Commissaire à la déontologie policière c. Vig |
2018 QCCDP 43 |
COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE |
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MONTRÉAL |
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DOSSIER : |
C-2015-4062-3 (13-0896-2) |
LE 26 OCTOBRE 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE LOUISE RIVARD, JUGE ADMINISTRATIF |
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le commissaire à la déontologie policière |
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c. |
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L’agent SANJAY VIG, matricule 5144 |
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Membre du Service de police de la Ville de Montréal |
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DÉCISION |
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[1] Le 17 septembre 2015, le Commissaire à la déontologie policière (Commissaire) dépose au Comité de déontologie policière (Comité) la citation suivante :
« Le Commissaire à la déontologie policière cite devant le Comité de déontologie policière l’agent Sanjay Vig, matricule 5144, membre du Service de police de la Ville de Montréal, à la suite de l’ordonnance de citer rendue le 2 septembre 2015 dans le dossier R-2015-1580 :
Lequel, à Montréal, le ou vers
le 18 juillet 2012, alors qu’il était dans l’exercice de ses fonctions, n’a pas
respecté l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de monsieur Khalid
El-Dabbagh, commettant autant d’actes dérogatoires prévus à l’article
1. en exigeant de lui un cautionnement sans lui avoir signifié au préalable un constat d’infraction;
2. en l’arrêtant sans droit;
3. en utilisant la force sans droit contre lui. »
[2] M. Khalid El-Dabbagh a témoigné pour le Commissaire. Les policiers Mathieu Chassé et Sanjay Vig, membres du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), ont témoigné pour la partie policière.
FAITS
Version du Commissaire
Khalid El-Dabbagh
[3] Le 18 juillet 2012, M. El-Dabbagh conduit son véhicule à une vitesse d’environ 30 km/h sur le boulevard Côte-de-Liesse, à Montréal, lorsqu’il aperçoit un véhicule de police stationné sur le côté.
[4] Un policier, l’agent Vig, est au milieu de la route. M. El-Dabbagh applique les freins, diminue sa vitesse à environ 10 km/h et passe approximativement à un mètre du policier. Ce dernier lui fait signe de se ranger, ce qu’il fait.
[5] Le policier vient le voir et s’adresse à lui en français. M. El-Dabbagh doit lui demander à trois reprises de lui parler en anglais, ce que l’agent finit par faire en lui mentionnant : « You almost ran me over ».
[6] M. El-Dabbagh répond qu’il ne l’a pas vu et qu’il a appliqué les freins aussitôt qu’il l’a vu. Le policier lui dit qu’il va payer le prix pour cela. Cette conversation a une durée d’environ cinq minutes.
[7] M. El-Dabbagh demande au policier pourquoi il a été intercepté. Ce dernier lui répond qu’il a franchi une ligne continue.
[8] M. El-Dabbagh lui dit qu’il n’a pas vu la ligne continue. Le policier répond qu’il a été filmé par caméra. M. El-Dabbagh lui demande de lui indiquer où se trouve cette caméra.
[9] Le policier lui dit qu’il paiera une forte amende pour avoir franchi la ligne continue et qu’il recevra un constat d’infraction. M. El-Dabbagh lui répond qu’il contestera le constat, qu’il ne paiera pas.
[10] M. El-Dabbagh admet avoir haussé le ton quand il a demandé au policier de lui parler en anglais, ce qu’il a dû faire à plusieurs reprises. Le policier ne l’écoutait pas et criait sans arrêt.
[11] M. El-Dabbagh tente de dire au policier que, depuis qu’il est revenu au Québec, beaucoup de choses ont changé et qu’il y a de nouvelles règles. Le policier n’écoute pas ce qu’il lui dit.
[12] M. El-Dabbagh informe le policier qu’il est revenu récemment au Québec en provenance de l’Alberta. À ce moment, le policier se rend à l’arrière du véhicule et regarde la plaque d’immatriculation.
[13] Par la suite, le policier s’approche de la portière et demande à M. El-Dabbagh s’il a de l’argent comptant sur lui pour le payer. M. El-Dabbagh lui demande pourquoi il exige de l’argent comptant.
[14] M. El-Dabbagh tente de rendre le policier sympathique à sa situation pour faire en sorte que ce dernier le laisse partir en lui donnant seulement un avis verbal. Le policier lui dit qu’il doit payer pour le constat d’infraction.
