Décision

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Droit de la famille — 18968

2018 QCCS 1900

JM2455

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

N° :

705-04-019686-175

 

DATE :

 Le 23 avril 2018

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE Gary D.D. Morrison, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’ENFANT :  X

 

 

J... M...

            Demandeur

 

c.

 

G... R...

et

C... L...

            Défendeurs

 

et

 

LE DIRECTEUR DE L’ÉTAT CIVIL

            Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le demandeur, J... M... (« M... »), père biologique de l’enfant mineure X, demande au Tribunal de reconnaître et de déclarer qu’il est le père de cette dernière, de rayer le nom de C... L... (« L... ») comme une des deux « mères » de X, tel qu’il appert de son acte de naissance, d’ordonner que son nom soit ajouté aux registres comme père de X et d’autoriser le changement de nom de famille de l’enfant pour qu’il soit désormais R...-M....

[2]           La défenderesse G... R... (« R... »), la mère qui a donné naissance à l’enfant X, reconnaît que M... est le père biologique de cette dernière.  Elle ne conteste pas la filiation du demandeur et consent à ce que sa paternité soit reconnue[1].

[3]           Par contre, L... demande non seulement le rejet de la demande de M... mais aussi à ce que le Tribunal la déclare abusive et qu’il le condamne à lui payer les frais judiciaires et extrajudiciaires.

1-           CONTEXTE

[4]           L’enfant, X, naît le [...] 2014.

[5]           Originalement, son certificat de naissance indique qu’elle a deux mères, G... R... et Ch... L...[2].

[6]           Une version récente du certificat de naissance, émise en juin 2017, indique comme mères G... R... et C... L...[3].

[7]           Cette modification reflète le fait que Ch... L... est en transition de sexe et s’appelle maintenant C... L....  Ce dernier veut que l’enfant l’appelle « papa ».

[8]           La situation est telle que le père biologique M... insiste maintenant pour être reconnu comme père de l’enfant mineure aux fins de filiation.

2-           HISTORIQUE

[9]           Afin de comprendre le contexte de ce recours, il est utile de retourner dans le temps où les parties se sont rencontrées.

[10]        Au moment où les parties se rencontrent, R... et L... sont mariées.  Elles souhaitent avoir un enfant.  Leurs tentatives, à cet égard, pendant quelques années, ne produisent aucun résultat.

[11]        M..., quant à lui, est en couple avec un autre homme.  Se décrivant comme bisexuel, il souhaite également avoir un enfant et devenir père.

[12]        Il place une annonce à ce sujet sur un site web, dont R... et L... prennent connaissance.

[13]        Les trois se rencontrent.  Ils conviennent de procéder de façon tangible vers leur objectif. 

[14]        Ils consultent un notaire pour tenter de comprendre la situation d’un point de vue légal.  Ce dernier recommande que les trois signent un contrat, ce qu’ils font après que R... devienne enceinte.

[15]        Le notaire, selon M..., aurait prétendument exprimé l’opinion qu’ils devaient mettre les noms des deux mères sur le certificat de naissance.

[16]        Les tentatives d’insémination par des méthodes « artisanales » ne donnent pas immédiatement les résultats voulus.

[17]        R... et M... disent avoir entrepris des relations sexuelles à l’insu de L....  Cette dernière ne croit pas que cela soit vraiment arrivé.

[18]        Le 22 décembre 2013, L... apprend que R... est enceinte.

[19]        Ni R... ni M... ne savent si elle est devenue enceinte en raison des relations sexuelles ou de l’insémination artificielle.  Aucune expertise n’a été soumise à cet égard.

[20]        Le 7 janvier 2014, les parties signent une entente intitulée « Entente pour mettre un enfant au monde » [4].

[21]        Après la naissance de X, et avant même de quitter l’hôpital, R... et L... signent, comme mères de l’enfant, une déclaration de naissance à l’intention du directeur de l’état civil[5].

[22]        Ce n’est qu’après la naissance de l’enfant que L... commence son processus de changement de sexe.

