Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Rice c. Agence du revenu du Québec

2016 QCCA 666

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024124-133

(500-05-006143-943)

(500-17-058614-101)

(500-17-066353-114)

 

DATE :

21 AVRIL 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

N° : 500-05-006143-943

 

JOHN LOUIS STEVEN RICE

WALLACE STACEY

APPELANTS - Demandeurs

c.

L'AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

INTIMÉES - Défenderesses

et

SYLVIA GRÉGOIRE THOMAS

DONNA DE LARONDE

LEAH DIOME

BOBBIJO DELORMIER

DEBRA GOODLEAF

SHEILA LAZARE

JOHN McCOMBER

LEE JACOBS

DEREK WHITE

APPELANTS - Intervenants

 

 

N° : 500-17-058614-101

 

SYLVIA GRÉGOIRE THOMAS

DONNA DE LARONDE

LEAH DIOME

APPELANTES - Demanderesses

c.

 

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

INTIMÉS - Défendeurs

 

 

N° : 500-17-066353-114

 

BOBBIJO DELORMIER

DEBRA GOODLEAF

LEE JACOBS

SHEILA LAZARE

JOHN McCOMBER

DEREK WHITE

APPELANTS - Demandeurs

c.

 

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

L'AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

INTIMÉS - Défendeurs

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants détiennent le statut d’Indiens au sens de la Loi sur les Indiens[1]. Ils se pourvoient contre un jugement rendu le 5 décembre 2013 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Louis Crête)[2], qui a rejeté trois requêtes pour jugement déclaratoire par lesquelles ils recherchaient à être exemptés de l’obligation de percevoir différentes taxes lors de ventes de carburants et de les remettre au ministre du Revenu, invoquant des droits d’ordre constitutionnel et des motifs fondés sur la Loi sur les Indiens.

1-      Le contexte[3]

[2]           Le litige qui oppose les appelants, des Mohawks propriétaires de stations-service situées dans la réserve de Kahnawake, à l’Agence du revenu du Québec (ARQ) et aux procureurs généraux du Québec (PGQ) et du Canada (PGC) remonte à une vingtaine d’années. Il découle de l’adoption par le Parlement canadien de la taxe sur les produits et services (TPS)[4] en 1990, et de l’adoption de la taxe de vente du Québec (TVQ)[5] par la législature provinciale l’année suivante. Selon une entente fédérale-provinciale intervenue le 29 décembre 1990, le gouvernement du Canada a confié la responsabilité de l’administration et de la perception de la TPS au gouvernement du Québec[6]. Il faut rappeler qu’une taxe provinciale sur les carburants existe depuis 1924[7].

[3]           La réserve de Kahnawake compte une population de près de dix mille Indiens[8]. Une vingtaine de détaillants de carburants sont en activité sur la réserve. Celle-ci est ceinturée d’importants axes routiers sur lesquels circulent annuellement environ 28 millions d’automobilistes. Ceux-ci ne sont pas des Indiens pour la grande majorité. Ils achètent de l’essence dans les stations-service situées aux limites de la réserve. Ils font des économies en comparaison des prix demandés dans les municipalités environnantes. Cette économie résulte du fait que les détaillants de Kahnawake ne perçoivent pas les taxes applicables lorsqu’ils vendent de l’essence.

[4]           Les consommateurs qui vivent dans une réserve et qui jouissent du statut d’Indiens sont exemptés de payer ces taxes aux termes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. En revanche, les autres clients sont tenus au paiement de ces taxes. Selon les lois fiscales, les appelants ont l’obligation de percevoir auprès des consommateurs les taxes applicables et de les remettre au ministre du Revenu, à titre de mandataires de l’État. Pour leur part, les détaillants indiens qui achètent des carburants chez leurs fournisseurs ne paient pas la TPS ni la TVQ sur les carburants livrés sur la réserve. Par contre, ils paient un montant égal à la taxe sur les carburants, montant qui est compensé lors de la vente au détail.

[5]           Au printemps 1994, le ministre du Revenu, s’estimant privé d’entrées de fonds importantes en raison du défaut des appelants de prélever et de lui remettre les différentes taxes, a signifié des avis de cotisation à une douzaine de détaillants pour récupérer les taxes que ceux-ci auraient dû percevoir et lui remettre. Devant leur refus d’obtempérer, le ministre a révoqué leurs certificats d’inscription. Cette révocation a eu pour effet d’empêcher les commerçants visés de continuer à s’approvisionner en produits pétroliers auprès de leurs fournisseurs situés hors réserve et, par conséquent, de poursuivre leurs activités commerciales.

[6]           Les commerçants ont répliqué, le 31 mai 1994, avec une première requête pour jugement déclaratoire. Ils recherchaient principalement à faire reconnaître que, en leur qualité d’Indiens, ils n’ont aucune obligation d’agir comme percepteurs des taxes de vente fédérales et provinciales. Ils demandaient ainsi que leur soient déclarées inopposables certaines dispositions de la Loi sur les Indiens, de la Loi sur la taxe d’accise, de la Loi sur la taxe de vente du Québec et de la Loi concernant la taxe sur les carburants. La requête faisait état des droits ancestraux des appelants, mais elle n’invoquait pas l’existence de droits commerciaux fondés sur la Proclamation royale de 1763[9]. La requête était accompagnée d’une demande d’ordonnance de sauvegarde visant notamment à surseoir aux avis de cotisations, aux révocations des certificats d’inscription et à l’ordre donné aux fournisseurs de produits pétroliers de ne plus les approvisionner en carburants.

[7]           Ces demandes conservatoires ont été accueillies par la juge Danielle Grenier le 17 juin 1994[10], conditionnellement à ce que les appelants se plient aux exigences de la loi pour la perception et la remise au ministre du Revenu des taxes imposées aux consommateurs non indiens.

[8]           À la suite de ce jugement, les appelants ont continué à exploiter leurs commerces. Ils n’ont pas respecté la condition imposée par le jugement interlocutoire de la juge Grenier. Certains ont omis de percevoir et de remettre au ministre du Revenu les taxes qu’ils avaient l’obligation de percevoir auprès de la clientèle non indienne. D’autres ont perçu et remis des montants symboliques ou nettement inférieurs aux ventes réelles effectuées à cette clientèle.

[9]           Le dossier est demeuré inactif pendant des années[11]. En 2006, des propriétaires de stations-service des municipalités avoisinantes de la réserve se sont plaints de concurrence déloyale de la part des détaillants situés sur la réserve. Après une enquête, l’ARQ a cotisé les appelantes Thomas et autres entre décembre 2009 et mars 2010. Celles-ci ont signifié la deuxième requête pour jugement déclaratoire. En juin 2011, les appelants Delorimier et autres, qui n’ont pas été cotisés, ont signifié la troisième requête pour jugement déclaratoire.

[10]        Le PGQ a déposé une requête pour directives le 24 février 2009. Cette procédure a entraîné une réaction des appelants. Ils ont soulevé de nouveaux arguments au soutien de leur droit de commercer librement, sans entraves et sans restriction. Ce droit serait fondé sur la Proclamation royale de 1763 et sur un droit ancestral au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[12]. Les appelants réitèrent aussi les arguments invoqués dans la requête originale, et fondés sur le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867[13] et sur l’exemption de taxes prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

[11]        La requête introductive d’instance a été amendée à six reprises entre 1994 et 2013. Dans leur cinquième requête amendée, datée du 7 décembre 2012, les appelants ont ajouté des moyens relatifs à l’inopposabilité des mesures budgétaires adoptées par l’État québécois en 2011, et visant à faire profiter les Indiens vivant dans les réserves situées au Québec d’une exemption de payer la taxe sur les carburants achetés, et ce, directement à la pompe. Il convient de décrire sommairement ces mesures et le contexte ayant mené à leur adoption.

[12]        En 2007, le Grand Chef de l’Association des Premières Nations du Québec et du Labrador, M. Ghislain Picard, a été autorisé à intenter un recours collectif au nom de tous les Indiens de la province[14]. Ce recours visait à faire déclarer inopérant le mécanisme de remboursement de la taxe sur les carburants prévu aux articles 2, 3 et 10.2 de la Loi concernant la taxe sur les carburants et à son règlement d’application, pour le motif qu’il est contraire à l’exemption de taxes prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. À cette époque, les Indiens devaient payer la taxe sur les carburants au moment de l’achat, mais ils bénéficiaient du droit d’en réclamer le remboursement au moyen du formulaire requis. Peu d’Indiens se prévalaient de ce mécanisme, qu’ils jugeaient trop complexe.

[13]        Le recours collectif n’a pas procédé au fond. Il a fait l’objet d’une transaction entérinée par le tribunal en décembre 2011. Un montant de 24 600 000 $ a été versé en guise de réparation pour les taxes sur les carburants payées avant le 30 juin 2011[15].

[14]        Pour éviter un litige similaire après le 30 juin 2011, le ministère des Finances et l’ARQ ont conçu des mesures visant à faire bénéficier les Indiens de l’exemption de payer la taxe sur les carburants, et ce, au moment où ils achètent l’essence sur la réserve. Le Programme de gestion de l’exemption fiscale des Indiens[16], en vigueur depuis le 1er juillet 2011, prévoit notamment que : 1- les Indiens désirant bénéficier du programme d’exemption à la pompe doivent s’inscrire auprès de l’ARQ au moyen du formulaire requis et 2- l’attestation d’inscription au programme doit être présentée au détaillant au moment de l’achat avec le certificat de statut d’Indien sinon le consommateur ne peut bénéficier de l’exemption au moment de l’achat et il doit alors faire une demande de remboursement, comme sous l’ancien régime[17].

[15]        Ces nouvelles mesures imposent aussi un certain nombre d’obligations aux détaillants. Ceux-ci doivent notamment :1- tenir un registre des ventes au détail effectuées aux Indiens[18]; 2- vérifier au moment de la vente l’identité du consommateur au moyen de son certificat de statut d’Indien et la validité de son attestation d’inscription au programme d’exemption[19] et 3- produire mensuellement une déclaration de leurs achats et ventes pour obtenir le remboursement du montant égal à la taxe sur les carburants versé à leurs fournisseurs à l’égard des carburants vendus au détail en exemption de la taxe sur les carburants.

[16]        Finalement, une autre mesure d’assouplissement permet au détaillant d’acheter un pourcentage de ses carburants sans que le montant égal à la taxe sur les carburants soit perçu par le grossiste, par dérogation à l’article 2 de la Loi concernant la taxe sur les carburants. Ce pourcentage représente la quantité des carburants vraisemblablement vendue à des Indiens ou à des conseils de bande.

[17]        Ce programme de gestion de l’exemption fiscale est facultatif, tant pour les consommateurs que pour les détaillants. Aucun des appelants n’y a adhéré, de sorte que les Indiens ne peuvent bénéficier de l’exemption du paiement de la taxe sur les carburants à la pompe.

[18]        La sixième requête amendée, datée du 7 février 2013, a cimenté le débat tranché en première instance. Les appelants ont proposé divers moyens, que le juge résume de la façon suivante :

1)        Les requérants, d’origine autochtone, bénéficient-ils du droit ancestral de commercer librement et sans entraves, compte tenu des activités d’échange qu’ils exerçaient avant le contact avec les Européens?

2)        Les requérants ont-ils un droit constitutionnellement garanti par les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 de commercer librement et sans restriction en raison des assurances qui leur ont été données dans la Proclamation royale de 1763?

3)        Le transfert de compétence de l’autorité fédérale au profit de l’autorité provinciale en matière de perception de la TPS est-il constitutionnellement invalide dans la mesure où le Québec prétendrait appliquer ses règles de perception des taxes de vente d’une manière qui violerait le principe du partage de compétence établi par la Loi constitutionnelle de 1867?

4)        L’obligation de perception des taxes à la consommation et les mécanismes mis en place par les législations fédérale et provinciale font-ils en sorte d’anéantir le droit des Indiens de ne pas être soumis à la taxation sur leurs réserves?

5)        Les deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial, ont-ils manqué à leurs devoirs d’agir honorablement à l’égard des requérants en négligeant notamment de les consulter avant d’adopter les règles fiscales que les gouvernements prétendent imposer aux commerçants indiens affectés par les présentes procédures?

