Couillard et Ministère des Transports et de la Mobilité durable | 2023 QCCFP 32 | ||
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE | |||
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CANADA | |||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||
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DOSSIERS Nos : | 1302080, 1302090 et 1302289 | ||
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DATE : | 18 décembre 2023 | ||
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Mathieu Breton | ||
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Kathy COUILLARD | |||
Partie demanderesse | |||
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Ministère des Transports et de la Mobilité durable | |||
Partie défenderesse | |||
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MARTIN ST-LOUIS | |||
Partie intervenante | |||
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DÉCISION | |||
(Article 127, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1; article 81.20, Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1) | |||
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[1] Les 7 et 31 mai 2019, Mme Kathy Couillard dépose deux appels en matière de conditions de travail à la Commission de la fonction publique (Commission), conformément à l’article 127 de la Loi sur la fonction publique[1] (LFP), à l’encontre de son employeur, le ministère des Transports et de la Mobilité durable[2].
[2] Dans son premier appel, elle critique la décision du ministère de refuser un billet médical, soumis le 18 avril 2019, prescrivant son retour au travail après une absence pour cause d’invalidité, ce qui a retardé ce retour de quelques jours. Elle réclame les sommes d’argent dont elle aurait ainsi été privée. Lors de l’audience, elle demande aussi la remise, dans sa réserve, des jours de maladie qui auraient, selon elle, été utilisés en trop en raison du report de son retour au travail.
[3] Le ministère souligne que Mme Couillard n’a subi aucune perte de revenus en raison de ce report. De plus, il est d’avis qu’il pouvait, dans les circonstances de la présente affaire, refuser le billet médical soumis.
[4] Dans son deuxième recours, Mme Couillard conteste son transfert à la Direction générale de la surveillance des marchés et de l’application des règles contractuelles (DARC), ce qui, selon elle, équivaut à l’abolition de son poste d’enquêtrice. Elle soutient également que cette décision constitue des représailles, notamment en raison d’un signalement fait auprès du répondant ministériel en matière de conflits et de harcèlement psychologique (répondant).
[5] Le ministère prétend qu’il s’agit simplement d’une affectation dans une autre direction en raison d’une réorganisation administrative et non d’une abolition de poste ou de représailles. Il estime que la Commission ne peut pas intervenir à l’égard de cette décision administrative en matière de dotation.
[6] Le 26 octobre 2020, Mme Couillard soumet, en vertu de l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail[3] (LNT), une plainte de harcèlement psychologique à la Commission à l’encontre du ministère. Elle estime avoir été victime de harcèlement psychologique de la part de Mme Isabelle Pipon et de M. Martin St‑Louis alors qu’elle était enquêtrice à la Direction des enquêtes et de l’audit interne (DEAI).
[7] Pour sa part, le ministère estime qu’il n’y a pas eu de manifestation de harcèlement psychologique à l’endroit de Mme Couillard.
[8] Le 17 juin 2021, la Commission accueille une demande d’intervention présentée par M. St-Louis[4].
[9] La Commission doit répondre aux questions en litige suivantes :
1) Mme Couillard a-t-elle été victime de harcèlement psychologique?
2) Le ministère pouvait-il refuser le billet médical soumis le 18 avril 2019?
3) Les réclamations de Mme Couillard afférentes à ce refus sont-elles fondées?
4) La Commission a-t-elle compétence pour statuer sur le recours de Mme Couillard, déposé en vertu de l’article 127 de la LFP, contestant son transfert à la DARC?
[11] De plus, la Commission est d’avis que le ministère pouvait refuser le billet médical soumis le 18 avril 2019 et que les réclamations afférentes de Mme Couillard sont non fondées.
[12] Elle rejette donc les deux recours portant sur ces matières.
[13] Enfin, la Commission considère ne pas avoir compétence pour statuer sur le recours de Mme Couillard, déposé en vertu de l’article 127 de la LFP, contestant son transfert à la DARC.
CONTEXTE ET ANALYSE
[14] La présentation de la preuve et des argumentations par les parties a été répartie sur 29 jours d’audience. Environ 140 documents ont été déposés dont certains comportent un grand nombre de pages. Bien que la Commission ait pris en considération l’ensemble des éléments de preuve, elle n’expose, dans la présente décision, que ceux qui sont nécessaires afin de statuer sur les trois recours.
[15] Des versions divergentes de certains événements ont parfois été relatées par les témoins. La Commission présente donc ce qu’elle retient de la preuve après analyse, selon la règle de la balance des probabilités, notamment en considérant la crédibilité et la fiabilité des témoignages ainsi que ce qui est supporté par la preuve documentaire.
[16] Depuis 2005, Mme Couillard occupe un emploi au sein de la fonction publique du Québec. De 2013 à 2017, elle travaille à la DEAI du ministère à titre d’enquêtrice, un poste non syndiqué appartenant à la classe d’emplois no 105, agente de recherche et de planification socio-économique.
[17] Elle quitte le ministère en 2017 pour aller travailler ailleurs dans la fonction publique. Le 22 janvier 2018, elle entre en fonction de nouveau comme enquêtrice à la DEAI. Son directeur est alors M. St-Louis qui relève directement du sous-ministre du ministère, M. Marc Lacroix.
[18] Après le départ du chef d’équipe des enquêtes, M. St-Louis désigne Mme Pipon pour occuper ce poste par intérim. Il avait déclaré au préalable qu’il ne désignerait pas un enquêteur à titre de chef d’équipe par intérim. Mme Pipon travaillait auparavant à la DEAI en audit interne.
[19] Un processus de dotation est tenu pour pourvoir l’emploi de chef d’équipe des enquêtes. Plusieurs personnes posent leurs candidatures, incluant Mmes Couillard et Pipon. Durant l’été 2018, il est annoncé que cette dernière a été nommée de manière permanente chef d’équipe des enquêtes.
[20] Mme Couillard estime que le climat de travail est mauvais à la DEAI depuis que Mme Pipon occupe ce poste. Elle perçoit notamment plusieurs tensions entre Mme Pipon et d’autres enquêteurs. Mme Couillard est témoin de divers différends entre ceux-ci et la chef d’équipe.
[21] En janvier 2019, Mme Couillard avise M. St-Louis qu’elle souhaite postuler pour obtenir un emploi au Protecteur du citoyen. Elle lui demande de lui fournir une référence. M. St-Louis comprend qu’elle désire en apprendre davantage sur cette organisation en communiquant avec quelqu’un. Il lui donne donc les coordonnées d’une connaissance qui a déjà travaillé pour cet organisme.
[22] Le 29 janvier 2019, Mme Couillard passe une entrevue au Protecteur du citoyen.
[23] Le 1er février 2019, une conseillère en gestion des ressources humaines (CGRH) de cette organisation appelle Mme Couillard. Elle lui demande de lui indiquer une personne à titre de référence. Mme Couillard lui fournit les coordonnées de M. St‑Louis.
[24] La même journée, la CGRH rappelle Mme Couillard pour avoir d’autres références. Cette dernière lui communique les coordonnées de deux autres gestionnaires avec qui elle a travaillé auparavant.
[25] Le 4 février 2019, la CGRH annonce à Mme Couillard qu’elle n’a pas obtenu l’emploi convoité. Toutefois, elle lui indique que le Protecteur du citoyen conservera sa candidature pour peut-être lui offrir ultérieurement un autre poste.
[26] Mme Couillard se sent très affectée par cette situation. Elle estime que le lien de confiance avec M. St‑Louis a été rompu.
[27] Le 6 février 2019, Mme Couillard rencontre M. St‑Louis dans le bureau de ce dernier. Elle lui dit qu’elle le tient responsable de la décision du Protecteur du citoyen de ne pas lui avoir accordé le poste. Il lui mentionne notamment avoir été surpris de l’appel de la CGRH puisqu’il ne croyait pas qu’il serait contacté pour fournir de l’information au sujet d’une employée actuellement sous sa responsabilité.
[28] Le 12 février 2019, Mme Couillard fait un signalement auprès du répondant. D’autres employés de la DEAI ont également fait un signalement auprès de cette personne.
[29] Le 6 mars 2019, le répondant rencontre M. Lacroix et lui présente un état de situation concernant cette direction. Le sous‑ministre autorise la tenue d’une enquête externe portant sur le climat de travail et les allégations de harcèlement psychologique à la DEAI (enquête externe).
[30] Le 11 mars 2019, Mme Couillard débute un arrêt de travail pour cause d’invalidité.
[31] Le 30 avril 2019, elle est de retour au travail à un autre étage que celui de son bureau habituel.
[32] Dès son retour, elle fait des démarches pour obtenir un prêt de service au ministère de la Sécurité publique (MSP). Elle effectue d’ailleurs des heures supplémentaires pour le MSP dès le début mai 2019.
[33] Au cours du même mois, M. St‑Louis annonce qu’il quitte le ministère pour aller occuper un emploi ailleurs dans la fonction publique.
[34] Le 16 mai 2019, Mme Couillard apprend qu’elle sera transférée à la DARC en compagnie d’un autre enquêteur de la DEAI et d’un poste vacant. Cet enquêteur a également fait un signalement au répondant.
[35] Le 10 juin 2019, elle débute un prêt de service au MSP.
[36] En septembre 2020, elle entre en fonction à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.
[37] L’enquête externe n’a pas été complétée, notamment parce que l’enquêteur n’a pas été en mesure d’interroger Mme Pipon en raison de son invalidité qui a débuté en juin 2019 et qui perdure à ce jour. Elle n’a d’ailleurs pas témoigné lors de l’audience.
Crédibilité du témoignage de Mme Couillard
[38] La version des événements relatés par Mme Couillard diffère parfois de celle d’autres témoins. Afin d’évaluer la crédibilité de cette personne, la Commission a pris en considération les principes énoncés dans quelques-unes de ses décisions récentes, notamment les affaires Desbiens[5], Tremblay[6] et Bouchard[7].
