Décision

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Association des étudiantes et étudiants de Laval inscrits aux études supérieures inc. c. Université Laval

2008 QCCAI 150

 

 

Commission d’accès à l’information du Québec

 

Dossier :             06 03 89

 

Date :                   Le 15 juillet 2008

 

Commissaire :   Me Jean Chartier

 

ASSOCIATION DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS DE LAVAL INSCRITS AUX ÉTUDES SUPÉRIEURES INC.

 

Demanderesse

 

 

c.

 

 

UNIVERSITÉ LAVAL

 

Organisme

 

                                                                       

et

 

                                   

                                                                        SODEXHO QUÉBEC ltée

 

                                                                        Tierce partie

 

 

DÉCISION

 

 

OBJET

 

DEMANDE DE RÉVISION en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[1].

[1]             Le 2 novembre 2005, Pierre-Philippe Lefebvre transmet au nom de la demanderesse une demande d’accès libellée comme suit :

 

« Par la présente lettre, je demande à obtenir une copie du contrat intervenu entre la compagnie Sodexho Québec Ltée et l’Université Laval, conformément à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics. La signature de ce contrat fait suite à la résolution du Comité exécutif (C.E.) de l’Université qui a entériné, le 21 juin 2005, la décision du Comité des services alimentaires (C.S.A.) de retenir la firme Sodexho Québec Ltée pour offrir les services de restauration sur le campus. »

 

[2]             Le 11 novembre 2005, Me Sylvain Dufour, responsable de l’accès aux documents pour l’organisme, répond à la demanderesse et refuse la communication du contrat intervenu avec la compagnie Sodexho Québec ltée en s’appuyant sur l’article 21 de la Loi sur l’accès.

 

[3]             Le 14 décembre 2005, la demanderesse transmet à la Commission d’accès à l’information (la Commission) une demande de révision du refus de l’organisme.

 

[4]             Lors d’une audience tenue le 17 novembre 2006, l’organisme et la tierce partie ont convenu de communiquer à la demanderesse certains extraits des documents réclamés.

 

[5]             Le 18 décembre 2006, les procureurs de l’organisme transmettent à la demanderesse une copie du document d’appels d’offres pour le contrat des services alimentaires avec une copie du contrat intervenu entre la tierce partie et l’organisme (sauf les clauses 1.6 et 1.7 ainsi que les annexes). Une copie de la lettre de transmission a été déposée à l’audience (pièce O-1).

 

[6]             Les parties ont déclaré au soussigné qu’elles s’étaient entendues pour élargir l’objet de la demande d’accès du 2 novembre 2005. Elles ont convenu qu’en plus du contrat intervenu entre la tierce partie et l’organisme, la demande d’accès vise à obtenir certains documents qui faisaient parti de la soumission produite par la tierce partie. Ainsi, les documents qui font l’objet de la présente décision ont été décrits par les parties comme étant :

 

·        La stratégie de mise en marché;

·        Les recettes;

·        Le mode de fonctionnement de l’entreprise pour la vente par distributrice;

·        Les loyers additionnels;

·        Les investissements.

 

 

AUDIENCE DU 3 MARS 2008

 

[7]             Au début de l’audience, le procureur de l’organisme dépose une copie d’un jugement[2] de l’honorable Hubert Walters, J.C.S. (pièce O-3), dans lequel celui-ci maintient une décision d’un de ses collègues de garder confidentielles les informations recherchées par la demanderesse. Dans cette affaire, une corporation formée par les étudiants de l’Université Laval tentait d’obtenir l’annulation du processus d’appel d’offres, l’annulation du contrat accordé à Sodexho et la communication de ce contrat.

 

A)        PREUVE

 

            i)  De l’organisme

 

[8]             Me Sylvain Dufour est responsable de l’accès aux documents pour l’organisme. Rendant témoignage devant la Commission, il explique qu’il avait la responsabilité de donner suite à la demande d’accès du 2 novembre 2005. Pour ce faire, il a pris connaissance du contrat intervenu entre la tierce partie et l’organisme pour la dispense des services alimentaires sur le campus de l’Université Laval.

 

[9]             Il a considéré que le contrat et ses annexes contenaient des renseignements confidentiels provenant de la tierce partie, notamment en ce qui concerne son expertise et son savoir-faire dans le domaine alimentaire. Il a cru que la divulgation des documents visés par la demande d’accès porterait préjudice à la tierce partie.

 

[10]        La communication de certaines informations contenues dans ces documents pouvait procurer un avantage indu à toute personne qui n’avait pas l’expérience de la tierce partie.

 

[11]        Le témoin explique que l’Université Laval craignait qu’en communiquant les documents réclamés, elle devrait faire face à l’avenir à un soumissionnaire qui n’aurait pas les reins assez solides pour soutenir sa soumission. En d’autres mots, la demanderesse pourrait se servir des informations contenues dans les documents de la tierce partie et les utiliser à son profit sans avoir l’expertise pour « livrer la marchandise ».

[12]        Il s’en suivrait alors un avantage indu à celui qui obtiendrait les documents et un préjudice sérieux pour la tierce partie qui a investi son savoir-faire, son temps, son énergie et ses deniers pour concevoir l’offre faite à l’organisme.

 

[13]        Le témoin rappelle également qu’à l’époque de la demande d’accès, un litige opposait un autre groupe d’étudiants (l’Entithé) à l’Université et à la tierce partie (pièce O-3).

 

[14]        Le témoin a également évoqué dans son témoignage le risque d’atteinte aux intérêts économiques de l’Université si les documents étaient rendus publics.

 

[15]        Il répète que dans un processus d’appels d’offres ultérieur, l’organisme pourrait devoir accorder un contrat à un fournisseur qui aurait copié la soumission de la tierce partie et qui ne serait pas capable d’opérer avec succès durant la période prévue au contrat. L’organisme craint de perdre des loyers et des redevances.

 

[16]        Il précise finalement que les clauses du contrat intervenu entre l’organisme et la tierce partie visent les loyers payables, les redevances et les charges relatives à l’aménagement des locaux dont la responsabilité est assumée par le soumissionnaire.

 

[17]        Il dépose à l’audience, sous le sceau de la confidentialité, une copie du contrat intervenu entre l’organisme et la tierce partie. Ce dépôt est rendu possible par l’application de l’article 20 des Règles de preuve et de procédure de la Commission d’accès à l’information[3] qui prévoit :

 

20.   La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi.

 

[18]        Contre interrogé par le procureur de la tierce partie, le responsable de l’accès déclare que l’Université Laval emploie approximativement 3 000 employés et compte plus ou moins 37 000 étudiants.