6)        Les diverses réclamations de taxes par l’Agence du revenu du Québec à l’égard des requérants sont-elles prescrites?[20]

[19]        Le juge a répondu négativement à ces questions. Les moyens relatifs à l’obligation de la Couronne d’agir honorablement (question nº 5) et à la prescription des réclamations (question nº 6) ne sont pas repris en appel. En ce qui concerne le troisième moyen, les appelants limitent leur contestation à l’invalidité du mécanisme d’exemption à la pompe adopté en 2011.

2-      Le jugement de première instance

[20]        Voici comment le juge statue sur les questions soumises par les parties et pertinentes à l'appel.

Sur l’existence d’un droit ancestral de commercer librement et sans entraves (paragraphes 136 à 183)

[21]        Après avoir caractérisé le droit revendiqué par les appelants et analysé la preuve, le juge conclut que les échanges faits à l’intérieur des nations iroquoises - essentiellement des objets à valeur spirituelle troqués à des fins rituelles, sociales ou diplomatiques - n’avaient aucun caractère commercial, de sorte qu’il est impossible de conclure à l’existence d’un droit ancestral de cette nature. Selon lui, le droit éminemment commercial réclamé par les appelants ne constituait pas une activité faisant partie intégrante de la culture distinctive des Mohawks avant le contact avec les Européens. Conséquemment, les prétentions des appelants constituent une extension indéfendable d’activités secondaires d’échanges entre nations autochtones.

Sur l’argument fondé sur le droit de commercer librement reconnu aux autochtones par la Proclamation royale de 1763 (paragraphes 184 à 275)

[22]        Le juge décide que le contexte historique de ce document et son interprétation ne lui permettent pas de conclure qu’il leur a conféré le droit de commercer librement et sans entraves, et ce, d’autant plus que la Proclamation royale n’a aucune force constitutionnelle contraignante et qu’elle ne constitue pas une source autonome de droits autochtones.

[23]        Son étude du texte et des sources historiques l’amène à conclure que la Proclamation royale reflète l’intention de la Couronne anglaise de rétablir le commerce normalement après la guerre, en éliminant les pratiques monopolistiques des Français, en établissant des relations harmonieuses avec les autochtones et en les protégeant contre la cupidité des Européens.

Sur la validité constitutionnelle du mécanisme provincial d’exemption à la pompe adopté en 2011 (paragraphes 297 à 306)

[24]        Le juge est d’avis que ce mécanisme n’enfreint pas le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et qu’il n’est pas ultra vires de la législature provinciale, dans la mesure où l’indianité proprement dite et le statut d’Indien des appelants ne sont nullement affectés par les mesures législatives et administratives mises en place.

Sur l’argument selon lequel l’obligation de percevoir les taxes fédérales et provinciales et les mécanismes mis en place ont pour effet d’anéantir le droit des Indiens de ne pas être soumis à la taxation sur leurs réserves (paragraphes 307 à 380)

[25]        Le juge écrit que ce n’est pas en tant que consommateurs que les lois fiscales en cause imposent des obligations, mais bien en tant que marchands faisant le commerce de fournitures taxables. Or, à titre de marchands, ils ne sont pas eux-mêmes assujettis au paiement des taxes. Ils ont plutôt l’obligation d’agir à titre de mandataires des autorités fiscales aux fins de perception des taxes à la consommation auprès de leurs clients non indiens et ils ne bénéficient pas de l’exemption prévue aux articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens.

[26]        Il ajoute que, sur le plan des obligations qui incombent aux vendeurs de produits taxables, les appelants sont assujettis aux mêmes règles que tous les autres vendeurs au Québec et au Canada et qu’ils ne subissent pas un fardeau administratif indu et exorbitant du fait qu’ils doivent s’assurer d’accorder aux Indiens l’exemption fiscale à laquelle ceux-ci ont droit, tout en continuant de percevoir les taxes applicables aux ventes effectuées auprès des autres consommateurs.


 

3-      L’analyse

[27]        Les appelants reprennent en appel leurs arguments d’ordre constitutionnel et leurs moyens fondés sur les droits dont ils bénéficient aux termes des articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens. Ils proposent des moyens liés aux sept sujets suivants.

3.1       L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982

[28]        Le premier moyen que soulèvent les appelants à l’encontre du jugement de première instance repose sur le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 qui est ainsi libellé :

35. (1) Les droits existants - ancestraux ou issus de traités - des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

35. (1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed.

[29]        Or, il importe de signaler en début d’analyse que si l’un des objets du paragraphe 35(1) est de reconnaître les droits détenus par les autochtones en raison de leur présence sur le territoire avant l’arrivée des Européens, ceux-ci doivent néanmoins être compatibles avec notre système juridique et l’affirmation de la souveraineté britannique sur le territoire canadien[21].

[30]        Aussi, est-ce avec ces considérations à l’esprit que la Cour suprême a développé la démarche analytique propre à déterminer l’existence des droits ancestraux reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette démarche comporte trois étapes :

·        tout d’abord, il faut procéder à la caractérisation du droit ancestral revendiqué, et ce, à partir des actes de procédure;

·        ensuite, il s’agit de déterminer si la preuve démontre l’existence d’une pratique, tradition ou coutume faisant partie intégrante de la société autochtone distinctive avant le contact avec les Européens;

·        enfin, il importe de vérifier s’il y a une corrélation ou une continuité raisonnable entre le droit contemporain revendiqué et la pratique, tradition ou coutume en question[22].

[31]        Conformément à la première étape de ce test, le juge de première instance retient de la requête introductive d’instance que les appelants revendiquent le droit de commercer librement et ouvertement avec tous les sujets de la Couronne[23].

[32]        Passant ensuite à la seconde étape malgré que ce droit découlerait davantage de la Proclamation royale de 1763 que d’un droit ancestral au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[24], le juge retient de la preuve historique présentée par les experts des parties que les appelants sont les descendants des membres formant la Confédération iroquoise des cinq nations, lesquelles occupaient, lors de l’arrivée des Européens, la région des Grands Lacs et la partie plus septentrionale de ce qui est maintenant l’État de New York[25].

[33]        Société semi-sédentaire dont l’économie était fondée sur l’agriculture, la chasse, la pêche et la cueillette, les Mohawks vivaient en autarcie dans des villages. Ceci ne les a pas empêchés cependant, selon les experts qui ont témoigné, de se livrer à l’échange d’objets rares et particuliers (coquillages, objets de cuivre, pipes en argile) auxquels ils attribuaient un pouvoir sacré ou spirituel appelé « Orenda »[26].

[34]        Selon les appelants, c’est cette pratique, tradition ou coutume d’échanges d’objets à valeur spirituelle ou symbolique qui fonderait leur droit de commercer librement, sans qu’ils soient, en tant qu’autochtones, assujettis aux contraintes et restrictions que les gouvernements fédéral et provincial prétendent pouvoir leur imposer en l’espèce. La preuve ayant démontré que ces échanges remplissaient des fonctions sociales, rituelles ou diplomatiques et qu’ils n’avaient donc aucun caractère commercial, le juge de première instance a rejeté la prétention des appelants[27].

[35]        Devant notre Cour, les appelants réitèrent qu’ils sont titulaires d’un droit ancestral de commercer librement et sans entraves. L’acte même d’échanger occupant une place centrale dans leur culture, il n’était pas essentiel selon eux qu’ils démontrent que les échanges auxquels ils se livraient avant le contact avec les Européens étaient de nature commerciale, et ce, en vertu du principe qu’une pratique ancestrale doit être susceptible d’évoluer avec le temps[28].

[36]        La Cour suprême, dans l’arrêt Lax Kw’alaams[29], s’est penchée sur ce qui constitue une évolution logique d’une pratique ancestrale, cette affaire ayant pour toile de fond la revendication du droit des Lax Kw’alaams de pêcher et de vendre commercialement toutes les espèces de poisson qui vivent dans leurs eaux traditionnelles. Or, il ressort des motifs du juge Binnie, qui écrit pour la Cour, que l’évolution du droit ancestral des Lax Kw’alaams de commercer la graisse d’une seule espèce, l’eulakane, ne pouvait mener à un pareil résultat parce que constituant, sur le plan qualitatif et quantitatif, un droit contemporain différent :

[49]      Si un droit ancestral est établi, il ne s’agit pas d’un droit figé depuis le contact avec les Européens : son objet et son mode d’exercice peuvent avoir évolué en fonction des faits.

[50]      Pour ce qui est du mode d’exercice du droit, les tribunaux ont reconnu à maintes reprises l’évolution continue des méthodes de pêche. L’origine ancestrale des droits de pêche n’exige pas que les titulaires de ces droits, dans le nord-ouest du Pacifique, pêchent dans des pirogues. Le commerce du saumon fumé du Pacifique à l’époque précontact (s’il est établi) ne devrait pas exclure la préparation et la vente du produit congelé depuis que les techniques de congélation sont apparues. (Tout cela, bien entendu, sous réserve de la conservation des ressources et d’autres intérêts réels et impérieux (Sparrow, p. 1108-1110; N.T.C. Smokehouse, par. 96-97).)

[51]      La situation est toutefois plus complexe lorsqu’il s’agit de « l’évolution » de l’objet du droit ancestral. Par exemple, le « droit de recueillir » des baies fondé sur l’époque précontact ne peut « évoluer » jusqu’au droit de « recueillir » du gaz naturel sur le territoire traditionnel. L’extraction en surface du cuivre de la rivière Coppermine dans les Territoires du Nord - Ouest à l’époque précontact ne peut pas, selon moi, servir d’assise à un « droit ancestral » d’exploiter une mine de diamants souterraine sur le même territoire. Bien que les tribunaux aient reconnu la nécessité de permettre l’évolution des droits ancestraux à l’intérieur de certaines limites, ces limites sont à la fois d’ordre quantitatif et qualitatif. Une « pratique autochtone antérieure à l’affirmation de la souveraineté ne peut être transformée en un droit moderne différent » (Marshall (2005), par. 50).

[Notre soulignement]

[37]        Appliquant ces principes au droit général revendiqué par les Lax Kw’alaams, le juge Binnie écrit :

[55]      Les avocats des Lax Kw’alaams soutiennent que, même si le commerce précontact se limitait à la graisse d’eulakane (ce qu’ils nient), le droit contemporain ne doit pas rester « figé »; il faut plutôt lui attribuer une portée générale et reconnaître qu’il a « évolué » pour s’étendre à toutes les autres espèces de poisson et de produits de la pêche.

[56]      Une telle « évolution » serait toutefois contraire à la conclusion sans équivoque de la juge du procès que les ancêtres des Lax Kw’alaams pêchaient toutes les espèces, mais qu’ils ne faisaient pas véritablement le commerce d’espèces de poisson ou de produits de la pêche autres que l’eulakane. Le fait d’étendre un droit contemporain à toutes les espèces irait directement à l’encontre de l’avis de la juge du procès que seul le commerce, « propre à une espèce », de la graisse d’eulakane faisait partie intégrante de la culture distinctive de cette société précontact. Une pêche commerciale générale constituerait un résultat différent sur le plan qualitatif de l’activité précontact sur laquelle elle reposerait censément et hors de proportion avec son importance dans l’économie précontact des Tsimshians.

[…]

[59]      La juge du procès a conclu que la métamorphose du commerce précontact de la graisse d’eulakane en une pêche commerciale moderne procéderait non pas d’une « évolution », mais de la création d’un droit différent. Par conséquent, la revendication ne remplissait pas les critères de partie intégrante et de continuité du test établi dans Van der Peet. La preuve étayait ces conclusions.

[Notre soulignement]

[38]        Outre l’arrêt Lax Kw’alaams, la jurisprudence fournit également d’autres exemples permettant d’appuyer la proposition qu’une pratique ancestrale ne saurait évoluer au point de se métamorphoser complètement.