[39] Dans la décision Gosselin[8], la Commission indique :
[48] En conséquence, aux prises avec des versions contradictoires, la Commission doit déterminer laquelle est la plus probante en appréciant la crédibilité des témoins et de leurs témoignages[[9]] :
[148] Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, la Commission retient les critères présentés par Léo DUCHARME dans son ouvrage, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson Lafleur ltée, 2005, p. 537 à 540. Ces critères sont les suivants :
les moyens par lesquels le témoin a connaissance des faits;
son sens d’observation;
la fidélité de sa mémoire;
les raisons qu’il a de s’en souvenir;
son indépendance par rapport aux parties en cause.
[149] Selon l’auteur, il faut également tenir compte de sa manière de témoigner, soit son comportement, sa manière de répondre et ses sentiments manifestés durant l’instance. Enfin, un témoignage considéré faux sur un point ne doit pas être nécessairement rejeté en entier.
[150] Pour apprécier leur témoignage, la Commission tiendra compte également des critères suivants :
la vraisemblance d’une version, en présence de versions contradictoires;
la constance et la cohérence des déclarations, bien qu’une cohérence parfaite ne soit pas un facteur de garantie absolue surtout si les faits sont survenus il y a longtemps;
la corroboration, particulièrement en présence de deux versions, sans toutefois que cela soit une garantie d’authenticité ou que la Commission soit tenue de croire un témoin qui n’est pas contredit;
l’absence de contradiction sur les points essentiels, même s’il est possible de retrouver des variations sinon des contradictions lorsque plusieurs témoins racontent un même fait.
[…]
[50] Ces critères ont donc guidé la Commission dans son appréciation de la preuve et elle en arrive à la conclusion que la version de Mme Gosselin est moins probante que celle des autres témoins.
[51] Mme Tremblay, qui travaille dorénavant au ministère du Conseil exécutif et qui est un témoin digne de confiance puisqu’elle n’a pas d’intérêt au litige, a livré un témoignage qui contredit quelques fois la version de Mme Gosselin. Il est précis et concorde avec les dires de M. Couillard et de Mme Blouin. D’ailleurs, l’ensemble des témoignages sont cohérents et, pour la plupart, corroborés par la preuve documentaire.
[52] La manière dont témoigne Mme Gosselin nuit aussi à sa crédibilité. En effet, elle ne fait preuve d’aucune introspection et a peu de recul sur les évènements. Elle ne prend aucune part de responsabilité, nie abondamment et perçoit toutes les décisions de gestion de son employeur comme étant prises pour lui nuire.
[53] M. Couillard serait responsable de tous ses maux. Entre autres, elle dira manquer de travail, mais elle ne prend jamais l’initiative de lui en demander plus. Aussi, en septembre 2020, alors qu’elle est en télétravail en raison de la pandémie de COVID‑19, elle ne comprend pas pourquoi elle doit réintégrer les locaux du SCT pour offrir sa pleine prestation de travail alors que c’est en raison de ses moyens technologiques limités.
[54] Sa mémoire est sélective et son attitude envers l’autorité de M. Couillard est questionnable. De plus, elle se contredit plusieurs fois ou dépose des pièces démontrant une vérité différente de ses perceptions, comme le démontrent plusieurs courriels. À titre d’exemples, elle dément avoir assisté à certaines rencontres alors que la preuve établit le contraire : […]
[55] Par ailleurs, la Commission constate que Mme Gosselin se comporte en victime et laisse croire qu’elle a été malicieusement déménagée de son espace de travail par son employeur. En effet, elle témoigne durant deux jours et demi et, à aucun moment, elle ne mentionne que le déménagement de son bureau, constituant le premier acte vexatoire allégué, est planifié et touche toute son équipe. Elle dépose un grand nombre de courriels durant l’audience et aucun d’eux ne mentionne cette situation. Cet épisode a eu pour conséquence de nuire grandement à sa crédibilité.
[56] La Commission considère la version de Mme Gosselin comme étant plus improbable que probable.
[40] Après examen, la Commission conclut que la crédibilité du témoignage de Mme Couillard est affectée pour plusieurs raisons. Dans son témoignage, elle fait preuve de peu de nuances, d’introspection et de recul par rapport aux événements qu’elle relate. Son témoignage comporte de nombreuses exagérations[10]. Elle omet divers éléments qu’elle précise uniquement lors de son contre-interrogatoire.
[41] Elle confronte avec vigueur l’autorité et conteste plusieurs décisions du ministère, lorsqu’elle est à son emploi, bien qu’elle se présente souvent comme une victime.
[42] Le fait qu’elle ait indiqué avoir enregistré des représentants du ministère à leur insu à quelques reprises, mais qu’elle affirme lors de l’audience n’avoir retrouvé qu’un seul enregistrement, qui est donc le seul à avoir pu être déposé en preuve, est aussi questionnable.
[43] De plus, au cours de l’audience, elle fait plusieurs inférences indues, notamment lorsqu’elle interroge des témoins, ce qui l’amène à interpréter des paroles, des écrits ou des événements d’une manière qui n’est pas supportée par la preuve. Elle se base fréquemment sur des perceptions et des suppositions pour affirmer que le ministère est fautif.
Harcèlement psychologique
[44] En matière de harcèlement psychologique, les articles pertinents de la LNT prévoient :
81.18. Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible à ses salariés une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, incluant entre autres un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel.
81.20. Les dispositions des articles 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 et 123.16 sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective, compte tenu des adaptations nécessaires. Un salarié visé par une telle convention doit exercer les recours qui y sont prévus, dans la mesure où un tel recours existe à son égard.
En tout temps avant le délibéré, une demande conjointe des parties à une telle convention peut être présentée au ministre en vue de nommer une personne pour entreprendre une médiation.
Les dispositions visées au premier alinéa sont aussi réputées faire partie des conditions de travail de tout salarié nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique (chapitre F‐3.1.1) qui n’est pas régi par une convention collective. Ce salarié doit exercer le recours en découlant devant la Commission de la fonction publique selon les règles de procédure établies conformément à cette loi. La Commission de la fonction publique exerce à cette fin les pouvoirs prévus aux articles 123.15 et 123.16 de la présente loi.
[…]
123.7. Toute plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique doit être déposée dans les deux ans de la dernière manifestation de cette conduite.
[45] Le fardeau appartient à Mme Couillard de démontrer qu’elle a subi du harcèlement psychologique. Pour ce faire, elle doit prouver, selon la règle de la prépondérance de la preuve, les cinq éléments cumulatifs mentionnés au premier alinéa de l’article 81.18 de la LNT, soit :
1) une conduite vexatoire;
2) qui se manifeste par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés;
3) hostiles ou non désirés;
4) qui porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique;
5) qui entraîne pour l’employé un milieu de travail néfaste.
[46] Le deuxième alinéa de l’article 81.18 de la LNT prévoit qu’une « seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. »
[47] Dans une des décisions phares en matière de harcèlement psychologique au Québec, soit Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph)[11], l’arbitre François Hamelin explique comment interpréter ces cinq critères :
1) Une conduite vexatoire
[164] Dans le sens courant du terme, une « conduite » renvoie à une manière d’agir et se manifeste par des attitudes et des comportements objectifs, incluant des paroles, des actes ou des gestes, précise le législateur.
[165] La « conduite vexatoire » est plus subjective. Selon les dictionnaires courants, il s’agit d’une conduite qui entraîne des vexations, c’est-à-dire qui contrarie, maltraite, humilie ou blesse quelqu’un dans son amour-propre et qui cause des tourments.
[166] La conduite vexatoire est donc une attitude ou des comportements qui blessent et humilient la personne dans son amour-propre. Dans la loi, le législateur a mis l’accent sur les conséquences psychologiques qui en découlent pour la victime, d’où l’importance de définir des critères objectifs d’appréciation, comme nous le verrons plus loin.
2) Le caractère répétitif des comportements
[167] Sous réserve du second alinéa de l’article 81.18, le législateur précise ensuite que pour qu’il y ait harcèlement psychologique, les comportements, paroles, actes ou gestes vexatoires doivent être répétés, c’est-à-dire qu’ils doivent normalement se produire à plusieurs reprises, ce qui suggère l’idée d’un étalement dans le temps.
[…]
3) La nature hostile ou non désirée des comportements
[171] La disposition législative prévoit ensuite que les comportements, paroles, gestes ou actes répétitifs qui sont visés, doivent être soit hostiles, soit non désirés.
[172] Selon les dictionnaires courants, un comportement hostile est celui de quelqu’un qui manifeste des intentions agressives, qui se conduit en ennemi, de façon belliqueuse, antagoniste, adverse, défavorable ou menaçante.
[173] Quant au comportement non désiré, il s’agit d’un comportement qui n’a pas été recherché, voulu ou souhaité, ni explicitement, ni implicitement.
[…]
4) Une atteinte à la dignité ou à l’intégrité du salarié
[176] Dans sa définition, le législateur a prévu que pour être considérée comme du harcèlement psychologique, la conduite vexatoire résultant de la répétition de comportements hostiles ou non désirés doit entraîner deux conséquences précises : il doit d’abord porter atteinte soit à la dignité, soit à l’intégrité physique ou psychologique du salarié et ensuite, entraîner pour ce dernier un milieu de travail néfaste.
[…]
5) Un milieu de travail néfaste
[179] Il s’agit ici de la seconde conséquence préjudiciable rattachée au concept de harcèlement psychologique. Selon la définition prévue à l’article 81.18 de la LNT, la conduite vexatoire ne doit pas seulement porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité d’une personne, mais également entraîner un milieu de travail néfaste pour cette dernière.
[180] Un milieu de travail néfaste pour un salarié est un milieu qui est nuisible et négatif, un environnement de travail psychologiquement défavorable.
[181] Un effet néfaste sur le milieu de travail est donc beaucoup plus large que la simple matérialisation d’un préjudice ou la perte d’une condition de travail qui existait avant la conduite vexatoire.
[Caractères gras dans le texte original]
[48] La preuve de la présence de ces cinq éléments, et par le fait même du harcèlement psychologique, doit s’apprécier de façon objective en fonction du point de vue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la victime alléguée[12], et ce, pour « éviter de tomber dans une perspective purement subjective[13] ».
