M.L. c. Guillot | 2022 QCCS 2673 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | QUÉBEC | |||||
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No : | 200-06-000222-185 | |||||
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DATE : | 17 juin 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | NANCY BONSAINT, J.C.S. | ||||
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M... L... -et- J... S... | ||||||
Demandeurs | ||||||
c.
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CLAUDE GUILLOT -et- ÉGLISE ÉVANGÉLIQUE BAPTISTE DE QUÉBEC EST -et- ÉGLISE ÉVANGÉLIQUE BAPTISTE DE VICTORIAVILLE -et- ASSOCIATION D’ÉGLISES BAPTISTES ÉVANGÉLIQUES AU QUÉBEC
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Défendeurs
JO... S...
Membre intervenant | ||||||
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JUGEMENT (sur une objection liée au secret professionnel) | ||||||
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[1] Le 16 mai 2022, le demandeur J... S... (J...[1]) est interrogé sur sa déclaration assermentée, produite au soutien de sa Demande pour permission de renoncer à son statut de représentant, après que la soussignée eut autorisé la tenue d’un interrogatoire en vertu de l’article 105 C.p.c.
[2] Lors de cet interrogatoire, l’avocate de l’Association d’églises baptistes évangéliques au Québec (Association) a demandé à J... la raison pour laquelle il voulait renoncer à son statut de représentant. Ce dernier a répondu qu’il avait « une divergence » avec ses avocats sur la façon de mener à bien cette action collective. Lorsqu’il lui fut demandé de préciser en quoi consiste cette divergence, l’avocat de J... s’est objecté à la question en soulevant le secret professionnel avocat-client.
[3] Par le présent jugement, le Tribunal accueille l’objection de l’avocat de J... pour le motif que la réponse est protégée par le secret professionnel.
CONTEXTE
[4] Le 4 octobre 2021, la Cour d’appel rend un jugement par lequel J... se voit reconnaître le statut de représentant aux fins d’exercer l’action collective pour le compte des membres du groupe suivant :
ACCORDE le statut de représentants à M... L... aux fins d'exercer l'action collective pour le compte des membres du groupe suivant :
A. Toutes personnes ou successions de personnes décédées qui ont été victimes d’abus physiques ou psychologiques de la part de Claude Guillot entre 1982 et 1984, alors qu’elles étaient mineures et fréquentaient l’école La Bonne Semence.
Et à J... S... aux fins d’exercer l’action collective pour le compte des membres du groupe suivant :
B. Toutes personnes ou successions de personnes décédées qui ont été victimes d’abus physiques ou psychologiques ou de harcèlement sexuel de la part de Claude Guillot entre 2000 et 2015, alors qu’elles étaient mineures et fréquentaient l’école clandestine tenue par Guillot.[2]
[5] Le 23 novembre 2021, la soussignée se voit confier la gestion particulière de la présente instance.
[6] Le 10 décembre 2021, une prolongation du délai pour déposer la demande introductive d’instance des demandeurs (qui est habituellement de trois mois à compter de l’autorisation, en vertu de l’art. 583 C.p.c.) est accordée jusqu’au 4 avril 2022.
[7] Le 17 décembre 2021, J... dépose une Demande pour permission de renoncer à son statut de représentant dans laquelle il demande de « permettre la renonciation de J... S... à son statut de représentant conformément à l’article 589 C.p.c. » et de « substituer le demandeur par Jo... S... à titre de nouveau représentant du groupe B ». Au soutien de cette demande, J... produit une « Déclaration solennelle », datée du 17 décembre 2021, et une « Lettre d’acceptation du mandat de représentant des membres du groupe B » signée par Jo... le 17 décembre 2021[3].
