Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

R. c. Roussin-Bizier

2025 QCCQ 64

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

« Chambre criminelle et pénale »

 :

200-01-252155-225 (002)

 

 

 

 

 

DATE :

 23 janvier 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SARAH-JULIE CHICOINE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

LE ROI

Poursuivant

 

c.

MARTIN ROUSSIN-BIZIER

           Délinquant

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR LA PEINE

______________________________________________________________________

***Afin d’alléger le texte et sans intention de manquer de respect à quiconque, le Tribunal omet les formules de politesse habituelles telles Madame ou Monsieur.***

INTRODUCTION

  1.                 Au terme d’un procès, le délinquant a été déclaré coupable de deux agressions sexuelles commises envers M... Q... et R... C..., deux jeunes femmes âgées respectivement de 19 et 18 ans. Patrick Toussaint, son cousin et coaccusé, a pour sa part été déclaré coupable de voies de fait graves contre F... B....

LE CONTEXTE

  1.                 Le jugement du 11 janvier 2024 expose les faits et l'analyse qui ont conduit le Tribunal à déclarer les accusés coupables des infractions reprochées. Bien que tous ces éléments ne soient pas répétés dans le présent jugement, ils sont considérés comme en faisant partie intégrante. Les éléments essentiels découlant du procès se résument ainsi.
  2.                 Pendant la journée du 10 septembre 2022, les deux délinquants se rendent dans la région de Québec afin de célébrer « l’enterrement de vie de garçon » de Roussin-Bizier qui doit se marier dans les semaines suivantes.
  3.                 En soirée, accompagnés d’un ami, les délinquants décident d’aller faire une virée dans les bars de la rue St-Joseph. Pour l’occasion, Roussin-Bizier est déguisé en femme. Avec son costume, il attire les regards.
  4.                 En se promenant, s’arrêtant pour jaser et prendre des photos avec des personnes qu’il ne connait pas, Roussin-Bizier commet d’abord des attouchements sexuels non consensuels sur M... Q..., en lui empoignant une fesse, en touchant son entrejambe puis en lui prenant un sein. Quelques minutes plus tard, il prend R... C... par les hanches, la tire vers lui et appuie ses fesses sur son pénis. Le contact est court et léger. Elle lui demande d’arrêter. Il s’exécute puis recommence le même manège.
  5.                 Informé de la situation, B..., un ami des plaignantes, se dirige vers les trois hommes et interpelle Roussin-Bizier. Le délinquant Toussaint tente de calmer la situation. S’ensuit une vive discussion pendant laquelle Roussin-Bizier fait un commentaire déplacé portant sur les jambes de M... Q.... B... rétorque en lui donnant un coup de poing au visage qui le fait pivoter sur 180 degrés. Voulant défendre son cousin, le délinquant Toussaint réagit rapidement et, avec une force excessive, assène un coup de canne sur la tête de B... qui lui faisait dos.
  6.                 La victime s’écroule immédiatement au sol, visiblement inconsciente.
  7.                 Les délinquants et leur ami quittent les lieux en courant. Toussaint se débarrasse de sa canne en la lançant à l’intérieur d’un chantier de construction délimité par une clôture.

