Gestion immobilière Gescorp inc. c. Rioux |
2018 QCCQ 5695 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Division administrative et d’appel » |
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N° : |
200-80-008437-178 |
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DATE : |
20 juillet 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. |
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gestion immobilière gescorp inc.
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Appelante |
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c.
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Claire rioux
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Intimée-plaignante |
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-et- |
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COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC
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Mise en cause |
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CORPORATION DES propriétaireS IMMOBILIERS DU QUÉBEC (CORPIQ)
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Tiers intervenant |
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JUGEMENT |
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[1] Gestion immobilière Gescorp inc. (Gescorp) appelle d’une décision de la Commission d’accès à l’information du Québec (CAI) du 9 février 2017[1] qui lui ordonne de cesser, comme entreprise de location de logements, de recueillir des renseignements non nécessaires du demandeur/locataire « notamment » son numéro d’assurance sociale, le nom de son employeur, son salaire et les coordonnées de son institution financière.
[2] La CAI recommande ensuite à Gescorp d’adopter une politique sur la collecte de renseignements lors de l’évaluation d’une demande de location « soit la vérification de l’identité des aspirants locataires, de leur comportement et leurs habitudes de paiement ».
[3] La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) intervient pour soutenir Gescorp et contester la décision qui a des impacts sur son propre service d’évaluation des candidatures à la location d’un logement, service qui traite 50 000 demandes par année.
[4] La CAI, sans intervenir sur le fond, défend la décision qui respecte, selon elle, les principes de justice naturelle et qui est bien motivée.
LE CONTEXTE
[5] Mme Claire Rioux est l’instigatrice de l’enquête de la CAI. Elle désire acquérir et prolonger le bail de Mme Isabelle Langlais. Cette dernière lui remet le formulaire de Gescorp qui doit être rempli par un nouveau locataire.
[6] Mme Rioux raye les cases portant sur son emploi, son salaire et son institution financière ainsi que son numéro d’assurance sociale.
[7] Elle affirme détenir « un très bon dossier de crédit ». Elle oblitère le paragraphe qui permet de consulter son dossier de crédit et qui contient une déclaration établissant qu’elle fournit les renseignements de son « plein gré ». Elle ajoute : « j’ai répondu aux questions légales seulement ».
[8] Par téléphone, le lendemain de la réception de la formule incomplète, M. Éric Brideau, de Gescorp, demande à ce que le formulaire soit entièrement rempli. Mme Rioux, après revérification auprès de la CAI et de la Régie du logement, maintient sa position. Gescorp refuse d’autoriser la cession du bail.
[9] Elle porte plainte auprès de la CAI qui tient enquête et recueille les observations de Gescorp avant de rendre la décision soumise à l’appel.
LA DÉCISION EN APPEL
[10] La CAI agit dans le cadre de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[2] (la Loi).
[11] L'article 81 de la Loi donne un pouvoir d’enquête et d’ordonnance :
81. La Commission peut, de sa propre initiative ou sur la plainte d’une personne intéressée, faire enquête ou charger une personne de faire enquête sur toute matière relative à la protection des renseignements personnels ainsi que sur les pratiques d’une personne qui exploite une entreprise et recueille, détient, utilise ou communique à des tiers de tels renseignements.
(Nos soulignements)
[12] La Commissaire, Me Cynthia Chassigneux, établit que l’objet du dossier que Gescorp veut constituer est « l’évaluation d’une demande de location logement »[3] et que les renseignements pouvant être colligés sont ceux nécessaires à cet objet.
[13] La Commissaire réfère ensuite à des décisions antérieures de la CAI pour déterminer les renseignements suffisants et ceux qui sont alors nécessaires[4]. Elle accepte comme « généralement suffisantes »les informations portant :
· Sur l’identité de l’aspirant locataire et ses coordonnées;
· Sur son comportement eu égard au respect des biens et des autres locataires;
· Sur sa capacité financière et ses habitudes de paiement (payer son loyer pour la durée du bail envisagée)[5].
[14] Sur l’aspect « identification », seuls sont nécessaires, selon la Commissaire, les nom, adresse et numéro de téléphone. Le locateur peut demander une pièce d’identité. Il ne peut recueillir les autres informations apparaissant sur cette carte ni en garder une copie[6].
[15] Sur le comportement de l’aspirant locataire, seules les coordonnées du propriétaire ou du concierge des logements occupés dans le passé peuvent être demandées[7].