[8] Le 14 février 2022, les demandeurs et Jo... (désigné comme requérant) déposent une Demande afin de substituer l’un des représentants des membres du groupe, en vertu de l’article 589 C.p.c, par laquelle ils demandent de substituer J... par Jo..., aux fins d’exercer l’action collective pour le compte des membres du groupe B. Au soutien de cette demande, Jo... produit une « Déclaration sous serment » datée du 24 février 2022[4].
[9] Le 18 mars 2022, les avocats de l’Association produisent leur Demande de la défenderesse Association d’églises baptistes évangéliques au Québec pour interroger J... S... et Jo... S....
[10] Le 29 mars 2022, le délai pour déposer la demande introductive d’instance des demandeurs est prolongée jusqu’au 4 juillet 2022.
[11] Le 17 avril 2022, le Tribunal ordonne à J... de se soumettre à un interrogatoire par l’Association sur les faits dont il a attesté la véracité dans sa déclaration sous serment datée du 17 décembre 2021.
[12] Le 16 mai 2022, l’Association procède à l’interrogatoire de J... et l’avocate de l’Association lui pose la question suivante :
« Q- [5] Pourquoi voulez-vous renoncer à votre statut? ». Il répond :
« R- La raison, c’est qu'il y a une divergence entre mes avocats et monsieur L..., l'autre représentant, sur la façon de mener à bien cette action collective, puis c'est une divergence que M... L..., les autres victimes que je représente, n'ont pas à ma connaissance. Fait que ceci étant dit, je préfère me retirer, pour ne pas nuire aux autres membres du groupe puis aussi pour assurer le succès de l'action collective »[5].
[13] J... précise que lorsqu’il parle des « avocats », il « réfère aux avocats du recours collectif », soit ceux qui représentent les demandeurs dans l’action collective (le cabinet Quessy Henry St-Hilaire)[6].
[14] L’avocate de l’Association poursuit et demande :
« Q-[8] Et quand vous parlez de cette divergence, pouvez-vous nous expliquer un peu plus en détail quelle est cette divergence? »[7]. [ci-après « la question no. 8 »]
[15] L’avocat de J... s’objecte à cette question et précise :
« C’est une objection (…). […]
« Basée sur le secret professionnel, parce que la nature de la divergence fait partie du secret professionnel, en ce qui nous concerne. »[8]
[16] Le 1er juin 2022, le Tribunal devait entendre les deux demandes des demandeurs, soit la Demande pour permission de renoncer à son statut de représentant et la Demande afin de substituer l’un des représentants des membres du groupe, afin qu’il en soit disposé. Or, compte tenu de l’objection de l’avocat de J... lors de l’interrogatoire, à ce qu’il réponde à la question no. 8, l’avocate de l’Association a demandé au Tribunal de trancher cette objection au préalable.
[17] Il fut donc convenu que le Tribunal trancherait l’objection sur la question no. 8, avant de procéder sur les deux demandes « pour permission de renoncer au statut » et « afin de substituer l’un des représentants ». C’est dans ce contexte que le Tribunal est saisi de la question qui fait l’objet du présent jugement qui dispose uniquement de cette objection sur la question no. 8.
[18] La seule question en litige est de déterminer si J... doit « expliquer un peu plus en détail quelle est cette divergence », soit « une divergence entre (mes) avocats et monsieur L..., l'autre représentant, sur la façon de mener à bien cette action collective ».
DISCUSSION
- Le motif de renonciation au statut de représentant
[19] Avant d’examiner l’objection fondée sur le secret professionnel, il y a lieu de se demander si J... doit divulguer le motif pour lequel il souhaite renoncer à son statut de représentant dans le cadre de l’action collective entreprise, et ce, sans égard à la question du secret professionnel.
[20] Bien que le Tribunal note que l’objection à la question no. 8 n’est pas fondée sur la pertinence de la question, il semble tout de même nécessaire de procéder à cet exercice afin de situer le contexte dans lequel se pose la question qui soulève le secret professionnel.
