[1] En février 2013, l'intimée congédie l'un de ses professeurs, à qui elle reproche d'avoir plagié l'œuvre d'autrui[1] dans un livre dont il est l'auteur. Ce congédiement a été précédé d’une suspension avec solde imposée pendant la durée de l'enquête à laquelle l'intimée a procédé après avoir été informée de la possibilité d'un plagiat.
[2] Le requérant, au nom du salarié, dépose un premier grief, contestant la suspension. Un second suivra, à l'encontre du congédiement.
[3] Le 10 avril 2014, l'arbitre mis en cause rejette le grief en ce qui concerne la suspension, mais l'accueille partiellement en ce qui concerne le congédiement. L'arbitre constate en effet que le salarié a bel et bien fait usage, dans son propre texte, de phrases empruntées aux ouvrages de deux autres professeurs, et ce, sans mentionner le nom de ces derniers ni la source des emprunts, en vue « que ses lecteurs croient qu'il en était l'auteur »[2]. Cela, qui est du plagiat, constitue une faute qui, dans les circonstances, ne mérite cependant pas le congédiement, jugé abusif. L'arbitre annule donc ce dernier, y substitue une suspension de six mois sans solde et ordonne à l'employeur de verser le salaire dû au salarié pour la période postérieure au terme de la suspension.
[4] Les parties se pourvoient toutes deux en révision judiciaire devant la Cour supérieure. Par jugement du 2 juin 2015, celle-ci rejette leurs requêtes, estimant que la décision de l'arbitre est raisonnable.
[5] Le requérant souhaite obtenir la permission d'appeler de ce jugement, conformément à l'article 26, 2e al., paragr. 4, C.p.c.
[6] Notons immédiatement que le requérant ne conteste plus le fait que le salarié a, dans son ouvrage, repris plusieurs phrases ou paragraphes tirés d'ouvrages rédigés par deux autres personnes, sans citer ses sources ou indiquer, par exemple par l'usage de guillemets, que ces phrases et paragraphes n'étaient pas de sa plume. Il n'est pas inexact de dire que l'emprunt non autorisé, sans mention de source, de certains passages d'une œuvre ne constitue pas toujours une contrefaçon au sens des articles 2, 3 et 27 de la Loi sur le droit d'auteur[3], mais le fait est que l'arbitre a conclu qu'il y avait eu ici reproduction non autorisée de portions non négligeables de l'œuvre d'autrui[4] : il n'emploie sans doute pas le vocabulaire de la Loi sur le droit d'auteur, mais c'est bien cette conclusion factuelle qui ressort de sa sentence, conclusion qui n'est plus contestée.
[7] Le requérant soutient cependant que cette façon de faire, en l'espèce, ne contrevient pas à la Loi sur le droit d'auteur. En effet, l'usage par le salarié de passages issus d'ouvrages écrits par d'autres constituerait une utilisation équitable - et légale - de l'œuvre d'autrui à des fins d'éducation, au sens de l'article 29 de la Loi sur le droit d'auteur. Le salarié n'aurait, par ailleurs, pas été tenu d'indiquer ses sources ou de mentionner les auteurs des passages empruntés, l'article 29 ne subordonnant pas l'utilisation équitable à une telle obligation, au contraire des articles 29.1 et 29.2 de la même loi. L'usage qu'a fait le salarié de l'œuvre d'autrui n'emporterait donc pas une contrefaçon au sens de cette loi et ne pourrait être tenu pour une faute méritant une sanction disciplinaire.
[8] Le requérant reproche également à l'arbitre de n'avoir pas considéré les clauses 17.03 et 17.04 de la convention collective et de s'être appuyé « sur les règles du plagiat applicables aux étudiants […] alors qu'elles ne s'appliquent pas aux professeurs » (paragr. 51 de la requête pour permission d'appeler).
[9] Avec égard, la permission ne saurait être accordée, le pourvoi étant voué à l'échec.
[10] L'arbitre, il est vrai, ne s'est pas prononcé sur l'article 29 de la Loi sur le droit d'auteur et la question de l'usage équitable. À lire sa sentence, on pourrait d'ailleurs croire que le moyen ne fut pas soulevé devant lui, alors que, pourtant, il le fut. On peut peut-être regretter, pour l'avancement du droit, qu'il ait choisi de passer la chose sous silence, mais, en l'espèce, cela n'est pas fatal, puisque, eût-il statué sur cette question que le résultat n'aurait pas été différent.
[11] Il est tout à fait possible, en effet, que le comportement qui n'enfreint pas la loi (en l'occurrence la Loi sur le droit d'auteur) puisse néanmoins constituer un manquement à une norme de conduite (explicite ou implicite) applicable chez l'employeur et donc une faute que ce dernier peut sanctionner. Or, c'est justement le cas ici.