3-           QUESTIONS EN LITIGE

[23]        Avant de trancher les questions soulevées par les parties, le Tribunal tient à souligner que le débat juridique entre les parties met en lumière la question de la triparentalité ou de la pluriparentalité au Québec.

[24]        Si toutefois le Tribunal conclut que le droit actuel se limite à la biparentalité, il devra déterminer qui de L... ou M... doit bénéficier du lien filial.  Pour cela, il est nécessaire de savoir :

            -    s’il s’agit d’un cas de procréation assistée au sens de l’article 538 et suivants du Code civil du Québec;

            -    si la réponse à cette dernière question est négative, quels sont les droits d’un père biologique relativement au remplacement d’une mère non-biologique aux registres de l’état civil en vertu de la filiation par le sang.

4-           ANALYSE :  BIPARENTALITÉ OU PLUS?

[25]        Ailleurs dans le monde, et même dans certaines autres provinces canadiennes, la triparentalité et parfois la pluriparentalité sont reconnues.

[26]        Au Québec, la jurisprudence existante et la majorité des auteurs semblent d’avis que le Législateur québécois a opté pour le modèle biparental.

[27]        Cela dit, le Législateur québécois n’a pas exprimé sa volonté de façon claire et précise.  Il n’existe aucune prohibition de la triparentalité, ni aucune déclaration confirmant que le nombre maximal de parents est de deux.

[28]        On arrive à une prémisse de biparentalité essentiellement par des chemins différents, notamment l’économie générale du Code civil du Québec.

[29]        Une consultation générale et des discussions en commission parlementaire qui ont précédé l’adoption de la Loi instituant l’union civile et d’autres dispositions législatives[6] qui ont concrétisé la réforme de 2002 ont soulevé la question de la triparentalité , sans toutefois la recommander.

[30]        En 2013, le gouvernement du Québec crée le Comité consultatif sur le droit de la famille, sous la présidence du professeur Alain Roy, afin de voir comment le droit de la famille peut être adapté afin de répondre aux nouvelles réalités conjugales et familiales.  Dans son rapport publié en 2015, le Comité conclut que le « cadre juridique devra maintenir le principe de la biparentalité »[7], et ce, à cause d’une « faute de données permettant de conclure qu’il est dans l’intérêt de l’enfant d’avoir plus de deux parents »[8].

[31]        La vaste majorité des auteurs québécois semblent confirmer cette position voulant qu’au Québec la prémisse de triparentalité soit exclue par la loi, et ce, même si plusieurs personnes peuvent jouer un rôle parental au bénéfice de l’enfant mineur.

[32]        En ce qui concerne la jurisprudence, la Cour supérieure, en 2006, dans L.B. c. Li.Ba.[9], a conclu qu’au Québec « il demeure impossible à un enfant d’avoir plus de deux parents », et ce, en référant à l’article 61.1 de la Loi d’interprétation[10] qui prévoit que des « conjoints de fait », qui sont assimilés à des conjoints, sont deux personnes qui satisfont à certains critères et que lorsqu’il existe une controverse relativement à l’existence de la communauté de vie, celle-ci est présumée, entre autres, dès que ces deux personnes « deviennent parents d’un même enfant »[11].

[33]        Certains font un lien entre le mariage traditionnel, ou les conjoints de fait entre seulement deux personnes, et le principe voulant qu’un enfant ne devrait pas avoir plus de deux parents.

[34]        Bien que le Tribunal n’adopte pas cette vision, cela ne change pas le résultat en l’espèce.

[35]        De plus, la Cour d’appel du Québec a déjà, à au moins deux occasions, en 2007 et 2016, exprimé l’avis que le droit civil québécois « ne permet pas à un enfant d’avoir plus de deux parents »[12].

