Lepage c. FTQ-Construction |
2014 QCCS 2114 |
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JM-1754 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
500-17-065438-114 |
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DATE : |
20 mai 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MICHÈLE MONAST, J.C.S. |
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JEAN-YVES LEPAGE |
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Demandeur |
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c.
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FTQ-CONSTRUCTION |
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LOCAL 791, UNION DES OPÉRATEURS DE MACHINERIE LOURDE |
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RICHARD GOYETTE |
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BERNARD GAUTHIER |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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LE CONTEXTE
[1] Au cours d’une entrevue qu’il a donnée à des journalistes de l’émission Enquête, en mars 2010, Jean-Yves Lepage (« Lepage ») a déclaré qu’il avait été victime de menaces et d’intimidation de la part de la FTQ-Construction, du Local 791 de l’Union des opérateurs de machinerie lourde (« le Local 791 »), et de Bernard Gauthier (« Gauthier ») parce qu’il avait refusé de leur céder le contrôle de l’embauche de la main-d’œuvre sur un chantier de construction où il agissait comme directeur de projet pour Le Groupe Aecon ltée (« Aecon »).
[2] Les événements se seraient produits en 2003 et 2004, sur un chantier dédié à la construction d’un barrage hydroélectrique pour Hydro-Québec sur la rivière Toulnustouc (« le chantier de Toulnustouc »), à une centaine de kilomètres au nord - est de Baie-Comeau.
[3] Quelques jours après la diffusion de cette émission, la FTQ-Construction et le Local 791 ont organisé des conférences de presse dans le but de donner leur version des faits et de démentir les propos de Lepage.
[4] Le directeur général de la FTQ-Construction, Richard Goyette (« Goyette »), était accompagné de membres du bureau de direction de la FTQ-Construction et de son procureur, Me Robert Laurin.
[5] Il a nié l’existence de menaces et d’intimidation et il a déclaré qu’il était faux de prétendre, comme l’avait fait Lepage, que la FTQ-Construction contrôlait les grands chantiers de construction de la Côte-Nord.
[6] Il a laissé entendre que Lepage était un gestionnaire incompétent et imprudent. Il a brandi un rapport dressé par la CSST à la suite d’un accident de travail survenu sur le chantier de Toulnustouc au printemps 2004, et il a affirmé qu’un travailleur avait perdu la vie à cause de sa négligence.
[7] Il a déclaré que si les rapports étaient tendus entre Lepage et les représentants de la FTQ-Construction sur le chantier de Toulnustouc, cela était dû au fait que Lepage faisait preuve de négligence et qu’il ne se souciait pas de la santé et de la sécurité des travailleurs sur le chantier, plutôt qu’à une quelconque tentative de contrôler l’embauche de la main-d’œuvre.
[8] Il a souligné que, dans les circonstances, les représentants de la FTQ-Construction étaient tout à fait justifiés d’exercer des moyens de pression pour forcer Lepage à quitter le chantier, et a même ajouté qu’il aurait été inacceptable qu’ils agissent autrement.
[9] Il a aussi mentionné que des procédures judiciaires étaient envisagées pour obtenir réparation du préjudice causé par les déclarations mensongères de Lepage.
[10] Le lendemain, le Local 791 a organisé une conférence de presse à Sept-Îles. Son représentant, Gauthier, a pris la parole. Il était accompagné de membres de l’exécutif de l’association et de travailleurs. Il a remercié la direction de la FTQ-Construction pour son appui.
[11] Il a qualifié les propos tenus dans le cadre de l’émission Enquête de « campagne de salissage » et a entrepris d’expliquer ce qui avait motivé ses actions sur le chantier de Toulnustouc.
[12] Il a nié avoir proféré des menaces ou avoir tenté d’intimider quiconque. Il a expliqué qu’il était intervenu personnellement auprès des entrepreneurs et des travailleurs pour assurer le respect de certaines ententes et obtenir que l’embauche de la main-d’œuvre locale soit priorisée.
[13] Il a affirmé que les déclarations de Lepage étaient fausses et mensongères. Il a laissé entendre qu’elles avaient été faites dans le but de lui nuire. Il a affirmé que Lepage n’était pas une personne digne de confiance et qu’il ne fallait pas prêter foi à ses propos. Il a qualifié Lepage de gestionnaire incompétent et négligent. Il a affirmé qu’il ne se souciait pas de la sécurité des travailleurs et l’a accusé d’avoir causé la mort d’un travailleur par négligence et insouciance. Il l’a qualifié d’« assassin ».
[14] Les médias électroniques et la presse écrite ont largement couvert ces deux conférences de presse, et ont diffusé de différentes manières et à diverses reprises les démentis de Goyette et de Gauthier de même que leurs propos à l’endroit de Lepage.
[15] À l’automne 2010, Gauthier a réitéré ses propos au sujet de Lepage dans le cadre d’une entrevue qu’il a donnée à Denis Lévesque sur les ondes de TVA. Il a nié encore une fois la présence de discrimination syndicale et d’intimidation sur les chantiers de la Côte-Nord, et il a qualifié encore une fois de mensongères les déclarations faites par Lepage dans le cadre de l’émission Enquête.
[16] Il a laissé entendre que Lepage était de mauvaise foi et que ce n’était pas une personne digne de confiance. Il a déclaré que Lepage avait fait de fausses déclarations dans le passé et qu’il avait déjà incité d’autres personnes au parjure dans le but de lui nuire. Il a ajouté qu’il avait eu gain de cause contre lui dans une poursuite judiciaire intentée à la suite de ses fausses déclarations.
[17] En mars 2011, Lepage a pris action contre la FTQ-Construction, le Local 791, Goyette, et Gauthier.
[18] Dans sa requête introductive d’instance, il allègue que les défendeurs ont fait des déclarations fausses et diffamatoires à son endroit. Il leur reproche d’avoir intentionnellement porté atteinte à sa réputation, à sa dignité et à sa vie privée, en guise de représailles pour ses commentaires loyaux et honnêtes.
[19] Il demande au Tribunal de les condamner solidairement à lui verser 300 000 $ à titre de dommages-intérêts pour réparer le préjudice moral qu’il a souffert par leur faute et 200 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
[20] Les défendeurs ont produit une défense pour contester le bien-fondé de cette action.
[21] Ils nient avoir agi dans le but de porter atteinte à la réputation de Lepage et invoquent leur droit à la liberté d’expression. Ils soutiennent qu’ils n’ont pas commis de faute en révélant des faits qui étaient d’intérêt public.
[22] Ils plaident qu’ils étaient en droit de répondre aux accusations mensongères portées contre eux et qu’ils n’ont fait que rapporter publiquement les conclusions d’une enquête menée par la CSST après le décès d’un travailleur sur un chantier dont Lepage était responsable.
[23] Subsidiairement, ils plaident que les dommages-intérêts qui leur sont réclamés sont à la fois injustifiés et grossièrement exagérés.
[24] Ils demandent le rejet de l’action.
[25] Lepage nie toute responsabilité dans l’accident de travail qui est survenu sur le chantier en mai 2004. Il ajoute que ce malheureux événement a été récupéré par les défendeurs pour le discréditer parce qu’il a refusé de leur céder le contrôle de l’embauche de la main-d’œuvre.
[26] Il nie l’existence de problèmes de sécurité, et allègue que c’est le prétexte qui a été choisi par les défendeurs pour justifier les gestes qu’ils ont posés et les moyens de pression exercés sur le chantier.
[27] Il nie avoir fait de fausses déclarations ou avoir incité quiconque au parjure et conteste la véracité des propos de Gauthier à ce sujet, incluant le fait qu’il aurait eu gain de cause contre lui dans des procédures judiciaires.
[28] Le Tribunal doit déterminer si les défendeurs ont porté atteinte à la réputation, à la dignité et à la vie privée de Lepage et, dans l’affirmative, vérifier la nature du préjudice qu’il a souffert et la mesure de la réparation à laquelle il a droit. Dans le cas d’une atteinte intentionnelle, le Tribunal doit déterminer si des dommages-intérêts punitifs doivent lui être octroyés et, dans l’affirmative, en fixer le montant.
LES FAITS
[29] Un retour sur les faits qui se sont déroulés sur le chantier de Toulnustouc entre 2003 et 2005 s’impose.
[30] Cela permet de mieux cerner la nature des rapports entre les parties et de vérifier la véracité des déclarations faites de part et d’autre. Cela permet également d’apprécier, le cas échéant, la gravité de la faute commise par les défendeurs et la nature du préjudice souffert par le demandeur.
[31] La preuve prépondérante qui a été administrée devant le Tribunal révèle ce qui suit :
[32] Lepage est ingénieur civil de formation. De 1977 à 2010, il travaille comme directeur de projet pour des sociétés de génie civil et des entrepreneurs en construction. À compter de 1991, il travaille presque exclusivement sur des chantiers d’Hydro-Québec. Il développe ainsi, au fil des ans, une expertise particulière dans le domaine de la construction des barrages hydroélectriques.
[33] En 2002, Hydro-Québec entreprend d’aménager un complexe hydroélectrique comprenant une centrale et un barrage sur la rivière Toulnustouc à environ 100 kilomètres au nord-est de Baie-Comeau.
[34] Il s’agit d’un chantier d’envergure dont le coût est estimé à 1 milliard de dollars. Hydro-Québec agit comme maître d’œuvre du projet. La réalisation des travaux est confiée à quatre ou cinq entrepreneurs en construction qui ont obtenu des contrats à la suite d’un processus d’appel d’offres.
[35] L’entreprise Aecon fait partie des entrepreneurs à qui est confiée la responsabilité d’exécuter des travaux. Elle obtient deux contrats de construction dans le cadre de ce projet.
[36] Le premier contrat, d’une valeur de 60 000 000 $, vise la construction d'un barrage, d'une digue et d'une galerie de dérivation, incluant la fourniture et l'installation d'une vanne, l’excavation d'un évacuateur de crues et la construction d'une route d'accès, et le second, d’une valeur de 25 000 000 $, vise la fourniture et l'installation de vannes pour la prise d'eau et l'évacuateur de crues, des travaux du bétonnage et des travaux connexes.
[37] Pour l’assister dans l’exécution de ses travaux, Aecon confie la direction de son chantier à Lepage. Il a déjà géré des chantiers d’envergure pour des entrepreneurs en construction qui ont œuvré pour Hydro-Québec dans le passé et il a bonne réputation dans l’industrie de la construction.
[38] Les responsabilités de Lepage consistent à organiser le chantier et à superviser l’ensemble des travaux qui doivent être réalisés par Aecon pour le bénéfice d’Hydro-Québec.
[39] Il doit recruter le personnel cadre, embaucher la main-d’œuvre qualifiée et fournir les équipements et les matériaux requis pour la réalisation des travaux. Il doit aussi superviser l’exécution des travaux afin de s’assurer qu’ils soient conformes aux règles de l’art et aux exigences du contrat, et prendre les mesures nécessaires pour que les échéances fixées par le maître d’œuvre soient respectées.
[40] Lepage a témoigné que les travaux à réaliser étaient complexes parce que les plans prévoyaient des approches nouvelles et que les conditions de réalisation des travaux étaient difficiles. Des pénalités importantes pouvaient être réclamées en cas de retard. Il était donc important de respecter les échéanciers prévus.
[41] Les travaux de construction du barrage doivent débuter à l'automne 2002 et être réalisés par étapes.
[42] La fermeture de la rivière pour la construction des batardeaux en amont et en aval du barrage de même que les travaux d'excavation et de bétonnage de la galerie de dérivation doivent être complétés au printemps 2003.
[43] Les travaux d'excavation, de bétonnage, et de remblayage, relatifs à l'aménagement du barrage, de la digue et de l'évacuateur de crues doivent être terminés, et les routes d'accès complétées à l’automne 2004.
[44] La vanne de dérivation doit être fermée pour permettre le remplissage du réservoir au début de l’année 2005, et l'équilibre entre les deux plans d'eau au barrage doit être atteint environ 6 semaines après la fermeture de la vanne de dérivation.
[45] Aecon doit procéder au démantèlement des équipements au printemps 2005 et compléter tous les travaux, incluant la démobilisation du chantier, pour l’été 2005. La réception définitive des travaux doit avoir lieu le 15 juillet 2005.
[46] En juillet 2002, Lepage se rend à Toulnustouc pour organiser le chantier et procéder à l’embauche de la main-d’œuvre requise pour l’exécution des travaux.
[47] À l’époque, le conseil conjoint, formé de la FTQ-Construction et du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (« CPQMC ») représente, à lui seul, 80 % des travailleurs dans les métiers recherchés. Les autres travailleurs sont membres d’associations rivales telles que la Confédération des syndicats nationaux (la « CSN ») ou la Centrale des syndicats démocratiques (la « CSD »).
[48] À son arrivée sur le chantier, Lepage rencontre les chargés d’affaires des principales associations syndicales, incluant celui de la FTQ-Construction.
[49] Il leur présente la méthode qu’il se propose d’adopter pour l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier d’Aecon et il demande à chacun de lui fournir une liste de référence des travailleurs qui sont qualifiés, intéressés et disponibles pour travailler sur le chantier.
[50] Les chargés d’affaires sont informés que Lepage a l’intention de recruter des travailleurs auprès de toutes les associations syndicales et de reproduire, si possible, le même ratio dans l’embauche que celui qui existe au niveau de la représentation syndicale. Une priorité sera accordée à l’embauche locale. L’approche décrite par Lepage est jugée équitable par tous et elle est acceptée.
[51] Au total, 450 travailleurs sont engagés par Aecon pour réaliser le projet. La majorité d’entre eux sont des travailleurs de la région. Une minorité vient de l’extérieur.
[52] En décembre 2002, le chantier est fermé pour l’hiver et les travailleurs sont mis à pied jusqu’au printemps. Au printemps 2003, des mesures de rattrapage sont mises en place parce que des retards se sont accumulés sur le chantier. Aecon doit accélérer les travaux pour rencontrer l’échéancier fixé par Hydro-Québec et éviter des pénalités.
[53] Gauthier entre en scène. Il est membre de l’exécutif du Local 791 et est le nouveau chargé d’affaires de la FTQ-Construction sur le chantier. Il rencontre Lepage et exige qu’un des opérateurs engagé par Aecon soit mis à pied parce qu’il n’est pas de la région.
[54] Il annonce par la même occasion à Lepage qu’il ne reconnaît pas la validité des règles afférentes à la mobilité provinciale et qu’il s’oppose à ce que des travailleurs venant de l’extérieur soient embauchés par Aecon. Il lui fait valoir que la FTQ-Construction représente le plus grand nombre de travailleurs de métiers dans la région et le prévient qu’il entend exercer un contrôle sur l’embauche de la main-d’œuvre sur l’ensemble du chantier.
[55] Malgré les mises en garde de Gauthier, Lepage refuse de modifier son approche. Il accepte de mettre à pied l’opérateur identifié par Gauthier, mais doit le réengager peu après parce qu’aucun travailleur qualifié n’est disponible pour le remplacer.
[56] Quelques semaines après cette première rencontre avec Lepage, Gauthier revient sur le chantier. Il est accompagné de membres de l’exécutif du Local 791 et de représentants du bureau de direction de la FTQ-Construction. Il avertit Lepage qu’il devra passer par lui à l’avenir pour tout ce qui concerne l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier et lui fait comprendre, par le ton de ses propos, que cela n’est pas négociable.
[57] Lepage insiste pour exercer lui-même le pouvoir d’embauche et explique sa position à Gauthier. Il constate qu’aucune discussion n’est possible. Malgré les avertissements qui lui sont servis par Gauthier, il décide de rester sur ses positions et continue d’exercer son pouvoir de gérance en procédant lui-même à l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier. Il invite Gauthier à lui fournir une liste de référence des travailleurs de la FTQ-Construction qui sont disponibles pour travailler sur le chantier, et se réserve le droit de les refuser s’il est d’avis qu’ils ne rencontrent pas les exigences de la tâche.
[58] Quelques jours après cette rencontre, Lepage est prévenu par un membre du bureau de direction de la FTQ-Construction que, s’il n’accepte pas de passer par Gauthier pour l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier, il perdra tous ses grutiers.[1] Il refuse. Peu après cet entretien, les opérateurs-grutiers reçoivent la consigne de ne pas se présenter au travail. Un seul des opérateurs demeure à son poste malgré le mot d’ordre donné par Gauthier.
[59] L’absence des opérateurs-grutiers entraîne des délais dans l’exécution des travaux alors même que des mesures de rattrapage ont été mises en place pour récupérer des retards. Des interventions sont également faites auprès des travailleurs sur le chantier par Gauthier et par les délégués de chantier des associations affiliées à la FTQ-Construction pour ralentir les travaux.
[60] Certains travailleurs rapportent qu’ils reçoivent des menaces et qu’ils sont victimes d’intimidation de la part de Gauthier et de sa garde rapprochée. Tout cela contribue à une détérioration du climat de travail sur le chantier.
[61] Lepage tente d’engager d’autres opérateurs-grutiers. Il communique avec la Commission de la construction du Québec, sans succès.
[62] Dans l’intervalle, de nouvelles méthodes de travail sont développées pour pallier au manque de main-d'œuvre et éviter que les travaux soient paralysés. La conception et l’utilisation d’échafaudages volants est une des méthodes retenues pour permettre l’exécution de travaux en hauteur lorsque les grutiers sont absents.
[63] Les rapports entre Gauthier et Lepage continuent de se détériorer. Certains ferrailleurs quittent le chantier pour manifester leur solidarité avec les grutiers. Les travailleurs reçoivent la consigne de ne pas accepter de travail en temps supplémentaire. Plusieurs rapportent être victimes de menaces et d’intimidation.
[64] Au début de juillet 2003, Lepage signe une déclaration solennelle dans laquelle il affirme avoir lui-même été victime de menaces et d’intimidation de la part de Gauthier :
Jean-Yves Lepage, […] étant gérant de projet pour la compagnie Aecon, DÉCLARE SOLENNELLEMENT QUE mercredi le 03/07/02, vers 21h30, j’étais en train de discuter avec mon surintendant (terrassement) de nuit, M. Jacques Gagné. J’étais à bord de ma voiture et tout à coup un homme a ouvert la porte droite du véhicule. Il a ouvert brusquement et il m’a regardé et m’a dit : «Toé mon esti de plein de marde, m’a m’occuper de toé après!» J’ai reconnu l’individu comme étant M. Bernard Gauthier, représentant des opérateurs de la F.T.Q. Par la suite, il a fermé la porte de toutes ses forces et il est reparti en colère. Ensuite j’ai remarqué qu’il était accompagné de M. Michel Bezeau, représentant des manœuvres pour la F.T.Q.. Par la suite, j’ai été à la digue pour rencontrer le surintendant coffrage, M. Jean-Yves Berger. Je lui ai demandé s’il avait eu la visite des représentants syndicaux et il m’a répondu que non. Cependant, il m’a annoncé que son frère, M. Marcel Berger, venait de recevoir des menaces des gens de l’Union.
ET JE FAIS DÉCLARATION SOLENNELLE, LA CROYANT CONSCIENCIEUSEMENT VRAIE ET SACHANT QU’ELLE A LA MÊME FORCE ET LE MÊME EFFET QUE SI ELLE ÉTAIT FAITE SOUS SERMENT, AUX TERMES DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA.[2]
[65] Quelques jours après le dépôt de cette plainte, Hydro-Québec organise une réunion du comité des relations de travail à laquelle sont conviés les représentants des entrepreneurs et des associations syndicales pour discuter de « la problématique des relations de travail spécifique aux opérateurs et au Local 791 ».
[66] Les deux sujets à l’ordre du jour lors de cette réunion sont : 1) la provenance de la main-d’œuvre et l’application des règles de mobilité provinciale; 2) le climat d’intimidation et de menaces qui a été instauré sur le chantier par les représentants du Local 791.
[67] D’entrée de jeu, les représentants de la FTQ-Construction et du Local 791 s’opposent à toute discussion concernant les règles de la mobilité provinciale dont ils contestent la légitimité :
1. PROVENANCE DE LA MAIN-D’ŒUVRE
Bernard Girard [Local 791] déclare qu’il ne veut pas discuter de mobilité provinciale. Il est pour la mobilité provinciale à condition que les compagnies s’entendent avec le syndicat majoritaire. Il ajoute que c’est le Conseil Conjoint qui a négocié la mobilité provinciale et non pas le local 791.
Gilles Simard [Hydro-Québec] explique qu’ils ont essayé de discuter du problème de provenance de la main-d’œuvre avec Bernard Gauthier la semaine dernière et de lui montrer un portrait global des effectifs chez Aecon.
Bernard Girard [Local 791] estime que la mobilité provinciale est illégale et qu’il faut discuter de ce sujet avec le Conseil Conjoint et non avec le local 791.
Il demande à connaître le problème qui a motivé la tenue de la réunion. Il précise qu’il n’est pas venu pour parler de mobilité provinciale, mais bien «d’un problème spécifique au local 791» tel qu’il est indiqué sur la convocation. Il répète que la mobilité provinciale est illégale. Pour embaucher des travailleurs de l’extérieur de la région, l’employeur doit s’asseoir avec le syndicat majoritaire et s’entendre avec eux (sic). […] il parle de la pression que subi le représentant syndical de la part de ses membres en ville qui veulent travailler dans leur région.
Laurent Busque [Hydro-Québec] explique que lors de l’attribution de chaque contrat, Hydro-Québec convoque une réunion au cours de laquelle l’entrepreneur présente son projet aux représentants des divers corps de métiers (travaux, échéancier, besoins de main-d’œuvre). C’est à cette réunion que les parties doivent s’entendre sur un pourcentage raisonnable de main-d’œuvre régionale et de main-d’œuvre de l’extérieur. Cette réunion a lieu systématiquement pour chaque contrat attribué. Hydro-Québec a toujours demandé aux employeurs de respecter l’embauche régionale.
Dany Cayouette [ACRGTQ] mentionne qu’il était présent lors des négociations et qu’il y a bel et bien eu une entente relativement à la mobilité de la main-d’œuvre pour tous les métiers énumérés à l’article 15.12 de la convention collective.
Gaétan Lapointe [Neilson inc.] ajoute que si le local 791 affirme maintenant que la clause de mobilité ne s’applique pas, cela pourrait être réglé rapidement par un appel à Pierre Labelle du Conseil Conjoint demain matin. Il mentionne que les entrepreneurs ont consenti des concessions en échange de cette clause, dont la semaine de 45 heures au lieu de 50 heures. [3]
[68] Questionnés sur le mauvais climat de travail sur le chantier, les représentants de la FTQ-Construction et du Local 791 nient la présence de menaces et d’intimidation.
[69] Gauthier explique que des moyens de pression sont exercés dans le but de mettre de côté les règles de la mobilité provinciale et de favoriser l’embauche prioritaire des travailleurs de la région. Il admet qu’il y a eu des « accrochages », mais il nie qu’il y a eu des menaces :
2. CLIMAT D’INTIMIDATION ET DE MENACES
Gilles Simard [Hydro-Québec] parle du deuxième sujet et rapporte que depuis une couple de mois, on entend parler à gauche et à droite d’intimidation et de menaces. Sans identifier quiconque en particulier, il mentionne que cette situation doit absolument cesser.
Bernard Girard [Local 791] ne croit pas qu’il y ait eu des menaces.
Richard Brassard [Aecon] donne le nombre de grutiers (4 sur 5) et de ferrailleurs (par solidarité) qui ne sont pas entrés au travail chez Aecon encore aujourd’hui. Il estime que le climat est pourri et qu’en réalité les gars ne font pas de temps supplémentaire actuellement parce qu’ils subissent des pressions indues et des menaces.
Bernard Gauthier dit que l’entente prise par le local 791 est respectée et qu’il a l’appui du Conseil Conjoint à l’effet que la mobilité provinciale n’est pas correcte. Il croit qu’il ait pu y avoir des accrochages mais pas des menaces.
Laurent Busque [Hydro-Québec] rétorque que, sans impliquer Bernard Gauthier, l’atmosphère n’est pas bonne et que les travailleurs craignent pour leur peau. À cet effet, il raconte qu’un représentant du ministère de l’Environnement de Québec, en visite à Toulnustouc jeudi dernier, s’informait auprès d’un travailleur à savoir s’il aurait terminé son travail de pompage en fin de semaine. Ce dernier lui a répondu que s’il travaillait en fin de semaine, il se ferait casser les jambes.
Bernard Girard [Local 791] répond qu’il y a des gars pas loin qui ont faim et que ça peut arriver que des commentaires dépassent les normes. Bernard Gauthier [Local 791] ajoute que si les gars «capotent», il n’y peut rien.