[21] En effet, la question no. 8 a d’abord et avant tout pour objet de connaître la raison pour laquelle J... désire se retirer de la demande introductive de l’instance en action collective à titre de représentant. L’Association considère que la réponse à cette question est pertinente et nécessaire afin que le Tribunal puisse statuer sur la demande de J... de renoncer à son statut.
[22] Il faut rappeler que la question de la renonciation au statut de représentant de J... sera examinée par le Tribunal non pas au stade de la demande d’autorisation d’exercer une action collective (puisque celle-ci fut autorisée), mais bien au stade du dépôt de la demande introductive de l’instance (qui doit être déposée au plus tard le 4 juillet 2022). Ce sont donc les articles 583 à 590 du Code de procédure civile (C.p.c.) qui gouvernent la demande introductive d’instance. Ces articles se situent au Chapitre IV (« Le déroulement de l’action collective ») du Titre III (« Les règles particulières à l’action collective ») du Code de procédure civile.
[23] Le rôle du Tribunal, à cette étape des procédures, diffère de celui qu’il avait au stade de l’autorisation :
[25] Il ne faut donc pas confondre l'action intentée une fois autorisée et la procédure visant cette autorisation. L'objet et la finalité de l'une et l'autre sont antinomiques. Dans le premier cas, le tribunal doit statuer sur le mérite même de l'action; seront alors appliquées toutes les règles de procédure et de preuve imposées par la loi. Dans le second, le juge ne fait que vérifier si les conditions stipulées à l'article 1003 C.p.c. sont satisfaites, c'est-à-dire la qualité du représentant, la similarité ou connexité des questions de fait ou de droit et le rapport juridique entre les allégations et la conclusion recherchée. Dans ce dernier cas, le fardeau en est un de démonstration et non de preuve.[9]
[24] Au stade des présentes procédures, c’est l’article 589 C.p.c. qui prévoit les règles en matière de substitution d’un représentant :
589. Le représentant est réputé conserver l’intérêt pour agir même si sa créance personnelle est éteinte. Il ne peut renoncer à son statut sans l’autorisation du tribunal, laquelle ne peut être donnée que si le tribunal est en mesure d’attribuer le statut de représentant à un autre membre.
Lorsque le représentant n’est plus en mesure d’assurer la représentation adéquate des membres ou si sa créance personnelle est éteinte, un membre peut demander au tribunal de lui être substitué ou proposer un autre membre.
Le cas échéant, le nouveau représentant reprend l’instance dans l’état où elle se trouve; il peut, avec l’autorisation du tribunal, refuser de ratifier les actes déjà faits si ceux-ci ont causé un préjudice irréparable aux membres. Il ne peut être tenu au paiement des frais de justice et des autres frais pour les actes antérieurs à la substitution qu’il n’a pas ratifiés, à moins que le tribunal n’en ordonne autrement.
[Nos soulignements]
[25] La doctrine résume ainsi les circonstances dans lesquelles une substitution du représentant peut être autorisée par le tribunal, en vertu de l’article 589 C.p.c. :
La décision du représentant de renoncer à son statut ne peut être laissée à sa seule volonté. Ayant été désigné par le tribunal, ce dernier l'autorise à abandonner sa fonction à condition que son départ ne cause pas préjudice aux membres. La solution retenue est la possibilité pour le tribunal de le remplacer à cette fonction par un autre membre (Société des casinos du Québec inc. c. Chamberland-Pépin, 2021 QCCA 674, EYB 2021-385419).
Le deuxième alinéa prévoit le droit pour un membre de demander à être substitué au représentant, au cas où celui-ci n'est plus en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres et celui où sa créance est éteinte. Ces deux situations, quoique fort différentes, donnent ouverture au même remède: le remplacement du représentant par un membre désireux d'agir à ce titre ou par un membre qu'il propose.
