Hamel c. Ville de L'Ancienne-Lorette | 2024 QCCS 120 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA
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PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | QUÉBEC | |||||
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N° | 200-17-035045-236 | |||||
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DATE : | Le 22 janvier 2024 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CLAUDE BOUCHARD, J.C.S. | ||||
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VINCENT HAMEL | ||||||
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ALAIN FORTIN | ||||||
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Demandeurs | ||||||
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c. | ||||||
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VILLE DE L’ANCIENNE-LORETTE | ||||||
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Défenderesse | ||||||
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JUGEMENT SUR UN POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE | ||||||
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[1] Les demandeurs, Vincent Hamel et Alain Fortin, introduisent un pourvoi en contrôle judiciaire de type « mandamus » à l’endroit de la défenderesse, Ville de L’Ancienne-Lorette (la Ville), pour que le tribunal enjoigne à celle-ci de rembourser l’ensemble des citoyens présents et passés qui ont subi la surfacturation de l’agglomération de Québec et de mettre les remboursements reçus de l’agglomération de Québec dans un compte en fidéicommis.
[2] De plus, les demandeurs présentent une mesure conservatoire visant à enjoindre à la Ville de fournir l’information détaillée sur l’utilisation des sommes reçues de l’agglomération de Québec et de mettre les remboursements reçus de celle-ci dans un compte en fidéicommis.
[3] Ces demandes sont contestées par la Ville qui allègue que les demandeurs n’ont pas signifié leur pourvoi dans un délai raisonnable à partir de l’acte ou du fait qui lui donnerait ouverture, qu’aucune loi ne l’oblige à rembourser directement ses citoyens comme les demandeurs le requièrent, que ceux-ci ne peuvent réclamer des dommages pour autrui et que la théorie de l’enrichissement sans cause est inapplicable en l’espèce.
[4] Pour les motifs qui suivent, le tribunal rejette le pourvoi en contrôle judiciaire introduit par les demandeurs, sans frais de justice puisque leur recours soulève une question d’intérêt public dont ils n’ont pas à supporter les frais.
Le contexte
[5] Pour bien situer le présent litige, il convient de débuter par un rappel des faits que le tribunal considère pertinents, ce qui exclut les démarches entreprises par M. Fortin dans un contexte électoral, telles qu’énumérées dans la défense de la Ville notamment sous la rubrique « D. La croisade de M. Fortin et sa brique de la mairie »[1].
[6] Depuis le 1er janvier 2006, les territoires de la Ville, de la Ville de St-Augustin-de-Desmaures et de la Ville de Québec, forment l’agglomération de Québec, laquelle ne constitue pas une structure régionale dotée d’une personnalité juridique, puisque son conseil est un organe délibérant de la Ville de Québec, distinct de son conseil municipal[2].
[7] Au point de vue financier, les budgets d’agglomération des années 2006 et 2007 ont été financés par une taxe imposée par le conseil d’agglomération aux contribuables de la Ville et de la Ville de St-Augustin-de-Desmaures, conformément à l’article 85 de la Loir sur l’exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations[3].
[8] Le 25 octobre 2007, cette loi est modifiée et les dépenses d’agglomération devront être financées, à compter de l’exercice financier 2008, par l’imposition de quotes-parts payées par la Ville et la Ville de St-Augustin-de-Desmaures.
[9] Le 23 mars 2011, la Ville intente un recours judiciaire contre la Ville de Québec dans le dossier de la Cour supérieure portant le numéro 200-17-014410-112, par lequel elle recherche la nullité d’un règlement portant sur l’établissement des quotes-parts d’agglomération ainsi que le remboursement des sommes lui ayant été facturées illégalement depuis 2008[4].
[10] En septembre 2011, la Ville doit payer les portions des quotes-parts de l’agglomération qu’elle contestait et refusait d’acquitter depuis 2008, et ce, après que la Ville de Québec ait introduit une procédure devant la Commission municipale du Québec lui réclamant plus de 4 000 000,00$[5]. C’est dans ce contexte que le maire de la Ville à l’époque, feu M. Émile Loranger, a cru bon de sonder la population afin de savoir si elle était favorable au maintien de la procédure initiée par la Ville contre la Ville de Québec en mars 2011.
[11] Le 13 décembre 2011, la Ville présente au conseil municipal son budget pour l’année 2012, lequel prévoit une hausse considérable des dépenses[6]. Ainsi, le budget de 2011 qui s’élevait à 20 693,00$ passe à 27 121,00$ en 2012.
[12] Cette hausse est attribuable aux éléments suivants :
- La quote-part d’agglomération : 3 790 000,00$;
- Le service de la dette : 1 623 000,00$;
- Immobilisations à même les revenus : 314 600,00$;
- La piscine : 309 000,00$;
- Total : 6 036 600,00$.
[13] En novembre 2015, la Ville de Québec propose un règlement à la Ville dans le cadre du recours introduit par cette dernière en mars 2011.
[14] Un sondage postal est par la suite mené à l’initiative du maire Loranger, du 11 au 18 décembre 2015, afin de connaître l’opinion des citoyens quant au maintien de la procédure introduite par la Ville en mars 2011. Les résultats de ce sondage sont dévoilés le 12 janvier 2016 et il s’avère que 94,3% des répondants préfèrent que la Ville poursuive sa procédure initiale.
[15] À l’automne 2017 se tiennent des élections municipales, au cours desquelles le parti politique du maire Loranger promet aux citoyens qu’ils seront remboursés des montants versés en trop à l’agglomération de Québec et qu’ils recevront un chèque de 2 500,00$, advenant une victoire dans le recours de mars 2011[7].