Laurent Busque [Hydro-Québec] mentionne qu’il y a par contre des façons de présenter les faits et que cette façon va déterminer bien souvent les réactions des gens. Il parle des ratios et des façons de présenter les chiffres. Il donne comme exemple une échelle de grandeur de 70 % - 30 %. Si le ratio est amélioré à 78 % - 22 %, il ne faut pas dire qu’il y en a 22 de trop. Tout est dans la manière de présenter le dossier.
Guylaine Dubois [EBC inc.] dit que lorsque Bernard Gauthier va parler avec les travailleurs, on a l’impression que certains sont intimidés. Elle veut savoir pourquoi le climat est comme ça depuis deux mois.
Bernard Gauthier lui répond qu’elle ne peut pas dire qu’elle n’est pas au courant, qu’il l’a renseignée. Il veut changer le climat. Il invite les représentants de EBC à s’asseoir avec eux pour en reparler. Il demande une ouverture et mentionne que l’entente de main-d’œuvre n’a pas été respectée.
[…]
Bernard Girard [Local 791] dit que les contremaîtres qui travaillent, c’est toujours pareil. Il ajoute qu’en région il y a 70-75 gars qui ne travaillent pas et qu’il y a de la pression. À compétence égale, le local 791 va prioriser les gens de la place.
Bernard Gauthier répète que la pression est réelle et très forte. Il prend des ententes au chantier, il les «vend» à ses membres et il dit qu’elles ne sont pas respectées par la suite. Il fait allusion à l’entente qu’il aurait eue avec Jean-Yves Lepage de Aecon comme quoi l’embauche passerait par lui. Trois jours plus tard, Aecon a fait venir le fils du surintendant contrairement à l’entente.
Jean-Yves Lepage assure qu’il n’y a pas eu d’entente. Il explique qu’il y avait trois représentants syndicaux dans le bureau (MM. Gauthier, Bezeau et Poirier) et ils ont discuté longuement. Bernard Gauthier voulait qu’il passe par lui pour tous les employés. Jean-Yves Lepage dit que la discussion n’allait nulle part, il a arrêté de parler parce que ça ne donnait rien. Il réaffirme que pour lui, il n’y a jamais eu d’entente.
Quand les trois représentants sont partis, Jean-Yves Lepage est allé voir Laurent Busque pour lui dire qu’ils voulaient sortir un travailleur (Yvon Fournier) qui était au chantier légalement.
Il mentionne avoir eu des discussions régulières avec Bernard Gauthier, entre autres pour engager d’anciens employés, dont un qui peut le dépanner parce qu’il peut faire deux métiers. Il avait été convenu de l’embaucher le plus tard possible. Il répète qu’il n’y a jamais eu d’entente pour passer par le local 791 pour embaucher tout son personnel.
Après l’embauche d’Yvon Fournier, il a engagé 21 autres travailleurs de la région. Par la suite, il a embauché le fils du surintendant, et un menuisier après en avoir parlé à Réginald Poirier.
Bernard Gauthier affirme à nouveau qu’il y avait une entente qui n’a pas été respectée et qu’il a perdu la face vis-à-vis ses membres.
Gilles Simard [Hydro-Québec] rappelle que tout le monde a pris de son temps pour venir à la réunion parce que depuis deux mois le climat est pourri, ça empire et on vit ce climat d’intimidation à tous les jours et il est temps que ce problème se règle.
Il mentionne qu’il y a des travailleurs qui se sont plaints d’avoir été intimidés et ces informations nous viennent de différentes sources et de différentes entreprises. Les gars se font dire : «On sait où tu restes» et «Tu ne seras plus placé par le syndicat quand tu vas finir ici». Certains nous ont même parlé de menaces de brûlage de maison.
Bernard Girard [Local 791] précise que ni lui ni le local 791 n’endossent de telles menaces si elles ont été faites. Il demande à ce que son représentant, Bernard Gauthier, passe le même message aux membres du 791. Il répète que parfois les travailleurs, entre eux, peuvent dire des choses relativement à certaines situations mais il répète qu’il n’est pas d’accord avec ces paroles. Il couche à Toulnustouc ce soir et parlera à ses membres dans ce sens. Bernard Gauthier acquiesce dans le même sens.
Richard Brassard [Aecon] demande si les grutiers et les ferrailleurs vont être au travail demain matin chez Aecon.
Bernard Gauthier répond qu’il n’a pas dit ça mais qu’il n’y aura pas de menaces.
Eric Méthot [Local 791] rappelle que le problème de l’embauche de la main-d’œuvre n’est pas récent. Il parle de Neilson dans le temps (à SM-3) et répète lui aussi que les gens en région veulent travailler.
Laurent Busque [Hydro-Québec] parle de deux versions relativement à la clause 15.12. D’après l’ACRGTQ, la mobilité provinciale est totale. D’après le local 791, il doit y avoir une entente avec le syndicat majoritaire. Hydro-Québec demande aux entrepreneurs de présenter leurs prévisions d’embauche. Il pense que c’est ce qui se fait lors des rencontres d’assignation.
Gaétan Lapointe [Neilson inc.] dit qu’ils ont la liste de tous les travailleurs de la Côte-Nord et il parle du manque de personnel pour plusieurs corps de métiers dans la région. On précise que la CCQ n’a pas donné d’amende relativement à la provenance des travailleurs. Bernard Girard répond que la CCQ n’a pas reçu de plainte et que c’est pour ça qu’il n’y a pas eu d’amende. Gaétan Lapointe lui répond d’en faire une s’il le juge à propos.
Bernard Girard [Local 791] parle d’une rencontre il y a 1½ à 2 mois avec Jocelyn Dupuis et les gens d’Hydro-Québec, et que Jocelyn Dupuis avait mentionné qu’il y avait une entente à intervenir avec le syndicat majoritaire en région.
Laurent Busque [Hydro-Québec] répète qu’une rencontre a lieu au début de chaque contrat et que c’est à cette occasion que la situation doit être discutée. Il rappelle que les gens de l’extérieur doivent être acceptés dans une proportion raisonnable lors de ces rencontres.
[…]
Éric Méthot [Local 791] croit que c’est toujours le même monde qui est embauché et que les entrepreneurs connaissent la main-d’œuvre de la région. Il demande de donner la chance au représentant de se faire respecter. Il donne comme exemple que si Jean-Yves Lepage veut embaucher un travailleur «X», il devrait téléphoner à Bernard Gauthier et lui dire, ce qui permettrait de faire le contact et de valoriser le rôle du représentant syndical. Jean-Yves Lepage est d’accord avec cela mais ne veut pas passer par le local 791 pour les gars de la CSN ou de la CSD.
[…]
Bernard Gauthier explique que les gars ne veulent pas venir chez Aecon actuellement par solidarité. Richard Brassard [Aecon] souligne un manque de constance de la partie syndicale: quand il y a un blocage, le représentant syndical dit que ce ne sont pas ses membres, et, quand il y a une garantie, là c’est correct.
Gaétan Lapointe [Neilson inc.] demande si le climat peut changer et s’améliorer demain matin.
Bernard Girard [Local 791] répond par l’affirmative et demande si Aecon et le local 791 peuvent se rencontrer pour régler la situation. Laurent Busque [Hydro-Québec] décide de libérer les autres participants à 14h20 afin de permettre une rencontre entre Aecon et le local 791.[4]
[70] Une rencontre a lieu entre les représentants d’Aecon et du Local 791 par la suite, mais ces derniers sont incapables de conclure une entente. Lepage refuse de céder le contrôle de l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier d’Aecon, et Gauthier persiste dans ses demandes.
[71] Un rapport de force s’installe. Les moyens de pression s’intensifient. Les délégués de chantier multiplient les plaintes et utilisent les questions de sécurité comme des prétextes pour retarder les travaux.
[72] Lepage réussit éventuellement à trouver des opérateurs-grutiers pour occuper les postes laissés vacants par ceux qui ont quitté le chantier. Les nouveaux opérateurs sont membres de l’Union internationale des opérateurs-ingénieurs, Local 905 (« Local 905 »).
[73] L’embauche de ces travailleurs membres d’un syndicat concurrent n’est pas jugée acceptable par les représentants de la FTQ-Construction et du Local 791. Le bureau de direction de la FTQ-Construction insiste pour que Lepage les mette à pied et qu’il congédie le travailleur qui a refusé de quitter le chantier, malgré le mot d’ordre donné en ce sens par Gauthier. Lepage refuse. Les hostilités se poursuivent. Certains opérateurs du Local 905 rapportent qu’ils sont victimes de menaces et d’intimidation. Le climat de travail continue de se détériorer sur le chantier.
[74] Plusieurs rencontres ont lieu entre les représentants d’Hydro-Québec, d’Aecon, et de la FTQ-Construction pour trouver une solution au conflit et ramener le calme sur le chantier. Des procédures en injonction sont même signifiées par Aecon à certains délégués de chantier.
[75] En septembre 2003, le procureur du Local 905, Me Robert Toupin, proteste auprès d’Hydro-Québec contre la discrimination syndicale qui est exercée sur le chantier de Toulnustouc par la FTQ-Construction et le Local 791 :
Monsieur Laurent Busque
Directeur de projet
Sainte-Marguerite-3 & Toulnustouc
Hydro-Québec Équipement
Campement du Lac Amariton
Monsieur,
[…] Contrairement à l’avis écrit expédié le 16 septembre 2003 à monsieur Gerry Chouinard (gérant d’affaires de l’Union internationale des opérateurs-ingénieurs, local 905) l’invitant, au même titre que d’autres représentants […] à une réunion du comité des relations de travail du projet de la Toulnustouc devant se tenir aujourd’hui […], vous avez demandé […] de communiquer avec monsieur Gerry Chouinard afin de l’informer que sa présence n’était plus requise suite à des directives en sens de monsieur Yves Derosby […] et de monsieur Pierre Labelle […]. En fait, monsieur Yves Derosby vous a avisé que si monsieur Gerry Chouinard était présent à cette rencontre, l’union des opérateurs de machinerie lourde (opérateurs grutiers), local 791G boycotterait ladite rencontre, en empêcherait la tenue et ferait en sorte que ça irait encore plus mal pour le contracteur Aecon civil industriel.
Essentiellement, l’Union des opérateurs de machinerie lourde (opérateurs grutiers), local 791G avec la bénédiction du Conseil conjoint (FTQ-Construction et CPQMC-International) se livre à de la discrimination syndicale à l’encontre des membres de l’Union internationale des opérateurs-ingénieurs, local 905, et ce, particulièrement auprès de l’employeur Aecon civil industriel qui a embauché des membres de cette dernière ainsi que des membres du Local 791G.
À telle enseigne, ma cliente l’Union internationale des opérateurs-ingénieurs, local 905, se dissocie complètement et condamne clairement la grève illégale (refus concerté de faire du temps supplémentaire) à laquelle se livre l’Union des opérateurs de machinerie lourde (opérateurs grutiers), local 791G, ses représentants, ses membres ainsi que tout autre salarié de quelque allégeance syndicale que ce soit qui y participe.
De plus, s’il faut le répéter, l’Union des opérateurs de machinerie lourde (opérateurs grutiers), local 791G et ses représentants ainsi que le Conseil conjoint (FTQ-Construction et CPQMC-International) et ses représentants ne sont légalement pas habilités à agir et à parler, en n’importe quel temps, au nom de l’Union internationale des opérateurs-ingénieurs, local 905, ses représentants et ses membres et plus particulièrement mais non limitativement, lorsque les représentations faites adoptent le discours de la discrimination syndicale, de l’intimidation et des moyens de pression illégaux.
Finalement, on ne peut que fortement déplorer que le donneur d’ouvrage que constitue Hydro-Québec se livre ainsi au jeu entrepris par l’Union des opérateurs de machinerie lourde (opérateurs grutiers), local 791G et par le Conseil conjoint (FTQ-Construction et CPQMC-International), fragilisant ainsi les employeurs contracteurs qui sont désireux de respecter la loi et de civiliser les relations de travail. Dans les circonstances, ma cliente n’a pas d’autres alternatives que de saisir le Ministre du travail de cette situation.
Veuillez agir en conséquence.
(s) Robert Toupin, avocat [5]
[76] Le même jour, une rencontre a lieu entre les représentants d’Hydro-Québec, d’Aecon, de la FTQ-Construction, et du Local 791 pour trouver une solution au conflit qui perdure sur le chantier en rapport avec le contrôle de l’embauche de la main-d’œuvre. Après discussions, une entente de principe est finalement conclue. Elle se lit ainsi :
Entente intervenue
Lorsque M. Jean-Yves Lepage aura besoin d’un opérateur ou d’un grutier provenant du 791 et du 791G, il le fera savoir à M. Bernard Gauthier qui lui fournira une liste de candidats;
M. Lepage pourra choisir parmi les personnes proposées ou les refuser en expliquant l’objet de son refus à M. Gauthier. Si les candidatures sont toutes refusées, M. Gauthier pourra fournir d’autres candidatures;
M. Lepage ne contactera pas les candidats personnellement. Si des candidats l’appellent directement, il leur demandera de communiquer avec leur représentant syndical afin de l’informer de sa disponibilité au travail et de son intérêt pour exercer sa prestation de travail au chantier pour le bénéfice de Aecon (sic);
S’il y avait mésentente entre MM. Lepage et Gauthier, MM. Richard Brassard, Bernard Girard et Yves Derosby prendront la relève de la discussion;
La fin de la saison de construction approche et les mises à pied auront lieu prochainement. Le personnel actuellement en place aura priorité d’embauche lors du redémarrage des travaux en 2004 et 2005. La présente entente a trait aux nouvelles embauches de cette année et aux années ultérieures.
N.B. Cette procédure est pour clarifier la façon de procéder relativement à la main-d’œuvre du Local 791 et du Local 791G. Elle n’empêche en aucune manière M. Lepage de communiquer ses besoins en opérateurs et en grutiers à toute autre association syndicale représentative. […]
(Signé) Gilles Simard [Hydro-Québec]
Yves Derosby [Local 791G]
Claude Lachapelle [Hydro-Québec]
René Simard [Aecon] [6]
[77] En décembre 2003, le chantier est fermé pour l’hiver et les travailleurs sont mis à pied jusqu’à la reprise des travaux au printemps 2004.
[78] En mai 2004, un tragique accident survient sur le chantier. L’effondrement d’un échafaudage volant installé dans l’évacuateur de crues pour permettre des travaux de finition de béton entraine la chute d’un travailleur et son décès.
[79] La Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») initie une enquête dans le but d’identifier les causes de cet accident.[7] Son rapport sera déposé en janvier 2006.
[80] Dans l’intervalle, Hydro-Québec fait enquête et conclut que la procédure d’installation de l’échafaudage n’a pas été suivie par le surintendant et que l’installation de cet équipement n’a pas été vérifiée par l’ingénieur de projet avant son utilisation malgré les directives données à cet effet. Elle note également que les consignes de sécurité n’ont pas été suivies par les travailleurs impliqués dans l’accident.[8] Il est recommandé qu’une meilleure supervision soit faite par l’employeur, qu’une attestation de conformité signée et scellée soit émise par un ingénieur lors de chaque installation de l’échafaudage volant, et que l’on s’assure de la bonne utilisation des équipements de protection contre les dangers de chute par les travailleurs.[9]
[81] En juin 2004, Gauthier organise un rassemblement des travailleurs sur le chantier. À leur arrivée sur le chantier d’Aecon, les travailleurs sont redirigés par les délégués de chantier vers la cafétéria. Une centaine de travailleurs se regroupent à cet endroit.
[82] Gauthier est sur place. Il est accompagné de membres de l’exécutif du Local 791 et d’autres locaux affiliés à la FTQ-Construction et de délégués de chantier. Il prend la parole pour solidariser les travailleurs contre Lepage. Selon lui, il y a un problème sur le chantier et pour le régler il faut obliger Lepage à le quitter, de force si nécessaire. Il parle des problèmes d’embauche et du mauvais climat de travail, et accuse Lepage d’être responsable de cette situation. Il le tient également responsable de l’accident survenu sur le chantier quelques semaines auparavant. Il invite les travailleurs à se mobiliser et à appuyer ses démarches pour obliger Lepage à quitter le chantier.
[83] Un des opérateurs du Local 905 exprime son désaccord et se dirige à l’intérieur de la cafétéria. Quelques délégués de chantier qui accompagnent Gauthier le suivent à l’intérieur du bâtiment, l’empoignent et le sortent à l’extérieur sans ménagement pour le donner en exemple aux autres travailleurs.
[84] Gauthier continue de s’adresser aux travailleurs présents après l’incident. Il les invite à se rendre aux bureaux administratifs d’Hydro-Québec pour manifester leur appui au syndicat et exiger la démission ou le congédiement de Lepage.
[85] Il se rend ensuite aux bureaux d’Hydro-Québec accompagné d’une dizaine de personnes, dont certains sont délégués de chantier.
[86] Une fois sur place, ils insistent pour que des camionnettes soient fournies aux délégués de chantier afin qu’ils puissent circuler et vérifier le respect des consignes de sécurité sur le chantier d’Aecon. Lepage se rend sur les lieux et les informe qu’il n’entend pas donner suite à leur demande.
[87] Gauthier quitte les bureaux d’Hydro-Québec et revient une dizaine de minutes plus tard, accompagné d’une centaine de travailleurs qui menacent de sortir Lepage de force du chantier s’il n’est pas mis un terme à son engagement.
[88] Hydro-Québec décide de fermer le chantier d’Aecon pour éviter un affrontement et assurer la sécurité de tous.
[89] La nouvelle de la fermeture du chantier est publiée le lendemain dans le journal Le Soleil :
CHANTIER DE TOULNUSTOUC : HYDRO FERME INDÉFINIMENT LE CHANTIER D’UN ENTREPRENEUR
BAIE-COMEAU - En raison d’un conflit au niveau des relations de travail, la direction du projet hydroélectrique de la rivière Toulnustouc a décidé de fermer indéfiniment le chantier de l’un de ses entrepreneurs, Aecon. Cette mesure affecte un peu plus de 350 des 1 300 travailleurs du chantier.
Selon ce que LE SOLEIL a pu apprendre, certains représentants de la FTQ auraient mené du brasse-camarade auprès de collègues, hier matin. La direction du chantier a décidé de ne pas lésiner et de fermer le chantier de l’entrepreneur touché par les événements.
«Le problème avec la FTQ est suffisamment sérieux pour qu’Hydro-Québec prenne cette décision, a déclaré la porte-parole du chantier, Marthe Nadeau. Nous avons ici une équipe de gestionnaires chevronnés et respectés. Cette décision n’a pas été prise à la légère. Le chantier est suspendu pour l’instant et quand ça va reprendre, ça va reprendre pour de bon.»
Ce ne serait pas d’hier que des travailleurs du chantier seraient victimes de menaces. «C’est quelque chose de latent, mais jusque-là, on avait toujours réussi à concilier les parties» a ajouté Mme Nadeau. Hydro-Québec a d’ailleurs déposé des plaintes à la Sureté du Québec pour intimidation, menaces et chantage. Il a été impossible de confirmer ces informations auprès de la SQ, hier en soirée.
Mme Nadeau n’a pas voulu préciser quels ont été les événements, mais selon elle, la tension était suffisamment élevée sur le chantier qu’il fallait en arriver à poser ce geste afin d’éviter des affrontements. «On ne peut pas tolérer ça», a-t-elle ajouté. […][10]
[90] La décision d’Hydro-Québec est aussi rapportée sur le site web Radio-Canada.ca :
LE CHANTIER TOULNUSTOUC PARALYSÉ
En pleine période de pointe, Hydro-Québec suspend plus du quart de ses activités à son chantier de la Toulnustouc sur la Côte-Nord en raison d’un conflit entre travailleurs. Environ 350 employés (sur les 1 300 travailleurs actuels) sont touchés par cette mesure.
La Société d’État affirme que des affrontements ont dégénéré jeudi, mais il existe encore beaucoup de flou quant aux causes de ce conflit. Le porte-parole d’Hydro-Québec, Marthe Nadeau, refuse de préciser la nature de ce conflit, qui serait concentré chez l’entrepreneur responsable des travaux dans le secteur du barrage, Aecon.
Madame Nadeau parle cependant d’un problème majeur, où il est question d’intimidation, de menaces et même d’accrochages physiques. Hydro-Québec entend prendre le temps nécessaire pour régler ce litige qui concerne la FTQ.
Les dirigeants de cette centrale se rendront au chantier en début de semaine prochaine. Sans commenter davantage, la FTQ laisse entendre que le mécontentement des travailleurs serait lié à la sécurité.
L’entrepreneur Aecon dément, précisant plutôt que plusieurs éléments devront être réglés lors des rencontres à venir. [11]
[91] Au cours des jours suivants, des discussions sont engagées entre Hydro-Québec, la FTQ-Construction et Aecon pour résoudre le conflit.
[92] Le 15 juin 2004, les travaux n’ont toujours pas repris sur le chantier d’Aecon. Un article publié dans le journal Le Soleil résume ainsi la situation :
CHANTIER DE LA RIVIÈRE TOULNUSTOUC
AU POINT MORT
LE TRAVAIL N’A TOUJOURS PAS REPRIS
BAIE-COMEAU - Le travail n’a toujours pas repris au chantier de l’entrepreneur Aecon, qui emploie 350 des 1 300 travailleurs du projet hydroélectrique de la rivière Toulnustouc, au nord de Baie-Comeau. Cette partie du vaste chantier est paralysée par un problème de relations de travail.
Les parties impliquées dans ce dossier se font très avares de commentaires, se contentant de dire que tout le monde discute, «Depuis tôt ce matin (hier) les représentants de toutes les parties se rencontrent à Montréal, a indiqué Louis Fournier, directeur des communications de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). Ils font un blitz pour tenter de régler ce dossier et nous ne ferons aucune autre déclaration publique tant que ce ne sera pas conclu. »
Même son de cloche du côté de Marie Archambault, porte-parole au siège social d’Hydro-Québec à Montréal, qui a tenu à rappeler au passage qu’il s’agissait d’un problème entre la FTQ et l’entrepreneur Aecon qui ne concernait pas directement la société d’État. Il a été impossible de joindre un porte-parole chez l’entrepreneur Aecon.
ALTERCATION
Rappelons que jeudi après-midi, la direction du chantier d’Hydro-Québec a suspendu indéfiniment les travaux chez Aecon à la suite d’une altercation entre des représentants de la FTQ-Construction et d’autres syndiqués oeuvrant chez l’entrepreneur. Ce ne serait pas d’hier que des choses du genre se dérouleraient sur le chantier. Un des travailleurs impliqués a d’ailleurs déposé une plainte pour voies de fait auprès des policiers.
Sur le chantier de la Toulnustouc, Aecon est en charge des travaux au barrage, à la digue, à l’évacuateur de crues ainsi qu’à la prise d’eau. Cette suspension des travaux ne touche en rien les activités des autres entrepreneurs présents sur ce chantier de 1 milliard $.[12]
[93] Après plusieurs rencontres, Hydro-Québec ordonne la reprise des travaux sur le chantier d’Aecon. Il est décidé que Lepage continuera à agir comme directeur de projet et que l’embauche de la main-d’œuvre sera supervisée par une autre personne.
[94] Certains des représentants syndicaux et délégués de chantier impliqués dans les événements du 10 juin 2004 sont expulsés du chantier. Quelques-uns peuvent revenir sur le chantier pendant les heures de travail, mais ils ne sont plus admis dans les campements.
[95] Lepage écrit aux ministres de la Justice et du Travail, pour se plaindre des pratiques déloyales de la FTQ-Construction sur le chantier de Toulnustouc et pour demander la tenue d’une enquête :
Messieurs les Ministres,
La présente constitue une plainte écrite déposée conformément à l’article 121 de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction.
Les événements concernant cette affaire se résument comme suit;
Le 7 juillet 2003, des ralentissements de travail intentionnels ont été observés au chantier de la centrale hydroélectrique de la Toulnustouc, une coulée de béton a été arrêtée chez Janin Atlas. D’autre part, en vue de paralyser nos activités, la FTQ Construction a demandé à nos quatre grutiers (main d’œuvre rare) de poser leur démission, ce que trois ont fait. De plus, l’ensemble des travailleurs ont été contraints de refuser de faire du temps supplémentaire chez Aecon ce qui a nuit au déroulement des travaux. Enfin des représentants de la FTQ Construction ont proféré des menaces et des intimidations à mon égard ainsi qu’à l’intention des travailleurs de leur syndicat et des autres syndicats.
