d'un appel puisqu'elle ne soulève pas uniquement une
question de droit. Il s'agit, ici aussi, d'une question
d'appréciation de faits.
Relativement aux chefs d'accusation 6 à 10 portés
contre Maurice Racine, son avocat soulève l'absence de déclaration
formelle de culpabilité dans le dispositif du jugement du juge
Dionne. Les cinq chefs en question reprochent à Maurice Racine
d'avoir aidé Tyra, par acte ou omission, à procéder au placement
de contrats d'investissement sans qu'il y ait eu de prospectus visé
par la Commission, contrevenant ainsi à l'article 11 de la Loi et
commettant l'infraction prévue à son article 202 (avec référence
à l'article 208).
Au tout début de son jugement (un seul jugement a été
rendu, portant les numéros de chacun des trois dossiers, avec un
dispositif propre à chaque cas), le juge Dionne a annoncé la
méthodologie qu'il entendait suivre:
Pour rendre ces décisions, la Cour a l'intention de
procéder de la façon suivante. La Cour rendra
d'abord jugement dans l'affaire impliquant la
société Infotique Tyra Inc. sous les sept (7) chefs
d'accusation qui lui sont reprochés. Cette analyse
couvrira à la fois la preuve de la poursuite et la
défense.
Par la suite, la Cour entend rendre jugement dans
le dossier 200-27-013941-90 sous les chefs 1 à 5,
chefs impliquant monsieur Maurice Racine. L'analyse
sur ces cinq (5) chefs tiendra compte à la fois de
la preuve de la Couronne et de la défense.
Les décisions sur les chefs 6 à 10 dans le dossier
de monsieur Maurice Racine et sur les sept (7)
premiers chefs du dossier de monsieur Réal Turgeon
dépendront de la décision liminaire concernant la
compagnie Infotique Tyra Inc.
En somme, dans l'hypothèse où aucune responsabilité
pénale ne serait retenue contre la compagnie
Infotique Tyra Inc., cela rendrait caduque l'analyse
des chefs d'accusation portés par le billet (sic)
de l'article
205
de la Loi sur les valeurs
mobilières où monsieur Réal Turgeon est accusé à
titre de dirigeant de ladite compagnie.
Ce même raisonnement vaut pour les chefs d'accu
sation où monsieur Racine est accusé à titre de
partie à l'infraction en vertu de l'article
208
de
la Loi sur les valeurs mobilières.
Malgré cet énoncé et bien qu'il ait, dans un premier
temps, conclu que le produit offert par Tyra était bel et bien un
contrat d'investissement, le juge Dionne n'a jamais, dans le
dispositif de son jugement, déclaré Maurice Racine coupable sous
les chefs 6 à 10 portés contre lui.
L'intimée plaide que la culpabilité de Maurice Racine
sous les chefs 6 à 10 ne faisant aucun doute "
l'absence d'une
déclaration expresse de culpabilité ne devrait pas mener
automatiquement à un acquittement". Elle invite au surplus la Cour
à s'autoriser des articles
312
et
243
du
Code de procédure pénale
pour remédier à cette erreur.
Ces articles se lisent respectivement comme suit:
312.[Pouvoirs du juge] La cour qui entend l'appel
peut exercer tous les pouvoirs conférés par le
présent code au juge dont le jugement est porté en
appel.
[Preuve nouvelle] La cour peut notamment recevoir
une preuve nouvelle, ordonner la production de toute
chose relative à la poursuite, ordonner
l'assignation d'un témoin contraignable qui peut
alors être interrogé ou contre-interrogé, selon le
cas, par les parties et rendre toute ordonnance que
la justice exige.
243 [Cas de rectification] La rectification de toute
décision ou jugement rendu en vertu du présent code
peut être effectuée:
10 pour corriger une erreur d'écriture, de calcul ou
de toute autre erreur matérielle;
20 pour rendre conforme à la loi la peine imposée ou
le teneur d'une ordonnance;
30 pour prévoir une mesure que le juge avait le
devoir de prendre, mais que par inadvertance il a
omis de prendre.