[16] Le 5 novembre 2017, le maire Loranger est réélu.
[17] Le 19 septembre 2018, le juge Bernard Godbout de la Cour supérieure rend un jugement en vertu duquel il condamne la Ville de Québec à rembourser à la Ville la somme de 12 664,91$ en capital, en sus des intérêts, des frais d’expertise de 4 114 704,33$, ainsi que des frais de justice[8].
[18] Ce jugement est porté en appel le 18 octobre 2018[9].
[19] Le 14 novembre 2018, le conseil de la Ville autorise la signature d’une quittance suivant la réception d’un paiement partiel de la Ville de Québec de 4 475 048,00$, en exécution du jugement du juge Godbout[10].
[20] À la fin novembre 2018, lors d’une commission de l’administration de la Ville, les élus demandent que la direction générale procède au dépôt d’un rapport concernant la faisabilité d’un éventuel remboursement aux propriétaires et aux locataires de la Ville, des sommes reçues de la Ville de Québec[11].
[21] Le rapport est déposé le 27 novembre 2018 lors d’une séance du conseil municipal de la Ville. Ses conclusions se lisent ainsi :
À la lumière de l’avis juridique du service du greffe et du rapport administratif du service de la trésorerie, il apparait évident que le remboursement aux propriétaires et aux locataires s’avère impossible d’un point de vue légal, du moins sous la forme déclarée, c’est-à-dire l’émission d’un chèque de 2 500,00$ à chaque contribuable concerné. De plus, un tel remboursement s’avère d’une très grande complexité au point de vue administratif[12].
[22] Le 2 avril 2020, le maire Loranger décède subitement et c’est M. Gaétan Pageau qui est élu maire de la Ville.
[23] Le 6 juillet 2021, le cabinet d’avocats GBV Avocats transmet l’opinion juridique que lui avait demandée la Ville concernant la gestion des sommes perçues aux termes du litige contre la Ville de Québec sur la question des quotes-parts. La conclusion de cette opinion est qu’en l’absence d’une disposition habilitante, la Ville ne peut remettre une somme d’argent directement aux citoyens[13].
[24] Le 14 septembre 2021, la Cour d’appel rend un arrêt concernant le jugement rendu le 19 septembre 2018 par le juge Godbout[14].
[25] Le 28 septembre 2021, un exposé est fait à une séance du conseil de la Ville concernant l’état de la situation au regard de l’arrêt rendu par la Cour d’appel et quant aux paiements attendus de la Ville de Québec[15].
[26] Le 14 octobre 2021, la Ville reçoit un paiement de la Ville de Québec de 21 069 259,00$, en exécution du jugement rendu par le juge Godbout et de l’arrêt de la Cour d’appel[16].
[27] Des élections ont lieu le 7 novembre 2021 et, dans le cadre de la campagne de l’équipe du maire Pageau, il est rappelé aux citoyens que la Ville n’est pas habilitée à rembourser directement les citoyens par l’émission de chèques et que les sommes restituées par la Ville de Québec seront plutôt utilisées afin de baisser les taxes, de diminuer la dette et de payer comptant les immobilisations[17].
[28] L’équipe du maire Pageau s’engage aussi à effectuer des démarches auprès du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, afin de vérifier s’il a la même lecture quant à l’impossibilité juridique de rembourser directement les citoyens et, le cas échéant, de vérifier si un changement au cadre législatif peut être envisagé.
[29] Le maire Pageau est réélu le 7 novembre 2021 et il entreprend par la suite des démarches auprès du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, afin de rencontrer la ministre Andrée Laforest. Le maire Pageau en conclut que le Ministère n’envisage pas de procéder à une modification législative.
[30] Le 22 février 2022, le maire Pageau fait le point lors d’une séance du conseil municipal de la Ville sur le résultat de ses démarches auprès des autorités ministérielles et confirme que le remboursement des citoyens ne pourra pas s’effectuer par l’émission de chèques, mais plutôt par des baisses de taxes, une réduction de la dette et des paiements comptants sur les immobilisations[18]. Ce même jour, la Ville diffuse une infolettre qui publie une vidéo du maire Pageau à cet effet[19].
[31] Le 16 juin 2022, le demandeur, M. Fortin, transmet une mise en demeure à la Ville, lui réclamant une somme de 5 000,00$ correspondant à sa part du remboursement[20].
[32] Le 5 juillet 2022, M. Fortin introduit à la Cour du Québec, division des petites créances, un recours dans le dossier portant le numéro 200-32-708205-223[21]. Le 25 août 2022, le juge Jacques Tremblay, j.c.q., rend jugement sur une demande de rejet et déclare « que la demande en justice de M. Alain Fortin apparaît sommairement abusive, déraisonnable et ne pas se justifier en droit », tout en permettant à celui-ci de se faire entendre lors d’une audience fixée le 18 octobre 2022 devant la Cour du Québec[22].
[33] Le 22 novembre 2022, le juge Pierre E. Audet, j.c.q., accueille la demande de rejet présentée par la Ville à l’encontre du recours de M. Fortin. Il formule entre autres les commentaires suivants dans son jugement :
[5] En l’instance, les réclamations des demandeurs ne sont pas des « petites créances » comprises dans la définition de « petites créances » à l’article 536 C.p.c.
[6] Il est bien établi qu’une municipalité ne peut être liée par des engagements politiques que s’ils se traduisent par des résolutions ou des règlements.
[7] Le non-remboursement des taxes demandé découle des choix politiques des autorités municipales, même si une partie des comptes de taxes municipales tient compte de la quote-part attribuée à la Ville défenderesse par l’Agglomération de Québec.