[36]        L’arrêt de 2007 conclut que « le concept de la pluriparentalité ne cadre pas avec l’économie générale du Code civil du Québec » et, donc, qu’un « enfant ne peut, dans l’état actuel du droit civil québécois, avoir trois parents »[13].  Les articles du Code civil du Québec spécifiquement mentionnés par la Cour d’appel dans l’arrêt de 2007 sont les suivants :

51.       L’enfant reçoit, au choix de ses père et mère, un ou plusieurs prénoms ainsi qu’un nom de famille formé d’au plus deux parties provenant de celles qui forment les noms de famille de ses parents.

52.       En cas de désaccord sur le choix du nom de famille, le directeur de l’état civil attribue à l’enfant un nom composé de deux parties provenant l’une du nom de famille du père, l’autre de celui de la mère, selon leur choix respectif.

            Si le désaccord porte sur le choix du prénom, il attribue à l’enfant deux prénoms au choix respectif des père et mère.

53.       L’enfant dont seule la filiation paternelle ou maternelle est établie porte le nom de famille de son père ou de sa mère, selon le cas, et un ou plusieurs prénoms choisis par son père ou sa mère.

            L’enfant dont la filiation n’est pas établie porte le nom qui lui est attribué par le directeur de l’état civil.

54.       Lorsque le nom choisi par les père et mère comporte un nom de famille composé ou des prénoms inusités qui, manifestement, prêtent au ridicule ou sont susceptibles de déconsidérer l’enfant, le directeur de l’état civil peut inviter les parents à modifier leur choix.

            Si ceux-ci refusent de le faire, il dresse néanmoins l’acte de naissance et en avise le procureur général du Québec. Celui-ci peut saisir le tribunal, dans les 90 jours de l’inscription de l’acte, pour lui demander de remplacer le nom ou les prénoms choisis par les parents par le nom de famille de l’un d’eux ou par deux prénoms usuels, selon le cas.

            Jusqu’à l’expiration du délai pour saisir le tribunal ou, si un recours est exercé, jusqu’à ce que le jugement soit passé en force de chose jugée, le directeur de l’état civil fait mention de l’avis donné au procureur général sur les copies, certificats et attestations relatifs à cet acte de naissance.

114.     Seuls le père ou la mère peuvent déclarer la filiation de l’enfant à leur égard. Cependant, lorsque la conception ou la naissance survient pendant le mariage ou l’union civile, l’un des conjoints peut déclarer la filiation de l’enfant à l’égard de l’autre.

            Aucune autre personne ne peut déclarer la filiation à l’égard d’un parent sans l’autorisation de ce dernier.

539.1   Lorsque les parents sont tous deux de sexe féminin, les droits et obligations que la loi attribue au père, là où ils se distinguent de ceux de la mère, sont attribués à celle des deux mères qui n’a pas donné naissance à l’enfant.

578.1   Lorsque les parents de l’adopté sont de même sexe, celui qui a un lien biologique avec l’enfant a, dans le cas où la loi attribue à chaque parent des droits et obligations distincts, ceux du père, s’il s’agit d’un couple de sexe masculin, et ceux de la mère, s’il s’agit d’un couple de sexe féminin. L’adoptant a alors les droits et obligations que la loi attribue à l’autre parent.

            Lorsqu’aucun des parents n’a de lien biologique avec l’enfant, les droits et obligations de chacun sont déterminés par le jugement d’adoption ou par tout acte qui, en vertu de la loi, produit les effets de l’adoption au Québec.

[37]        De l’avis du soussigné, l’impossibilité qu’un enfant ait plus de deux parents pose problème eu égard à la réalité sociale de 2018.  En l’espèce, avec égard pour l’opinion contraire, le meilleur intérêt de l’enfant mineure X requerrait que la loi permette la reconnaissance de sa réalité, soit que sur les plans émotionnel et socio-économique, elle a effectivement toujours eu trois parents.