Cette dernière disposition n'a pas, ici, d'application.
Il ressort de l'article
244
C.P.P. que la rectification est
possible, soit d'office par le juge qui a rendu jugement ou à la
demande d'une partie, tant qu'il n'y a pas eu appel.
Quant à l'article
312
C.P.P. (l'équivalent de l'article
285
C.P.C. pour l'appel au niveau de la Cour supérieure), il ne
peut suppléer au défaut d'un avis d'appel incident ou de toute
autre procédure pertinente.
Par conséquent, comme il n'y a eu, dans le présent cas,
ni demande de correction de l'inadvertance du juge Dionne, ni appel
incident, sur ce point, au niveau de la Cour supérieure, je ne puis
que constater le défaut de la déclaration de culpabilité de Maurice
Racine sous les chefs d'accusation 6 à 10.
Étant donné cette conclusion, je n'ai pas à traiter du
principe de la
res judicata soulevé par cet appelant.
III - LA CULPABILITÉ DE RÉAL TURGEON
____________________________________
Vu la culpabilité de Maurice Racine relativement aux
chefs d'accusation lui reprochant d'avoir procédé au placement de
valeurs sans être inscrit auprès de la Commission à titre decourtier, je rejette l'argument de Réal Turgeon voulant que
l'innocence de Maurice Racine sous ces chefs entraîne son
acquittement sous les chefs 8 à 12 (avoir aidé Maurice Racine à
exercer l'activité de courtier sans être dûment inscrit).
Au surplus, la déclaration de culpabilité de Réal
Turgeon sous ces chefs d'accusation ne comporte qu'une question
d'analyse de faits. L'appel ne soulève pas une question de droit.
Je suis également d'opinion que le juge a correctement
évalué la preuve relative aux chefs d'accusation 1 à 7, reprochant
à Réal Turgeon l'infraction prévue par l'article 205 de la Loi:
- Le dirigeant ou le salarié de l'auteur principal
d'une infraction, y compris celui qui est rémunéré
à commission, s'il autorise ou permet une infraction
prévue par la présente loi, est passible des mêmes
peines que l'auteur principal.
Réal Turgeon est le président et le seul actionnaire de
Tyra.
Voici, entre autres, comment s'est exprimé le juge
Dionne sur ces infractions de "complicité":
La preuve circonstancielle nous amène à croire que
son président savait très bien que le système
proposé avait toutes les mêmes caractéristiques que
celui proposé par Geyser Informatics. Ce système
avait été interdit, soit par la Commission, soit
par le Tribunal, notamment celui rendu par
l'Honorable juge Ginette Piché au mois de novembre.
Il est curieux de constater que Réal Turgeon,
président de la société Infotique Tyra Inc., avait
eu des contacts réguliers et suivis depuis 1982 avec
monsieur Normand Lassonde et Geyser Informatics. En
novembre 1989, il y avait eu transfert de la Société
de recherches expérimentales en télématique
(S.R.E.T.) de Normand Lassonde au président Réal
Turgeon. En 1989, il a travaillé dans cette société
et a même été co-directeur de recherche. Même s'il
donne des explications sur ce sujet, la Cour croit
que cet individu a effectivement fait de la
recherche pour Geyser Informatics, qu'il a conduit
des projets de recherche. Même s'il se défend d'être
co-directeur de la recherche, il admet avoir en mai
et juin 1989 fait des contrats particuliers de
recherche par cette compagnie. D'ailleurs, il
apparaît à la page 3 de la pièce P-7 comme l'un des
artisans du projet de recherche en plus d'être co-
directeur de la recherche.
De même, Réal Turgeon, président de la société
Infotique Tyra Inc. s'est servi pour constater
l'engagement de monsieur Maurice Racine du même
télécopieur de Geyser Informatics et se retrouvait
dans ses bureaux.