 

[19]        Les services alimentaires sont actuellement dispensés sur le campus par la tierce partie, par l’entreprise Laliberté & Associés qui détient quelques points de vente ainsi que par certaines associations étudiantes dans des locaux qui leur sont propres. Toutefois, pour le témoin, la concurrence ne s’arrête pas là puisqu’elle se retrouve en périphérie du territoire occupé par l’Université, soit au Centre commercial Place Sainte-Foy, aux Halles de Sainte-Foy et sur la rue Myrand pour n’en nommer que quelques-uns.

 

[20]        Cette compétition très active dans le domaine alimentaire a amené la tierce partie à développer un produit et une offre qui permettent de retenir la clientèle étudiante sur le campus.

 

[21]        Contre interrogé par le procureur de la demanderesse, le témoin déclare qu’il n’a pas participé à la sélection et à l’étude des soumissions. Il n’a pas étudié les autres offres et il n’a parcouru que celle de la tierce partie visée par la demande d’accès.

 

[22]        M. Pierre Boutin est appelé à témoigner. Il est agent de recherche et conseiller au Bureau du vice-recteur des finances et de l’administration. Il est chargé de l’administration des contrats immobiliers et des services alimentaires. Il a procédé à l’élaboration du document d’appel d’offres pour les services alimentaires.

 

[23]        Il explique qu’en 2005, l’Université a voulu rendre l’offre de services alimentaires plus intéressante. L’Université voulait diversifier les services alimentaires et améliorer le rapport qualité/prix des repas.

 

[24]        Notamment, l’Université voulait améliorer le contenu des menus, imposer des exigences nutritionnelles et offrir des « menus santé » basés sur un cycle de trois semaines. Également, l’organisme avait l’intention de solliciter des offres qui couvrent les frais d’exploitation et qui prévoient le versement d’une redevance sur les ventes.

 

[25]        Le témoin poursuit son témoignage à huis clos à l’exclusion de la demanderesse. Sans divulguer le contenu de ce témoignage, précisons qu’il a porté plus particulièrement sur les clauses 1.6 et 1.7 du contrat de services alimentaires intervenu entre l’organisme et la tierce partie.

 

[26]        De même, l’offre soumise à l’organisme par la tierce partie a été déposée devant la Commission et le témoin en a fait la revue rapidement.

 

[27]        Il explique que l’organisme a demandé que les soumissions comportent      30 % de produits santé pour les deux premières années de l’entente et un pourcentage de 50 % pour les trois dernières années.

 

[28]        Contre interrogé par le procureur de la tierce partie, le témoin ajoute que le pourcentage des redevances à être versées à l’organisme était fixé par chaque soumissionnaire et inclus dans la proposition alors que le loyer de base était déterminé dans l’appel d’offres publié par l’organisme.

 

[29]        De même, il était prévu que toutes les améliorations locatives faites par les soumissionnaires demeuraient à l’Université, à la fin du contrat.

 

ii)  De la tierce partie

 

[30]        Mme Hélène Laflamme est directrice de district pour l’Est du Canada, au service de la tierce partie. Elle supervise plus particulièrement les activités au sein des universités francophones. Cumulant vingt ans de services, elle déclare travailler au dossier des services alimentaires depuis 1990.

 

[31]        Elle décrit les mesures prises par la tierce partie afin de protéger l’information corporative à laquelle ont accès ses employés.

 

[32]        Elle explique le contenu et dépose chacun des documents suivants :

 

·        Pièce T-1 : « Entente de non divulgation d’informations confidentielles et clause de non concurrence », qui contient l’engagement de chaque employé de la tierce partie de ne pas divulguer et de ne pas utiliser des informations confidentielles qui lui seraient divulguées dans le cadre de ses fonctions;

·        Pièce T-2 : « Guide de la sécurité de l’information » de la tierce partie, qui comporte une politique de sécurité relative aux informations contenues dans les ressources informatiques de l’entreprise, des consignes pour protéger ces informations, des consignes pour l’utilisation des informations sur un ordinateur portable ou sur un ordinateur à domicile, de même que des consignes relatives à la protection des mots de passe. Une phrase contenue dans ces documents en résume bien la teneur : « Il vous incombe de protéger l’information de Sodexho - quel que soit l’endroit où vous êtes. »;

·        Pièce T-3 : « L’information est notre avantage concurrentiel, protégeons-la. » Il s’agit d’un message du vice-président senior de la tierce partie qui vise à encourager les employés à suivre les politiques relatives à la sécurité des informations;

·        Pièce T-4 : Attestation de conformité par laquelle chacun des employés certifie « avoir lu le guide de conduite en affaires de Sodexho et la politique de la société et être en conformité avec ces documents »;

·        Pièce T-5 : Extrait des politiques internes relatives à la confidentialité et à la propriété de l’information. La première phrase de ce document est la suivante (version anglaise) : « It is the policy of Sodexho that employees must keep confidential Information about the Company and it’s customers, suppliers, and vendors strictly confidential. […] Likewise they should not divulge confidential Information to any individuals outside Sodehxo. ».

 

[33]        Le témoin explique que le document T-1 doit être signé par chaque employé de la tierce partie.

 

[34]        Elle ajoute en outre que les mots de passe des employés leur donnant accès à l’information corporative sont modifiés régulièrement à de courts intervalles, de façon à revérifier l’accès de chacun des employés et limiter l’accès des anciens employés à cette information.

 

[35]        Discutant des documents qui font l’objet du litige, elle affirme que plusieurs mois avant février 2005 (date de l’appel d’offres publié par l’organisme), la tierce partie s’est activée afin de redéfinir ses priorités auprès de sa clientèle. Notamment, elle a effectué des rencontres avec les étudiants, les professeurs ainsi qu’avec le personnel administratif de l’organisme de façon à déterminer les tendances et les préférences qui se dessinent parmi la clientèle. Rappelons qu’à cette date, la tierce partie était déjà le fournisseur alimentaire de l’organisme.

 

[36]        Le témoin explique que l’appel d’offres de l’organisme marque un changement prononcé en faveur d’un virage santé. Elle explique que les exigences sous-jacentes quant à la composition des menus sont les plus sévères et les plus exigeantes au Canada, encore plus que dans les hôpitaux.

 

[37]        Elle déclare que chaque département de la tierce partie (comptabilité, division des achats, aménagement, mise en marché, vente, ressources humaines) a été mis à contribution pour le contenu de la soumission qui a nécessité trois mois de préparation.

 

[38]        La division de l’aménagement a été sollicitée puisque la préparation de la soumission nécessitait des visites des lieux, des prises de mesure, des listes d’achats d’équipement, etc.

 

[39]        La division des achats et de la diététique devait développer le concept santé, des recettes, tenir compte des exigences nutritionnelles de l’organisme et vérifier les approvisionnements des fournisseurs pour ces nouveaux produits.

 

[40]        La division du marketing devait tenir compte des impacts sur les fournisseurs. La division des investissements, de la comptabilité et des opérations, devait s’assurer de la rentabilité de l’opération.