[49] La Commission rappelle qu’il « y a une différence importante entre le fait de se sentir harcelé et celui de l’être véritablement[14] », autrement toute plainte déposée de bonne foi par un employé serait accueillie. En effet, « la conduite [reprochée] constituerait toujours du harcèlement pour la présumée victime, sinon pourquoi s’en plaindrait‑elle[15]? »
[50] La Commission fait siennes les remarques exprimées par l’arbitre Joëlle L’Heureux dans la décision Syndicat de l’enseignement de la Rivière-du-Nord[16] :
[117] Le tribunal endosse cette analyse. Sans conduite vexatoire, il ne peut y avoir de harcèlement psychologique, et ce même si une personne se sent humiliée ou blessée par des propos, même si une situation la stresse et la met sur les nerfs. S’il n’y a pas de conduite vexatoire, il n’y a pas de harcèlement psychologique.
[118] Pour être vexatoire, la conduite doit être hostile ou non désirée. Le syndicat, dans ses notes écrites, décrit le geste hostile comme un geste offensant, humiliant ou inacceptable et qui a pour conséquence d’abaisser, de déprécier, d’humilier, d’isoler ou d’embarrasser la personne. Il ajoute que le critère d’analyse est celui de la personne raisonnable, tel que défini dans l’affaire Bisignano qu’il cite.
[119] Ce test de la personne raisonnable est une chose acquise en jurisprudence. Les décisions déposées par les deux parties le soulignent. On fait référence ici à un critère d’appréciation d’une situation qui serait celui d’une personne raisonnable, normalement diligente, prudente et informée, qui, placée dans les mêmes circonstances que la prétendue victime, estimerait que le prétendu harceleur manifeste une conduite vexatoire. La CRT, dans l’affaire Bangia, et l’arbitre Hamelin, dans Ville de Montréal, soulignent les conséquences que pourrait avoir l’analyse d’un grief de harcèlement psychologique sous le point de vue unique de la présumée victime. Tous les événements deviendraient, nécessairement, des situations de harcèlement psychologique. Le harcèlement psychologique est quelque chose de grave. Il ne faut pas le banaliser. L’extrait de l’affaire Bisignano citée par le syndicat le souligne. Face à un plaignant réfractaire à l’autorité et qui fait preuve de peu d’introspection, sa perception d’être victime de harcèlement psychologique de la part de son employeur est insuffisante pour démontrer qu’il a été victime d’un tel harcèlement.
[120] La jurisprudence a aussi identifié certaines situations qui, en principe, ne devraient pas être considérées comme du harcèlement psychologique. L’arbitre Hamelin, dans Centre hospitalier régional de Trois-Rivières et dans Ville de Montréal, parle principalement de l’exercice normal des droits de direction et des situations conflictuelles. Ces situations, qui ne sont pas en principe du harcèlement psychologique, pourront être perçues comme telle par une personne qui affiche une méfiance excessive, une tendance à la victimisation, une dépression, ou autre trait de personnalité ou maladie qui a pour effet de déformer la perception des choses. Le tribunal n’a pas à se transformer en expert pour évaluer les traits de personnalité d’un plaignant. Il doit cependant statuer sur la présence de harcèlement psychologique, selon la définition prévue à la loi, définition appliquée en fonction du test de la personne raisonnable.
[51] C’est pourquoi il est important d’analyser la preuve en se fondant sur le test de la personne raisonnable qui aurait été dans la même situation que Mme Couillard et non uniquement sur le point de vue de cette dernière.
[52] En appliquant ce test à la présente affaire, la Commission ne peut conclure à la présence des éléments constitutifs du harcèlement psychologique.
[53] Dans sa plainte soumise le 26 octobre 2020, Mme Couillard indique que M. St‑Louis et Mme Pipon l’auraient harcelée. La Commission juge toutefois qu’il n’a pas été démontré de façon prépondérante que ces personnes ou d’autres membres du ministère aient eu des comportements constituant une conduite vexatoire et hostile portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
[54] En fait, plusieurs éléments reprochés à M. St-Louis et à Mme Pipon relèvent de l’exercice du droit de direction ou de situations conflictuelles.
[55] Il n’a pas été prouvé, selon la règle de la balance des probabilités, que l’employeur ait exercé son droit de gérance de manière abusive ou dans le but de dénigrer ou d’humilier Mme Couillard.
[56] Parmi les manifestations alléguées de harcèlement psychologique, on retrouve le fait que M. St-Louis ait payé la facture d’une employée de la DEAI, lors d’un dîner organisé par cette dernière, à l’hiver 2018, pour souligner son arrivée au sein de cette direction. Mme Couillard reproche à ce gestionnaire de ne pas avoir payé sa facture à cette occasion alors qu’elle était également revenue au sein de la DEAI peu de temps auparavant.
[57] Cet événement ne constitue pas une conduite vexatoire. D’ailleurs, Mme Couillard n’en fait pas part au répondant.
[58] Le fait qu’un cadre paie la facture d’une de ses employées, à l’occasion d’un dîner soulignant son arrivée, ne l’oblige pas à payer celle de Mme Couillard qui avait réintégré la DEAI depuis peu de temps. Elle peut trouver cela décevant ou injuste, mais cette situation ne peut pas porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
[59] Par ailleurs, Mme Couillard estime que, dans les premiers mois suivant son retour au ministère en 2018, M. St-Louis discute avec les autres enquêteurs lorsqu’il se promène sur leur étage, mais pas avec elle. Cette dernière perçoit un « froid » entre eux.
[61] Cette employée allègue aussi que l’évaluation de son rendement signée en mai 2018 par M. St‑Louis constitue du harcèlement psychologique. Cette évaluation vise la période de janvier à mars 2018. Mme Couillard dénonce notamment que son supérieur lui a alors attribué la cote « C ».
[62] Ce dernier explique, lors de l’audience, qu’il s’agit de la cote qu’il attribue le plus fréquemment puisqu’elle signifie que l’employé répond aux attentes. Le formulaire d’évaluation mentionne effectivement que cette cote correspond à un « rendement qui est équivalent aux attentes signifiées ».
[63] La Commission est d’avis qu’il n’a pas été démontré que l’imposition de cette cote ni que le contenu de l’évaluation du rendement constituent des conduites vexatoires.
[64] Elle rappelle que, dans le cadre d’une plainte de harcèlement psychologique, elle n’a pas à statuer si une évaluation du rendement est bien fondée[17]. Elle doit uniquement déterminer si cette évaluation est une manifestation de harcèlement psychologique.
[65] À cet égard, dans l’affaire Verreault[18], la Commission énonce :
[83] Cependant, dans le cadre d’une plainte de harcèlement psychologique, la Commission n’a pas à se prononcer si une action ou une omission de l’employeur est bien fondée ou adéquate ou bien s’il s’agit d’une bonne pratique de gestion. Elle n’a pas à trancher si l’employeur a pris la bonne décision, mais seulement si le plaignant a été victime de harcèlement psychologique, selon le cadre juridique applicable, en prenant en considération que l’employeur lorsqu’il exerce son droit de direction dispose d’une « liberté d’action assez large […] qui inclut le droit à l’erreur[[19]] ».
[84] En effet, être insatisfait, déçu ou frustré d’une décision de son employeur n’équivaut pas à du harcèlement psychologique. Le refus du ministère d’accorder à M. Verreault ce qu’il demande ne devient pas de ce seul fait une conduite vexatoire.
[66] Il en est de même pour la désignation à titre provisoire de Mme Pipon au poste de chef d’équipe et pour sa nomination à ce même emploi, à la suite d’un processus de dotation lors duquel plusieurs autres personnes, dont Mme Couillard, ont posé leur candidature. Il s’agit de décisions relevant du droit de direction de l’employeur qui ne peuvent pas être qualifiées de harcèlement psychologique. Il n’y a pas eu de preuve prépondérante de la présence des éléments constitutifs prévus à l’article 81.18 de la LNT.
[67] L’entrevue de Mme Couillard, dans le cadre de ce processus de dotation, ne constitue pas non plus une manifestation de harcèlement psychologique, malgré les critiques de cette employée. Parmi ses reproches, elle mentionne que M. St-Louis a mené cet entretien sans être accompagné d’une autre personne, que cela « allait trop vite » et qu’elle ne s’est pas sentie à une vraie entrevue.
[68] La Commission rappelle qu’elle n’a pas à se prononcer sur cette entrevue ou sur ce processus de dotation, sauf pour déterminer s’il y a présence de harcèlement psychologique.
[69] Or, Mme Couillard ne fait pas la démonstration qu’elle a été harcelée à cette occasion. Au contraire, elle affirme qu’elle a senti que M. St-Louis la tenait en plus haute estime à la suite de cet entretien, notamment en raison d’un document qu’elle lui a présenté lors de celui-ci.
[70] Au cours d’un déplacement dans le cadre de son travail en compagnie d’une autre enquêtrice, Mme Couillard est appelée par M. St-Louis et Mme Pipon. Ils posent des questions sur la nécessité des rencontres de témoins qu’elles vont mener. Mme Couillard affirme avoir été déstabilisée par cet appel.
[71] La Commission considère qu’il s’agit, encore une fois, simplement de l’exercice du droit de direction par la chef d’équipe et le gestionnaire. Il n’a pas été démontré que ces derniers ont alors eu une conduite vexatoire envers Mme Couillard. Selon la preuve prépondérante, ils n’ont notamment pas été agressifs ou impolis à son endroit.
[72] La Commission juge que Mme Couillard a tendance à percevoir négativement de manière indue plusieurs décisions ou événements, ce qui peut être assimilé à une forme de victimisation.
[73] Par exemple, elle critique le fait que M. St-Louis ait décidé de lui octroyer un boni au rendement et qu’il lui ait transmis un formulaire à compléter pour l’obtenir. Lors de l’audience, elle déclare qu’elle ne s’attend alors pas à recevoir un tel boni et que cela est « spécial » et « perturbant ». Elle critique également qu’elle doive remplir elle-même un formulaire pour avoir droit au boni.
[74] La Commission estime que cet événement ne constitue manifestement pas du harcèlement psychologique.
[75] Un des événements sur lequel Mme Couillard a le plus insisté concerne ce que M. St‑Louis aurait dit au téléphone à une CGRH du Protecteur du citoyen.