[38]        Nonobstant que les parties aient décidé d’utiliser les noms des mères aux registres de l’état civil, apparemment suite à l’opinion d’un notaire[14], elles avaient prévu « que le père obtienne le statut de gardien légal dès la naissance (…). »[15]

[39]        Sans décider sur le fondement juridique de cette stipulation, le Tribunal estime que les parties ont clairement exprimé leur volonté que M... possède, à l’égard de l’enfant, un pouvoir similaire sinon égal à celui des deux mères.

[40]        Maintenant, au lieu d’être en mesure de formaliser la situation par une filiation à trois parents pour le bien de l’enfant, ils se retrouvent dans un combat juridique, tentant d’en éliminer un parmi eux.  De quelle façon peut-on conclure que cette situation est dans le meilleur intérêt de l’enfant?

[41]        Certes, le rôle du Tribunal n’est pas de légiférer. Il ne promulgue pas les lois mais les applique.

[42]        Cela dit, ce cas illustre l’utilité de moderniser la situation québécoise quant à la triparentalité.  Le Tribunal invite le gouvernement québécois à réfléchir de nouveau à la reconnaissance de la triparentalité ou de la pluriparentalité, et ce, pour le meilleur intérêt des enfants mineurs comme X.

[43]        Mais, vu l’état actuel de la loi, le Tribunal doit procéder à l’analyse du débat juridique entre les parties, en conformité avec la loi telle qu’elle existe.

5-           ANALYSE :  S’AGIT-IL D’UN CAS DE PROCRÉATION ASSISTÉE?

[44]        L’article 538 C.C.Q. se lit comme suit :

538.  Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu’une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental.

[45]        En l’espèce, la prépondérance de la preuve démontre que M... avait formulé seul un plan de parentalité afin de mettre en vie et de devenir le père d’un enfant.  Il ne voulait pas simplement apporter ses forces génétiques pour le bénéfice de projet parental d’autrui.  Il voulait jouer le rôle du père de l’enfant à naître.

[46]        Parallèlement, les parties défenderesses ont aussi formulé un projet parental.

[47]        À toutes fins pratiques, les trois ont fusionné leur plan de parentalité avec l’objectif que tous les trois deviennent les parents actifs de l’enfant à naître.

[48]        R... ne conteste pas que M... voulait être présent dans la vie de l’enfant et agir en tant que père.  En effet, elle l’affirme.

[49]        L..., par contre, plaide que M... n’était qu’un donneur de forces génétiques.  Par contre, de l’avis du Tribunal, son témoignage à cet égard est peu crédible.  Il est contredit non seulement par M... et R... mais également par l’entente qui a été composée et signée par les parties[16], dont le deuxième paragraphe se lit comme suit :

Les mères Ch... L... et G... R... et le père J... M..., désirant individuellement et coopérativement mettre au monde et aimer un enfant, dans un contexte d’amour et de diversité, et conformément avec leurs valeurs.  C’est l’intention du père et des mères de partager le support physique, émotionnel et financier de leur(s) futur (sic) enfant(s).  (…).

[50]        En outre, et tel que mentionné ci-dessus, les parties avaient prévu que M... obtiendrait un statut de « gardien légal » dès la naissance de l’enfant.

[51]        De l’avis du Tribunal, il ne s’agit pas d’un cas où la personne qui fournit des forces génétiques « n’est pas partie au projet parental » ou accepte volontairement de limiter son rôle dans l’avenir.  Le Tribunal conclut donc qu’il ne s’agit pas d’un cas de filiation par procréation assistée au sens de l’article 538 C.C.Q.

[52]        Tel que l’enseigne la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Droit de la famille - 111729[17] :

Suivant le langage familier, on peut certes affirmer qu'une personne a un projet parental sans pour autant que l'on puisse conclure, au plan juridique, qu'il s'agit d'un projet parental avec assistance à la procréation aux termes des articles 538 et suivants C.c.Q.  Pour que ce dernier projet existe, il sera impératif que le tiers, qui apporte ses forces génétiques, accepte par un acte de volonté de limiter son rôle et d'éviter ainsi les conséquences juridiques de filiation qui en auraient normalement découlé.