L'expression employée au deuxième alinéa de l'article 589 est la même que celle employée à l'article 575(4). Le tribunal devra donc, pour autoriser la substitution, appliquer les mêmes critères de la représentation adéquate avec les adaptations nécessaires compte tenu notamment de l'état d'avancement de l'action collective (Noël c. Énergie éolienne des Moulins, 2021 QCCS 2127, EYB 2021-391077).
Selon l'objectif de stabilité recherché par le législateur, le motif de substitution doit être sérieux et faire l'objet d'une preuve concluante.
Le troisième alinéa de l'article 589 énonce les modalités de transition de la fonction, lesquelles protègent le nouveau représentant et l'intérêt des membres, sous la surveillance du tribunal.[10]
[Nos soulignements]
[26] Le Tribunal considère également pertinent l’article 585 C.p.c., qui prévoit les règles relatives à la modification d’une action collective, dans la mesure où une substitution de représentant engendrera une modification de l’action collective afin que soient tenus en compte les faits au soutien de l’action personnelle du nouveau représentant :
585. Le représentant doit être autorisé par le tribunal pour modifier un acte de procédure, se désister de la demande ou d’un acte de procédure ou renoncer aux droits résultant d’un jugement. Le tribunal peut imposer les conditions qu’il estime nécessaires pour protéger les droits des membres.
L’aveu fait par le représentant lie les membres, sauf si le tribunal considère que cet aveu leur cause un préjudice.
[27] Cette demande de modification obéira elle-même à des règles que la jurisprudence énonce ainsi :
[19] La modification d’une action collective, incluant le remplacement du représentant, ne doit pas retarder le déroulement de l’instance ni être contraire aux intérêts de la justice et des membres du groupe. Il ne doit pas en résulter une demande entièrement nouvelle.
[20] Bien que la faculté de modifier une procédure doive être analysée de manière souple, large et libérale, la demande de modification doit respecter les règles particulières et les impératifs de l’action collective. La décision du représentant de renoncer à son statut n’est pas laissée à sa seule volonté; le tribunal ne l’autorise à abandonner sa fonction que si son remplacement ne cause pas préjudice aux membres.
[21] Dans le cadre de son analyse d’une demande de modification, le tribunal doit, comme dans toute mesure ou acte qu’il autorise, tenir compte du principe de la proportionnalité et de la bonne administration de la justice.[11]
[Nos soulignements]
[28] Lorsque s’est soulevée la question de la nécessité pour J... de divulguer la raison pour laquelle il veut renoncer à son statut de représentant, le Tribunal a demandé aux parties s’il y avait lieu de faire un parallèle avec la décision de la Cour d’appel dans École communautaire Belz c. Bernard[12].
[29] Dans cette décision, les intimés (requérants en première instance) avaient déposé une demande d’autorisation d’exercer une action collective contre cent vingt-six établissements d’enseignement privés, dont les quatre appelants (intimés en première instance). Cette demande d’autorisation était en lien avec la perception de la totalité des frais de scolarité alors que certains services n’avaient pas été rendus dans le contexte de la pandémie; ils demandaient un remboursement partiel de ces frais de scolarité.
[30] Les intimés ont souhaité se désister de leur demande à l’égard des quatre appelants et ont requis l’autorisation du tribunal de première instance pour ce faire. Ils ont affirmé que les appelants ne leur avaient versé aucune contrepartie, directe ou indirecte (pas plus qu’à leurs avocats), et que le désistement envisagé ne causait aucun préjudice aux membres putatifs. Le juge de première instance a alors demandé aux intimés de lui communiquer les motifs justifiant leur décision de se désister de la demande à l’égard des appelants. Ils ont refusé de les divulguer, soutenant s’être engagés à préserver la confidentialité des informations qu’ils ont reçues.