Le président de la société Infotique Tyra Inc. a
pris conseil auprès des officiers de Geyser In
formatics, probablement monsieur Normand Lassonde,
pour l'engagement de monsieur Maurice Racine. Cet
engagement survient tout de suit après le jugement
de l'Honorable Ginette Piché qui condamnait monsieur
Normand Lassonde et Geyser à éviter de faire des
placements de valeurs mobilières et à la dissolution
de la S.R.E.T.
Toutes ces activités nous apparaissent avoir la même
finalité: une entrée d'argent. La société Infotique
Tyra Inc. a profité des interdictions d'opérer de
Geyser Informatics pour bénéficier à son tour de la
S.R.E.T. Les explications par trop nébuleuses et les
distinctions byzantines qu'a voulues nous faire
croire monsieur Réal Turgeon ne peuvent résister à
l'analyse ni à la preuve tant testimoniale que
documentaire.
Je souscris à ces motifs et conclus au rejet de l'appel
logé par Réal Turgeon.
IV - L'ARTICLE
206
DE LA LOI SUR LES VALEURS MOBILIÈRES
_______________________________________________________
Les appelants tentent également de présenter à l'encon
tre des verdicts de culpabilité prononcés contre eux les moyens de
défense prévus à l'article 206 de la Loi:
206. Sous réserve de l'article 198, la personne
accusée d'une infraction prévue par la présente loi
est acquittée si elle prouve qu'elle a agi avec
prudence et diligence ou sur le fondement d'une
erreur raisonnable.
Cet argument doit être rejeté puisque les appelants
n'ont jamais présenté aucune preuve de prudence, de diligence ou
d'erreur raisonnable.
V - LA NÉCESSITÉ D'UN "AVERTISSEMENT RAISONNABLE"
_________________________________________________
Les appelants, se basant sur le jugement rendu par le
juge André Forget dans
Association québécoise des pharmaciens
propriétaires c. Procureur général du Canada,
[1991] R.J.Q. 205
(C.S.), invoquent l'absence d'"avertissement raisonnable" qui
aurait dû leur être donné de ce qui était prohibé par la Loi. Dans
cette affaire, le tribunal était saisi d'une requête pour jugement
déclaratoire sur la validité de l'article
45 de la
Loi sur la
concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34. En arrivant à la conclusion que
cette disposition nébuleuse contrevenait aux articles 7 et 11d) de
la Charte, monsieur le juge Forget écrit (p. 235):
Si l'accusé doit attendre au procès pour connaître
"le degré que le Tribunal des faits trouvera indû",
où retrouve-t-on le critère de l'avertissement
raisonnable?
Le citoyen doit être "averti" à la lecture de la
législation et de la jurisprudence, et non par le
jugement qui l'acquitte ou le condamne.
Or ce jugement a été infirmé par notre Cour
(4), après que
la Cour suprême eut reconnu la validité de l'article
45(1) c) de
la
Loi sur la concurrence dans un arrêt rendu peu de temps aprèsla décision de la Cour supérieure
(5). Le juge Gonthier écrit, en
précisant le contenu de la "théorie de l'imprécision" (p. 636):
Une loi ne doit pas être dénuée de précision au
point d'entraîner automatiquement la déclaration de
culpabilité dès lors que la décision de poursuivre
a été prise. Voilà l'élément essentiel du souci de
limiter le pouvoir discrétionnaire en matière
d'application de la loi. Quand le pouvoir de décider
si une inculpation donnera lieu à une déclaration
de culpabilité ou à un acquittement -apanage
ordinaire du pouvoir judiciaire - se confond avec
le pouvoir d'engager des poursuites, à cause du
libellé de la loi, alors la loi est d'une
imprécision inconstitutionnelle.
Sous l'éclairage de cet arrêt, je n'ai aucune
hésitation à rejeter l'argument des appelants sur l'absence
d'avertissement raisonnable.
VI - LA MÉPRISE QUANT À L'IDENTITÉ DE L'ÉMETTEUR DES VALEURS
____________________________________________________________
Finalement, comme argument ultime, l'avocat des
appelants a insisté, lors de sa plaidoirie, sur la méprise - pour
lui évidente - quant à l'identité de l'émetteur des valeurs
mobilières. Aux termes des contrats de soumission, d'adhésion etde cession, le véritable émetteur des valeurs ne serait pas Tyra,
mais plutôt S.R.E.T., émettrice des parts de qualification acquises
par les investisseurs.
