Directeur des poursuites criminelles et pénales c. St-Pierre | 2023 QCCS 3894 | |||||
COUR SUPÉRIEURE
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | LONGUEUIL | |||||
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No : |
505-36-002337-220 | |||||
C.M. | (505-61-187015-201) | |||||
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DATE : | 4 octobre 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE
| L’HONORABLE
| ALEXANDRE BOUCHER, J.C.S | ||||
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||||||
Appelant – poursuivant | ||||||
c. | ||||||
NICOLAS ST-PIERRE | ||||||
Intimé – défendeur | ||||||
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JUGEMEN t | ||||||
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[1] Le présent jugement a trait à un appel de verdicts sur des accusations pénales portées contre l’administrateur d’une entreprise de prêts rapides en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1 (LPC), et en application du Code de procédure pénale, RLRQ c C-25.1 (CPP).
[2] Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conteste les verdicts d’acquittement prononcés par la Cour du Québec, présidée par le juge de paix magistrat Robert Lanctôt, à la faveur de M. Nicolas St-Pierre qui était accusé d’avoir, étant l’administrateur d’une entreprise de prêts rapides, conclu avec des consommateurs 12 contrats de prêt d’argent qui ne comportaient pas toutes les mentions prescrites par l’art. 115 de la LPC, commettant ainsi l’infraction prévue à l’al. 277 a), et ce, à titre de participant en vertu de l’art. 282.
[3] Il sera question de la qualification en droit des contrats en litige dans le contexte de la poursuite pénale, de la raisonnabilité des verdicts de première instance à cet égard au regard de la preuve, et de l’élément de faute requis pour établir la participation de l’administrateur aux infractions commises par l’entreprise.
[4] Voici tout d’abord un aperçu du contexte, en commençant par un résumé de la preuve au procès.
[5] La preuve du poursuivant démontre que la compagnie 9281-7378 Québec inc. (la compagnie), faisant affaire sous les noms de Prêt Instant, Credimatik et Prêt express 911, prête de petites sommes d’argent à 12 consommateurs éprouvant des difficultés financières ou ayant besoin d’argent rapidement.
[6] Les contrats sont conclus sur Internet, presque instantanément, sans vérification de crédit. Les sommes sont déposées, la journée même, directement dans les comptes bancaires des consommateurs. Les prêts sont assortis de taux d’intérêt élevés, généralement 29 %, et de frais divers. Cependant, selon des calculs effectués par l’Office de protection du consommateur (OPC), les taux de crédits ne sont pas indiqués de manière exacte aux contrats, en contravention de l’art. 115 de la LPC. Les taux de crédits véritables peuvent excéder 200 %.
[7] M. St-Pierre est, à l’époque pertinente, l’administrateur unique de la compagnie.
[8] En défense, M. St-Pierre ne conteste pas réellement les faits mis en preuve par le poursuivant. Il avance, cependant, que les contrats en question ne sont pas des contrats de prêt, mais plutôt des contrats de crédit variable. Ainsi, selon lui, les exigences de l’art. 115 de la LPC ne s’appliquaient pas.
[9] M. St-Pierre explique pourquoi et comment la compagnie en est venue à offrir des contrats de crédit variable aux consommateurs. La compagnie offrait, autrefois, des contrats de prêts, mais elle a dû changer la nature de ses contrats à la suite de modifications législatives qui ont grandement compliqué ses affaires et nuit à sa capacité de faire des profits : la Loi visant principalement à moderniser des règles relatives au crédit à la consommation et à encadrer les contrats de service de règlement de dettes, les contrats de crédit à coût élevé et les programmes de fidélisation, LQ 2017, c 24.
[10] Les nouveaux contrats, conçus avec l’aide d’avocats, sont désormais qualifiés de « facilités de crédit » permettant d’obtenir des « avances d’argent ».
[11] Cependant, les contrats comportent des caractéristiques particulières. Les contrats prévoient systématiquement que le consommateur fait, dès la signature, une demande d’avance d’argent d’un montant correspondant au plein montant du crédit consenti. Le montant est versé aussitôt. Le remboursement du capital, des intérêts et des frais est fait par versements périodiques préétablis. Pour obtenir un autre montant d’argent par la suite, le consommateur doit faire un remboursement d’au moins 60 % du montant initial et formuler une demande de renouvèlement. La compagnie se réserve le droit de refuser le renouvèlement ou de limiter le montant consenti. Par ailleurs, toujours à cause de la nouvelle loi, l’entreprise ne comporte plus, comme auparavant, un volet distinct de courtage pour imposer des frais de courtage pour les prêts qu’elle consent elle-même. Les nouveaux contrats comportent plutôt des frais de dossiers divers.
[12] Par ailleurs, bien que les contrats soient désormais des contrats de crédit variable et non plus des contrats de prêt, selon M. St-Pierre, la compagnie inscrit toujours sur ces documents son numéro de permis de prêteur d’argent émis par l’OPC. De même, elle conserve les noms évocateurs que sont Prêt Instant et Prêt express 911.
[13] M. St-Pierre assure avoir voulu respecter la loi. Il soutient que les consommateurs n’ont pas pu être bernés quant à la nature véritable des contrats.
[14] Plus tard, le juge du procès rend son jugement oralement. Ce qui suit est un résumé de ses motifs.
[15] D’abord, le juge expose sa compréhension du cadre juridique applicable. Il affirme que l’art. 282 de la LPC, portant sur la responsabilité de l’administrateur ou du représentant d’une personne morale, exige la preuve hors de tout doute raisonnable d’une « mens rea objective » chez l’administrateur ou le représentant à l’égard de l’infraction commise par la personne morale, laquelle infraction doit elle-même être prouvée hors de tout doute raisonnable.