[15] L’agent Vig lui dit que, vu qu’il n’a pas d’argent, il doit lui donner son permis de conduire. M. El-Dabbagh dit au policier qu’il ne retournera pas en Alberta avant un bon moment.
[16] Il remet au policier son permis de conduire. L’agent Vig lui demande de nouveau de l’argent comptant et lui dit qu’il peut se présenter à un guichet automatique pour en retirer. Il répond au policier qu’il ne lui donnera aucune somme d’argent.
[17] L’agent Vig n’a jamais dit pourquoi il exigeait de l’argent comptant immédiatement de la part de M. El-Dabbagh ni indiqué le montant qu’il demandait.
[18] Le policier retourne à son véhicule. Deux minutes s’écoulent avant qu’il s’approche du véhicule de M. El-Dabbagh et exige de nouveau de l’argent comptant. M. El-Dabbagh avise le policier qu’il ne lui donnera aucune somme d’argent.
[19] L’agent Vig lui demande s’il a une carte de crédit. Ensuite, il lui demande son certificat d’immatriculation. M. El-Dabbagh ne le trouve pas. Le policier retourne au véhicule de police.
[20] Après environ 20 minutes, l’agent Vig s’approche du véhicule de M. El-Dabbagh et lui demande à nouveau s’il a de l’argent.
[21] Ce dernier lui indique qu’il a ses licences de l’Alberta, mais non du Québec. Il ajoute qu’il n’a pas l’intention de retourner en Alberta. L’agent Vig retourne au véhicule de police.
[22] Une minute plus tard, l’agent Vig revient frapper à la fenêtre du conducteur et informe M. El-Dabbagh qu’il est en état d’arrestation. Le policier ouvre la portière du véhicule, lui demande de l’argent comptant et l’agrippe pour le faire sortir, sans jamais lui demander d’en sortir, alors qu’il a la ceinture de sécurité attachée. Le policier demande à son collègue de l’aider à sortir M. El-Dabbagh du véhicule et ils le mettent à terre.
[23] Les policiers lui passent les menottes, lui donnent ses droits et l’aident à se relever et à s’asseoir sur la banquette arrière du véhicule de police.
[24] Étant donné que sa passagère, son amie Natasha, n’a pas de permis de conduire, le véhicule de M. El-Dabbagh est remorqué à la fourrière.
[25] Alors qu’il est au centre de détention, trois constats d’infraction sont remis à M. El-Dabbagh : un constat d’infraction pour entrave, un autre pour avoir traversé une ligne continue et le troisième pour ne pas avoir eu les papiers d’assurance ni ceux d’enregistrement du véhicule[1].
[26] M. El-Dabbagh s’entretient avec son avocat. Ce dernier lui recommande de payer les contraventions et de les contester par la suite, ce qu’il a fait.
[27] M. El-Dabbagh acquitte la somme de 937 $ avec sa carte de crédit. Un reçu de transaction[2] lui est donné.
[28] Le 12 juin 2014, M. El-Dabbagh est trouvé coupable devant la cour municipale d’avoir franchi une ligne continue et il est acquitté des deux autres contraventions[3].
Version policière
Mathieu Chassé
[29] Le 18 juillet 2012, l’agent Chassé est sur la relève de jour. Vers 14 h 30, il travaille en solo et effectue une opération policière en application du Code de la sécurité routière[4] quant au respect de la ligne pleine continue.
[30] Il y a deux véhicules de police sur place avec gyrophares allumés, ceci pour s’assurer d’être vus de façon sécuritaire, qu’il y ait ou non des interceptions. Le véhicule de l’agent Vig est placé à l’avant du sien. Les policiers sont vêtus de leur uniforme de police avec par-dessus une veste fluorescente pour être remarqués de loin.
[31] À un moment donné, l’agent Chassé entend une révolution de moteur d’un véhicule. Il voit l’agent Vig éviter un véhicule qui fonce vers lui en se déplaçant vers l’accotement. Il y avait pourtant suffisamment de place pour passer. Le véhicule se range plus loin.
[32] L’agent Chassé s’empresse de remettre un constat d’infraction à un autre conducteur et, en moins d’une minute, il rejoint l’agent Vig.
[33] Le conducteur au volant du véhicule intercepté, M. El-Dabbagh, fait des gestes très agressifs et crie si fort que c’est perceptible de l’extérieur.