[53]        Par conséquent, les articles 538 à 542 C.C.Q. ne s’appliquent pas en l’espèce et, donc, il n’est pas fatal que M... n’ait pas intenté ses procédures dans l’année suivant la naissance.

[54]        Vu que l’enfant n’est pas née d’une procréation assistée au sens de l’article 538 et suivants C.C.Q., les règles de la filiation par le sang s’appliquent[18].

6-           ANALYSE :  EN VERTU DES RÈGLES DE FILIATION PAR LE SANG, QUELS SONT LES DROITS D’UN PÈRE BIOLOGIQUE À L’ÉGARD DU REMPLACEMENT D’UNE MÈRE NON BILOGIQUE SUR LE CERTIFICAT DE NAISSANCE?                                                                                                          

[55]        Tout d’abord, il n’est pas contesté que M... est le père biologique de l’enfant X et que L... n’est pas la mère biologique.

[56]        Le recours de M... en contestation d’état vise la filiation entre l’enfant et L... et non pas celle de R....

[57]        De plus, M... fait une demande en réclamation d’état pour lui-même.

6.1       Le nom de L... sur la déclaration de naissance de l’enfant

[58]        Depuis la réforme de la loi sur la filiation en 2002, lorsque les parents d’un enfant sont du même sexe, ils sont désignés comme mères ou pères de l’enfant, selon le cas, en vertu de l’article 115 C.C.Q.

[59]        En effet, sur le certificat de naissance de X, les deux mères y sont désignées.  Rien n’est indiqué quant au père.

[60]        Antérieurement à cette réforme, une mère non biologique, en couple avec une mère biologique, n’avait pas le droit d’être désignée comme mère ou de prétendre avoir une possession d’état[19].

[61]        En l’espèce, L... plaide qu’en vertu de l’article 115 C.C.Q., il avait le droit d’être désigné comme mère et que, maintenant, il a droit à la présomption irréfragable de filiation créée par l’article 530 C.C.Q. car sa possession d’état est conforme à l’acte de naissance.

6.2       La présomption de l’article 530 C.C.Q.

[62]        Tel que l’enseigne la Cour d’appel dans l’arrêt Droit de la famille - 1528[20], lorsque le contenu de l’acte de naissance et la possession d’état sont conformes, « la filiation ainsi établie s’impose à tous, y compris au juge », et ce dernier perd toute compétence de décider autrement.  La Cour ajoute ce qui suit :

[11]  Bref, quand l’acte de naissance et la possession d’état pointent dans la même direction, la filiation devient inattaquable, parfois au détriment de la réalité biologique et même dans les situations de possession dite « involontaire », soit la possession fondée sur le mensonge quant à la paternité biologique, comme il semble que ce soit le cas en l’espèce.

[63]        M... plaide, par contre, que la présomption dite irréfragable née de l’article 530 C.C.Q. ne trouve pas application parce qu’il n’y a pas de « père » désigné à l’acte de naissance et qu’il a donc droit de réclamer une filiation paternelle non établie.

[64]        Autrement dit, l’enfant n’a pas déjà une autre filiation comme « père » au sens du deuxième alinéa de l’article 532 C.C.Q. et qu’en conséquence, selon le premier alinéa du même article, il devrait avoir le droit de réclamer la paternité.  Ledit article dit ce qui suit à cet égard :

(…).  Pareillement, les père et mère peuvent réclamer la paternité ou la maternité d’un enfant dont la filiation n’est pas établie à leur égard par un titre et une possession d’état conforme.            

                                                                                                   (Soulignement du Tribunal)

[65]        Le père biologique peut-il réclamer une filiation, malgré que l’acte d’état désigne déjà deux autres personnes du même sexe, et ce, même si ces dernières ont une possession d’état?

[66]        Le Tribunal est d’avis que la réponse est affirmative, et ce, pour les raisons qui suivent.

[67]        D’abord, le Tribunal estime que la réforme de 2002, malgré les bonnes intentions de tous ses intervenants, a contribué à la création d’une certaine confusion institutionnelle dans le domaine de la filiation.