[39]        Ainsi, dans l’arrêt Van der Peet[30], la Cour suprême a rejeté dans les termes suivants la prétention des Sto:lo qui soutenaient que leur droit ancestral de pêcher à des fins de subsistance pouvait leur conférer le droit contemporain de pêcher à des fins commerciales :

[87]      Pour des motifs analogues, la preuve rattachant l’échange de saumon au maintien de rapports familiaux et de parenté n’étaye pas l’existence du droit ancestral revendiqué par l’appelante. Les échanges de saumon qui surviennent dans le cadre des rapports entre les membres de la famille et la parenté ne revêtent pas en soi une importance suffisante pour fonder la revendication d’un droit ancestral d’échanger du poisson contre de l’argent ou des biens.

[40]        De l’avis de la Cour, il y a un parallèle évident qui peut être fait ici avec la situation décrite dans cet extrait et la nature des échanges (Orenda) invoqués par les appelants au soutien de leurs prétentions.

[41]        La même logique a prévalu à l’occasion des arrêts Sappier et Gray[31] où la Cour suprême a bien pris soin de préciser que le droit des Malécites et des Mi’kmaqs de récolter du bois sur les terres de la Couronne pour des fins domestiques ne pouvait se transformer en un droit de faire le commerce du bois :

[25]      L’adjectif « domestique » qualifie les usages qui peuvent être faits du bois récolté. Le droit ainsi caractérisé n’a aucune dimension commerciale. Le bois récolté ne peut être vendu, échangé ou troqué pour obtenir des biens ou recueillir de l’argent. Il en est ainsi même si l’objectif de l’échange ou du troc est de financer la construction d’une habitation. En d’autres termes, le droit permettrait de récolter du bois pour construire une habitation, mais il n’autoriserait cependant pas son titulaire à vendre le bois afin d’obtenir l’argent nécessaire à l’achat ou à la construction de cette habitation ou d’un de ses éléments.

[42]        Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 doit, il est vrai, recevoir une interprétation générale et libérale en faveur des autochtones[32]. Il doit cependant exister un degré raisonnable de continuité entre la pratique ancestrale invoquée et le droit moderne revendiqué. Même si l’objet d’un droit ancestral peut évoluer, ceci ne saurait signifier qu’il puisse être transformé en un droit moderne complètement différent. Or, c’est là où nous conduit l’argument des appelants. Pour cette raison, la Cour croit que la pratique d’échange d’objets auxquels était rattaché le pouvoir spirituel et symbolique d’Orenda ne peut servir de fondement au droit contemporain revendiqué par les appelants, soit celui de commercer librement et sans entraves. Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il écrit :

[180]    S’il est vrai que les droits peuvent et doivent évoluer (on ne chasse plus guère avec des arcs et des flèches) et que ces droits ne soient pas condamnés à rester folkloriquement figés dans le temps (on pense ici à l’allégorie de l’arbre vivant), le tribunal ne peut donner son aval au saut quantique proposé par les requérants entre la pratique d’échange d’artéfacts à valeur spirituelle d’« orenda » et celle de la vente commerciale de carburants (ordinaire, super, diesel), produits synthétiques raffinés fournis par les pétrolières, leurs fournisseurs.

[181]    Rien dans la preuve ne permet de nous écarter des enseignements clairs de la Cour suprême du Canada à ce sujet.

[182]    Bref, le commerce du type de celui que les requérants exercent aujourd’hui ne constituait pas une activité distinctive de leur peuple autochtone et la prétention des requérants voulant que leurs ancêtres aient été activement impliqués dans des activités d’échanges est/ouest et nord/sud (« trade ») n’est aucunement supportée par la preuve.

[183]    Le droit éminemment commercial réclamé ici par les requérants dans leurs actes de procédure, soit « the Petitioners’ constitutionally protected Aboriginal right to free and open trade [...] contrary to sections 35 and 52 of the Constitution Act, 1982 », est une extension indéfendable des activités secondaires d’échanges à caractère rituel, spirituel ou diplomatique qui ont pu avoir cours dans les sociétés iroquoises/mohawks précontact, avant 1603 ou 1614-1615, selon le cas.

[Notre soulignement]

[43]        Il n’existe aucun lien rationnel entre les échanges précontact auxquels se sont livrés les ancêtres des appelants et les activités commerciales de ces derniers. Partant, il est impossible de conclure à l’existence d’un droit ancestral au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

3.2      L’interprétation de la Proclamation royale de 1763[33]

[44]        Les appelants rappellent l’importance de la Proclamation royale pour les autochtones. Selon eux, elle leur reconnaît des droits importants et elle constitue une sorte de « Charte des droits des Indiens »[34]. À leur avis, le juge de première instance a commis deux erreurs. Premièrement, il a erré dans l’analyse de sa valeur normative, en refusant d’accorder à la clause de commerce qui y figure un statut constitutionnel. Deuxièmement, il s’est mépris dans son interprétation, en ignorant qu’elle confère aux autochtones le droit de commercer librement et sans entraves.

[45]        En ce qui concerne la valeur normative de la Proclamation royale, les appelants soumettent que le juge a commis une erreur de droit en concluant qu’elle ne constitue pas une source indépendante et autonome de droits, mais plutôt une reconnaissance de droits existants. Cette conclusion serait contraire aux enseignements de la Cour suprême dans les arrêts R. c. Sioui[35] et Van der Peet[36] et elle reposerait sur une analyse erronée de la portée de l’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés[37] (Charte) :

25. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada, notamment :

 

 

a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;

 

b) aux droits ou libertés existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

25. The guarantee in this Charter of certain rights and freedoms shall not be construed so as to abrogate or derogate from any aboriginal, treaty or other rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples of Canada including

 

(a) any rights or freedoms that have been recognized by the Royal Proclamation of October 7, 1763; and

           (b) any rights or freedoms that now exist by way of land claims agreements or may be so acquired.

[46]        L’article 25 de la Charte protège les droits des autochtones contre des contestations fondées sur la Charte, mais, en plus, selon les appelants, elle en élève le statut en lui conférant un rang constitutionnel. Le fait qu’elle n’apparaît pas à l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982 n’est pas déterminant, puisqu’il est acquis que l’énumération du paragraphe 52(2) de celle-ci n’est pas exhaustive. Les appelants ajoutent que certains principes constitutionnels fondamentaux, tels ceux relatifs à la protection des droits des autochtones et à l’honneur de la Couronne, découlent directement de la Proclamation royale. Celle-ci ferait conséquemment partie intégrante de la constitution canadienne.

[47]        Les appelants soutiennent enfin que la clause de commerce a été rédigée à l’avantage des autochtones. La Couronne leur reconnaissait le droit de commercer librement et elle visait à faciliter l’exercice de ce droit et non à le restreindre. Or, l’interprétation restrictive retenue par le juge de première instance a pour effet de les priver de toute forme de bénéfice. Cette interprétation serait contraire au principe voulant que les droits reconnus aux autochtones soient interprétés largement et généreusement.

[48]        L’obligation de perception de la TPS, de la TVQ et de la taxe sur les carburants constitue, selon les appelants, une entrave à leur droit constitutionnel de commercer librement, un droit expressément reconnu par la Proclamation royale.

3.2.1   La valeur normative de la Proclamation royale du 7 octobre 1763

[49]        Les appelants ont raison d’affirmer que la Proclamation royale accorde aux autochtones des droits importants. Dans R. c. Sioui[38], le juge Lamer l’affirme de façon claire :

[…] La Proclamation visait d'abord et avant tout à organiser, géographiquement et politiquement, le territoire des nouvelles colonies en Amérique, soit le Québec, la Floride orientale, la Floride occidentale et Grenade, et à en répartir la possession et l'usage. Elle accordait aussi certains droits importants aux autochtones et fut considérée par plusieurs comme une sorte de Charte des droits des Indiens: White and Bob, précité, à la p. 636; Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, à la p. 395 (le juge Hall, dissident); R. v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [1982] 2 All E.R. 118 (C.A.), aux pp. 124 et 125 (lord Denning). Le texte même de la Proclamation royale démontre bien que son objectif, en ce qui concerne les Indiens, consistait à fournir une solution aux problèmes engendrés par la cupidité dont certains Anglais avaient trop souvent fait preuve jusque-là afin de s'approprier des terres indiennes à vil prix. La situation exaspérait dangereusement les Indiens et la Proclamation royale se voulait un remède à cela […]

[Notre soulignement]

[50]        L’article 25 de la Charte n’a cependant pas la portée que les appelants lui donnent. Cette disposition, rarement invoquée, est peu traitée en jurisprudence. Les tribunaux et les auteurs qui se sont penchés sur sa signification s’accordent sur son sens : l’article 25 de la Charte n’a pas pour effet de créer de nouveaux droits. Il s’agit d’une disposition interprétative, qui vise à prévenir les attaques aux droits aborigènes fondées sur d’autres motifs de la Charte. Peter Hogg, dans son ouvrage sur le droit constitutionnel canadien, décrit la portée de l’article 25 de la Charte de la façon suivante :

Section 25 is part of the Charter of Rights, but it does not create any new rights. It is an interpretative provision, included to make clear that the Charter is not to be construed as derogating “any aboriginal, treaty or other rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples of Canada”. In the absence of s. 25, it would be perhaps have been arguable that rights attaching to groups defined by race were invalidated by s. 15 (the equality clause) of the Charter. [39]

[51]        La Proclamation royale constitue certes un instrument important pour les autochtones. Son inclusion à l’article 25 de la Charte confirme sa valeur, mais ni la jurisprudence ni la doctrine n’appuient la thèse selon laquelle elle confère à la clause de commerce une valeur constitutionnelle.

[52]        Pour ces motifs, le juge de première instance n’a commis aucune erreur en concluant que la clause de commerce contenue dans la Proclamation royale n’a pas une valeur constitutionnelle.

3.2.2   L’interprétation de la Proclamation royale et de la clause de commerce[40]

 

[53]        Selon les appelants, le texte même de la clause de commerce leur reconnaît le droit de commercer librement sans être soumis à une forme de réglementation. Voici le raisonnement qu’ils proposent : (1) le commerce entre les autochtones et les sujets britanniques est déclaré libre et ouvert; (2) les sujets britanniques doivent toutefois obtenir une licence à cette fin; (3) cette obligation n’est pas imposée aux autochtones; (4) donc, la Couronne britannique a promis aux autochtones qu’ils ne seront soumis à aucune forme de réglementation en matière commerciale.

[54]        Le texte de la clause de commerce accorde aux sujets britanniques le droit de commercer librement et ouvertement avec les autochtones, sous réserve d’obtenir une licence à cette fin, mais il ne confère pas aux autochtones un droit explicite de commercer sans être soumis à une quelconque forme de réglementation. Le juge de première instance rejette l’interprétation a contrario proposée par les appelants parce qu’elle ne découle pas du texte et parce qu’elle va à l’encontre du contexte historique dans lequel la Proclamation royale a été faite.

[55]        Rappelons que la Proclamation royale ne constitue pas un traité, mais une déclaration unilatérale de la Couronne impériale. L’étude du contexte historique permet de comprendre ce que son auteur, le roi Georges III, avait à l’esprit en utilisant les mots « […] Nous accordons à tous Nos sujets le privilège de commerce ouvert et libre, à condition que tous ceux qui auront l’intention de commercer avec lesdits sauvages se munissent de licence à cette fin […] ».

[56]        Selon la preuve d’expert, le « commerce ouvert et libre » auquel réfère la Proclamation royale s’inscrit dans un contexte précis, celui de la fin de la guerre avec les Français. Il s’explique par la nécessité pour les Britanniques de s’allier les différentes nations autochtones vivant sur les territoires conquis. Il remplissait aussi l’objectif idéologique de mettre fin à l’approche monopolistique du commerce des fourrures préconisée sous le Régime français, tout en répondant à la politique économique mercantiliste de l’époque.

[57]        Dans son rapport et dans son témoignage, l’expert Michel Lavoie, pour l’ARQ, a expliqué qu’après la guerre, il était normal, voire souhaitable que les activités commerciales reprennent. Il était nécessaire d’entretenir avec les autochtones des rapports justes, équitables et profitables, afin de répondre à leurs préoccupations et pour assurer la sécurité des colonies dont les rapports avec les nations iroquoises étaient menacés. Il fallait gagner la confiance des autochtones, en particulier de ceux alliés aux Français. La liberté de commerce s’opposait directement aux pratiques monopolistiques françaises, qui n’avaient pas leur place dans la conception britannique des relations commerciales. La liberté de commerce s’inscrivait dans une politique économique mercantiliste : les Britanniques avaient des marchés à développer et à protéger.