LA POSITION DES PARTIES

  1.                 Le poursuivant soutient que les critères de dénonciation et de dissuasion commandent l’imposition d’une peine de 12 mois d’emprisonnement, au terme de laquelle le délinquant devrait respecter plusieurs conditions contenues dans une ordonnance de probation d’une durée de 3 ans.
  2.            Au soutien de son argumentation, le poursuivant rappelle au Tribunal les principes qui se dégagent de l’arrêt Friesen[1], en plus de soumettre les arrêts Houle[2], Lemieux[3], Venne[4] et la décision Tremblay[5].
  3.            La défense, quant à elle, souligne l’absence d’antécédents judiciaires du délinquant. N’eut été du nombre de victimes qui s’élèvent à deux, elle aurait demandé au Tribunal d’absoudre le délinquant. Faisant ressortir les facteurs atténuants propres au présent dossier, elle estime que le Tribunal devrait surseoir au prononcé de la peine et placer le délinquant sous probation pour une période minimale d’une année pendant laquelle il aurait l’obligation d’effectuer des travaux communautaires et de verser un montant d’argent à un organisme de charité. Si tant est qu’une peine de détention devait être imposée, la défense soumet que le délinquant devrait pouvoir la purger dans la collectivité ou, subsidiairement, de façon discontinue. 
  4.            Afin de soutenir sa position, la défense soumet un tableau recensant plusieurs jugements sur la peine en matière d’agressions sexuelles.
  5.            L’ordonnance en lien avec la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels[6] fait l’objet d’un litige. Le poursuivant réclame que le délinquant soit contraint de s’y soumettre pendant une période de 20 ans alors que la défense s’y oppose. Avec l’accord des parties, cette question sera débattue ultérieurement.
  6.            Le Tribunal doit maintenant imposer la peine juste et appropriée au délinquant Roussin-Bizier eu égard aux circonstances.

LES CONSÉQUENCES SUR LES VICTIMES

  1.            Outre les conséquences inhérentes à ce type d’infractions, le Tribunal ne dispose d’aucune information concernant la victime R... C....
  2.            À l’audience, M... Q... a lu une lettre dans laquelle elle énumère les nombreuses conséquences résultant de l’agression dont elle a été victime. Certaines d’entre-elles perturbent encore son quotidien.
  3.            À la suite des événements, M... Q... s’est sentie salie, honteuse et humiliée. Elle vit désormais avec un sentiment d’inconfort, se sentant prise et étouffée. Elle ressent un malaise lorsqu’on la touche.
  4.            Elle est moins motivée, s’isole, ne se sent plus en sécurité, éprouve des difficultés de concentration et elle fait des crises d’anxiété. Son sommeil est perturbé par des cauchemars. Cette nouvelle réalité a eu des impacts sur sa scolarité.
  5.            Enfin, elle craint les représailles ou la récidive des délinquants.

LA SITUATION DU DÉLINQUANT

  1.            Le délinquant est âgé de 42 ans. Il est en couple avec sa conjointe depuis 2005. Ils sont les parents de deux garçons âgés de 16 et 14 ans. En 2020, le cadet fut victime d’un accident de motocross le laissant lourdement handicapé, tant au niveau physique qu’intellectuel.
  2.            Après avoir été formellement accusé dans le présent dossier, le délinquant a été suspendu de son poste à titre de conseiller aux ventes chez un concessionnaire de voitures. Après la déclaration de culpabilité, il a perdu son emploi. Sa suspension puis son congédiement ont significativement affecté ses revenus à la baisse.
  3.            À la suite de son arrestation, il a été détenu provisoirement pendant 6 jours.
  4.            Suivant les événements, il a consulté un médecin en raison de douleurs à la mâchoire qui ont perduré pendant quelques jours. Il éprouvait aussi des maux de tête, de la nausée et des étourdissements.
  5.            Il prend de la médication afin de traiter ses crises d’anxiété et son insomnie. Le processus judiciaire est une source de stress. Il évite les rassemblements dans lesquels se trouvent des personnes inconnues. Son cercle d’amis est désormais restreint.
  6.            À ce jour, il travaille à temps complet, toujours dans le domaine de la vente automobile. Son lieu de travail est situé loin de sa résidence et il doit composer avec une baisse de salaire importante. Financièrement, le couple a besoin des deux revenus pour boucler le budget familial.
  7.            Les conditions qu’il a dû respecter à la suite de sa mise en liberté telles que l’interdiction de se rendre dans le district judiciaire de Québec ont été contraignantes.