[76] Elle affirme avoir été grandement affectée par cette situation. Elle attribue le refus de cet organisme de l’embaucher à l’information fournie par M. St-Louis à la CGRH.
[77] Or, ce que la Commission retient de la preuve entourant cet événement est que M. St‑Louis a donné en général une bonne référence concernant Mme Couillard, bien qu’elle comportait quelques réserves, entre autres au sujet de ses habiletés de rédaction.
[78] De plus, cette référence était la meilleure parmi les trois recueillies par la CGRH. En effet, les deux anciens gestionnaires de Mme Couillard ont été plus critiques à son endroit que M. St‑Louis.
[79] La CGRH a témoigné lors de l’audience et les notes qu’elle a consignées au moment de la prise de références ont été déposées en preuve. La Commission tient à souligner qu’elle accorde une très grande crédibilité à ce témoin, qui ne travaille pas au ministère, ainsi qu’à ses notes. De surcroît, son témoignage est fiable, direct et précis. Cette personne apporte un éclairage neutre sur l’appel téléphonique avec M. St‑Louis, dont Mme Couillard n’a pas été témoin.
[80] En outre, la Commission note que Mme Couillard avait posé sa candidature sans succès à deux reprises auparavant pour obtenir un emploi au Protecteur du citoyen. Par ailleurs, malgré le refus communiqué en février 2019, cet organisme lui a tout de même indiqué qu’il conserverait sa candidature pour peut-être lui offrir ultérieurement un autre poste.
[81] Le 6 mars 2019 à 16 h 25, Mme Couillard transmet par courriel à M. St-Louis un formulaire qu’elle lui demande de signer. Voici un extrait de ce document :
[…]
DEFINITION DU BESOIN DE L’UNITE :
Nous avons besoin d’avoir recolurs à une ressource externe d’une firme juricomptable afin d’effectue un madat d’audit sur la facturation des services de camionnage en vrac dans les contrats du MTQ
Possibilité de réaliser le mandat à l’aide de ressources internes évaluée le : Octobre 2018
Cette évaluation démontre que ce mandat ne peut être réalisé à l’aide de ressources internes pour la ou les raisons suivantes :
Auditer les services de camionnage en vrac est complexe et nécessite le recours à une firme juricompable possédant l’expertise en la matière.Particulièrement , l’appréciation du risque de fausse facturation ne relèvent pas du champ de compétance des enquêteus en place à la DEAI
[…]
[Transcription textuelle]
[82] Le même jour à 17 h 01, M. St-Louis répond :
[…]
J’ai regardé le formulaire que tu m’a produit. Premièrement, il y a plusieurs erreurs d’orthographe. Notamment parce qu’il s’agit d’un contrat dont les seuils devraient nécessité la signature du sous-ministre, je m’attendrait à plus de rigueur.
Deuxièmement, un des deux éléments justificatif est que l’appréciation du risque de fausse facturation ne relève pas du champ de compétence des enquêteurs en place à la DEAI. Comment justifier ceci lorsque [une employée] a travaillé plusieurs mois sur un dossier visant faire ressortir des cas de fausses facturation traités par la direction. Elle a d’ailleurs identifié plusieurs dossiers passés en lien avec le sujet. Toutefois, je partage l’avis que nous n’avons pas l’expertise et qu’on devrait transférer les cas ayant des indices à des autorités compétentes.
Je propose donc une formulation très simple :
« La DEAI n’a pas d’expertise juricomptable. »
[Transcription textuelle]
[83] À 17 h 43, Mme Couillard écrit :
J’ai enregistré plusieurs versions du formulaire et on dirait que le suivi des corrections n’a pas fonctionné ! Désolé pour la mauvaise version !
Je vais procéder au changement demandé et m’assurer du suivi des corrections.
[Transcription textuelle]
[84] Dans le cadre de son travail, un gestionnaire peut adresser des critiques à un employé. Bien entendu, le choix des mots pour le faire, à l’écrit ou à l’oral, doit être approprié aux circonstances. Dans le présent cas, où le formulaire transmis par Mme Couillard comporte de nombreuses erreurs de français, le fait que M. St-Louis indique qu’il « y a plusieurs erreurs d’orthographe » et qu’il s’attend « à plus de rigueur » ne constitue pas une conduite vexatoire. La Commission juge que les expressions utilisées par M. St-Louis ne portent pas atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne raisonnable placée dans la même situation, bien qu’elle puisse se sentir critiquée.
[85] M. Lacroix souhaite que la forme et le contenu des rapports d’enquête de la DEAI soient revus afin que ces documents soient plus courts et directs. M. St‑Louis et Mme Pipon tentent donc de modifier les façons de faire et d’adapter les rapports produits par cette direction.
[86] Mme Couillard perçoit négativement plusieurs changements que Mme Pipon désire apporter à ses rapports et les commentaires de cette dernière à leur égard. La chef d’équipe est décrite comme étant pointilleuse au niveau de la rédaction. Mme Pipon remet aussi en question les pratiques d’enquête de Mme Couillard et d’autres enquêteurs.
[87] De plus, Mme Couillard sent qu’il y a une incompatibilité entre elle et Mme Pipon, notamment au niveau des valeurs personnelles. Dans son témoignage, Mme Couillard affirme que lorsqu’une personne ne partage pas les mêmes valeurs qu’elle, il lui est difficile de travailler avec celle-ci. Elle mentionne que c’est ce qui est arrivé avec Mme Pipon et précise qu’elles n’ont pas d’affinités.
[88] Mme Couillard explique que ses communications sont difficiles avec sa chef d’équipe qui défend beaucoup son point de vue. Il est dur de la faire changer d’opinion.
[89] La Commission juge que les reproches de Mme Couillard envers Mme Pipon relèvent bien souvent de situations conflictuelles. Ce concept, qui peut être à l’origine de différends dans un milieu de travail, ne constitue pas du harcèlement psychologique.
[91] Il est important de bien distinguer une situation conflictuelle du harcèlement psychologique. À ce propos, l’arbitre François Hamelin explique[20] :
[226] Dans un ouvrage portant sur le harcèlement moral qui fait autorité en la matière, Dre M. F. Hirigoyen, psychiatre, a discuté des effets bénéfiques du stress au travail en mettant l’accent sur sa finalité, qui est la rentabilité de l’entreprise :
Certes, les conditions de travail deviennent de plus en plus dures : il faut faire toujours plus, faire mieux (tâches à faire dans l’urgence, revirements de stratège), tout cela engendre du stress, cependant le but conscient du management par le stress n’est pas de détruire les salariés mais au contraire de les rendre plus performants. La finalité est l’accroissement de l’efficacité ou de la rapidité dans l’accomplissement d’une tâche. Si la gestion par le stress entraîne des conséquences désastreuses sur la santé, c’est par un dérapage, un mauvais dosage (même si, par des séminaires de gestion du stress, on essaie d’apprendre aux cadres à mieux supporter la pression !). Mais, dans le stress, contrairement au harcèlement moral, il n’y a pas d’intentionnalité malveillante.
Dans le harcèlement moral, au contraire, ce qui est visé, c’est l’individu lui-même dans une volonté plus ou moins consciente de lui nuire. Il ne s’agit pas d’améliorer une productivité ou d’optimiser des résultats mais de se débarrasser d’une personne parce que, d’une manière ou d’une autre, elle « gêne ». Cette violence n’est utile ni à l’organisation ni à la bonne marche de l’entreprise.
(…)
Il me paraît également essentiel de différencier le harcèlement moral d’un conflit. Alors que Heinz Leymann considère que le mobbing résulte toujours d’un conflit professionnel mal résolu, je pense pour ma part que, s’il y a harcèlement moral, c’est que justement aucun conflit n’a réussi à se mettre en place. Dans un conflit, les reproches sont nommés (la guerre est ouverte en quelque sorte). Au contraire, derrière tout procédé de harcèlement, il y a du non-dit et du caché. Même si les situations de conflit sont coûteuses et douloureuses pour une entreprise, tout le monde s’accorde à reconnaître leur utilité. À l’origine, il y a une nécessité de changement; un ancien système de fonctionnement doit être détruit pour en reconstruire un autre. Un conflit est source de renouvellement et de réorganisation en obligeant à se remettre en question et à fonctionner sous des formes nouvelles. Il permet de mobiliser les énergies et de rassembler les personnes, de modifier les alliances, de sortir de la complexité, et surtout d’apporter un peu d’animation et de nouveauté dans des contextes professionnels trop routiniers.[[21]]
(Note de bas de page et référence de note de bas de page, retirées du texte)
[227] C’est le critère objectif d’appréciation de la conduite de la victime présumée qui permet de distinguer la situation conflictuelle du harcèlement psychologique. Dans une situation conflictuelle, la conduite des deux parties en litige est centrée sur l’objet même du litige à résoudre, tandis que dans une situation de harcèlement, la conduite de l’une des parties est centrée sur l’autre, de manière répétitive et hostile, et met en cause sa dignité ou son intégrité.
[228] Dre Hirigoyen explique ensuite que c’est justement lorsque le conflit n’éclate pas que le harcèlement moral voit souvent le jour :
Dans le harcèlement moral, il ne s’agit plus d’une relation symétrique comme dans le conflit, mais d’une relation dominant-dominé, où celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre et à lui faire perdre son identité. Quand cela se passe dans le cadre d’une relation de subordination, c’est un abus de pouvoir hiérarchique, et l’autorité légitime sur un subordonné devient une domination sur une personne.
Même lorsque le harcèlement se met en place entre collègues ou de façon ascendante, il est toujours précédé d’une domination psychologique de l’agresseur et d’une soumission forcée de la victime. L’autre est déprécié, a priori, en raison de ce qu’il est, de son appartenance sexuelle, de son manque de compétences, ou de sa position hiérarchique. Dans tous les cas, on ne le considère pas comme un interlocuteur valable, ce qui permet de détruire plus aisément son identité.
C’est une erreur de vouloir éviter à tout prix les conflits, car ils constituent les moments où nous pouvons changer et tenir compte de l’autre, c’est-à-dire de nous enrichir. À l’opposé d’un conflit, le harcèlement moral est une façon de bloquer tout changement.