[58]        L’expert conclut que la portée de la Proclamation royale ne dépasse pas la portée des intentions formulées avant sa publication, soit d’éliminer les monopoles et de protéger les nouveaux marchés, tout en évitant que les autochtones soient victimes d’abus de la part de commerçants mal intentionnés :

En définitive, la portée des dispositions de la Proclamation royale ne dépasse d’aucune façon les intentions formulées avant sa publication en matière d’élimination des monopoles, de protection et d’exploitation des nouveaux marchés, de protection temporaire des territoires de chasse, de la volonté d’assurer la sécurité dans les colonies, de la consolidation de l’attachement des Indiens à la Couronne, de la gestion centralisée des Affaires indiennes et, enfin, de l’ouverture, de la libéralisation et de la réglementation du commerce avec les Indiens pour les fidèles sujets de Sa Majesté. Bref, la Proclamation royale n’avait pas pour but d’innover en matière de commerce. Elle établissait des règles qui allaient être appelées à se préciser, changer et évoluer selon les circonstances.

[…] les dispositions de la Proclamation royale touchant le commerce n’avaient d’autre portée que celle d’assurer la sécurité des colonies soutenue par un commerce libre, ouvert et profitable à tous les sujets et équitable pour les fournisseurs indiens, et ce, sans qu’ils soient abusés.

[59]        Comme le souligne l’expert Lavoie et le note le juge de première instance, la mention relative au commerce libre et ouvert était conforme aux recommandations du Board of Trade, qui, elles-mêmes, reflétaient la politique mise en place par les gouverneurs Murray, Gage et Amherst pendant l’occupation militaire entre 1760 et 1763. L’expérience avait démontré que la liberté de commerce sans aucun contrôle était susceptible de conduire à l’exploitation des autochtones. C’est pour cette raison que le commerce avec ces derniers a été assorti de règles, soit l’obligation d’obtenir une licence.

[60]        Le rapport et le témoignage d’Alain Beaulieu, expert pour le PGC, sont au même effet.

[61]        L’expert des appelants, Gerald Reid, n’a pas témoigné longuement sur la portée de la liberté de commerce énoncée dans la Proclamation royale. Il a expliqué qu’elle visait la sécurité des colonies et que la réglementation à laquelle elle réfère, soit l’obtention de licences, ne s’appliquait pas directement aux autochtones.

[62]        Sur ce dernier point, Alain Beaulieu a toutefois rappelé que, même si l’obligation d’obtenir des licences ne s’appliquait pas aux autochtones directement, ces derniers étaient contraints de se plier à d’autres règles imposées par les autorités britanniques, telle l’obligation de transiger dans les forts britanniques sous supervision militaire, règles qui ont eu pour effet de modifier les pratiques commerciales des autochtones.

[63]        Il ressort donc de la preuve que la clause de commerce ne visait pas à conférer aux autochtones le droit de commercer sans entraves. Elle avait pour objectif de les protéger contre la cupidité de certains commerçants peu scrupuleux, en obligeant ces derniers à obtenir une licence. Rien dans le texte ni dans le contexte historique de la Proclamation royale ne permet de conclure que la Couronne britannique  promettait aux autochtones la liberté totale de commercer, à l’abri de quelque réglementation que ce soit.

[64]        En conséquence, le juge n’a pas commis d’erreur dans l’interprétation de la clause de commerce.

[65]        Pour ces motifs, le moyen des appelants fondé sur la Proclamation royale est rejeté.

3.3       La perception des taxes aux termes de la Loi sur la taxe d’accise (art. 225) et de la Loi sur la taxe de vente du Québec (art. 428) et l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

[66]        Aux termes des calculs décrits aux articles 225 de la Loi sur la taxe d’accise et 428 de la Loi sur la taxe de vente du Québec, le commerçant doit, à la fin d’une période de déclaration donnée, verser aux autorités fiscales la différence entre les taxes (TPS et TVQ) qu’il devait percevoir de ses clients et celles qu’il a payées sur les achats de biens dans le cours de ses activités commerciales et qui lui sont remboursées au titre de crédits pour intrants. Le commerçant est personnellement tenu au paiement du montant ainsi calculé.

[67]        En première instance, les appelants plaidaient que cette obligation de percevoir les taxes et les mécanismes de perception mis en place anéantissent leur droit de ne pas être soumis à la taxation sur une réserve. Le juge a rejeté leur prétention, soulignant que ce n’est pas en tant que consommateurs que la loi leur impose des obligations, mais bien en tant que marchands faisant le commerce de fournitures taxables. Ils ne sont pas taxés, mais simplement assujettis, à titre de mandataires de l’État, à l’obligation de percevoir et de verser les taxes perçues de leurs clients qui ne sont pas des Indiens. Ils ne bénéficient donc pas de l’exemption fiscale prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

[68]        En appel, les appelants reprochent au juge d’avoir omis de considérer qu’en matière de perception de la TPS et de la TVQ, chaque participant dans la chaîne de production et de commercialisation est susceptible d’être responsable personnellement du paiement des taxes. Or, en ce qui les concerne, le solde de la « taxe nette » à la fin de chaque période de déclaration est nécessairement positif puisqu’ils ne paient ni TPS ni TVQ sur les biens acquis dans le cours de leurs activités commerciales et qu’ils ne réclament, de ce fait, aucun crédit de taxe pour les intrants. Ils seraient ainsi invariablement débiteurs des autorités fiscales, contrairement à l’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

[69]        Les appelants ajoutent que le juge a erré en s’appuyant sur une série de décisions relatives à la perception des taxes sur le tabac et les carburants pour conclure qu’à titre de percepteurs, ils ne sont pas personnellement responsables du paiement de la TPS et de la TVQ. Le fonctionnement de ces taxes serait fondamentalement différent en ce que, contrairement à la TPS et à la TVQ, elles ne font pas appel au concept de « taxe nette », dont le commerçant devient personnellement responsable en cas de solde positif.

[70]        Les appelants plaident finalement que les dispositions de la Loi sur la taxe de vente du Québec qui les tiennent responsables du remboursement d’une taxe payable par d’autres (ici les consommateurs de fournitures taxables) sont ultra vires de la législature provinciale puisqu’il s’agit d’une taxe indirecte (paragr. 92(2) de la Loi constitutionnelle de 1867).

[71]        L’article 87 de la Loi sur les Indiens est ainsi libellé :

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

(3) Aucun impôt sur les successions, taxe d’héritage ou droit de succession n’est exigible à la mort d’un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d’aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts révisés du Canada de 1952, ou l’impôt payable, en vertu de la Loi de l’impôt sur les biens transmis par décès, chapitre E-9 des Statuts révisés du Canada de 1970, sur d’autres biens transmis à un Indien ou à l’égard de ces autres biens.

87. (1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83 and section 5 of the First Nations Fiscal Management Act, the following property is exempt from taxation:

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

(2) No Indian or band is subject to taxation in respect of the ownership, occupation, possession or use of any property mentioned in paragraph (1)(a) or (b) or is otherwise subject to taxation in respect of any such property.

(3) No succession duty, inheritance tax or estate duty is payable on the death of any Indian in respect of any property mentioned in paragraphs (1)(a) or (b) or the succession thereto if the property passes to an Indian, nor shall any such property be taken into account in determining the duty payable under the Dominion Succession Duty Act, chapter 89 of the Revised Statutes of Canada, 1952, or the tax payable under the Estate Tax Act, chapter E-9 of the Revised Statutes of Canada, 1970, on or in respect of other property passing to an Indian.

[72]        Au moment d’aborder l’analyse des arguments fondés sur les articles 87, 89 et 90 de la Loi sur les Indiens, il convient de rappeler qu’il faut éviter de donner à ces articles une portée trop large parce qu’ils ont été conçus non pas pour conférer aux Indiens un avantage économique général, mais plutôt pour préserver leurs droits sur les terres qui leur sont réservées et pour s’assurer que la capacité de taxation des gouvernements ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l’utilisation de leurs biens situés sur les réserves[41].

[73]        La position des appelants heurte de plein fouet les avis exprimés par la Cour suprême du Canada dans les renvois relatifs à la taxe sur les produits et services[42] et à la taxe de vente du Québec[43]. La TPS et la TVQ sont des taxes directes destinées à être payées uniquement par l’acheteur final d’une fourniture taxable. Le vendeur d’une telle fourniture est le mandataire de l’État aux fins de la perception et du versement de ces taxes et, dans tous les cas, c’est l’acheteur qui paie les taxes, et non le vendeur[44].

[74]        Les coûts associés à cette fonction de mandataire de l’État ne constituent pas une taxe et n’entraînent aucune dépossession des biens du marchand. Ce dernier ne paie aucune taxe personnellement puisque celles qu’il a versées à une étape antérieure de la chaîne de commercialisation du produit sont récupérées via le mécanisme des crédits de taxe sur les intrants.

[75]        Le concept de « taxe nette » sur lequel s’appuient les appelants ne rend pas le marchand personnellement responsable du paiement des taxes. Il s’agit simplement d’un mécanisme comptable qui permet de déterminer le montant qui doit être versé au gouvernement (en cas de « montant positif ») ou remboursé au marchand (en cas de « montant négatif »). Ce mécanisme comptable fait partie intégrante du mode de perception de la TPS et de la TVQ établi par la loi.

[76]        Dans le cas d’un « montant positif », le marchand verse à l’État un montant d’argent qui ne lui appartient pas, mais qu’il détient plutôt pour celui-ci en sa qualité de mandataire. Il n’est donc pas personnellement responsable du paiement des taxes, mais seulement du versement de celles payées par les consommateurs visés par celles-ci.

[77]        Le fait que les appelants ne réclament aucun remboursement de taxes sur les intrants, puisqu’ils ne paient ni la TPS ni la TVQ sur les fournitures livrées sur la réserve, n’ajoute rien à leur argument. Ils n’ont pas à recourir au mécanisme de remboursement de taxes sur les intrants puisque, contrairement aux autres commerçants, ils sont déjà dégagés du fardeau de ces taxes. Leur solde de « taxe nette » sera invariablement positif lorsqu’ils vendent des fournitures taxables à des clients qui ne sont pas des Indiens. Ils doivent par la suite verser aux autorités fiscales les taxes qu’ils avaient ainsi l’obligation de percevoir, soit de l’argent qui ne leur appartient pas et dont ils ne sont que les dépositaires.

[78]        Le fait que les appelants choisissent de ne pas percevoir la TPS et la TVQ (alors qu’ils en ont l’obligation) ne transforme pas les cotisations fiscales dont ils font l’objet en taxes sur leurs biens personnels[45]. Les taxes qui apparaissent sur les avis de cotisation demeurent des taxes payables par le consommateur ultime, au terme de la chaîne de commercialisation du produit. Lorsque les appelants agissent ainsi, ils ne peuvent pas invoquer l’exemption fiscale prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens et ainsi, par ricochet, protéger leurs clients qui ne sont pas des Indiens contre l’application de la TPS et de la TVQ.[46].

[79]        Le juge de première instance n’a donc pas erré en rejetant l’argument des appelants relatif au mécanisme de perception de la TPS et de la TVQ et à l’exemption fiscale prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

3.4       La perception de la taxe sur les carburants et les articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens

[80]        La taxe sur les carburants fait partie du paysage fiscal québécois depuis 1924. Tel que décrit plus haut, le ministère québécois des Finances et l'ARQ ont mis en place, depuis le 1er juillet 2011, des mesures visant à exempter les Indiens et les conseils de bande (ce qui inclut les conseils de tribu et les entités mandatées par une bande) du paiement de cette taxe lorsqu’ils achètent du carburant sur la réserve (le Programme de gestion de l’exemption fiscale des Indiens en matière de taxe sur les carburants).