 

[41]        Elle assure que durant sa carrière, elle n’a jamais pu avoir accès aux soumissions des concurrents de la tierce partie. Ces documents sont considérés comme confidentiels par tous les intervenants de la compétition qui en prennent un soin jaloux et qui les déposent personnellement le jour de l’ouverture des soumissions.

 

[42]        Mme Laflamme poursuit son témoignage sous le sceau de la confidentialité. Sans révéler le contenu de son témoignage, elle examine et passe en revue le contenu de la soumission de la tierce partie. Elle décrit en détail le contenu des documents suivants :

 

·        Présentation stratégique de la tierce partie;

·        Redevances offertes par la tierce partie à l’organisme;

·        Institution financière de la tierce partie;

·        Résumé de l’offre financière de la tierce partie;

·        Description de l’offre de services de restauration;

·        Proposition des services de restauration détaillée selon l’emplacement;

·        Variété de l’offre alimentaire et le prix;

·        Présentation de l’entreprise, de son personnel et de ses normes de contrôle;

·        Recettes;

·        Analyse nutritionnelle des recettes, liste des produits dans les machines distributrices et liste des services offerts par l’entreprise.

 

[43]        La représentante de la tierce partie termine son témoignage en affirmant qu’elle est convaincue que la tierce partie a fait une proposition avant-gardiste et craint d’être copiée par ses concurrents si la demande d’accès devait être accueillie puisque la compétition est vive dans le secteur des services alimentaires.

 

[44]        Contre interrogée par le procureur de la demanderesse, elle confirme que les recettes santé élaborées par la tierce partie sont secrètes et que la tierce partie refuse de divulguer les recettes qui accompagnent la soumission de 2005. Elle admet toutefois qu’il est possible que certaines recettes aient été rendues publiques dans le passé.

 

 

 

iii)  De la demanderesse

 

[45]        M. Simon Leclerc a été vice-président de la demanderesse pour laquelle il témoigne à l’audience. Il s’est toujours intéressé à la fourniture des services alimentaires sur le campus de l’Université Laval qu’il a fréquentée au cours des dernières années.

 

[46]        Le procureur de la demanderesse lui exhibe le contrat d’approvisionnement intervenu en juin 1999, entre la société du groupe d’embouteillage Pepsi et l’Université de Montréal (pièce T-2). Il explique qu’en août 2006, il a obtenu une copie de cette entente après en avoir fait la demande auprès de l’Université de Montréal et il exhibe une lettre de réponse du bureau des affaires juridiques de cette dernière (pièce D-1).

 

[47]        Il dépose également devant la Commission un document intitulé « Contrat d’exploitation de services de restauration » intervenu entre l’organisme et l’Administration Sogsabec ltée le 11 mai 1995 (pièce D-3). Il explique qu’il s’agit du contrat de services alimentaires intervenu entre l’organisme et la tierce partie (qui portait autrefois le nom d’Administration Sogsabec ltée). La demanderesse en avait obtenu une copie en faisant la demande au Secrétariat général de l’Université en 2001-2002. Il ne comprend donc pas les objections actuelles de la tierce partie et de l’organisme.

 

B)        REPRÉSENTATIONS

 

            i)  De l’organisme

 

[48]        Le procureur de l’organisme rappelle que la demanderesse a obtenu la presque totalité des documents réclamés. Il réitère que les documents qui n’ont pas été remis à la demanderesse ont déjà fait l’objet d’une analyse par la Cour supérieure dans un jugement où le juge Walters reconnaît que « les documents contiennent des informations sur les procédés commerciaux dont la divulgation à des concurrents pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les opérations commerciales futures de l’entreprise[4] ».

 

[49]        Il s’attarde ensuite à démontrer que les conditions d’application prévues à l’article 21 de la Loi sur l’accès ont été satisfaites par la preuve de l’organisme. Selon lui, l’Université Laval peut refuser de donner communication d’un renseignement dont la divulgation aurait pour effet de révéler une transaction relative à des services alimentaires s’il est prouvé que la divulgation de ces renseignements procurerait un avantage indu à la demanderesse ou causerait un préjudice sérieux à la tierce partie.

 

[50]        Le refus de l’organisme est également possible si la divulgation de ces renseignements est susceptible de porter atteinte aux intérêts économiques de l’organisme.

 

[51]        Selon le procureur, la preuve a démontré que les informations relatives aux loyers, aux redevances et aux investissements faits par la tierce partie étaient stratégiques puisqu’elles sont susceptibles de révéler la marge de profit de la tierce partie, ainsi que son « know how » en matière de services alimentaires. Il rappelle que d’autres fournisseurs et plusieurs associations étudiantes font concurrence à la tierce partie.

 

[52]        S’il fallait que les marges bénéficiaires des uns et des autres soient connues, il n’y a pas de doute que les intérêts économiques de l’organisme seraient affectés.

 

[53]        Il rappelle que l’organisme est dans la même situation que tout autre locateur d’espace commercial qui vise à rentabiliser les locaux qu’il consent à louer. Il soumet plusieurs décisions à l’appui de ses prétentions[5].

 

[54]        Le procureur soutient que sa cliente est également assujettie aux dispositions de l’article 23 de la Loi sur l’accès et qu’elle ne pouvait communiquer les renseignements contenus dans la documentation puisque ceux-ci constituent des renseignements financiers de nature confidentielle fournis par la tierce partie et traités par celle-ci de façon confidentielle.

 

[55]        Il rappelle que les renseignements relatifs aux loyers, aux redevances et aux investissements ont été fournis par la tierce partie et qu’ils constituent des renseignements appartenant à cette dernière.

 

ii)  De la tierce partie

 

[56]        Pour le procureur de la tierce partie, les articles 23 et 24 de la Loi sur l’accès sont des dispositions qui permettent la protection de l’expertise et des connaissances de sa cliente dans le contexte concurrentiel dans lequel cette entreprise de services alimentaires évolue.

 

[57]        Il fait valoir que la preuve a démontré que la tierce partie considère que les informations réclamées sont importantes et qu’elle a pris des mesures pour les protéger (documents T-1 à T-5).

 

[58]        Il rappelle le témoignage du responsable de l’accès de l’organisme qui a constaté que le contrat contenait « des secrets de fabrication » et que son contenu reflétait l’expérience et les investissements de la tierce partie, notamment au regard du « virage santé » que l’organisme avait imposé aux soumissionnaires.

 

[59]        La communication de ces documents donnerait un avantage évident à tous les concurrents et notamment à la demanderesse.

 

[60]        La représentante de la tierce partie a dirigé la préparation et la présentation de la soumission et a déclaré que toutes les divisions de l’entreprise ont été mises à contribution pour échafauder la proposition de cette dernière. Il soumet que la divulgation de telles informations aurait pour effet d’anéantir le processus de soumission.