[34] L’agent Vig s’approche de M. El-Dabbagh, s’adresse à lui en français puis en anglais et lui dit pourquoi il l’intercepte. Il lui demande aussi pourquoi il a foncé sur lui. M. El-Dabbagh lui répond qu’il avait juste à se tasser.
[35] L’agent Vig est respectueux mais directif lorsqu’il lui demande son permis de conduire, ses papiers d’assurance et son immatriculation.
[36] M. El-Dabbagh continue d’être injurieux, ne bouge pas et ne donne pas ses papiers, tel qu’il est requis. L’agent Vig répète à plusieurs reprises ses demandes. M. El-Dabbagh le coupe constamment et ne le laisse pas parler. L’agent Vig lui dit que, s’il ne cesse pas, il l’arrêtera pour refus de s’identifier. M. El-Dabbagh lui répond qu’il peut lui donner tous les constats d’infraction qu’il veut puisqu’il retourne en Alberta et qu’il ne paiera pas. L’agent Vig lui demande de répéter ce qu’il lui a dit et il le fait.
[37] L’agent Vig vérifie la plaque d’immatriculation. Celle-ci est de l’Alberta. Il informe M. El-Dabbagh qu’il lui demandera un cautionnement en raison de ses mauvaises intentions. M. El-Dabbagh lui répond qu’il ne paiera pas, qu’il n’a pas d’argent.
[38] L’agent Vig lui dit en quoi consiste un cautionnement et comment le tout se déroulera. M. El-Dabbagh est injurieux et ne collabore pas.
[39] L’agent Vig lui demande de sortir du véhicule. M. El-Dabbagh répond qu’il n’a pas d’argent, qu’il ne paiera pas et qu’il ne sortira pas de son véhicule. L’agent Vig l’avise que, vu qu’il n’écoute pas, il l’arrête pour entrave.
[40] M. El-Dabbagh résiste, tient son volant et refuse de sortir. Il est mis en état d’arrestation vers 15 h 15.
[41] L’agent Vig fait une prise au niveau d’un doigt de M. El-Dabbagh pour lui faire lâcher le volant. La ceinture de sécurité est encore attachée. L’agent Chassé ouvre la portière arrière, la détache et ils le sortent. La mise des menottes est effectuée et l’agent Vig fait une fouille sommaire de M. El-Dabbagh avant que celui-ci soit placé dans le véhicule de police.
[42] M. El-Dabbagh est arrêté pour entrave et refus de payer le cautionnement. Ses droits lui sont donnés.
[43] L’agent Chassé contacte son superviseur pour discuter de l’intervention, selon la procédure du service de police. L’agent Vig le rejoint dans le véhicule et ils concluent qu’il y a eu agression armée de la part de M. El-Dabbagh, au volant de son véhicule, lorsqu’il a foncé vers l’agent Vig.
[44] Les policiers avaient des motifs raisonnables de croire que M. El-Dabbagh voulait échapper à la justice. Pour eux, c’était un motif suffisant pour l’arrêter et le détenir jusqu’à sa comparution.
[45] Le véhicule de M. El-Dabbagh est demeuré sur place jusqu’à ce que la dépanneuse arrive, soit de 15 h 45 à 15 h 53.
Sanjay Vig
[46] Le 18 juillet 2012, l’agent Vig est affecté à une opération de sécurité routière avec l’agent Chassé sur le rond-point situé au-dessus du boulevard de l’Acadie. Il porte l’uniforme avec par-dessus une veste fluorescente.
[47] Vers 15 h 7, un véhicule franchit la ligne blanche continue à une vitesse d’environ 20 km/h. L’agent Vig constate l’infraction, se dirige dans la voie de circulation et, avec les bras en l’air, il donne deux coups de sifflet. Le véhicule s’immobilise à une distance d’environ 25 ou 30 pieds devant le policier.
[48] Le conducteur, M. El-Dabbagh, crie, gesticule avec les bras et montre son poing. Il est furieux et utilise un langage injurieux à plusieurs reprises tel que « Fuck » et d’autres termes vulgaires. Il est accompagné d’une femme.
[49] L’agent Vig lui fait signe de se ranger à sa gauche dans l’accotement. Soudainement, il entend le moteur du véhicule révolutionner. M. El-Dabbagh accélère et, à environ trois pieds des genoux du policier, il donne un coup sec. Le policier doit reculer sur l’accotement pour éviter d’être frappé.