Le 12 septembre 2003, les travailleurs de la FTQ Construction ont à nouveau refusé de faire du temps supplémentaire, un moyen de pression en vue d’obtenir le pouvoir sur les embauches.
Le 15 septembre 2003, les délégués de chantier des autres employeurs, ont tenté d’évincer, par le biais de menaces et d’intimidations, un opérateur et un grutier, pourtant embauchés en toute légalité et membres de la FTQ.
Le 14 avril 2004, des représentants de la FTQ Construction ont menacé et intimidé trois travailleurs d’Aecon durant le quart de nuit. Je me suis trouvé dans l’obligation d’arrêter les travaux jusqu’à ce que la sécurité soit à nouveau assurée.
Le 10 juin dernier, entre 6h00 et 7h00, des représentants de la FTQ Construction ont sorti par la force deux travailleurs d’Aecon, membre d’une autre centrale syndicale. Le même jour, messieurs Réginald Poirier, représentant du local 9, Michel Bezeau, représentant du local AMI et Bernard Gauthier, représentant du local 791, accompagnés de leurs délégués de chantier respectifs, messieurs Jean-Marc Tremblay (local 9), Renzo Bezeau (local AMI) ainsi que Claude Dubé et Jocelyn Beaudin (local 791) se sont présentés aux bureaux administratifs d’Hydro-Québec, avec une centaine de travailleurs pour diverses revendications. Selon mon information, la grande majorité de ces travailleurs ont été manipulés par leurs représentants et pour la plupart intimidés et forcés à suivre le mouvement. Alors que cette vive réaction des représentants syndicaux a fait suite à mon refus de leur fournir une camionnette et à ma décision de cesser de payer des heures non travaillées aux délégués de chantier, régime préférentiel qu’ils exigeaient en raison de leur statut, ils ont mobilisé les travailleurs sur un soi-disant problème de sécurité. La reprise des travaux était conditionnelle à mon éviction du chantier par les représentants de la FTQ Construction. Pour éviter mon éviction, les responsables d’Hydro-Québec ont d’abord voulu fermer le chantier, puis se sont ravisés pour seulement fermer les travaux chez Aecon.
Le 14 juin 2004, à la demande d’Hydro-Québec, les hauts responsables d’Aecon, d’Hydro-Québec, de la ACGRTQ et de la FTQ se sont rencontrés au bureau de la FTQ. L’exigence se la FTQ était mon éviction pure et simple. Aecon, Hydro-Québec et la ACGRTQ ont conjointement et formellement refusé que je quitte mon poste de gérant de projet de chantier de la Toulnustouc. Un compromis a donc été accepté, soit qu’un responsable des relations de travail soit placé sous ma supervision.
En résumé, même si j’ai toujours pris soin d’engager de la main d’œuvre dans le bassin régional et d’équilibrer toute représentation sans discrimination à l’égard de l’ethnie, du sexe ou de l’appartenance syndicale, malheureusement, je suis au regret de noter que la FTQ refuse cette façon de faire et veut avoir le contrôle absolu sur les embauches, tout syndicat confondu.
Par ailleurs, il est déplorable de constater que tous ces faits n’ont pu être relatés dans toute leur exactitude dans les quotidiens régionaux et ce, malgré plusieurs tentatives des syndicats, autres que la FTQ Construction, d’informer les médias de la situation sur le chantier.
C’est pourquoi, compte tenu que les associations visées ainsi que leurs membres ont contrevenu aux prescriptions de l’article 57 de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, je vous demande respectueusement de bien vouloir nommer un enquêteur le plus rapidement possible pour le chantier hydroélectrique de la Toulnustouc.
En vous remerciant à l’avance de la diligence que vous apporterez à la présente, veuillez recevoir, Messieurs les Ministres, l’expression de mes sentiments distingués.
(signé) Jean-Yves Lepage[13]
[96] En juillet 2004, des accusations de voies de fait, de menaces de mort, et de séquestration sont portées contre Gauthier et quelques autres représentants syndicaux impliqués dans les incidents de juin 2004. Ces accusations sont fondées sur les déclarations de certains employés d’Aecon dont celle de l’opérateur du Local 905 qui a été victime de voies de fait et deux autres personnes indirectement liées à Lepage.
[97] Gauthier est arrêté. Il plaide non coupable aux infractions qui lui sont reprochées et il est remis en liberté après sa comparution moyennant le paiement d’une caution et la promesse de respecter plusieurs engagements.
[98] Ses conditions de remise en liberté prévoient, entre autres choses, qu’il ne doit pas aller, ni se trouver sur le chantier de Toulnustouc, ou dans tout autre lieu, où peut travailler le dénonciateur, et qu’il ne peut pas avoir d’armes en sa possession.[14]
[99] Vu ses fonctions de représentant syndical, il obtient une modification de ces conditions pour avoir le droit de se rendre sur le chantier de Toulnustouc, mais doit aviser une tierce personne en tout temps avant de s’y rendre.[15]
[100] En septembre 2004, le ministre du Travail ordonne la tenue d’une enquête afin de déterminer si des travailleurs ont fait l’objet d’intimidation et de menaces ou ont été contraints de refuser de travailler ou privés de travailler sur le chantier de Toulnustouc en raison de leur allégeance syndicale :
Acte de désignation de personnes pour enquêter en vertu de la Loi sur le ministère du travail (L.R.Q., c. M-32.2) et de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (L.R.Q., c. R-20)
En vertu de la Loi sur le ministère du travail et de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, je désigne Messieurs Jean Waltzing et Thomas Hayden pour enquêter sur des plaintes relatives à l’industrie de la construction, au regard du chantier de la centrale hydroélectrique de la rivière Toulnustouc dans la région de la Côte-Nord. Il s’agit de plaintes datées respectivement du 11 juin 2004 (deux plaintes), du 21 juin 2004 et 30 juin 2004.
Le mandat des personnes ainsi désignées consiste plus particulièrement, mais de façon non limitative, à déterminer si des salariés ou délégués de chantier membres d'une association de salariés ont fait l’objet d'intimidation ou de menaces de la part d'autres salariés ou délégués de chantier membres d'une autre association de salariés, ou ont été contraints à refuser de travailler par ces derniers; à déterminer si des membres d'une association de salariés ont été privés indûment de travail suivant une cessation de travail décidée par un entrepreneur; à déterminer si des ralentissements de travail ont été occasionnés par des associations de salariés identifiées aux plaintes ou leurs membres; à rapporter les explications et les faits afférents, à identifier les intervenants concernés et à rapporter les actions ou gestes qu'ils ont posés.
Désignation faite à Québec, le 20 septembre 2004
(signé) Michel Després [16]
[101] Tous ces événements contribuent à apaiser le climat de travail sur le chantier et les choses reviennent progressivement à la normale.
[102] Les travaux de bétonnage du parement en amont du barrage et de la digue sont complétés à l’automne 2004, et la mise en eau du réservoir a lieu au début de l’année 2005.
[103] En décembre 2004, Hydro-Québec reconnaît publiquement que Lepage est méritoire pour sa gestion de la sécurité sur le chantier d’Aecon.[17]
[104] À l’hiver 2005, Lepage quitte le chantier. Quelques semaines plus tard, il est rappelé sur le chantier pour superviser l’exécution de travaux de réparation et de finition.
[105] En juin 2005, une mésentente contractuelle survient entre Hydro-Québec et Aecon concernant la mise en application de certaines règles de sécurité. Lepage est tenu responsable d’un manquement à cet égard et il est expulsé du chantier par Hydro-Québec.
[106] Convaincu qu’il a été injustement traité, Lepage intente une action en dommages-intérêts contre Hydro-Québec pour atteinte à sa réputation. Une fois la mésentente contractuelle entre Hydro-Québec et Aecon dissipée, la poursuite est réglée à l’amiable.
[107] La réception définitive des travaux a lieu en juillet 2005.
[108] En novembre 2005, Gauthier est acquitté des accusations portées contre lui.[18] Trois des représentants syndicaux impliqués dans l’incident de la cafétéria en juin 2004 plaident coupable à des accusations de voies de fait et sont condamnés à payer une amende, avec ou sans ordonnance de probation selon le cas. Les accusations de menaces de mort et de séquestration sont abandonnées.
[109] En janvier 2006, la CSST dépose son rapport d’enquête sur les causes de l’accident mortel qui s’est produit sur le chantier en mai 2004. Les conclusions de ce rapport reprennent, pour l’essentiel, celles contenues dans le rapport d’Hydro-Québec en ce qui concerne les causes de l’accident. Il fait état de ce qui suit :
i) En avril 2004, les plans et la procédure d'installation de l'échafaudage volant ont été transmis pour approbation à la CSST. Il a été prévu et il était convenu que l’installation de cet équipement devait être faite conformément aux plans et devait être vérifiée et approuvée par l’ingénieur de projet avant son utilisation.
ii) De fait, lors de la première installation de l’échafaudage volant, les travailleurs ont été informés de la méthode à suivre et ils ont procédé à son installation sous la supervision du surintendant et du chef d'équipe de nuit. L’ingénieur de projet était présent et il a vérifié la conformité de l’installation avant l’utilisation de l’équipement.
iii) Au cours de la semaine suivante, l’échafaudage volant a été déplacé. Les mêmes travailleurs ont été affectés à son installation sous la supervision du surintendant et du chef d’équipe. L’ingénieur de projet était présent et il a vérifié la conformité de l’installation avant son utilisation.
iv) En mai 2004, des travaux de correction de la surface de béton devaient être faits dans l’évacuateur de crues. Le surintendant a décidé d’exécuter les travaux plus tôt que prévu. Il n’en a pas avisé Lepage et n’a pas requis la présence de l’ingénieur de projet pour que la conformité de l’installation de l’échafaudage soit vérifiée avant son utilisation, malgré la procédure approuvée par la CSST et les directives de Lepage.
v) Le surintendant a présumé que les travailleurs qui avaient installé l’échafaudage volant à deux reprises au cours des semaines précédentes connaissaient la procédure d’installation et leur a confié le soin de procéder à une nouvelle installation. La grue de 60 tonnes qui était nécessaire pour la pose des quatre supports d'ancrage prévus aux plans n’était pas disponible. Le surintendant a donc décidé que certains des supports d'ancrage des câbles de sécurité ne seraient pas utilisés et il a donné instructions aux travailleurs d'attacher les câbles de sécurité à un autre endroit qu’ils jugeaient sécuritaire.
vi) Les supports d'acier de l'échafaudage ont été installés en même temps que les deux câbles verticaux de sécurité. Un des câbles de sécurité a été noué sur une tige filetée boulonnée dans une pièce insérée dans le mur de béton du côté gauche, et l'autre câble de sécurité a été attaché à un contreventement du coffrage à béton du côté droit. Cette installation n'était pas conforme aux plans et n’était pas adéquate.
vii) Lors de l’installation, il y a eu une confusion entre l'ancrage du câble de sécurité d’un des travailleurs et le support d’ancrage du treuil de levage du côté gauche de l'échafaudage. Une fois montés sur l’échafaudage, les travailleurs ont constaté que le câble du treuil gauche était positionné sur le mauvais ancrage. En descendant, l'ancrage a cédé et le côté gauche de la plate-forme a basculé. Un des travailleurs qui se trouvaient sur l’échafaudage a fait une chute d’une hauteur d’environ 16 mètres. Il a été transporté à l’hôpital et est décédé deux jours plus tard.
viii) L'équipement de protection individuelle contre le danger de chute était défectueux et n’a pas été utilisé de façon adéquate. Les tests effectués sur le coulisseau, le harnais et le cordon d'assujettissement après l’accident ont confirmé que ces équipements n’avaient subi aucune déformation et qu’ils étaient demeurés intacts. Cela tend à confirmer que la victime n’aurait pas été retenue lors de sa chute au sol. Son confrère de travail a observé qu’il laissait parfois traîner son coulisseau sur le plancher de l'échafaudage plutôt que de le faire suivre sur le câble vertical de sécurité pour être adéquatement protégé contre un danger de chute.
ix) Lors de l'accident, il est vraisemblable que la position du coulisseau sur le câble vertical de sécurité n'était pas au niveau du travailleur et ne lui offrait pas la protection requise en cas de chute. Le chef d'équipe a confirmé l’avoir avisé à plusieurs reprises qu’il devait installer son coulisseau dans le bon sens sur le câble vertical de sécurité, y attacher le cordon d'assujettissement de son harnais de sécurité et faire suivre son coulisseau au fur et à mesure de la montée ou de la descente de l'échafaudage.
x) Les tests effectués sur les coulisseaux ont aussi démontré que le coulisseau glissait avec difficulté sur le câble. Étant donné que les câbles verticaux de sécurité n’étaient pas retenus ou lestés à la base du sol, les coulisseaux se déplaçaient difficilement. Les coulisseaux avaient tendance à amener le câble vertical avec eux et de former un mou de longueur égale au déplacement vertical de l'échafaudage lors de la montée. Les coulisseaux ne remplissaient donc pas l'une des fonctions pour lesquels ils étaient utilisés.
xi) La résistance au déplacement et l'absence de lest peuvent amener certains travailleurs à modifier la méthode d'utilisation du coulisseau en le faisant suivre avec la main. À défaut de faire suivre le coulisseau pour pallier au dysfonctionnement, ils peuvent laisser un mou se former sur le câble vertical. La longueur du mou du câble vertical est égale à la distance de montée. Lorsque l'ancrage cède, le câble vertical doit se tendre avant que les autres composantes de l'équipement de protection individuel contre le danger de chute n'entrent en jeu.
[110] Bref, la CSST conclut qu’en dérogeant à la procédure d'installation prévue aux plans et aux méthodes de travail établies par l’ingénieur de projet, le surintendant a fait face à de l'improvisation qui a occasionné des erreurs d'exécution. Les travailleurs ont été laissés à eux-mêmes, sans supervision adéquate, et ont accompli la tâche au meilleur de leurs connaissances. Aucune vérification de l'installation n’a été faite par l’ingénieur de projet pour attester de sa conformité avec les plans parce qu’il n’a pas été prévenu que l’échafaudage volant serait déplacé, et qu’il n’était pas présent au moment de son installation. Finalement, les responsables de la sécurité ne sont pas intervenus pour exiger la présence de l’ingénieur de projet.
[111] En juin 2006, Gauthier intente une action en dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation contre Aecon, Lepage, et 3 autres employés qui ont signé des dénonciations contre lui en rapport avec les incidents de la cafétéria en juin 2004.
[112] Il allègue qu’il a été victime d’une arrestation injustifiée et d’accusations non fondées par leur faute, et qu’il a souffert un préjudice grave pour lequel il est en droit de leur réclamer la somme de 63 000 $ en dommages-intérêts.[19]
[113] L’affaire est réglée à l’amiable entre Aecon et Gauthier, et une transaction est signée entre eux pour mettre fin aux procédures judiciaires. Les autres défendeurs, incluant Lepage, ne sont pas impliqués dans cette transaction non plus que dans les pourparlers de règlement qui l’ont précédé. Ils ne connaissent pas le contenu de la transaction.
[114] En 2010, Lepage est contacté par des journalistes de Radio-Canada qui veulent le rencontrer pour obtenir des détails sur les procédures judiciaires qu’il a intentées contre Hydro-Québec et sur le climat de travail qui régnait sur le chantier de Toulnustouc quand il était directeur de projet pour Aecon.
[115] Il accepte de leur donner une entrevue qui sera éventuellement diffusée dans le cadre d’un reportage réalisé pour l’émission Enquête. Au cours de cette entrevue, Lepage décrit l’expérience difficile qu’il a vécue sur le chantier de Toulnustouc.
[116] Il fait état des menaces et de l’intimidation dont il a été victime de la part de la FTQ-Construction, du Local 791 et de Gauthier en particulier, et des pressions qu’ils ont exercées sur lui pour obtenir le contrôle de l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier.
[117] Cette entrevue est diffusée le 10 mars 2010 dans le cadre d’un reportage qui met en lumière des pratiques d’intimidation et de menaces associées au placement syndical sur les grands chantiers de construction de la Côte-Nord. En voici certains extraits :
ÉMISSION ENQUÊTE DU 11 MARS 2010 (extrait)
PAR LE PRÉSENTATEUR :
La Fédération des travailleurs du Québec règne en roi et maître sur la Côte-Nord depuis des années. De Tadoussac à Blanc-Sablon, près de soixante-dix pour cent (70 %) des syndiqués de la construction sont membres de la FTQ.
Durant notre enquête, des dizaines d'ouvriers nous ont confié avoir été victimes de chantage, de discrimination et d'intimidation. Certains voient les portes des grands chantiers contrôlés par la FTQ se fermer devant eux.
Trente-cinq (35) ans après le saccage de la Baie James, les fiers-à-bras du plus important syndicat au Québec imposent toujours leur loi.
Pour la première fois, les syndiqués brisent le silence sur ce régime de terreur que plusieurs croyaient révolu.
L'ingénieur Jean-Yves Lepage s'est battu contre la FTQ lors de la construction du barrage d'Hydro-Québec sur la rivière Toulnustouc près de Baie-Comeau. Ce chef de chantier de l'entrepreneur AECON n'a jamais voulu céder le contrôle de l'embauche au syndicat.
Un matin de juin 2004, une centaine de travailleurs de la FTQ-Construction tentent de s'en prendre à lui physiquement.
PAR LE JOURNALISTE :
Les gens de la FTQ voulaient aller vous chercher dans la roulotte pour vous sortir du chantier; ça, vous saviez ça, vous?
PAR M. JEAN-YVES LE PAGE :
Oui, oui, c'est sûr, j'étais là, je les attendais, moi
PAR LE JOURNALISTE :
Comment vous avez réagi à ça, vous?
PAR M. JEAN-YVES LEPAGE :
J'aurais vu quand il a arrivé devant moi ce qu'il aurait fait. C'est sûr que j'aurais probablement sorti les pieds en avant, là, mais j'aurais pas sorti tout seul.
PAR LE PRÉSENTATEUR :
Cette journée-là, la violence éclate un peu partout sur le chantier. Des ouvriers sont sortis de force de la cafétéria, certains sont victimes de voies de faits, d'autres se font menacer de se faire casser les jambes.
Gerry Chouinard est alors le représentant de l'Union internationale des opérateurs ingénieurs, un syndicat concurrent de la FTQ-Construction. Il a vécu Toulnustouc comme un cauchemar.
PAR M. GERRY CHOUINARD :
Là, j'ai vu des affaires que je croyais pas qui existaient encore aujourd'hui, mais des pères de famille intimidés, avoir peur d'aller travailler le matin.
PAR LE PRÉSENTATEUR :
L’avocat Robert Toupin représentait les syndiqués de l'Union internationale. Il a porté plainte au ministère de la Justice. Il écrit au ministre Jacques Dupuis qu'il ne s'agit pas d'événements isolés mais d'un système opérant sur une base régulière.
PAR ME ROBERT TOUPIN :
C'est inqualifiable.
PAR LE JOURNALISTE :
Qu'est-ce que vous voulez dire, inqualifiable?
PAR ME ROBERT TOUPIN :
Je pense que pour travailler aujourd'hui, on n'a pas à subir ce type de mesures là, que ce soit de l'intimidation, des coups, des insultes.
PAR LE PRÉSENTATEUR :
Face à cette violence, Hydro-Québec ferme le chantier de la Toulnustouc et demande l'intervention de la Sûreté du Québec.
Bernard Gauthier est un des leaders de cette révolte. Il est aussi le représentant du puissant local 791 des opérateurs de machinerie lourde de la FTQ. Il sera expulsé du chantier; d'autres délégués syndicaux sont également forcés de quitter.
PAR M. JEAN -YVES LE PAGE :
Ça devrait même pas exister, ça devrait même pas être là. Comment ça se fait qu'on tolère ça au Québec.
PAR LE JOURNALISTE :
Jean-Yves Lepage a payé le prix d'avoir tenu tête à la FTQ à la rivière Toulnustouc.
PAR M. JEAN-YVES LE PAGE :
Moi j'appelle ça une séance de torture.
PAR LE JOURNALISTE :
Il se rappelle de face-à-face musclés avec les patrons de la FTQ de Montréal qui en 2004 appuyaient Bernard Gauthier. Le nerf de la guerre était le contrôle de l'embauche.
PAR M. JEAN-YVES LE PAGE :
Vous avez mettons quatre (4) à cinq-six (5-6) dirigeants plus monsieur Gauthier qui met tous les blâmes sur toi, puis eux qui approuvent puis qui essaient de jouer un peu le médiateur mais quand même, tu vois toute la puissance qu'ils ont parce qu'ils en ont énormément de puissance.
PAR LE JOURNALISTE :
À Toulnustouc, ce genre de menaces a poussé Jean-Yves Lepage à porter plainte lui aussi au gouvernement. Deux (2) enquêteurs sont alors chargés de faire la lumière sur le climat de violence.
PAR M. JEAN-YVES LE PAGE :
Quand ils sont partis, ils m'ont dit que si le gouvernement voulait faire quelque chose, c'était le temps, ils avaient tout en main.
PAR LE JOURNALISTE :
Le ministère du Travail nous a refusé l'accès au rapport final.
PAR M. JEAN-YVES LE PAGE :
Les gens qui dirigent et qui font les lois les font pas respecter. Ils sont tous au courant de ce qui se passe là.
PAR LE JOURNALISTE :
Loin du stress des grands chantiers, Jean-Yves Lepage est aujourd'hui à la retraite sur son érablière.
Il est convaincu qu'une enquête publique sur l'industrie de la construction est nécessaire et doute de la volonté du gouvernement.
PAR M. JEAN-YVES LE PAGE :
Parce que tout le monde sait, au Québec, la FTQ, c'est très puissant. Le Fonds de solidarité, ben, c'est souvent le banquier du gouvernement. Je suppose quand ton banquier te dit de regarder ailleurs, peut-être que t'as envie de regarder ailleurs.
PAR LE JOURNALISTE :
Il souhaite aux travailleurs de trouver le courage de dénoncer les abus.
PAR M. JEAN-YVES LE PAGE :
Si ce que je raconte peut les aider, au moins je les aurai pas oubliés.[20]
[118] Dans les jours qui suivent la diffusion de ce reportage, la FTQ-Construction organise une conférence de presse à Montréal. Plusieurs représentants de la FTQ-Construction sont présents, incluant le procureur de cette dernière.
[119] Le directeur général, Goyette, prend la parole et entreprend de discréditer Lepage. Il le ridiculise, le traite de « clown », banalise son propos et dément ses déclarations. Il laisse entendre que Lepage est de mauvaise foi.
[120] Il nie l’existence d’intimidation et de menaces dans le but de contrôler l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier, et tente de justifier l’intervention des représentants syndicaux auprès de Lepage et les moyens de pression utilisés par la nécessité de régler des problèmes de sécurité sur le chantier et éviter des accidents de travail.
[121] Il présente Lepage comme un gestionnaire incompétent et négligent qui ne se soucie pas de la sécurité des travailleurs, et il affirme qu’il est responsable d’un accident qui a causé la mort d’un travailleur sur le chantier.
[122] Voici quelques extraits de cette conférence de presse :
CONFÉRENCE DE PRESSE DE RICHARD GOYETTE
LE 15 MARS 2010
PAR M. RICHARD GOYETTE
Nous avons écouté l’émission Enquête cette semaine et nous avons appris des révélations fort importantes, notamment qu’il y a une victime, plein de victimes, plein de victimes sur la Côte-Nord, ça a plus de bon sens !
Il y a un monsieur, mon dieu, comment s’appelle-t-il, j’oubliais son nom, monsieur Jean-Yves Lepage qui a pleuré presque devant les caméras pour vous indiquer le grand souci qu’il avait à l’endroit des travailleurs de la construction, et que s’il pourrait faire quelque chose, il le ferait.
Et qu’en 2004-2005, on l’aimait pas beaucoup. Rapport d’enquête de la CSST! Monsieur Lesage (sic) était gérant de projet sur un chantier extérieur où il semblerait qu’il a pas été tellement tellement aimé.
Je vous résume à peine le dossier, je vous résume le dossier brièvement parce que je ne veux pas vous faire perdre votre temps, il y a un audit de la CSST parce que le 15 mai 2004, il y a un travailleur qui est mort sur son chantier, une chute d’un échafaud volant.
Et l’audit de la CSST a démontré que le travailleur ne connaissait pas la politique de CSST, donc comme gérant de projet, il s’est pas assuré de ça; seuls les cadres connaissaient les politiques de santé-sécurité, c’est fort utile ça.
Les inspections conjointes patronales-syndicales n’étaient pas faites, supposément qu’on contrôle les chantiers.
Les pauses-santé-sécurité ne se faisaient pas, supposément qu’on contrôle les chantiers.