QUELQUES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

  1.            Le prononcé d’une peine vise à protéger la société et contribuer à la prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

 

  1.            Dans l’arrêt Lacasse[7], la Cour suprême du Canada rappelle que la proportionnalité et l’individualisation sont des principes cardinaux dans l’application des objectifs prévus par les articles 718 et suivants du Code criminel (Ci-après C.cr.), lesquels précisent notamment que la peine vise à dénoncer, dissuader, isoler les délinquants, assurer leur réinsertion sociale et susciter la conscience de leur responsabilité par la reconnaissance et la réparation des torts qu’ils ont causés.
  2.            Une peine juste et appropriée doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité et de culpabilité morale du délinquant, tout en tenant compte des principes d’individualisation, d’harmonisation et de modération. Elle doit tenir compte des facteurs aggravants et atténuants.
  3.            Lorsque les circonstances le justifient, le législateur prévoit, avant d'envisager la privation de liberté, l'obligation d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes (art. 718.2 d) C.cr.). Il doit aussi examiner les peines substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité (art. 718.2 e) C.cr.).
  4.            Si une peine de détention s’impose, l’arrêt Parent[8] rappelle aux juges d’instance leur devoir d’envisager sérieusement la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à l'emprisonnement lorsque les conditions préalables prévues à la loi sont réunies.

LES FACTEURS À CONSIDÉRER

  1.            Pour établir la responsabilité morale du délinquant, le Tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances entourant la commission des infractions.
  2.            Dans R. c. L. (J.-J.)[9], la Cour d'appel énumère une liste de facteurs permettant de mesurer la responsabilité pénale d'un délinquant concernant des infractions d'ordre sexuel. En résumé, les facteurs à considérer sont les suivants :

-          L’usage de menace, violence, contrainte psychologique, manipulation;

-          La fréquence et durée des infractions;

-          La situation d’abus de confiance ou d’autorité;

-          Les désordres sous-jacents à la commission de l’infraction (détresse psychologique, déviance, intoxication);

-          Les condamnations antérieures;

-          Le comportement postérieur (implication dans les programmes de

réadaptation, remords, etc);

-          Les facteurs tels l’âge, l’intégration sociale et professionnelle;

-          Les conséquences chez la victime.

  1.            À partir des principes exposés plus haut et de la preuve présentée lors des observations sur la peine, le Tribunal retient plus particulièrement les facteurs aggravants et atténuants suivants.

 

  1.                 Les facteurs aggravants
  1.            Dans la présente affaire, parmi les facteurs aggravants, notons :

-         Le nombre de victimes (2), ce qui implique une répétition des gestes criminels;

-         Le non-respect de la volonté de R... C... qui intime au délinquant de cesser son comportement;

-         Les séquelles importantes qui accablent M... Q....

  1.            Naturellement, M... Q... fait un lien entre le crime dont elle a été victime et l’agression subie subséquemment par son ami F... B.... Bien qu’elle n’ait pas à assumer la responsabilité de cette agression, elle ressent tout de même de la culpabilité. Le Tribunal comprend son état d’esprit, mais précise que les sérieuses conséquences attribuables aux gestes commis par Toussaint ne peuvent être considérées comme un facteur aggravant dans la situation du délinquant Roussin-Bizier.
  2.            Le même raisonnement s’applique concernant les propos déplacés qu’a tenus le délinquant Roussin-Bizier dans les secondes précédant le coup qu’il a reçu de F... B.... En soi, la teneur de ces propos démontre à quel point le délinquant banalise les gestes qu’il vient de poser, en plus d’être méprisant envers M... Q.... Par ailleurs, ce commentaire ne va pas jusqu’à faire porter au délinquant Roussin-Bizier la responsabilité de l’agression subséquente commise par Toussaint. Certes, les propos du délinquant Roussin-Bizier ont provoqué l’enchaînement des événements malheureux survenus pendant cette soirée, mais à ce moment, il ne pouvait savoir que son cousin réagirait de la sorte.

B) Les facteurs atténuants

 

-          L’absence de préméditation;

-         Le délinquant bénéficie d’un réseau familial composé notamment de sa conjointe qui le supporte;

-         Il a toujours été actif au niveau de l’emploi;

-         Il n’a pas d’antécédents judiciaires;

-         Le processus judiciaire a eu un effet dissuasif.