[50] L’agent Vig s’approche du véhicule. M. El-Dabbagh baisse la fenêtre et lui demande à plusieurs reprises ce qu’il veut, en criant encore des propos déplacés.
[51] L’agent Vig l’informe qu’il a traversé une ligne continue et lui demande pourquoi il a tenté de le frapper. Constatant que M. El-Dabbagh ne comprend pas, il répète en anglais ce qu’il vient de lui dire. M. El-Dabbagh lui répond qu’il avait simplement à se déplacer.
[52] L’agent Vig lui demande ses papiers. M. El-Dabbagh refuse. Après plusieurs demandes, au moins cinq, le policier avertit M. El-Dabbagh que, s’il continue de refuser, il sera obligé de l’arrêter pour entrave à un agent de la paix.
[53] L’agent Vig n’a jamais crié, mais a été directif. Il lui a demandé son permis de conduire à au moins cinq reprises et lui a donné toutes les explications d’usage en anglais.
[54] Finalement, M. El-Dabbagh lui remet son permis de conduire. Il lui dit qu’il n’a pas ses autres papiers. Il ajoute que le policier peut faire ce qu’il veut, qu’il peut lui donner tous les constats d’infraction qu’il veut, qu’il ne demeure pas ici, qu’il retournera en Alberta et qu’il ne reviendra jamais au Québec.
[55] L’agent Vig informe M. El-Dabbagh des dispositions de la loi provinciale, à savoir que, si le contrevenant dit clairement qu’il quittera la province sans acquitter la contravention, dans ce cas, le policier a le droit d’exiger un cautionnement et le contrevenant doit payer le montant du constat d’infraction immédiatement. Le policier lui explique cette procédure quatre ou cinq fois pour s’assurer qu’il a bien compris.
[56] L’agent Vig lui demande s’il comprend. M. El-Dabbagh répond que cela lui est égal et que le policier peut lui donner tous les constats qu’il veut, qu’il retournera en Alberta et qu’il ne paiera pas. Le policier lui dit que, vu son attitude, il doit lui payer le montant de la contravention immédiatement.
[57] Il est clair pour l’agent Vig que M. El-Dabbagh a compris et il est convaincu que ce dernier quittera la province sans payer, qu’il ne se présentera pas devant le tribunal et qu’il veut échapper à la justice. Il ajoute que si M. El-Dabbagh ne paie pas, il sera obligé de le détenir et qu’il devra comparaître devant un juge le lendemain. Il lui dit qu’il peut payer avec une carte de crédit ou de débit s’il n’a pas d’argent comptant sur lui.
[58] L’agent Vig confirme avec l’agent Chassé, qui est à côté de lui, avoir bien compris ce que M. El-Dabbagh a dit.
[59] L’agent Vig ordonne à M. El-Dabbagh de sortir de son véhicule, l’informe qu’il est en état d’arrestation pour avoir entravé un agent de la paix et avoir refusé de fournir un cautionnement.
[60] M. El-Dabbagh refuse de sortir du véhicule. L’agent Vig ouvre la portière et agrippe le bras de M. El-Dabbagh. Ce dernier se déprend de la prise et tient le volant. L’agent Vig réussit à lui enlever les mains du volant pendant que l’agent Chassé détache la ceinture de sécurité. M. El-Dabbagh est amené au sol.
[61] Cinq à dix minutes se sont écoulées entre l’interception et l’arrestation de M. El-Dabbagh.
[62] M. El-Dabbagh est mis en état d’arrestation avec la mise en garde et la lecture de ses droits constitutionnels et il est menotté. Ensuite, il est escorté au véhicule de police et placé sur la banquette arrière. Pendant un certain moment, l’agent Chassé est seul avec M. El-Dabbagh.
[63] L’agent Vig demande à la passagère si elle a un permis de conduire pour quitter les lieux avec le véhicule. Elle lui répond que non. Il retourne au véhicule de police et appelle une compagnie de remorquage.
[64] L’agent Vig s’entretient avec l’agent Chassé. Tous deux sont d’avis que M. El-Dabbagh a tenté volontairement de foncer sur lui avec son véhicule et qu’il s’agit d’une agression armée. L’agent Vig met M. El-Dabbagh en état d’arrestation pour une agression armée, lui fait la mise en garde et lui donne ses droits constitutionnels.
[65] Environ 45 minutes s’écoulent avant l’arrivée de la dépanneuse et que les policiers puissent quitter les lieux. Les agents Vig et Chassé effectuent le transport de M. El-Dabbagh au centre de détention.