[31] En conséquence de ce refus, le juge de première instance a rejeté leur demande et refusé d’autoriser le désistement, réservant leur droit de la présenter de nouveau dans l’éventualité où ils décideraient de fournir la justification demandée. La Cour d’appel accueille l’appel et conclut que l’opportunité de se désister d’une demande d’autorisation est une décision qui appartient au requérant et que le juge ne pouvait exiger d’en connaître les raisons :
[7] Les appelants ne remettent pas en question le fait que l’autorisation du tribunal est requise pour qu’un requérant puisse se désister, en tout ou en partie, d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective. Ils plaident plutôt que le juge à qui cette autorisation est demandée a un pouvoir limité et qu’il ne peut exiger de connaître les raisons pour lesquelles le requérant souhaite se désister.
[8] Son rôle, plaident-ils, se limite à deux choses : 1) s’assurer que le désistement ne cause pas de préjudice aux membres putatifs du groupe envisagé et 2) qu’il ne porte pas atteinte à l’intégrité du système de justice. Au-delà de cette analyse, le juge n’a pas à décider si le désistement est opportun, et, ainsi, n’a pas à évaluer la suffisance des raisons qui le motivent. La décision de se désister préalablement à l’autorisation, ajoutent-ils, appartient au requérant et à son avocat.
[9] La Cour est d’accord.
[…]
[20] Le juge doit jouer son rôle à la lumière du principe voulant que les parties, dans la mesure où elles respectent les principes, les objectifs et les règles de la procédure et des délais établis, ont la maîtrise de leur dossier.
[21] Ainsi, tant et aussi longtemps qu’il n’a pas de raison de croire que la décision du requérant de se désister peut porter atteinte à l’intégrité du système de justice ou aux intérêts des membres putatifs, il n’a pas à s’immiscer dans celle-ci et n’a pas à vérifier les raisons qui la sous-tendent. L’opportunité de se désister d’une demande d’autorisation est une décision qui appartient au requérant.
[Nos soulignements]
[32] Dans leurs observations écrites, les avocats des demandeurs et de J... soutiennent que cette décision doit trouver application en l’espèce, alors que l’Association soumet plutôt que cette décision doit être distinguée, notamment en raison de l’étape à laquelle en est rendu le présent dossier, soit celle de l’étape « post-autorisation ».
[33] De prime abord, les propos employés par la Cour d’appel dans l’arrêt Belz semblent témoigner d’une relative liberté du demandeur eu égard à sa demande d’autorisation et on pourrait soutenir que cette liberté devrait également être reconnue à un représentant voulant renoncer à son statut.
[34] Toutefois, il semble que cette approche ne soit pas partagée par les auteurs de doctrine en ce qui a trait à la substitution du représentant lors du déroulement de l’instance, une fois l’autorisation d’intenter une action collective obtenue :
La décision du représentant de renoncer à son statut ne peut être laissée à sa seule volonté. Ayant été désigné par le tribunal, ce dernier l'autorise à abandonner sa fonction à condition que son départ ne cause pas préjudice aux membres. La solution retenue est la possibilité pour le tribunal de le remplacer à cette fonction par un autre membre (Société des casinos du Québec inc. c. Chamberland-Pépin, 2021 QCCA 674, EYB 2021-385419).
[…]
Selon l'objectif de stabilité recherché par le législateur, le motif de substitution doit être sérieux et faire l'objet d'une preuve concluante.[13]
[35] Le Tribunal retient de ces propos qu’il détient un pouvoir de surveillance et de contrôle accentué une fois l’autorisation accordée.
[36] En effet, alors que « [l]’ opportunité de se désister d’une demande d’autorisation est une décision qui appartient au requérant »[14], il en est tout autrement une fois au fond, où « [l]a décision du représentant de renoncer à son statut ne peut être laissée à sa seule volonté »[15]. Partant, nous voyons difficilement comment l’arrêt Belz pourrait s’appliquer à la présente affaire, les pouvoirs de surveillance du Tribunal quant à l’opportunité d’opérer une substitution étant nettement distincts.