[81]        Ces mesures imposent certaines obligations aux détaillants : 1) tenir un registre des ventes au détail effectuées aux Indiens et conseils de bande; 2) au moment de la vente, vérifier l’identité du client au moyen de son certificat de statut d’Indien et la validité de son inscription au programme; et enfin 3) produire mensuellement une déclaration de leurs achats et ventes pour obtenir le remboursement du « montant égal à la taxe sur les carburants » versé à leurs fournisseurs à l’égard des carburants vendus à des Indiens ou conseils de bande.

[82]        Une dernière mesure d’assouplissement permet enfin aux détaillants d’acheter un pourcentage de leurs carburants sans avoir à verser le « montant égal à la taxe sur les carburants » à leur fournisseur. Ce pourcentage de réduction correspond à la quantité de carburants qui sera par la suite vraisemblablement vendue à des Indiens ou à des conseils de bande. Pour bénéficier de cette mesure, le détaillant doit choisir un fournisseur désigné et remplir certaines formalités.

[83]        Ce programme de gestion de l’exemption fiscale est facultatif, tant pour les consommateurs que pour les détaillants. Aucun des appelants n’y a adhéré, de sorte que les Indiens ne peuvent bénéficier de l’exemption du paiement de la taxe sur les carburants à la pompe.

[84]        Selon le juge de première instance, la taxe sur les carburants (tout comme la TPS et la TVQ) est une taxe à la consommation destinée à être payée ultimement par le consommateur, au terme de la chaîne de production et de commercialisation, et jamais par le détaillant. Le fait qu’un « montant égal à la taxe sur les carburants » est payé et remboursé à chaque étape de la chaîne ne change rien au fait que la taxe est ultimement assumée par le consommateur et par personne d’autre.

[85]        En appel, les appelants soutiennent que le prépaiement de la taxe sur les carburants qu’ils achètent, lesquels constituent un bien personnel situé sur la réserve, et qu’ils ne sont pas en mesure de percevoir de leur clientèle indienne (exemptée du paiement de cette taxe dans le cadre du Programme de gestion de l’exemption fiscale) pose problème dans la mesure où ils deviennent de ce fait tenus personnellement au paiement de la taxe, contrairement à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Le seul moyen d’éviter le paiement de cette taxe serait, selon eux, de faire affaire exclusivement avec des clients non indiens alors qu’ils ont choisi de bénéficier du système de protection que constitue la réserve[47] et d’exercer leurs activités commerciales dans les limites de celle-ci.

[86]        Ils plaident enfin que la taxe sur les carburants prépayée par eux et qu’ils ne sont pas en mesure de récupérer constitue une charge ou une réquisition (« charge or levy ») sur leurs biens personnels, contrairement au paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens.

[87]        L’article 89 de la Loi sur les Indiens est ainsi libellé :

89. (1) Sous réserve des autres dispo­sitions de la présente loi, les biens d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l’objet d’un privilège, d’un nantisse­ment, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande.

 

Dérogation

 

(1.1) Par dérogation au paragraphe (1), les droits découlant d’un bail sur une terre désignée peuvent faire l’objet d’un privilège, d’un nantisse­ment, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution.

 

Ventes conditionnelles

 

(2) Une personne, qui vend à une bande ou à un membre d’une bande un bien meuble en vertu d’une entente selon laquelle le droit de propriété ou le droit de possession demeure acquis en tout ou en partie au vendeur, peut exercer ses droits aux termes de l’entente, même si le bien meuble est situé sur une réserve.

89. (1) Subject to this Act, the real and personal property of an Indian or a band situated on a reserve is not subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress or execution in favour or at the instance of any person other than an Indian or a band.

 

 

 

Exception

 

(1.1) Notwithstanding subsection (1), a leasehold interest in designated lands is subject to charge, pledge, mortgage, attachment, levy, seizure, distress and execution.

 

 

 

Conditional sales

 

(2) A person who sells to a band or a member of a band a chattel under an agreement whereby the right of property or right of possession thereto remains wholly or in part in the seller may exercise his rights under the agreement notwithstanding that the chattel is situated on a reserve.

[88]        Contrairement à ce qu’ils laissent entendre, les appelants peuvent obtenir de l’ARQ le remboursement du « montant équivalent à la taxe sur les carburants » versé à leur fournisseur à l’égard du carburant vendu au détail en exemption de la taxe sur les carburants à des Indiens ou conseils de bande en raison du Programme de gestion de l’exemption fiscale[48].

[89]        Advenant la non-application ou la non-participation au programme d’exemption, le client indien doit payer la taxe au détaillant et en demander le remboursement aux termes de l’article 10.2 de la Loi concernant la taxe sur les carburants, comme c’était le cas avant le 1er juillet 2011.

[90]        Dans un cas comme dans l’autre, le détaillant n’assume donc personnellement aucune taxe : soit elle lui est remboursée si le programme d’exemption s’applique, soit il la perçoit de son client et la remet aux autorités fiscales dont il est le mandataire à cette fin.

[91]        Le mécanisme de prépaiement ou de perception anticipée par le détaillant d’un « montant équivalent à la taxe sur les carburants » ne transforme pas celle-ci en taxe indirecte. Le prix de vente du carburant, à chaque étape de la chaîne de commercialisation, inclut un « montant équivalent à la taxe », même si l’obligation de payer la taxe sur les carburants n’existe qu’au moment de la vente au consommateur, étape ultime de la commercialisation du produit. La validité d’un tel mécanisme a été reconnue par les tribunaux tant en ce qui concerne la taxe sur les carburants[49] que la taxe sur le tabac[50] (dont le fonctionnement est similaire). L’article 87 de la Loi sur les indiens ne s’applique donc pas à la situation du détaillant, pas plus qu’elle ne s’appliquait dans le cas de la TPS et de la TVQ.

[92]        Quant à l’argument des appelants relatif au paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens, il est fondé sur la prémisse que le versement anticipé d’un « montant équivalent à la taxe sur les carburants » n’est pas récupérable et donc, qu’il constitue une charge ou une réquisition sur leurs biens personnels. Or, nous l’avons vu, cette prémisse est erronée.

[93]        Bref, le juge de première instance n’a pas erré en rejetant l’argument des appelants relatif au prépaiement d’un « montant équivalent à la taxe sur les carburants » et aux règles énoncées à l’article 87 et au paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens.

3.5    La constitutionnalité des mesures budgétaires de 2011

[94]        Les appelants invoquent la compétence exclusive du Parlement canadien en matière autochtone (paragr. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867) pour soutenir que les mécanismes administratifs mis en place par les autorités provinciales pour permettre aux autochtones de ne plus avoir à payer la taxe sur les carburants au moment de leurs achats à la pompe sur les réserves indiennes envahissent un champ de compétence strictement fédéral. Selon eux, ces « mesures budgétaires » provinciales ne s’appliquent qu’à des autochtones et d’une manière qui ne concerne que des autochtones. Par conséquent, ces mécanismes s’inscrivent dans la sphère de compétence fédérale et ne sauraient être qualifiés de mesures incidentes à la compétence provinciale en matière de taxation (paragr. 92(2) de la Loi constitutionnelle de 1867).

[95]        Cet argument ne résiste pas à l’analyse.

[96]        Les critères qui servent à déterminer la validité constitutionnelle à partir des dispositions attributives de compétence dans la Loi constitutionnelle de 1867 sont bien connus. La juge en chef McLachlin décrit ainsi la première étape à franchir :

[20] La première étape de l’analyse consiste à qualifier l’objet principal ou le « caractère véritable » du règlement no 260 : Swain, p. 998. Comme l’a expliqué le juge LeBel au par. 53 de l’arrêt Kitkatla, l’analyse du caractère véritable d’une législation porte sur deux aspects : (1) l’objet de la législation et (2) ses effets. On peut déterminer l’objet de la législation en examinant la preuve intrinsèque, notamment les dispositions énonçant les objectifs généraux et la structure générale du texte législatif. Cette détermination peut également se faire à l’aide de la preuve extrinsèque, comme le Hansard ou d’autres comptes rendus rédigés dans le cadre du processus législatif : Kitkatla, par. 53. L’effet d’un texte législatif s’entend à la fois de son effet juridique et des conséquences pratiques qui découlent de son application : R. v. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 482-83.[51]

[97]        Ayant ainsi caractérisé la disposition en cause, la Cour doit ensuite se demander si elle appartient à une catégorie de pouvoirs conférés de façon exclusive au corps législatif concerné[52]. Dans cette analyse, la Cour ne doit pas envisager les deux niveaux de gouvernement comme des « compartiments étanches », mais permettre à chacun d’adopter des lois qui, de façon incidente ou accessoire, ont des effets hors compétence, en autant que ces effets découlent de l’atteinte d’un objectif premier qui appartient à la sphère de compétence exclusive de ce corps législatif[53].

[98]        Dans le présent cas, le Règlement d'application de la Loi concernant la taxe sur les carburants[54] oblige les détaillants de carburants à exhiber deux prix : l’un avec taxes, et l’autre sans taxes[55]. Le règlement les oblige également à vérifier, au moment de la vente, l’identité d’un acheteur prétendant être autochtone, ou faire partie d’une bande autochtone, d’un conseil de bande ou d’une organisation autochtone, ainsi que la validité du certificat de statut d'Indien[56] de l’acheteur.

[99]        Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde au Parlement le pouvoir exclusif de légiférer dans le domaine que la Cour suprême appelle « l’essentiel de l’indianité » et que le juge en chef Lamer décrivait ainsi :

[…] L’essentiel de l’indianité englobe toute la gamme des droits ancestraux protégés par le par. 35(1). Ces droits comprennent les droits se rapportant à un territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de la référence aux « terres réservées aux Indiens » au par. 91(24). Cependant, ces droits comprennent également les coutumes, pratiques et traditions qui ne se rattachent pas à un territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de la compétence du fédéral à l’égard des « Indiens ». Il est interdit aux gouvernements provinciaux de faire des lois portant sur ces deux types de droits ancestraux.[57]

[Notre soulignement]

[100]     La Cour suprême a adopté une interprétation restrictive du « contenu minimum élémentaire et irréductible » de ce pouvoir exclusivement fédéral[58]. Nonobstant le paragraphe 91(24), les lois provinciales d’application générale s’appliquent proprio vigore aux autochtones et à leurs territoires[59]. C’est ainsi que le paragraphe 91(24) ne fait pas des réserves des « enclaves du pouvoir fédéral dans une mer de compétences provinciales » et qu’ « [u]ne disposition législative n’excède pas la compétence de la province du simple fait qu’on y trouve le mot "autochtone" »[60].

[101]     En décidant que les mesures budgétaires, pour l’essentiel, participent du pouvoir provincial général de taxation, le juge de première instance n’a commis aucune erreur. Il est vrai que ces mesures affectent les autochtones, mais elles constituent d’abord et avant tout une législation afférente à un pouvoir provincial valide.

[102]     Ainsi, bien que les appelants aient raison de souligner que les dispositions législatives attaquées ne concernent que des réserves et ne s’appliquent que sur des réserves, ils ont tort d’affirmer que ces dispositions constituent une législation en matière autochtone. Ainsi que le juge de première instance en a décidé, les mesures budgétaires affectent les appelants non pas parce qu’ils sont autochtones, mais bien parce qu’ils sont des détaillants qui vendent des carburants à des clients non autochtones et autochtones. En ce sens, ils ne sont pas différents d’autres commerçants qui vendent et livrent des marchandises à des autochtones vivant sur des réserves[61].

[103]     Par conséquent, les dispositions attaquées n’ont pas pour effet de viser des autochtones dans le but de leur imposer une taxe spéciale. Bien au contraire, ces mesures visent à protéger le droit des autochtones d’acheter des carburants sans être assujettis à une taxe, tout en veillant à prévenir des abus[62]. La validité constitutionnelle de dispositions semblables a été confirmée en Colombie-Britannique[63], en Ontario[64], et en Nouvelle-Écosse[65]. Les dispositions attaquées ont été validement adoptées[66].