[66] À la suite de l’enregistrement à l’écrou de M. El-Dabbagh, les agents Vig et Chassé rencontrent un sergent-détective à la section des enquêtes. Ce dernier suggère à l’agent Vig de procéder par l’émission de constats d’infraction, selon le Code de la sécurité routière, pour l’entrave et pour ne pas avoir eu en sa possession la preuve d’assurance ni l’enregistrement du véhicule[5].
[67] L’agent Vig commence à rédiger une demande d’intenter des procédures pour une agression armée[6], mais après discussion avec l’enquêteur, il est convenu de ne pas la compléter.
[68] L’agent Vig retourne à son véhicule pout y rédiger les constats d’infraction, après que M. El-Dabbagh ait consenti à les payer. Les constats d’infraction sont imprimés à partir du véhicule à 16 h 43, 16 h 44 et 16 h 46. Un reçu est remis à M. El-Dabbagh, après le paiement des constats d’infraction.
[69] L’agent Vig complète un rapport des données de l’incident[7] dans lequel il indique qu’il a procédé à l’arrestation de M. El-Dabbagh à 15 h 15 pour avoir entravé un agent de la paix.
[70] Le 2 décembre 2013, l’agent Vig témoigne devant la cour municipale au procès de M. El-Dabbagh. Il dit que, lors de l’intervention, il a rédigé les constats d’infraction et les a remis à M. El-Dabbagh.
[71] Ce n’est qu’après avoir reçu la communication de la preuve dans la présente affaire que l’agent Vig a réalisé qu’il s’était trompé dans son témoignage devant la cour municipale. Le juge ou le procureur lui a demandé à quel moment M. El-Dabbagh avait reçu les constats d’infraction. Il a eu un trou de mémoire, il ne s’en souvenait pas et a demandé de consulter ses notes. Il a répondu qu’il avait rédigé les constats d’infraction et qu’il les avait remis à M. El-Dabbagh sur les lieux de l’interception.
[72] L’agent Vig explique que la signification d’un constat d’infraction peut se faire de deux façons. Le policier a deux choix, soit qu’il remet le constat sur les lieux lors de la perpétration de l’infraction, soit qu’il le signifie plus tard après la perpétration de celle-ci.
[73] L’agent Vig admet que c’est son erreur. Il aurait dû écrire « après la perpétration de l’infraction », parce que c’était au centre de détention. Par habitude, il a inscrit « lors de la perpétration de l’infraction ». Devant la cour municipale, il a regardé les constats d’infraction. Sur ceux-ci, était inscrit « J’atteste avoir remis un double du constat lors de la perpétration de l’infraction. » Étant donné que c’était écrit « lors de la perpétration de l’infraction », il a assumé que c’était lors de l’intervention, dans les minutes qui ont suivi.
[74] En ce qui concerne le chef 1 de la citation, l’agent Vig témoigne que M. El-Dabbagh était tellement agressif qu’il ne voulait pas retourner dans son véhicule de police pour imprimer les constats. M. El-Dabbagh aurait pu sortir de sa voiture avec le risque quils se seraient tiraillés et que l’un d’eux aurait pu tomber en bas sur le boulevard Métropolitain.
[75] L’agent Vig a répété à plusieurs reprises à M. El-Dabbagh qu’il allait recevoir une amende pour avoir franchi la ligne continue. M. El-Dabbagh a dit plusieurs fois qu’il ne paierait pas et qu’il allait retourner en Alberta. Pour le policier, il était clair que tous les critères pour exiger un cautionnement étaient remplis. Il n’était pas nécessaire que M. El-Dabbagh ait en sa possession le constat d’infraction. M. El-Dabbagh savait qu’il allait le recevoir. L’agent Vig le lui avait signifié verbalement, c’était vraiment clair. Il n’y avait pas de négociation possible.
[76] La procureure du Commissaire a demandé à l’agent Vig s’il savait qu’il devait remettre le constat d’infraction à M. El-Dabbagh avant de lui exiger le cautionnement. Le policier a répondu que M. El-Dabbagh était informé qu’il allait recevoir le constat d’infraction et il disait qu’il ne le paierait pas, qu’il ne voulait rien savoir et qu’il allait retourner en Alberta.
[77] Pour l’agent Vig, ce n’est pas quelque chose qui se produit souvent. Il a fait ses études en techniques policières en 1994. À Nicolet, le cautionnement n’a jamais été traité.