[16] Sur la capacité de payer, Gescorp aurait pu demander une attestation d’anciens locateurs ou l’extrait pertinent du dossier de crédit. L’enquête plus poussée auprès des tiers ne doit se faire qu’avec le consentement exprès de l’aspirant locataire[8].
[17] Encore une fois, la Commissaire, se basant sur la jurisprudence de la CAI, établit que le numéro d’assurance sociale n’est pas nécessaire puisque le nom, l’adresse et la date de naissance suffisent pour obtenir une enquête de crédit[9].
[18] Elle s’appuie sur l’ouverture de Gescorp à modifier son questionnaire afin de l’assouplir pour conclure que les renseignements demandés « ne sont pas nécessaires »[10].
[27] En l’espèce, l’entreprise n’a pas démontré la nécessité de recueillir les renseignements personnels faisant l’objet de la plainte. En effet, comme mentionné au paragraphe 17 de la présente décision, l’entreprise est prête à insérer une mise en garde indiquant que même si ces renseignements sont demandés, il n’y a aucune obligation de les fournir. Il ne s’agit donc pas de renseignements « nécessaires » au sens de l’article 5 de la Loi sur le privé.
[19] Outre les appuis jurisprudentiels, c'est le seul paragraphe énonçant une motivation en support à l’ordonnance qu’elle s’apprête à rendre.
[20] Sur la plainte de Mme Rioux, la Commissaire[11] affirme, retenant la décision de la CAI dans Julien c. Domaine Laudance[12] :
[31] Une entreprise ne peut donc refuser de louer un logement à une personne du seul fait qu’elle refuse de fournir des renseignements personnels qui ne sont pas nécessaires à l’objet du dossier.
[21] La Commissaire conclut que la mise de côté de la demande de cession de bail reposait sur le refus de Mme Rioux de remplir le questionnaire, de fournir des renseignements personnels non nécessaires et de laisser consulter son dossier de crédit[13].
[22] La Commissaire interprète comme une admission de contravention à l'article 9 de la Loi le fait que Gescorp reconnaisse la liberté de l’aspirant locataire de répondre ou non et de rayer des parties du formulaire. Elle conclut ainsi, malgré que l’entreprise maintienne que les renseignements et les enquêtes sollicités soient nécessaires et qu’en cas de non-disponibilité, le locateur puisse refuser la demande de location ou la cession de bail[14]. Elle déclare qu’il y a un refus illégal de services.
[33] L’enquête révèle également, comme mentionné au paragraphe 6 de la présente décision, que l’entreprise « à défaut d’avoir les renseignements et autorisations nécessaires à la conclusion d’un contrat qu’est le bail » a, dans les faits, refusé d’examiner la candidature de la plaignante.
QUESTIONS EN LITIGE
[23] L’appelante soumet trois questions :
A) La CAI a-t-elle erré dans la détermination de l’objet du dossier constitué par Gescorp ainsi que dans l’interprétation du critère de nécessité des renseignements requis appliqué au cas de Mme Claire Rioux ?
B) La CAI a-t-elle erré en omettant de considérer et de se prononcer sur les observations de Gescorp et en suivant strictement l’opinion institutionnelle de la CAI sans l’appliquer à la situation factuelle particulière, le tout en contravention des règles de justice naturelle ?
C) La CAI a-t-elle erré en concluant que l’appelante a refusé de considérer la candidature de l’intimée pour la cession du bail au motif qu’elle n’avait pas fourni certains renseignements personnels non nécessaires à l’objet du dossier ?
[24] La mise en cause en ajoute une sur l’étendue de l’intervention de la CORPIQ :
D) La CORPIQ devrait-elle être autorisée, lors de l’audition du présent appel, à présenter une preuve nouvelle ?
CADRE D’INTERVENTION DE LA COUR DU QUÉBEC
[25] La décision de la CAI est susceptible d’appel devant la Cour du Québec[15] :
87. Une personne directement intéressée peut interjeter appel d’une ordonnance rendue au terme d’une enquête.
L’appel est assujetti aux règles prévues aux articles 61 à 69.
[26] Cet article réfère aux articles 61 à 69 de la Loi.
[27] Ainsi. l’intervention de la Cour du Québec doit porter sur une question de droit ou de compétence[16] :
61. Une personne directement intéressée peut interjeter appel d’une décision finale de la Commission devant un juge de la Cour du Québec, sur toute question de droit ou de compétence ou, sur permission d’un juge de cette Cour, d’une décision interlocutoire à laquelle la décision finale ne pourra remédier.
