Décision

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Labelle c. Club Piscine St-Jérôme

2021 QCCQ 5989

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

SAINT-JÉRÔME

« Chambre civile »

N° :

700-32-035101-193

 

 

 

DATE :

31 mai 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHANTALE BEAUDIN, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

KEVIN LABELLE

Demandeur

c.

CLUB PISCINE ST-JÉRÔME

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Rendu oralement séance tenante)[1]

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 8 octobre 2016, le demandeur, M. Kevin Labelle, achète un spa modèle J-345 de la défenderesse, Club Piscine St-Jérôme (« Club Piscine »), qu’il paie 9 932,73 $[2].

[2]           Deux à trois mois après son installation, M. Labelle éprouve de sérieux problèmes avec la qualité de l’eau du spa. Tel que le recommandent le manufacturier et le vendeur[3], M. Labelle se présente en magasin avec un échantillon d’eau pour fins d’analyse. Suite au résultat obtenu, il se procure les produits nécessaires que lui suggère Club Piscine.

[3]           Malgré que M. Labelle affirme avoir suivi toutes les recommandations de Club Piscine, il n’arrive toujours pas à maintenir une eau de qualité, et ce, tant en 2017 qu’en 2018.

[4]           Le 3 juin 2018, Club Piscine change la pompe numéro 2 du spa et note que la chute est rouillée et à remplacer[4]. Cette même pompe est remplacée une seconde fois le 22 octobre 2018[5]. Entre le mois de janvier 2017 et décembre 2017, M. Labelle fera tester l’eau de son spa pas moins de 36 fois[6].

[5]           Aujourd’hui, M. Labelle demande l’annulation de son contrat, le remboursement du prix payé en plus du remboursement du prix des produits achetés, de même que 1 500 $ en dommages. Il réclame la somme totale de 11 910,95 $.

[6]           La demande est contestée par Club Piscine, laquelle invoque que l’eau utilisée par M. Labelle est possiblement en cause et qu’elle n’est pas responsable de la situation. Elle invoque le mauvais usage ou entretien du spa.

[7]           Pour réussir dans sa demande, M. Labelle doit démontrer, par preuve prépondérante, le bien-fondé de ses prétentions. Il s’agit d’une règle de base en matière de preuve énoncée aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).

[8]           Sans atteindre la certitude[7], il faut produire une preuve qui convainc le Tribunal[8]. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante.

[9]           C’est suivant les faits les plus probables que la responsabilité est établie. Une simple démonstration de la possibilité qu’un fait puisse s’être produit, une hypothèse n’est pas suffisante[9].

[10]        Le Tribunal ne soupèse pas les possibilités. Les faits probables sont ceux qui ont un degré de probabilité supérieur à 50 %[10].

[11]        Le Tribunal apprécie également la force probante des témoignages et si la preuve n’est pas suffisamment convaincante ou est contradictoire au point où le juge ne peut déterminer où est la vérité, le sort se décide en fonction de la charge de la preuve[11]. Celui sur qui repose ce fardeau et qui ne s’en acquitte pas voit sa demande rejetée.

[12]        Ainsi, dans le cas où M. Labelle ne réussit pas à se décharger de son fardeau de preuve, sa demande est rejetée et Club Piscine n’a rien à démontrer.

[13]        Par contre, si M. Labelle se décharge de son fardeau de preuve, Club Piscine doit démontrer à son tour, par preuve prépondérante, que le droit allégué par M. Labelle à son encontre n’existe pas.

[14]        En l’instance, Club Piscine peut être qualifiée de « vendeur professionnel » spécialisé dans la vente de piscines et spas.

[15]        Partant de ce fait, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce, tel que le prévoit l’article 1729 C.c.Q.

[16]        De surcroît, puisque le contrat d’achat intervenu entre les parties est un contrat de consommation, la Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c. ») trouve application[12]. Or, celle-ci, à ses articles 37 et 38, énonce des dispositions similaires à l’article 1729 C.c.Q., lesquels se lisent comme suit :

37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

[17]        Le régime particulier de la L.p.c. allège ainsi le fardeau de preuve du consommateur[13].