[12] L'arbitre motive ainsi sa décision au sujet de la faute du salarié :
112) Les déclarations différentes et même contradictoires du demandeur, concernant sa connaissance des ouvrages de messieurs [X] et [Y] sont regrettables et étonnantes. Mentionnons tout d’abord que l’on s’attend de la part d’un professeur d’université, qui entreprend la rédaction d’un ouvrage portant sur une discipline qu’il enseigne, à ce qu’il consulte les livres déjà existants en cette matière, non pas pour les plagier, mais pour s’assurer de couvrir dans son volume à venir, l’ensemble des sujets se rattachant à la matière sur laquelle il porte. L’auteur d’un nouveau volume peut évidemment citer des ouvrages d’autres auteurs; mais s’il le fait, il doit les identifier et préciser leurs publications auxquelles il se reporte. À défaut de ce faire, on jugera qu’il a plagié, en donnant à entendre qu’il était lui-même l’auteur du texte qu’il citait. Le soussigné considère qu’en ne mentionnant aucunement la provenance des passages de son livre qui ont été reproduits au début de la présente décision - il s’agit des textes tirés des ouvrages de messieurs [X] et [Y] (E.12) - le demandeur voulait que ses lecteurs croient qu’il en était l’auteur.
113) Le plagiat ne saurait être toléré de la part d’un enseignant. L’on ne saurait en effet tolérer que les titulaires de cette fonction s’adonnent eux-mêmes à des abus de cette nature ou à d’autres qui sont interdits aux étudiants. La Cour suprême traite du rôle exemplaire que l’enseignant doit assumer, dans la cause Le Conseil de l’éducation de la cité de Toronto c. Fédération des enseignants-enseignantes des écoles secondaires de l’Ontario [renvoi omis]. Le juge Cory écrit :
Du fait de leur situation de confiance, les enseignants doivent prêcher par l’exemple et par leur enseignement, et ils donnent l’exemple autant par leur conduite en dehors des salles de cours que par leur prestation dans celles-ci. [renvoi omis]
114) Dans le cadre de sa plaidoirie, l’avocat de l’Université a fait référence au jugement rendu dans la cause Boudreau v. Lin [renvoi omis], laquelle portait sur le plagiat. Il se reportait plus précisément au passage suivant du jugement qu’il convient de reproduire ici à nouveau :
I reject the submission of counsel for the defendant Professor Lin that this matter consists of a minimal mistake and is a tempest in a small teapot. Plagiarism is a form of academic dishonesty which strikes at the heart of our educational system. It is not to be tolerated from the students and the University has made this clear. It follows that it most certainly should not be tolerated from the professors. Who should be sterling examples of intellectual rigour and honesty. [renvoi omis]
Le soussigné partage les vues exposées dans ce jugement. Les professeurs doivent en quelque sorte servir de modèles aux étudiants. L’institution où ils exercent leurs fonctions ne saurait tolérer la pratique du plagiat de leur part. S’il en était ainsi, les étudiants pourraient avoir le sentiment qu’ils peuvent eux aussi avoir recours à des abus de cette nature, sans craindre que des mesures qui leur soient défavorables soient prises par l’institution d’enseignement qu’ils fréquentent.
[…]
120) Tel que mentionné auparavant la preuve produite au cours des séances arbitrales permet d’affirmer que le demandeur a agi de façon inacceptable en reprenant dans son livre certains textes contenus dans les ouvrages des auteurs Marceau et Tremblay, sans mentionner leur origine. Cette façon d’agir constitue du plagiat. Un professeur d’université qui plagie d’autres personnes dans une de ses publications commet en réalité une faute grave.
[13] Quant à la sanction de la faute dont il reconnaît ainsi l'existence, l'arbitre explique que :
122) Si le point de vue de l’avocat du Syndicat est que le congédiement n’est jamais admissible comme première mesure disciplinaire imposée à un salarié, l’on ne saurait certes endosser son opinion. La notion de gradation des sanctions à laquelle il se reporte trouve application dans les cas de fautes légères ou d’une gravité limitée, mais qui deviennent plus embarrassantes en raison de leur répétition. Cette notion ne présentait aucun intérêt dans le présent cas, puisque la faute reprochée au demandeur ne saurait certes pas être qualifiée de légère.
123) Selon le soussigné, l’Université avait certes de justes motifs de sévir contre le demandeur. Cependant, divers faits établis par la preuve auraient dû être pris en compte, lorsqu’il s’est agi de déterminer la sanction qui allait lui être imposée. L’on songe ici à certaines déclarations faites par le demandeur lui-même, concernant sa carrière à l’Université. Il s’agit principalement de l’évaluation de ses cours par les étudiants et par Monsieur Bazoge, vice-doyen (Document S.13 cité ci-dessus), dont la Direction aurait dû tenir compte, lorsqu’il s’est agi de déterminer la sanction qui devait être imposée au requérant.