3.6    Le caractère excessif des mesures budgétaires  et l’atteinte au  droit garanti aux autochtones

[104]     Il convient de noter en premier lieu qu’il n’existe aucune raison d’invoquer la doctrine de l’exclusivité des compétences en l’espèce, contrairement à ce que les appelants semblent prétendre en soutenant que les mesures budgétaires « [Traduction] empiètent sur le contenu essentiel de l’indianité », une prétention que le juge de première instance a rejetée. Non seulement n’a-t-il pas eu tort de le faire, mais eût-il même admis l’existence d’un droit autochtone, cette doctrine demeurerait inapplicable en l’espèce.

[105]     Voici pourquoi.

[106]     Les enseignements de la Cour suprême sur l’exclusivité des compétences en matière d’interprétation des droits autochtones ne souffrent d’aucune équivoque :

Alors, à quoi peuvent servir l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences et la notion que les droits ancestraux font partie du contenu essentiel du pouvoir fédéral sur les “Indiens” prévu au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867? Il faut répondre comme suit : elles ne servent à rien.[67]

[Notre soulignement]

[107]     C’est plutôt dans R. c. Sparrow[68] que l’on trouve la norme qui convient à l’analyse d’une violation d’un droit autochtone. Le test qui y est décrit propose que les lois provinciales d’application générale s’appliquent aux autochtones à moins d’être déraisonnables ou d’imposer sans raison des contraintes excessives, ou encore de priver les détenteurs d’un droit de leur moyen préféré de l’exercer[69]. Il n’existe aucune raison d’utiliser ce type d’analyse ici puisque les appelants n’ont su démontrer ni droit ancestral ni contrainte excessive. En fait, l’absence de preuve à l’égard de ce dernier élément est frappante.

[108]     Lors de l’audition en appel, les procureurs des appelants ont mis l’accent sur les conséquences économiques négatives que subiraient leurs clients si on leur impose l’obligation de respecter les mesures budgétaires. Pour tout dire, ils perdront un avantage compétitif. Tout malheureux que soit ce résultat pour les personnes concernées, les enseignements de la Cour suprême à ce sujet sont limpides. Le but des exemptions prévues à l’article 87 de la Loi sur les Indiens n’est ni de « conférer un avantage économique général aux Indiens »[70] ni de « remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens »[71].

[109]     Les appelants voient dans les procédures mises en place par les mesures budgétaires un fardeau administratif trop lourd et visant à contrôler le commerce dans les réserves. Leurs arguments à ce sujet sont peu convaincants. Parmi les procédures contestées, notons les suivantes :

·        confirmer l’identité et le statut d’Indien du client;

·        vérifier la validité de la documentation de statut d’Indien soumise;

·        noter le numéro d’enregistrement du client;

·        noter la quantité de carburant achetée;

·        transmettre cette information à l’ARQ et

·        conserver ces renseignements en cas d’inspection et de vérification à l’avenir.

[110]     Ce que les appelants omettent de considérer, cependant, c’est que depuis 2012, l’ARQ leur offre d’implanter - à ses frais - un système informatique de tenue de registres qui éliminerait la plupart de la documentation et accélérerait le processus de remboursement au commerçant. À la lumière de cette preuve, les arguments des appelants qualifiant la tenue de registres comme une tentative de leur imposer la gestion d’un système de taxe sur les non-autochtones perdent tout leur poids.

[111]     En outre, un des appelants a expliqué, au procès, que certaines mesures ont déjà été adoptées de façon volontaire. C’est ainsi que, par exemple, une station-service propriété de l’appelant Scott Stacey comporte ce qu’il appelle « a Native Pump ». Grâce à un système informatique, cette pompe dispense automatiquement aux autochtones des carburants à un prix inférieur. Lorsque le juge de première instance lui a demandé comment il parvenait à identifier sa clientèle autochtone, M. Stacey répondit: « [TRADUCTION] Bien, comme je disais, nous connaissons tout le monde et si nous ne les connaissons pas, nous leur demandons leur carte. »

[112]     À la lumière de cette preuve, il est difficile d’écarter la conclusion de fait du juge de première instance selon laquelle les appelants peuvent s’accommoder du système qui leur est offert sans contrainte excessive. Le refus de leur part de se prévaloir de solutions pratiques mises à leur disposition ne saurait rendre inconstitutionnelles les mesures budgétaires. Il donne plutôt à penser que les appelants sont davantage motivés par le désir de conserver un avantage compétitif que par l’incapacité de gérer un système administratif que l’on ne saurait qualifier d’excessif. Malheureusement pour eux, le rôle des tribunaux n’est pas d’intervenir en semblable matière.

[113]     Force est de conclure que l’analyse du juge de première instance concernant la constitutionnalité des mesures budgétaires de 2011 ne comporte pas d’erreur.

3.7    L'intérêt juridique des appelants

[114]     Lors de sa plaidoirie en première instance, l’avocate du procureur général du Canada avance que les appelants n’ont pas d’intérêt pour agir, car les droits invoqués ne sont pas des droits individuels, mais plutôt des droits ancestraux collectifs qui appartiennent à la collectivité autochtone en général. À cet égard, elle établit une distinction entre la présente situation et la possibilité pour un accusé détenant le statut d’Indien de faire valoir un droit ancestral comme moyen de défense à l’occasion de procédures criminelles[72].

[115]     Les appelants détiennent tous le statut d’« Indien » au sens de la Loi sur les Indiens. Ils exploitent ou exploitaient des stations-service sur la réserve de Kahnawake. Il ressort du dossier que les appelants achètent des carburants de fournisseurs qui les livrent sur la réserve. Ils ne paient pas de TPS et de TVQ sur ces carburants; ils paient cependant un montant équivalant à la taxe sur les carburants. Ils ne perçoivent pas la TPS et la TVQ sur les ventes de carburants qu’ils effectuent dans leurs stations-service, peu importe que leurs clients détiennent ou non le statut d’Indien. Ils omettent également de remettre à l’ARQ les sommes qui auraient dû être perçues à ce chapitre. La majorité de leurs clients ne possèdent pas le statut d’Indien et ne bénéficient pas, quant à eux, d’une exemption du paiement de ces taxes.

[116]     Il n’est pas contesté que les procédures en jugement déclaratoire des appelants constituent une réponse à des mesures de recouvrement de taxes entreprises par le ministère du Revenu du Québec, remontant à 1994.

[117]     Au procès, à l’étape de la contre-preuve, Pearl-Ann Diome, une témoin qui connaissait la structure politique de la réserve, déclare que le Conseil de bande de Kahnawake ne souhaitait pas intervenir dans ces procédures. Elle s’exprime en ces termes : « […] the council refused to cooperate at all with this particular trial. They wanted nothing to do with us or what we’re doing. They’ve distanced themselves for some reason. »

[118]     En analysant la prétention des appelants selon laquelle le gouvernement fédéral a failli à son obligation de consultation découlant du principe de l’honneur de la Couronne[73], le juge de première instance écrit ceci :

[405] […] Il appert des témoignages et des plaidoiries que les requérants reprochent aux gouvernements de ne pas les avoir consultés en tant que commerçants autochtones lors de l’adoption du budget Bachand et de la loi qui y a donné suite.  À cet égard, ces commerçants ne représentent ni le Conseil de bande de Kahnawake ni, plus généralement, les membres de leur communauté et rien n’indique qu’ils auraient été dûment mandatés pour plaider l’invalidité des dispositions législatives et administratives fondée sur l’absence de consultation valable.

[406] Dans la récente affaire Behn, la Cour suprême du Canada a souligné que :

L’obligation de consultation existe pour la protection des droits collectifs des peuples autochtones.  C’est pourquoi elle est due au groupe autochtone titulaire des droits protégés par l’art. 35, qui sont par nature des droits collectifs […]

Un groupe autochtone peut toutefois autoriser un individu ou un organisme à le représenter en vue de faire valoir ses droits garantis par l’art. 35 [...].[74]

[407] Dans la présente affaire, même si les requérants sont tous des commerçants autochtones, leurs doléances n’ont, on l’a vu, rien à voir avec leurs droits ancestraux ou issus de traités ni non plus leurs droits collectifs autochtones.  Ils ne représentent pas leur communauté et rien dans leurs actes de procédure ne démontre qu’ils auraient reçu le mandat des membres de leur groupe de les représenter en rapport avec la prétendue violation de leurs droits autochtones.  En fait, le témoignage de Mme Diome à l’audience démontre plutôt le contraire.  Non seulement les requérants ne sont pas mandatés par le Conseil de bande de Kahnawake, mais ce dernier n’est pas non plus intervenu au dossier pour les appuyer dans leur démarche judiciaire proprement dite, même si, dans les derniers jours du procès, ce conseil a dépêché un avocat dans la salle d’audience à titre d’« observateur ».  Si une obligation de consulter existait,
ce qui n’est pas le cas, ce serait à la limite à l’égard de la communauté en général et non à l’égard de quelques commerçants en particulier.

[Référence omise]

[119]     En appel, le procureur général du Canada a réitéré cette position dans son mémoire, mais n’en a pas fait mention lors de l’audience. Le procureur général du Québec ne s’est pas prononcé sur la question, que ce soit dans son mémoire ou lors de l’audience.

[120]     Avec égards, la Cour est d’avis que les appelants avaient un intérêt suffisant en ce qui concerne leur demande visant à obtenir un jugement déclaratoire. Le point de départ de toute discussion à ce sujet est l’article 55 du Code de procédure civile, lequel était en vigueur lorsque les procédures ont été entreprises en 1994 :

55. Celui qui forme une demande en justice, soit pour obtenir la sanction d'un droit méconnu, menacé ou dénié, soit pour faire autrement prononcer sur l'existence d'une situation juridique, doit y avoir un intérêt suffisant.[75]

 

55. Whoever brings an action at law, whether for the enforcement of a right which is not recognized or is jeopardized or denied, or otherwise to obtain a pronouncement upon the existence of a legal situation, must have a sufficient interest therein.

 

[121]     Ici, une analogie peut être faite avec le droit d’un accusé d’invoquer un droit collectif comme fondement de sa défense à une accusation criminelle. Les appelants ont été directement appelés à appliquer les dispositions contestées, et non les autres personnes détenant le statut d’Indien et vivant sur la réserve, au nom de qui le Conseil de bande agit. Les appelants sont également susceptibles de subir personnellement les conséquences financières du non-respect de ces dispositions, un facteur rendant l’analogie avec le contexte criminel encore plus pertinente.

[122]     De plus, l’article 55 C.p.c. fait explicitement état du droit d’une personne d’intenter un recours « pour obtenir la sanction d’un droit méconnu, menacé ou dénié », ce qui est précisément le cas des appelants. Ils ne réclament pas l’existence d’un droit individuel, mais plutôt celle d’un droit collectif qui s’applique à eux dans les circonstances particulières de la présente affaire.

[123]     Dans le contexte de l’analyse de la question de l’intérêt pour agir, prétendre que la recherche d’une conclusion quant à l’existence d’un droit en faveur des appelants peut être écartée de manière préliminaire en arguant l’inexistence dudit droit est un raisonnement pouvant être qualifié de circulaire. Cela revient à confondre le droit qu’une question soit tranchée au fond avec la question de savoir si le droit invoqué existe.

[124]     Manifestement, les appelants ne sont pas de simples observateurs qui s’immiscent dans une affaire qui ne les concerne pas. Ils ne sont pas de purs étrangers au redressement recherché dans leur requête en jugement déclaratoire. Au contraire, ils tireraient un avantage évident dans le cas d’un jugement favorable.

