Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Bernier et Carrefour Bureautique Côte-Nord

2014 QCCLP 466

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Québec

24 janvier 2014

 

Région :

Québec

 

Dossier :

504857-31-1303

 

Dossier CSST :

134650050

 

Commissaire :

Pierre Simard, juge administratif

 

Membres :

Céline Marcoux, associations d’employeurs

 

Marc Rivard, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

Jacques Bernier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Carrefour Bureautique Côte-Nord

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 4 mars 2013, monsieur Jacques Bernier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 5 février 2013, à la suite d’une révision administrative du dossier.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 3 décembre 2012 et déclare que, suite à l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale le 25 novembre 2012, le travailleur ne peut se voir reconnaître de limitations fonctionnelles. En conséquence, la CSST déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel et qu’il n’a plus le droit de recevoir les prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Québec, le 4 décembre 2013. Seul le travailleur était présent et représenté.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision contestée du 5 février 2013, cette décision étant irrégulière puisque la CSST s’était prononcée sur le même sujet, le 20 décembre 2011, de façon implicite, lorsqu’elle déclare que le travailleur est référé en réadaptation sociale dans le cadre de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles reconnues par son médecin traitant.

[5]           Plus spécifiquement, on invoque qu’une décision finale et sans appel a déjà disposé du sujet, rendant l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale, le 25 novembre 2012, irrégulier.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont unanimes pour recommander à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir la contestation déposée par le travailleur et d’annuler la décision rendue le 5 février 2013 au motif que cette décision est irrégulière.

[7]           En effet, les membres concluent, conformément à la prépondérance de preuve offerte dans ce dossier, que la CSST s’était déjà prononcée, implicitement, sur l’existence des limitations fonctionnelles qui furent reconnues au travailleur par son médecin traitant, le docteur Jean-François Roy, par une décision finale et sans appel et qu’en conséquence elle ne pouvait plus se prononcer sur ce même sujet, si ce n’est par voie de reconsidération, ce qui ne fut pas fait aux présentes.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Des documents au dossier, la Commission des lésions professionnelles résumera les éléments pertinents au litige.

[9]           Le 12 février 2009, le travailleur subit une lésion professionnelle entraînant l’émission d’un diagnostic d’entorse dorsolombaire pour lequel il sera suivi subséquemment.

[10]        Le docteur Jean-Pierre Lacoursière, membre du Bureau d’évaluation médicale, suite à son examen du 6 novembre 2009, émettait un avis écrit et motivé signé le 19 novembre 2009 et dans lequel il reconnaît un diagnostic d’entorse dorsolombaire greffée sur une dégénérescence discale lombaire étagée. La lésion était non consolidée.

[11]        Le tribunal entérinait un accord, le 22 juin 2010, confirmant le diagnostic retenu par le Bureau d’évaluation médicale et déclarant que la lésion n’était pas consolidée.

[12]        Le docteur Henri-Louis Bouchard, membre du Bureau d’évaluation médicale, signe un avis motivé en date du 5 janvier 2011, dans lequel il déclare la lésion non consolidée.

[13]        Le suivi médical se poursuit auprès du docteur Jean-François Roy.

[14]        Le docteur Jean-François Roy, médecin qui a pris charge du travailleur, procède à un examen du travailleur le 19 septembre 2011 et signe un rapport final d’évaluation le 20 octobre 2011.

[15]        À cette évaluation, le docteur Roy émet des limitations fonctionnelles qu’il décrit de la façon suivante :

Ø    doit éviter de travailler en position penchée moindrement ou accroupie;

Ø    doit éviter toute forme de flexion, d’extension ou de rotation répétée du rachis;

Ø    doit éviter le travail en position statique;

Ø    doit éviter le maintien d’une même position plus d’une quinzaine de minutes et doit changer ses postures au besoin;

Ø    doit être autorisé de s’étendre si nécessaire durant la journée;

Ø    doit éviter de manipuler des charges plus de 15 à 20 livres;

Ø    doit éviter les vibrations de basse fréquence;

Ø    doit éviter les terrains accidentés, les pentes, les échafaudages, les échelles et les escabeaux.

 

 

[16]        D’autre part, il accorde un pourcentage d’atteinte permanente de 2 % pour une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles.

[17]        Aux notes évolutives du 3 novembre 2011, l’agente d’indemnisation accuse réception du rapport d’évaluation finale du docteur Jean-François Roy, et reprend les conclusions de ce médecin sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles décrites. Elle transfère ce dossier au bureau médical de la CSST pour validation.

[18]        Effectivement, le docteur Jacques Deblois, médecin de la CSST, aux notes écrites du dossier, le 21 novembre 2011, déclare conforme le rapport produit par le docteur Roy.

[19]        Le 8 décembre 2011, la CSST rend une décision conjointe avec la Société d’assurance automobile du Québec dans laquelle on reconnaît que le travailleur présente une atteinte permanente de 2,20 % dans le cadre de l’évaluation pratiquée par son médecin traitant.