[…]
[11] Les demandeurs sont des honnêtes citoyens qui se sont sentis légalement justifiés de présenter les demandes de remboursement de taxes, compte tenu notamment des engagements politiques passés, qui ne se sont pas traduites par des engagements sur le plan juridique[23].
[34] Le 18 juillet 2023, les demandeurs introduisent le présent pourvoi en contrôle judiciaire, tel qu’il appert du dossier de la Cour.
[35] Dans les faits, la Ville aurait reçu de la Ville de Québec des remboursements répartis sur six (6) paiements qui totalisent 37 784 125,00$ en capital et intérêts, en plus des frais d’expertise et de justice, au regard des quotes-parts facturées au cours des années 2008 à 2021 inclusivement[24].
[36] Il faut noter également qu’en plus du recours introduit en mars 2011, lequel concernait les quotes-parts des années 2008 à 2015, la Ville a aussi introduit en 2017 un second recours, lequel concerne les quotes-parts des années 2016 et suivantes, dans le dossier portant le numéro 200-17-026733-170[25].
[37] La totalité des sommes reçues de la Ville de Québec est déposée dans le fonds général de la Ville pour être ensuite employées à des fins déterminées par le conseil municipal de la Ville.
[38] C’est ainsi qu’une grande partie de celles-ci ont déjà servi à diminuer la dette, à payer comptant des immobilisations, à diminuer les taxes en 2022 et à limiter leur augmentation en 2023.
Questions en litige
[39] La première question que doit trancher le tribunal consiste à déterminer si le recours en mandamus introduit par les demandeurs est prescrit.
[40] Par la suite, le tribunal doit déterminer si la Ville est tenue légalement de rembourser l’ensemble des citoyens présents et passés qui ont subi la surfacturation de l’agglomération de Québec, comme le soutiennent les demandeurs. Dans cette optique, le tribunal doit déterminer quelles sont les obligations de la Ville au regard des dispositions législatives applicables aux municipalités en pareille matière et analyser les autres recours invoqués par les demandeurs au soutien de leurs prétentions.
[41] Enfin, le tribunal doit déterminer s’il y a lieu d’accueillir la demande de mesure conservatoire formulée en début d’instance par les demandeurs, qui vise à enjoindre à la Ville de fournir l’information détaillée sur l’utilisation des sommes reçues de l’agglomération de Québec et de mettre ces remboursements dans un compte en fidéicommis.
Analyse et décision
[42] La Ville estime que celui-ci n’a pas été introduit dans un délai raisonnable au sens de l’article 529 C.p.c., soit dans les 30 jours suivant la séance du 22 février 2022, alors que les demandeurs ont pu prendre connaissance de la position de la Ville au sujet du remboursement direct aux citoyens de taxes perçues en trop.
[43] À ce propos, elle rappelle qu’à cette date le maire Pageau, lors d’une séance du conseil municipal de la Ville, confirme que la Ville n’ayant pas le pouvoir d’émettre des chèques en remboursement de taxes payées en trop et les autorités ministérielles ne s’étant pas engagées à présenter un projet de loi à cet effet, il ne sera pas possible de rembourser les citoyens par l’émission de chèques[26].
[44] De leur côté, les demandeurs soutiennent que le délai de prescription est de 3 ans selon les articles 484 et 498 de la Loi sur les cités et villes[27] (L.c.v.), ou à tout le moins de 6 mois en vertu de l’article 586 de cette même Loi.
[45] Peu importe lequel de ces délais est applicable, les demandeurs sont d’avis que c’est plutôt à partir du 23 avril 2023, lors du dépôt des états financiers de la Ville, qu’ils réalisent que les montants récupérés par la Ville conformément au jugement rendu par le juge Godbout ne pourront être utilisés pour rembourser les citoyens qui ont été surfacturés, car ceux-ci sont utilisés à d’autres fins.
[46] Précisons d’abord que le délai de prescription du recours des demandeurs ne peut être de 3 ans, car il ressort notamment des débats parlementaires relatifs aux articles 484 et 498 L.c.v., qu’ils concernent les recours intentés par une municipalité pour le recouvrement de taxes municipales[28].
[47] D’ailleurs, ces articles se retrouvent dans la section XI de la L.c.v. intitulée « Des attributions du Conseil » et non dans la section XIII intitulée « Des recours civils contre la municipalité ». Les rubriques pouvant servir à l’interprétation d’une loi[29], il s’avère que ces dispositions visent d’abord le recouvrement des taxes municipales auprès des débiteurs et non pas à récupérer le trop-perçu de taxes auprès d’une municipalité.
[48] Le délai de prescription de 6 mois de l’article 586 L.c.v. n’est pas non plus applicable au présent recours en mandamus car il s’applique lorsqu’il y a une « action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés résultant de fautes ou d’illégalités », ce qui n’est pas le cas ici.
[49] Le présent recours a été introduit en vertu de l’article 529 C.p.c., pour qu’il soit enjoint à la Ville de rembourser l’ensemble des citoyens qui ont subi une surfacturation de l’agglomération de Québec.
[50] Or, le dernier alinéa de l’article 529 C.p.c. prévoit que « le pourvoi doit être signifié dans un délai raisonnable à partir de l’acte ou du fait qui lui donne ouverture ».
[51] Cette disposition s’applique aux différentes situations visées à l’article 529 C.p.c. Ainsi, la notion de délai raisonnable s’applique autant au pourvoi en contrôle judiciaire qui vise à réviser la légalité d’une décision prise par un organisme ou une personne qui relève de la compétence du Parlement du Québec qu’au pourvoi qui, comme en l’espèce, a pour but d’enjoindre à une personne qui occupe une fonction au sein d’un organisme public ou à une personne morale, d’accomplir un acte auquel la loi l’oblige s’il n’est pas de nature purement privée.