[18]        Conséquemment, ce que M. Labelle doit prouver se résume ainsi :

[16]       Le recours basé sur la garantie de l’article 37 L.P.C. exige du consommateur la preuve d’un déficit d’usage sérieux et celle de l’ignorance de cette condition au moment de la vente. Pour le reste, les présomptions contenues à la Loi se chargent d’établir les autres facteurs traditionnels propres à la détermination du défaut caché.

[17]       La gravité du déficit d’usage réside dans la diminution importante de l’utilité du bien au point ou le consommateur ne l’aurait pas acheté ou n’aurait pas consenti à donner un si haut prix s’il avait connu l’usage réduit qu’il pouvait obtenir de ce bien.

[18]       Seule la preuve d’une gravité suffisante au point de jouer un rôle déterminant sur la décision du consommateur s’avère nécessaire[14].

[19]        Lorsque ces conditions sont remplies (le déficit d’usage et l’ignorance du consommateur), l’article 272 L.p.c. crée une présomption absolue d’un préjudice qui donne ouverture aux remèdes énumérés à cette disposition, dont l’annulation de la vente et les dommages.

[20]        Par ailleurs, la loi permet certains moyens de défense au commerçant, en l’occurrence Club Piscine.

[21]        Ainsi, Club Piscine peut repousser la présomption de vice qui pèse contre elle en démontrant que M. Labelle a fait un usage inapproprié du bien. En effet, l’article 38 L.p.c. prévoit expressément que la durée d’usage normal d’un bien est tributaire de la condition d’utilisation du bien[15].

[22]        En l’espèce, Club Piscine soutient que le mauvais fonctionnement du spa est attribuable à un mauvais entretien ou une mauvaise utilisation du spa par M. Labelle. Elle affirme que l’eau utilisée par M. Labelle n’est pas adéquate et elle remet en cause le respect des consignes de traitement de l’eau suite à ses visites en magasin.

[23]        Sur ce point, conformément à la règle de la prépondérance de preuve, Club Piscine ne peut pas alléguer une simple possibilité de mauvais usage. Le mauvais usage ne doit pas seulement être une hypothèse, il doit être supporté par la preuve[16]. Des hypothèses ne suffisent pas[17].

[24]        Ainsi, pour renverser cette présomption de responsabilité, Club Piscine ne peut se limiter à prétendre que M. Labelle a fait une mauvaise utilisation ou a fait défaut d’entretenir son spa.

[25]        En effet, Club Piscine doit faire la démonstration, selon la balance des probabilités, que cette mauvaise utilisation ou le défaut d’entretien est la cause du mauvais fonctionnement ou de la détérioration prématurée[18].

[26]        Pour ce faire, Club Piscine peut avoir recours à une preuve indépendante ou à une preuve par expertise. Or, Club Piscine n’a fait entendre aucun expert dans le présent dossier.

[27]        Club Piscine peut avoir recours à la preuve par voie de présomption, cependant, le Tribunal ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes[19]. Il faut plus que de simples soupçons pour prouver une mauvaise utilisation ou un défaut d’entretien, il faut démontrer des éléments de faits graves, précis et concordants pour réussir à convaincre le Tribunal.

[28]        La jurisprudence exige que le consommateur qui constate qu’un bien vendu est affecté d’un vice en informe le vendeur par voie de dénonciation écrite. Ce que M. Labelle a fait en novembre 2018 et février 2019.

[29]        Lorsque le Tribunal applique tous ces principes à la présente instance, il en arrive à la conclusion que M. Labelle a clairement établi le déficit d’usage de son spa. La preuve démontre que des composantes du spa se détériorent. La pompe numéro 2 a été changée à deux reprises, la chute d’eau est rouillée, sans compter le problème de qualité de l’eau.

[30]        La preuve démontre que M. Labelle a fait analyser l’eau du spa à plus de 42 reprises[20]. Il fait analyser également l’eau de son puits et les résultats ne révèlent aucun problème de qualité[21].

[31]        Le Tribunal a entendu le témoignage de M. Labelle et n’a aucune raison de mettre de côté son témoignage lorsqu’il affirme s’être assuré de suivre les instructions qui lui sont données par le représentant de Club Piscine. Non seulement M. Labelle relate avoir suivi les instructions, mais il a fait plus que cela.