[125]     Indépendamment de ce qui précède, dans le récent arrêt unanime de la Cour suprême du Canada dans Behn[76], sur lequel le juge de première instance s’est appuyé, le juge LeBel a reconnu spécifiquement que des droits collectifs peuvent avoir des aspects individuels. Il s’exprime ainsi :

[33] La Couronne soutient que les demandes fondées sur des droits issus de traités doivent être présentées par la collectivité autochtone ou en son nom. Cette proposition générale est trop restrictive. Il est vrai que les droits ancestraux et issus de traités sont, de par leur nature, des droits collectifs : voir R. c. Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1112; Delgamuukw, par. 115; R. c. Sundown, 1999 CanLII 673 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 393, par. 36; R. c. Marshall, 1999 CanLII 666 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 533, par. 17 et 37; R. c. Sappier, 2006 CSC 54(CanLII), [2006] 2 R.C.S. 686, par. 31; Beckman, par. 35. Toutefois, certains droits, bien que la collectivité autochtone en soit titulaire, sont néanmoins exercés par des membres à titre individuel ou attribués à ceux-ci.  De tels droits peuvent par conséquent posséder des attributs à la fois collectifs et individuels.  Il est possible que des membres de la collectivité possèdent à titre individuel un intérêt acquis dans la protection de ces droits.  Comme certains intervenants l’ont fait valoir, il se peut fort bien que, lorsque les circonstances s’y prêtent, des membres d’une collectivité puissent être en mesure d’invoquer à titre individuel certains droits ancestraux ou issus de traités.

[34] Des suggestions intéressantes ont été faites à propos de la catégorisation des droits ancestraux et issus de traités.  Par exemple, les intervenants le Grand Conseil des Cris et l’Administration régionale crie en font état dans leur mémoire, au par. 14.  Ils y proposent de distinguer trois types de droits ancestraux et issus de traités : a) les droits exclusivement collectifs, b) les droits mixtes et c) les droits essentiellement individuels.  Ces intervenants ont également cherché à classer divers droits dans ces trois catégories.

[35] Ces suggestions témoignent de la diversité des droits ancestraux et issus de traités, mais j’éviterai, dans ce pourvoi, à ce stade de l’évolution du droit, de procéder à une catégorisation générale de ces droits et de tenter de tous les faire entrer dans la catégorie appropriée. Il suffit de reconnaître qu’en dépit de l’importance cruciale que revêt l’aspect collectif des droits ancestraux et issus de traités, des droits peuvent parfois être attribués à des membres des collectivités autochtones ou exercés par eux sur une base individuelle, ou encore être créés en leur faveur.  On pourrait affirmer, de façon générale, que ces droits leur appartiendraient peut-être ou qu’ils comporteraient un aspect individuel malgré leur nature collective. Il ne convient pas d’en dire davantage pour l’instant.

[Notre soulignement]

[126]     Ainsi en est-il dans le cas des appelants. Les droits qu’ils invoquent « comporte[nt] un aspect individuel malgré leur nature collective ». Cet aspect individuel leur octroie l’intérêt suffisant pour ester en justice. En effet, en tant que détaillants de carburants, les appelants sont parmi les principaux commerçants sur le territoire de la réserve. Par conséquent, ils ont un plus grand intérêt, que ce soit sur le plan juridique ou autrement, que les autres membres de la communauté ou la communauté en général. La Cour conclut donc que les appelants avaient un intérêt suffisant pour former une demande en jugement déclaratoire, visant à déterminer si les droits ancestraux qu’ils invoquent s’appliquent dans les circonstances de l’espèce.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[127]     REJETTE l’appel, avec dépens.

 

 

 

 

 

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

 

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

Me Thimothé Huot

Me Angela Markakis

Me Carolyn McCarthy

Spiegel Sohmer inc.

Pour les appelants

 

Me Patrice Peltier-Rivest

Me Nicolas Ammerlaan

Larivière Meunier

Pour l'Agence du Revenu du Québec, la procureure générale du Québec et le sous-ministre du Revenu du Québec

 

Me Nancy Bonsaint

Me Stéphanie Dépeault

Ministère de la justice Canada

Pour la procureure générale du Canada

 

 

Date d’audience :

9 novembre 2015




ANNEXE 1

 

 

Version originale

[…]

And whereas it is just and reasonable, and essential to our Interest, and the Security of our Colonies, that the several Nations or Tribes of Indians with whom We are connected, and who live under our Protection, should not be molested or disturbed in the Possession of such Parts of Our Dominions and Territories as, not having been ceded to or purchased by Us, are reserved to them, or any of them, as their Hunting Grounds. — We do therefore, with the Advice of our Privy Council, declare it to be our Royal Will and Pleasure, that no Governor or Commander in Chief in any of our Colonies of Quebec, East Florida, or West Florida, do presume, upon any Pretence whatever, to grant Warrants of Survey, or pass any Patents for Lands beyond the Bounds of their respective Governments, as described in their Commissions; as also that no Governor or Commander in Chief in any of our other Colonies or Plantations in America do presume for the present, and until our further Pleasure be known, to grant Warrants of Survey, or pass Patents for any Lands beyond the Heads or Sources of any of the Rivers which fall into the Atlantic Ocean from the West and North West, or upon any Lands whatever, which, not having been ceded to or purchased by Us as aforesaid, are reserved to the said Indians, or any of them.

And We do further declare it to be Our Royal Will and Pleasure, for the present as aforesaid, to reserve under our Sovereignty, Protection, and Dominion, for the use of the said Indians, all the Lands and Territories not included within the Limits of Our said Three new Governments, or within the Limits of the Territory granted to the Hudson's Bay Company, as also all the Lands and Territories lying to the Westward of the Sources of the Rivers which fall into the Sea from the West and North West as aforesaid.

And We do hereby strictly forbid, on Pain of our Displeasure, all our loving Subjects from making any Purchases or Settlements whatever, or taking Possession of any of the Lands above reserved, without our especial leave and Licence for that Purpose first obtained.

And, We do further strictly enjoin and require all Persons whatever who have either wilfully or inadvertently seated themselves upon any Lands within the Countries above described, or upon any other Lands which, not having been ceded to or purchased by Us, are still reserved to the said Indians as aforesaid, forthwith to remove themselves from such Settlements.

And whereas great Frauds and Abuses have been committed in purchasing Lands of the Indians, to the great Prejudice of our Interests, and to the great Dissatisfaction of the said Indians; In order, therefore, to prevent such Irregularities for the future, and to the end that the Indians may be convinced of our Justice and determined Resolution to remove all reasonable Cause of Discontent, We do, with the Advice of our Privy Council strictly enjoin and require, that no private Person do presume to make any purchase from the said Indians of any Lands reserved to the said Indians, within those parts of our Colonies where, We have thought proper to allow Settlement; but that, if at any Time any of the Said Indians should be inclined to dispose of the said Lands, the same shall be Purchased only for Us, in our Name, at some public Meeting or Assembly of the said Indians, to be held for that Purpose by the Governor or Commander in Chief of our Colony respectively within which they shall lie; and in case they shall lie within the limits of any Proprietary Government, they shall be purchased only for the Use and in the name of such Proprietaries, conformable to such Directions and Instructions as We or they shall think proper to give for that Purpose; And we do, by the Advice of our Privy Council, declare and enjoin, that the Trade with the said Indians shall be free and open to all our Subjects whatever, provided that every Person who may incline to Trade with the said Indians do take out a Licence for carrying on such Trade from the Governor or Commander in Chief of any of our Colonies respectively where such Person shall reside, and also give Security to observe such Regulations as We shall at any Time think fit, by ourselves or by our Commissaries to be appointed for this Purpose, to direct and appoint for the Benefit of the said Trade:

And we do hereby authorize, enjoin, and require the Governors and Commanders in Chief of all our Colonies respectively, as well those under Our immediate Government as those under the Government and Direction of Proprietaries, to grant such Licences without Fee or Reward, taking especial Care to insert therein a Condition, that such Licence shall be void, and the Security forfeited in case the Person to whom the same is granted shall refuse or neglect to observe such Regulations as We shall think proper to prescribe as aforesaid.

And we do further expressly enjoin and require all Officers whatever, as well Military as those Employed in the Management and Direction of Indian Affairs, within the Territories reserved as aforesaid for the use of the said Indians, to seize and apprehend all Persons whatever, who standing charged with Treason, Misprisions of Treason, Murders, or other Felonies or Misdemeanors, shall fly from Justice and take Refuge in the said Territory, and to send them under a proper guard to the Colony where the Crime was committed of which they stand accused, in order to take their Trial for the same.

[…]


Version française

[…]

Attendu qu'il est juste, raisonnable et essentiel pour Notre intérêt et la sécurité de Nos colonies de prendre des mesures pour assurer aux nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre protection, la possession entière et paisible des parties de Nos possessions et territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus ou quelques-unes d'entre elles comme territoires de chasse, Nous déclarons par conséquent de l'avis de Notre Conseil privé, que c'est Notre volonté et Notre plaisir et nous enjoignons à tout gouverneur et à tout commandant en chef de Nos colonies de Québec, de la Floride Orientale et de la Floride Occidentale, de n'accorder sous aucun prétexte des permis d'arpentage ni aucun titre de propriété sur les terres situées au-delà des limites de leur gouvernement respectif, conformément à la délimitation contenue dans leur commission. Nous enjoignons pour la même raison à tout gouverneur et à tout commandant en chef de toutes Nos autres colonies ou de Nos autres plantations en Amérique, de n'accorder présentement et jusqu'à ce que Nous ayons fait connaître Nos intentions futures, aucun permis d'arpentage ni aucun titre de propriété sur les terres situées au-delà de la tête ou source de toutes les rivières qui vont de l'ouest et du nord-ouest se jeter dans l'océan Atlantique ni sur celles qui ont été ni cédées ni achetées par Nous, tel que susmentionné, et ont été réservées pour les tribus sauvages susdites ou quelques-unes d'entre elles.

Nous déclarons de plus que c'est Notre plaisir royal ainsi que Notre volonté de réserver pour le présent, sous Notre souveraineté, Notre protection et Notre autorité, pour l'usage desdits sauvages, toutes les terres et tous les territoires non compris dans les limites de Nos trois gouvernements ni dans les limites du territoire concèdé à la Compagnie de la baie d'Hudson, ainsi que toutes les terres et tous les territoires situés à l'ouest des sources des rivières qui de l'ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer.

Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos sujets, sous peine de s'attirer Notre déplaisir, d'acheter ou posséder aucune terre ci-dessus réservée, ou d'y former aucun établissement, sans avoir au préalable obtenu Notre permission spéciale et une licence à ce sujet.

Et Nous enjoignons et ordonnons strictement à tous ceux qui en connaissance de cause ou par inadvertance, se sont établis sur des terres situées dans les limites des contrées décrites ci-dessus ou sur toute autre terre qui n'ayant pas été cédée ou achetée par Nous se trouve également réservée pour lesdits sauvages, de quitter immédiatement leurs établissements.

Attendu qu'il s'est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers, et afin d'empêcher qu'il ne se commette de telles irrégularités à l'avenir et de convaincre les sauvages de Notre esprit de justice et de Notre résolution bien arrêtée de faire disparaître tout sujet de mécontentement, Nous déclarons de l'avis de Notre Conseil privé, qu'il est strictement défendu à qui que ce soit d'acheter des sauvages, des terres qui leur sont réservées dans les parties de Nos colonies, ou Nous avons cru à propos de permettre des établissements; cependant si quelques-uns des sauvages, un jour ou l'autre, devenaient enclins à se départir desdites terres, elles ne pourront être achetées que pour Nous, en Notre nom, à une réunion publique ou à une assemblée des sauvages qui devra être convoquée a cette fin par le gouverneur ou le commandant en chef de la colonie, dans laquelle elles se trouvent situées; en outre, si ces terres sont situées dans les limites de territoires administrés par leurs propriétaires, elles ne seront alors achetées que pour l'usage et au nom des propriétaires, conformément aux directions et aux instructions que Nous croirons ou qu'ils croiront à propos de donner à ce sujet; de plus Nous déclarons et signifions de l'avis de Notre Conseil privé que Nous accordons à tous Nos sujets le privilège de commerce ouvert et libre, à condition que tous ceux qui auront l'intention de commercer avec lesdits sauvages se munissent de licence à cette fin, du gouverneur ou du commandant en chef de celle de Nos colonies dans laquelle ils résident, et qu'ils fournissent des garanties d'observer les règlements que Nous croirons en tout temps, à propos d'imposer Nous mêmes ou par l'intermédiaire de Nos commissaires nommés à cette fin, en vue d'assurer le progrès dudit commerce.