 

[61]        Enfin, la preuve à huis clos a démontré l’abondance des informations de nature confidentielle qui, si elles devaient être communiquées, auraient un impact négatif sur la tierce partie qui les a développées[6].

 

iii)  De la demanderesse

 

[62]        Le procureur de la demanderesse soumet que le jugement (pièce O-2) de la Cour supérieure n’est pas pertinent à l’issue de la présente demande de révision. Il est faux de croire que la divulgation des clauses relatives aux loyers et au paiement des redevances de la tierce partie démontrerait la marge de profits retirée par cette dernière.

 

[63]        Il admet que si un soumissionnaire ne réussissait pas à livrer les services auxquels il s’est engagé, le contrat pourrait éventuellement être annulé, tel que le suggérait le responsable de l’accès dans son témoignage.

 

[64]        Le procureur de la demanderesse conteste l’application de l’article 21 de la Loi sur l’accès. D’une part, il soumet que la preuve n’a pas démontré une véritable atteinte aux intérêts économiques de l’organisme, conformément au paragraphe 2 de l’article 21 de la Loi sur l’accès. Il ajoute que la preuve n’a pas permis de démontrer l’avantage indu ou le préjudice sérieux qui pourraient vraisemblablement découler d’une telle divulgation.

 

[65]        Selon le procureur, le témoignage du responsable de l’accès de l’organisme ne fait état que de spéculations lorsqu’il affirme que des dommages pourraient être subis par l’organisme.

 

[66]        Il soumet plusieurs décisions de cette Commission qui ont conclu que la preuve devait démontrer que l’incidence envisagée doit avoir toutes les chances de se produire et de se réaliser[7].

 

[67]        Enfin, il soumet que le paragraphe 1 de l’article 21 parle d’un préjudice « sérieux » qui aurait dû être prouvé et qui ne l’a pas été. En conséquence, il rejette l’application de l’article 21 à la présente affaire.

 

[68]        En ce qui concerne l’application de l’article 23 de la Loi sur l’accès, le procureur de la demanderesse précise d’abord que les sections de la soumission qui ont été négociées entre la tierce partie et l’organisme ne peuvent être considérées comme des renseignements fournis par un tiers.

 

[69]        Le procureur soumet également que l’article 23 doit faire l’objet d’une preuve du caractère confidentiel des renseignements, tant pour la partie qui en refuse la divulgation « critère subjectif » que pour tout autre détenteur de cette catégorie d’information « critère objectif ».

 

[70]        Selon le procureur, aucune preuve n’a été faite par la tierce partie pour démontrer que les renseignements refusés sont traités de manière confidentielle par les entreprises qui oeuvrent dans le même secteur d’activités.

 

[71]        L’article 24 ne trouve pas plus application dans la présente affaire puisque la preuve n’a pas démontré un risque vraisemblable de perte de la tierce partie. Il rappelle que même si la demanderesse détient l’ancien contrat intervenu entre l’organisme et la tierce partie « pièce D-3 », aucun dommage n’a résulté de cette communication.

 

 

[72]        En outre, le procureur invoque le paragraphe 3 de l’article 57 de la Loi sur l’accès qui donne un caractère public aux renseignements concernant une personne en sa qualité de partie à un contrat de service conclu avec un organisme public.

 

[73]        Il soumet que certaines décisions de cette Commission ont appliqué cette disposition aux personnes morales autant qu’aux personnes physiques[8].

 

[74]        Enfin, selon lui, les articles 21, 23 et 24 ne s’appliquent pas aux informations nutritionnelles contenues dans les documents recherchés puisqu’il est possible d’obtenir ces informations sur les emballages de tous les produits en vente sur le marché.

 

 

DÉCISION

 

A)        Les documents soumis à l’examen de la présente demande de révision

 

[75]        Pour faire suite à sa demande d’accès, la demanderesse a obtenu de l’organisme et de la tierce partie les documents suivants :

 

·        le document d’appel d’offres no 3717 - Concession lot no 2 (avril 2005) qui s’adressait à tous les soumissionnaires intéressés à la concession des services alimentaires sur le campus de l’Université Laval;

·        le contrat de services alimentaires - concession lot 2, intervenu entre l’organisme et la tierce partie le 23 juin 2005, sauf les clauses 1.6 et 1.7 intitulées « loyer et redevances » et « investissements »;

·        l’annexe 1 du contrat précité;

·        les menus établis par la tierce partie pour chaque endroit où sont situés des comptoirs de restauration;

·        le service de traiteur offert par la tierce partie incluant les menus et les prix;

·        la liste des prix des denrées offertes dans les machines distributrices.

 

[76]        Les parties ont convenu que seules les informations suivantes font l’objet du présent litige :

 

·        les clauses du contrat qui révèlent les redevances versées à l’organisme et le montant des investissements de la tierce partie;

·        les documents qui révèlent la stratégie de mise en marché de la tierce partie;

·        les recettes et autres documents énumérant les mets proposés par la tierce partie et leur composition nutritionnelle;

·        le mode de fonctionnement de la tierce partie pour la vente par distributrices.

 

B)        Le refus de l’organisme en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’accès

 

[77]         L’article 21 de la Loi sur l’accès prévoit :

 

21.  Un organisme public peut refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement dont la divulgation aurait pour effet de révéler un emprunt, un projet d'emprunt, une transaction ou un projet de transaction relatifs à des biens, des services ou des travaux, un projet de tarification, un projet d'imposition d'une taxe ou d'une redevance ou de modification d'une taxe ou d'une redevance, lorsque, vraisemblablement, une telle divulgation :

 

         1° procurerait un avantage indu à une personne ou lui causerait un préjudice sérieux; ou

 

         2° porterait sérieusement atteinte aux intérêts économiques de l'organisme public ou de la collectivité à l'égard de laquelle il est compétent.

 

[78]        En vertu de cette disposition, l’organisme peut refuser de donner communication d’un renseignement dont la divulgation aurait pour effet de révéler une transaction relative à des services (les services alimentaires dispensés sur le campus de l’organisme) lorsque, vraisemblablement une telle divulgation procurerait un avantage indu, causerait un préjudice sérieux ou porterait sérieusement atteinte aux intérêts économiques de l’organisme public.

 

[79]        Le soussigné doit évaluer le refus de l’organisme à la date de la demande d’accès, soit en novembre 2005. Le contrat a été octroyé à la tierce partie le 23 juin 2005, et ce, pour cinq ans, avec la possibilité d’un renouvellement automatique pour une période additionnelle de cinq ans (article 1.5 du contrat).

 

[80]        La preuve de l’organisme repose sur le témoignage du responsable de l’accès.