[52] Cette dernière situation correspond à l’ancien recours en mandamus que l’on retrouve maintenant sous la rubrique « Le pourvoi en contrôle judiciaire » (Chapitre IV), où sont regroupés tous les recours de cette nature.
[53] Les tribunaux reconnaissent qu’en pareille matière, le délai considéré comme étant raisonnable pour agir et introduire un pourvoi en contrôle judiciaire, est en général de 30 jours. Dans une affaire impliquant la Ville de Gaspé, qui refusait d’émettre un permis pour la construction d’un chalet, le juge Pierre C. Bellavance, j.c.s., s’exprime ainsi :
[16] On peut résumer la décision, représentative de la jurisprudence en la matière, en disant qu’à moins de circonstances exceptionnelles, un demandeur devra avoir agi dans les trente (30) jours de la décision qui lui refuse une autorisation ou un permis.[30]
[54] Dans Morency c. St-Féréol-les-Neiges (Municipalité de)[31], le juge Denis Jacques, j.c.s., émettait les commentaires suivants :
[144] Le nouveau Code de procédure civile n’a pas modifié la nature de la demande en mandamus qui, comme les autres pourvois en contrôle judiciaire, constitue toujours un recours exceptionnel. Pour cette raison, il doit être présenté dans un délai raisonnable à compter de la décision qui est attaquée.
[145] La jurisprudence a établi qu’un délai raisonnable est d’environ 30 jours.
[…]
[149] Ces propos, bien que liés à la révision judiciaire, s’appliquent tout autant au recours en mandamus, ces deux recours, rappelons-le, étant aujourd’hui fondus en un seul et sujets aux mêmes règles [32].
[55] Si l’on retient la date de départ du délai de prescription du 22 février 2022, comme le plaide la Ville, un délai de plus d’une année s’est écoulé avant que les demandeurs n’introduisent leur recours le 18 juillet 2023. Le principal motif invoqué par ceux-ci pour justifier un tel retard, est que ce n’est qu’au moment du dépôt des états financiers le 23 avril 2023 qu’ils auraient eu la confirmation de l’utilisation par la Ville des sommes remboursées par la Ville de Québec.
[56] Sur cette question, le tribunal est d’avis que lors de la séance du conseil municipal de la Ville tenue le 22 février 2022, il ne fait plus de doute que les sommes remboursées par la Ville de Québec en conformité avec le jugement du juge Godbout, seront utilisées pour baisser les taxes, réduire la dette et effectuer des paiements sur les immobilisations, et non pas pour rembourser directement les citoyens, tel qu’il appert de la séance du conseil municipal présidé par le maire Pageau à cette date.
[57] Les demandeurs font valoir par ailleurs certaines autres justifications à leur plan d’argumentation, comme l’imprévisibilité de la situation, l’existence de mauvaise foi, le non-respect des ententes légales spécifiques à l’agglomération de Québec et le fait que le litige n’est toujours pas résolu, sans plus de précisions[33].
[58] Ces éléments n’expliquent pas pourquoi ni ne justifient en quoi les demandeurs n’auraient pu introduire leur recours dans un délai raisonnable après la séance du conseil municipal du 22 février 2022, ceux-ci sachant que la Ville ne procéderait pas au remboursement direct de sommes aux citoyens. C’est à ce moment que la Ville refuse d’accomplir ce que les demandeurs considèrent être une obligation légale au sens de l’article 529 al. 1(3) C.p.c., et que ceux-ci sont en mesure de constater la perte qui en résulte.
[59] On a vu précédemment que les tribunaux reconnaissent qu’un délai pour introduire un recours est raisonnable lorsqu’il n’excède pas généralement 30 jours. Pour pouvoir excéder ce délai, il appartenait aux demandeurs de démontrer des circonstances exceptionnelles le justifiant, lesquelles devaient transparaître de leurs procédures[34]. Cette démonstration n’a pas été faite.
[60] Rappelons que chaque situation doit être évaluée dans son ensemble et que le tribunal doit tenir compte des éléments de fait qui lui permettraient de vérifier si les demandeurs ont fait preuve de diligence pour intenter leur recours[35].
[61] Les demandeurs font valoir également que le recours de M. Fortin, introduit en juillet 2022 à la Cour du Québec, division des petites créances, , aurait pour effet d’annuler le délai de prescription. Il faut préciser que ce recours a été rejeté par jugement rendu le 22 novembre 2022[36] et que, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, un tel recours ne fait qu’interrompre la prescription jusqu’au jugement passé en force de chose jugée, de sorte qu’elle « recommence à courir par le même laps de temps » après l’interruption (art. 2903 C.c.Q.).
[62] Mais encore faut-il, pour que l’interruption entre en ligne de compte, que la demande soit signifiée « au plus tard dans les 60 jours qui suivent l’expiration du délai de prescription » (art. 2892 al. 1 C.c.Q.). Ce n’est pas le cas en l’espèce, puisque le délai de prescription a débuté le 22 février 2022 et que la demande de M. Fortin à la Cour du Québec a été signifiée le 13 juillet 2022, soit 141 jours plus tard.
[63] Même en considérant une interruption de la prescription, le délai raisonnable de 30 jours est nettement dépassé.
[64] Les demandeurs n’ayant pas démontré de circonstances exceptionnelles justifiant un dépassement du délai de 30 jours, le tribunal est d’avis qu’un délai de plus d’une année pour introduire leur pourvoi en contrôle judiciaire n’est pas raisonnable et que le recours des demandeurs peut être rejeté pour ce seul motif. Toutefois, il convient quand même d’analyser les autres aspects du litige.