  1.            En l’absence de rapport présentenciel ou de toute autre forme d’expertise, le Tribunal ne dispose que de peu d’informations quant au risque de récidive du délinquant.
  2.            Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit pour lui d’un premier passage dans le système de justice criminelle. Il est âgé de 44 ans et ne fait l’objet d’aucune cause pendante. La criminalisation de ses comportements et le stigmate rattaché au procès et à sa condamnation constituent des éléments qui participent à l’effet dissuasif.
  3.            Pour ces raisons, le Tribunal considère que le risque de récidive est faible.
  4.            En plus des facteurs aggravants et atténuants déjà mentionnés, le Tribunal tient compte des facteurs pertinents suivants :

-          L’affaire a fait l’objet d’une importante médiatisation qui a eu des impacts sur la vie du délinquant et de ses proches;

-          Il a été soumis à des conditions restrictives à la suite de sa mise en liberté[10].

  1.            Il est évident pour le Tribunal qu’on ne peut reprocher au délinquant d'avoir exigé la tenue de son procès. L'absence de plaidoyer de culpabilité ne peut être considérée à titre de facteur aggravant susceptible de justifier une peine plus sévère que celle qui serait autrement appropriée en pareilles circonstances. Il s’agit plutôt d’un facteur neutre[11].

JURISPRUDENCE EN SEMBLABLE MATIÈRE ET ANALYSE

  1.            Les peines imposées afin de sanctionner l'infraction d’agression sexuelle se situent dans un registre très vaste, pour d'évidentes raisons qui s’expliquent par les différences factuelles propres à chaque situation, que ce soit en raison notamment de la nature des gestes posés, des circonstances de la commission de l'infraction, de la personne du délinquant et du lien qu’il entretient avec la victime.
  2.            L’infraction d’agression sexuelle est passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans.
  3.            En 2020, l’arrêt Friesen[12] de la Cour Suprême rappelait que toutes les formes de violences sexuelles, y compris celles faites aux adultes, sont moralement blâmables précisément parce qu'elles comportent l'exploitation illicite par le délinquant de la victime, en la traitant comme un objet et en faisant fi de sa dignité humaine. Il se dégage de cet arrêt que les principes sentenciels en cette matière doivent être mis à niveau et les peines prononcées devraient être plus sévères.
  4.            La proportionnalité demeure le principe directeur qui mène à une sanction équitable. La dénonciation et la dissuasion doivent être privilégiées pour ces crimes, mais le Tribunal ne doit pas punir uniquement le crime ou l’auteur, sans égard aux autres critères codifiés aux articles 718 et suivants C.cr. Il est à la recherche d’une peine juste.
  5.            Tel que mentionné dans l’arrêt Lemieux[13] :

[78] Toute violence sexuelle, même sans pénétration, demeure extrêmement grave et il faut donc éviter de réduire l'importance du préjudice causé à la victime en accordant un trop grand poids à la nature physique des gestes posés par le délinquant par rapport à ses conséquences. Il n'existe pas de véritable hiérarchie entre les actes de violence sexuelle et il est donc « erroné de tenir pour acquis qu'une agression comportant des attouchements est intrinsèquement moins intrusive qu'une agression au cours de laquelle il y a eu fellation, cunnilingus ou pénétration » […].