[32]        En effet, lorsque le préposé de Club Piscine lui remet le résumé de l’analyse de la qualité de l’eau, il suit la recommandation qui y est inscrite, soit « discute[r] du traitement proposé avec le représentant de votre détaillant, ce dernier pourra répondre à vos questions et vous aider à interpréter les recommandations qui vous ont été présentées », puisqu’il en parle avec M. Gaston Boissy.

[33]        Il explique que M. Boissy lui indiquait ce qu’il avait à faire et c’est ce qu’il faisait une fois rendu chez lui, sauf que le résultat escompté n’était pas au rendez-vous. Selon les recommandations reçues, quelques fois on ajoute un produit, une autre fois on en retire un autre ou en ajoute un deuxième, un troisième, etc. Ce que la preuve démontre c’est que malgré les instructions données par Club Piscine, il y a un problème avec le spa.

[34]        Il est clair que lorsqu’on achète un spa, dans les premiers temps, il est à prévoir qu’il faudra faire vérifier la qualité de l’eau, mais lorsqu’on est rendu à faire des visites de façon aussi fréquente, il est clair qu’il y a un problème aussi avec le spa.

[35]        L’ignorance de cette défectuosité, qui est le deuxième critère que le Tribunal doit traiter, est également évidente. Ce n’est qu’une fois rempli d’eau et après quelques mois d’usage que le demandeur a pu constater la détérioration de certains éléments de son spa.

[36]        Il fait partie des attentes raisonnables du consommateur moyen, lorsqu’il achète un spa neuf, qu’il puisse s’en servir de façon adéquate, et ce, pendant plus de quelques jours ou mois à la fois avant d’être obligé de recommencer la valse des changements d’eau, des ajouts de produits, etc.

[37]        La preuve non contredite révèle des résultats de tests d'eau anormaux, malgré que M. Labelle se présente à plus de 42 reprises et qu’il a suivi les instructions écrites et verbales du représentant de Club Piscine.

[38]        Le Tribunal, à la lumière de l’ensemble de la preuve, ne peut conclure que M. Labelle a fait un mauvais usage ou un mauvais entretien du spa.

[39]        Lorsque Club Piscine vend le spa à M. Labelle, jamais elle n’informe celui-ci que son spa pourrait ne pas fonctionner adéquatement en raison de l’eau de son puits. Jamais on ne lui dit qu’il faudrait qu’il utilise l’eau d’une citerne ou de toutes autres sources d’eau que celle qu’il utilise de façon quotidienne chez lui.

[40]        Lorsque le Tribunal interroge M. Labelle à savoir si l’eau de son puits causait des problèmes avec d’autres appareils, il l’assure que non. D’ailleurs, en septembre 2018 et en septembre 2019, il fait analyser l’eau de son puits et les résultats ne démontrent aucun problème[22].

[41]        La preuve prépondérante convainc le Tribunal que la détérioration du spa est survenue de façon prématurée.

[42]        Club Piscine ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve. Club Piscine prétend que l’eau du puits est à l’origine des problèmes, mais elle ne fait pas analyser l’eau du puits.

[43]        Jamais Club Piscine ne se déplace pour vérifier l’eau du puits. Elle ne change pas l’eau du spa ni n’apporte de l’eau d’une citerne. Club Piscine ne fait absolument rien. Elle n’a pas recours à un expert pour faire la démonstration qu’il y a un mauvais usage ou un mauvais entretien. Il n’y a que des suppositions, elle n’a fait faire aucune analyse chimique. La preuve de Club Piscine ne satisfait pas les critères de la preuve prépondérante.

[44]        Tant le Code civil du Québec que de la Loi sur la protection du consommateur donne ouverture à une diminution du prix ou à la résolution de la vente[23], telle que le demande M. Labelle.

[45]        Le Tribunal a en preuve que le spa n’a pu être utilisé que très peu de fois, qu’il a causé de nombreux soucis à M. Labelle et qu’il ne peut pas servir à l’usage pour lequel il a été acheté. En conséquence, le Tribunal accueille la demande de M. Labelle afin d’annuler la vente du spa et de ses accessoires.

