Lavoie c. Juarez |
2020 QCTAL 10326 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No dossier: |
514267 31 20200313 F |
No demande: |
2982850 |
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RN :
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3046267
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Date : |
14 décembre 2020 |
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Devant la greffière spéciale : |
Me Caroline Nault |
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Jacques Lavoie |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Camila Juarez |
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Locataire - Partie défenderesse |
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DÉCISION
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[1] Le
locateur a produit une demande de fixation de loyer et de modification d’une
autre condition du bail conformément aux dispositions de l’article
[2] Le locateur demande au Tribunal de statuer sur les modifications suivantes :
· L’appareil de climatisation déposé sur le cadre de fenêtre ne sera plus accepté.
· L’entreposage de vélo, tant à l’intérieur que dans les espaces communs, ne sera pas permise. [sic]
[3] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, à un loyer mensuel de 1 025,00 $.
[4] La locataire Marie-Ève St-Onge est absente à l’audience.
[5] Cependant, la locataire Camila Juarez est présente et informe le Tribunal que la locataire Marie-Ève St-Onge n’habite plus le logement depuis près de 3 ans.
[6] La locataire Camila Juarez accepte d’être la seule responsable du logement à compter du 1er juillet 2020 et le locateur y consent.
[7] À la suite de ces informations, le locateur s’est désisté de sa demande à l’encontre de Marie-Ève St-Onge.
[8] L’entière responsabilité du logement par la locataire Camila Juarez ainsi que le désistement du locateur à l’encontre de Marie-Ève St-Onge ont été consignés au procès-verbal de l’audience séance tenante.
[9] Le locateur a produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements.
[10] Lors de l’audience, les parties s’entendent pour une augmentation du loyer de 20,00 $, à compter du 1er juillet 2020, soit à un loyer mensuel de 1 045,00 $.
[11] Au surplus, la locataire déclare qu’elle ne conteste plus la clause concernant l’appareil de climatisation.
[12] Le Tribunal prend acte de l’entente partielle intervenue entre les parties et ne se prononcera que sur la clause d’interdiction d’entreposage de vélos dans l’immeuble.
DROIT APPLICABLE
[13] En vertu de l’article
« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
[…] »
[14] Lorsque le locataire
refuse la modification proposée, le locateur peut, dans le mois de la réception
du refus du locataire, s’adresser au Tribunal afin qu’il autorise ladite
modification. À cet effet, l’article
« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au Tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »
[15] Par ailleurs, les
articles
« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »
« 1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin.
Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède douze mois, pour une durée de douze mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d'un terme de reconduction différent. »
« 1952. Le Tribunal qui autorise la modification d'une condition du bail fixe le loyer exigible pour le logement, compte tenu de la valeur relative de la modification par rapport au loyer du logement. »
PREUVE DU LOCATEUR
[16] Le locateur est propriétaire de plusieurs immeubles. Il a ajouté au bail de tous ses locataires la clause d’interdiction de vélos dans les logements et dans ses immeubles.
[17] Le locateur allègue que les autres locataires ont accepté cette clause d’interdiction des vélos dans l’immeuble et désire que tous ses locataires soient assujettis aux mêmes règles.
[18] Il soumet que la manutention et l’entreposage des vélos dans ses immeubles lui occasionnent des inconvénients, des bris et des coûts d’entretien supplémentaires. Il affirme que les locataires abîment son immeuble et laissent des traces de pneus dans les couloirs des aires communes que son concierge doit régulièrement nettoyer et réparer. Au soutien de ses prétentions, le locateur dépose la photo d’un carreau de la porte d’entrée d’un de ses immeubles qui aurait été brisé par un vélo (Pièce P-1).
[19] La problématique des vélos à l’intérieur des logements des locataires se situe surtout au niveau de l’installation de supports à vélos fixés au mur, lesquels laisseraient des trous et endommageraient les logements. Il dépose une photo d’un logement d’un ancien locataire démontrant des trous laissés sur les murs par de tels supports (Photo cotée sous P-2).