[37] Aussi le Tribunal est-il plutôt d’avis, contrairement à ce que prétendent les demandeurs, que ce n’est pas tant la procédure demandée, soit le désistement ou la substitution, qui importe dans l’analyse, mais bien le stade procédural du recours.
[38] Comme le rappelle la Cour d’appel dans Belz, « [l]a demande d’autorisation d’exercer une action collective, faut-il le rappeler, n’est qu’une procédure préliminaire, souvent qualifiée d’exercice de vérification et de filtrage, qui ne vise, essentiellement, qu’à écarter les demandes frivoles, insoutenables ou manifestement mal fondées »[16].
[39] Il en est tout autrement du recours au fond, où le représentant remplit un rôle plus grand, celui-ci ayant l’obligation, prévue à l’article 575(4) C.p.c., d’offrir une représentation adéquate des membres. Il est donc justifié que la demande de substitution soit examinée avec davantage de rigueur par le Tribunal.
[40] Ce faisant, et sous réserve de la question du secret professionnel, il y aurait lieu de rejeter l’objection, le tout afin de prendre connaissance du motif de substitution qui doit être sérieux et faire l’objet d’une preuve concluante.
- Le motif de renonciation au statut de représentant et le secret professionnel
[41] Le Tribunal ne fut pas en mesure de trouver un cas semblable à celui en l’espèce, en matière d’action collective, qui traite de la question de la « divergence » d'un représentant avec ses avocats qui l'amène à renoncer à son statut de représentant.
[42] La Cour d’appel s’est intéressée à la portée du secret professionnel en lien avec « des renseignements fournis par les membres d’un groupe visé par une action collective »[17] mais en l’espèce, la réponse que l’on recherche du représentant (J...) n’est pas tant en lien avec des renseignements fournis par ce dernier aux fins de l’action collective mais porte plutôt sur une divergence qu’il a avec ses avocats « sur la façon de mener à bien cette action collective ».
[43] Il y a donc lieu de s’en remettre aux principes généraux en matière de secret professionnel, qui sont résumés dans la doctrine comme suit :
Le secret professionnel vise à assurer au client la protection des informations verbales ou écrites échangées dans le cadre d'une consultation avec un avocat. Il faut toutefois qu'il s'agisse d'une consultation qui porte sur des questions qui sont, au sens le plus large, du domaine d'expertise de l'avocat. Certaines conditions sont donc nécessaires pour donner naissance au secret professionnel. Ces conditions sont au nombre de trois, à savoir:
1° il doit s'agir d'une consultation avec un avocat;
2° cette consultation doit être voulue confidentielle;
3° l'opinion de l'avocat est recherchée en raison de sa qualité d'avocat.
Lorsque ces trois conditions dictées par la Cour suprême dans l'arrêt Descôteaux c. Mierzwinski sont réunies, les échanges entre l'avocat et son client sont protégés par le secret professionnel.[18]
[Référence omise; nos soulignements]
[44] À la lumière de ces critères, l’avocate de Association soumet que par la question no. 8, elle ne cherche pas à connaître les opinions et les stratégies discutées entre le représentant (J...) et ses avocats, mais qu’elle cherche plutôt à connaître la raison pour laquelle il ne veut plus, personnellement, être le représentant du groupe. Elle ajoute qu’il en est dans l’intérêt de la justice que le Tribunal connaisse le motif personnel de J... pour renoncer à son rôle.
[45] Elle souligne également que le fait de divulguer une divergence d’opinion, par exemple, sur la composition du groupe, sur les dommages réclamés ou sur la période couverte par l’action collective, porterait sur des éléments pour lesquels des réponses ne sont pas couvertes par le secret professionnel. En somme, elle soumet que le secret professionnel n’est pas sans limite[19].