[78] Depuis que l’agent Vig est au SPVM, il n’y a pas eu de formation sur le cautionnement. Étant donné les propos de M. El-Dabbagh, il s’agissait d’un cas de cautionnement.
[79] Pour l’agent Vig, il n’était pas nécessaire que M. El-Dabbagh ait le constat d’infraction en sa possession. La signification verbale avait été faite.
[80] En contre-interrogatoire, l’agent Vig admet que, lors des événements, il n’était pas au courant que le contrevenant doit être en possession du constat d’infraction au moment où on lui demande de fournir un cautionnement.
APPRÉCIATION DE LA PREUVE ET MOTIFS DE LA DÉCISION
Chef 1
[81] Le Commissaire reproche à l’agent Vig de ne pas avoir respecté l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de M. El-Dabbagh, en exigeant de lui un cautionnement sans lui avoir signifié au préalable un constat d’infraction.
[82] L’article 76 du Code de procédure pénale[8] énonce ce qui suit :
« L’agent de la paix peut exiger un cautionnement d’un défendeur au moment où un constat d’infraction lui est signifié s’il a des motifs raisonnables de croire que le défendeur est sur le point d’échapper à la justice en quittant le territoire du Québec. Toutefois, il ne peut exiger aucun cautionnement d’une personne âgée de moins de 18 ans. Ce cautionnement est égal au montant de l’amende minimale prévue pour l’infraction décrite au constat plus les frais fixés par règlement. »
[83] Et l’article 79 :
« L’agent de la paix qui a exigé un cautionnement peut arrêter sans mandat le défendeur qui refuse ou néglige de le payer. »
[84] D’entrée de jeu, le Comité doit déterminer si l’agent Vig avait des motifs raisonnables de croire que M. El-Dabbagh était sur le point d’échapper à la justice en quittant le territoire du Québec.
[85] Les versions sont contradictoires. Selon M. El-Dabbagh, il a informé l’agent Vig qu’il n’avait pas l’intention de retourner en Alberta avant un bon moment.
[86] Selon l’agent Vig, M. El-Dabbagh lui disait qu’il pouvait lui donner tous les constats d’infraction qu’il voulait, qu’il ne paierait pas et qu’il retournerait en Alberta, sans jamais remettre les pieds au Québec. La version de l’agent Vig est corroborée par l’agent Chassé.
[87] Le Comité conclut de la preuve faite devant lui que celle de la partie policière est prépondérante.
[88] Le Comité croit l’agent Vig lorsqu’il affirme que M. El-Dabbagh a eu un geste violent à son égard au moment où, à la suite de l’infraction commise, le policier lui a signifié de se ranger.
[89] Le Comité considère fausse l’insinuation de M. El-Dabbagh, à savoir que l’agent Vig voulait lui soutirer de l’argent.
[90] M. El-Dabbagh prétend également que l’agent Vig lui a dit que, vu qu’il n’avait pas d’argent, il doit lui donner son permis de conduire. Le plaignant n’est pas crédible dans cette affirmation, car les policiers exigent toujours le permis de conduire, les enregistrements et la preuve d’assurance pour rédiger les constats d’infraction et faire les vérifications d’usage.
[91] M. El-Dabbagh savait très bien qu’il avait commis une faute et, pour éviter un constat d’infraction, il dit avoir tenté de charmer le policier Vig afin que ce dernier lui donne un simple avertissement.
[92] Le fait que M. El-Dabbagh ait tenté une telle approche laisse supposer au Comité que l’agent Vig n’avait pas la mauvaise attitude à son égard qu’il lui reproche.
[93] La version du policier Vig est corroborée par l’agent Chassé et leurs témoignages sont crédibles.
[94] À partir de la version de l’agent Vig, le Comité est d’avis que ce dernier pouvait exiger un cautionnement de la part de M. El-Dabbagh pour le montant de la peine minimale, les frais et la contribution qui s’élevaient à 277 $.
[95] Toutefois, au moment de la demande effectuée par le policier à M. El-Dabbagh de fournir le cautionnement, le constat d’infraction n’avait pas encore été rédigé.
[96] L’agent Vig a rédigé le constat d’infraction pour avoir franchi la ligne continue à 16 h 43, dans le véhicule de police, alors qu’il était stationné devant le centre de détention. Ce constat d’infraction et les deux autres ont alors été remis à M. El-Dabbagh dans le centre de détention. Il a par la suite acquitté les montants avec sa carte de crédit.