[65] Le recours introduit par les demandeurs étant de la nature d’un pourvoi en contrôle judiciaire basé sur l’article 529 al. 1(3) C.p.c., il leur fallait faire la preuve d’une obligation légale incombant à la Ville, soit une « [o]bligation résultant d’un acte ou d’un fait auquel la loi attache des effets de droit »[37].
[66] Plusieurs arguments sont présentés par les demandeurs au soutien de leur position. Le tribunal se doit d’abord de rappeler que, contrairement à ce qu’ils affirment, le recours en mandamus, bien qu’étant une forme de contrôle judiciaire, ne commande pas l’application d’une norme de contrôle selon les enseignements de Vavilov[38], puisqu’il ne sert pas à contrôler la légalité d’une décision[39].
[67] Reste à examiner les obligations que pourrait avoir la Ville, à savoir si les citoyens devraient être remboursés pour les taxes qu’ils ont payées en trop à la Ville, en raison de la surfacturation que lui a imposée la ville de Québec pendant plusieurs années, d’autant plus que cette dernière a remboursé à la Ville les sommes payées en trop. Il convient de traiter de cet aspect avant d’aborder les autres recours.
2.1 Obligations de la Ville
[68] La Ville affirme que, non seulement elle n’a aucune obligation légale de rembourser directement ses citoyens pour le surplus de taxes payées, mais qu’elle est en fait dans l’interdiction de le faire.
[69] Cette prétention est notamment basée sur deux opinions juridiques qui concluent que le pouvoir d’une municipalité d’utiliser les fonds publics est strictement encadré par la loi et qu’elle ne peut agir qu’en vertu d’une disposition législative spécifique[40]. Or, en l’espèce, aucune disposition ne prévoit que la Ville peut rembourser ses citoyens.
[70] En effectuant malgré tout un remboursement direct aux citoyens, la Ville agirait donc ultra vires de ses pouvoirs. Cette dernière mentionne également que ce que les demandeurs appellent des « référendums » étaient en fait de simples sondages d’opinion qui n’entraînent pas d’obligation pour la Ville[41]. Elle ajoute que les promesses faites par le maire Loranger ne pouvaient pas engager sa responsabilité sans qu’il n’y ait eu de résolution ou de règlement en ce sens, ce qui n’était pas le cas ici[42].
[71] Pour leur part, les demandeurs affirment que la Ville a commis une illégalité en surfacturant ses citoyens et qu’en conséquence, elle a légalement le devoir de les rembourser pour le trop-perçu. Ils ne précisent pas toutefois sur quelles assises légales reposerait ce devoir de la Ville. On peut cependant déduire de leur procédure que cette obligation reposerait sur les attentes légitimes des citoyens à la suite des promesses du maire Loranger[43] et de « fausses représentations » de la part de la Ville[44].
[72] Les demandeurs indiquent également que la Ville est la mandataire de la Ville de Québec, qu’elle n’est qu’un intermédiaire entre la Ville de Québec et les Lorettains, et donc qu’ils sont les véritables créanciers du remboursement que cette dernière doit effectuer[45].
[73] Dans l’arrêt Ville de Brossard c. Ville de Longueuil[46], le juge Sansfaçon de la Cour d’appel, citant le juge Gonthier de la Cour suprême dans l’arrêt Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village)[47], rappelle qu’une ville étant une « créature de la loi », et qu’à ce titre, elle « ne possède que les pouvoirs qui lui ont été délégués expressément ou qui découlent directement des pouvoirs ainsi délégués » par la législature provinciale. Elle est tenue d’exercer les pouvoirs qui lui sont délégués par des dispositions habilitantes et aux seules fins qui y sont autorisées[48].
[74] De ce fait, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, « […] il ne faut pas rechercher s’il existe une disposition législative interdisant à telle municipalité de poser tel acte, mais plutôt se demander s’il existe dans la législation provinciale une disposition autorisant la municipalité à faire telle chose, même si elle est rédigée en termes très généraux »[49].
[75] Dans le présent dossier, les demandeurs devaient donc prouver l’existence d’une disposition qui non seulement traite du remboursement par la Ville du trop-perçu de taxes à ses citoyens, mais également qui obligeait la Ville à le faire.
[76] Les fonds publics dont dispose une municipalité ne peuvent d’ailleurs être utilisés que conformément à une disposition législative expresse[50].
[77] Dans Vaudreuil (Ville de) c. Willmor Discount corp.[51], le juge Maurice Jacques de la Cour d’appel précise que les municipalités ne peuvent utiliser des fonds publics que pour des fins prévues par la loi et que tout autre usage constitue un excès de juridiction susceptible de causer une injustice grave aux contribuables. Il s’exprime ainsi :
Je crois qu’il est opportun de rappeler que les corporations municipales ont été créées pour des fins limitées et déterminées et que leurs pouvoirs sont limités par la loi.
Tout louable qu’ait été en soi le but de l’appelante, soit d’aider une industrie, elle ne pouvait le faire comme elle l’a fait. Ses pouvoirs dans ce domaine, ont été expressément limités par le législateur par exemple par la Loi sur l’interdiction des subventions municipales, L.R.Q. 1977, chap. I-15 et par la Loi sur les fonds industriels, L.R.Q. 1977, chap. F-4.
Elle ne peut utiliser les fonds publics et son pouvoir de taxation que pour les fins prévues par la loi. Tout autre usage constitue un excès de juridiction qui, en soi, cause une injustice grave aux justiciables. Ceux-ci seraient soumis à l’arbitraire du conseil municipal et partiellement, dépouillés de leurs biens sans que la loi l’autorise. Un des principes fondamentaux de toute la justice, soit la primauté du droit (rule of law) serait ainsi mis de côté[52].
