Décision

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Succession de Zarriello et Stevens Omni inc.

2022 QCTAT 4127

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

1226843-71-2105

Dossier CNESST :

502456148

 

 

Montréal,

le 8 septembre 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Marco Romani

______________________________________________________________________

 

 

 

Gerardino Zarriello (Succession)

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Stevens Omni inc.

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]               Feu monsieur Gerardino Zarriello, le travailleur, qui occupait les fonctions de vendeur et entreposeur pour Stevens Omni inc., l’employeur. Le travailleur est victime d’une lésion professionnelle après avoir été exposé à de l’amiante de 1960 à 1990.

[2]               Le diagnostic de la lésion professionnelle est une amiantose qui est posé pour la première fois le 26 septembre 2016. La réclamation du travailleur est acceptée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, le 19 octobre 2017.

[3]               Étant donné qu’il s’agit d’une maladie pulmonaire professionnelle, le travailleur est soumis à la procédure d’évaluation médicale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], la Loi, respectant les particularités de sa maladie.

[4]               Le 19 octobre 2017, la Commission détermine que le travailleur a une atteinte permanente de 5 % pour une maladie pulmonaire professionnelle irréversible et 60 % pour des séquelles fonctionnelles de classe IV selon le Règlement sur le barème des dommages corporels[2], le barème, auquel s’ajoute un pourcentage de 29,75 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

[5]               Le 24 février 2020, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle pour une amiantose en relation avec la lésion professionnelle d’origine.

[6]               Le travailleur décède le 21 juillet 2020 et la Commission rend une décision voulant qu’aucune indemnité ne sera versée pour cette cause puisque le décès n’est pas relié à sa maladie professionnelle.

[7]               À la suite d’une nouvelle évaluation de la procédure d’évaluation médicale, la Commission rend une décision le 13 avril 2021 voulant que l’atteinte permanente du travailleur soit majorée de 20 %, auquel s’ajoute un pourcentage de 13,25 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

[8]               La succession du travailleur demande la révision de ces deux décisions et la révision administrative confirme ces décisions le 3 mai 2021. La succession conteste cette décision et il s’agit des litiges dont le Tribunal est saisi.

[9]               La représentante de la succession demande au Tribunal de déclarer que l’atteinte permanente de la récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle du travailleur est demeurée avec des séquelles fonctionnelles de classe V selon le barème et que la succession a droit à une majoration de l’atteinte permanente en conséquence. La représentante de la succession a avisé le Tribunal qu’elle se désistait de sa réclamation pour une indemnité de décès.

[10]           Le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la contestation la succession.

L’ANALYSE

[11]           Le Tribunal doit se prononcer sur le bilan des séquelles de la lésion professionnelle du travailleur en lien avec sa récidive, rechute ou aggravation.

[12]           Le Tribunal doit simplement répondre à une seule question pour déterminer l’issue du litige. Lors de l’audience, le Tribunal n’a entendu aucun témoignage, mais la représentante de la succession a produit plusieurs pièces et le Tribunal a également pris connaissance du dossier.

Quelles sont les séquelles permanentes de la récidive, rechute ou aggravation subie par le travailleur le 24 février 2020?

[13]           Le Tribunal est d’avis que le bilan des séquelles qui a été retenu par le Comité Spécial des Présidents, le CSP, n’est pas conforme au barème et que le travailleur demeure avec des séquelles de classe V, sous le code 223163 du barème, équivalant à un déficit anatomo-physiologique de 100 %. Voici pourquoi.

[14]           Rappelons que le travailleur est victime d’une maladie pulmonaire professionnelle survenue en 2016 et qu’il fait une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion le 24 février 2020.

[15]           D’emblée, ceci signifie non seulement que l’état de santé du travailleur s’est détérioré, mais que cette détérioration est directement reliée à sa lésion professionnelle.

[16]           À la suite d’une évaluation faite par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires, le CMPP, le CSP a entériné les conclusions retenues et a déterminé que le travailleur avait des séquelles additionnelles d’anomalies importantes de la fonction respiratoire sous le code 223118 pour une atteinte permanente de 10 % et des anomalies importantes radiologiques sous le code 223074 pour une atteinte permanente de 10%.

[17]           Le Tribunal est d’accord avec cette conclusion puisque la preuve au dossier dont le rapport dergothérapie du 26 septembre 2019 préparé par madame Sarah Laroche, ergothérapeute et les conclusions du docteur Harold Martin Zackon, pneumologue et médecin expert de la succession qui a effectué une étude de dossier le 26 mai 2021 soutiennent cette conclusion. Il n’existe donc pas de litige sur cette conclusion.

[18]           Le litige survient lorsque le CSP conclut que le travailleur demeure avec des séquelles de classe IV pour ses fonctions pulmonaires, donc inchangées à la suite de la lésion professionnelle d’origine.

[19]           Dans son étude, le docteur Zackon ne partage pas cet avis. Il est plutôt davis que le travailleur présentait des séquelles fonctionnelles de classe V sous le code 223163 lorsqu’il fut évalué par le CMPP.

[20]           La représentante de la succession a correctement attiré l’attention du Tribunal sur les résultats des examens de spirométrie du travailleur qui ont été reproduits au dossier.