[28] Les parties s’entendent pour soutenir que l’examen de la décision devrait se faire sous l’angle de la raisonnabilité telle que définie par l’arrêt Dunsmuir[17], et ce, pour les questions A et C formulées par l’appelante.
[29] Pour l’appelante, l'absence de motivation adéquate au soutien de l’ordonnance de cesser de colliger certains renseignements personnels entraîne une violation d’une règle de justice naturelle et la CAI excède ainsi sa compétence. Cet aspect doit être déterminé sous l’angle de la décision correcte, selon Gescorp, pour la question B.[18]
[30] Le Tribunal est d’avis que la compétence de la CAI d’agir ne peut avoir plusieurs issues possibles. Sa capacité d’ordonner la cessation de la collection de renseignements dépend du texte législatif en vertu duquel elle agit[19].
[31] En principe, l’analyse doit déterminer si la CAI a agi dans les limites de son pouvoir. Si la détermination d’une situation factuelle est préalable, cette partie de la question serait analysée sous l’angle de la raisonnabilité. À notre avis, l’appelante n’a pas repoussé la présomption que la norme d’intervention de la décision raisonnable doit prévaloir sur chacune des questions en litige.
ANALYSE ET DÉCISION
A) La CAI a-t-elle erré dans la détermination de l’objet du dossier constitué par Gescorp ainsi que dans l’interprétation du critère de nécessité des renseignements requis appliqué au cas de Mme Rioux ?
[32] Le Tribunal ne perçoit pas la nuance que l’appelante cherche à établir entre la collecte de renseignements ayant pour objet une « simple demande de location » et celle qui viserait la conclusion et l’exécution d’un bail. La Commissaire ne nie pas que le formulaire de Gescorp puisse servir à évaluer le comportement et la capacité de payer de l’aspirant locataire[20].
[33] Le fait que Mme Rioux cherchait à acquérir les droits d’un locataire existant (art. 1731 C.c.Q.) peut effectivement changer le rapport entre l’entreprise et la requérante. La décision du locateur doit être prise rapidement et elle libère l’ancien locataire.
[34] Le droit de céder le bail appartient au locataire en place et le propriétaire peut refuser d’y acquiescer pour des motifs sérieux. Ceux-ci peuvent ne pas avoir de lien avec la protection des renseignements personnels et le litige, le cas échéant, doit être présenté à la Régie du logement.
[35] La Commissaire ne discute pas de cette question bien que M. Éric Brideau, de Gescorp, l’ait soulevée[21].
LE CRITÈRE DE NÉCESSITÉ
[36] La Commissaire cite des décisions de la CAI sur le même sujet. Une parmi celles-ci définit la nécessité comme étant synonyme d’indispensable[22].
[37] Nous n’avons pas retrouvé une affirmation aussi catégorique dans les décisions de la CAI qui ont suivi.
[38] La preuve qui a donné lieu à ces décisions n’est pas toujours très ferme sur la nécessité d’obtenir le renseignement de la part du locataire. Dans certains cas, le locateur retire purement et simplement sa demande de renseignements au moment de l’audition. Parfois, la CAI semble reconnaître la nécessité d’obtenir l’information en suggérant d’en faire la demande au locataire pour qu’il étoffe son dossier, volontairement, sur la question. D’autres décisions considèrent suffisant un groupe de renseignements faisant en sorte que les autres deviennent non nécessaires[23].
[39] Gescorp reproche à la Commissaire de ne pas avoir procédé à une analyse du cas Rioux en particulier et d’avoir omis de répondre aux informations transmises par M. Brideau sur la nécessité d’obtenir divers renseignements.
[40] La Cour est d'avis que la CAI doit clairement faire la distinction entre, d’une part, un énoncé de principes quant aux pratiques d’un ou des locateurs et d’autre part, de régler la plainte de Mme Rioux et déclarer que la cession du bail a été refusée en raison de son attitude à l’égard du questionnaire de Gescorp.
[41] La nécessité du renseignement doit s’apprécier dans le contexte de l’établissement d’une relation contractuelle viable. Le dialogue entre le propriétaire et l’aspirant locataire doit être considéré aussi dans un espace-temps où la demande de connaître de l’information peut être rencontrée autrement que par le biais du questionnaire initial et avec la collaboration subséquente de l'aspirant locataire qui demande le service et qui fait la promotion de sa candidature.