Aucune application de formation en CSST n’a été traitée dans le programme de prévention, supposément qu’on contrôle les chantiers.
La formation sur les chutes en hauteur a été donnée après l’accident mortel, ça c’est ben utile. Je sais pas s’ils l’ont donnée au mort aussi, mais bon.
Aucun suivi de cette formation n’a été fait, et pourtant, c‘est nous autres qui contrôlent les chantiers.
De mai 2002 à février 2005, quatre-vingt-douze (92) dérogations concernant les dangers de chute, et monsieur est mort d’une chute en hauteur, ont été émises par la CSST, divers employeurs, dont vingt-six (26) contre l’entreprise de monsieur Jean-Yves Lepage qui est gérant de projet.
Deux (2) plans d’équipement important de modification n’étaient pas signés et scellés par des ingénieurs.
Et lui, ce qu’il nous dit, c’est que c’est triste, et qu’il était très très très préoccupé par la santé, par le monde, pis il se faisait pogner sur le bras pis il était pas aimé. (sic)
Un an après la CSST, dans un rapport d’enquête, révèle la chose suivante :
Je rappelle à l’employeur qu’un accident mortel s’est produit sur son chantier le 15 mai 2004 - çà là, c’est la CSST qui le dit - pas la FTQ Construction - en rapport avec l’utilisation de ce type d’équipement - le même qui a tué. Je constate que l’employeur semble avoir oublié cet événement tragique et n’en a pas retenu la leçon.
Et Enquête vient nous dire que ce gars-là était pas aimé par la FTQ, qu’il y a eu des conflits avec lui à la FTQ, j’espère ! (sic)
Il y a un gars de mort sur un chantier, il y en a un autre qui a été hospitalisé, il y a eu des fermetures de chantier, un an après j’ai quarante (40) rapports d’enquête contre cette compagnie-là pis un an après lors de l’audit, la CSST dit qu’il a rien fait !
Il passe à Radio-Canada pour nous dire que, vous savez, un des problèmes avec la FTQ, oui, parce qu’on est des leaders en santé-sécurité pis on laisse pas des situations se produire comme ça sur les chantiers. (sic)
Or le genre de témoin - et d’ailleurs un article que Radio-Canada a publié, parce qu’ils ont été mis à l’amende et ça n’a pas été très bien pour l’entreprise, mais qu’on vienne pleurer aujourd’hui et nous faire accroire que dans ce domaine-là, c’est la FTQ qui a été arrogante, je trouve ça inqualifiable.
Surtout quand on sait qu’on est cinq pour cent (5%) de la main-d’œuvre, qu’on a vingt-cinq (25%) des décès à chaque année, il y a de quoi se poser la question, c’est pas nous autres qui tuent le monde hein. Là va falloir que le monde se pose des questions
Peut-être qu’on est méchant mais je vous jure qu’on n’a pas tué personne, nous autres. Il serait peut-être temps qu’il y ait des gens qui posent les vraies et véritables questions.
Il y a un article dans le Code criminel pour ça qui est 217.1 :
« Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité de le faire à prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte des blessures corporelles pour autrui. »
Jamais rien qui s’est fait ! Cinquante (50) morts par année dans la construction, des cas comme ça. Personne se pose des questions quand c’est un travailleur de la construction qui meurt. (sic)
Si ça bouscule un peu, ah bien là, mon dieu, oui, c’est eux qu’on va tenir en manchettes. Avec en plus de ça, vous avez vu, le nombre de déclarations erronées.
Secteur de la construction, c’est pas facile, là tu travailles à quarante (40o C) l’été dehors pis tu travailles à moins quarante (-40o C).[21]
[123] Le lendemain, le Local 791 organise à son tour une conférence de presse pour mettre en doute la véracité des propos tenus dans le cadre du reportage diffusé à l’émission Enquête.
[124] Gauthier est le porte-parole du Local 791. Il est accompagné de membres de l’exécutif du Local 791. Il prend la parole au nom du syndicat. Il entreprend de justifier les moyens de pression qui ont été exercés sur les grands chantiers de la Côte-Nord depuis son entrée en fonction. Il explique ses interventions auprès des entrepreneurs en construction et des travailleurs dans le but de contrôler l’embauche de la main-d’œuvre, et vante le système de placement syndical qu’il a mis en place avec l’aide de la FTQ-Construction.
[125] Il nie avoir fait des menaces ou avoir tenté d’intimider Lepage, et affirme que ses déclarations sont fausses et mensongères et qu’elles sont faites uniquement dans le but de lui nuire.
[126] Il poursuit en disant qu’il a dû intervenir auprès de Lepage parce qu’il y avait des problèmes de sécurité sur le chantier. Il qualifie Lepage de gestionnaire incompétent et négligent. Il laisse entendre qu’il a délibérément choisi de fermer les yeux sur des situations dangereuses pour les travailleurs et il affirme qu’il est personnellement responsable d’un accident mortel sur le chantier. Il le traite « d’assassin ».
[127] Il laisse entendre que Lepage n’est pas honnête et que ses déclarations ne sont pas fiables. Il affirme que Lepage a déjà été condamné pour avoir fait de fausses déclarations et avoir incité d’autres personnes à se parjurer.
[128] Voici quelques extraits de cette conférence de presse :
CONFÉRENCE DE PRESSE DE BERNARD GAUTHIER
LE 16 MARS 2010 (EXTRAIT)
M. BERNARD GAUTHIER
Monsieur Jean-Yves Lepage, je pense que monsieur Goyette en a parlé un peu hier, nos patrons, j’aimerais les remercier aussi parce qu’ils ont donné quand même un bon appui, ça a été tardif mais c’est venu, mais au moins c’était là. Je voudrais remercier, monsieur Arsenault, monsieur Goyette, ils ont fait un bon travail.
Oui c’est vrai c’est une campagne de salissage mais ce qui est du niveau politique, c’est eux autres qui vont s’occuper de ça. Je pense qu’on a profité de ce qui se passait icitte pour un peu, comme je disais tantôt, mêlé le politique et tout ça, là, les commissions d’enquête, pis le saccage de la Baie-James, aie on est loin du saccage de la Baie-James là.
[…]
Monsieur Jean-Yves Lepage, tant qu’à moi, là, c’est un assassin. Parce que ce qui s’est passé à Toulnustouc, là, deux (2) jours avant les événements, deux (2) jours avant qu’il y ait un mort, on l’avait prédit, moi pis Michel Bezeau, on l’avait dit à Luc Lachapelle d’Hydro-Québec, pis on l’avait dit à Gilles Simard d’Hydro-Québec, messieurs, il va avoir des morts sur vos chantiers.
Trois (3) jours après, il y a avait un décès. Puis la CSST les a trouvés coupables, a blâmé Aecon pour ça. Jean-Yves Lepage travaillait pour eux autres.
C’est pas la faute de l’entreprise, c’est la faute du monsieur.
Des «blasts» avec même pas d’autorisation, même pas de signal d’alarme, les «boulders» ça pèse une tonne (1t), deux tonnes (2t), ça passait au dessus de la tête des gars.
Mettre un manœuvre sur un «power crane», sur une grue à tour au-dessus de quatre-vingt quatre-quatre-vingt-dix (80-90) travailleurs qui faisaient du béton. De nuit, il avait mis le gars de nuit parce que le gars, c’est le garçon d’un de ses contremaîtres pis il voulait pas le «day offer» c’est un chauffeur de truck.
Un gars pas de carte sur une tour à grue, c’est quoi vous pensez que ça risque de faire. C’est jouer avec la vie du monde ça.
Il faisait pitié quand on le voyait à la TV l’autre jour, il faisait moins pitié quand on allait y dire, regarde aie, t’es en train de jouer avec la vie de mon travailleur là.
Puis ce monsieur là, en passant, je l’ai poursuivi, j’ai gagné ma cause. Parce qu’il avait fait faire des fausses déclarations par sa bru pis son comptable.
Ça fait qu’on pourrait élaborer là-dessus, vous êtes pas là juste pour ça là. Mais c’est juste pour vous donner une idée, moi je voudrais juste expliquer avec qui les journalistes de l’émission Enquête ont fait affaires. Je pense qu’ils auraient dû enquêter ces individus-là avant de venir enquêter sur nous autres icittes. [22]
[129] Les médias électroniques et la presse écrite ont fait une couverture des conférences de presse organisées par la FTQ-Construction et le Local 791, et les propos de Goyette et de Gauthier à l’endroit de Lepage ont fait l’objet d’une très large diffusion.
[130] Il faut dire, qu’à l’époque, les relations de travail dans l’industrie de la construction font régulièrement les manchettes. Plusieurs travailleurs reprochent à la FTQ-Construction d’avoir mis sur pied un système de placement syndical pour contrôler l’embauche de la main-d’œuvre sur les chantiers de la Côte-Nord. Ce système est identifié comme la source de pratiques déloyales telles que la discrimination syndicale et l’intimidation. La Commission des relations de travail (« la CRT ») a été saisie d’une plainte de discrimination syndicale contre la FTQ-Construction.
[131] Le public réclame une commission d’enquête sur l’adjudication des contrats dans le domaine de l’industrie de la construction.
[132] D’autre part, des changements législatifs sont réclamés par la majorité des acteurs dans l’industrie de la construction. La Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[23] sera d’ailleurs modifiée en 2011, pour interdire le placement syndical.[24]
[133] Les 16 mars et 17 mars 2010, des articles sont publiés dans les quotidiens La Presse, Le Devoir, Le Soleil, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, et sont diffusés sur diverses plateformes électroniques.[25] En voici quelques extraits :
LE DEVOIR
MENACES DE POURSUITES DE LA FTQ-CONSTRUCTION - LE SYNDICAT VEUT METTRE FIN AU «FESTIVAL DES CLOWNS» DANS LES MÉDIAS
En riposte aux reportages sur les allégations d'intimidation et de taxage sur les chantiers de construction, le directeur général de la FTQ-Construction a lancé des accusations à la volée hier. Richard Goyette a tiré à boulets rouges sur des politiciens, syndicalistes, commentateurs et journalistes qui répandent sur la place publique «rumeurs, faussetés et déclarations non fondées» concernant la FTQ-Construction. Il a même menacé de poursuites judiciaires les médias jugés trop sensationnalistes.
Il faut «mettre fin à un certain festival des clowns qui ne sont pas tous dans les cirques», a déclaré d'entrée de jeu le directeur général de la FTQ-Construction lors d'une conférence de presse hier matin en compagnie de l'avocat du syndicat, Me Robert Laurin.
Richard Goyette était visiblement en mode attaque, décidé à régler ses comptes. Il s'est longuement attardé sur certains commentaires formulés dans les médias par l'ancien ministre du Travail, Jean Cournoyer. Lors de diverses entrevues, M. Cournoyer insistait sur le fait que les méthodes de la FTQ-Construction n'avaient pas changé depuis 30 ans et que, pour fermer un chantier, le syndicat faisait venir sur les lieux «50 gars de Montréal». «Je défie le citoyen Cournoyer de démontrer une telle allégation. Parce que c'est facile aujourd'hui: n'importe qui dit n'importe quoi et ça devient comme une vérité», a lancé M. Goyette.
Le directeur général de la FTQ-Construction a aussi décoché quelques flèches à l'endroit de l'économiste Pierre Fortin qui, dans la dernière édition de L'Actualité, a déploré que la construction d'une simple salle de bain nécessite la contribution de huit corps de métiers. L'économiste a tenu des propos «encore une fois pour jeter de la marde dans l'industrie de la construction, pour dire au monde que c'est tout croche. Fieffé coquin, fieffé menteur», a commenté Richard Goyette.
Le syndicaliste s'est ensuite appliqué à discréditer les «victimes» des chantiers de la Côte-Nord, dont Jean-Yves Lepage, gestionnaire de projet qui s'est plaint des méthodes de la FTQ-Construction dans un reportage de l'émission Enquête diffusé la semaine dernière à la télévision de Radio-Canada. Il a rappelé qu'après la mort d'un travailleur le 15 mai 2004 sur le chantier du projet de la centrale hydroélectrique Toulnustouc, la Commission de la santé et de la sécurité du travail avait révélé des lacunes dans l'utilisation d'un échafaudage volant.
M. Goyette a clamé qu'il était faux de dire que la FTQ-Construction «gérait» les chantiers au Québec. «Il faut être inculte et barbare pour répandre de telles rumeurs», a-t-il dit en précisant par ailleurs que plusieurs corps de métiers, comme les mécaniciens de chantier et les tuyauteurs, n'étaient pas affiliés à son syndicat.
Il a toutefois été peu loquace lorsqu'il a été interrogé sur les récentes allégations d'intimidation et de taxage sur les chantiers de la Côte-Nord. «On croit que la Sûreté du Québec est capable de faire la job au-delà des mandats politiques, a indiqué M. Goyette. Des gens de la Commission de la construction du Québec sont au dossier pour être capables, avec la SQ, de faire la lumière sur ce qui s'est passé sur la Côte-Nord. Présentement, je n'ai pas plus d'informations que vous pouvez en avoir. On va attendre les résultats de l'enquête. On ne veut pas s'ingérer dans l'enquête.»
Au sujet de la présidente de la Confédération des syndicats nationaux, Claudette Carbonneau, qui a dénoncé la domination de la FTQ-Construction sur les chantiers au Québec, M. Goyette a lancé: «Est-ce un complot? Est-on en train de passer au batte par toute le monde?»
Menaces contre les médias
Éclaboussée par de nombreux reportages, la FTQ-Construction a brandi la menace de poursuites. (…)
La FTQ-Construction entend répliquer à ses détracteurs et aux médias tentés de «verser dans le sensationnalisme». «On va maintenant réagir. Jusqu'à maintenant, la FTQ-Construction a eu une attitude plutôt passive, évitant les remous que pourraient occasionner des débats judiciaires, a expliqué Me Laurin. Je vous dis en clair que cette période-là est révolue. Il est trop facile maintenant de dire à peu près n'importe quoi sans être pénalisé, et ça devient une mode.»
L'avocat a évoqué la possibilité de s'adresser au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour mettre fin à «la foire totale». Et si ça ne suffit pas, la Cour fédérale sera saisie du dossier, a-t-il ajouté.
Commission d'enquête
La FTQ-Construction ne juge pas utile qu'une commission d'enquête publique soit instituée pour faire la lumière sur le monde de construction, mais, en même temps, elle affirme qu'elle pourrait en bénéficier au bout du compte. «Qu'est-ce que vous voulez que je fasse avec une commission d'enquête? Des clowneries? Il n'y a personne qui peut me prouver qu'une commission a réussi», a fait valoir Richard Goyette en dénigrant le travail du «petit juge [Robert] Lesage» qui s'était penché sur l'échec du projet Gaspésia en 2005. «Si on veut que je joue au clown, je vais jouer au clown. J'ai le nez assez gros. Il faudrait juste que je le peinture rouge», a-t-il dit.[26]
LE JOURNAL DE MONTRÉAL - LE JOURNAL DE QUÉBEC
Irritée par les allégations d’intimidation et d’ingérence dans les chantiers, la FTQ-Construction promet d’entamer des poursuites et lance une offensive médiatique afin de défendre sa réputation.
En donnant une conférence de presse à Montréal hier matin, l’avocat Robert Lorrain (sic) et Richard Goyette, directeur général de la FTQ-Construction, entendent mettre fin à une période de « passivité » après de multiples allégations embarrassantes contre la FTQ.
D’ailleurs, deux mises en demeure sont déjà envoyées à des médias et des poursuites semblent imminentes. Le syndicat songe même à se tourner vers le CRTC et les tribunaux fédéraux pour obtenir gain de cause.
Raillant l’idée que la FTQ s’ingère dans les contrats de construction, M. Goyette ne mâche pas ses mots.
« Il faut être inculte et barbare pour répandre de telles rumeurs, dit-il. Les contrats se donnent soit par les gouvernements ou par des appareils privés qui font faire des plans d’ingénieur, vont en soumission, embauchent un maître d’œuvre et un employeur. C’est uniquement là qu’on va réquisitionner de la main-d’œuvre. Croire que les syndicats sont des gestionnaires de contrats va à l’encontre de tout ce qui se passe dans le monde occidental. »
[…]
Des chiffres remis en cause
Concernant tout contrôle possible de la main-d’œuvre, le syndicaliste affirme qu’on peut placer seulement 11 % des travailleurs sur les chantiers, en citant les chiffres gouvernementaux. C’est loin des affirmations de Pierre Fortin, professeur d’économie à l’UQAM, selon lesquelles la proportion est de 95 %.
« Il les prend où, ses chiffres, Pierre Fortin ? », demande M. Goyette. La FTQ-Construction tente-t-elle d’influencer le fonctionnement de certains projets ? Oui, afin de servir les communautés, répond M. Goyette.
« Ce qu’on veut, c’est que ce soient les gens des régions qui travaillent, explique-t-il. Quand tu fais du développement économique régional, on demande même que l’on s’approvisionne en région. C’est comme ça qu’on aide des régions à survivre. Si nous sommes condamnés pour axer nos politiques de développement économique en région, je plaide coupable. »
La FTQ-Construction s’indigne aussi des déclarations faites par Jean-Yves Lepage à l’émission Enquête de Radio-Canada. Celui-ci a exprimé sa préoccupation en santé et sécurité et déploré le fait qu’il n’était pas apprécié chez les représentants de la FTQ.
En réponse, M. Goyette brandit un rapport de la CSST selon lequel il y a eu la mort d’un travailleur en mai 2004 alors que M. Lepage était gestionnaire de projet. L’événement n’aurait pas changé son comportement.
«Enquête vient nous dire que ce gars-là n’était pas aimé à la FTQ? J’espère, s’écrie le syndicaliste. Il y a un gars mort sur un chantier, il y en a eu un autre hospitalisé, il y a eu des fermetures, 40 rapports d’enquête et un an après, on dit qu’ils n’ont rien fait ? Nous ne laissons pas des situations comme celle-là se produire sur un chantier. Nous sommes peut-être méchants, mais nous ne tuons pas ! »
Malgré les pointes et les sarcasmes du directeur général de la FTQ-Construction, Richard Goyette, Jean Cournoyer persiste et maintient qu’il y a de l’intimidation sur des chantiers québécois.[27]
LA PRESSE
LA FTQ-CONSTRUCTION CONTRE-ATTAQUE - DÉTRACTEURS PASSÉS
La FTQ-Construction est la cible de nombreuses attaques: on l'accuse de mainmise, d'intimidation, de tordage de bras, voire d'extorsion et de trafic de drogue dans les chantiers du Québec. Lundi, son directeur général, Richard Goyette, est monté au créneau et a lancé un avertissement : le syndicat n'a pas l'intention de laisser ternir sa réputation et répondra à toutes les attaques.
Il ne fallait pas se trouver sur le chemin du directeur général de la FTQ-Construction, Richard Goyette, lundi matin. Fâché, déchaîné, outré, ce dernier a rejeté avec une verve décapante et une bonne dose de sarcasmes l'ensemble des accusations de mainmise, d'intimidation, de tordage de bras, voire d'extorsion et de trafic de drogue dans les chantiers qui emploient des membres de ce syndicat au Québec.
«Je vais essayer d'être clair le plus possible et essayer aussi de mettre fin à un certain festival des clowns, qui ne sont pas tous dans les cirques», a-t-il balancé au début d'une conférence de presse fleuve.
Pendant 75 minutes, M. Goyette et l'avocat de la FTQ-Construction, Me Robert Laurin, ont passé à la moulinette plusieurs personnes. Parmi elles, il y avait l'ancien ministre du Travail Jean Cournoyer, le syndicaliste dissident Ken Pereira, la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, le Parti québécois, un chroniqueur politique, l'entrepreneur Jean-Yves Lepage et les médias.
Soulignant que, depuis quelques jours, des gens avaient répandu l'idée que la FTQ-Construction «gérait» les chantiers québécois, M. Goyette a énuméré point par point les étapes qui mènent à l'ouverture d'un chantier, dont l'embauche des travailleurs, a-t-il fait remarquer, est l'une des dernières. «Il faut être inculte et barbare pour répandre de telles rumeurs», a-t-il déclaré.
Il s'en est longuement pris à Jean Cournoyer, ancien ministre du Travail dans le premier gouvernement Bourassa. Sur le portail Canoë, M. Cournoyer aurait, selon M. Goyette, affirmé que la FTQ avait envoyé 50 travailleurs de Montréal en région pour «tordre des bras».
M. Goyette a mis l'ancien ministre, qu'il appelait «citoyen Cournoyer», au défi de démontrer cette allégation. «Si vous n'êtes pas un menteur, si vous n'êtes pas un imposteur, vous allez démontrer que 50 gars de Montréal ont été bougés vers les régions pour supposément prendre des employeurs sur le bras. Si vous ne pouvez pas le prouver, ce n'est pas la FTQ-Construction qui ment, c'est vous.»
Document à l'appui, M. Goyette a voulu démontrer que la paix règne davantage aujourd'hui que dans les années 70 dans les chantiers. «Cette année, il y a eu six plaintes de discrimination au Ministère. Sous le règne du citoyen Cournoyer, il y en a eu 551 entre 1970 et 1974. Peut-être qu'on fait une meilleure job que vous faisiez à l'époque.»
Émission Enquête
C'est la diffusion de l'émission Enquête à Radio-Canada, le 13 mars dernier, qui a mis le feu aux poudres. Des entrepreneurs et des travailleurs de la Côte-Nord s'y sont plaints de la mainmise de la FTQ-Construction sur les chantiers. L'émission a fait état d'un climat de peur et d'intimidation, de cas d'extorsion et de trafic de drogue.
La diffusion de l'émission a pratiquement coïncidé avec l'annonce du mandat d'arrêt lancé contre Jocelyn Dupuis, ancien directeur général de la FTQ-Construction, pour fraude envers son employeur.
Sur la question de savoir si la FTQ-Construction entend poursuivre M. Dupuis au civil, l'avocat du syndicat, Me Laurin, a répété qu'il fallait rencontrer M. Dupuis afin de départager les factures justifiées de celles qui ne l'étaient pas.
«S'il y a des dépenses qui ne sont pas justifiées, l'instruction que j'ai jusqu'à maintenant est de passer à la deuxième étape», a-t-il indiqué.
Au sujet des allégations d'extorsion et de trafic de drogue, Richard Goyette a été beaucoup plus circonspect dans ses propos, invoquant l'enquête policière en cours. «On croit que la Sûreté du Québec est capable de faire la job, au-delà des mandats politiques, a-t-il dit. Il y a aussi des gens de la Commission de la construction du Québec qui sont au dossier pour, avec l'aide de la SQ, faire la lumière sur ce qui s'est passé sur la Côte-Nord. On va attendre les résultats de l'enquête là-dessus. On ne veut pas s'ingérer.»
Il a cependant vivement réagi aux affirmations de l'entrepreneur Jean-Yves Lepage, qui a déclaré à l'émission Enquête que des travailleurs de la FTQ l'avaient menacé. Richard Goyette a affirmé que Lepage faisait fi des règles élémentaires de santé et de sécurité sur les chantiers. Il a lu des extraits d'un rapport de la CSST plutôt accablant sur les agissements de M. Lepage à la suite de la mort d'un travailleur.
Poursuites en vue
Pour terminer, Me Laurin a fait savoir que le syndicat ne tolérerait plus les allégations faites à son endroit et qu'il entendait défendre sa réputation jusqu'en cour.
«Jusqu'à maintenant, la FTQ-Construction a eu une attitude plutôt passive, évitant des remous que pourraient occasionner des débats judiciaires. Je vous dis et je vous indique en clair que cette période-là est révolue, a-t-il lancé. Il est trop facile maintenant de dire à peu près n'importe quoi sans être pénalisé. Et ça devient une mode. Et ça devient encourageant pour les journalistes les plus professionnels de verser un petit peu dans le sensationnalisme. Autrement, ils sont un petit peu marginaux. On n'a pas beaucoup réagi jusqu'à maintenant. On le fait. Des mises en demeure sont sorties (contre TVA, le Journal de Montréal et Paul Arcand). D'autres vont sortir.» Il a notamment indiqué qu'il étudiait minutieusement le contenu de l'émission Enquête.[28]
LA PRESSE - FORUM
La semaine dernière, un reportage de l'émission Enquête de Radio-Canada rapportait certains cas d'intimidation de la part de travailleurs membres de la FTQ-Construction sur des chantiers de la Côte-Nord.
Hier, le syndicat visé dans le reportage a voulu remettre les pendules à l'heure et défendre la réputation de ses membres.