[20] C’est donc pour toutes ces raisons et pour éviter que de telles situations ne se reproduisent que le locateur a décidé d’inclure dans ses baux de logements, l’interdiction de vélos et demande au Tribunal d’ajouter cette clause au bail de la locataire.
[21] Questionné par le Tribunal concernant l’alternative qu’il offre à ses locataires quant à l’entreposage de leurs vélos à la suite de leur interdiction à l’intérieur de l’immeuble, le locateur répond qu’il n’a aucune alternative à offrir. Le locateur ne dispose pas de support à vélos, ni de hangar pour accommoder ses locataires qui ne peuvent plus entreposer leurs vélos dans leur logement.
Preuve de la locataire
[22] La locataire s’oppose à l’ajout de cette clause à son bail.
[23] Elle confirme posséder un vélo qu’elle entrepose dans son appartement situé au 3e étage.
[24] Elle se dit contrainte d’emmener son vélo dans son logement depuis qu’elle s’est fait voler son vélo précédent, alors qu’il était attaché devant son immeuble. Elle mentionne qu’elle prend toutes les précautions nécessaires pour ne pas faire de traces et abîmer l’immeuble et son logement.
[25] La locataire allègue que le vélo est son principal moyen de transport pour se rendre au travail et pour ses loisirs.
[26] Elle dépose en preuve des photos cotées en liasse sous L-1. L’une de ces photos est celle de son support à vélo dans son logement. La locataire mentionne que son support à vélo ne fait aucun dommage au logement, puisqu’aucun trou n’est requis et que rien ne touche le mur.
[27] Le Tribunal constate que le support consiste en une pole à ressort s’appuyant par pression au plafond et au plancher et suffisamment éloigné du mur pour éviter que le vélo ne le touche.
[28] En appui à son plan d’argumentation, la locataire dépose au Tribunal de la jurisprudence[1].
ANALYSE ET DÉCISION
[29] Le fardeau de la preuve incombe à la partie demanderesse de prouver ses prétentions selon la prépondérance des probabilités[2]. Le locateur doit donc démontrer, en établissant des éléments de faits et de droit, que sa demande de modification d’une condition du bail est bien fondée et qu’une telle modification et ne porte pas atteinte au droit de la locataire au maintien dans les lieux.
[30] Il appert de la preuve que le droit au maintien dans les lieux de la locataire ne serait pas compromis par l’ajout de la clause demandée. En effet, la locataire n’a pas fait mention qu’elle déménagerait advenant l’acceptation par le Tribunal de ladite clause.
[31] Puisque le droit au maintien dans les lieux n’est pas en péril, le Tribunal doit-il pour autant accepter la modification du bail?
[32] Le Tribunal ne le croit pas. Encore faut-il vérifier la validité de la clause demandée et déterminer si la preuve présentée par le locateur est prépondérante pour justifier une modification du bail.
[33] La juge administrative Christine Bissonnette s’est prononcée quant à la validité d’une clause d’interdiction de vélos à l’intérieur d’un logement dans la décision Gilles Vaillancourt c. Paul-Émile Verreault :
« Quant à la clause inscrite au bail concernant le vélo ; cette clause indique « aucun vélo », elle s'inscrit à un addendum où l'on peut lire plusieurs autres interdictions ou précautions à prendre par le locataire dans l'usage des lieux.
Or, l'article
« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.
Cette clause est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible. »
Le tribunal est d'avis que l'interdiction formelle de vélo dans un logement est une clause qui est déraisonnable au sens de cet article.
En effet, la bicyclette constitue en pratique un meuble au même titre que par exemple les poussettes d'enfant qui par nature, sont des objets à usage normal fréquent qui peuvent causer des dommages aux lieux, s'ils ne sont pas utilisés avec soin et prudence; mais on ne peut en proscrire l'usage complet, comme c'est le cas en l'espèce.