[42] Évaluer la capacité de payer et le comportement d’un locataire peut se réaliser de multiples façons. L’échange peut amener à modifier la demande initiale de renseignements pourvu que l’objectif raisonnable soit atteint par le locateur. Les décisions de la CAI citées par la Commissaire en font état à de nombreuses reprises.
[43] Le caractère absolu de la conclusion qui ordonne de cesser de colliger les renseignements tels que le nom de l’employeur, le poste occupé et le salaire est incompatible avec le traitement qui s’impose, directement inspiré de l’article 9 de la Loi, d’avoir les renseignements nécessaires à la conclusion et à l’exécution du bail.
[44] Le numéro d’assurance sociale n’est probablement pas un élément utile régulièrement, tous en conviendront, mais si cela devient requis dans une impasse donnée, le locateur devrait pouvoir le requérir comme étant nécessaire. La conclusion de l’enquête ne laisse pas poindre cette souplesse dans le traitement. La décision est pourtant exécutoire au même titre, après homologation, qu’une décision de la Cour supérieure[24].
[45] La tâche que la Commissaire s’est donnée est colossale et le processus suivi et le contenu de sa décision ne permettent pas de conclure à l’atteinte de l’objectif pour Gescorp.
[46] En parallèle, Me Denis Lamy[25] nous renseigne sur la tentative du gouvernement du Québec, en 2001, d’adopter un article additionnel au Code civil du Québec, après l'article 1893, pour venir énoncer les renseignements qu’un propriétaire aurait pu demander au moment d’une demande de location[26].
[47] Me Lamy nous dit qu’après les travaux tenus en commission parlementaire et l’écoute des interventions de plusieurs groupes et organismes intéressés, la ministre décida de retirer son projet de loi, faute de consensus.
[48] Si cet objectif de préciser le caractère nécessaire de certains renseignements dans la situation particulière qui nous intéresse n’a pu être atteint par une démarche en commission parlementaire, il y a fort à parier que l’enquête de la CAI, menée de la façon que la Loi l’envisage, puisse difficilement donner de meilleurs résultats.
[49] À plusieurs reprises, Gescorp offre, dans le cadre de la consultation, de refaire son questionnaire ou de présenter ses demandes comme pouvant être rencontrées autrement par l’aspirant locataire.
[50] La Commissaire saisit cette opportunité dans ses conclusions 38 et 39 :
[38] ORDONNE à l’entreprise de modifier le formulaire « Application pour un nouveau logement » en conséquence;
[39] RECOMMANDE à l’entreprise d’adopter une politique concernant la collecte des seuls renseignements nécessaires à l’évaluation d’une demande de location de logement, soit la vérification de l’identité des aspirants locataires, de leur comportement et de leurs habitudes de paiement et d’y préciser les conséquences d’un refus de fournir certains renseignements, le tout dans le respect des dispositions de la Loi sur le privé;
[51] Cependant, la raisonnabilité de la décision est compromise par une conclusion plus contraignante contenue au paragraphe 37 qui est reprise à titre de référence au paragraphe 38 :
[37] ORDONNE à l’entreprise de cesser de recueillir les renseignements personnels non nécessaires à l’évaluation de la candidature d’un aspirant locataire, notamment le numéro d’assurance sociale, les renseignements relatifs à l’institution financière (nom et coordonnées de l’institution, numéro de compte et de transit), le nom et les coordonnées de l’employeur, le poste occupé et le salaire;
[52] La Cour suprême du Canada a réitéré récemment que l'examen de la décision sous l’angle de la raisonnabilité doit s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel »[27]
[53] L’ordonnance de la CAI est déraisonnable dans son ensemble par le caractère incomplet de la démarche d’enquête à laquelle la CAI s’est adonnée par rapport à sa conclusion qui a pour effet d’entraver la poursuite des fins légitimes de Gescorp de constituer un dossier sur un locataire occupant un de ses logements, avec des données pertinentes et nécessaires pour évaluer sa candidature, et ce, tout en protégeant la vie privée de cette personne.
[54] Par sa décision, la CAI outrepasse son pouvoir prévu à l’article 83 de la Loi qui doit viser la mise en place de mesures correctives qui protègent le renseignement personnel.