[229] À la lumière de ce qui précède, c’est l’objet du litige, une solution à trouver à un problème et non la dépréciation en soi d’une personne qui permet de distinguer une situation conflictuelle du harcèlement psychologique.
[Soulignements dans le texte original]
[92] Pour Mme Couillard, c’est l’objet des échanges concernant des rapports ou le déroulement d’enquêtes qui souvent l’affecte et non pas des manifestations de harcèlement psychologique.
[93] La Commission retient de la preuve que Mme Pipon critique le travail de Mme Couillard, parfois sévèrement. Il n’appartient pas à la Commission de déterminer si cette chef d’équipe a appliqué les meilleures pratiques en matière de gestion, de communication et d’attitude à adopter envers une employée. La Commission réitère qu’elle doit uniquement analyser si les comportements et les paroles de Mme Pipon ont constitué, envers Mme Couillard, une conduite vexatoire portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
[94] La Commission juge que cela n’a pas été prouvé selon la règle de la balance des probabilités.
[96] Soudain, Mme Couillard met en doute l’intégrité de Mme Pipon en lui demandant si elle cherche à protéger l’entrepreneur en raison d’un emploi qu’elle a occupé par le passé. La chef d’équipe se fâche, monte le ton et quitte la salle où se tient la rencontre. M. St‑Louis met alors fin à la réunion.
[97] La Commission est d’avis qu’il n’a pas été démontré que cet événement constitue une conduite vexatoire pour une personne raisonnable placée dans la même situation. En effet, bien qu’il ne soit pas souhaitable de s’emporter dans un milieu de travail, la Commission note que Mme Pipon a été provoquée de manière inattendue par les remarques de Mme Couillard quant à sa probité. De plus, dans ses propos, la chef d’équipe ne s’en prend pas à Mme Couillard en la dénigrant. Elle dira plutôt quelque chose qui ressemble à ceci : « Si vous voulez faire l’enquête à ma place, faites-le! »
[98] Dans ces circonstances, la réaction spontanée de Mme Pipon n’est pas une manifestation de harcèlement psychologique.
[99] Lors d’une autre réunion, la chef d’équipe, alors qu’elle ne s’adresse pas à Mme Couillard, se fâche et frappe un dossier sur un bureau.
[100] Mme Couillard explique avoir été affectée puisqu’elle a été témoin de cet événement. Cependant, la Commission estime qu’il n’a pas été établi que cette situation est une conduite vexatoire et hostile portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne raisonnable placée dans le point de vue de Mme Couillard, bien que cela puisse être malaisant.
[101] Il en est de même pour les divers différends, entre Mme Pipon et des enquêteurs, dont Mme Couillard a été témoin. Être mal à l’aise ou inquiète ne signifie pas nécessairement être victime de harcèlement psychologique.
[102] La Commission souligne que plusieurs éléments dénoncés par Mme Couillard sont imprécis. Elle réfère notamment à un mauvais climat de travail.
[103] Or, il ne suffit pas d’alléguer un tel climat pour démontrer la présence de harcèlement psychologique à son endroit. Un employé doit être en mesure de prouver, selon la règle de la balance des probabilités, des éléments précis correspondant aux critères cumulatifs prévus à l’article 81.18 de la LNT. En effet, il « ne suffit pas d’affirmer que l’on fait l’objet de harcèlement, encore faut‑il en prouver les éléments constitutifs pour chacun des allégués[22]. »
[104] Il faut plus que des intuitions, des suppositions ou des déductions pour prouver de façon prépondérante un fait. La Commission remarque que Mme Couillard a tendance à interpréter des événements, des écrits ou des paroles d’une manière qui n’est pas supportée par la preuve. À plusieurs reprises lors de l’audience, elle a déformé les paroles ou les écrits de témoins pour leur donner un autre sens en faisant indûment des inférences.
[105] Mme Couillard a souvent la perception qu’on cherche à lui causer du tort ou qu’on la dénigre alors que la preuve n’est pas à cet effet.
[106] À cet égard, l’arbitre Maureen Flynn énonce qu’une « preuve qui repose sur des perceptions ou des suppositions n’est pas suffisante pour établir du harcèlement psychologique[23] » :
[290] Également, pour convaincre le décideur qu’une conduite est vexatoire, le plaignant doit mettre en preuve des faits. Une preuve qui repose sur des perceptions ou des suppositions n’est pas suffisante pour établir du harcèlement psychologique. Des faits qui affectent directement la victime doivent être prouvés :
« (65) (…)
Mais pour fonder une plainte de harcèlement psychologique, des faits plus directs et individuels doivent être prouvés. » Champlain Regional College St-Lawrence Campus Teacher’s Union c. Cégep Champlain Campus St‑Lawrence (Champlain regional College St Lawrence Campus), S.A.E. 7958, 31 août 2006, Me Rodrigue Blouin, p. 11
[…]
[316] J’estime qu’une analyse attentive de l’ensemble de la preuve démontre que la plaignante n’a pas été victime de harcèlement psychologique. Il ressort de la preuve qu’elle est en grande partie l’instigatrice des conflits qui ont miné le climat de travail et ses relations autant avec sa gestionnaire, Mme Taillefer, que ses collègues de travail. La preuve démontre clairement que Mme K… ne collabore pas, ne s’intègre pas. Ses prétentions reposent essentiellement sur des suppositions alimentées par ses propres perceptions. Elle n’a soumis aucun geste, action, parole ou décision pouvant être objectivement qualifié de blessant ou d’humiliant ou de méprisant ou même d’hostile et pouvant permettre de conclure que la conduite de Mme Taillefer ou de ses collègues de travail était dans les circonstances vexatoire. Au contraire, la preuve démontre qu’elle recourt à des propos parfois blessants ou méprisants et même insolents à l’égard de sa gestionnaire, Mme Taillefer, et de ses collègues de travail.
[317] Tel que relaté, la preuve de symptômes physiques ne suffit pas à établir une situation de harcèlement psychologique. L’établissement d’une conduite vexatoire se fait à partir de faits qui affectent directement la victime et non de perceptions ou de suppositions ou d’interprétations. Bien qu’il soit reconnu que le harcèlement psychologique puisse s’exercer sous le couvert de mesures légitimes et en apparence anodines, il faut tout de même que la preuve démontre objectivement une forme de malice ou d’hostilité. Dans la présente affaire, comme nous le verrons, non seulement la preuve ne démontre aucune conduite blessante ou vexante mais elle démontre même que Mme Taillefer, qui est en grande partie visée par la plainte, a accommodée plusieurs fois la plaignante. La preuve démontre que Mme Taillefer a, en tant que gestionnaire, agi avec diligence et professionnalisme. Malgré la détérioration du climat de travail et de la pression exercée par la plaignante, elle est demeurée objective et a agi avec équité.
[Soulignements de la Commission; caractères gras dans le texte original]
[107] Mme Couillard attribue son absence pour cause d’invalidité au climat de travail ainsi qu’aux comportements de Mme Pipon et de M. St-Louis. Cette invalidité démontrerait, selon Mme Couillard, le caractère néfaste de ce climat ainsi qu’une atteinte à son intégrité physique ou psychologique.
[108] Or, dans le cadre d’une plainte de harcèlement psychologique, la Commission ne doit pas statuer si l’invalidité de cette salariée a été causée par son emploi au ministère. Elle doit plutôt déterminer si l’atteinte invoquée et le climat de travail néfaste allégué sont la conséquence d’une conduite vexatoire, se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, ce qui n’est pas démontré par la preuve. Aucune conduite de cette nature n’a été prouvée de manière prépondérante.
[109] La Commission rappelle que « la preuve de symptômes physiques ne suffit pas à établir une situation de harcèlement psychologique[24]. »
[110] À cet égard, la Commission des relations du travail[25] explique que les effets d’une conduite vexatoire, mentionnés à l’article 81.18 de la LNT, sont un milieu de travail néfaste et une atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’un salarié. Elle précise que la présence de ces effets sans conduite vexatoire ne peut constituer du harcèlement psychologique[26] :
[150] Quelques décisions ont déjà étudié ces dispositions : Centre hospitalier de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers Mauricie/Cœur‑du‑Québec, [2006] R.J.D.T. 397‑447 (T.A.); Hilaregy c. 9139‑3249 Québec inc. (Restaurent Poutine La Belle Province), 2006 QCCRT 0220 et Bangia c. Nadler Danimo, 2006 QCCRT 0419. Il y a lieu de souscrire à ces analyses et d’y ajouter les remarques suivantes nécessaires aux fins de la présente décision :
[…]
150.4. Selon le premier alinéa de l’article 81.18 L.n.t., le harcèlement psychologique découle d’une conduite vexatoire qui occasionne deux effets sur un salarié : une atteinte à la dignité ou l’intégrité et un milieu de travail néfaste. Il faut être en présence de ces trois éléments pour conclure à du harcèlement psychologique. Ainsi, le caractère vexatoire des comportements, paroles, actes ou gestes n’est pas lié aux deux effets.
[…]
150.6. Avant toute chose, il faut examiner la présence d’une conduite vexatoire. L’utilité de l’analyse des deux éléments de l’atteinte à la dignité ou l’intégrité et celui du milieu de travail néfaste ne se manifeste qu’en présence d’une preuve prépondérante de conduite vexatoire. En effet sans conduite vexatoire, il ne peut pas y avoir d’effets. Par ailleurs, si les effets sont présents sans l’existence d’une conduite vexatoire, il ne s’agit pas de harcèlement psychologique.
[…]
[111] Mme Couillard dénonce le traitement de son invalidité par le ministère, notamment le refus de deux billets médicaux prévoyant son retour au travail. La Commission est toutefois d’avis que le ministère a exercé son droit de gérance de manière appropriée, comme elle l’exposera en détail plus loin dans la présente décision. Il n’y a donc pas eu de manifestation de harcèlement psychologique lors de la gestion de cette invalidité.
[112] Mme Couillard a aussi critiqué différents éléments entourant son retour au travail le 30 avril 2019.