Mais plutôt que de s'expliquer calmement et de répondre aux questions des journalistes, la FTQ-Construction nous a plutôt fait la démonstration que l'intimidation, même en conférence de presse, est un comportement qui semble faire partie de la culture du syndicat.
Le ton employé par son directeur général, Richard Goyette, était arrogant, agressif et ses propos, empreints de sarcasmes. Une attitude indigne pour quiconque représente un organisme ou une institution publique québécoise.
M. Goyette s'en est d'abord pris aux personnes qui ont «osé» émettre des critiques à l'endroit du syndicat au cours des dernières semaines: l'ex-ministre Jean Cournoyer, l'économiste Pierre Fortin, ainsi que la CSN et sa présidente, Claudette Charbonneau, ont tous été interpellés de façon fort cavalière.
En plus du ton méprisant utilisé à leur endroit, M. Goyette et ses collègues ont menacé les médias qui se dresseraient sur leur chemin de plaintes devant le CRTC, de mises en demeure et de poursuites. L'avocat du syndicat a ajouté que dorénavant, la FTQ-Construction choisirait les médias auxquels elle veut s'adresser. Duplessis, es-tu là?...
Tout au long de cette conférence de presse-fleuve où la confusion était à l'honneur, pas un seul mot n'a été dit sur les allégations contenues dans le reportage de l'émission Enquête. «On attend les conclusions de l'enquête policière», s'est-on contenté de dire.
Pour le reste, il semble que la FTQ-Construction est un syndicat exemplaire qui n'a rien à se reprocher.
Sans surprise, M. Goyette ne veut rien entendre de la tenue d'une commission d'enquête pour faire la lumière sur les rumeurs de collusion et de corruption dans le milieu de la construction. Un tel exercice relève de la «clownerie et du cirque», selon lui. Et bien soit, qu'on sorte les lions! Car ce point de presse a sans doute achevé de convaincre les derniers sceptiques du besoin urgent de la tenue d'une telle enquête.
D'ici là, il faut dénoncer le ton employé hier par les dirigeants de la FTQ-Construction. Nous sommes dans une société libre et démocratique dans laquelle il est permis de critiquer et de défendre ses idées, mais où la brutalité verbale n'a pas sa place. Tout comme les travailleurs n'ont pas à subir l'intimidation dans leur milieu de travail, il est absolument hors de question que la société civile - syndicats, médias et politiciens - ait à tolérer l'intimidation de la FTQ-Construction sur la place publique.[29]
LA PRESSE
BERNARD GAUTHIER S’EXPLIQUE - « On défend les pères de famille qui travaillent sur la Côte-Nord », dit le représentant syndical.
Rejetant les accusations d'intimidation et de favoritisme, le représentant syndical Bernard Gauthier se félicite au contraire d'avoir monté un système de placement «innovateur» où employeurs et travailleurs de la Côte-Nord trouvent leur compte.
Après le directeur général de la FTQ-Construction lundi, c'était au tour de M. Gauthier de répondre à ses détracteurs, mercredi matin, lors d'une conférence de presse tenue à Sept-Îles. Entouré de nombreux travailleurs qui l'ont applaudi à quelques reprises, M. Gauthier a, dans un langage fort coloré, affirmé que le système mis sur pied par le syndicat permet aux entrepreneurs d'embaucher les meilleurs travailleurs de la région, et à des travailleurs autochtones et anglophones de trouver de l'emploi.
«On a innové dans notre manière de faire, a lancé M. Gauthier. Ça, ça dérange bien du monde parce que tout le monde pensait qu'on allait brasser la cage. On n'a pas besoin de le faire. Ce que j'ai à faire est de garantir la main-d’œuvre, et les gars remplissent la job. Ça fait que les gars du 791, c'est le summum sur la Côte-Nord. Tu veux les meilleurs, appelle-moi, pas de problème. Dis-moi ce que tu veux et je vais te l'envoyer. Y’a pas une loi qui m'empêche de faire ça. Pas une.»
Du même souffle, il se dit ouvertement contre la mobilité des travailleurs d'une région à l'autre. «On défend les pères de famille qui travaillent sur la Côte-Nord. C'est du monde de la Côte-Nord qui paie mon salaire. C'est à eux autres que j'ai des comptes à rendre. Pas à l'émission Enquête.»
Comme Richard Goyette la veille, il a répliqué point par point aux personnes qui ont parlé à visage découvert à l'émission Enquête et a annoncé que des mises en demeure seraient éventuellement envoyées, sans préciser à qui.
Les employeurs d'accord?
Dans une lettre ouverte envoyée mercredi, quatre associations patronales du domaine de la construction ont de leur côté réclamé la centralisation du placement. «Le placement de la main-d’œuvre sur les chantiers, tel qu'il se fait présentement, est un problème structurel et une intervention s'impose sur le fondement même de cette pratique», lit-on dans cette lettre signée par l'Association de la construction, l'Association des constructeurs des routes et grands travaux, l'Association des entrepreneurs en construction et l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec.
«Parler de placement des travailleurs, c'est voir à leur embauche, à leur affectation et aussi à leur mise à pied, poursuit-on. En permettant aux responsables des syndicats de s'immiscer dans cette tâche, ceux-ci interviennent par le fait même dans la gestion quotidienne des entreprises.» [30]
LA PRESSE
CSST: LA FTQ-CONSTRUCTION N'A PAS TOUT DIT
Lundi, le directeur général de la FTQ-Construction, Richard Goyette, s'est longuement attardé aux relations de son syndicat avec Jean-Yves Lepage, ingénieur d'Aecon qui a eu des démêlés avec le syndicat. Il a souligné les nombreux blâmes dont M. Lepage et Aecon ont fait l'objet. Des 92 avis de dérogation concernant les dangers de chute en hauteur rendus par la CSST entre mai 2002 et février 2005, 26 visaient la firme Aecon. Tous ces détails sont exacts. Mais M. Goyette a omis de lire un autre passage qui n'est pas à l'avantage du syndicat. Ce passage dit ceci: «Il y aussi un manque d'implication des délégués syndicaux dans les analyses d'accidents faites sur le chantier. Plusieurs d'entre eux ne sont pas au courant que cela fait partie de leurs rôles et de leurs responsabilités inclus dans le programme de prévention cadre.» Questionné à ce sujet, le responsable des communications de la FTQ-Construction, Éric Demers, a dit que le syndicat cautionnait le rapport.[31]
[134] En novembre 2010, Gauthier est invité à l’émission Denis Lévesque diffusée sur les ondes de TVA. Au cours de l’entrevue qu’il accorde à l’animateur, il est questionné sur la véracité ou l’exactitude des déclarations faites par Lepage dans le cadre de l’émission Enquête.
[135] Il nie catégoriquement avoir proféré des menaces contre lui ou avoir tenté de l’intimider et déclare qu’il est victime d’une « campagne de salissage ». À nouveau, il fait référence à des problèmes de sécurité pour justifier sa conduite. Il déclare que le chantier dirigé par Lepage était dangereux et qu’il n’avait pas le choix d’intervenir pour protéger la vie des travailleurs.
[136] Il termine en laissant entendre que Lepage n’est pas honnête et qu’il n’est pas digne de confiance. Il affirme qu’il a déjà fait de fausses déclarations à son sujet et qu’il a déjà incité d’autres personnes à faire de faux témoignages pour lui nuire, mais qu’il a eu gain de cause contre lui dans des poursuites judiciaires.
[137] Voici quelques extraits de cette entrevue :
ÉMISSION DENIS LÉVESQUE LE 5 NOVEMBRE 2010 (extrait)
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Alors l'ingénieur qui dit, là, le gars est venu me voir pis il m'a vraiment fait des menaces, y avez-vous fait des menaces ou pas, là?
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Ben non.
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
L'ingénieur Jean-Yves Lepage…
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Ben non.
PAR M. DENIS LÉVESQUE:
… intimidé sur le chantier.
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Comme j'ai expliqué, ça en est un que j'ai poursuivi, ça, pour fausses déclarations pis tu sais, c'est tout des gars...
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Pourquoi ils vous aiment pas, ces gars-là, c'est sûrement pas...
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Ben, c'est parce qu'on les empêche de tourner en rond.
Écoute, si le chantier Toulnustouc, c'était dangereux, tu sais il y a des agissements qui se font pis comment est-ce que tu veux aller lui dire, tu peux pas lui écrire une petite lettre pis là s'il te plaît, tu peux tu modifier ta façon de faire.
Il joue avec la vie de nos travailleurs. Pis quand tu y dis, il te rit dans la face.
La CSST, les rapports de CSST, il y a des poursuites qui ont été faites, ça, ça a pas été dit, ça là, là.
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Mais les gars de la CSN, vous les prenez pas. Vous arrivez sur un chantier avec trois-quatre (3-4) gros bras, pis aïe, m'a te casser la gueule.
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Je suis tout seul sur les chantiers. Ben là astheure, je me promène toujours avec une personne pour pas avoir de "frame up", dans le jargon, ce qui veut dire quelque chose de monté, là. C'est comme il est arrivé avec monsieur Lepage, là.
Il avait fait témoigner du monde, là, pis c'était des faux témoignages pis on a réussi à les pincer avec ça.
Moi, c'est sûr et certain que ma tête, ils la veulent. Je les empêche de tourner en rond pis je leur fait faire un petit peu moins d'argent. C'est un peu nos travailleurs qui sont récompensés pour ça.
Moi là, faire de l'argent, j'ai rien contre ça, mais fais-le pas sur le dos de notre travail.
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Bon, vous avez été accusé de rien encore pour l'instant?
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Oui, oui, il y a des accusations.
J'aimerais par contre qu'on me parle de culpabilité à un moment donné.
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Oui, les accusations, là, exactement?
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Ben là, intimidation pis avoir empêché l'entreprise de fonctionner librement, là.
La dernière que j'ai eue, c'est la meilleure, celle-là.
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
C'est ça, c'est ralentir le chantier, là. Le constat d'infraction, «Encourager et appuyer un ralentissement de travail».
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
C'est ça.
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Donc vous arrivez, vous dites aux gars, vous faites rien, là.
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Ben non.
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Ben ça, ça coûte de l'argent. Vous dites on leur coûte de l'argent.
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
Non non non. Regarde les gars...
PAR M. DENIS LÉVESQUE :
Vous faites plus rien sur les chantiers, là.
PAR M. BERNARD GAUTHIER :
En plus de ça, ben là, on va le prouver, là.
En plus de ça, les gars l'ont fait sur leur temps à eux autres parce qu'il y avait une situation qui était critique là-bas, il y avait un surintendant, là, qui commençait à tomber sur les tomates, sur la tomate à a peu près tout le monde, ça fait que nous autres, on a dit, écoutez, plutôt que laisser les gens aller tout seuls régler leurs comptes pis risquer de se mettre dans la marde, les pères de famille de la Côte-Nord, ils auraient été barrés sur les chantiers pour les cent (100) prochaines années, laisse faire, on va structurer ça.
On a mis du monde à la sécurité, tout. Vous voulez aller y dire de quoi, dites-y, mais on veut pas de menaces pis on veut pas de contact physique, rien de ça; dites-y ce que vous avez à y dire pis «that's it that's all».
Après ça, les gars, ils ont repris l'autobus, ils sont repartis, ça a pris quinze (15) minutes, pis ils l'ont fait sur leur temps à eux autres, ils l'ont pas fait sur le temps de la compagnie.[32]
[138] Lepage prend connaissance des déclarations de Goyette et de Gauthier en écoutant les nouvelles à la radio, en regardant les actualités à la télévision et en lisant les journaux.
[139] Il habite une petite localité où tout le monde le connaît. Il remarque que les gens le regardent désormais de manière plus suspicieuse. Ceux qui l’abordent le pressent de questions. Ils sont curieux de savoir ce qui s’est vraiment passé sur le chantier de Toulnustouc. On lui demande des explications.
[140] Lui, qui avait l’habitude d’être sollicité par les entrepreneurs en construction et les grands donneurs d’ouvrage pour diriger des travaux sur des chantiers d’envergure, n’est plus invité comme avant à offrir ses services comme gérant de chantier ou directeur de projet.
[141] Son affrontement avec la FTQ-Construction est connu et en fait désormais un pari risqué pour les entrepreneurs et les donneurs d’ouvrage dans l’industrie de la construction.
[142] Il se fait dire que certains entrepreneurs en construction refusent de faire affaires avec lui par crainte de représailles de la FTQ-Construction. Certaines personnes parlent de lui comme un « troublemaker ». Il doit se chercher du travail à l’extérieur de la province de Québec. Il abandonne progressivement l’idée de retourner sur les grands chantiers parce qu’il a peur du sort que pourrait lui réserver la FTQ-Construction.
[143] Il s’isole et perd le goût de se battre. Il prend sa retraite, quelques années plus tôt que prévu, et doit composer avec les conséquences financières qui découlent de cette situation. Son niveau de vie ne sera pas celui qu’il avait anticipé et certains de ses projets futurs devront être remis en question.
Les procédures
[144] En mars 2011, Lepage prend action contre les défendeurs pour atteinte à sa réputation, à sa dignité et à sa vie privée. Il réclame 500 000 $ en dommages-intérêts.
[145] La cause est inscrite pour enquête et audition en septembre 2011. Le procès débute à la fin-novembre 2012 et se poursuit en décembre 2012. Après six jours d’audience, la preuve est déclarée close de part et d’autre. Le procureur du demandeur présente ses arguments et insiste sur la nécessité pour le Tribunal de condamner les défendeurs à verser des dommages-intérêts punitifs. S’autorisant de l’article 292 C.p.c., le Tribunal signale l’existence d’une lacune dans la preuve. Un débat s’engage peu après sur la portée de la connaissance d’office.
[146] Le procureur du demandeur présente ensuite une demande de réouverture d’enquête, dont la recevabilité est contestée sur le champ par le procureur des défendeurs.
[147] Le Tribunal ordonne la réouverture de l’enquête à la seule fin de permettre la présentation d’une preuve sur la situation patrimoniale des défendeurs et sur l’identité des personnes qui assumeront le paiement des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, advenant que des condamnations soient prononcées contre les défendeurs.
[148] La poursuite de l’audience doit avoir lieu en janvier 2013. Dans l’intervalle, le procureur du demandeur doit faire le nécessaire pour assigner ses témoins et obtenir la communication d’un certain nombre de documents comprenant les états financiers de la FTQ-Construction et du Local 791, de même que les déclarations annuelles de revenus, les relevés de banque, les bilans personnels, etc., des défendeurs Goyette et Gauthier.
[149] Le procureur des défendeurs annonce qu’il a l’intention de contester la validité des subpoenas duces tecum signifiés à ses clients et d’en demander le rejet pour des motifs ayant trait, notamment, à la pertinence, à la confidentialité, et à la protection de la vie privée.
[150] Il est convenu que les défendeurs apporteront avec eux les documents demandés et que leur obligation de les communiquer à la partie adverse fera l’objet d’un débat devant le Tribunal en début d’audience.
[151] En janvier 2013, le procureur des défendeurs produit les admissions suivantes au dossier :
Pour le Local 791 et son chargé d’affaires Bernard Gauthier :
En considération de la preuve que doit faire le défendeur en vertu de l'article 1621 du Code civil du Québec, les défendeurs consentent l'admission suivante: l'Union des opérateurs de machinerie lourde Local 791 admet que sa situation patrimoniale lui permet d'assumer les coûts et frais de la réclamation du demandeur à titre de dommages punitifs, le cas échéant.
Nous informons également la Cour que l'Union des opérateurs de machinerie lourde Local 791 s'est engagée envers Bernard Gauthier à assumer les coûts et les frais d'un éventuel jugement à titre de dommages punitifs contre ce dernier, et elle confirme que sa situation patrimoniale lui permet un tel engagement.
Pour la FTQ-Construction et son directeur général Richard Goyette :
En considération de la preuve que doit faire le défendeur en vertu de l'article 1621 du Code civil du Québec, les défendeurs consentent l'admission suivante: la FTQ-Construction admet que sa situation patrimoniale lui permet d'assumer les coûts et frais de la réclamation du demandeur à titre de dommages punitifs, le cas échéant.
Nous informons également la Cour que la FTQ-Construction s'est engagée envers Me Goyette à assumer les coûts et les frais d'un éventuel jugement à titre de dommages punitifs contre ce dernier, et elle confirme que sa situation patrimoniale lui permet un tel engagement. [33]
[152] Le procureur du demandeur se déclare satisfait de ces admissions et convient avec le procureur des défendeurs qu’aucune preuve additionnelle ne sera présentée au Tribunal. L’enquête est déclarée close de part et d’autre. Le Tribunal invite les procureurs à soumettre leurs arguments par écrit et un délai leur est accordé pour la production de leurs notes et autorités.
[153] La cause est mise en délibéré en mars 2013. En juin 2013, les défendeurs présentent une requête afin d’obtenir la récusation de la soussignée. Le délibéré est rayé. L’audition de la requête a lieu en septembre 2013 et un jugement est rendu en décembre 2013. La requête est rejetée et le cause est remise en délibéré.
LE DROIT
[154] Au Québec, le droit à la sauvegarde de la réputation et au maintien de la vie privée sont garantis par les articles 4 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne[34] :
Art. 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
Art. 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
[155] Ces droits sont aussi protégés par les articles 3 et 35 du Code civil du Québec :
Art. 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et çà l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
Art. 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
[156] Le recours en dommages-intérêts pour diffamation ou atteinte à la réputation est régi par les règles générales de la responsabilité civile énoncées à l’article 1457 du Code civil du Québec :
Art. 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[157] Ainsi, pour avoir gain de cause dans une action en diffamation, le demandeur doit prouver qu’une faute a été commise et que cette faute lui a causé un préjudice pour lequel il est en droit d’obtenir une réparation. La preuve d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité est essentielle.
[158] Dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc.[35], la Cour d’appel définit ainsi la diffamation :
La diffamation constitue une forme de responsabilité civile régie par l’article 1053 C.c.B.C. Comme toute autre, elle exige notamment la démonstration d’une faute et celle de dommages. Ce domaine du droit de la responsabilité civile demande, par ailleurs, une sensibilité particulière à des valeurs parfois en opposition comme, d’une part, le droit du public à l’information et à la liberté des médias de diffuser et, d’autre part, le droit à la vie privée et à la protection de certaines de ses composantes essentielles, l’anonymat et l’intimité.
Génériquement, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d'écrits qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables […]. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d'une personne, par le mal que l'on dit d'elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose […]
[159] En droit civil, il importe peu que l’affirmation diffamatoire soit conforme à la vérité ou non. La diffusion d’une information fausse ne donne pas automatiquement ouverture à une condamnation en dommage-intérêts. Quant à la véracité, elle peut constituer une défense valide si l’intérêt public est en jeu :
[37] Ainsi, en droit civil québécois, la communication d’une information fausse n’est pas nécessairement fautive. À l’inverse, la transmission d’une information véridique peut parfois constituer une faute. On retrouve là une importante différence entre le droit civil et la Common Law où la fausseté des propos participe du délit de diffamation. Toutefois, même en droit civil, la véracité des propos peut constituer un moyen de prouver l’absence de faute dans des circonstances où l’intérêt public est en jeu. [36]
[160] L’atteinte à la réputation est donc source de responsabilité si elle résulte d’une conduite fautive, qu’il s’agisse d’un geste volontaire ou non. L’intention malveillante et la volonté de nuire à autrui sont plus déterminantes que la véracité des propos :
267. En droit civil, il n’existe pas de différence entre la diffamation au sens strict du mot et le libelle que connaît le droit pénal. Toute atteinte à la réputation, qu’elle soit verbale ou écrite, publique ou privée, qu’elle soit seulement injurieuse ou aussi diffamatoire, qu’elle procède d’une affirmation ou d’une imputation ou d’un sous-entendu, constitue une faute qui, si elle entraîne un dommage, doit être sanctionnée par une compensation pécuniaire. On retrouve le terme diffamation employé, la plupart du temps, dans un sens large couvrant donc l’insulte, l’injure et pas seulement l’atteinte stricte à la réputation […]
268. Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe. La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites donnent ouverture à responsabilité et droit à réparation, sans qu’il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d’autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d’abandonner résolument l’idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d’un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire. De plus, la diffamation, en droit civil, ne résulte pas seulement de la divulgation ou de la publication de nouvelles fausses ou erronées. S’il n’y a pas de responsabilité lorsque les faits publiés sont exacts et d’intérêt public, il en est autrement lorsque la publication n’a pour but que de nuire à la victime. On ne peut se réfugier derrière le droit à la libre expression dans le seul but de porter préjudice à autrui. [37] (nos soulignés)
[161] D’après les professeurs Pineau et Ouellet, la conduite fautive peut se manifester de trois manières dans le cas de la diffamation :
Diffamer, c’est dire des choses désagréables ou donner des renseignements défavorables sur autrui. Quand y-a-t-il faute à faire cela?
a) On commet une faute en «disant» sur autrui des choses désagréables ou défavorables que l’on sait être fausses.
De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui. Or, agir avec l’intention de nuire, c’est commettre un délit, une faute dolosive.
b) On commet une faute en «disant» sur autrui des choses désagréables ou défavorables que l’on devrait savoir être fausses.
L’homme prudent et avisé ne donne pas de renseignements défavorables sur autrui s’il a des raisons de douter de leur véracité; un bon père de famille ne tient pas sur autrui des propos inconsidérés.
c) On commet une faute en tenant sur autrui des propos défavorables, même s’ils sont vrais, lorsqu’on le fait sans justes motifs.[38]
[162] La forme des propos diffamatoires peut varier. Il peut s’agir d’une déclaration verbale ou écrite, faite de manière publique ou privée. Il peut s’agir d’affirmations directes ou indirectes. La diffamation peut résulter de déclarations claires et non équivoques. Elle peut aussi découler de sous-entendus et d’insinuations tendancieuses, c'est-à-dire de toutes choses défavorables qu’on laisse volontairement entendre sans les exprimer clairement ou ouvertement, qu’elles soient vraies ou non[39] :
La forme d'expression du libelle importe peu; c'est le résultat obtenu dans l'esprit du lecteur qui crée le délit ». L'allégation ou l'imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte « par voie de simple allusion, d'insinuation ou d'ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique». Il arrive souvent que l'allégation ou l'imputation «soit transmise au lecteur par le biais d'une simple insinuation, d'une phrase interrogative, du rappel d'une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux ».
Les mots doivent d'autre part s'interpréter dans leur contexte. Ainsi « il n'est pas possible d'isoler un passage dans un texte pour s'en plaindre, si l'ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait ». À l'inverse « il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l'ensemble d'un texte divulgue un message opposé à la réalité ». On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. « Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant d'interpréter les uns par rapport aux autres. [40]
[163] Dans tous les cas, il faut analyser le contexte factuel pour apprécier la gravité de la faute et de ses effets. L’analyse des propos et leur caractère diffamatoire doit se faire de manière objective. L’exercice suppose, en général, un arbitrage entre le droit à la liberté d’expression d’une partie et le droit à la sauvegarde de la réputation de l’autre[41]:
[38] Dans tous les cas, l’appréciation de la faute demeure une question contextuelle de faits et de circonstances. À cet égard, il importe de rappeler que le recours en diffamation met en jeu deux valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation.[42]
[164] Le droit à la liberté d’expression est reconnu par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne[43] :
Art. 3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.
[165] Les articles 6 et 7 du Code civil du Québec prévoient qu’une personne peut engager sa responsabilité civile si elle abuse de ses droits :
Art. 6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi
Art. 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
[166] Dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto[44], la Cour suprême s’est penchée sur l’apparente contradiction entre la liberté d’expression et la protection de la réputation en matière de libelle et de diffamation :
[100] Il ne fait aucun doute que, dans les affaires de libelle, les valeurs jumelles de réputation et de liberté d’expression entreront en conflit. […]. La vraie question, toutefois, est de savoir si la Common Law offre un juste équilibre entre ces deux valeurs, dont nous examinerons la nature tour à tour.
(i) La liberté d’expression
[101] On a beaucoup écrit sur l’importance primordiale de la liberté de parole. Sans cette liberté d’exprimer des idées et de critiquer tant le fonctionnement des institutions que le comportement des particuliers attachés aux offices gouvernementaux, les formes démocratiques de gouvernement se détérioreraient et disparaîtraient. […] On peut lire dans l’arrêt plus récent Edmonton Journal, précité, à la p. 1336 :
Il est difficile d’imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d’expression dans une société démocratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d’exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d’expression libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insister sur l’importance primordiale de cette notion.