83. Au terme d’une enquête relative à la collecte, à la détention, à la communication ou à l’utilisation de renseignements personnels par une personne qui exploite une entreprise, la Commission peut, après lui avoir fourni l’occasion de présenter ses observations, lui recommander ou lui ordonner l’application de toute mesure corrective propre à assurer la protection des renseignements personnels.
[55] Cet article accorde un pouvoir pour mettre en place des pratiques plus respectueuses de la vie privée des aspirants locataires sans perturber irrémédiablement la possibilité des locateurs de logements de recevoir des renseignements (et de les conserver) pour l’établissement d’une relation contractuelle fondée sur la bonne foi des deux partenaires.
[56] En récitant simplement les décisions antérieures de la CAI sans reproduire les nuances qu’elles contiennent, en délaissant le cas Rioux pour énoncer un principe général et en ne répondant pas adéquatement et immédiatement à l’ouverture de Gescorp de modifier certaines de ses pratiques, la CAI omet d’exercer pleinement sa compétence et l’outrepasse par ailleurs par une interdiction de nature générale.
[57] La Cour doit intervenir et lui retourner le dossier pour complément d’enquête et révision de sa décision, le cas échéant.[28]
B) La CAI a-t-elle erré en omettant de considérer et de se prononcer sur les observations de Gescorp et en suivant strictement l’opinion institutionnelle de la CAI sans l’appliquer à la situation factuelle particulière, le tout en contravention des règles de justice naturelle ?
[58] Le Tribunal a déjà donné une réponse partielle et positive à cette question à l’occasion de l’analyse de la première.
[59] Cependant, Gescorp affirme aussi que les conclusions de la CAI ne sont pas suffisamment motivées. Il s’agit d’un angle d’analyse additionnel.
[60] Sur ce sujet, nous réitérons la décision de l’honorable juge Richard P. Daoust, de la Cour du Québec, tant sur la norme d’intervention que sur l’effet d’une motivation inadéquate au soutien de la décision.
[61] Le juge Daoust écrit[29] :
[73] Peut-être que cette obligation envers les clients n’est pas un objectif légitime, important, urgent et réel mais peut-être que oui aussi.
[74] La décision dont appel évacue une partie importante de la preuve documentaire qui lui a été soumise et la réflexion de la Commissaire à cet égard ne fait pas partie du raisonnement intelligible.
[75] On peut lire la décision avec toute la déférence dont elle bénéficie mais il est impossible de comprendre pourquoi la CAI ne considère pas que les obligations post-embauche de Hunt envers ses clients ne la forcent pas à conserver une copie de la CAM des candidats.
[…]
[78] L’ordonnance rendue est lourde de conséquences puisque sur la plainte d’une seule candidate, la CAI ordonne à Hunt de ne plus conserver de copie de CAM et lui ordonne également de détruire les 175 000 copies qu’elle a en sa possession.
[79] Partant, l’absence de motivation sur une portion aussi importante du dossier requiert que la décision soit cassée.
[80] Cependant, fort des enseignements de la Cour d’appel dans Gyulai, même en présence d’une preuve documentaire, il n’appartient pas au tribunal d’appel de rendre la décision qui aurait dû être rendue.
[62] La CAI omet de préciser le concept de renseignements nécessaires à la conclusion et à l’exécution d’un bail. Elle reconnait comme légitime l’obtention de renseignements sur l’identité du locataire, son comportement antérieur lors de l’occupation d’un logement et sa capacité de payer le loyer.
[63] Elle confond ce qui est suffisant avec ce qui pourrait être nécessaire sans être indispensable[30]. Elle énonce des orientations générales tirées de ses décisions antérieures sans les arrimer au cas Gescorp-Rioux.
[64] Au paragraphe 27 de sa décision, la CAI interprète l’ouverture de Gescorp d’établir un dialogue dans sa recherche d’informations comme étant une admission que les renseignements ne sont pas nécessaires. Il y a alors contradiction entre les paragraphes 22 et 27 de sa propre analyse :
[22] En matière de location de logement, la Commission a déjà conclu que les informations suivantes au sujet d’un aspirant locataire sont généralement suffisantes pour l’évaluation d’une demande de location :
· Des renseignements d’identité et de contact (pour vérifier son identité et le rejoindre);
· Des renseignements concernant son comportement eu égard au respect des biens qui lui seront confiés et des autres locataires;
· Des renseignements concernant sa capacité financière ou ses habitudes de paiement (capacité de payer son loyer pour la durée du bail).