  1.            Le Tribunal a pris connaissance des décisions soumises par les parties. Sans qu’il soit nécessaire de passer en revue chacune d’entre elles, l'exercice de comparaison demeure cependant utile. Cet exercice présente tout de même des limites compte tenu du principe de l'individualisation de la peine et des différences factuelles propres à chaque situation.
  2.            Parmi les décisions répertoriées par la défense, certaines situations se rapprochent de celle en l’espèce.
  3.            Entre autres, dans l’affaire Rhouma[14], la Cour prononce une absolution conditionnelle. L’accusé admet s’être livré à des attouchements sexuels sur des femmes qu’il croisait dans des stations de métro. Les conséquences du crime qui accablent les quatre victimes sont importantes : réticence à utiliser les transports en commun, honte, hypervigilance et méfiance envers autrui. L’accusé n’avait aucun antécédent judiciaire. La preuve sur le risque de récidive est contradictoire : les experts estiment le risque comme étant faible alors que les tests standardisés auxquels l’accusé fut soumis indiquent qu’il représente un risque de récidive supérieur à la moyenne.
  4.            Dans le dossier Sornin[15], l’accusé invite une amie à souper. Vers la fin de la soirée, alors qu’elle lui fait dos, l’accusé s’approche de la victime et place ses mains sur ses épaules. Il l’enlace par-derrière, met sa bouche sur son cou et empoigne ses seins sous ses vêtements. En faisant un mouvement de va-et-vient, il émet des sons de plaisir. Il tente de l’embrasser avec insistance sur la bouche, puis sur les seins et malgré qu’elle le repousse, il descend sa main vers son entrejambe. Après quelques minutes, elle lui permet de mettre sa bouche sur un de ses seins, puis lui demande d’arrêter. Le juge retient un contexte d’acharnement et l’existence d’une relation de confiance entre l’accusé et la victime. Considérant que l’accusé n’a pas d’antécédent judiciaire, qu’il a plaidé coupable, qu’il exprime des remords et que le risque de récidive est faible, le Tribunal sursoit au prononcé de la peine pour une période de 3 ans. Il ordonne à l’accusé d’effectuer 200 heures de travaux communautaires et un don de 5000$ à un organisme. 
  5.            En l’espèce, afin de soutenir sa position, la poursuite insiste sur les conséquences graves qui affligent M... Q.... Elle plaide, à juste titre, que depuis l’arrêt Friesen[16], les tribunaux doivent mettre l’emphase sur le « préjudice émotionnel et psychologique des infractions sexuelles » plutôt que de se concentrer sur la nature de l’acte prohibé.
  6.            Conséquemment, la poursuite réclame une peine de 12 mois d’emprisonnement, précisant que les critères de dissuasion et de dénonciation doivent primer. Elle est d’avis que l’emprisonnement dans la collectivité ne peut être envisagé puisque seule une peine de détention ferme convient afin d’exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant.
  7.            Avec égards, même en priorisant les critères de dénonciation et de dissuasion, la peine réclamée par la poursuite est excessive puisqu’elle ne tient pas compte du fait que le comportement du délinquant se situe au bas de l’échelle de gravité des agressions sexuelles. Au surplus, dans les arrêts soumis par la poursuite, le facteur aggravant de l’abus de confiance occupe une place considérable dans la détermination de la peine, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Enfin, les exigences de la proportionnalité doivent être « calibrées » en regard des peines infligées dans des cas semblables[17].
  8.            À titre comparatif avec le présent dossier, dans la décision Akra[18], l’accusé, un homme sans antécédent judiciaire, a plaidé coupable à cinq chefs d’agression sexuelle, trois chefs de tentative d’agression sexuelle et un chef d’omission de se conformer à ses conditions de mise en liberté. Les huit victimes, dont deux étaient mineures, sont des personnes inconnues de l’accusé. Dans des endroits publics, ce dernier s’approchait furtivement près des victimes pour les toucher au niveau des fesses, des cuisses, des hanches, de l’entrejambe, de la vulve ou des seins avant de s’enfuir au pas de course. Treize mois se sont écoulés entre la première et la huitième agression ou tentative d’agression. Siégeant alors en appel, l’honorable Yvan Poulin de la Cour supérieure maintient la peine de 12 mois de détention prononcée par le juge d’instance.
  9.            Malgré une certaine similarité dans la nature des gestes posés, force est de constater qu’il existe des distinctions importantes avec la situation sous étude. Dans l’affaire Akra[19], le nombre de victimes est plus important, la période infractionnelle est plus étendue, il y a 2 victimes mineures et certains des gestes délictuels sont davantage intrusifs.
  10.            Dans une autre affaire, en décembre 2024, le juge Patrick Healy de la Cour d’appel a rappelé qu’il est impératif que les peines prononcées en matière d’agression sexuelle accordent une grande importance aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Il ajoute qu’une peine proportionnelle en cette matière comportera généralement une privation importante de liberté. Toutefois, celle-ci ne prendra pas inévitablement la forme d’un emprisonnement dans un établissement carcéral puisque le principe de modération dicte qu’un délinquant ne devrait pas être coupé de la société sauf lorsque nécessaire[20].