Conclusion
Le grief du demandeur présenté à l’Université le 2 avril 2013, afin de contester la décision de la direction de mettre un terme à son emploi à compter du 27 mars de cette même année, est accueilli partiellement. Cette sanction qui est jugée abusive est remplacée par une suspension d’une durée de six (6) mois qui aurait débuté le 27 mars 2013, et aurait pris fin le 27 septembre de la même année.
[…]
[14] En tout respect pour la proposition contraire, il est difficile de voir en quoi ces déterminations sont déraisonnables, et ce, même si les emprunts faits par le salarié avaient pu constituer une utilisation équitable au sens de l'article 29 de la Loi sur le droit d'auteur (ce qui ne paraît pas certain, du reste : l'usage équitable en matière d'éducation peut-il permettre d'avaliser un comportement qui est ordinairement blâmé sévèrement dans ce milieu, c'est-à-dire le fait d'emprunter à l'œuvre d'autrui ou de se l'approprier sans dévoiler ses sources?)
[15] Malheureusement, même s'il n'y avait pas violation de la Loi sur le droit d'auteur, la situation de l'espèce est bien celle d'un plagiat, c'est-à-dire d'un « emprunt littéraire caché »[5] ou d'une « imitation non avouée »[6]. L'arbitre a jugé que, au regard des politiques applicables tant aux professeurs qu'aux étudiants, ce plagiat dénotait un manque de probité et constituait une faute que l'intimée pouvait sanctionner. Vu la norme de révision applicable, le juge de première instance a conclu que ce point de vue était raisonnable. On ne peut lui donner tort.
[16] La Politique no 27 sur la probité en recherche, en vigueur chez l'intimée, interdit en effet le plagiat en recherche, c'est-à-dire le fait d'« utiliser les idées, les données ou les résultats de recherche, sous quelque forme que ce soit, publiés ou non, de quelqu'un d'autre sans lui en reconnaître de façon explicite la filiation intellectuelle »[7]. Le Règlement no 18 sur les infractions de nature académique, applicable aux étudiants, interdit de son côté le plagiat, considéré comme une infraction (art. 2.1 et 2.2, paragr. b), et passible de diverses sanctions (art. 3.1). Le plagiat est défini comme suit par le paragraphe 2.2b) :
L'utilisation totale ou partielle du texte ou de la production d'autrui en le faisant passer pour sien ou sans indication de référence.
[17] Cela étant, on ne peut reprocher à l'arbitre d'avoir conclu de manière déraisonnable en statuant que le professeur, qui ne peut utiliser les idées d'autrui en recherche « sans lui en reconnaître de façon explicite la filiation intellectuelle », ne peut pas non plus utiliser les mots d'autrui dans ses propres écrits sans en reconnaître la source de façon explicite. De même, il n'est pas déraisonnable de conclure qu'on ne saurait accepter du professeur ce qui, chez les étudiants, constitue une infraction disciplinaire, à savoir s'approprier les mots d'autrui ou les utiliser « sans indication de référence ».
[18] Il est vrai que l'arbitre, dans la portion « Décision » de sa sentence, ne se fonde pas expressément sur la Politique no 27 ou sur le Règlement no 18, mais ces deux textes ont été mis en preuve devant lui et sous-tendent manifestement, encore qu'implicitement, ses conclusions sur la faute du salarié.
[19] Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)[8], la Cour suprême, sous la plume de la juge Abella, rappelle que :
[15] La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
[20] En l'espèce, les motifs de l'arbitre ont permis a juge de première instance de « comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ». Ayant révisé le dossier, il a conclu que l'arbitre avait en effet, au regard de l'ensemble de la preuve, choisi une issue acceptable.
[21] Il n'y a rien à redire à cette conclusion et le requérant ne se décharge pas du fardeau de démontrer que l'affaire mérite d'être soumise à la Cour pour y être examinée davantage.
[22] POUR CES MOTIFS, la requête EST REJETÉE, avec dépens.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
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Me Marius Ménard |
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MÉNARD MILLIARD CAUX, s.e.n.c. |
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Pour le requérant |
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Me Martine Sauvé |
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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL |
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Pour l’intimée |
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Date d’audience : |
15 juillet 2015 |
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[1] En l'occurrence des livres publiés par deux autres professeurs.
[2] Sentence arbitrale, paragr. 112 in fine.
[3] L.R.C. (1985), ch. C-42.
[4] Il ne s'agirait donc pas des ressemblances existant inévitablement entre ouvrages scientifiques traitant des mêmes sujets (particulièrement lorsqu'il s'agit de sujets de base).
[5] Le Grand Robert de la langue française, version numérique 3.1.0 (7.0), Dictionnaires Le Robert, « plagiat ».
[6] Id.
[7] Politique no 27 sur la probité en recherche, art. 6│2│.
[8] [2011] 3 R.C.S. 708.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.