Nous autorisons par la présente les gouverneurs et les commandants en chef de toutes Nos colonies respectivement, aussi bien ceux qui relèvent de Notre autorité immédiate que ceux qui relèvent de l'autorité et de la direction des propriétaires, d'accorder ces licences gratuitement sans omettre d'y insérer une condition par laquelle toute licence sera déclarée nulle et la protection qu'elle conférera enlevée, si le porteur refuse ou néglige d'observer les règlements que Nous croirons à propos de prescrire. Et de plus Nous ordonnons et enjoignons à tous les officiers militaires et à ceux chargés de l'administration et de la direction des affaires des sauvages, dans les limites des territoires réservés à l'usage desdits sauvages, de saisir et d'arrêter tous ceux sur qui pèsera une accusation de trahison, de non-révélation d'attentat, de meurtre, de félonie ou de délits de tout genre et qui, pour échapper aux atteintes de la justice, auront cherché un refuge dans lesdits territoires, et de les renvoyer sous bonne escorte dans la colonie ou le crime dont ils seront accusés aura été commis et pour lequel ils devront subir leur procès.

[…]

 



[1]     Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), c. I-5.

[2]     Leclaire c. Agence du revenu du Québec, J.E. 2014-13 (C.S.), 2013 QCCS 6083 [Jugement dont appel].

[3]     Les faits sont décrits par le juge dans la partie III de son jugement. Les appelants souscrivent à son exposé, de sorte qu’un résumé suffit ici.

[4]     Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), c. E-15, Partie IX (art. 122 et suivants).

[5]     Loi sur la taxe de vente du Québec, RLRQ, c. T-0.1.

[6]     Décret 1274-90 concernant la signature d’une entente fédérale-provinciale sur le transfert au Québec de l’administration de la TPS fédérale sur le territoire du Québec et sur une certaine harmonisation du régime provincial des taxes à la consommation, (1991) G.O. II, 24. Jusqu’au 1er avril 2010, l’administration de la TPS et de la TVQ était la responsabilité du ministre du Revenu du Québec. À cette date, elle a été confiée à l’intimée Agence du Revenu du Québec (ARQ).

[7]     Il s’agit de l’actuelle Loi concernant la taxe sur les carburants, RLRQ, c. T-1.

[8]     Le mot Indien est utilisé lorsque le droit ou l’exemption revendiqués sont liés au statut d’Indien découlant de la Loi sur les Indiens.

[9]     Le juge résume les conclusions recherchées initialement au paragr. 37 du jugement dont appel.

[10]    Leclaire c. Québec (Procureur général), J.E. 94-1301 (C.S.).

[11]    Sauf en ce qui concerne une requête en péremption d’instance accueillie en octobre 2004, jugement dont les intimés se sont désistés le 27 mai 2005.

[12]    Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[13]    Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3.

[14]    Picard c. Québec (Procureur général), J.E. 2007-1053 (C.S.), 2007 QCCS 2122.

[15]    La transaction a été entérinée le 9 décembre 2011 (jugement rectifié le 13 janvier 2012) : Picard c. Québec (Procureur général), [2012] 2 C.N.L.R. 172 (C.S.), 2011 QCCS 7095.

[16]    Loi donnant suite au discours sur le budget du 17 mars 2011 et modifiant diverses dispositions législatives, L.Q. 2011, c. 34.

[17]    Loi concernant la taxe sur les carburants, supra, note 7, art. 12.1 et Règlement d’application de la Loi concernant la taxe sur les carburants, RLRQ c. T-1, r. 1, art. 12.1R1.

[18]    Loi concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 17.3 et Règlement d’application de la Loi concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 17.3R1.

[19]    Loi concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 10.2.1 et Règlement d’application de la Loi concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 10.2.1R1.

[20]    Voir le paragraphe 135 du jugement dont appel.

[21]    R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, paragr. 31, 36, 43 et 49.

[22]    Ibid., paragr. 51 à 75. Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), [2011] 3 R.C.S. 535, 2011 CSC 56, paragr. 46.

[23]    Leclaire c. Agence du revenu du Québec, supra, note 2, paragr. 141. Devant notre Cour, les appelants écrivent dans leur mémoire « that they have an aboriginal right of trade simpliciter ».

[24]    Ibid., paragr. 142.

[25]    Ibid., paragr. 147.

[26]    Ibid, paragr. 149 à 153.

[27]    Ibid., paragr. 167 à 183.

[28]    R. c. Van der Peet, supra, note 21, paragr. 63 et 64.

[29]    Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), supra, note 22.

[30]    Supra, note 21, paragr. 87.

[31]    R. c. Sappier; R. c. Gray, [2006] 2 R.C.S. 686, 2006 CSC 54, paragr. 25.

[32]    R. c. Van der Peet, supra, note 21, paragr. 23.

[33]    Un extrait de la Proclamation royale de 1763 est reproduit à l’Annexe 1. Les passages soulignés correspondent à la clause de commerce sur laquelle les appelants fondent leur droit de commercer librement et sans entraves.

[34]    Les appelants réfèrent aux motifs du juge Lamer dans R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, 1064.

[35]    Ibid.

[36]    Supra, note 21.

[37]    Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[38]    Supra, note 34, 1063 et 1064.

[39]    Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, édition sur feuilles mobiles, vol. 1, Toronto, Carswell, 2015, p. 28-64. Voir aussi : Bradford W. Morse, « Aboriginal and Treaty Rights in Canada », dans Errol Mendes et Stéphane Beaulac (dir.), Charte canadienne des droits et libertés, 5e éd., Markham, LexisNexis, 2013, p. 1171, aux pages 1229, 1302 et 1303; Gérald-A. Beaudoin, Les droits et libertés au Canada, avec la collaboration de Pierre Thibault, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 711, citant W. R. Lederman, « Quelques commentaires sur les répercussions de la Charte canadienne des droits et libertés sur les droits et libertés des peuples autochtones du Canada », (1989) 19 Recherches amérindiennes au Québec 25, 26; R. v. Augustine (1986), 30 C.C.C. (3d) 542 (N.B.C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 2 février 1987, 20178; Campbell v. British Columbia, [2000] 4 C.N.L.R. 1 (B.C.S.C.), 2000 BCSC 1123.

[40]    Il s’agit de la partie surlignée à l’annexe 1.

[41]    Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, 885-887. Rappelons qu'en pareille matière l'approche téléologique prévaut : Succession Bastien c. Canada, [2011] 2 R.C.S. 710, 2011 CSC 38, paragr. 21.

[42]    Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445.

[43]    Renvoi relatif à la taxe de vente du Québec, [1994] 2 R.C.S. 715.

[44]    Ibid., 720.

[45]    Re Hill and Minister of Revenue et al., [1986] 1 C.N.L.R. 22 (Ont. H. Ct. J.).

[46]    Obonsawin c. Canada, [2010] 3 C.N.L.R. 143 (C.C.I.), 2010 CCI 222, conf. par [2011] 3 C.N.L.R. 298 (C.A.F.), 2011 CAF 152, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 9 février 2012, 34341. Au même effet : Pictou c. Canada, [2000] A.C.I. n° 321 (C.C.I.), conf. par [2003] C.F. 737 (C.A.F.), 2003 CAF 9, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 26 juin 2003, 29654.

[47]    Williams c. Canada, supra, note 41, p. 887.

[48]    Loi concernant la taxe sur les carburants, supra, note 7, art. 10.2.1; Affidavit et témoignage d’André J. Santerre; Affidavit et témoignage de Nathalie Pronovost; Pièce AS-35, Québec, Agence du Revenu, pages informationnelles : mécanisme de gestion de l’exception fiscale des Indiens en matière de taxe sur les carburants, 2011, mémoire des intimées l’Agence du revenu du Québec et la Procureure générale du Québec, vol. 3-4, p. 1048; Pièce AS-36, Québec, Agence du Revenu, Guide du vendeur au détail IN-258, 2011, mémoire des intimées l’Agence du revenu du Québec et la Procureure générale du Québec, vol. 3-4, p. 1051 et 1056.

[49]    À titre d’exemple, voir : Chehalis Indian Band v. B.C. (Dir., Motor Fuel Tax Act), [1989] 1 C.N.L.R. 62 (B.C.C.A.); Tseshaht Indian Band v. British Columbia, [1992] 4 C.N.L.R. 171 (B.C.C.A.); Laforme v. Ontario (Minister of finance), [1999] 1 C.N.L.R. 84 (Ont. Ct. J.); R. v. Merasty, [1997] 3 C.N.L.R. 241 (Sask. Prov. Ct.).

[50]    À titre d’exemple, voir : Re Hill and Minister of Revenue et al., supra, note 45; Gros-Louis c. Bouchard, [1995] R.D.F.Q. 153 (C.S.); Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Vincent, [1996] R.J.Q. 239 (C.A.); R. v. Johnson, [1997] 2 C.N.L.R. 103 (N.S.C.A.); Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bujold, [2001] J.Q. n° 6346 (C.Q.) (QL); Conway c. Québec (Sous-ministre du Revenu), J.E. 2009-1964 (C.Q.), 2009 QCCQ 9854; R. v. Joe, [2008] 4 C.T.C. 176 (B.C.S.C.), 2008 BCSC 315; R. v. Fontaine, [1998] 4 C.N.L.R. 194 (Man. Prov. Ct.).

[51]    Québec (Procureur général) c. Lacombe, [2010] 2 R.C.S. 453, 2010 CSC 38, paragr. 20.

[52]    Ibid., paragr. 24.

[53]    Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, supra, note 39, p. 15-9.

[54]    Règlement d'application de la Loi concernant la taxe sur les carburants, supra, note 17.

[55]    Ibid., art. 17.4R1.

[56]    Ibid., art. 12.1R1 et 17.3R1.

[57]    Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, paragr. 178.

[58]    Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, 2007 CSC 22, paragr. 60 et 61.

[59]    Delgamuukw c. Colombie-Britannique, supra, note 57, paragr. 179.

[60]    Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31, paragr. 66; Cardinal c. Alberta (Procureur général), [1974] R.C.S. 695, 702.

[61]    Voir aussi : Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bujold, supra, note 50, paragr. 29 et 30.

[62]    Laforme v. Canada (Ministre des Finances), supra, note 49, paragr. 16, R. v. Johnson, supra, note 50, p. 148 et 149.

[63]    Tseshaht Indian Band v. Colombie-Britannique, supra, note 49.

[64]    Laforme v. Canada (Ministre des Finances), supra, note 49.

[65]    R. v. Johnson, supra, note 50.

[66]    Ayant confirmé la validité des dispositions, il n’est pas nécessaire d’examiner si elles sont suffisamment intégrées au système réglementaire (voir : General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 666 et 667). Tout argument quant à la prépondérance fédérale est également sans pertinence en l’absence de conflit entre les dispositions à l’étude et une loi fédérale valide (voir : Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, [2010] 2 R.C.S. 536, 2010 CSC 39, paragr. 64; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, 191). En effet, les mesures budgétaires visent à respecter l’exemption tout en veillant à prévenir tout détournement. Voir aussi : Laforme v. Ontario (Minister of Finance), supra, note 49; R. v. Johnson, supra, note 50, p. 148 et 149.

[67]    Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, [2014] 2 R.C.S. 257, 2014 CSC 44, paragr. 140.

[68]    R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075.

[69]    Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, supra, note 67, paragr. 151.

[70]    Williams c. Canada, supra, note 41, 885 et 886.

[71]    Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, 131; Succession Bastien c. Canada, supra, note 41; McDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God's Lake, [2006] 2 R.C.S. 846, 2006 CSC 58, paragr. 27.

[72]    Le procureur général du Québec ne s’est pas penché sur cet argument portant sur l’intérêt pour agir des appelants, bien que la question ait été abordée par l’un de ses avocats dans une réponse à une question posée par le juge de première instance portant sur l’obligation de consultation.

[73]    R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, 794; Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73, paragr. 16-18.

[74]    Soulignements ajoutés par le juge de première instance.

[75]    Le premier alinéa de l’article 85 du Code de procédure civile entré en vigueur le 1er janvier 2016 reprend cette disposition en des termes similaires, tandis que le second alinéa codifie des principes émanant de la jurisprudence eu égard aux questions d’intérêt public.

[76]    Behn c. Moulton Contracting Ltd., [2013] 2 R.C.S. 227, 2013 CSC 26.

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