[46] Le Tribunal convient, avec l’Association, que le secret professionnel n’est pas sans limite. Il convient alors de se pencher sur l’objection soulevée dans le cadre de l’interrogatoire tenue en l’espèce, afin de déterminer si la question est bel et bien visée par le secret professionnel, comme l’invoque l’avocat du représentant (J...).
[47] Au regard du premier critère, il ne fait pas de doute que celui-ci est rempli, puisque les communications en cause sont intervenues entre le représentant (J...) et l’avocat chargé de mener l’action collective, Me Jean-Daniel Quessy.
[48] Quant au second critère, il appert des propos tenus par le demandeur J... lors de l’interrogatoire qu’il y avait bel et bien une volonté que les échanges entre lui et Me Quessy soient confidentiels :
« Q- [16] O.K. Et cette divergence, sans divulguer la nature de cette divergence puisqu'il y a une objection quant au secret professionnel, est-ce que vous décririez cette divergence quant à la méthode de vous représenter ou c'était plutôt de la nature de l'action collective?
R- Moi, ce que je vais vous dire, c'est que premièrement, en tant que client, moi je veux que qu'est-ce que je parle avec mes avocats soit respecté. Et donc, comme maître Harvey vous a dit, ça sera à la juge Bonsaint de trancher, mais en ce qui me concerne, moi ce qui s'est passé à l'interne avec mes avocats, ça reste très personnel, parce que sinon s'il faut que je révèle les discussions que j'ai eues avec mes avocats ou pas, ça sert à quoi d'avoir un avocat puis en quoi est-ce que je peux me confier.
Q- [17] Donc, ce que je comprends de votre réponse, c'est que vous n'étiez pas satisfait, donc de votre représentation des avocats de l'action collective?
R- Ce n'est pas ça ce que je vous ai répondu. Ce que je vous ai répondu, c'est que ce qui concerne mes discussions, le secret professionnel avec mes avocats, je ne veux pas, je ne peux pas et je ne veux pas rentrer à l'intérieur de ces détails-là. »[20]
[Nos soulignements]
[49] Dans les faits, le débat semble plutôt se situer au niveau du troisième critère, soit celui visant à déterminer si les échanges ont eu lieu en raison de la qualité d’avocat de celui-ci.
[50] L’Association considère que les échanges entre le représentant (J...) et son avocat ne sont pas visés par ce troisième critère, et ne sont donc pas protégés par le secret professionnel puisque, tel qu’indiqué précédemment, elle ne cherche pas à savoir les opinions ou stratégies discutées entre les avocats et J..., mais plutôt la raison pour laquelle il ne veut plus, lui personnellement, être le représentant du groupe.
[51] Le Tribunal est en désaccord avec la position de l’Association. En effet, lors de l’interrogatoire, alors que J... explique la raison pour laquelle il souhaite renoncer à son statut de représentant du groupe au sein de l’action collective, celui-ci explique plus précisément[21] :
La raison, c'est qu'il y a une divergence entre mes avocats et monsieur L..., l'autre représentant, sur la façon de mener à bien cette action collective, puis c'est une divergence que M... L..., les autres victimes que je représente, n'ont pas à ma connaissance. Fait que ceci étant dit, je préfère me retirer, pour ne pas nuire aux autres membres du groupe puis aussi pour assurer le succès de l'action collective.
[Nos soulignements]
[52] Ces propos par le demandeur J... dénotent « une divergence » relevant davantage de la stratégie juridique employée dans le cadre de l’action collective que d’une question touchant aux relations interpersonnelles entre le demandeur et les avocats au recours.
[53] Au regard de ces constats, le Tribunal conclut que la question no. 8, relative aux motifs menant à la demande de substitution de J... dans le cadre de l’action collective, est couverte par le secret professionnel, faisant en sorte qu’il y a lieu d’accueillir l’objection.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[54] ACCUEILLE l’objection fondée sur le secret professionnel de l’avocat du demandeur J... S... sur la question no. 8 de l’interrogatoire tenu le 16 mai 2022;
[55] LE TOUT, frais de justice à suivre.