[113] Elle dit s’être sentie comme une intruse à son arrivée sur un nouvel étage dans une direction qu’elle ne connait pas bien. Elle critique entre autres la taille de son ordinateur portable qui serait trop petite et le fait qu’elle n’ait pas de téléphone à son poste dès son retour. Elle a toutefois eu accès à un écran d’ordinateur et à un téléphone après en avoir fait la demande.
[114] Les éléments dénoncés par Mme Couillard ne peuvent pas constituer une conduite vexatoire et hostile portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne raisonnable.
[115] Cette employée est également d’avis que son transfert à la DARC fait partie du harcèlement psychologique qu’elle a vécu, notamment parce que cette mesure constituerait des représailles à son endroit.
[117] Le fait que l’autre enquêteur transféré à la DARC ait également fait un signalement au répondant ne constitue pas une preuve prépondérante de harcèlement psychologique ni de représailles.
[118] Mme Couillard reproche au ministère divers éléments entourant ce transfert qui ne peuvent pas être retenus comme constituant des représailles ou des manifestations de harcèlement psychologique. Elle se plaint entre autres d’être devenue syndiquée à la suite de ce transfert. Elle critique aussi que sa carte d’accès ne lui permette plus d’aller à tous les étages de l’immeuble du ministère où elle travaille. De plus, elle dénonce le non‑renouvellement de son statut de commissaire à l’assermentation ainsi que l’absence de modification à sa désignation comme enquêtrice, en vertu de l’article 12.21.7 de la Loi sur le ministère des Transports[27], qui mentionne qu’elle travaille à la DEAI.
[119] En outre, le fait que des postes d’enquêteur transférés à la DARC soient ultérieurement retournés à la DEAI ne démontre pas que la décision initiale du ministère était une manifestation de harcèlement ou des représailles.
[120] La Commission précise que le fait que le ministère ait pu changer d’idée ou même se tromper de bonne foi ne peut l’amener à conclure, sur cette base, que Mme Couillard a été victime de harcèlement psychologique.
[121] Dans le cadre de la plainte de harcèlement psychologique, l’analyse de la Commission concernant le transfert de Mme Couillard à la DARC doit se limiter à déterminer si les éléments constitutifs prévus à l’article 81.18 de la LNT ont été prouvés de manière prépondérante, ce qui n’est pas le cas.
[122] Par ailleurs, Mme Couillard a abondamment critiqué le ministère quant au traitement de son signalement, aux mesures d’apaisement et à l’enquête externe. Par exemple, elle dénonce qu’après son retour au travail à la suite de son absence pour cause d’invalidité, M. St-Louis soit toujours responsable d’approuver le remboursement de ses frais dans le système SAGIR bien qu’ils n’aient plus de contacts ensemble.
[123] Il n’a pas été démontré, selon la règle de la balance des probabilités, que les agissements de l’employeur entourant ces éléments constituent des manifestations de harcèlement psychologique. En effet, la Commission juge que le ministère s’est comporté de manière raisonnable dans les circonstances, notamment en exerçant son droit de direction.
[124] La Commission souligne que l’attitude de Mme Couillard quant à ces matières est souvent intransigeante. Elle confronte beaucoup le ministère et s’oppose avec vigueur à plusieurs de ses décisions. Elle a bien souvent l’impression qu’on cherche à lui nuire alors que cette perception n’est pas supportée par la preuve.
[125] En somme, les éléments dénoncés par Mme Couillard ne constituent pas des manifestations de harcèlement psychologique. En fait, ils relèvent dans bien des cas du droit de gérance de l’employeur ainsi que de situations conflictuelles.
[126] En conséquence, la Commission rejette la plainte de harcèlement psychologique déposée par Mme Couillard.
Refus par le ministère du billet médical soumis le 18 avril 2019 et réclamations afférentes de Mme Couillard
[127] Le 11 mars 2019, Mme Couillard débute une absence de son travail pour cause d’invalidité.
[128] Le 15 avril 2019, elle transmet au ministère un billet médical qui indique :
[…]
Retour progressif a partir du 22‑04‑2019.
- 1ere semaine
2 jours non consécutifs
- 2e semaine et 3e semaine
3 jours non consécutifs
4e semaine
soit le 13 mai 2019
retour au travail régulier
[Transcription textuelle]
[129] Le jeudi 18 avril 2019, vers 11 h, une CGRH du ministère travaillant en gestion de l’invalidité appelle Mme Couillard. Cette employée lui indique qu’elle ne peut pas être réintégrée à son poste de travail en raison de l’enquête externe en cours. Elle ajoute que le ministère n’a pas encore établi et mis en place des mesures d’apaisement en vue de son retour au travail. La CGRH annonce donc à Mme Couillard que le ministère refuse son retour au travail le 22 avril 2019. Elle explique notamment que l’employeur peut refuser un retour progressif.
[130] Mme Couillard comprend de cet échange que cette décision du ministère aura un impact sur les sommes qu’elle recevra alors qu’elle demeurera en invalidité.
[131] Le même jour, à 14 h 10, elle transmet par courriel au ministère un nouveau billet médical. La médecin inscrit seulement sur ce document : « Retour au travail le 22 avril 2019 ».
[132] Le vendredi 19 et le lundi 22 avril 2019 sont des jours fériés à l’occasion du congé de Pâques.
[133] Dans les jours suivants, le ministère fait des vérifications auprès de la clinique où travaille la médecin ayant émis les deux billets médicaux soumis par Mme Couillard les 15 et 18 avril 2019. Les notes médicales concernant l’invalidité de cette employée sont transmises au ministère à sa demande.
[134] Le jeudi 25 avril 2019, deux employées du ministère discutent au téléphone avec Mme Couillard. Elles lui demandent si elle a rencontré sa médecin le 18 avril 2019 avant que cette dernière émette un nouveau billet médical. Mme Couillard ne le confirme pas.
[135] Elles lui expliquent que le ministère trouve étrange l’apparent changement d’état de santé et d’aptitude au travail de Mme Couillard immédiatement après la conversation qu’elle a eue avec une employée le 18 avril 2019. De plus, les notes médicales mentionnent un retour progressif au travail. Elles indiquent donc à Mme Couillard que le ministère refuse le certificat médical transmis le 18 avril 2019 notamment parce qu’elle ne leur confirme pas avoir rencontré sa médecin avant son émission.
[136] Le vendredi 26 avril 2019 à 17 h 24, Mme Couillard envoie par courriel au ministère un troisième billet médical qui indique : « La présente est pour certifier que Mme est apte au retour au travail à partir du 26-04-2019 et ce pour un travail a temp plein. »
[137] Le lundi 29 avril 2019 à 16 h 45, une CGRH du ministère transmet un courriel à Mme Couillard pour lui indiquer que son retour au travail pourra s’effectuer à partir du lendemain. Elle l’informe également de quelques modalités et mesures relatives à ce retour.
[138] Le mardi 30 avril 2019, Mme Couillard revient au travail.
[139] Le 7 mai 2019, elle soumet un recours à la Commission en vertu de l’article 127 de la LFP. Elle conteste la décision du ministère de refuser le billet médical soumis le 18 avril 2019.
[140] À titre de conclusion recherchée, Mme Couillard énonce :
[…]
Pour ces motifs, je demande la modification de ma période d’absence en invalidité du 15 au 21 avril 2019 et en fonction du certificat médical du 18 avril 2019 qui autorise le retour au travail le 22 avril 2019, je réclame une rémunération complète du 22 au 26 avril 2019.
[…]
[Transcription textuelle; caractères gras dans le texte original]
[141] L’article 127 de la LFP mentionne :
127. Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu’il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d’aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.
Ce règlement établit, en outre, les règles de procédure qui doivent être suivies.
La Commission de la fonction publique entend et décide d’un appel. […]
[142] L’article 2 du Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective[28] (Règlement) prévoit les matières pouvant faire l’objet d’un recours en vertu de l’article 127 de la LFP :
2. Un fonctionnaire qui se croit lésé peut en appeler d’une décision rendue à son égard en vertu des directives suivantes du Conseil du trésor, à l’exception des dispositions de ces directives qui concernent la classification, la dotation et l’évaluation du rendement sauf, dans ce dernier cas, la procédure relative à l’évaluation du rendement :
[…]
8o la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires;
[…]
[143] La Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires[29] (Directive) prescrit que les dispositions de la Convention collective des professionnelles et professionnels 2015‑2020 (Convention collective), à l’exception du régime syndical et de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage, s’appliquent en les adaptant à une fonctionnaire non syndiquée comme Mme Couillard :
1. La présente section s’applique au fonctionnaire :
1o classé dans l’une des classes d’emplois de la catégorie des emplois du personnel professionnel;
[…]
13. La présente section s’applique au fonctionnaire non syndiqué mentionné à l’article 1, à l’exception du fonctionnaire :
1o classé conseiller en gestion des ressources humaines;
2o classé médiateur et conciliateur.
14. S’appliquent, en les adaptant, au fonctionnaire visé à la présente section, à l’exception du régime syndical et de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage, les dispositions des dernières conventions collectives liant le gouvernement du Québec et :
1o le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec;
[…]
[144] Les articles 8‑1.19, 8-1.20 et 8-1.23 de la Convention collective prévoient :
8‑1.19 Sous réserve de la convention, l’employée ou l’employé a droit pour toute période d’invalidité durant laquelle elle ou il est absent du travail :
a) jusqu’à concurrence du nombre de jours de congé de maladie à sa réserve : au traitement qu’elle ou qu’il recevrait si elle ou il était au travail.