 

[81]        Il a considéré que la divulgation des informations de la tierce partie procurerait un avantage indu à tout compétiteur de celle-ci et pourrait causer un préjudice à cette dernière, notamment parce que son expertise en matière de production d’aliments deviendrait publique.

 

[82]        Selon lui, cette divulgation pourrait procurer un avantage aux compétiteurs de la tierce partie qui n’ont pas son expérience et sa compétence. De plus, le témoin a mentionné le risque d’atteinte sérieuse aux intérêts économiques de l’Université dans le cas où, par exemple, un nouveau soumissionnaire ne serait pas capable d’opérer avec succès.

 

[83]        L’article 21 de la Loi sur l’accès exige que la preuve de ces inconvénients soit faite de manière à rendre vraisemblable leur occurrence. La preuve a démontré qu’au moment de la demande d’accès, l’organisme était engagé dans un litige devant la Cour supérieure avec une corporation créée par des associations étudiantes de l’organisme (l’Entithé).

 

[84]        Dans l’affaire Tremblay c. Société générale de financement du Québec[9], la Cour du Québec écrit :

 

« Les articles 21 et 22 peuvent seulement être invoqués dans un contexte où des incidences économiques peuvent survenir à la suite de la divulgation. Ils doivent donc démontrer de manière vraisemblable qu’une des incidences prévues à ces articles a toutes les chances de se produire ou de se réaliser advenant la divulgation des renseignements en litige.

 

Le Tribunal est d’opinion que la simple possibilité d’une atteinte hypothétique à la réputation de la SGF ne peut justifier l’application des articles 21 et 22 de la Loi sur l’accès. 

 

Il ne faut pas de simples appréhensions ou spéculations qu’une des incidences prévues à ces articles puissent se produire mais également conclure à une incidence économique véridique. »

 

[85]        Dans une autre affaire, la Commission écrit[10] :

 

« [...] L’économie générale de la Loi sur l’accès n’impose pas à l’organisme de faire un procès d’intentions au demandeur. Au contraire, il suffit que la divulgation des renseignements visés à l’article 21 puisse procurer un avantage ou causer un préjudice « à une personne », donc à tout compétiteur actuel ou potentiel, pour que cette disposition trouve application. »

 

[86]        Le soussigné n’est pas convaincu de la vraisemblance d’une atteinte aux intérêts économiques de l’organisme ou de la collectivité à l’égard de laquelle il est compétent. La position tenue par le responsable de l’accès, voulant qu’éventuellement un nouveau soumissionnaire puisse ne pas « livrer la marchandise » nous apparaît peu probable et fondée sur de simples appréhensions qui n’ont pas été étayées. Au surplus, cela ne pourrait se produire qu’à l’expiration du contrat actuellement en force, soit en 2015, ce qui rend la prédiction encore plus hasardeuse et incertaine puisque les procédures engagées par les étudiants regroupés dans « l’Entithé » ont été rejetées par la Cour Supérieure.

 

[87]        Par contre, il nous apparaît vraisemblable que la divulgation des documents causerait un préjudice sérieux à la tierce partie qui verrait ainsi dévoilées les informations relatives aux investissements qu’elle a consentis à l’organisme, à la stratégie de mise en marché de ses différents produits et au contenu des recettes dont elle est l’auteure et la propriétaire.

 

[88]        Il ne faut pas oublier que le caractère public des informations recherchées, dans le cas d’une décision positive de la Commission, ne serait pas limité à la seule demanderesse. La preuve a démontré que dans le domaine des services alimentaires, la compétition est vive, que la tierce partie fait affaire à plusieurs endroits autres que l’Université Laval et qu’elle fait face à plusieurs compétiteurs. Notamment, les documents de soumission révèlent qu’elle offre le même genre de services dans plusieurs autres universités au Québec et au Canada.

 

[89]        Le procureur de la demanderesse a insisté sur le fait que sa cliente a obtenu, en 2001 une copie du contrat d’exploitation des services de restauration intervenu entre l’organisme et la tierce partie, en 1995 (pièce D-3). Il prétend qu’elle n’en a subi aucun préjudice.

 

[90]        D’une part, il faut préciser que la position adoptée par l’organisme, en 2001, n’est pas pertinente dans la présente affaire puisqu’il s’agit d’un contrat différent soumis à une demande différente. De plus, le contrat avait une durée de cinq ans, soit jusqu’en 2000 et la demanderesse l’a obtenu après son expiration, en 2001.

 

[91]        Dans le contexte actuel où la demande d’accès vise un contrat en cours d’exécution, il ne fait pas de doute que la divulgation de telles informations causerait un préjudice sérieux à la tierce partie.

 

C)        Le refus de la tierce partie en vertu des articles 23 et 24 de la Loi sur l’accès

 

[92]        Les articles 23 et 24 de la Loi sur l’accès prévoient :

 

23.    Un organisme public ne peut communiquer le secret industriel d'un tiers ou un renseignement industriel, financier, commercial, scientifique, technique ou syndical de nature confidentielle fourni par un tiers et habituellement traité par un tiers de façon confidentielle, sans son consentement.

 

24.  Un organisme public ne peut communiquer un renseignement fourni par un tiers lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver une négociation en vue de la conclusion d'un contrat, de causer une perte à ce tiers, de procurer un avantage appréciable à une autre personne ou de nuire de façon substantielle à la compétitivité de ce tiers, sans son consentement.

 

[93]        La preuve a démontré que certains renseignements qui font l’objet du litige sont des renseignements financiers et commerciaux, puisqu’ils concernent le pourcentage des redevances versées à l’organisme par la tierce partie, le montant des investissements de cette dernière, la stratégie de mise en marché ainsi que le mode de fonctionnement proposé par la tierce partie pour la vente par distributrice. En effet, le Petit Robert propose l’une des définitions suivantes au mot « commercial » :

 

« ... organisation, fonction commerciale (achat, approvisionnement, assortiment, communication, distribution, étude de marché, facturation, livraison, promotion, publicité, relations publiques, services après-vente, vente, etc.) ... »

 

[94]        Le soussigné a pris connaissance des documents en litige déposés lors de la preuve à huis clos et ils contiennent cette catégorie de renseignements.

 

[95]        La preuve a démontré qu’ils avaient été fournis par un tiers (la tierce partie) qui les a inscrits dans sa soumission et qui en a la propriété exclusive.

 

[96]        La preuve a également démontré que ces renseignements n’ont pas été préalablement négociés avec l’un ou l’autre des représentants de l’organisme.

 

[97]        De plus, la preuve a démontré que ces renseignements sont de nature confidentielle. Qu’il suffise de rappeler les documents T-1 à T-5 qui démontrent les mesures de sécurité prises par la tierce partie auprès de ses employés qui ont accès à ces informations dans le cadre de leurs fonctions. Or, ces mêmes informations se retrouvent in extenso dans la soumission de la tierce partie.