[102] Cependant, la liberté d’expression n’a jamais été reconnue comme un droit absolu. Le juge en chef Duff a insisté sur ce point dans Reference re Alberta Statutes, précité, à la p. 133 :
[TRADUCTION] Le droit au débat public est naturellement soumis à des restrictions juridiques; certaines s’appuient sur des motifs d’ordre public et de décence dont se préoccupent, par exemple, les lois relatives à la diffamation et à la sédition. En un mot, la liberté de parole signifie […] «la liberté régie par le droit».
[103] On a adopté un raisonnement semblable dans les affaires où la Charte était invoquée. Bien qu’un droit garanti par la Charte soit défini en termes généraux, d’ordinaire sans limites inhérentes, la Charte reconnaît à l’article premier que des valeurs de la société entreront en conflit à certains moments et que des limites doivent être imposées même sur les droits fondamentaux. […]
[…]
[106] […] Les déclarations fausses et injurieuses ne peuvent contribuer à l’épanouissement personnel, et on ne peut dire qu’elles encouragent la saine participation aux affaires de la collectivité. En fait, elles nuisent à l’épanouissement de ces valeurs et aux intérêts d’une société libre et démocratique. […]
(i) La réputation de la personne
[107] L’action en diffamation commande la considération d’une seconde valeur, la protection de la réputation de la personne. Bien que de nombreux commentaires judicieux aient été formulés sur l’importance de la liberté d’expression, on ne peut en dire autant de la réputation. Pourtant, la plupart des gens tiennent plus que tout à leur bonne réputation, qui se rattache étroitement à la valeur et à la dignité innées de la personne. Elle est un attribut qui doit, au même titre que la liberté d’expression, être protégé par les lois de la société. Avant d’effectuer la pondération requise en l’espèce, il convient de parler de la valeur de la réputation.
[108] Les démocraties ont toujours reconnu et révéré l’importance fondamentale de la personne. Cette importance doit, tour à tour, reposer sur la bonne réputation. Cette bonne réputation, qui rehausse le sens de valeur et de dignité d’une personne, peut également être très rapidement et complètement détruite par de fausses allégations. Et une réputation ternie par le libelle peut rarement regagner son lustre passé. Une société démocratique a donc intérêt à s’assurer que ses membres puissent jouir d’une bonne réputation et la protéger aussi longtemps qu’ils en sont dignes.
[109] Depuis toujours, la société a reconnu le tort tragique que les fausses déclarations peuvent causer à une personne. (…)
[110] Tenir des propos mensongers susceptibles de ternir la réputation d’autrui a toujours été considéré comme une infraction grave. (…)
[…]
[120] Bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée dans la Charte, la bonne réputation de l’individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous-tend tous les droits garantis de la Charte. La protection de la réputation d’un individu est donc d’une importance fondamentale dans notre société démocratique.
[167] Le cadre d’analyse dans cette affaire était la Charte canadienne des droits et libertés[45]. Dans l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme[46], la Cour suprême s’est à nouveau penchée sur cette question en se référant, cette fois, au droit civil et aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne.[47]
[168] Les propos tenus par la Cour suprême dans cet arrêt font écho à ceux tenus par la Cour d’appel quelques mois auparavant dans l’arrêt Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette[48], et ils soulignent à nouveau la nécessité de faire un arbitrage entre la liberté d’expression et le droit à la sauvegarde de la réputation dans les affaires de diffamation :
[22] Les libertés d’opinion et d’expression ainsi que le droit au respect de la réputation, chéris dans tous les pays démocratiques, ont été élevés au rang de droits constitutionnels au Canada. Ici ces droits s’affrontent, celui des intimés de sauvegarder leur réputation et celui des appelants d’exprimer librement leur opinion. C’est dans la perspective de l’équilibre entre ces droits distincts que la jurisprudence reconnaît que l’écrit diffamatoire n’engage pas la responsabilité civile de son auteur s’il est l’expression honnête d’une opinion raisonnable portant sur un sujet d’intérêt public.
[169] L’importance pour une personne de préserver sa dignité et de protéger sa réputation a été réaffirmée par la Cour suprême dans l’arrêt Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc.[49] :
[18] Le droit à la sauvegarde de la réputation est garanti par la Charte québécoise (art. 4) et le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 3 et 35. Parce qu’elle participe de la dignité (Hill, par. 120-121), la bonne réputation est aussi liée aux droits protégés par la Charte canadienne. La réputation constitue un attribut fondamental de la personnalité, qui permet à un individu de s’épanouir dans la société. Il est donc essentiel de la sauvegarder chèrement, car une fois ternie, une réputation peut rarement retrouver son lustre antérieur (Hill, par. 108).
[…]
[25] Dans un recours en diffamation, la définition ou les contours de la faute reflètent l’importance croissante accordée à la liberté d’expression (Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc., [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.), p. 1818). Cependant un comportement de nature diffamatoire peut procéder d’une simple négligence. La véracité du message ne sera qu’un des facteurs à considérer pour évaluer le caractère fautif du comportement. Bien que vrais, des propos peuvent néanmoins avoir été tenus fautivement. La médisance, tout autant que la calomnie est sanctionnée (Prud’homme, par. 38; Néron, par. 59).
(ii) Préjudice
[26] Le préjudice qui définit la diffamation est l’atteinte à la réputation. Dans notre droit l’atteinte à la réputation est appréciée objectivement, c’est-à-dire en se référant au point de vue du citoyen ordinaire (Néron, par. 57, Prud’homme, par. 34, Métromédia C.M.R. Montréal inc. c. Johnson, 2006 QCCA 132, [2006] R.J.Q. 395, par. 49).
[27] Ce niveau d’analyse se justifie par le fait qu’une atteinte à la réputation se traduit par une diminution de l’estime et de la considération que les autres portent à la personne qui est l’objet des propos. Il n’y a donc pas que l’auteur et la personne qui fait l’objet des propos qui entrent en scène. Une personne est diffamée lorsqu’un individu donné ou plusieurs lui renvoient une image inférieure à celle que non seulement elle a d’elle-même, mais surtout qu’elle projetait aux « autres » dans le cours normal de ses interactions sociales. […]
[28] C’est l’importance de ces « autres » dans le concept de réputation qui justifie le recours à la norme objective du citoyen ordinaire qui les symbolise. Un sentiment d’humiliation, de tristesse ou de frustration chez la personne même qui prétend avoir été diffamée est donc insuffisant pour fonder un recours en diffamation. Dans un tel recours, l’évaluation du préjudice se situe à un autre niveau, axé non sur la victime elle-même, mais sur la perception des autres. Le préjudice existe lorsque le «citoyen ordinaire estime que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation de la victime » (Prud’homme, par. 34). […]
[170] Plusieurs types de dommages peuvent résulter de la diffamation : par exemple, les dommages pécuniaires qui résultent de la perte de revenus ou de la perte de gains anticipés, et les dommages non pécuniaires qui résultent de l’atteinte psychologique ou morale.
[171] La principale difficulté en matière de diffamation concerne l’évaluation du préjudice moral et le montant des dommages-intérêts auquel il donne droit :
[69] La quantification du montant approprié pour la compensation du préjudice découlant de la diffamation ou de l’injure demeure une étape difficile, qui fait appel à des paramètres imprécis laissant une bonne marge de manœuvre au juge du procès. Comme le mentionnent souvent la doctrine et la jurisprudence, le préjudice moral n’est pas aisément monnayable. […] [50]
[172] Dans le cas de dommages non pécuniaires, la nature intangible des intérêts à indemniser, la multiplicité des éléments qui entrent dans l’aggravation et les inévitables jugements de valeur en font un exercice subjectif et intuitif :
Un des biens les plus précieux que possède une personne est sans contredit sa réputation. Plus que tous ses biens matériels, plus que sa vie souvent, la personne chérit l’opinion favorable que ses concitoyens ont d’elle. Elle est en effet intimement liée à l’idée qu’elle se fait d’elle-même et sa propre dignité en dépend.
Or, comme tout ce qu’il y a de plus précieux, une réputation est aussi un bien très fragile et c’est avec raison que l’adage populaire nous rappelle que si elle prend une vie à construire, une journée suffit à la détruire.[51]
[173] Dans l’arrêt Cinar Corporation c. Robinson,[52] la Cour suprême traite de cette question et résume les différentes approches qui sont utilisées par les tribunaux pour s’assurer que le montant de l’indemnité accordée soit proportionnel à la gravité de la faute commise et compense adéquatement le préjudice subi :
[105] Les tribunaux québécois établissent généralement le montant des dommages-intérêts non pécuniaires en combinant les approches conceptuelle, personnelle et fonctionnelle : St-Ferdinand, par. 72-73, 75 et 77; Gauthier c. Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3, par. 101. L’approche conceptuelle mesure la perte [traduction] « en fonction de la gravité objective du préjudice » : Stations de la Vallée de Saint-Sauveur inc. c. M.A., 2010 QCCA 1509, [2010] R.J.Q. 1872, par. 83, le juge Kasirer. L’approche personnelle « s’attache plutôt à évaluer, d’un point de vue subjectif, la douleur et les inconvénients découlant des blessures subies par la victime » : St-Ferdinand, par. 75, citant A. Wéry, « L’évaluation judiciaire des dommages non pécuniaires résultant de blessures corporelles : du pragmatisme de l’arbitraire? », [1986] R.R.A. 355. Enfin, l’approche fonctionnelle vise à fixer une indemnité pour fournir à la victime une consolation : Andrews, p. 262. Ces approches « s’appliquent conjointement, favorisant ainsi l’évaluation personnalisée » des dommages-intérêts non pécuniaires : St-Ferdinand, par. 80.
[106] En plus d’appliquer ces approches, les tribunaux appelés à fixer le montant des dommages-intérêts non pécuniaires devraient comparer l’affaire dont ils sont saisis à d’autres affaires analogues où des dommages-intérêts non pécuniaires ont été octroyés : Stations de la Vallée, par. 83. Ils doivent tenter de traiter [traduction] « les cas semblables de semblable façon » (ibid.), en accordant des indemnités à peu près équivalentes aux victimes dont les préjudices sont semblables du point de vue des approches combinées dont il a été question précédemment. Cependant, il n’est pas utile de comparer des cas où les dommages-intérêts non pécuniaires sont plafonnés à des cas où ils ne le sont pas. Les arguments selon lesquels la victime d’une violation de son droit d’auteur ne devrait pas recevoir une indemnité plus élevée pour le préjudice non pécuniaire que la victime d’un accident devenue quadriplégique n’ont aucune valeur puisque le plafond fixé dans Andrews lie les tribunaux dans un cas, et non dans l’autre.
[174] Dans leur traité sur La responsabilité civile[53], les auteurs J.-L. Baudouin et P. Deslauriers soulignent l’influence que peuvent avoir la gravité de l’acte et l’intention de nuire de l’auteur de la diffamation sur l’évaluation du préjudice. Ils font également état de divers facteurs atténuants ou aggravants dont les tribunaux peuvent tenir compte lors de la détermination du montant des dommages-intérêts compensatoires que la victime de diffamation peut avoir droit de recevoir :
1-585 Facteurs d’évaluation - […], l’analyse des facteurs influant sur l’évaluation du dommage moral est complexe. Le premier est la gravité de l’acte. S’agit-il d’un simple commentaire discourtois ou impoli, ou au contraire d’une attaque en règle? L’intention de l’auteur de la diffamation pour sa part, si elle n’a aucune importance sur le plan de l’établissement de la faute, peut en avoir une sur le plan de l’évaluation du préjudice. La jurisprudence est ainsi plus sévère lorsque l’auteur a réitéré ses propos pendant l’instance judiciaire ou s’est servi de la diffamation pour tenter de ruiner le demandeur ou bloquer ses aspirations politiques. La diffusion de la diffamation est également conséquente. Une publicité large doit logiquement motiver un octroi plus généreux que celle restreinte à un petit cercle, sauf si le cercle s’avère bien ciblé. De même, l’ampleur des dommages peut varier en fonction du milieu dans lequel la diffamation s’est produite. Sont aussi à considérer : la condition des parties, la portée qu’a eue l’acte sur la victime et sur son entourage, la répétition des propos diffamatoires par leurs auteurs, la durée de l’atteinte, la permanence ou le caractère éphémère des effets sont aussi à considérer. Des facteurs liés à la personne de la victime peuvent également entraîner une variation du montant octroyé à titre de dommages, notamment s’il s’agit d’une personne physique ou d’une personne morale, sa notoriété, la fonction qu’elle occupe et l’importance de l’intégrité professionnelle dans l’exercice de cette fonction, sa réputation préalable. Certaines décisions ont même invoqué la conduite de la victime pour justifier la réduction du quantum des dommages. À l’opposé, un auteur souligne que les tribunaux ont maintenant aussi tendance à prendre en considération l’identité des défendeurs. Finalement, des excuses ou une rétractation, même lorsque la situation n’est pas régie par la Loi sur la presse, peuvent constituer un élément mitigeant les dommages, alors que leur excuse peut constituer un facteur aggravant.
[175] Ainsi, au fil du temps, les tribunaux ont développé un certain nombre de critères d’évaluation pour faciliter la détermination du montant des dommages-intérêts qui doivent être alloués dans les cas de diffamation.
[176] Il s’agit de : 1) la gravité intrinsèque de l’acte; 2) sa portée particulière sur la victime; 3) l’importance de la diffusion; 4) l’identité des personnes qui en ont pris connaissance et les effets que les propos ont provoqués chez ces personnes; 5) le degré de déchéance plus ou moins considérable à laquelle la diffamation a réduit la victime en comparaison avec son statut antérieur; 6) la durée raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie; 7) la contribution possible de la victime par sa conduite ou ses attitudes; 8) les circonstances extérieures qui peuvent avoir contribué au préjudice.[54]
[177] Plus récemment, les facteurs à considérer lors de l’évaluation du préjudice en matière de diffamation ont été résumés comme suit : 1) la gravité de l'acte; 2) l'intention de l'auteur; 3) l’importance de la diffusion; 4) la condition des parties; 5) la portée de la diffamation sur la victime et ses proches et la durée de l'atteinte et de ses effets.[55]
[178] Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, la valeur des dommages doit être établie en fonction de l’objectif recherché. Le tribunal doit considérer, la gravité de la faute, la capacité de payer du débiteur, et le fait que les dommages-intérêts seront payés en tout ou en partie par un tiers :
Art. 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[179] L’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit que des dommages punitifs peuvent être attribués en cas d’atteinte illicite et intentionnelle à un droit garanti tel que le droit de sauvegarder sa réputation :
Art. 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[180] Lorsque la preuve révèle l’existence d’une atteinte illicite et intentionnelle à des droits garantis, des dommages-intérêts punitifs peuvent être considérés :
[91] L’octroi de dommages punitifs en vertu de la Charte n’est pas tributaire d’un sentiment de réprobation chez le juge ou le public, mais plutôt d’une preuve d’un état d’esprit de l’auteur de la faute qui dénote une volonté de causer l’atteinte au droit protégé ou une indifférence à l’atteinte que cet auteur sait des plus probables. Dans l’arrêt St-Ferdinand, précité, la Cour suprême précise les conditions devant exister pour qu’il y ait une « atteinte illicite et intentionnelle » au sens du second alinéa de l’article 49 de la Charte :
[121] En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. [56]
[181] Les dommages-intérêts punitifs n’ont pas un caractère compensatoire. Ils visent à punir une conduite répréhensible pour éviter qu’elle ne se répète dans le futur.
[182] Dans l’arrêt Richard c. Time inc.[57], la Cour suprême a précisé les éléments qui devaient être considérés lors de l’octroi de dommages-intérêts punitifs :
[155] L’article 1621 C.c.Q. impose lui-même la prise en compte des objectifs généraux des dommages-intérêts punitifs. En effet, la rédaction de cette disposition confère aux dommages-intérêts punitifs une fonction essentiellement préventive. Suivant cet article, l’octroi de dommages-intérêts punitifs doit toujours conserver pour objectif ultime la prévention de la récidive de comportements non souhaitables. Notre Cour a reconnu que cette fonction préventive est remplie par l’octroi de dommages-intérêts punitifs dans des situations où un individu a adopté un comportement dont il faut prévenir la répétition ou qu’il faut dénoncer, dans les circonstances précises d’une affaire donnée (Béliveau St-Jacques, par. 21 et 126; de Montigny, par. 53). Lorsque le tribunal choisit de punir, sa décision indique à l’auteur de la faute que son comportement et la répétition de celui-ci auront des conséquences pour lui. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs est fondée d’abord sur le principe de la dissuasion et vise à décourager la répétition d’un comportement semblable, autant par l’individu fautif que dans la société. La condamnation joue un rôle de dissuasion particulière et générale. Par ailleurs, le principe de la dénonciation peut aussi justifier une condamnation lorsque le juge des faits désire souligner le caractère particulièrement répréhensible de l’acte dans l’opinion de la justice. Cette fonction de dénonciation contribue elle-même à l’efficacité du rôle préventif des dommages-intérêts punitifs.
[156] La nécessité de prendre également en compte les objectifs de la législation en cause se justifie par le fait que le droit à des dommages-intérêts punitifs en droit civil québécois dépend toujours d’une disposition législative précise. De plus, dans leurs manifestations actuelles, les dommages-intérêts punitifs n’ont pas pour but de punir généralement tout comportement interdit par la loi. Leur fonction consiste plutôt à protéger l’intégrité d’un régime législatif en sanctionnant toute action incompatible avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en question. La détermination des types de conduite dont il importe de prévenir la récidive et des objectifs du législateur s’effectue à partir de la loi en vertu de laquelle une sanction est demandée.
[157] En pratique, pour s’acquitter de son obligation de prendre en compte les objectifs susmentionnés, le tribunal devra identifier les types de comportements qui sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en cause et dont la perpétration nuit à leur réalisation. L’octroi de dommages-intérêts punitifs ne peut viser que ces types de comportements.
[183] Lorsqu’il évalue le montant des dommages-intérêts punitifs qui doivent être octroyés, le tribunal doit garder à l’esprit les principes énumérés à l’article 1621 C.c.Q, soit : 1) la gravité de la faute; 2) la situation patrimoniale du débiteur; 3) l’étendue de la réparation déjà accordée; 4) l’identité de la personne qui assumera la condamnation :
a) Critères d’évaluation du quantum
[199] Dans l’évaluation du montant des dommages-intérêts punitifs, il faut se tourner d’abord vers l’art. 1621 C.c.Q. En effet, ce dernier énumère quelques principes directeurs destinés à apporter plus de constance et d’objectivité dans l’évaluation des dommages-intérêts punitifs (J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (6e éd. 2005), par P.-G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, par. 912). L’article 1621 C.c.Q. dispose d’abord que le montant octroyé à titre de dommages-intérêts punitifs ne doit jamais dépasser la somme nécessaire pour remplir leur fonction préventive. Il ajoute à son deuxième alinéa que la détermination du montant doit se faire en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment (1) de la gravité de la faute du débiteur, (2) de sa situation patrimoniale ou (3) de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que (4) le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[200] La gravité de la faute constitue sans aucun doute le facteur le plus important (Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743; Fondation québécoise du cancer c. Patenaude, 2006 QCCA 1554, [2007] R.R.A. 5; Voltec ltée c. CJMF FM ltée, [2002] R.R.A. 1078 (C.A.); Baudouin, Jobin et Vézina, par. 912). Le niveau de gravité s’apprécie sous deux angles : la conduite fautive de l’auteur et l’importance de l’atteinte aux droits de la victime. L’auteur Claude Dallaire a souligné que les tribunaux examinent le degré de gravité de la conduite et l’ampleur des répercussions de cette conduite sur la victime (p. 127 et suiv.). Ainsi, l’analyse de la preuve se concentrera tantôt sur la conduite du contrevenant, tantôt sur les effets de son comportement sur la victime (Procureur général du Québec c. Boisclair, [2001] R.J.Q. 2449 (C.A.), par. 9-10). Dans un cas comme dans l’autre, il est important de garder à l’esprit qu’une myriade d’éléments contextuels peuvent être pris en compte dans l’analyse. […]
[201] Le deuxième facteur énoncé dans l’art. 1621, al. 2 C.c.Q., en l’occurrence la situation patrimoniale du débiteur, vise à faire en sorte que le montant octroyé soit adapté à la situation du contrevenant, afin de produire l’effet recherché par la loi en cause. Ainsi, plus le patrimoine du débiteur est considérable, plus la condamnation à des dommages-intérêts punitifs doit être élevée pour que les objectifs généraux qu’ils poursuivent soient atteints et pour décourager la récidive. L’inverse est aussi vrai dans le cas d’un débiteur peu fortuné. Bien évidemment, même devant un contrevenant à la fortune colossale, il faudra que la somme octroyée conserve un lien rationnel avec les buts recherchés par l’imposition de dommages-intérêts punitifs dans une affaire donnée.
[202] Le troisième facteur de l’art. 1621, al. 2 C.c.Q., soit l’étendue de la réparation déjà accordée sous d’autres chefs, constitue un critère d’analyse fréquemment utilisé (St-Ferdinand; Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268; Lambert c. Macara, [2004] R.J.Q. 2637 (C.A.)). Selon ce critère, le tribunal ne doit accorder des dommages-intérêts punitifs que si les dommages-intérêts compensatoires ne suffisent pas pour décourager la récidive, soit parce qu’ils sont trop minimes, soit parce qu’ils n’ont aucun effet sur la situation financière du débiteur. Ce principe ne modifie pas cependant le caractère autonome des dommages-intérêts punitifs. Une indemnisation, même généreuse, par l’octroi de dommages-intérêts compensatoires n’exclut pas nécessairement une condamnation à des dommages-intérêts punitifs.
[203] Finalement, le quatrième facteur énuméré à l’art. 1621, al. 2 C.c.Q. vise à ajuster les dommages-intérêts punitifs en fonction du montant total que le débiteur sera appelé à débourser personnellement. Cette évaluation permet de s’assurer que le montant accordé aura réellement l’effet escompté sur le contrevenant. Le montant peut parfois devoir être modulé dans le cas où il existe un tiers payeur, puisque l’objectif de prévention de la récidive se réalise alors par personne interposée. Il faut alors punir l’auteur effectif du paiement de façon à l’inciter à encourager le fautif à se réformer. Intimement relié à cette considération, ce facteur vise également à évaluer l’utilité réelle du deuxième facteur de l’art. 1621, al. 2 C.c.Q., soit la situation patrimoniale du débiteur. Ainsi, dans le cas où le débiteur de l’obligation ne versera pas lui-même le montant auquel il est condamné à titre de dommages-intérêts punitifs, l’évaluation de son patrimoine devient non pertinente pour la détermination de la somme en question.
[…]
[210] Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but (Whiten, par. 71). […] [58]
[184] D’autres facteurs peuvent également être pris en considération. Dans le cas d’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit garanti par la Charte des droits et libertés de la personne, par exemple, l’identité et le profil de l’auteur de l’atteinte, selon qu’il s’agit d’une personne physique ou morale, de droit privé ou de droit public, peuvent avoir une influence sur le montant des dommages-intérêts punitifs :
[204] Bien que l’art. 1621, al. 2 C.c.Q. énumère des facteurs variés comme pertinents dans la détermination du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, il est clair que le législateur a voulu, en faisant précéder cette énumération par l’expression « toutes les circonstances appropriées » et par l’adverbe « notamment », que d’autres facteurs innommés puissent également être considérés. Nous croyons utile d’en mentionner quelques-uns qui, à notre avis, peuvent aider le tribunal de première instance dans sa tâche. Certains ont déjà été mentionnés dans la jurisprudence québécoise, alors que d’autres, bien qu’ils aient été tirés de la common law, s’appliquent aussi bien dans le cadre du droit québécois en la matière.
[205] Premièrement, dans le cas d’atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte québécoise, les tribunaux ont retenu l’identité et le profil d’une personne morale de droit privé comme critère supplémentaire. L’attitude des tribunaux dans la quantification des dommages-intérêts peut aussi changer selon que l’auteur de l’atteinte est une personne physique, une personne morale ou une personne morale de droit public. « On comprend aisément que les tribunaux s’offusquent de la conduite antisociale d’une personne morale de droit privé ou de droit public avide de profits ou d’avantages politiques ou stratégiques » (Dallaire, p. 131-133).[59]
[185] Qu’en est-il maintenant de la solidarité? Les défendeurs peuvent-ils être solidairement tenus au paiement de dommages-intérêts punitifs dans la présente cause, le cas échéant?
[186] Les articles 1480 et 1526 C.c.Q. précisent les circonstances dans lesquelles deux personnes ou plus peuvent être solidairement tenues de réparer le préjudice qui a été causé par leur faute, qu’elle soit collective ou individuelle :
Art. 1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu'elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.