[78] Il est aussi établi qu’une municipalité ne peut utiliser les fonds publics pour venir en aide à une personne physique, à une entreprise, à un organisme sans but lucratif ou à une autre municipalité, comme l’énoncent les auteurs Hétu et Duplessis [53], lorsqu’ils réfèrent aux affaires Ville de Saint-Timothée c. Ville de St-Salaberry-de-Valleyfield[54] et 169669 Canada inc. c. Ville de Gatineau[55].
[79] D’un point de vue législatif, soulignons que tant le Code municipal[56] que la L.c.v. prévoient que « sauf disposition contraire, l’aliénation de tout bien de toute municipalité doit être réalisée à titre onéreux ». Ainsi, les articles 6.2 du Code municipal du Québec et 28 (1.1) L.c.v. prévoient que :
La cession à titre gratuit ou le prêt à usage par toute municipalité des droits et licences afférant aux procédés qu’elle a mis au point ne peut être fait qu’au profit du gouvernement, de l’un de ses ministres ou organismes, d’une municipalité, d’une communauté métropolitaine, d’un centre de services scolaires, d’une commission scolaire ou d’un organisme à but non lucratif.
[80] Dans cette même veine, la Cour supérieure affirme dans Nadeau c. Cité de Sherbrooke[57] :
Une corporation municipale n’est pas libre de disposer des fonds qui lui sont confiés pour en distribuer une partie comme donation. Il faut que ces deniers donnés gratuitement le soient dans les limites des lois qui les régissent, autrement, elle agit d’une manière ultra vires.
[81] L’article 542 L.c.v. prévoit par ailleurs que « [l]e conseil peut, par une résolution, faire une remise du paiement des taxes municipales aux personnes pauvres du territoire de la municipalité ». Le tribunal ne croit pas que cette disposition soit applicable dans le présent dossier.
[82] De même, l’article 91 de la Loi sur les compétences municipales[58], prévoit qu’une municipalité peut accorder une aide dans certaines situations, notamment l’assistance à des personnes physiques défavorisées ou dans le besoin. Le tribunal est aussi d’avis que cette disposition n’est pas applicable en l’espèce.
[83] Comme on peut le constater à la lecture de ces dispositions législatives, les cas où une municipalité peut distribuer de l’argent à des citoyens sont limités à des situations bien particulières, notamment pour aider des personnes dans le besoin.
[84] Rappelons que les administrateurs municipaux administrent le bien d’autrui et dans cette optique, ils doivent agir avec prudence et diligence dans l’intérêt de la personne morale, à savoir la Ville[59].
[85] En somme, il n’existe pas de pouvoirs généraux dans la législation municipale permettant à une ville de redonner de l’argent ou une aide financière directement à ses citoyens en raison d’un trop-perçu. Comme le prévoit l’article 476 L.c.v., les deniers non spécialement appropriés font partie du fonds général de la municipalité et ceux-ci ne peuvent être employés qu’à des fins qui sont du ressort du conseil.
[86] Les demandeurs auraient été bien fondés d’intenter leur recours en mandamus, s’ils avaient prouvé l’existence d’une obligation légale de la Ville de rembourser à ses citoyens le trop-perçu de taxes. Il n’apparaît pas qu’ils se soient déchargés de leur fardeau de preuve, puisqu’ils ne mentionnent aucune disposition législative à l’appui de leurs prétentions. Tout au plus, l’on peut déduire du plan d’argumentation de la défenderesse qu’ils ont déjà fait référence à l’article 500.1 L.c.v. Il ne s’agit toutefois pas d’une disposition qui crée une obligation légale, tel qu’en témoigne notamment l’utilisation du verbe « peut » dans son libellé[60].
[87] En effet, cet article ne crée pas d’obligation de remboursement en faveur des citoyens par la Ville et, comme il s’agit d’un pouvoir supplémentaire de taxation permettant l’imposition d’une taxe directe, autonome en soi et distinct des autres pouvoirs de taxation, il ne peut être exercé qu’en fonction d’un règlement prévoyant l’imposition d’une telle taxe. Or, la Ville n’a jamais adopté un règlement en application de l’article 500.1 L.c.v.
[88] L’examen du régime juridique municipal révèle qu’aucune disposition législative n’impose à la Ville le devoir de rembourser ses citoyens pour un trop-perçu de taxes. Elle n’en a pas le pouvoir et cela lui est interdit. D’ailleurs, elle a le pouvoir, et dans certains cas le devoir, d’imposer une taxe à ses citoyens pour préserver sa santé financière (art. 474 al. 1 et 480 ss. L.c.v.).
[89] Considérant que « la Cour ne peut ordonner à une municipalité de faire une chose que la loi ne lui accorde pas le droit de faire »[61], la Ville n’a pas l’obligation légale d’effectuer un tel remboursement.
[90] En outre, les demandeurs auraient aussi pu être bien fondés d’intenter leur recours en mandamus s’ils avaient prouvé l’existence d’une obligation légale de la Ville de respecter les promesses effectuées par le maire Loranger. Certes, une personne est généralement tenue de respecter les engagements qu’elle a pris envers autrui[62]. Cependant, la jurisprudence et la doctrine nous indiquent qu’une municipalité n’est pas liée par les simples paroles des élus municipaux[63].