[68]        En même temps que l’on semble rechercher la désexualisation du processus, sans distinction entre mère et père, on souligne l’importance de la vérité biologique[21].  Sans modification à la loi, cette confusion continuera.

[69]        En l’espèce, L... invite le Tribunal à suivre l’approche traditionnelle, régulièrement confirmée par la jurisprudence, qui met de côté la vérité biologique afin de respecter la possession d’état qui confirme le titre.  C’est ce qui est généralement fait pour préserver la stabilité pour l’enfant.

[70]        Le problème en l’espèce est que L... et M... ont tous les deux une possession d’état.  Ils satisfont, selon la preuve, aux critères applicables.

[71]        La prépondérance de la preuve confirme que M... a toujours agi comme père de l’enfant X.  Depuis les procédures de divorce intentées par R... contre L..., en grande partie à cause de sa décision de devenir homme, M... partage de façon égale la garde de l’enfant avec R..., sauf lors des accès de L....

[72]        Tel que mentionné, R... admet le rôle de M... comme père.  Son témoignage, à cet égard, est crédible, tout comme celui de M....  Par contre, le témoignage de L... voulant diminuer le rôle de M... ne l’est pas.  Le Tribunal préfère les témoignages de R... et de M... à celui de L... à ce sujet.

[73]        De plus, il n’y a aucun doute quant à la notoriété de M... comme père de l’enfant.  La prépondérance de la preuve le confirme.

[74]        M... a même choisi un des prénoms de l’enfant.

[75]        En outre, même si le comportement de l’enfant n’est pas traditionnellement un critère, selon la preuve, X a toujours considéré M... comme son père.

[76]        Dans les circonstances, la preuve démontre que M... satisfait aux éléments[22] qui, ensemble, constituent une possession d’état.

[77]        Cela dit, de la preuve, le Tribunal doit conclure que la possession d’état de ces deux parties est incomplète, vu celle de l’autre.

[78]        En outre, il ne s’agit pas d’un cas dit traditionnel où le Tribunal doit choisir une partie plutôt qu’une autre afin d’éviter que la stabilité de l’enfant soit mise à risque.  En effet, X passe plus de temps avec M... à ce stade qu’avec L....

[79]        Étant donné qu’en l’espèce la stabilité de l’enfant ne sera pas affectée par un choix entre un ou l’autre de L... et M..., le Tribunal est d’avis que la vérité biologique de M... devrait primer.  En décidant ainsi, le rôle que L... dit vouloir jouer, soit celui d’un « parent », reste entier.

[80]        Et il y a plus, soit une deuxième façon d’analyser la question de filiation en l’espèce.

[81]        Même si la réforme de 2002 visait une certaine désexualisation quant à la filiation, il ne s’agit pas d’une désexualisation complète.  Le Législateur précise à l’article 532 C.C.Q. qu’il existe toujours une distinction entre les père et mère aux fins de filiation.  Une distinction existe également ailleurs dans le Code civil. 

[82]        Autrement dit, le Législateur a décidé de ne pas faire disparaître la distinction entre les mère et père.  Il a choisi de ne pas les remplacer complètement par un concept plus neutre comme, par exemple, les parents.

[83]        Au contraire, dans le cas d’une procréation assistée au sens du Chapitre Premier.1 C.C.Q., article 539.1, le Législateur confirme que lorsqu’il s’agit de deux mères, « (…), les droits et obligations que la loi attribue au père, (…), sont attribués à celle des deux mères qui n’a pas donné naissance à l’enfant ».

[84]        Cette stipulation est essentielle, vu l’article 525 C.C.Q. qui confirme que la présomption de paternité ne s’applique que dans le cas « de personnes de sexe différent ».