Art. 1526. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle.
[187] L’article 1525 C.c.Q. précise, quant à lui, que la solidarité ne se présume pas et qu’elle doit être explicitement prévue par les parties ou par la loi :
Art. 1525. La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n'existe que lorsqu'elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi.
Elle est, au contraire, présumée entre les débiteurs d'une obligation contractée pour le service ou l'exploitation d'une entreprise.
Constitue l'exploitation d'une entreprise l'exercice, par une ou plusieurs personnes, d'une activité économique organisée, qu'elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services.
[188] Il est désormais établi que la solidarité ne s’applique pas à l’égard des dommages-intérêts punitifs.
[189] Contrairement aux dommages-intérêts compensatoires, dont la finalité est la réparation du préjudice causé par une conduite fautive, les dommages-intérêts punitifs visent plutôt à punir la conduite fautive et à prévenir une récidive par la dissuasion. Ainsi, la présomption édictée par l’article 1526 C.c.Q. est inapplicable dans le cas des dommages-intérêts punitifs, même dans le cas où ils sont alloués à la suite d’une faute extracontractuelle.
[190] La Cour d’appel a mis un terme à la controverse jurisprudentielle qui a existé sur cette question pendant quelques années.[60]
[191] Dans l’arrêt France Animation, s.a. c. Robinson,[61] elle a conclu qu’il n’était pas approprié d’appliquer la solidarité aux dommages punitifs. Cette opinion a été confirmée depuis par la Cour suprême dans Cinar Corporation c. Robinson [62] :
[120] À mon avis, la Charte ne permet pas d’attribuer des dommages-intérêts punitifs sur une base solidaire. J’arrive à cette conclusion pour deux raisons.
[121] Premièrement, la solidarité des dommages-intérêts punitifs ne repose sur aucun fondement législatif, que ce soit dans le Code civil ou dans la Charte. En droit civil québécois, la solidarité des obligations entre les débiteurs est l’exception, et non la règle : D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2e éd., 2012), p. 1524. L’article 1525 du CcQ précise que « la solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n’existe que lorsqu’elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi ». «Pour réclamer le bénéfice de la solidarité, en l’absence de stipulation contractuelle, il faut donc pouvoir invoquer un texte législatif qui l’accorde clairement » : J.-L. Beaudoin et P.-G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.-G. Jobin et N. Vézina, p. 710.
[122] La jurisprudence de la Cour d’appel du Québec est divisée sur la question de savoir si la solidarité des dommages-intérêts punitifs attribués en vertu de la Charte s’appuie sur un fondement législatif. Dans Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743, le juge Dalphond a conclu, au nom de la Cour d’appel, que l’art. 1526 CcQ fournit un fondement législatif à la solidarité puisque, selon son raisonnement, les coauteurs d’une atteinte intentionnelle à des droits garantis par la Charte se trouvent essentiellement dans la même situation que les coauteurs d’une faute extracontractuelle qui seraient tenus responsables solidairement en application de l’art. 1526 CcQ.
[123] Cependant, dans Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832, [2008] R.J.Q. 2127, le juge Pelletier a conclu, au nom de la Cour d’appel, que l’art. 1526 CcQ ne peut servir de fondement à l’attribution en vertu de la Charte de dommages-intérêts punitifs sur une base solidaire. La Cour d’appel a souligné que la disposition s’applique à « l’obligation de réparer le préjudice » (je souligne). Cette formulation donne à penser que la solidarité entre les coauteurs d’une faute s’applique uniquement aux dommages-intérêts compensatoires, qui visent à réparer le préjudice. Or, les dommages-intérêts punitifs, eux, ont pour objectifs non pas la réparation du préjudice, mais la prévention, la dissuasion et la dénonciation.
[124] Je préfère le raisonnement et le résultat dans Solomon. Le libellé de l’art. 1526 CcQ, qui souligne son application à l’obligation de réparer le préjudice, ne s’étend pas aux dommages-intérêts punitifs prévus par la Charte. En outre, depuis que les arrêts Solomon et Genex ont été rendus, la Cour a reconnu l’autonomie du régime de dommages-intérêts punitifs de la Charte par rapport au régime de responsabilité civile extracontractuelle établi dans le CcQ : de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64, par. 44, le juge LeBel. À mon avis, l’art. 1526 CcQ s’applique à la faute extracontractuelle qui entraîne un préjudice et ne peut servir de fondement à la solidarité des dommages-intérêts punitifs attribués en vertu de la Charte.
[125] La deuxième raison pour laquelle je suis arrivée à la conclusion que les dommages-intérêts punitifs ne peuvent être attribués sur une base solidaire est que cela serait incompatible avec les principes énoncés à l’art. 1621 CcQ, selon lequel :
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[126] L’article 1621 du CcQ impose expressément la prise en compte des objectifs des dommages-intérêts punitifs — la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation des actes qui sont particulièrement répréhensibles dans l’opinion de la justice : Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, par. 155, les juges LeBel et Cromwell. Parmi les facteurs à prendre en compte au moment d’établir le montant des dommages-intérêts punitifs, mentionnons (1) la gravité de la faute du débiteur, (2) sa situation patrimoniale ou (3) l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que (4) le cas échéant, le fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers » (p. ex. un assureur) : ibid., par. 199.
[127] Les objectifs des dommages-intérêts punitifs et les facteurs pertinents pour les apprécier donnent à penser que ces dommages-intérêts doivent être adaptés à chaque défendeur condamné à les payer, ce qui milite contre leur attribution sur une base solidaire.
[128] Comme l’indique clairement l’art. 1621 du CcQ, les dommages-intérêts punitifs «ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive». On détermine si le montant des dommages-intérêts est suffisant pour assurer la prévention en tenant compte de facteurs qui, de par leur nature même, sont propres à chaque défendeur condamné à verser des dommages-intérêts punitifs : V. Karim, Les obligations (3e éd., 2009), vol. 2, p. 801-802. La gravité du comportement des codéfendeurs peut varier d’un défendeur à l’autre (ibid.). De même, la situation patrimoniale des codéfendeurs, l’étendue de la réparation à laquelle ils sont déjà tenus et la prise en charge des paiements par un tiers sont tous des facteurs qui sont propres à chaque défendeur.[63]
L’ANALYSE ET LA DISCUSSION
[192] La preuve démontre que les défendeurs ont eu une conduite fautive à l’égard du demandeur et qu’il a souffert un préjudice grave par leur faute.
[193] Ils ont porté atteinte à sa dignité et à sa réputation de manière délibérée en tenant à son sujet des propos qui étaient faux et diffamatoires. Le demandeur a droit à une indemnité compensatoire pour les dommages moraux qu’il a subis par leur faute et, vu l’atteinte illégitime et intentionnelle à ses droits, ils doivent être condamnés à payer des dommages-intérêts punitifs.
La véracité des déclarations du demandeur
[194] Les faits qui ont été mis en lumière par Lepage dans le cadre de l’entrevue donnée à l’émission Enquête étaient vrais et avaient déjà été rapportés publiquement par d’autres personnes que lui auparavant.
[195] Lepage a affirmé qu’il avait été victime de menaces et d’intimidation de la part de la FTQ-Construction et de Gauthier, quand il était directeur de projet pour Aecon sur le chantier de Toulnustouc.
[196] Les défendeurs connaissaient les faits et savaient que les propos de Lepage étaient vrais. Ils ont néanmoins fait le choix délibéré et concerté d’en nier la véracité et de qualifier les déclarations de Lepage de mensongères.
[197] Sur ce point, il est intéressant de noter qu’en mars 2013, la CRT a fait droit à une plainte logée par un travailleur qui affirmait avoir été victime de discrimination syndicale et d’intimidation de la part de la FTQ-Construction.[64]
[198] Or, pour juger du bien-fondé de cette plainte et déterminer si la FTQ-Construction avait mis en place un système de placement syndical illégal avec l’aide de Gauthier, la CRT a examiné la manière dont se sont déroulés les travaux sur quatre chantiers différents entre 2003 et 2010, dont celui de Toulnustouc.
[199] Une lecture attentive de cette décision révèle que la preuve prépondérante retenue par la CRT est, à plusieurs égards, semblable à celle qui a été administrée devant le Tribunal dans la présente cause. C’est le cas, du moins, en ce qui concerne le climat de travail qui régnait sur le chantier d’Aecon à Toulnustouc et les origines du conflit entre Lepage et les défendeurs.
[200] Comme dans la présente cause, Lepage a témoigné que les représentants de la FTQ-Construction avaient usé de menaces et d’intimidation dans le but d’exercer un contrôle sur l’embauche de la main-d’œuvre au chantier. Comme dans la présente cause, Gauthier a nié l’existence de menaces et d’intimidation et a attribué le mauvais climat de travail sur le chantier à des mésententes avec Lepage concernant l’interprétation de la convention collective et à l’existence de problèmes de sécurité.
[201] La CRT a conclu que la FTQ-Construction avait invoqué des problèmes de sécurité comme prétexte pour justifier des moyens de pression exercés dans le but de contrôler l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier.
[202] Les mêmes conclusions s’imposent dans la présente affaire.
[203] Elle a observé que la FTQ-Construction avait fait usage de menaces et d’intimidation dans le but de mettre sur pied un système de placement syndical illégal. Ces pratiques auraient débuté à Toulnustouc et se seraient répétées sur d’autres chantiers par la suite :
[608] La FTQ-Construction a dressé un portrait du contexte économique prévalant sur la Côte-Nord lors de l’entrée en fonction de Gauthier et Bezeau. Elle a aussi fait un historique des changements que ces derniers ont mis en place pour améliorer le sort de l’ensemble de leurs membres mais aussi, selon ses prétentions, de l’ensemble des salariés de la construction de la région. Elle s’est appliquée à présenter sa version des conflits qui ont sévi sur les divers chantiers évoqués par la preuve.
[609] Pour le reste, la FTQ-Construction s’est contentée d’attaquer la crédibilité des témoins du plaignant.
[610] Dans le cas du chantier de la Toulnustouc ou de la Romaine, c’est la sécurité des travailleurs et la priorité d’embauche régionale qui ont été invoquées comme sources des conflits. Dans d’autres cas, ce sont des situations de non-respect des clauses de la convention collective qui auraient été la cause des ralentissements de travail ou du retrait des travailleurs sans préavis. Ce ne sont donc pas des problématiques de concurrence syndicale qui ont justifiées les moyens de pression exercés par la FTQ-Construction sur ce chantier.
[611] Le plaignant prétend que Nordiques, comme plusieurs autres employeurs de la Côte-Nord, n’est pas libre d’embaucher les salariés de son choix parce qu’il existe un système mis en place par la FTQ-Construction qui force les employeurs à embaucher exclusivement des salariés référés par ce syndicat. Sur tous les chantiers ayant fait l’objet de la preuve, la FTQ-Construction a usé d’intimidation et de menaces pour assurer le placement prioritaire de ses membres. Les coûts associés aux moyens de pression exercés par le syndicat sont tels que les employeurs sont forcés à la complaisance et achètent la paix en cédant l’embauche et les mises à pied de leur entreprise au syndicat. Nordiques fait partie de ce groupe d’employeur.
[612] La FTQ-Construction nie généralement les allégations du plaignant et prétend qu’elle ne peut pas être poursuivie pour les actes de ses locaux affiliés ou de leurs agents d’affaires. De plus, elle prétend que la preuve par « actes similaires » ou par ouï-dire n’est pas permise en droit civil.
[613] Elle soutient que le plaignant n’a pas réussi à établir que les agents d’affaires de la FTQ-Construction avaient mis en place un système obligeant les employeurs de la Côte-Nord à n’embaucher que des travailleurs membres de la FTQ-Construction et que sa mise à pied par Nordiques, le 9 septembre 2009, résultait de la mise en œuvre de ce système.
[…]
[639] Concernant le chantier de la Toulnustouc, la Commission s’en remet au compte-rendu (P-22) de la réunion convoquée par Hydro-Québec au mois de juillet 2003 et constate que les questions de sécurité ne sont pas évoquées lors de cette réunion. Cette rencontre concerne uniquement les menaces, les intimidations et les moyens de pression exercés par la FTQ-Construction. Cette situation est qualifiée de problématique importante par Hydro-Québec et par les entrepreneurs œuvrant sur le chantier. Le compte rendu de la réunion parle par lui-même et il n’est pas contesté.
[640] Quant aux incidents du mois de juin 2004 (tentatives d’expulsion du travailleur Babin et de Lepage), le témoignage de Lepage est corroboré par celui de Lavoie, de Ouellet et de Mignault. La FTQ-Construction ne nie pas les incidents, mais les met sur le compte d’une problématique de sécurité qui n’a pas été démontrée. La mésentente entre Lepage et Hydro-Québec sur l’application des règles de sécurité « RDT » est survenue après la livraison du chantier, a été réglée par un avenant au contrat et n’a donné lieu à aucune manifestation ou moyen de pression de la part des travailleurs.
[…]
[655] Il ressort de la preuve qu’à Toulnustouc, en 2003, la FTQ-Construction n’a pas réussi à convaincre Hydro-Québec et les entrepreneurs que sa représentativité justifiait qu’elle contrôle la totalité de l’embauche sur ce chantier. Gauthier et son supérieur, Bernard Girard, ont invoqué l’illégalité de la mobilité provinciale pour se plaindre de la présence de salariés de l’extérieur de la région et justifier leurs moyens de pression. Or, il n’y a rien de plus faux.
[…]
[664] Le syndicat n’a pas fait la preuve que la sécurité, l’embauche «régionale» ou le «respect» des travailleurs avaient été les causes véritables des conflits et des moyens de pression sur les chantiers évoqués par la preuve. La Commission croit plutôt que le syndicat soulève ces moyens parce que s’ils étaient établis, ils lui permettraient de se soustraire aux articles 101 et suivants de la Loi R-20 puisque l’exercice d’une liberté syndicale ou la discrimination syndicale ne serait pas en cause.
[665] Considérant la preuve accablante établissant 1) des pratiques de discrimination et d’intimidation sur les chantiers discutés en l’instance, 2) la dénégation générale du syndicat et les prétextes invoqués pour justifier les moyens de pression exercés sur ces chantiers, la Commission retient que l’enjeu véritable pour la FTQ-Construction, à l’automne 2009, n’était plus l’embauche régionale mais la priorité d’embauche pour ses membres.[65]
[204] La FTQ-Construction a demandé la révision judiciaire de cette décision de la CRT au motif que le juge administratif (K. Legault) avait commis une erreur déterminante.
[205] Elle a plaidé, comme elle l’avait fait devant la CRT et comme elle l’a fait devant le Tribunal dans la présente affaire, qu’elle ne pouvait pas être tenue responsable des actes de ses locaux affiliés ou de leurs représentants parce qu’il s’agissait de personnes morales distinctes.
[206] Cette demande de révision judiciaire a été entendue par le juge André Prévost en janvier 2014 et elle a été rejetée en mars 2014.
[207] Dans son jugement[66], le juge Prévost a noté en premier lieu que la FTQ-Construction ne remettait pas en question les constats et conclusions de la CRT se rapportant aux gestes d’intimidation et de discrimination posés par les agents d’affaires Gauthier et Bezeau.
[208] Il a ensuite analysé la structure organisationnelle de la FTQ-Construction et en est venu à la conclusion que, même s’ils étaient dotés d’une personnalité juridique distincte de celle de la FTQ-Construction, les syndicats locaux ou affiliés étaient, en définitive, les véritables membres de la FTQ-Construction et que leurs représentants siégeaient au bureau de direction de la FTQ-Construction :
[35] Les membres de la FTQ-Construction, appelés affiliés, se composent des syndicats locaux et des syndicats affiliés. Chaque affilié a droit à un certain nombre de délégués établi en fonction du nombre de ses membres. Chaque délégué possède un droit de vote et participe au congrès qui constitue « l’autorité suprême ».
[36] L’exécutif de la FTQ-Construction est composé du président, de quatre vice-présidents, d’un secrétaire trésorier et d’un secrétaire dont le mandat est de trois ans. Ils sont élus au cours du congrès. L’éligibilité à ces fonctions est ainsi décrite :
Tout membre de l’exécutif doit être un permanent élu à titre de directeur ou directeur général d’un affilié de la Fédération et payé par cet affilié.
[37] L’exécutif assure l’exécution des décisions et des instructions du congrès et de l’assemblée des directeurs et des représentants.
[38] C’est en effet l’assemblée des directeurs et des représentants qui « dispose du pouvoir décisionnel entre les congrès pour voir à l’administration de la Fédération et à la réalisation des buts des présents statuts et règlements ». Cette assemblée se compose de directeurs et représentants des affiliés. Le vote est au prorata des membres que chacun représente au sein de la Fédération.
[39] En somme, les syndicats locaux et les syndicats affiliés, bien qu’ils puissent être dotés d’une personnalité juridique qui leur est propre, constituent la base de la FTQ-Construction en tant que membres. Leurs directeurs et représentants siègent à l’assemblée des directeurs qui constitue l’organe décisionnel entre les congrès. Ce sont ces mêmes personnes qui sont aussi éligibles aux différents postes de l’exécutif.
[209] Il a examiné la preuve retenue par la CRT et a observé que des membres du bureau de direction de la FTQ-Construction avaient non seulement eu connaissance des menaces et des gestes d’intimidation posés par Gauthier, mais avaient participé et encouragé la mise sur pied d’un système de placement syndical illégal qui reposait sur des pratiques déloyales :
[40] La Décision analyse les faits se rapportant à la responsabilité de la FTQ-Construction aux paragraphes 294 à 610.
[…]
[42] Elle expose ensuite la preuve longue et détaillée se rapportant au système de placement syndical promu, notamment, par Bernard Gauthier et Michel Bezeau qui ont recours à l’intimidation et à la discrimination pour faire embaucher les travailleurs ayant choisi la FTQ-Construction comme association représentative plutôt que ceux qui en ont choisi une autre, en particulier la CSN-Construction. Cela n’est pas ici contesté.
[43] La preuve rapportée à la Décision démontre aussi que ce système et les moyens mis en œuvre pour le promouvoir étaient connus non seulement des syndicats locaux mais aussi de certains directeurs ou officiers de la FTQ-Construction.
[44] C’était le cas, notamment, de Bernard Girard, vice-président exécutif de la FTQ-Construction et aussi directeur général du Local 791, de Reynald Grondin, directeur du Local AMI et directeur de la FTQ-Construction et de Daniel Blais, conseiller du président de la FTQ-Construction.
[45] Dans le cas de Bernard Girard, la preuve démontre qu’il a même participé directement aux manœuvres de Bernard Gauthier.
[46] Bernard Gauthier ne s’en cachait d’ailleurs pas. Il a même donné une entrevue à Radio-Canada le 10 mars 2009 expliquant le système qu’il a mis en place depuis son arrivée au Local 791 en 2003.
[47] De l’ensemble des faits mis en preuve, la CRT conclut qu’au vu et au su de tous, les manœuvres d’intimidation et de discrimination employées par Bernard Gauthier et Michel Bezeau visaient à préserver le statut de syndicat majoritaire de la FTQ-Construction, avec les privilèges que cela comporte. L’enjeu véritable de cette dernière était la priorité d’embauche pour ses membres.
[…]
[49] (…) S’appuyant sur deux décisions rendues par les arbitres Me Bruno Leclerc et Me Léonce-E. Roy, la CRT conclut que l’association représentative peut être poursuivie, tout autant que les agents d’affaires ou les locaux.
[50] Cette jurisprudence précise aussi que l’association représentative peut être tenue responsable des gestes posés par ses membres. Soulignons qu’en l’instance, les agents d’affaires Gauthier et Bezeau sont membres de la FTQ-Construction qui est leur association représentative conformément à la Loi R-20.
[210] En définitive, il a conclu que la CRT pouvait retenir la responsabilité de la FTQ-Construction pour les gestes posés par les représentants de ses syndicats affiliés, et que la décision rendue sur cette question faisait partie des issues acceptables en regard des faits et du droit.
[211] En avril 2014, la requête présentée par la FTQ-Construction pour obtenir la permission d’en appeler de ce jugement a été rejetée.[67]
Le caractère diffamatoire des déclarations des défendeurs
[212] La preuve administrée devant le Tribunal révèle que la FTQ-Construction et le Local 791 ont élaboré, par l’entremise de Gauthier, une stratégie concertée dans le but de contrôler l’embauche de la main-d’œuvre sur le chantier de Toulnustouc et qu’ils ont sciemment fait usage de menaces et d’intimidation pour arriver à leurs fins.
[213] Lepage a refusé de collaborer avec eux pour assurer la mise sur pied d’un système de placement syndical qui aurait eu pour effet de favoriser les membres des syndicats affiliés à la FTQ-Construction au détriment des autres associations syndicales représentatives.
[214] Il a dénoncé les agissements de la FTQ-Construction et de Gauthier, à plusieurs reprises pendant les travaux et par la suite. C’est ce qu’il a fait en mars 2010 quand il a fait état de la fermeture du chantier et des menaces envers les travailleurs.
[215] Les déclarations qu’il a faites dans le cadre de cette entrevue étaient vraies et elles étaient d’intérêt public. Les agissements de la FTQ-Construction et du Local 791, de même que la conduite de leurs représentants lorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions sur un chantier de construction pour une société d’État sont d’intérêt public.
[216] Contrairement aux prétentions des défendeurs, ni le ton utilisé par Lepage ni le sens de ses propos ne peuvent être assimilés à de la provocation. Il a été victime de représailles de la part des défendeurs parce qu’il a peint un portrait défavorable de la FTQ-Construction et de Gauthier.
[217] Les déclarations et les insinuations faites par Goyette et par Gauthier au sujet de Lepage, lors des conférences de presse organisées par la FTQ-Construction et le Local 791, étaient clairement mensongères et diffamatoires.
[218] Les propos tenus par Goyette et Gauthier étaient plus que simplement désobligeants à l’égard de Lepage. Ils étaient méprisants et diffamatoires parce qu’ils avaient pour but de mettre en doute son intégrité personnelle et sa compétence professionnelle, de l’exposer au ridicule et au mépris, et de porter atteinte à sa dignité et à sa réputation.
[219] Remettre en question l’honnêteté, le discernement, le jugement et, de manière générale, l’intégrité personnelle et la compétence professionnelle d’une personne sans raison légitime ou sans excuse valable constitue certainement une faute.
[220] Lorsque cette faute est commise dans l’intention de nuire à autrui, il s’agit de diffamation. C’est précisément ce que les défendeurs ont fait dans la présente affaire.
[221] La preuve est claire sur l’intention de nuire des défendeurs et sur leur volonté de porter atteinte de manière illicite et intentionnelle aux droits de Lepage.
[222] Ils ont fait le choix de cibler et de discréditer Lepage en guise de représailles pour ses propos. Ils ont délibérément porté atteinte à sa réputation en affirmant qu’il n’était pas de bonne foi, qu’il ne disait pas la vérité, et qu’il n’était pas une personne honnête et respectable parce qu’il ne souciait pas de la sécurité des travailleurs.
[223] Ils ont même affirmé qu’il était personnellement responsable de la mort d’un travailleur sur un chantier qu’il a dirigé et que c’était un « assassin ».
[224] Ils ne pouvaient ignorer que de tels propos étaient susceptibles d’affecter la réputation de Lepage, et lui faire perdre la confiance et l’estime du public, en général, et des acteurs dans l’industrie de la construction, en particulier.
[225] Le récit des événements qui sont survenus sur le chantier Toulnustouc en 2003 et 2004 démontre, de manière non équivoque, que Lepage a réellement été victime de menaces et d’intimidation de la part de la FTQ-Construction et de Gauthier.
[226] Les pressions exercées pour obtenir le contrôle de l’embauche de la main-d'œuvre sur le chantier ont culminé en juin 2004 lorsque Gauthier s’est présenté aux bureaux d’Hydro-Québec avec une centaine de travailleurs pour sortir Lepage du chantier.
[227] À l’époque, comme aujourd’hui, les défendeurs ont invoqué des problèmes de sécurité pour justifier leurs agissements.
[228] En 2004, Gauthier a invoqué des problèmes de sécurité pour convaincre les travailleurs de sortir Lepage du chantier parce qu’il refusait de collaborer à la mise en place d’un système de placement syndical. En 2010, des problèmes de sécurité ont été invoqués pour justifier des propos diffamatoires à son endroit.
[229] Les défendeurs ont accusé Lepage d’être responsable de la mort d’un travailleur sur le chantier. Goyette a insinué qu’il avait tué quelqu’un et qu’il avait délibérément ignoré les règles de sécurité commettant par le fait même un acte criminel. Gauthier a dit de lui que c’était un assassin. Ces accusations n’étaient pas fondées. Elles étaient malveillantes et répréhensibles.