[20]        Aux notes évolutives du 19 décembre 2011, la conseillère en réadaptation sociale prend en charge le dossier du travailleur en réadaptation sociale.

[21]        Plus spécifiquement, à ses notes évolutives, on constate que cette conseillère se prononce sur l’admissibilité en réadaptation du travailleur en tenant compte de son atteinte permanente et de ses limitations fonctionnelles, tout en lui acheminant une décision à cet effet.

[22]        Effectivement, au dossier, on retrouve une décision rendue par la CSST, le 20 décembre 2011, par laquelle on informe le travailleur qu’il est admissible en réadaptation sociale présentant une atteinte permanente attribuable à sa lésion professionnelle.

[23]        D’autre part, on ajoute que l’évaluation de la situation laisse entrevoir que le travailleur aura besoin de services de réadaptation pour pouvoir intégrer le marché du travail.

[24]        Dès lors, ses indemnités de remplacement du revenu sont poursuivies.

[25]        Cette décision ne fut pas contestée.

[26]        Par la suite, le processus de réadaptation sociale « s’enclenche », conformément aux notes évolutives de ce dossier. De ces notes évolutives, il est bien clair que dans tout ce processus, la CSST tient compte des limitations fonctionnelles reconnues par le docteur Jean-François Roy.

[27]        Le 2 février 2012, la conseillère en réadaptation sociale procède à des vérifications, avec l’employeur, quant à la capacité du travailleur à refaire son emploi prélésionnel. On en arrive à la conclusion que le travailleur ne pourra reprendre cet emploi et que l’on devra déterminer un emploi convenable, ailleurs, sur le marché du travail.

[28]        Bien plus, la conseillère note que vu l’importance des limitations fonctionnelles, elle réfèrera le travailleur à une clinique afin d’évaluer ses capacités résiduelles avant d’évaluer les possibilités d’un emploi convenable sur le marché du travail.

[29]        Effectivement, le travailleur est référé à la clinique Georges Morisset.

[30]        Aux notes du 25 avril 2012, la conseillère, en consultation avec le DSS et les chefs d’équipe, prenant acte des conclusions de la clinique Georges Morisset, inscrit qu’il semble difficile de corroborer les conclusions du docteur Roy sur les limitations fonctionnelles.

[31]        La CSST désire obtenir l’avis d’un autre orthopédiste.

[32]        C’est donc dans ce contexte qu’une nouvelle évaluation du travailleur est demandée en application de l’article 204 de la loi.

[33]        Le docteur Jules Boivin, médecin expert désigné par la CSST, complète un rapport d’évaluation écrit le 6 août 2012.

[34]        Ce médecin, se fondant particulièrement sur les éléments subjectifs de ce dossier, conclut qu’il lui est impossible de reconnaître des limitations fonctionnelles permanentes au travailleur dans le cadre de sa lésion professionnelle.

[35]        Aux notes évolutives, la conseillère en réadaptation prend acte des conclusions de l’évaluation du docteur Boivin, le 15 août 2012, transmettant le tout au bureau médical de la CSST.

[36]        À ses notes du 21 août 2012, le docteur Jacques Deblois déclare conforme cette évaluation. C’est donc dans ce contexte que le tout fut transmis au Bureau d’évaluation médicale.

[37]        Le docteur Sarto Arsenault, membre du Bureau d’évaluation médicale, procède à l’examen du travailleur, en date du 12 février 2012, et signe son avis motivé, le 25 novembre 2012.

[38]        À cet avis, le docteur Arsenault précise que son mandat porte strictement sur l’évaluation des limitations fonctionnelles.

[39]        Après avoir effectué son examen clinique objectif, il conclut qu’aucune limitation fonctionnelle permanente ne peut être reconnue au travailleur pour sa stricte lésion professionnelle.

[40]        Il tient à préciser que son opinion se fonde principalement sur les aspects subjectifs, sur une évolution tout à fait anormale et atypique de cette entorse lombaire. On note que le travailleur présente des signes importants de dégénérescence discale étagée en lombaire, le tout n’étant pas en relation avec la lésion professionnelle, mais pouvant en grande partie être la source de ses symptômes actuels.

[41]        C’est donc dans ce cadre que fut rendue la décision actuellement contestée.

[42]        Voilà les éléments essentiels de la preuve offerte quant au premier point soulevé par la représentante du travailleur quant à la légalité du processus suivi.

[43]        En effet, la représentante du travailleur fait valoir que la CSST s’était prononcée par des décisions finales et sans appel, le tout en application de l’article 224 de la loi. Elle souligne que la CSST a disposé spécifiquement de l’atteinte permanente par la décision conjointe du 8 décembre 2011, décision non contestée, ainsi que par la décision rendue le 20 décembre 2011, autre décision finale et sans appel, et dans laquelle on réfère le travailleur en réadaptation sociale, tenant compte des notes manuscrites de l’agent et de la conseillère en réadaptation sociale émises à cette époque.