[91] Tel que l’indiquait la Cour supérieure dans une décision de 2018, « la théorie de la préclusion promissoire, ou de l’expectative légitime, invoquée par les demandeurs, ne peut venir à leur secours dans le présent litige, puisque le comportement ou les promesses des représentants de [la Ville] invoquées n’émanent pas du conseil municipal, seule autorité appelée à décider »[64]. Il n’existe pas de « pouvoir général de dépenser » qui appartiendrait au maire et celui-ci ne peut s’arroger un pouvoir de dépenser que dans certains cas exceptionnels dont nous ne sommes pas en présence ici[65].
[92] En fait, comme le mentionne la Cour d’appel, « une municipalité locale ne peut être liée financièrement face à un tiers que si une résolution ou un règlement le prévoit. Il s’agit d’une mesure édictée dans l’intérêt des municipalités locales, donc des citoyens, pour favoriser une saine administration des fonds publics ainsi que la transparence des décisions et pour éviter la collusion et la corruption [référence omise] »[66]. Puisque la Ville n’a adopté aucun règlement ni aucune résolution à cet égard dans le présent dossier, ce qu’elle n’aurait d’ailleurs pas eu le droit de faire pour les motifs évoqués précédemment, elle n’est pas légalement liée par les promesses du maire Loranger.
[93] La théorie du mandat, aussi invoquée par les demandeurs, n’appuie pas davantage leur recours, car ceux-ci n’ont aucun droit d’action contre la ville de Québec. En effet, depuis 2008, c’est la Ville qui doit acquitter sa quote-part d’agglomération auprès de la Ville de Québec, et ce, en vertu de la Loi sur l’exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations[67].
[94] Comme conséquence, les demandeurs ne peuvent donner un mandat à la Ville d’agir en leurs noms pour récupérer les sommes perçues en trop. En outre, les pouvoirs et obligations de la Ville sont prévus aux lois habilitantes et ne sont pas tributaires de règles applicables aux rapports contractuels avec ses citoyens.
[95] Rappelons que la Ville est une personne morale et, qu’à ce titre, elle possède une personnalité juridique qui lui est propre (art. 298 al. 1 C.c.Q.). De ce fait, elle possède un patrimoine qui lui est propre (art. 302 C.c.Q.) et son conseil d’administration est considéré par les tribunaux comme étant le « fiduciaire des deniers publics »[68].
[96] En outre, la théorie du mandat apparent ne trouve pas application en matière municipale[69]. Ainsi, il s’avère que la Ville n’est ni la mandataire de la Ville de Québec ni celle de ses citoyens, de telle sorte que les demandeurs ne peuvent réclamer le remboursement du trop-perçu de taxes par la Ville en se basant sur ces prétentions.
[97] En l’absence d’une quelconque obligation légale de la Ville en l’espèce, le recours en mandamus des demandeurs doit échouer.
2.2 Autres recours
[98] Les demandeurs font valoir dans leur argumentation d’autres recours qu’il convient d’analyser à ce stade-ci.
[99] Ils allèguent entre autres un enrichissement injustifié de la Ville au sens de l’article 1493 C.c.Q., leur donnant droit à un remboursement du trop-perçu au chapitre de la taxation.
[100] À ce titre, ils énoncent correctement les critères donnant ouverture à un tel recours, à savoir un enrichissement, un appauvrissement, une corrélation entre ceux-ci, et l’absence de justification, de fraude à la loi et d’un autre recours[70]. Cependant, la preuve de ces critères demeure lacunaire.
[101] En effet, même si l’on admettait que la Ville se soit enrichie, que les Lorettains se soient appauvris, qu’il y a absence de fraude à la loi et que l’élément de corrélation entre cet appauvrissement et l’enrichissement ait été démontré, ce dont on peut douter, le critère de l’absence de justification n’est pas rempli.
[102] En effet, il existe une justification à cet enrichissement et à cet appauvrissement, soit que l’un comme l’autre résulte de l’obligation légale qui incombe à la Ville d’assurer sa santé financière (art. 474 al. 1 L.c.v.). D’une part, la Ville ne peut redonner cet argent directement à ses citoyens car cela lui est légalement interdit, comme on l’a vu précédemment, et d’autre part, la Ville se devait de prélever des taxes suffisantes pour ne pas être déficitaire au terme de chacun de ses exercices financiers[71].
[103] Rappelons également l’article 1494 C.c.Q. qui prévoit qu’il y a justification à l’enrichissement ou à l’appauvrissement lorsqu’il résulte d’une obligation, ce qui est le cas ici puisqu’il s’agit d’une obligation légale. Au surplus, les règlements de taxation adoptés ainsi que les résolutions du conseil de la Ville concernant les débours des sommes reçues de la Ville de Québec n’ont pas été contestés.
[104] Enfin, l’article 476 L.c.v. stipule que les deniers non spécialement appropriés font partie du fonds général de la municipalité, y compris ceux qui résultent d’une perception d’une somme plus élevée que nécessaire, le surplus appartenant à la municipalité et est versé dans le fonds général. Ces deniers peuvent être employés à toutes les fins qui sont du ressort du conseil de la municipalité.
[105] En somme, la notion de l’enrichissement injustifié n’est pas applicable en l’espèce.
[106] Il en est de même pour l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne concernant la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités, aussi invoqué par les demandeurs. Cet article vise à protéger la dignité humaine et à assurer le respect de la valeur inhérente de chaque personne.
[107] Pour qu’une mesure soit considérée comme étant une peine aux fins de cet article, elle doit faire partie des sanctions possibles pour un accusé déclaré coupable d’une infraction donnée et elle doit être « conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine », soit avoir « une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité »[72].
[108] Quant au traitement, il doit s’agir généralement d’une action, d’une inaction ou d’une interdiction de l’État comportant un contrôle sur l’individu, le traitement devant être excessivement disproportionné et excessif « au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine »[73].