(…)
[27] En l’espèce, l’entreprise n’a pas démontré la nécessité de recueillir les renseignements personnels faisant l’objet de la plainte. En effet, comme mentionné au paragraphe 17 de la présente décision, l’entreprise est prête à insérer une mise en garde indiquant que même si ces renseignements sont demandés, il n’y a aucune obligation de les fournir. Il ne s’agit donc pas de renseignements « nécessaires » au sens de l'article 5 de la Loi sur le privé.
(Nos soulignements)
[65] Ce paragraphe 27 est le seul permettant d’expliquer la conclusion de la CAI en relation avec le cas qui lui était soumis. L’exercice est incomplet par rapport à sa complexité, soit de constituer un dossier contenant des renseignements pertinents (art. 35 et 37 du Code civil du Québec (C.c.Q.)) tout en respectant de façon mesurée la vie privée de l’aspirant locataire[31].
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
37. Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire. Elle ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l’objet déclaré du dossier et elle ne peut, sans le consentement de l’intéressé ou l’autorisation de la loi, les communiquer à des tiers ou les utiliser à des fins incompatibles avec celles de sa constitution; elle ne peut non plus, dans la constitution ou l’utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l’intéressé ni à sa réputation.
[66] La Loi a pour objet d’établir des règles particulières par rapport à ces articles du C.c.Q. (art. 1 de la Loi). La notion de pertinence du renseignement recherché est déjà établie. L'article 5 de la Loi ajoute que le renseignement doit être nécessaire à l’objet du dossier de location. Si le locateur se retrouve devant un refus de fournir un renseignement personnel, il peut refuser de louer si « la collecte est nécessaire à la conclusion ou à l’exécution de ce bail » (art. 9 de la Loi).
[67] La CAI n'explique pas comment Mme Rioux s’est acquittée de sa tâche de renseigner sur sa capacité financière et ses habitudes de paiement lorsqu’elle omet de répondre à certaines questions ou en rayant les parties concernant son consentement à enquêter sur elle. Sa simple affirmation sur la qualité de son crédit n’est pas appuyée.
[68] Or, l'article 9 de la Loi autorise Gescorp à colliger les renseignements personnels s’ils sont nécessaires à la conclusion ou à l’exécution du bail.
[69] Dans les circonstances, le refus de Gescorp apparaît fondé sur l’impossibilité d’établir une opinion sur la qualité de la candidature de Mme Rioux comme locataire qui se substitue et libère celui détenu par Gescorp. La CAI ne rend pas une décision raisonnable en retirant toute exigence à Mme Rioux d’établir sa capacité financière à assumer les obligations de payer le loyer.
C) La CAI a-t-elle erré en concluant que l’appelante a refusé de considérer la candidature de l’intimée pour la cession du bail au motif qu’elle n’avait pas fourni certains renseignements personnels non nécessaires à l’objet du dossier ?
[70] Cet aspect du dossier ne fait pas l’objet d’une conclusion spécifique et exécutoire contre Gescorp.
[71] La CAI constate, par contre, une contravention à l’article 9 de la Loi[32] dans ses considérants.
9. Nul ne peut refuser d’acquiescer à une demande de bien ou de service ni à une demande relative à un emploi à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel sauf dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes:
1° la collecte est nécessaire à la conclusion ou à l’exécution du contrat;
2° la collecte est autorisée par la loi;
3° il y a des motifs raisonnables de croire qu’une telle demande n’est pas licite.
En cas de doute, un renseignement personnel est réputé non nécessaire.
[72] La Cour est d’avis qu’en ce faisant, sur la base d’une preuve sommaire soumise par écrit, la CAI excède son pouvoir attribué par les articles 81 et 83. Sa décision ne peut équivaloir à une déclaration de culpabilité pénale tel qu’envisagé à l’article 91 de la Loi.
91. Quiconque recueille, détient, communique à un tiers ou utilise un renseignement personnel sur autrui sans se conformer à une disposition des sections II, III ou IV de la présente loi est passible d’une amende de 1 000 $ à 10 000 $ et, en cas de récidive, d’une amende de 10 000 $ à 20 000 $.
Toutefois, dans le cas d’une contravention à l’article 17, l’amende est de 5 000 $ à 50 000 $ et, en cas de récidive, de 10 000 $ à 100 000 $.
(Notre soulignement)
[73] L’avis d’intention de la CAI, qui a précédé la décision et qui informait Gescorp sur son orientation éventuelle, n’allait pas aussi loin.