[85]        En outre, toujours dans le cas d’une procréation assistée et en conformité avec le deuxième alinéa de l’article 538.2 C.C.Q., un simple donneur de forces génétiques peut réclamer, dans certaines circonstances, un lien de parenté avec l’enfant, et la conjointe de la femme qui a donné naissance à l’enfant « ne peut, pour s’opposer à cette demande, invoquer une possession d’état conforme au titre ».

[86]        Certes, le Législateur impose des conditions à l’exercice de ce droit lié à la procréation assistée, soit que l’apport de forces génétique se fasse par relation sexuelle et que, de plus, le lien de parenté soit établi dans l’année qui suit la naissance.  Mais, nonobstant que l’exercice de ce droit soit contrôlé, les droits du père biologique sont reconnus même s’il n’est qu’un simple donneur, et ces droits peuvent primer sur ceux de la mère non biologique qui possède un titre en vertu de l’article 115 C.C.Q.

[87]        Cette volonté du Législateur permet au Tribunal de conclure que, dans le cas d’une filiation par le sang, un père biologique qui fait partie du plan parental a le droit, comme le plaide M..., de réclamer la paternité d’un enfant dont la filiation n’est pas déjà établie à son égard, comme « père ».

[88]        Avec égard à l’opinion contraire, le Tribunal estime qu’il serait contextuellement déraisonnable de croire que le Législateur ait l’intention d’accorder plus de droits à un simple donneur de forces génétiques qu’à un père biologique qui n’est pas un tiers au plan parental et qui désire toujours satisfaire au rôle d’un vrai père à l’enfant.

[89]        En l’espèce, la preuve confirme de façon claire et précise que M... n’a jamais accepté de limiter son rôle et d’éviter les conséquences juridiques de filiation.  La prépondérance de la preuve démontre le contraire.  Le témoignage de L... voulant établir l’inverse est peu crédible et non fiable.

[90]        De plus, dans le cas d’une filiation par le sang, le Législateur n’a pas imposé de condition additionnelle, comme l’obligation d’agir dans l’année suivant la naissance de l’enfant.

[91]        L... plaide que M... aurait dû au moins agir dans les 24 mois suivant la naissance de X, soit avant, selon lui, qu’il ait acquis une possession d’état comme mère.

[92]        Le Tribunal n’est pas d’accord.  Dans les cas comme celui en l’espèce, ce n’est pas la possession d’état qui est primordial car, tel que mentionné ci-dessus, L... et M... ont tous les deux une possession d’état très cultivée mais incomplète.  De plus, même dans le cas d’une procréation assistée une mère non biologique ne peut invoquer une possession d’état conforme au titre pour s’opposer à une demande du donneur de forces génétiques, tel que stipulé à l’article 538.2 C.C.Q.  Encore moins de raison de le permettre dans le cas d’une filiation par le sang.

[93]        Pour toutes ces raisons, le Tribunal est d’avis que la demande en filiation est bien fondée.  Vu qu’au Québec, à ce stade, un enfant ne peut avoir que deux parents, c’est L... qui sera remplacé par M... sur l’acte de naissance de X.

7-           ANALYSE :  DEMANDE DE CHANGEMENT DE NOM DE FAMILLE DE L’ENFANT                                                                                                                

[94]        La demande de changement de nom faite par M... n’est pas contestée par la mère biologique R....  Par contre, L... la conteste.

[95]        La procédure de changement de nom, par voie judiciaire, est régie par l’article 65 C.C.Q. qui se lit comme suit :

Le tribunal est seul compétent pour autoriser le changement de nom d’un enfant en cas de changement dans la filiation, d’abandon par le père ou la mère ou de déchéance de l’autorité parentale.

[96]        De plus, selon l’article 66.1 C.C.Q., s’il y a opposition à une demande par voie administrative, le Tribunal peut être saisi de la demande avant même qu’elle ne soit présentée au directeur de l’état civil.

[97]        Le pouvoir du Tribunal de changer le nom d’un enfant mineur est discrétionnaire.  Toutefois, une telle demande n’est pas automatiquement accordée.  Conformément à l’article 33 C.C.Q., la modification doit être dans le meilleur intérêt de l’enfant.