 

  1.            En janvier 2025, dans l’arrêt Casavant, la Cour d’appel, insistant sur l’importance du principe de la proportionnalité, a modifié la peine de 18 mois d’emprisonnement ferme infligé par le juge d’instance en une peine d’une durée équivalente à purger dans la collectivité. Le juge Vauclair mentionne qu’en 2022, le législateur, en rouvrant la possibilité de recourir à l’emprisonnement avec sursis pour les peines en matière d’agression sexuelle, envoie le message que sans être moins sévère dans l’approche de la peine, il faut réfléchir autrement, même pour des crimes graves[21].
  2.            En pondérant l’ensemble des circonstances pertinentes au présent dossier, le Tribunal estime que la peine doit tenir compte du profil positif du délinquant, un homme sans antécédent, ayant commis deux agressions sexuelles qui se situent au bas de l’échelle de la gravité pour ce type de crime.
  3.            Malgré ceci, le sursis de peine réclamé par la défense n’est pas approprié en raison du nombre de victimes, de l’insistance du délinquant auprès de R... C..., des propos qu’il a postérieurement tenus, banalisant les gestes qu’il venait de poser et des conséquences vécues par M... Q....
  4.            En conséquence, le Tribunal considère qu’une peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité satisfait les objectifs pénologiques, particulièrement au point de vue de la dénonciation, de la dissuasion, de la modération et de la réparation du tort causé aux victimes et à la société. 
  5.            Cette peine de détention rencontre les critères permettant qu’elle soit purgée dans la collectivité puisque sa durée est inférieure à 2 ans et que le Tribunal estime que le délinquant ne présente aucun danger apparent pour la société.
  6.            Quant à sa sévérité, le Tribunal rappelle les enseignements de l’arrêt Proulx[22] selon lesquels ce type de peine peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif en assujettissant le délinquant à des mesures de contrôle serrées.

POUR TOUS CES MOTIFS, le Tribunal :

  1.            CONDAMNE le délinquant à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée de 6 mois aux conditions suivantes :

1. Ne pas troubler l'ordre public et avoir une bonne conduite;

2. Répondre aux convocations du tribunal;

3. Se présenter à l'agent de surveillance à compter de ce jour et par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixées par l'agent de surveillance;

4. Rester dans la province de Québec, sauf permission écrite d'en sortir du tribunal ou de l'agent de surveillance;

5. Prévenir le tribunal ou l'agent de surveillance de ses changements d'adresse ou de nom et aviser rapidement de ses changements d'emploi ou d'occupation;

6. S'abstenir de communiquer directement ou indirectement avec M... Q..., R... C... et F... B...;

7. S'abstenir de se trouver à tout endroit où peuvent demeurer M... Q..., R... C..., et F... B... et ce, quelle qu'en soit l'adresse;

8. S'abstenir de se trouver au lieu de travail ou d'études de M... Q..., R... C... et F... B...;

9. S'abstenir d'être en présence physique de M... Q..., R... C... et F... B...;

10. S'abstenir de posséder, de porter à quelque titre que ce soit des armes offensives ou à usage restreint, ou des imitations d'armes, y compris des pistolets de départ et des pistolets à plomb, des armes à feu, des arbalètes, des armes prohibées, des armes à autorisation restreinte, des dispositifs prohibés, des munitions, des munitions prohibées ou des substances explosives, des couteaux, sauf dans un but légitime, et des armes blanches;

11. Être présent à l'intérieur de sa résidence en tout temps pour les 3 premiers mois sous réserve des exceptions suivantes :

11.1 Pour rencontrer son agent de surveillance à la suite d'un rendez-vous préétabli;

11.2 Pour traitement médical pour lui-même ou pour un membre de sa famille immédiate;

11.3 Pour l'achat de nourriture, de biens ou de services nécessaires pour lui-même ou pour un membre de sa famille immédiate pendant une période de 3 heures par semaine, au moment qui sera déterminé à l’audience;