Je ne peux souscrire à un tel raisonnement.
Une analyse attentive de la preuve a permis de révéler
le rôle joué par Tyra. Suivant la procédure en trois parties
qu'elle avait mise sur pied, elle offrait à des investisseurs
potentiels de procéder au placement, dans des mandats de recherche,
de sommes d'argent investies par eux. Les étapes ultérieures
d'adhésion à S.R.E.T. et de cession des droits et intérêts dans le
projet à la société Infotic Ytar Inc. visaient surtout à rendre le
projet profitable sur le plan fiscal. À l'origine, il existait
toutefois une forme de placement
offerte par Tyra et soumise aux
exigences de la Loi.
Je rappelle que les soumissions offertes par Tyra
étaient régies par l'application de la Loi puisqu'elles étaient
des "contrats d'investissement" au sens de son article 1.
La Loi est très large quant aux formes d'investissement
qu'elle vise. L'énumération contenue à son article 1 est
impressionnante et rédigée dans des termes généraux:
1) le fait, par un émetteur, de rechercher ou de
trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de ses
titres;
2) le fait, par le preneur ferme, de rechercher ou
de trouver des acquéreurs de titres qui ont fait
l'objet de la prise ferme;
3) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui
a acquis ses titres sous le régime d'une dispense
prévue aux articles 43 à 56, de rechercher ou de
trouver des acquéreurs sans bénéficier d'une
dispense définitive de prospectus;
4) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui
a acquis des titres sans que fût établi le
prospectus exigé par la loi et sans que l'opération
fît l'objet d'une dispense, de rechercher ou de
trouver des acquéreurs;
5) le fait, par le souscripteur ou l'acquéreur qui
a acquis ses titres à l'extérieur du Québec, de
rechercher ou de trouver des acquéreurs au Québec,
sauf sur une bourse ou sur le marché hors cote;
6) le fait de rechercher ou de trouver des
acquéreurs pour des titres d'une société
antérieurement fermée qui n'ont pas encore fait
l'objet d'un prospectus;
7) le fait, par un intermédiaire, de rechercher ou
de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de
titres faisant l'objet d'un placement en vertu des
paragraphes 1 à 6;
8) le fait, par un émetteur, de donner en garantie
des titres émis par lui à cette fin;
Cette énumération englobe plus qu'une simple émission
d'actions ou de parts sociales.
Dans le présent cas, c'était bel et bien Tyra qui
offrait le contrat d'investissement.
CONCLUSION
Dans le dossier 200-10-000153-929, où l'appelante est
Infotique Tyra Inc., l'appel doit être rejeté, avec frais fixés par
règlement.
Dans le dossier 200-10-000154-927, où l'appelant est
Maurice Racine, l'appel doit également être rejeté, avec frais
fixés par règlement.
Dans le dossier 200-10-000155-924, où l'appelant est
Réal Turgeon, l'appel doit être rejeté, avec frais fixés par
règlement.
JACQUES DELISLE, J.C.A.
1.
. Sur les rôles de la Commission, voir:
- R. Crête, "L'appréciation de l'intérêt public dans le
marché des valeurs mobilières" dans Développements
récents en droit commercial, Cowansville, Édition Yvon
Blais Inc., 1992, p. 21 à 41.
2.
. Article
41
de la Loi d'interprétation, L.R.Q. c. I-16:
Toute disposition d'une loi, qu'elle soit impérative, prohibitive
ou pénale, est réputée avoir pour objet de remédier à quelque
abus ou de procurer quelque avantage.
Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui
assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses
prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
3.
. Voir aussi: P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd.,
Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1990, à la page 450.
4.
. C.A.M. 500-09-000013-912, 22 février 1993, les juges
Brossard, Proulx et Delisle.
5.
. R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society,
[1992] 2 R.C.S.
606
.