Malgré ce qui précède, l’employée ou l’employé qui reçoit une prestation d’invalidité d’un organisme public prévu par l’article 8-1.22 se voit appliquer les dispositions suivantes :
— chaque jour d’absence en invalidité équivaut à l’utilisation d’un (1) jour complet de congé de maladie ;
— la période d’invalidité pendant laquelle l’employée ou l’employé peut bénéficier du présent paragraphe ne doit jamais dépasser le nombre de jours de congé de maladie à sa réserve à la date de son départ en invalidité ;
— l’employée ou l’employé conserve à sa réserve les jours de congé de maladie qui, en application de l’article 8-1.22, n’ont pas été utilisés ;
b) à compter de l’expiration de la période prévue au paragraphe a), le cas échéant, sous réserve d’un délai de carence correspondant à sa semaine de travail sans excéder cinq (5) jours ouvrables depuis le début de la période d’invalidité et jusqu’à concurrence de cinquante‑deux (52) semaines : au paiement d’une prestation d’un montant égal à quarante dollars (40 $) par semaine plus soixante pour cent (60 %) de son taux de traitement et, le cas échéant, de la somme forfaitaire en excédent de cette somme mais pas moins de soixante-six et deux tiers pour cent (66 2/3 %) de son taux de traitement et, le cas échéant, de la somme forfaitaire ;
c) à compter de l’expiration de la période précitée de cinquante-deux (52) semaines, jusqu’à concurrence d’une période additionnelle de cinquante‑deux (52) semaines : au paiement d’une prestation d’un montant égal à soixante-quinze pour cent (75 %) de la somme déterminée pour la période précitée.
[…]
8-1.20 À compter de la cinquième semaine d’invalidité au sens de l’article 8-1.03, l’employée ou l’employé peut, après approbation de la ou du sous-ministre, bénéficier d’une période de réadaptation aux attributions habituelles de son emploi ou d’un emploi analogue tout en continuant d’être assujetti au régime d’assurance traitement pourvu que cette réadaptation puisse lui permettre d’accomplir toutes les attributions habituelles de son emploi ou d’un emploi analogue. Durant cette période de réadaptation, l’employée ou l’employé reçoit son traitement pour le temps travaillé uniquement, au lieu des avantages prévus par les paragraphes a), b) ou c) de l’article 8-1.19 et ce, tant que ce travail demeure en fonction de la réadaptation et que l’invalidité persiste.
Malgré l’alinéa précédent, l’employée ou l’employé peut, après approbation de la ou du sous-ministre, s’absenter au cours de la période de réadaptation, pendant une période maximale de cinq (5) jours ouvrables consécutifs. Les jours de congé ainsi utilisés sont déduits de sa réserve de vacances.
La période de réadaptation, incluant le cas échéant, les jours de vacances prévus à l’alinéa précédent, ne peut excéder six (6) mois consécutifs ni avoir pour effet de prolonger au-delà de cent quatre (104) semaines les périodes d’invalidité en application des paragraphes b) et c) de l’article 8-1.19.
8-1.23 Le versement des sommes payables tant à titre de jours de congé de maladie qu’à titre d’assurance traitement est effectué directement par la ou le sous-ministre, mais sous réserve de la présentation par l’employée ou par l’employé des pièces justificatives raisonnablement exigibles comportant notamment le diagnostic pathologique, les soins et traitement prescrits et la durée probable de l’absence.
[145] La Commission juge que le bien-fondé du recours de Mme Couillard n’a pas été démontré selon la règle de la balance des probabilités. Cette employée n’a d’ailleurs cité aucun article d’une directive ou de la Convention collective au soutien de son recours alors qu’elle détient le fardeau de convaincre la Commission que celui‑ci devrait être accueilli.
[146] La Commission retient de la preuve que Mme Couillard était rémunérée l’équivalent de son plein salaire du 12 mars au 29 avril 2019 puisqu’elle utilisait à ce moment des journées dans sa réserve de jours de maladie. Elle détenait suffisamment de jours de maladie pour qu’elle soit rémunérée à même ce type de congé pour la totalité de son absence pour cause d’invalidité. Elle n’a donc pas perçu d’assurance traitement.
[147] Les trois périodes visées dans les paragraphes a), b) et c) de l’article 8‑1.19 de la Convention collective sont communément appelées « P1 », « P2 », et « P3 ». Puisque Mme Couillard avait suffisamment de jours de maladie dans sa réserve, son invalidité est demeurée dans la période « P1 », correspondant au paragraphe a), durant laquelle elle a bénéficié du traitement qu’elle aurait reçu si elle avait été au travail.
[148] Mme Couillard a donc reçu une rémunération complète du 22 au 26 avril 2019. En conséquence, elle ne peut pas réclamer ce dont elle a déjà bénéficié.
[149] Lors de l’audience, elle demande la remise, dans sa réserve, des jours de maladie qui auraient, selon elle, été utilisés en trop en raison du refus du billet médical soumis le 18 avril 2019.
[150] Or, la Commission juge que le ministère pouvait, dans les circonstances, refuser ce certificat médical.
[151] En effet, l’employeur avait raison de s’interroger quant à ce billet médical. Le fait qu’il soit aussi laconique et qu’il ait été transmis très peu de temps après que le ministère ait refusé le billet du 15 avril 2019 peut susciter des questionnements légitimes.
[152] Il était raisonnable pour ce dernier de chercher à en savoir plus afin de s’assurer de la validité du billet soumis le 18 avril 2019 ainsi que d’un retour au travail qui ne nuirait pas à la santé de Mme Couillard, qui n’a pas confirmé avoir rencontré sa médecin avant l’émission de ce certificat médical. En conséquence, la Commission juge que le ministère a exercé adéquatement son droit de direction.
[153] D’autres éléments militent également pour le rejet du recours de Mme Couillard et, par le fait même, de ses réclamations afférentes.
[154] Le billet médical du 26 avril 2019 indique que Mme Couillard est apte au travail à partir de cette même date et non du 22 avril 2019 comme dans les deux précédents certificats médicaux qui ont été soumis au ministère. La Commission est d’avis qu’un billet médical plus récent doit primer sur ceux émis antérieurement par la même médecin.
[155] En outre, ce billet médical a été transmis au ministère par Mme Couillard le vendredi 26 avril 2019 à 17 h 24. Elle n’aurait donc pas pu travailler cette journée sur la base de ce nouveau billet. La Commission note que la réponse du ministère à la fin de la journée ouvrable suivante, pour indiquer que Mme Couillard peut effectuer un retour au travail à compter du mardi 30 avril 2019 et pour préciser certaines modalités et mesures relatives à ce retour, a été communiquée dans un délai raisonnable selon les circonstances de la présente affaire.
[156] Dans son recours, Mme Couillard critique aussi le refus par le ministère du billet médical du 15 avril 2019 prévoyant un retour progressif. À cet égard, la Commission note que l’article 8‑1.20 de la Convention collective énonce qu’un tel retour au travail peut uniquement s’effectuer après approbation de l’employeur.
[157] De plus, la durée d’une invalidité étant souvent imprévisible, il était raisonnable pour le ministère, à ce moment, de ne pas avoir encore établi et mis en place les mesures d’apaisement nécessaires pour permettre un retour au travail adéquat de Mme Couillard dans le contexte d’une enquête de harcèlement psychologique dans sa direction.
[158] Par ailleurs, cette employée allègue que des éléments contenus dans un document produit par le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), soit le Cadre de référence en gestion de l’invalidité et de la réintégration au travail, n’auraient pas été respectés par le ministère. Cependant, ce document de référence ne peut pas faire l’objet d’un recours à la Commission, en vertu de l’article 127 de la LFP, puisqu’il n’est pas visé par l’article 2 du Règlement.
[159] En somme, la Commission rejette le recours de Mme Couillard, contestant le refus du billet médical du 18 avril 2019, et, par le fait même, ses réclamations afférentes.
Transfert de Mme Couillard à la DARC
[160] Le 31 mai 2019, Mme Couillard dépose un appel en vertu de l’article 127 de la LFP. L’objet de son recours est la « [c]ontestation de la décision d’abolir [sa] fonction d’enquêteur interne ». Elle déplore son transfert à la DARC. Elle estime que cela « constitue à [son] égard une mesure de représailles ». En conséquence, elle « demande l’intervention de la Commission afin de corriger ce préjudice en ordonnant [sa] réintégration dans les fonctions d’enquêteur interne. »
[161] Les faits mis en preuve démontrent que Mme Couillard, un autre enquêteur de la DEAI ainsi qu’un poste vacant ont été transférés à la DARC en raison d’une réorganisation administrative. La Commission retient que ces deux employés ont été sélectionnés en fonction de l’expertise et de l’expérience des différents employés de la DEAI.
[162] Plusieurs éléments ont été pris en considération par le ministère pour en arriver à la décision de transférer des postes à la DARC comme la diminution du volume de certains types d’enquêtes à la DEAI.
[164] De plus, un des principaux motifs liés au transfert de Mme Couillard à la DARC est l’entrée en vigueur, le 25 janvier et le 25 mai 2019, de plusieurs dispositions de la Loi sur l’Autorité des marchés publics[30]. Cette loi institue l’Autorité des marchés publics (AMP), un organisme de surveillance en matière de contrats publics, dont la mission a un impact sur les activités d’enquête du ministère à cet égard. Parmi les dispositions de cette loi entrées en vigueur en 2019, on retrouve les articles 96 et 263 :
96. Cette loi [Loi sur les contrats des organismes publics[31]] est modifiée par l’insertion, après l’article 21.0.2, du chapitre suivant :
« CHAPITRE V.0.1.1
« DÉPÔT D’UNE PLAINTE AUPRÈS D’UN ORGANISME PUBLIC
« SECTION I
« PROCÉDURE
« 21.0.3. Un organisme public doit traiter de façon équitable les plaintes qui lui sont formulées dans le cadre de l’adjudication ou de l’attribution d’un contrat public. À cette fin, il doit se doter d’une procédure portant sur la réception et l’examen des plaintes.
L’organisme public rend cette procédure accessible sur son site Internet.
Pour être recevable, la plainte doit être transmise par voie électronique au responsable identifié dans cette procédure ou, à défaut, au dirigeant de l’organisme public. Dans le cas d’une plainte visée à l’article 21.0.4, la plainte doit être présentée sur le formulaire déterminé par l’Autorité des marchés publics en application de l’article 45 de la Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics (2017, chapitre 27).