[230] L’enquête menée par la CSST a révélé que plusieurs causes étaient à l’origine de cet accident de travail. La négligence ou l’insouciance de Lepage ne faisait pas partie de ces causes.[68]
[231] Lepage a témoigné au sujet de l’échafaudage volant. Il a souligné qu’il avait exprimé des réserves en regard de cet équipement, mais qu’il avait accepté qu’il soit utilisé à la condition que l’installation soit toujours faite par les mêmes employés sous la supervision d’un surintendant et d’un chef d’équipe, et que cette installation soit toujours vérifiée et approuvée par l’ingénieur de projet avant son utilisation.
[232] Prétendre comme l’ont fait les défendeurs qu’il était au courant des risques, mais qu’il ne se souciait pas de la sécurité des travailleurs, affirmer qu’il a délibérément placé les travailleurs dans une situation susceptible de compromettre leur sécurité et qu’il était personnellement responsable de l’accident survenu sur le chantier était, dans ce contexte, à la fois faux et diffamatoire.
[233] Gauthier a également mis en doute l’intégrité et l’honnêteté de Lepage lorsqu’il a donné une entrevue à Denis Lévesque sur les ondes de TVA.
[234] Il a laissé entendre que ce n’était pas une personne de bonne réputation et qu’il n’était pas digne de confiance. Il l’a accusé d’avoir fait de fausses déclarations et d’avoir incité d’autres personnes au parjure dans le but de lui nuire. Il a même déclaré qu’il avait gagné une poursuite judiciaire intentée contre Lepage à la suite de fausses déclarations.
[235] La preuve administrée devant le Tribunal ne supporte aucune de ces allégations. Il n’a pas été démontré que Lepage avait fait de fausses déclarations au sujet de Gauthier, ni qu’il avait incité d’autres personnes à se parjurer dans le but de lui nuire.
[236] De plus, contrairement à ce qu’il a affirmé, Gauthier n’a pas eu gain de cause contre Lepage dans une action intentée contre lui à la suite de son arrestation et de sa mise en accusation. Cette action a été réglée à l’amiable entre Gauthier et Aecon sans le concours de Lepage, et uniquement dans le but de mettre fin à des procédures judiciaires.
[237] Finalement, Gauthier a affirmé que les journalistes de l’émission Enquête auraient eu avantage à faire enquête sur Lepage avant de diffuser ses propos, laissant par là sous-entendre que ce dernier aurait commis des gestes répréhensibles. Clairement, il s’agit d’une affirmation faite uniquement dans le but de semer le doute sur la probité de Lepage.
La publicité accordée à la diffamation et sa diffusion
[238] Les médias électroniques et la presse écrite ont fait grand écho aux propos diffamatoires de Goyette et de Gauthier à l’endroit de Lepage, et ceux-ci ont fait l’objet d‘une large diffusion. Cela était d’ailleurs clairement l’objectif visé par les défendeurs.
[239] Les gens du milieu de la construction et la population en général ont pu en prendre connaissance en écoutant les actualités à la radio, en regardant les nouvelles à la télévision, en lisant les journaux et en consultant l’internet.
[240] Les propos diffamatoires ont été répétés par Gauthier à l’automne 2010 dans une entrevue qui a été diffusée sur les ondes de TVA à une heure de grande écoute.
[241] Lors du procès, les défendeurs Goyette et Gauthier ont tous les deux réitéré leurs propos diffamatoires à l’endroit de Lepage. Ils ont déclaré qu’ils ne voyaient rien de répréhensible dans leur conduite et ils ont affirmé que s’ils étaient placés à nouveau dans les mêmes circonstances, ils agiraient de la même façon. Ils ne se sont pas excusés. Ils ont plutôt tenté de se justifier.
Les effets de la diffamation sur le demandeur
[242] La preuve démontre que le demandeur a souffert un grave préjudice moral et professionnel par la faute des défendeurs.
[243] Il a été exposé au mépris et au ridicule. On a mis en doute son honnêteté et son intégrité. On a porté atteinte à sa dignité. On a tenté de détruire sa crédibilité au plan personnel et professionnel. Il a été présenté comme un gestionnaire incompétent et imprudent. On a représenté qu’il avait fait preuve de négligence et qu’il était personnellement responsable de la mort d’un travailleur sur le chantier.
[244] Lepage a témoigné qu’il avait eu de la difficulté à accepter qu’on puisse l’attaquer impunément et porter atteinte à sa dignité et à sa réputation en guise de représailles pour ses commentaires honnêtes.
[245] Pendant plusieurs mois, il a été habité par des sentiments d’injustice et de colère, d’impuissance et de découragement. Il a choisi de s’isoler pour éviter d’avoir à répondre à des questions ou d’avoir à donner des explications aux gens qui le questionnaient sur ce qui s’était réellement passé sur le chantier de Toulnustouc.
[246] Après plusieurs années de travail dans l’industrie de la construction, il a acquis une réputation enviable comme gérant de chantier. Jusqu’en 2010, il se voyait régulièrement offrir des contrats par des donneurs d’ouvrage ou des entrepreneurs en construction avec qui il avait déjà travaillé ou à qui il avait été recommandé.
[247] Son affrontement avec la FTQ-Construction l’a marginalisé et a réduit à néant ses opportunités d’emplois sur les grands chantiers au Québec.
[248] Les grands donneurs d’ouvrage comme Hydro-Québec et les entrepreneurs en construction qui obtiennent des contrats dans le domaine de la construction des barrages ne veulent pas susciter de confrontation inutile avec la FTQ-Construction par crainte des répercussions financières.
[249] Les propos diffamatoires prononcés à son sujet en 2010 ont confirmé qu’il n’était plus un interlocuteur acceptable aux yeux de la FTQ-Construction.
[250] La conduite fautive des défendeurs a contribué à précipiter la fin de sa carrière comme gérant de chantier et ont porté atteinte à la possibilité pour lui de se valoriser en exerçant un métier pour lequel il a acquis des connaissances et développé de l’expérience.
[251] Le fait de prendre sa retraite à 63 ans, quelques années plus tôt que ce qu’il avait anticipé, a eu pour effet de le placer devant un fait accompli et de le priver de revenus anticipés. Cela a eu des répercussions sur son niveau de vie et sur ses projets futurs.
La responsabilité des défendeurs
[252] La preuve administrée devant le Tribunal démontre la conduite fautive des défendeurs, et le préjudice subi par le demandeur. Il existe un lien de causalité entre ces deux éléments.
[253] Goyette et Gauthier ont tenu des propos diffamatoires à l’égard de Lepage et ont commis une faute envers lui.
[254] La preuve démontre l’existence d’une certaine concertation entre les défendeurs, ne serait-ce que par le choix des propos qu’ils ont tenus. Ils ont tous participé à la diffamation et ils ont tous contribué individuellement et collectivement au préjudice souffert par Lepage.
[255] La responsabilité de la FTQ-Construction est engagée dès lors que son directeur général commet une faute dans l’exercice de ses fonctions. Cela est aussi vrai pour le Local 791 et son représentant.
[256] La FTQ-Construction plaide que les syndicats locaux qui lui sont affiliés sont des entités juridiques distinctes qui ont leur propre incorporation, leurs propres statuts et leurs propres officiers, et qu’elle n’est pas responsable de leurs gestes ou des gestes de leurs représentants. Or, Gauthier était à la fois représentant du Local 791 et chargé d’affaires de la FTQ-Construction.
[257] Rien ne démontre, selon elle, qu’elle aurait mandaté Gauthier pour qu’il tienne une conférence de presse avec les membres de l’exécutif du Local 791, et aucune preuve ne permettrait de conclure qu’il y aurait eu complicité entre elle et le Local 791 et Gauthier.
[258] La présence de représentants de la FTQ-Construction et du Local 791, lors des conférences de presse, confirme au contraire que la stratégie de communication et les propos tenus, dans un cas, par Goyette, et dans l’autre cas, par Gauthier, ont été préalablement discutés et approuvés par les personnes en autorité auprès de chacune de ces organisations.
Les dommages-intérêts compensatoires
[259] Le préjudice souffert par Lepage au plan personnel et professionnel à la suite des agissements des défendeurs est indubitable. La somme qu’il réclame pour compenser ses dommages moraux paraît cependant élevée si l’on tient compte de la jurisprudence en semblable matière[69]. Une indemnité de 100 000 $ paraît plus appropriée.
[260] Les propos tenus par les défendeurs avaient un niveau de gravité élevé. Leur diffusion a été très importante. Lepage a vu son intégrité personnelle et sa crédibilité professionnelle remises en question. La diffamation a eu un impact important sur sa vie personnelle, familiale, professionnelle et sociale.
Les dommages-intérêts punitifs
[261] Les organisations syndicales telles que la FTQ-Construction et le Local 791 jouent un rôle de première importance dans notre société. Elles doivent représenter les travailleurs et promouvoir leurs intérêts économiques. Elles doivent s’acquitter de ce mandat dans le respect de la loi et elles ne peuvent agir en toute impunité.
[262] Lorsqu’elles contreviennent à la loi, directement ou par l’entremise de leurs représentants, et qu’elles portent délibérément atteinte à des droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne, comme c’est le cas ici, il faut malheureusement envisager l’octroi de dommages-intérêts punitifs pour punir cette transgression et les dissuader de recommencer. Leurs représentants doivent aussi être dissuadés de récidiver.
[263] Suivant l’article 1621 C.c.Q., le montant octroyé à titre de dommages-intérêts punitifs doit être déterminé en fonction, notamment, de la gravité de la faute, de la situation patrimoniale des défendeurs et de l’étendue de la réparation à laquelle ils sont par ailleurs tenus envers le demandeur.
[264] Le tribunal doit également tenir compte du fait que la prise en charge du paiement des dommages est assumée en totalité ou en partie par un tiers lorsque tel est le cas.
[265] La règle de la solidarité ne s’applique pas.
[266] Dans la présente cause, la faute qui a été commise est intrinsèquement grave.
[267] Les défendeurs ont attaqué l’intégrité personnelle et la crédibilité professionnelle de Lepage sous de faux prétextes. Ils savaient que leurs accusations n’étaient pas fondées. Leurs propos avaient un caractère hautement diffamatoire. Ils n’ignoraient pas les conséquences que ces déclarations pourraient avoir sur la réputation de Lepage.
[268] Ils ont agi avec l’intention de nuire.
[269] L’atteinte à la réputation de Lepage était illicite et intentionnelle. Les défendeurs n’avaient pas de motifs rationnels pour s’en prendre ainsi à lui plus de cinq ans après les événements. Ils ont fait le choix délibéré de l’attaquer. Ils ont invoqué des prétextes pour expliquer leurs gestes. Ils ont répété leurs propos diffamatoires lors du procès et ont persisté à nier leur conduite fautive. Ils n’ont exprimé aucun regret.
[270] La diffamation a eu des effets importants et durables sur la vie de Lepage au plan personnel et professionnel.
[271] La FTQ-Construction et le Local 791 sont responsables, au même titre que les autres défendeurs du préjudice causé à Lepage parce qu’ils ont autorisé, planifié, participé et encouragé la diffamation de Lepage par l’entremise de leurs représentants.
[272] Les médias ont été convoqués en conférences de presse pour assurer un maximum de diffusion aux propos diffamatoires de leurs représentants. Des membres de l’exécutif de chacune des organisations étaient présents lors des conférences.
[273] De possibles poursuites judiciaires ont même été invoquées par le procureur de la FTQ-Construction pour donner plus de sérieux aux accusations formulées contre les personnes ayant participé à l’émission Enquête, dont Lepage.
[274] Goyette n’a pas été impliqué personnellement dans les événements qui se sont produits sur le chantier de Toulnustouc comme les autres défendeurs, mais il a donné son aval à la stratégie de communication qu’ils ont choisie et il s’est lui-même lancé dans une attaque en règle contre Lepage sous de faux prétextes.
[275] Il a utilisé le rapport de la CSST pour donner une apparence de sérieux à des accusations non fondées contre Lepage et a accusé ce dernier d’être criminellement responsable de la mort d’un travailleur. En agissant de la sorte, il a dénaturé les conclusions du rapport et a fait le choix d’induire le public en erreur dans le but de discréditer Lepage. Avocat de formation, il ne pouvait ignorer la nature et les conséquences de son geste.
[276] Devant le Tribunal, il a longuement témoigné sur son engagement syndical et ses préoccupations pour la sécurité des travailleurs. Se servir de la sécurité des travailleurs comme d’un prétexte pour justifier des actes d’intimidation et de discrimination syndicale paraît paradoxalement bien mal avisé.
[277] Gauthier était présent sur le chantier de Toulnustouc. Il a été personnellement impliqué dans les événements qui ont été décrits par Lepage. Il devrait être en mesure de séparer le vrai du faux. Il a une part importante de responsabilité dans le préjudice qui a été souffert par Lepage.
[278] Il n’hésite pas à faire usage de menaces, d’intimidation et même de violence s’il estime que cela est nécessaire pour arriver à ses fins. Il est conforté dans ses convictions et se sent autorisé à agir en marge des lois et des conventions sociales parce qu’il est appuyé par le bureau de direction de la FTQ-Construction et les membres de l’exécutif du Local 791. Son témoignage est plein de demi-vérités. Il fait des abstractions mentales et interprète les faits à sa façon pour servir son propos. Il n’a aucune crédibilité.
[279] La FTQ-Construction et le Local 791 ont admis que leur situation patrimoniale leur permettait d’assumer les coûts et frais de la réclamation du demandeur à titre de dommages-intérêts punitifs dans l’éventualité où le Tribunal y faisait droit. Elles se sont par ailleurs engagées envers leurs représentants à assumer le paiement d’une condamnation qui serait prononcée contre eux, le cas échéant.
[280] Aucune preuve n’a été présentée concernant la situation patrimoniale des défendeurs Goyette et Gauthier puisque leur capacité de payer n’était pas réellement un enjeu.
[281] En l’absence d’une preuve plus exhaustive sur l’actif et le passif de la FTQ-Construction et du Local 791, le Tribunal interprète leurs admissions comme une reconnaissance de leur part qu’une condamnation de 200 000 $ en dommages-intérêts punitifs ne serait ni déraisonnable ni disproportionnée eu égard à leur situation patrimoniale respective.
[282] Les dommages-intérêts punitifs sont accordés très exceptionnellement lorsque les tribunaux ont la conviction qu’ils sont nécessaires pour sanctionner une conduite répréhensible et décourager la récidive.[70] Le montant des dommages-intérêts punitifs ne doit pas excéder ce qui est nécessaire.
[283] Il faut considérer la mesure de la réparation qui est accordée par le présent jugement au demandeur et, corrélativement, l’indemnité que les défendeurs devront lui verser. En l’espèce, les dommages compensatoires ont été fixés à 100 000 $.
[284] Même s’il s’agit, en l’occurrence, d’une somme considérable, elle demeure largement insuffisante pour convaincre les défendeurs de la nécessité de s’amender.
[285] La gravité intrinsèque des fautes commises par chacun des défendeurs, la nature hautement diffamatoire des propos tenus à l’endroit du demandeur, leur très large diffusion médiatique, la répétition des propos diffamatoires à plus d’une reprise, l’atteinte illicite et intentionnelle à la réputation du demandeur et les effets à long terme de cette atteinte sur le demandeur, l’absence d’excuses ou de remords exprimés par les défendeurs, la situation patrimoniale des organisations syndicales impliquées, les avantages recherchés par les gestes fautifs posés sont des facteurs qui militent en faveur de l’octroi de dommages-intérêts punitifs importants.
[286] La FTQ-Construction et le Local 791 seront condamnés à payer respectivement des dommages-intérêts punitifs de 75 000 $ et 50 000 $ au demandeur.
[287] Il s’agit de pénalités importantes justifiées par leur statut corporatif, leur responsabilité dans les événements, la nécessité de sanctionner leur conduite et le besoin de les dissuader de porter atteinte aux droits des individus qui ne partagent pas leurs opinions ou qui critiquent leurs actions.
[288] Goyette et Gauthier seront condamnés à payer respectivement des dommages-intérêts punitifs de 25 000 $ et 50 000 $ au demandeur.
[289] La pénalité imposée à Gauthier est plus importante que celle imposée à Goyette parce que contrairement à ce dernier, il avait une connaissance personnelle des faits et savait que ce que Lepage affirmait était vrai. Il a répété ses propos à plus d’une reprise. La faute qu’il a commise est donc objectivement plus grave et, au surplus, il refuse de reconnaître le caractère répréhensible de ses gestes.
[290] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[291] ACCUEILLE l’action du demandeur;
[292] CONDAMNE solidairement les défendeurs à payer 100 000 $ au demandeur à titre de dommages-intérêts compensatoires avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle depuis l’assignation;
[293] CONDAMNE la FTQ-Construction à payer 75 000 $ au demandeur à titre de dommages-intérêts punitifs avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du présent jugement;
[294] CONDAMNE l’Union des opérateurs de machinerie lourde, Local 791 à payer 50 000 $ au demandeur à titre de dommages-intérêts punitifs avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du présent jugement;
[295] CONDAMNE Richard Goyette à payer 25 000 $ au demandeur à titre de dommages-intérêts punitifs avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du présent jugement;
[296] CONDAMNE Bernard Gauthier à payer 50 000 $ au demandeur à titre de dommages-intérêts punitifs avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du présent jugement;
[297] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ MICHÈLE MONAST, J.C.S. |
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Me Dany Milliard |
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Ménard, Milliard, Caux |
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Procureurs du demandeur |
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Me Robert Laurin |
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Procureur des défendeurs |
[1] Pièce D-9 : Interrogatoire avant défense de Jean-Yves Lepage, 2 juin 2011, p. 49 à 51.
[2] Pièce P-14 : Déclaration solennelle du 2 juillet 2003.
[3] Pièce P-10 : Compte-rendu du Comité des relations de travail du 7 juillet 2003, p. 1-2.
[4] Pièce P-10 : Compte-rendu du Comité des relations de travail du 7 juillet 2003, p. 2-5.
[5] Pièce P-15 : Lettre de Me Robert Toupin à M. Laurent Busque de Hydro-Québec, le 17 septembre 2003.
[6] Pièce P-10 (Complément).
[7] Pièce P-6 : Rapport d’enquête de la CSST, 20 janvier 2006.
[8] Pièce P-6 : Rapport d’enquête de la CSST, 20 janvier 2006.
[9] Id.
[10] Pièce P-12 (extrait) : Steve PARADIS, « Chantier de Toulnustouc : Hydro ferme indéfiniment le chantier d’un entrepreneur », Le Soleil, 11 juin 2004.
[11] Pièce P-12 (extrait) : site web Radio-Canada.ca - Région Bas-Saint-Laurent, Le chantier Toulnustouc paralysé, 12 juin 2004.
[12] Pièce P-12 (extrait) : Steve PARADIS, « Chantier de la rivière Toulnustouc - Au point mort - Le travail n’a pas toujours par repris », Le Soleil, 15 juin 2004.
[13] Pièce P-16 : Lettre de Jean-Yves Lepage, datée du 21 juin 2004, adressée aux ministères de la Justice et du Travail.
[14] Pièce D-8 : Requête introductive d’instance C.Q. no. 650-22-002424-071, 8 juin 2006.
[15] Pièce P-22 : Mémo du substitut du procureur général daté du 10 septembre 2004.
[16] Pièce P-18 : Acte de désignation de personnes pour enquêter en vertu de la Loi sur le ministère du Travail.
[17] Pièce P-9 : Lettre d’Hydro-Québec adressée à M. Jean-Yves Lepage, le 24 novembre 2004.
[18] Pièce P-21 : Dossier C.Q. no. 655-01-011164-042.
[19] Pièce D-8 : Requête introductive d’instance, C.Q. no. 650-22-002424-071, 8 juin 2007.
[20] Pièce P-3 : Extraits de l’émission Enquête diffusée à Radio-Canada le 11 mars 2010.
[21] Pièce P-4 : Extraits de la conférence de presse du 15 mars 2010.
[22] Pièce P-5 : Extraits de la conférence de presse du 16 mars 2010.
[23] RLRQ, c. R-20.
[24] Loi éliminant le placement syndical et visant l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction, L.Q. 2011, c. 30 (sanctionnée le 2 décembre 2011).
[25] Pièce P-5 et P-5A (en liasse).
[26] Pièce P-5-A (extrait) : Jeanne CORRIVEAU, « Menaces de poursuites de la FTQ-Construction - Le syndicat veut mettre fin au «festival des clowns» dans les médias », Le Devoir, 16 mars 2010.
[27] Pièce P-5-A (extrait) : AGENCE QMI., « Le syndicat passe à l’attaque », Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, 16 mars 2010.
[28] Pièce P-5-A (extrait) : André DUCHESNE, « La FTQ-Construction contre-attaque - Détracteurs passés », La Presse, 16 mars 2010.
[29] Pièce P-5-A (extrait) : Nathalie COLLARD, « Les gros bras », La Presse, 16 mars 2010.
[30] Pièce P-5-A (extrait) : André DUCHESNE, « Bernard Gauthier s’explique », La Presse, 17 mars 2010.
[31] Pièce P-5-A (extrait) : André DUCHESNE, « CSST : La FTQ-Construction n’a pas tout dit », La Presse, 16 mars 2010.
[32] Pièce P-7 : Extraits d’une entrevue donnée à l’émission Denis Lévesque, le 5 novembre 2010.
[33] Courriels de Me Robert Laurin en date du 15 janvier 2013.
[34] RLRQ, c. C-12.
[35] [1994] R.J.Q. 1811, p.14.
[36] Prudhomme c. Prudhomme [2002] 4 R.C.S. 663, par. 37.
[37] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, Traité de responsabilité civile, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 200-201.
[38] Jean PINEAU et Monique OUELLETTE-LAUZON, Théorie de la responsabilité civile, Éditions Thémis, 2e éd. p. 62 cité dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc., [1994] R.J.Q. 1811, p.16.
[39] Deschamps c. Ghorayeb, [2006] R.R.A. 20, par. 25 cité dans Lapierre c. Sormany, 2012 QCCS 4190, par. 104.
[40] Beaudoin c. La Presse Ltée, [1998] R.J.Q. 204.
[41] Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 3 RCS 95.
[42] Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 38.
[43] RLRQ, c. C-12.
[44] [1995] 2 R.C.S. 1130.
[45] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.U.)].
[46] [2002] 4 R.C.S. 663.
[47] RLRQ, c. C-12.
[48] [2002] R.J.Q. 1669.
[49] [2011] 1 R.C.S. 214.
[50] Genex Communications inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201.
[51] Gérald R. TREMBLAY, « Combien vaut votre réputation? » dans Développements récents sur les abus de droit, Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, vol. 231, p. 173.
[52] [2013] 3 RCS 1168.
[53] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 558 à 568.
[54] Fabien c. Dimanche-Matin ltée, [1979] C.S. 928.
[55] 9080-5128 Québec inc. c. Morin-Ogilvy, 2012 QCCS 1464.
[56] Québec (Curateur Public) c. Syndicat des employés de l’Hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 cité dans Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201.
[57] [2012] 1 RCS 265.
[58] Richard c. Time inc., [2012] 1 R.C.S. 265.
[59] Richard c. Time inc., [2012] 1 R.C.S. 265.
[60] Voir Solomon c. Québec (Procureur général, [2008] QCCA 1832 et Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque du spectacle et du vidéo, [2009] QCCA 2201.
[61] [2011] QCCA 1361.
[62] [2013] 3 R.C.S. 1168.
[63] Cinar Corporation c. Robinson, [2013] 3 R.C.S. 1168.
[64] Richard et Équipements Nordiques enr., 2013 QCCRT 0161.
[65] Richard et Équipements Nordiques enr., 2013 QCCRT 0161.
[66] FTQ-Construction c. Legault, 2014 QCCS 914.
[67] FTQ-Construction c. Legault, 2014 QCCA 875.
[68] Pièce P-6 : Rapport d’enquête de la CSST, 20 janvier 2006.
[69] Roy c. Desrosiers, AZ-00026113; Jouhannet c. Samuelli, AZ-96011668; Chiasson c. Fillion, 2005 CanLII 10511 (QC CS); Croix Brisée du Québec c. Réseau de Télévision T.V.A., 2004 CanLII 8167 (QC CS).
[70] Richard c. Time inc., [2012] 1 R.C.S. 265; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; Chiasson c. Fillion, 2005 CanLII 10511 (QC CS); Cinar Corporation c. Robinson, [2013] 3 R.C.S. 1168.
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