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| __________________________________nancy bonsaint, j.c.s. |
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Me Jean-Daniel Quessy Me Simon St-Gelais | |
Quessy Henry St-Hilaire Casier 68 Pour les demandeurs et le requérant Jo... S... | |
Me Stéphane Harvey Stéphane Harvey Avocat Casier 30 Pour le demandeur J... S...
Me Susan Corriveau Susan Corriveau avocate Casier 93 Pour le défendeur Claude Guillot | |
Me Marie-Pier Gagnon Fasken Martineau C.p. 242, Tour de la Bourse 800, rue du Square-Victoria, bureau 3500 Montréal (Québec) H4Z 1E9 Pour la défenderesse Église Baptiste Évangélique de Victoriaville
Me Anne Merminod Me Stéphane Pitre Me Alexis Leray Borden, Ladner, Gervais 1000, rue De La Gauchetière Ouest Bureau 900 Montréal, (QC), Canada H3B 5H4 Pour la défenderesse Association d’Églises Baptistes Évangéliques au Québec |
Date d’audience : 1er juin 2022
[1] Le Tribunal utilise le prénom de J... S... pour éviter toute confusion avec son frère, Jo... S..., qui est également impliqué dans le présent dossier, et non par manque de considération.
[2] M.L. c. Guillot, 2021 QCCA 1450, par. 39.3.
[3] Déclaration solennelle de J... S..., datée du 17 décembre 2021; Lettre d’acceptation du mandat de représentant des membres du groupe B de Jo... S..., pièce R-1.
[4] Déclaration sous serment de Jo... S..., datée du 14 février 2022.
[5] Interrogatoire de Monsieur J... S... par Me Anne Merminod, 16 mai 2022, p. 6, lignes 2 à 10.
[6] Id., p. 6, lignes 11 à 14.
[7] Id., p. 6, lignes 17 à 19.
[8] Id., p. 7, lignes 9 à 16.
[9] Pharmascience inc. c. Option Consommateurs, 2005 QCCA 437, par. 25, requête pour autorisation de pourvoi rejetée (C.S. Can., 2005-08-05), 30923; (C.S. Can., 2005-08-25), 30924; (C.S. Can., 2005-08-25), 30922.
[10] Yves LAUZON et Anne-Julie ASSELIN, « Article 589 », dans Le grand collectif - Code de procédure civile : Commentaires et annotations, vol. 2 (Articles 391 à 836), 6e éd., L. Chamberland (dir.), Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, EYB2021GCO601.
[11] Baulne c. Bélanger, 2020 QCCS 1745, par. 19-21. Voir également : Chamberland-Pépin c. Société des casinos du Québec, 2021 QCCS 1341, par. 100, requête pour permission d’appeler rejetée (2021 QCCA 674); Dulude c. Ville de Varennes, 2022 QCCS 152, par. 23, requête pour permission d’appeler rejetée (2022 QCCA 475).
[12] 2021 QCCA 905.
[13] Y. LAUZON et A.-J. ASSELIN, préc., note 10, p. 261.
[14] École communautaire Belz c. Bernard, préc. note 12, par. 21.
[15] Y. LAUZON et A.-J. ASSELIN, préc., note 10, p. 261.
[16] École communautaire Belz c. Bernard, préc., note 12, par. 12.
[17] Gaudette c. Whirlpool Canada, 2022 QCCA 787, par. 9.
[18] Raymond DORAY, « Le devoir de confidentialité et le conflit d'intérêts », dans Collection de droit 2021-2022, École du Barreau du Québec, vol. 1, Éthique, déontologie et pratique professionnelle, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, p. 49.
[19] Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, par. 42.
[20] Interrogatoire de Monsieur J... S... par Me Anne Merminod, 16 mai 2022, p. 9, lignes 7-17.
[21] Id., p. 6, lignes 2-10.
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