[…]
263. Sous réserve des conditions de travail qui leur sont applicables et des conditions minimales d’embauche prévues à l’article 6, les employés ci-après deviennent, sans autre formalité, des employés de l’Autorité des marchés publics à compter du 25 janvier 2019 :
1° six employés du Commissaire à la lutte contre la corruption désignés par le commissaire qui, le 24 janvier 2019, peuvent agir comme enquêteur en vertu de l’article 14 de la Loi concernant la lutte contre la corruption (chapitre L‑6.1);
2° tous les employés du ministère des Transports qui, le 24 janvier 2019, occupent un poste de vérificateur interne affecté aux directions territoriales ou un poste d’enquêteur affecté plus particulièrement aux dossiers en lien avec la gestion contractuelle au sein de la Direction des enquêtes et de l’audit interne;
3° tous les employés du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire qui, le 24 janvier 2019, occupent un poste au sein du Service de la vérification – équipe Montréal;
4° trois employés du secrétariat du Conseil du trésor désignés par le secrétaire de ce conseil qui, le 24 janvier 2019, sont affectés plus particulièrement aux dossiers en lien avec l’application des dispositions des chapitres V.1 et V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C‑65.1).
Les employés transférés à l’Autorité en vertu du premier alinéa conservent les mêmes conditions de travail.
[165] Un extrait du site Web de l’AMP, déposé en preuve, permet de bien comprendre l’impact de ce nouvel organisme sur les enquêtes et la surveillance réalisées par le ministère en matière contractuelle :
À propos
L’Autorité des marchés publics (AMP) est un organisme gouvernemental neutre et indépendant qui a comme principal rôle la surveillance des marchés publics et I'application des lois et des règlements encadrant les contrats publics au Québec. Son rôle de surveillance vise le secteur public, les réseaux de la santé et de l’éducation, les sociétés d’État et les organismes municipaux.
[…]
L’AMP a pour mission de surveiller I’ensemble des contrats publics, notamment la conformité des processus d’adjudication et d’attribution de ces contrats. Elle a comme rôle de traiter les plaintes déposées dans le cadre de contrats publics, ainsi que des renseignements reçus du public et qui sont pertinents à son mandat. Elle est également responsable du Registre des entreprises autorisées à contracter et à sous-contracter (REA) et du Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (RENA). La Loi sur I'Autorité des marchés publics confère à I'AMP divers pouvoirs. Parmi ceux-ci, les pouvoirs de vérification et d’enquête permettent à l’AMP selon le cas, de rendre des ordonnances, de formuler des recommandations ou encore de suspendre ou de résilier un contrat.
[…]
Quelques dates importantes :
[…]
[…]
[Transcription textuelle; caractères gras et soulignement dans le texte original]
[166] L’entrée en vigueur des mandats de l’AMP en 2019 a mené le ministère à réorganiser administrativement les directions responsables des enquêtes et de la surveillance en matière contractuelle. Dans l’intérêt de l’organisation, il a été décidé de regrouper les activités relatives aux contrats publics au sein d’une seule direction.
[167] C’est dans ce contexte que Mme Couillard a été transférée à la DARC. La Commission souligne que son bureau est alors demeuré dans le même immeuble et qu’elle a simplement changé d’étage. Elle a également conservé la classe d’emplois no 105, agente de recherche et de planification socio-économique.
[168] Comme la Commission l’a énoncé dans la section portant sur la plainte de harcèlement psychologique, les divers éléments soulevés par Mme Couillard pour critiquer ce transfert ne prouvent pas, selon la règle de la balance des probabilités, que le ministère ait agi de manière abusive. Malgré ses allégations par rapport à ce transfert, cette employée n’a pas non plus démontré de manière prépondérante qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée ou de représailles.
[169] Ce transfert constitue une affectation, soit une mesure administrative en matière de dotation.
[170] L’article 6‑8.08 de la Convention collective, qui s’applique en l’adaptant à Mme Couillard conformément à l’article 14 de la Directive, prévoit que le ministère peut procéder à l’affectation d’un employé :
6‑8.08 Lorsque, pour des raisons autres que celles donnant ouverture à la stabilité d’emploi définie à la section 5-3.00, la ou le sous-ministre doit procéder à l’affectation de l’employée ou de l’employé pour des raisons de répartition du travail ou de besoins du service, elle ou il prend les mesures nécessaires pour l’affecter d’abord à un emploi vacant situé à l’intérieur d’un rayon de cinquante (50) kilomètres de son port d’attache ou de son lieu de résidence. S’il n’y a pas d’emploi vacant dans ce rayon ou si l’employée ou l’employé n’est pas qualifié pour remplir ceux qui s’y trouvent, la ou le sous-ministre peut l’affecter à un emploi situé à l’extérieur de ce rayon.
[172] L’affectation, incluant celle imposée par l’employeur, est un des modes de dotation utilisés dans la fonction publique. Elle permet de pourvoir un poste au sein d’un même ministère ou organisme.
[173] Par ailleurs, l’affectation ne fait pas partie des mesures administratives mentionnées à l’article 33 de la LFP. Elle ne peut donc pas être contestée conformément à cette disposition :
33. Un fonctionnaire non régi par une convention collective peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant :
1o de son classement lors de son intégration à une classe d’emplois nouvelle ou modifiée;
2o de sa rétrogradation;
3o de son congédiement;
4o d’une mesure disciplinaire;
5o qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.
Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée.
[…]
[175] La Commission souligne qu’elle est un tribunal administratif qui n’a qu’une compétence d’attribution. Elle ne peut donc exercer que la compétence qui lui est accordée expressément par le législateur[32] :
[…]
À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus. […]
La portée de l’intervention du tribunal administratif et par conséquent l’étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal. […]
Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu’en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions – notamment de délai – il peut être introduit […].
[…]
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
REJETTE la plainte de harcèlement psychologique de Mme Kathy Couillard déposée en vertu de l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail;
REJETTE le recours de Mme Kathy Couillard, déposé conformément à l’article 127 de la Loi sur la fonction publique, contestant le refus par le ministère des Transports et de la Mobilité durable du billet médical soumis le 18 avril 2019;
DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le recours de Mme Kathy Couillard, déposé en vertu de l’article 127 de la Loi sur la fonction publique, contestant son transfert à la Direction générale de la surveillance des marchés et de l’application des règles contractuelles.
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Original signé par : | |
| __________________________________ Mathieu Breton
| |
Mme Kathy Couillard | ||
Partie demanderesse | ||
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Me Jean‑François Dolbec | ||
Procureur du ministère des Transports et de la Mobilité durable | ||
Partie défenderesse | ||
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Me Jonathan Garneau | ||
Procureur de M. Martin St‑Louis | ||
Partie intervenante | ||
| ||
Audience tenue par visioconférence | ||
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Dates de l’audience : | 10 septembre 2021, 15 et 21 octobre 2021, 19 et 25 novembre 2021, 1er décembre 2021, 22 février 2022, 22 mars 2022, 7 avril 2022, 9, 25, 26 et 31 mai 2022, 1er juin 2022, 1er, 2, 8, 9, 10, 21, 22 et 29 novembre 2022, 13 et 17 février 2023, 16, 29 et 30 mars 2023, 11 et 25 avril 2023 | |
[1] RLRQ, c. F-3.1.1.
[2] Anciennement appelé « ministère des Transports ».
[3] RLRQ, c. N-1.1.
[4] Couillard et Ministère des Transports, 2021 QCCFP 14.
[5] Desbiens et Secrétariat du Conseil du trésor, 2018 QCCFP 15, par. 313-316.
[6] Tremblay et Directeur général des élections du Québec, 2020 QCCFP 30, par. 38-44.
[7] Bouchard et Ministère des Transports, 2020 QCCFP 19, par. 197-200.
[8] Gosselin et Secrétariat du Conseil du trésor, 2021 QCCFP 20, par. 48 et 50-56.
[9] A et Compagnie A, 2012 QCCRT 150, par. 148-150.
[10] Desbiens et Secrétariat du Conseil du trésor, préc., note 5, par. 314.
[11] Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) et Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières (Syndicat des infirmières et infirmiers Mauricie/Cœur‑du‑Québec), (Lisette Gauthier), 2006 CanLII 91865 (QC SAT), par. 164-181.
[12] Bangia c. Nadler Danino S.E.N.C., 2006 QCCRT 419, par. 95-102.
[13] Barrenechea c. 9186-1963 Québec inc., 2009 QCCRT 435, par. 35.
[14] Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) et Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières (Syndicat des infirmières et infirmiers Mauricie/Cœur‑du‑Québec), (Lisette Gauthier), préc., note 11, par. 186.
[15] Bangia c. Nadler Danino S.E.N.C., préc., note 12, par. 96.
[16] Syndicat de l’enseignement de la Rivière-du-Nord et Commission scolaire de la Rivière-du-Nord (Frédéric Bacon), 2016 CanLII 58962 (QC SAT), par. 117-120.
[17] Lefrançois et Ministère de la Cybersécurité et du Numérique, 2022 QCCFP 23, par. 76.
[18] Verreault et Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, 2022 QCCFP 14, par. 83-84; cette décision a été confirmée en révision (Verreault et Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, 2023 QCCFP 2).
[19] Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) et Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières (Syndicat des infirmières et infirmiers Mauricie/Cœur-du-Québec), (Lisette Gauthier), préc., note 11, par. 186.
[20] Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) et Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières (Syndicat des infirmières et infirmiers Mauricie/Cœur‑du‑Québec), (Lisette Gauthier), préc., note 11, par. 226-229.
[21] Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle – Démêler le vrai du faux, Édition Pocket, Paris, 2001, p. 26-28.
[22] Bangia c. Nadler Danino S.E.N.C., préc., note 12, par. 108.
[23] Syndicat de la fonction publique et Québec (Gouvernement du), (M. K.), 2010 CanLII 102249 (QC SAT), par. 290, 316 et 317.
[24] Syndicat de la fonction publique et Québec (Gouvernement du), (M. K.), 2010 CanLII 102249 (QC SAT), par. 317.
[25] Depuis le 1er janvier 2016, le Tribunal administratif du travail est substitué à la Commission des relations du travail.
[26] Breton c. Compagnie d’échantillons National ltée, 2006 QCCRT 601, par. 150.
[27] RLRQ, c. M‑28.
[28] RLRQ, c. F‑3.1.1, r. 5.
[29] C.T. 203262 du 31 janvier 2006 et ses modifications.
[30] RLRQ, c. A‑33.2.1.
[31] RLRQ, c. C‑65.1.
[32] Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale – Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421-423.
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