 

[98]        Dans l’affaire Hydro-Pontiac, la commissaire Boissinot écrit[11] :

 

« Aux fins de l’application de l’article 23 de la loi, les renseignements visés doivent être, entre autres, de nature financière ou commerciale, être de nature confidentielle (critère objectif de confidentialité) et être habituellement traités par un tiers de façon confidentielle (critère subjectif de confidentialité). 

 

[...]

 

[...] Le critère subjectif de confidentialité a été établi à ma satisfaction. Quant à son caractère objectif, il est à mon avis de la nature de tels renseignements qu’ils ne soient pas révélés à quiconque dans le contexte de toutes les négociations qui s’annoncent avec divers organismes, ministères, la société d’état Hydro-Québec, et d’autres entités privées. [...] »

 

[99]        Dans une autre affaire, la Cour du Québec sous la plume du juge Simon Brossard, écrit[12] :

 

« Quant à l’article 23 L. A., la transcription des notes sténographiques fait voir que les données, prix et primes demandés étaient considérés confidentiels tant de la part des compétiteurs au Canada, aux Etats-Unis et en Europe, que par l’appelante au sein même de son entreprise. Le risque de préjudice découlant de leur divulgation est proportionnel au degré de confidentialité même de ces renseignements qui sont perçus comme confidentiels justement parce que leur divulgation risquerait de nuire à la compétitivité de l’appelante. »

[100]    Les informations financières contenues au contrat et dans la soumission sont des informations de nature confidentielle que la tierce partie traite de façon confidentielle.

 

[101]    Toutefois, une preuve du caractère « objectif » de la confidentialité doit également être faite, tel qu’il est mentionné dans l’affaire Norstan Canada inc.[13] :

 

« La Commission a exigé, dans plusieurs de ses décisions, que la nature confidentielle des renseignements recherchés par un tiers soit démontrée en fonction d’un critère objectif, c’est-à-dire par rapport à d’autres entreprises du même secteur. [...] Toutefois, il importe de rappeler, qu’en dépit de l’absence de preuve par le tiers quant à la nature confidentielle des renseignements en litige, la Commission a reconnu dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Centre hospitalier Anna-Laberge, le caractère objectivement confidentiel des renseignements portant entre autres, sur les coûts ventilés. [...]

 

[...]

 

Les coûts ventilés ont, me paraît-il, un caractère objectivement confidentiel, au sens de l’article 23 de la loi. Dans le cas présent, les prix ventilés de la proposition se retrouvent à la troisième page de la section « Sommaire exécutif », à la section identifiée « Sommaire des coûts » ainsi qu’aux sections 2, 3, à la page 4 de la section 4 et la section 6 de la proposition. Ces renseignements forment par ailleurs la substance de ces sections de la soumission. [...] »

 

[102]    La représentante de la tierce partie a beaucoup insisté sur les mesures prises par l’entreprise pour assurer la confidentialité des informations qu’elle divulgue à ses employés. Toutefois, aucune preuve n’a été faite quant au « caractère objectif de la confidentialité » de ces informations.

 

[103]    Bien que le témoin a affirmé que dans ce domaine d’activités, il est d’usage que ces informations soient considérées comme confidentielles, cela n’est pas suffisant.

 

[104]    Quoi qu’il en soit, la jurisprudence précitée accorde un caractère « objectivement confidentiel » aux informations contenues aux clauses 1.6 et 1.7 du contrat. Il s’agit là d’informations qui ont un caractère objectivement confidentiel et que la Commission doit protéger.

 

[105]    Par ailleurs, les informations relatives à la stratégie de mise en marché, au mode de fonctionnement pour la vente des distributrices ainsi qu’aux recettes, n’ont pas fait l’objet d’une preuve suffisante sous l’article 23 de la Loi sur l’accès.

 

D)        L’article 24 de la Loi sur l’accès

 

[106]    En ce qui concerne l’application de l’article 24, la tierce partie a soutenu que la divulgation des informations en litige risquerait vraisemblablement de lui causer une perte ou de nuire de façon substantielle à sa compétitivité tout en procurant un avantage appréciable à la demanderesse.

 

[107]    Le procureur de cette dernière a vivement contesté le refus de l’organisme en soumettant que la preuve à huis clos devait avoir démontré que les renseignements avaient été fournis par la tierce partie afin de bénéficier de l’exception prévue à l’article 24 de la Loi sur l’accès. En effet, il a fait valoir plusieurs décisions de cette Commission qui ont distingué les renseignements « fournis » par la tierce partie de ceux qui ont fait l’objet de négociations entre les parties.

 

[108]    Or, la preuve a démontré, plus particulièrement par le témoignage de la représentante de la tierce partie, que la préparation de la soumission avait été effectuée entièrement par la tierce partie et par ses employés. Les renseignements qui y sont contenus émanent exclusivement de cette dernière.

 

[109]    Il reste toutefois à évaluer le risque vraisemblable de dommages qui pourraient être causés ou de l’avantage qui pourrait être procuré. Si certaines sections de la soumission contiennent des informations dont la divulgation aurait les effets mentionnés à l’article 24, ce n’est pas le cas pour l’ensemble du contenu de la soumission.

 

[110]    Sans divulguer le contenu de cette soumission, il est nécessaire d’en présenter brièvement la structure de façon à pouvoir statuer sur le bien fondé des prétentions de la tierce partie. Ainsi, la première et la seconde section de cette soumission comportent la table des matières, des résolutions de l’entreprise, un cautionnement et un sommaire des éléments de la soumission. L’accès à ces documents doit être refusé puisqu’ils sont le résumé de tous les éléments de la soumission.

 

[111]    La section 3 s’intitule : « La prestation de service » et les pages 1 à 24 de cette section comportent la présentation globale de la soumission et du concept développé par la tierce partie. Toutefois, aucune information de nature confidentielle n’y est contenue et les renseignements qu’elle contient font partie du domaine public puisque, depuis 2005, la tierce partie offre l’ensemble de ses produits dans les divers immeubles de l’organisme.

 

[112]    L’accès à la portion suivante (les pages 25 à 57) doit être refusé à la demanderesse puisqu’elle comporte une description des diverses méthodes imaginées et créées par la tierce partie afin de diversifier son offre. Les pages suivantes de la section 3 (pages 58 à 79) contiennent des informations relatives à la mise en marché des produits de la tierce partie. Les sections 4 à 6 de la soumission ne contiennent aucun renseignement visé par la demande et n’ont pas à être communiquées. La section 7 contient un résumé de tous les aspects financiers de la proposition de la tierce partie que l’on retrouve dans les clauses 1.6 et 1.7 du contrat intervenu entre les parties.