[98]        En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas dans le meilleur intérêt de l’enfant de changer son nom.

[99]        Les parties ont toujours reconnu que M... était le père biologique de X.  Ils ont tous ensemble décidé de ne désigner que le nom de famille de R... comme nom de famille de l’enfant.

[100]     Malgré qu’il y ait eu des changements à la situation familiale, l’identité de l’enfant, présentement âgée 3 ½ ans, n’a pas changé.

[101]     De plus, il ne s’agit pas d’un cas de motif grave où le Tribunal est incité à intervenir dans le meilleur intérêt de l’enfant.

[102]     Au contraire, tel que déjà mentionné, le Tribunal estime qu’il est dans le meilleur intérêt de l’enfant qu’elle ait comme mères et père les trois parties.  Dans les circonstances, un changement de nom de famille, tel que demandé par M..., n’est pas approprié.

8-           ANALYSE :  DEMANDE DE L... EN ABUS DE PROCÉDURE

[103]     Ayant statué quant au bien-fondé du recours de M..., la demande de L... pour que son recours soit qualifié de manifestement mal fondé et abusif, doit être rejetée.

[104]     Le Tribunal ajoute que compte tenu de la complexité du débat juridique, même s’il avait rejeté le recours de M..., la demande en abus de L... aurait été rejetée.  En effet, c’est plutôt la demande en abus de L... qui est manifestement mal fondée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

            ACCUEILLE la demande en filiation du demandeur;

            ORDONNE que les registres du directeur de l’état civil, pour l’enfant mineure X, soient modifiés de façon à ce que le nom de C... L... soit rayé comme mère et que le nom de J... M... soit inscrit comme père dudit enfant;

            ORDONNE au directeur de l’état civil de modifier les registres quant à l’enfant mineure X, née le [...] 2014, de sorte que le certificat de naissance désigne J... M... comme père et seulement G... R... comme mère;

            REJETTE la demande du demandeur en changement de nom de famille de l’enfant mineure;

            REJETTE la demande en abus de procédure de C... L...;

            LE TOUT, sans frais de justice, vu la nature des procédures.

 

 

__________________________________

Gary D.D. Morrison, J.C.S.

 

 

Me Carole Charron

Procureure du demandeur

 

Me Jean-Sébastien Faust

Centre communautaire juridique Laurentides-Lanaudière

Procureurs de la défenderesse

 

Me Viki Fontaine

Ratelle, Ratelle & Associés

Procureurs du défendeur

 

 

Date d’audience :

29 janvier 2018

 



[1]     Pièce P-7.

[2]     Pièce P-2.

[3]     Pièce D-1.

[4]     Pièce P-1.

[5]     Les parties n’ont pas déposé de copie de ladite déclaration de naissance.

[6]     Loi instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6.

[7]     COMITÉ CONSULTATIF SUR LE DROIT DE LA FAMILLE, Alain ROY (prés.), Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales, Québec, Ministère de la Justice du Québec, 2015.

[8]     Id.

[9]     2006 QCCS 591.

[10]    RLRQ, c. I-16, art. 61.1.

[11]    Id.  

[12]    Droit de la famille - 161633, 2016 QCCA 1142, par. 19; Droit de la famille - 07528, 2007 QCCA 361.

[13]    Id., par. 55.

[14]    La preuve à cet égard est plutôt vague.  Aucune opinion écrite n’a été déposée en preuve et le notaire n’a pas témoigné.

[15]    Pièce P-1, s. A 4).

[16]    Pièce P-1.

[17]    Droit de la famille - 111729, 2011 QCCA 1180, par. 42.

[18]    Id., par. 35.

[19]    L.B. c. Li.Ba., 2006 QCCS 591, par. 92.

[20]    2015 QCCA 59, par. 10 et 11.

[21]    Articles 535, 535.1 et 538.1 C.C.Q.

[22]    Droit de la famille - 1528, 2015 QCCA 59, par. 20 et 21.

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