[109] Le non-remboursement direct des citoyens de la Ville n’entre pas dans cette catégorie.
[110] La Loi sur la protection du consommateur[74] ne trouve pas non plus application dans le présent dossier, car il n’y a pas de contrat de consommation entre la Ville et les demandeurs, celle-ci n’étant pas un commerçant et les demandeurs n’étant pas des consommateurs au sens de cette Loi.
[111] Considérant les conclusions auxquelles en arrive le tribunal, à savoir qu’il rejette la demande de pourvoi en contrôle judiciaire des demandeurs ainsi que les autres recours qui l’accompagnent, il n’y a pas lieu de donner suite à leur demande de mesure conservatoire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[112] REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire des demandeurs, sans frais de justice, ainsi que la demande de mesure conservatoire.
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| __________________________________ CLAUDE BOUCHARD, J.C.S. |
Monsieur Alain Fortin [...] Ancienne-Lorette (Québec) [...] -et- Monsieur Vincent Hamel [...] Ancienne-Lorette (Québec) [...] Demandeurs | |
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Me Dave Robitaille Me Steven Brassard FASKEN MARTINEAU DUMOULIN Casier 133 Avocats de la défenderesse | |
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Date d’audience : Le 4 décembre 2023 | |
[1] Défense de la Ville, 30 octobre 2023, par. 12 à 20, 36, 37 et 45 à 48.
[2] Pièce D-2, par. 15 à 17.
[3] RLRQ c. E-20.001.
[4] Pièce D-1.
[5] Pièces D-4 et P-19.
[6] Pièce D-5.
[7] Pièce D-13.
[8] Pièce D-2.
[9] Pièce D-15.
[10] Pièce D-16.
[11] Pièce D-17.
[12] Id.
[13] Pièce P-31.
[14] Pièce D-3.
[15] Pièce D-20.
[16] Pièce D-21.
[17] Pièce D-22.
[18] Pièce D-26.
[19] Pièce D-27.
[20] Pièce D-28.
[21] Pièce D-29.
[22] Pièce D-30.
[23] Pièce D-31.
[24] Pièce D-32.
[25] Pièce D-33.
[26] Pièce D-26.
[27] RLRQ c. C-19
[28] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission de l’aménagement et des équipements, 2e sess., 35e légis., 6 juin 1996, « Étude détaillée du projet de loi no. 24 – Loi modifiant la Loi sur les cités et villes, le Code municipal du Québec et d’autres dispositions législatives », 20h5 (M. André Carrier).
[29] Pierre-André Côté et Mathieu DEVINAT,
[30] Gillis c. Ville de Gaspé,
[31]
[32] Id., par. 144, 145 et 149.
[33] Plan d’argumentation des demandeurs, par. 46.
[34] Municipalité de Rivière-Beaudette c. 6617085 Canada inc.,
[35] Paul FARIBAULT, Les dispositions générales applicables aux recours extraordinaires, Rappel théorique, Cowansville, Éditions Yvon Blais, EYB2001PDD97.
[36] Pièce P-25.
[37] Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec,
[38] Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[39] WM Québec c. Ville de Drummondville,
[40] Pièces P-21 et P-31.
[41] Plan d’argumentation de la défenderesse, par. 19 à 31.
[42] Id., par. 32 à 36.
[43] Plan d’argumentation des demandeurs, par. 53 à 58.
[44] Pourvoi en contrôle judiciaire (529 C.p.c.) pour enjoindre d’accomplir un acte (529 (3) C.p.c.), par. 39 et 47
[45] Plan d’argumentation de la demanderesse, par. 69 à 73.
[46]
[47]
[48] Jean-Pierre ST-AMOUR, « Les mesures d’aide offerte par les administrations municipales », dans S.F.C.B.Q., vol.412, Développements récents en droit municipal (2016), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 7.
[49] Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS avec la collab. de Lise VÉZINA, Droit municipal. Principes généraux et contentieux, 2e éd., vol. 1, Brossard, Publications CCH, 2003, feuilles mobiles, à jour au 1er avril 2022, ¶ 0.27.
[50] Saint-Timothée (Ville de) c. Salaberry de Valleyfield (Ville de),
[51]
[52] Id., p. 1 et 2 de l’opinion du juge Jacques.
[53] J. HÉTU et Y. DUPLESSIS, note 49.
[54] Préc., note 50.
[55] 1999 CanLII 11202 (QC CS).
[56] RLRQ, c. C-27.1, art. 6.1.
[57] [1953] C.S. 388.
[58] RLRQ, c. C-47.1.
[59] Art. 322 et 1299 C.c.Q.
[60] Plan d’argumentation de la défenderesse, par. 37 à 47.
[61] Centre de formation en entreprise de récupération Les transformateurs c. Rouyn-Noranda (Ville de), 2004 CanLII 91298 (QC CS), par. 66.
[62] J. HÉTU et Y. DUPLESSIS, préc., note 49, ¶ 2.8.1.
[63] Envac Systèmes Canada inc. c. Ville de Montréal,
[64] Lévesque c. Ville de Normandin,
[65] R. c. Gingras,
[66] Ville de Saguenay c. Construction Unibec inc.,
[67] RLRQ c. E-20.001
[68] Sintra inc. c. Ville de Montréal,
[69] Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc.,
[70] Québec (Procureur général) c. A,
[71] Marcotte c. Longueuil (Ville de),
[72] R. c. K.R.J.2016 CSC 31, par. 41.
[73] R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] R.C.S. 1045, par. 54.
[74] RLRQ c. P-19.1.
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