[44]        Effectivement, le tribunal doit constater que le docteur Jean-François Roy a émis un rapport final, à titre de médecin qui a pris charge du travailleur, dans lequel il reconnaissait que le travailleur avait une atteinte permanente de 2 %, pour une entorse lombaire avec séquelles objectivées ainsi que des limitations fonctionnelles qu’il décrit.

[45]        Il ne fait aucun doute pour le tribunal que la CSST a pris connaissance de cette évaluation, tel qu’en font foi les notes évolutives de l’agent ainsi que du bureau médical, déclarant le tout conforme.

[46]        Les décisions émises sont d’ailleurs le reflet de ces conclusions médicales telles que décrites aux notes évolutives et, à notre humble avis, doivent en faire partie comme étant les éléments de motivation sous-tendant les décisions rendues.

[47]        Ainsi donc, à la décision du 21 décembre 2011, lorsque l’on prévoit que le travailleur aura besoin de service de réadaptation pour retourner au travail, l’agent doit prendre en considération, conformément à la loi, les constats émis par le docteur Jean - François Roy, portant particulièrement sur l’atteinte permanente, mais aussi sur les limitations fonctionnelles.

[48]        Le tribunal ne peut ignorer que ce sont tout particulièrement les limitations fonctionnelles reconnues au travailleur qui ont un impact sur le processus de réadaptation sociale, c'est-à-dire sur l’évaluation de sa capacité à reprendre son emploi prélésionnel ou un emploi équivalent, chez son employeur, ou, à défaut, la détermination d’un emploi convenable, ailleurs sur le marché du travail.

[49]        Le tribunal souligne que les notes évolutives de la conseillère en réadaptation sociale démontrent que c’est le chemin qu’a suivi la CSST puisqu’elle a vérifié auprès de l’employeur, si celui-ci était en mesure de pouvoir occuper un emploi chez cet employeur, dans le cadre des limitations fonctionnelles reconnues par le docteur Roy.

[50]        Le comportement de la CSST démontre amplement que lorsqu’elle s’est prononcée, le 20 décembre 2011, il fallait comprendre qu’implicitement « cette décision reconnaissait au travailleur l’existence de limitations fonctionnelles telles que décrites par le docteur Roy ».

[51]        Ce n’est qu’en constatant les difficultés du présent dossier que la CSST a changé d’orientation, référant le travailleur, dans un premier temps, à la clinique Georges Morisset, pour une évaluation de sa capacité résiduelle dans le cadre des limitations fonctionnelles reconnues par le docteur Roy. Encore une fois, il fallait respecter les limitations fonctionnelles.

[52]        Suite à l’émission des conclusions de cette clinique, la CSST a décidé de référer le travailleur en évaluation, conformément à l’article 204 de la loi, pour vérifier l’existence ou non de limitations fonctionnelles, à la limite, leur description.

[53]        Ce faisant, la CSST requérait d’un médecin désigné des éléments d’informations qui allaient à l’encontre d’une décision finale, déjà émise, viciant le processus de contestation médicale prévu à la loi.

[54]        Ainsi, lorsque la CSST saisit le Bureau d’évaluation médicale, dans le processus de contestation médicale, cette démarche est irrégulière eu égard aux décisions déjà prises par cet organisme.

[55]        Il en résulte que l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale, le 25 novembre 2012, était irrégulier.

[56]        Le tribunal tient à souligner que dans un cas similaire, il était parvenu aux mêmes conclusions[2]. En effet, dans ce cas, la commissaire a déclaré que des décisions du même type, portant sur des sujets de nature médicale, avaient acquis le caractère de la chose jugée en ce qu’une décision émise par la CSST avait reconnu un pourcentage d’atteinte permanente et référé le travailleur en réadaptation sociale toujours dans le cadre du diagnostic retenu initialement, diagnostic que l’on tentait de faire changer subséquemment.

[57]        Aux motifs de sa décision, cette commissaire rappelle que la CSST avait tranché les sujets dans ses décisions antérieures et qu’en conséquence, toutes démarches ultérieures au Bureau d’évaluation médicale étaient limitées par l’existence de ces décisions finales et sans appel.

[58]        Il en est de même, de façon analogue, dans une décision récente rendue par le commissaire Rivard dans l’affaire Gosselin et C.S.S.S. Québec-Nord[3].

[59]        En conséquence, le tribunal doit constater que les décisions rendues le 3 décembre 2012 et le 5 février 2013 sont irrégulières.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation déposée par monsieur Jacques Bernier, le travailleur, le 4 mars 2013;

ANNULE la décision émise par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 5 février 2013;

DÉCLARE que cette décision est irrégulière puisque la Commission de la santé et de la sécurité du travail s’était déjà prononcée sur le sujet par décision finale et sans appel.

 

 

 

 

PIERRE SIMARD

 

 

 

 

Me Michelle Labrie

LORD, LABRIE

Représentante de la partie requérante

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Fortier et Q-Zip inc. et CSST, C.L.P. 107339-73-9811, 30 septembre 1999, P. Perron.

[3]           2011 QCCLP 2772.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.