11.4 Pour exécuter 100 heures de travaux communautaires dans un délai de 4 mois;

11.5 Pour occuper un travail légitime et rémunéré, tel qu'approuvé par l'agent de surveillance;

11.6 Pour tout motif sérieux et/ou urgent suivant une autorisation écrite préalable de l'agent de surveillance;

 

12. Être présent à l'intérieur de sa résidence entre 22 h et 7 h pour le reliquat de l’ordonnance d’emprisonnement avec sursis;

13. Dans un délai de 10 jours, se munir d'une ligne téléphonique fixe et en assurer le maintien;

15. Répondre à tous les appels téléphoniques provenant de l'agent de surveillance durant les périodes de couvre-feu ou d'assignation à résidence et prendre les dispositions nécessaires pour être en mesure de le faire;

16. Ne pas être abonné à un service de transfert d'appels;

17. Faciliter l'accès à sa résidence à l'agent de surveillance;

18. Suivre toute directive écrite de l'agent de surveillance relative à l'application des conditions de l'ordonnance d'emprisonnement avec sursis;

19. S'abstenir de consommer de l'alcool ou d'en avoir en sa possession;

20. S'abstenir de consommer des drogues ou d'en avoir en sa possession sauf sur ordonnance médicale validement obtenue;

21. S’abstenir de consommer du cannabis et ses dérivés ou d’en avoir en sa possession.

  1.            IMPOSE au délinquant une période de probation d’une durée de 2 ans. En plus des conditions obligatoires, le délinquant devra respecter les conditions suivantes :

-         Interdiction de communiquer directement ou indirectement de quelque façon que ce soit avec M... Q..., R... C... et F... B...;

-         Interdiction d’être en présence physique de M... Q..., R... C... et F... B...;

-         Interdiction de se trouver au domicile, au lieu de travail ou au lieu d’études de M... Q..., R... C... et F... B...;

  1.            AUTORISE le prélèvement d’échantillons de substances corporelles sur le délinquant aux fins d’analyse génétique, conformément à l’article 487.051 C.cr
  2.            INTERDIT au délinquant d’avoir en sa possession certaines catégories d’armes à feu, arbalètes, armes à autorisation restreinte, munitions et substances explosives pour une période de 10 ans et à perpétuité pour les autres catégories d’armes prohibées et à autorisation restreintes, conformément à l’article 109 C.cr.
  3.            Tel que mentionné précédemment, la question de l’inscription au Registre des délinquants sexuels sera tranchée ultérieurement.

 

 

__________________________________

SARAH-JULIE CHICOINE, J.C.Q.

 

 

Me Chloé Émond

Procureure aux poursuites criminelles et pénales

 

 

Me Caroline Gravel

Procureure du délinquant

 

 

Date d’audience :

 

 

21 et 22 octobre 2024

 


[1]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9.

[2]  R. c. Houle, 2023 QCCA 99.

[4]  Venne c. Le Roi, 2024 QCCA 1101.

[5]  Tremblay c. Le Roi, 2024 QCCS 2538.

[6]  Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, ch. 10.

[7]  R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.

[8]  Parent c. La Reine, 2021 QCCA 1898.

[9]  R. c. C.L. (J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC CA).

[10]  Sanon c. La Reine, 2018 QCCA 892, par. 8.

[11] Gavin c. La Reine, 2009 QCCA 1, par. 24-29.

[12]  R. c. Friesen, préc., note 1, par. 89

[13]  Lemieux c. Le Roi, 2023 QCCA 480.

[14]  R. c. Rhouma, 2023 QCCQ 623.

[15]  R. c. Sornin, 2024 QCCQ 45.

[16]  R. c. Friesen, par. 142-144, préc., note 1.

[17]  R. c. Houle, par. 36, préc., note 2.

[18]  Akra c. Le Roi, 2024 QCCS 2972.

[19]  Id.

[20]  R. c. Aubie, 2024 QCCA 1677, par. 71.

[21]  Casavant c. Le Roi, 2025 QCCA 20, par. 65.

[22]  R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 41.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.