[74] L’article 81 de la Loi autorise une enquête sur la protection de renseignements personnels et sur les pratiques de l’entreprise en cette matière. La mesure corrective éventuelle que la CAI peut ordonner ou recommander doit viser, selon l'article 83 de la Loi, la protection de ces renseignements personnels et non le départage des prétentions des parties sur les motifs d’un refus d’autoriser la cession du bail de Mme Isabelle Langlais.
[75] Au surplus, la plainte formulée subséquemment par Mme Rioux comporte un changement d’attitude de sa part lorsqu’elle accepte qu’une enquête de crédit soit menée à son égard, ce qu’elle refusait péremptoirement lors du dépôt de sa demande initiale auprès de Gescorp. La CAI ne traite pas de ce changement d’attitude.
[76] M. Brideau, de Gescorp, n’a pu être sollicité pour énoncer les véritables motifs de son refus d’autoriser la cession du bail et n'a pas été entendu à ce propos par la CAI. Il était invité à intervenir sur le caractère nécessaire des renseignements demandés par le formulaire de location. Le cas de Mme Rioux constituait simplement l’occasion pour la CAI d’étudier la pratique de Gescorp. La déclaration de contravention aux articles 5 et 9 de la Loi contenue au paragraphe 35 de la décision excède la compétence de la CAI dans le cadre des articles 81 et 83 de la Loi.
D) La CORPIQ devrait-elle être autorisée, lors de l’audition du présent appel, à présenter une preuve nouvelle ?
[77] La Cour a entendu sous réserve la preuve que la CORPIQ voulait voir considérer au soutien de son intervention et de l’appel logé par Gescorp.
[78] Le débat sur la recevabilité de cette preuve nouvelle aurait pu entraîner un report de l'audition sur le fond, ce que personne ne souhaitait.
[79] Du consentement des parties, le Tribunal l’a entendue sous réserve de trancher l’objection formulée par la CAI dans son mémoire.
[80] Essentiellement, le témoignage du représentant de la CORPIQ, M. Hans Brouillette, ne révèle rien s’apparentant à une preuve nouvelle. Ce témoignage vient en appui aux arguments de Gescorp en leur donnant une perspective élargie, car la CORPIQ rend le service d’évaluation des candidatures de locataires à plusieurs de ses membres. Il est évident que la CORPIQ a intérêt à ce que la CAI approuve des pratiques qui lui donnent la liberté de manœuvre suffisante pour obtenir de l’information pertinente sur les dossiers qui lui sont soumis, et ce, dans le respect des lois protégeant la vie privée des personnes concernées.
[81] De plus, la Cour du Québec ne pouvant intervenir qu’en cas d’erreur de droit ou de compétence, une preuve additionnelle non soumise en première instance apparaît, à première vue, une information inappropriée au stade de l’appel.
[82] Toutes les informations que M. Brouillette a données lors de son témoignage pouvaient être apportées en preuve par Gescorp si elle en avait jugé l’opportunité dès le départ. Déjà, nous savions que son questionnaire d’évaluation avait été inspiré par celui préparé par la CORPIQ.
[83] La Cour rejette donc le témoignage de M. Brouillette comme ne constituant pas une preuve nouvelle sur le caractère nécessaire des renseignements requis d’un locataire de logement aux fins du présent appel.
FRAIS DE JUSTICE
[84] Gescorp ne peut obtenir de frais de justice de Mme Claire Rioux, car elle n'a pas contesté l'appel.
[85] Le règlement de la Cour du Québec, applicable à l'appel d’une décision de la CAI en vertu de la Loi[33], ne traite pas de l’attribution des frais de justice.
[86] Le Code de procédure civile (C.p.c.), par les articles 339, 340, 388 et 390 applicables à l’appel devant la Cour du Québec, permet l’imposition de ces frais à la partie qui succombe, à moins d’une décision contraire du Tribunal.
[87] La position défendue par la CAI devant la Cour du Québec n’avait que pour fins de défendre la qualité de la décision de Me Chassigneux sans empiéter sur le litige avec Mme Rioux. En première instance, aucune charge monétaire n'a été imposée à Gescorp. L’examen de l’appel a été fait sur dossier. Les parties ont déposé un mémoire écrit de leurs prétentions.
[88] Les motifs retenus par la Cour pour retourner le dossier à la CAI auraient pu être soulevés plus tôt et de façon plus explicite devant la CAI lors du déroulement de son enquête initiale.