 

[113]    Enfin, certains renseignements visés par la demande d’accès sont contenus dans les annexes A, B, C, D et E. Il s’agit des recettes et de la composition nutritionnelle des ingrédients. L’annexe F comporte une description des services de traiteur et elle a été remise à la demanderesse. Les annexes G, H et I contiennent des informations relatives à l’entreprise qui ne sont pas visées par la demande d’accès.

 

[114]    Parmi ces documents, le soussigné considère que seules les pages 1 à 24 de la section 3 devraient être communiquées à la demanderesse, en sus de ce qui lui a déjà été transmis et dont la description apparaît au paragraphe 75 de la présente décision.

 

[115]    L’accès aux informations à caractère financier qui se retrouvent dans la section 7 de la soumission pouvaient être refusé en vertu de l’article 23 de la Loi sur l’accès.

 

[116]    Par ailleurs, les renseignements qui concernent la stratégie de mise en marché, le contenu des recettes et leur composition nutritionnelle sont des renseignements dont la divulgation risquerait de causer une perte à la tierce partie ou de procurer un avantage appréciable à tout autre compétiteur de celle-ci.

 

[117]    En effet, la preuve a démontré l’envergure des efforts consacrés par la tierce partie afin de faire une proposition qui reflète le « virage santé » qu’avait adopté l’organisme. La tierce partie a dû concevoir des menus attrayants, appréciés par la clientèle et dont les qualités nutritionnelles devaient être démontrées dans la soumission.

[118]    Les recettes proposées dans la soumission démontrent que la tierce partie a utilisé son savoir-faire, son expertise et celle de ses employés afin de concevoir une proposition qui lui a permis d’obtenir le contrat.

 

[119]    La preuve a démontré que l’organisme a accordé le contrat à la tierce partie sur la base des informations fournies dans la soumission.

 

[120]    La stratégie de mise en marché relative au contenu des machines distributrices répond également à cet impératif. La tierce partie y développe un concept qu’elle a imaginé pour répondre au « virage santé » adopté par l’organisme.

 

[121]    Si la preuve a démontré que ces informations ont permis à la tierce partie d’obtenir le contrat auprès de l’organisme, il n’est pas surprenant que la demanderesse ou tout autre compétiteur puisse être intéressé à en obtenir copie. Cela leur permettrait certainement, sinon de copier, du moins s’inspirer de la proposition de la tierce partie pour offrir un produit semblable à tout autre client potentiel.

 

[122]    La tierce partie en subirait nécessairement une perte alors qu’un avantage appréciable serait conféré à toute personne qui, sans y mettre les efforts, l’argent et les connaissances requises, réussirait à obtenir ces informations.

 

[123]    Le soussigné croit qu’il s’agit là d’effets que le législateur a voulu éviter en édictant l’article 24 de la Loi sur l’accès.

 

[124]    Dans l’affaire Norstan[14] précitée, le commissaire Comeau évaluait une situation de risque vraisemblable :

 

« ... Ce dernier a affirmé, à plusieurs reprises, que certaines sections de la proposition de Bell exposent de façon explicite son savoir-faire en matière de configuration du système téléphonique. Une fois en possession de certaines sections de ce document, les concurrents de Bell seraient en mesure de définir clairement la valeur ajoutée par Bell aux solutions déployées pour ce client. La valeur ainsi ajoutée à chacune des propositions représente, pour Bell, une des clés de voûte de son succès. Rendre ces données accessibles avantagerait les compétiteurs de Bell et, par le fait même, causerait une perte à l’entreprise.

 

[...] Ces sections renferment essentiellement des renseignements techniques et financiers qui relèvent davantage de l’expertise propre et du savoir-faire de l’entreprise dans le domaine des communications. Ces renseignements dévoileraient à ses concurrents les secrets-maison jalousement conservés par Bell. »

 

[125]    Dans l’affaire Inter-Sélect Québec[15], la demanderesse voulait obtenir la soumission déposée par Bell Canada dans le cadre d’un appel d’offres pour l’achat et l’installation d’un système téléphonique. Le commissaire Cyr écrit :

 

« En effet, la preuve entendue nous convainc que la divulgation du contenu de ces sections à savoir, les services offerts par Bell Canada en matière de main-d’œuvre et de formation aux usagers, et la politique de Bell Canada en matière de service et d’entretien risquerait vraisemblablement de procurer un avantage appréciable à toute autre entreprise oeuvrant dans le secteur de la téléphonie lors d’éventuelles soumissions, aux sens de l’article 24 de la loi. »

 

[126]    Les  conditions de l’application de l’article 24 sont donc remplies.

 

E)        L’application du paragraphe 3 de l’article 57 de la Loi sur l’accès

 

[127]    L’article 57 de la Loi sur l’accès se lisait ainsi en 2005 :

 

57.    Les renseignements suivants ont un caractère public :

 

1° le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un membre d'un organisme public, de son conseil d'administration ou de son personnel de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement;

  le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public;

3° un renseignement concernant une personne en sa qualité de partie à un contrat de service conclu avec un organisme public, ainsi que les conditions de ce contrat;

4° le nom et l'adresse d'une personne qui bénéficie d'un avantage économique conféré par un organisme public en vertu d'un pouvoir discrétionnaire et tout renseignement sur la nature de cet avantage.

5°  le nom et l'adresse d'affaires du titulaire d'un permis délivré par un organisme public et dont la détention est requise en vertu de la loi pour exercer une activité ou une profession ou pour exploiter un commerce.

Toutefois, les renseignements prévus au premier alinéa n'ont pas un caractère public si leur divulgation est de nature à nuire ou à entraver le travail d'une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime.

En outre, les renseignements prévus au paragraphe 2° ne peuvent avoir pour effet de révéler le traitement d'un membre du personnel d'un organisme public.

 

                        (Les caractères gras sont du soussigné.)

 

[128]    En juin 2006, le législateur modifiait l’article 57 pour qu’il se lise dorénavant comme suit :

 

57.       Les renseignements personnels suivants ont un caractère public :

 

1° le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un membre d'un organisme public, de son conseil d'administration ou de son personnel de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement;

2° le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public;

3° un renseignement concernant une personne en sa qualité de partie à un contrat de service conclu avec un organisme public, ainsi que les conditions de ce contrat;

4° le nom et l'adresse d'une personne qui bénéficie d'un avantage économique conféré par un organisme public en vertu d'un pouvoir discrétionnaire et tout renseignement sur la nature de cet avantage.

5° le nom et l'adresse de l'établissement du titulaire d'un permis délivré par un organisme public et dont la détention est requise en vertu de la loi pour exercer une activité ou une profession ou pour exploiter un commerce.

Toutefois, les renseignements personnels prévus au premier alinéa n'ont pas un caractère public si leur divulgation est de nature à nuire ou à entraver le travail d’un organisme qui, en vertu de la loi, est chargé de prévenir, détecter ou réprimer le crime. De même, les renseignements personnels visés aux paragraphes 3° et 4° du premier alinéa n’ont pas un caractère public dans la mesure où la communication de cette information révélerait un renseignement dont la communication doit ou peut être refusée en vertu de la section II du chapitre II.