[21]           Lors de la première évaluation réalisée le 11 septembre 2017 ayant servi à déterminer l’atteinte permanente du travailleur à la suite de la lésion professionnelle d’origine, les résultats révèlent que le travailleur avait une capacité vitale de 75 %, un volume expiratoire maximal/seconde de 65 % et une capacité de diffusion de l’oxyde de carbone de 42 %.

[22]           Lors de la seconde évaluation réalisée le 23 septembre 2019, soit deux ans plus tard, il ressort des résultats de spirométrie que le travailleur avait une capacité vitale de 65 %, un volume expiratoire maximal/seconde de 52 % et sa capacité de diffusion de l’oxyde de carbone est demeurée à 42 %.

[23]           Il ressort donc de ces résultats que l’état du travailleur s’est détérioré, mais est-ce suffisant pour valoir des séquelles fonctionnelles de classe V pour les fonctions pulmonaires du travailleur? Le Tribunal croit que oui.

[24]           Il est indiqué dans le barème que pour remplir les critères donnant droit à des séquelles de classe V, le test de la capacité vitale doit être moins de 50, le test du volume expiratoire maximal/seconde doit être moins de 55 et le test de capacité de diffusion de l’oxyde de carbone doit être de moins de 50.

[25]           Par ailleurs, pour des séquelles de classe IV, il est indiqué dans le barème que le test de la capacité vitale doit être moins de 50 à 60, le test du volume expiratoire maximal/seconde doit être moins de 55 et le test de capacité de diffusion de l’oxyde de carbone doit être de 50 à 60.

[26]           Or, les résultats de l’examen de spirométrie du 23 septembre 2019 révèlent que deux sur trois des critères exigés sont sous le seuil indiqué pour une classe V. Seule la capacité vitale du travailleur est au-delà du seuil. Cependant, ce fut le cas à la suite de la première évaluation en 2017.

[27]           Lors de l’audience, la représentante du travailleur a référé à deux décisions du Tribunal en semblable matière soit l’affaire Iacono[3] et l’affaire Succession Francoeur[4] pour souligner que le barème doit être interprété avec souplesse en interprétant le tableau d’ensemble du dossier concernant l’état général du travailleur. Le Tribunal partage entièrement son avis.

[28]           La preuve révèle que l’état de santé du travailleur s’est grandement détérioré et il ressort des critères du barème que deux sur trois sont rencontrés. De l’avis du soussigné, l’intention du législateur est de donner des paramètres généraux qui doivent ensuite être appliqués à chaque affaire.

[29]           La représentante de la succession a également souligné que la preuve au dossier révèle des changements dans le traitement pharmacologique du travailleur qui démontre une détérioration de son état de santé.

[30]           Le Tribunal ne saurait ignorer que même si la capacité vitale du travailleur est demeurée au-delà du seuil d’une classe IV, elle s’est quand même détériorée de 10 % dans l’espace de deux ans. Par ailleurs, les deux autres critères sont sous le seuil d’une classe IV.

[31]           Le barème ne précise pas qu’un élément est plus important qu’un autre ou que cet élément a préséance sur les autres. De l’avis du soussigné, il s’agit d’un guide qui permet de cibler quelle est la classe appropriée pour un travailleur dans une situation donnée.

[32]           Dans notre affaire, la preuve prépondérante veut que la condition du travailleur se soit détériorée entre ses deux évaluations et qu’il soit porteur d’une atteinte permanente de classe V pour sa fonctionnalité pulmonaire.

[33]           Compte tenu de cette conclusion, le travailleur est porteur d’une atteinte permanente totale de 125 % pour une maladie pulmonaire professionnelle irréversible de 5 %, des séquelles fonctionnelles de classe V selon le barème de 100 %, des anomalies importantes de la fonction respiratoire de 10 % et des anomalies importantes radiologiques de 10 %. À ce montant s’ajoute un pourcentage de 62,50 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie. Le total de l’atteinte permanente est donc de 187,50 %.

[34]           Le travailleur ayant déjà reçu une atteinte permanente de 94,25 % pour la lésion initiale, a maintenant droit à la différence représentant 60 % pour le déficit anatomophysiologique et 33,25 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie, pour un total de 93,25 %.

[35]           Le Tribunal est donc d’avis que la lésion professionnelle du travailleur est aggravée avec une atteinte permanente supplémentaire de 60 % pour des anomalies importantes de la fonction respiratoire, des anomalies importantes radiologiques et une classe fonctionnelle V. À cette aggravation du déficit anatomo-physiologique du travailleur s’ajoute le montant forfaitaire pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation de feu monsieur Gerardino Zarriello, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail le 3 mai 2021 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur conserve un pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 93,25 % en relation avec sa lésion professionnelle du 24 février 2020, incluant le montant forfaitaire pour douleurs et perte de jouissance de la vie;

DÉCLARE que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel correspondant à son pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, auquel s’ajoutent les intérêts.

 

 

 

__________________________________

 

Marco Romani

 

 

 

Me Sophie Mongeon

DESROCHES, MONGEON AVOCATS INC.

Pour la partie demanderesse

 

 

Date de la mise en délibéré : 9 juin 2022

 

 


[1]  RLRQ, c. A-3.001.

[2]  RLRQ, c. A -3.001, r. 2.

[3]  Iacono et Commission de la santé et de la sécurité du travail – Soutien à l’imputation, [2009] QCCLP 1735.

[4]  Succession de Clermont Francoeur, 2014 QCCLP 5005.

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