[89] Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que chaque partie doit supporter ses frais de justice en appel.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
REJETTE la demande de tenir compte d’une preuve nouvelle amenée par le témoignage de M. Hans Brouillette, représentant de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec;
ACCUEILLE l’appel de Gestion immobilière Gescorp inc.;
INFIRME la décision de la Commission d’accès à l’information du Québec, prononcée le 9 février 2017 par Me Cynthia Chassigneux, dans le dossier portant le numéro 1010767-S;
RETOURNE le dossier pour complément d’enquête et décision à la Commission d’accès à l’information du Québec;
LE TOUT sans frais de justice.
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__________________________________ JACQUES TREMBLAY J.C.Q. |
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Me Pierre Larrivée |
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Joli-Cœur Lacasse Casier : 6 |
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Avocat de l’appelante |
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Madame Claire Rioux |
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[…], Québec (Québec) […] |
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Intimée-Plaignante |
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Me Alexie Lafond-Veilleux Me Sophie Giroux-Blanchet |
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Commission d'accès à l'information du Québec 525, boulevard René-Lévesque Est, bureau 2.36 Québec QC G1R 5S9 |
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Avocates de la mise en cause |
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Me Philippe Morrisset |
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Joli-Cœur Lacasse Casier : 6 |
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Avocat du tiers intervenant |
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Date d’audience : |
3 mai 2018 |
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[1] Gestion immobilière Gescorp inc. c. Claire Rioux, dossier 1010767-S du 9 février 2017, Me Cynthia Chassigneux.
[2] RLRQ, c. P-39.1.
[3] Précité, note 1, paragr. 21 et article 5 de la Loi.
[4] Id., paragr. 22, 24, 25 et 26.
[5] Id., paragr. 22.
[6] Id., paragr. 23.
[7] Id., paragr. 24.
[8] Id., paragr. 25.
[9] Id., paragr. 26.
[10] Id., paragr. 27.
[11] Id., paragr. 31.
[12] Julien c. Domaine Laudance, [2003] C.A.I. 77.
[13] Précité, note 1, paragr. 32 à 34.
[14] Id., paragr. 6 et 33.
[15] Précité, note 2, art. 87.
[16] Id., art. 61.
[17] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
[18] Gyulai c. Montréal (Ville de), 2009 QCCQ 1809; 2009 QCCS 2895; 2011 QCCA 238, paragr. 42.
[19] Forget c. Centre hospitalier universitaire de Québec, 2017 QCCQ 4619, j. Faullem.
[20] Précité, note 1, paragr. 22.
[21] Id., paragr. 6.
[22] Regroupement des comités logements et Association de locataires du Québec et Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, [1995] C.A.I. 370.
[23] Regroupement des comités logements et Association de locataires du Québec et Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, précité, note 21; Julien c. Domaine Laudance, précité, note 11; Perreault c. Blondin, C.A.I., [2006] C.A.I. 162; X. et Y. et Gestion P. Laflèche, CAI 09 18 86, 23 juillet 2013, c, Poitras; X. et Y. et Z., (Propriétaire), CAI 11 07 72, 5 décembre 2013, c. Poitras; X. et. Y, CAI 100 54 75, 16 janvier 2014, c. Poitras; X, propriétaire, CAI 100 55 00, 22 mai 2015, c. Poitras.
[24] Articles 56, 58 et 86 de la Loi.
[25] LAMY, Denis, Le bail résidentiel, la Charte québécoise et les dommages exemplaires, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, pp. 205 à 208.
[26] Projet de loi 26 modifiant la Loi sur la Régie du logement et le Code civil du Québec, 2001, Travaux parlementaires, 36e législature, Commission parlementaire des 20, 21 et 22 novembre 2001.
[27] Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)l, 2018 CSC 31, paragr. 55.
[28] Autorité cité, note 18.
[29] Synergie Hunt International inc. c. Trinque Tessier, 2017 QCCQ 13747.
[30] Précité, note 1, paragr. 22, 26 et 27.
[31] Sur le critère de la nécessité, les décisions de la Cour du Québec suivantes peuvent être consultées : Laval c. X., 2003 CanLII 44085, paragr. 33 et 44; CDPDJ c. Desroches, 2007 QCTDP 28, paragr. 96 et 97; Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, 2010 QCCQ 9397.
[32] Précité, note 2.
[33] Article 68 de la Loi et Règlement de la Cour du Québec, RLRQ, c. C-25.01, r. 9.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.