En outre, les renseignements personnels prévus au paragraphe 2° ne peuvent avoir pour effet de révéler le traitement d'un membre du personnel d'un organisme public.

 

(Les caractères gras et les soulignements sont du soussigné, ceux en italique représentent les modifications apportées en 2006.)

 

[129]    Le procureur de la demanderesse soumet que la Commission et la Cour du Québec ont décidé que le paragraphe 3 de l’article 57 confère un caractère public aux conditions d’un contrat intervenu entre une personne morale et un organisme public[16].

 

[130]    En tout respect pour l’opinion contraire, la Commission diffère d’opinion sur cette question malgré les décisions précitées. Le soussigné considère plutôt que l’on doit suivre le raisonnement du juge Brossard de la Cour du Québec dans l’affaire Burcombe[17] précitée :

 

« Le tribunal estime que le terme « personne » utilisé à l’article 57 paragraphe 3 ne vise qu’une personne physique et que les renseignements dont il est question sont des données individuelles ou personnelles qui ne peuvent concerner qu’un individu.

 

C’est ainsi que la Commission avait interprété cet article dans des décisions antérieures en affirmant que des renseignements concernant une entreprise ne devaient pas être considérés comme nominatif, que la protection des renseignements personnels accordée par la L.A. ne s’étendait pas à une personne morale, qu’un contrat entre un organisme public et une personne morale n’était pas conclu dans un contexte nominatif et que le caractère public n’était accordé qu’aux renseignements concernant une personne physique en sa qualité de partie à un contrat de service. »

 

[131]    Il est vrai que la jurisprudence de la Commission a été hésitante pendant quelques années. Toutefois, dans l’amendement apporté en 2006, le législateur est venu confirmer l’interprétation soutenue par le juge Brossard de la Cour du Québec. Dans une publication récente, l’auteur Yves D. Dussault écrit[18] :

 

« Des modifications ont également été apportées à l’article 57 qui dresse un liste de renseignements à caractère public, c’est-à-dire ne bénéficiant pas des règles de protection des renseignements personnels. Cet article a fait l’objet de décisions jurisprudentielles contradictoires quant à savoir, d’abord, s’il pouvait viser autant une personne physique qu’une personne morale... Or, il est maintenant clair, suivant les modifications apportées à l’article 57, qu’on ne vise ici qu’un renseignement personnel, donc lié à une personne physique. »

 

[132]    La tierce partie étant une personne morale, les conditions du contrat conclues avec l’organisme n’ont pas un caractère public.

 

[133]    Avec respect, aucun autre argument soumis par la demanderesse ne nous a convaincus que les informations qu’elle recherche par sa demande d’accès ont un caractère public.

 

 

 

 

 

 

 

 

[134]    POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

 

[135]    ACCUEILLE partiellement la demande de révision;

 

[136]    ORDONNE à l’organisme de communiquer à la demanderesse, dans les trente jours de la réception de la présente décision, les pages 1 à 24 de la section 3 de sa soumission du 6 juin 2005 intitulée : « La prestation de service »;

 

[137]    REJETTE la demande de révision en ce qui concerne les autres sections de la soumission de la tierce partie ainsi que les articles 1.6, 1.7 et l’annexe 2 du contrat de services alimentaires intervenu le 23 juin 2005.

 

 

 

 

 

 

JEAN CHARTIER

Commissaire

 

Me Samuel Proulx Lemire

Avocat de la demanderesse

 

Me Pierre A. Gagnon

Avocat de l’organisme

 

Me Pierre C. Bellavance

Avocat de la tierce partie



[1]     L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l’accès ».

[2]     L’Entithé c. Université Laval et Sodexho Québec ltée, C.S. Québec (Chambre civile) no 200-17-005985-056, 18 décembre 2007, j. Walters.

[3]     L.R.Q., c. A-2.1, r. 2.

[4]     Précité, note 2, voir par. 41.

[5]     X c. Hydro-Québec, C.A.I. Montréal, no 02 19 92, 21 septembre 2004, c. Laporte; Casgrain c. Société nationale de l’amiante, [1993] C.A.I. 202 ; Commission scolaire de Montréal c. Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, C.A.I. Montréal, no 00 18 42, 13 juillet 2001, c. Laporte; Beaudin c. Université McGill, [1998] C.A.I. 247; École secondaire Notre-Dame-de-Lourdes c. Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec, [1992] C.A.I. 360 ; Office du crédit agricole du Québec c. Boucher, [1987] C.A.I. 252 .

[6]     Cogénération Kingsley c. Burcombe, [1996] C.A.I. 420 .

[7]     Société de vin internationale ltée c. Régie des permis d’alcool du Québec, [1990] C.A.I. 342 ; John De Kuyper & Fils (Canada) ltée c. Régie des permis d’alcool, [1992] C.A.I. 351 ; Fédération des affaires sociales c. Ministère de la Santé et des Services sociaux, [1992] C.A.I. 276 ; Laberge c. Hydro-Québec, [1989] C.A.I. 168 ; Tremblay c. Société générale de financement du Québec, [2004] C.A.I. 604 .

[8]     Société générale de financement du Québec c. Gouin, [2005] C.A.I. 572 .

[9]     [2004] C.A.I. 604 .

[10]    Beaudin c. Université McGill, [1988] C.A.I. 247 .

[11]    Hydro-Pontiac inc. c. Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges, [1997] C.A.I. 53 .

[12]    Cogénération Kingsey c. Burcome et Hydro-Québec, C.Q. Montréal (Chambre civile), no 500-02-005943-944, 19 janvier 1996, j. Brossard.

[13]    Norstan Canada inc. c. Université de Sherbrooke et Bell Canada, [1997] C.A.I. 226 .

[14]    Norstan Canada inc. c. Université de Sherbrooke et Bell Canada, [1997] C.A.I. 226 , 241.

[15]    Inter-Sélect Québec c. Cégep Lévis-Lauzon et Bell Canada, [1992] C.A.I. 65 . Voir au même effet la décision 9070-0238 Québec inc. (Services Sanitaires Morin) c. Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec) et Les Lignes Warnett Express ltée, [2001] C.A.I. 80 .

[16]    Tremblay c. Société générale de financement du Québec, [2004] C.A.I. 604 ; Société générale de financement du Québec c. Gouin, [2005] C.A.I. 572 .

[17]     Cogénération Kingsley c. Burcombe, [1996] C.A.I. 420 , 423 et 424.

[18]    Yves D. DUSSAULT, Vie privée et protection des renseignements personnels, Service de la formation continue du Barreau du Québec 2006, vol. 258, Éditions Yvon Blais, 2006, p.105.

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