[97]
Le libellé de l’article
[98] L’agent Vig admet qu’il ne savait pas que le contrevenant devait être en possession du constat d’infraction avant de pouvoir lui demander de fournir un cautionnement.
[99]
Les jugements et les décisions concernant la portée de l’article
« La simple lecture et selon la règle d’interprétation littérale, l’article 76 est clair et limpide. Ce n’est que lorsque le constat d’infraction est signifié et si les autres conditions sont respectées, que l’agent de la paix peut exiger un cautionnement. Il s’agit d’un pouvoir restreint et circonscrit par la loi. »
[100] L’agent Vig affirme qu’il n’a jamais eu de formation sur la notion de cautionnement, que ce soit à l’École nationale de police ou depuis qu’il est policier. À défaut de savoir avec assurance ce qu’il fallait faire en pareilles circonstances, il aurait dû sur les lieux de l’événement consulter un officier supérieur afin d’être conseillé à ce sujet.
[101] L’agent Vig a erronément imaginé qu’une signification verbale du constat d’infraction au contrevenant était suffisante. En l’espèce, il s’agit d’une ignorance inacceptable d’une disposition de la loi de la part du policier.
[102] Vu ce qui précède, le Comité conclut que l’agent Vig a dérogé à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec[10] (Code), en exigeant de M. El-Dabbagh un cautionnement sans lui avoir signifié au préalable un constat d’infraction.
Chef 2
[103] Le Commissaire reproche à l’agent Vig de ne pas avoir respecté l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de M. El-Dabbagh, en l’arrêtant sans droit, contrevenant ainsi à l’article 7 du Code.
[104] L’agent Vig a inscrit dans son rapport des données de l’incident[11] qu’il a procédé à l’arrestation de M. El-Dabbagh pour avoir entravé son travail. Ce motif est sans fondement, vu la dérogation commise par le policier au chef 1 de la citation. Il s’ensuit que l’arrestation qu’il a effectuée était sans droit.
[105] Pour ces motifs, le Comité conclut que l’agent Vig a dérogé à l’article 7 du Code, en arrêtant sans droit M. El-Dabbagh.
Chef 3
[106] Le Commissaire reproche à l’agent Vig de ne pas avoir respecté l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de M. El-Dabbagh, en utilisant la force sans droit contre lui.
[107] Vu l’arrestation sans droit effectuée par l’agent Vig, il s’ensuit que l’utilisation de la force par le policier, soit d’avoir agrippé M. El-Dabbagh dans son véhicule, de l’avoir sorti et de l’avoir amené au sol, a été faite également sans droit.
[108] Pour ce motif, le Comité conclut que l’agent Vig a dérogé à l’article 7 du Code, en utilisant la force sans droit contre M. El-Dabbagh.
[109] POUR CES MOTIFS, après avoir entendu les parties, pris connaissance des pièces déposées et délibéré, le Comité DÉCIDE :
[110]
QUE l’agent SANJAY VIG, matricule 5144, membre du Service
de police de la Ville de Montréal, le 18 juillet 2012, à Montréal, n’a pas respecté
l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de M. Khalid El-Dabbagh en
exigeant de lui un cautionnement sans lui avoir signifié au préalable un
constat d’infraction et que, en conséquence, sa conduite constitue un acte
dérogatoire à l’article
Chef 2
[111]
QUE l’agent SANJAY VIG, matricule 5144, membre du Service
de police de la Ville de Montréal, le 18 juillet 2012, à Montréal, n’a pas
respecté l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de M. Khalid
El-Dabbagh en l’arrêtant sans droit et que, en conséquence, sa conduite constitue
un acte dérogatoire à l’article
Chef 3
[112]
QUE l’agent SANJAY VIG, matricule 5144, membre du Service
de police de la Ville de Montréal, le 18 juillet 2012, à Montréal, n’a pas
respecté l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de M. Khalid
El-Dabbagh en utilisant la force sans droit contre lui et que, en conséquence,
sa conduite constitue un acte dérogatoire à l’article
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Louise Rivard |
Me Leyka Borno |
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Procureure du Commissaire |
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Me Mario Coderre |
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Procureur de la partie policière |
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Lieu des audiences : Montréal |
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Dates des audiences : 14 et 15 février 2018 |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.