[46]        Le Tribunal doit également se pencher sur la demande de dommages de M. Labelle.

[47]        Les inconvénients mis en preuve lors de l’audience se résument, entre autres, à de très nombreuses visites et suivis avec Club Piscine, l’impossibilité d’utiliser le spa entre les nombreux traitements, les réparations, le fait que le spa a dû être fermé pour l’hiver et qu’il n’a pas pu servir.

[48]        Bien que Club Piscine affirme que M. Labelle a eu l’usage de son spa pendant une période de 4 ans, ce n’est pas exact. Depuis que M. Boissy lui a suggéré, à l’automne 2018, de faire certains tests, le spa a été fermé pour l’hiver et jamais rouvert depuis.

[49]        Le Tribunal considère que M. Labelle a vécu des inconvénients qui doivent être compensés et, utilisant son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal établit ceux-ci à la somme de 1 000,00 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[50]        ACCUEILLE partiellement la réclamation de M. Kevin Labelle;

[51]        ANNULE le contrat de vente du spa J-345 qui est intervenu entre les parties le 8 octobre 2016;

[52]        CONDAMNE la défenderesse, Club Piscine St-Jérôme, à payer au demandeur, M. Kevin Labelle, la somme de 10 410,95 $, laquelle porte intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 27 février 2019;

[53]        CONDAMNE la défenderesse, Club Piscine St-Jérôme, à payer au demandeur, M. Kevin Labelle, la somme de 1 000,00 $ pour tous les troubles et inconvénients;

[54]        PREND ACTE de l’offre du demandeur, M. Kevin Labelle, de remettre le spa J-345 à la défenderesse, Club Piscine St-Jérôme, sur réception de cette somme et des frais;

[55]        PERMET à Club Piscine de reprendre le spa dans les 30 jours du paiement des condamnations, laquelle devra cependant se charger, à ses frais, de toute la logistique afin de récupérer le spa en question et à défaut, M. Labelle pourra disposer du spa comme bon lui semble;

[56]        LE TOUT, AVEC FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

CHANTALE BEAUDIN, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

31 mai 2021

 



[1]     Le jugement a été rendu séance tenante. Les motifs ont été légèrement revus pour en corriger la forme et assurer une meilleure qualité du texte conformément aux dispositions de l’article 334 du Code de procédure civile.

[2]     Pièce P-1.

[3]     Pièce D-1 : « L’eau est sous la responsabilité du client. Venez en magasin avec un échantillon de votre eau, environ 500 ml pour analyse et vous pourrez vous procurer les produits chimiques nécessaires au maintien de celle-ci ».

[4]     Pièce D-3.

[5]     Pièce D-3.

[6]     Pièce P-2.

[7]     Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc., 2006 QCCA 887, par. 57.

[8]     F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, par. 46.

[9]     Parent c. Lapointe, [1952] 1 R.C.S. 376, 1952 CanLII 1 (SCC), p. 380.

[10]    Daunais c. Farrugia, [1985] R.D.J. 223 (C.A.), 1985 CanLII 3001 (QC CA), p. 228.

[11]    Art. 2845 C.c.Q.; Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, p. 62, par. 1.

[12]    Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1 (« L.p.c. »), art. 2.

[13]    Fortier c. Meubles Léon ltée, 2014 QCCA 195, par.97.

[14]    Perazzelli c. Piscine-Spa Stéphane Linteau, 2020 QCCQ 44.

[15]    Art. 1729 in fine C.c.Q. prévoit que la présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.

[16]    Langevin c. Roulottes Chaudière, 2015 QCCQ 13066, par. 44-45; Riopel c. 9060-1980 Québec inc. (Moto Falardeau), 2014 QCCQ 4847, par. 82-83.

[17]    Gauvin c. 9117-3310 Québec inc. (Michel Comtois Autos), 2009 QCCQ 4433, par. 29.

[18]    Demilec inc. c. 2539-2903 Québec inc., 2018 QCCA 1757, par. 47.

[19]    Art. 2849 C.c.Q.

[20]    Pièces P-2 et D-2.

[21]    Pièce P-10.

[22]    Pièce P-10.

[23]    Art. 1726 et 1729 C.c.Q. et 272 L.p.c.

 

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