Le tribunal ne veut pas ainsi banaliser les craintes des locateurs à l'égard de dommages; mais ils doivent accepter qu'en louant leur logement, ils doivent accepter ce risque normal.
Ainsi, puisque le remisage dans la cour arrière s'avère impossible; le tribunal doit autoriser le locataire à remiser sa bicyclette dans son logement le tout avec soin et diligence à chaque fois. Par ailleurs, en cas de bris, les locateurs disposent de leur recours en dommages comme la loi le prévoit.
Le tribunal a donc annulé l'effet de la clause inscrite au bail et autorise la remise de la bicyclette dans les lieux loués[3]. »
[34] Le Tribunal adhère à
l’analyse de la juge Bissonnette et considère que si la clause d’interdiction
de vélos dans les logements et les aires communes de l’immeuble était acceptée,
elle imposerait une obligation à la locataire qui, dans les circonstances,
serait déraisonnable au sens de l’article
[35] Le Tribunal est d’avis que le locateur n’a pas rempli son fardeau de preuve et estime que la modification demandée est déraisonnable.
[36] Conséquemment, le Tribunal refuse la modification du bail relative à l’interdiction des vélos dans l’immeuble.
[37] Le Tribunal souligne que, de la preuve présentée, ce n’est pas l’entreposage ni la manutention du vélo par la locataire qui est en cause, mais le comportement de d’autres locataires du locateur.
[38] La jurisprudence du Tribunal a maintes fois statué que la demande de modification d’une condition du bail n’est pas le recours approprié lorsqu’il s’agit de sanctionner un locataire de ses manquements[4].
[39] En effet, le locateur a d’autres recours en vertu du Code civil du Québec s’il veut sanctionner le manquement, le comportement ou l’inexécution d’une obligation contractuelle par un locataire[5].
[40] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[41] CONSIDÉRANT que la locataire Marie-Ève St-Onge n’habite plus le logement;
[42] CONSIDÉRANT que la locataire Camila Juarez a consenti à prendre l’entière responsabilité du logement à compter du 1er juillet 2020;
[43] CONSIDÉRANT que le locateur a accepté que Camila Juarez soit la seule locataire du logement à compter du 1er juillet 2020 et qu’il s’est désisté de sa demande à l’encontre de la locataire Marie-Ève St-Onge;
[44] CONSIDÉRANT que les parties se sont entendues pour une augmentation de loyer de 20,00 $, pour un loyer mensuel de 1 045,00 $;
[45] CONSIDÉRANT l’acceptation par la locataire de la clause relative à l’appareil de climatisation;
[46] CONSIDÉRANT que le Tribunal refuse la modification proposée relative à l’interdiction de l’entreposage des vélos dans le logement et les aires communes de l’immeuble;
[47] CONSIDÉRANT l’absence de preuve quant à la condamnation de la locataire au paiement des frais introductifs de la demande;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[48] CONSTATE que la locataire Camila Juarez est la seule locataire du logement à compter du 1er juillet 2020;
[49] PREND ACTE du désistement du locateur à l’encontre de la locataire Marie-Ève St-Onge;
[50] PREND ACTE de l’entente intervenue entre les parties établissant le loyer à 1 045,00 $ par mois du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021;
[51] PREND ACTE de l’entente entre les parties afin d’inclure au bail la clause suivante :
· L’appareil de climatisation déposé sur le cadre de fenêtre ne sera plus accepté;
[52] REFUSE la demande de modification du bail visant à interdire l’entreposage des vélos dans le logement et dans les aires communes de l’immeuble;
[53] Les autres conditions du bail demeurent inchangées;
[54] Le locateur supporte les frais de la demande.
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Me Caroline Nault, greffière spéciale |
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Présence(s) : |
le locateur la locataire |
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Date de l’audience : |
13 octobre 2020 |
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[1]
Parc Immobilier PG inc. c. Goulet,
[2]
Articles
[3] R.L., 31-070907-094A, le 23 janvier 2008, r. C. Bissonnette.
[4]
Stanco c. Leblanc,
[5]
Articles
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