[16] Ensuite, concernant la preuve des infractions qui auraient été commises par la compagnie dans la présente affaire, le juge se penche sur la question de savoir si les contrats en cause sont des contrats de prêt comme le soutient le poursuivant ou plutôt des contrats de crédit variable comme le prétend M. St-Pierre. Toutefois, à plusieurs reprises dans ses motifs, le juge souligne qu’il n’a pas à qualifier définitivement les contrats, mais qu’il doit simplement déterminer si le poursuivant a prouvé hors de tout doute raisonnable les infractions.
[17] D’emblée, le juge considère la prétention de M. St-Pierre que les contrats sont des contrats de crédit variable. Il observe que « c’est plein de choses qui n’ont rien à voir des crédits variables, plein ». Il note, cependant, certains éléments qui pourraient, à son avis, indiquer qu’il s’agissait bien de contrat de crédit variable, incluant la mention du terme « crédit variable » aux contrats et l’intention exprimée à ce sujet par le défendeur.
[18] Par ailleurs, le juge affirme que l’usage du mot « prêt » par les consommateurs venus témoigner a peu d’importance. De même, il écarte comme étant un facteur sans importance l’inclusion du mot « prêt » dans les noms sous lesquels la compagnie fait affaire (Prêt Instant et Prêt express 911). Il est d’avis qu’il n’a pas à tenir compte de ce qui est « externe » aux contrats.
[19] Le juge dit aussi que les contrats pourraient correspondre à la définition énoncée à l’art. 118 de la LPC, dont il cite le premier alinéa : « Le contrat de crédit variable est le contrat par lequel un crédit est consenti d’avance par un commerçant à un consommateur qui peut s’en prévaloir de temps à autre, en tout ou en partie, selon les modalités du contrat ».
[20] À cet égard, le juge reconnait que les contrats en cause prévoient le versement entier et immédiat du crédit consenti et qu’un renouvèlement doit faire l’objet d’une demande d’autorisation qui peut être refusée, plutôt que la possibilité pour le consommateur de se prévaloir de temps à autre du crédit consenti d’avance. À ce propos, il concède que : « c’est vrai que ça semble être quelque chose de particulier ». Toutefois, le juge affirme que de telles modalités ne sont pas interdites dans un contrat de crédit variable et qu’elles ne font pas nécessairement en sorte que les contrats sont des contrats de prêt. Il ajoute que des consommateurs qui ont besoin rapidement de montants d’argent modestes peuvent vouloir obtenir d’emblée le montant maximal du crédit.
[21] En définitive, considérant les caractéristiques des contrats, le juge est d’avis que le poursuivant ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que les contrats en cause sont des contrats de prêt. Il prononce donc l’acquittement sur tous les chefs.
[22] L’appel du DPCP soulève les questions de savoir si le juge du procès a erré en droit (A) ou rendu un verdict déraisonnable eu égard à la preuve (B) concernant la qualification des contrats. De plus, il s’agit de décider si le juge a erré en droit quant à l’élément de faute requis par l’art. 282 de la LPC (C).
[23] Ces questions doivent être résolues selon les pouvoirs d’intervention applicables en appel. L’art. 286 du CPP stipule ce qui suit :
286. Le juge accueille l’appel sur dossier s’il est convaincu par l’appelant que le jugement rendu en première instance est déraisonnable eu égard à la preuve, qu’une erreur de droit a été commise ou que justice n’a pas été rendue.
Toutefois, lorsque le poursuivant interjette appel d’un jugement d’acquittement et qu’il y a eu erreur de droit, le juge peut rejeter l’appel à moins que le poursuivant ne démontre que, sans cette erreur, le jugement aurait été différent.
Lorsque le défendeur interjette appel d’un jugement de déclaration de culpabilité ou qui conclut à l’incapacité du défendeur de subir l’instruction en raison de son état mental et qu’il y a eu erreur de droit, le juge peut rejeter l’appel si le poursuivant démontre que, sans cette erreur, le jugement aurait été le même.
[24] La norme de contrôle à l’égard d’une question de droit est celle de la décision correcte, alors que la norme de contrôle applicable à une question de fait ou à une question mixte de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante (R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 23; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 19-37).
[25] Ainsi, l’appréciation de la preuve par le juge du procès doit être considérée avec grande déférence en appel (R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, para. 10; Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, par. 37; Bourdeau c. R., 2018 QCCA 786; Tremblay c. R., 2018 QCCA 2170, par. 37).
[26] Toutefois, l’effet juridique d’une conclusion de fait est une question de droit. C’est ce que la Cour suprême du Canada a affirmé dans l’arrêt R. c. Morin, [1992] 3 RCS. 286, à la p. 294, et réitéré dans l’arrêt R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, au par. 28 :
Si un juge du procès conclut à l’existence de tous les faits nécessaires pour tirer une conclusion en droit et que, pour tirer cette conclusion, ces faits peuvent simplement être tenus pour avérés, une cour d’appel peut ne pas partager la conclusion tirée sans empiéter sur la fonction de recherche des faits conférée au juge du procès. Le désaccord porte sur le droit et non sur les faits ni sur les conclusions à tirer de ceux‑ci. Le même raisonnement s’applique si les faits sont acceptés ou incontestés.
[27] L’arrêt Le, précité, est au même effet, au par. 23 :
[23] Avant de procéder à toute analyse en l’espèce, il faut établir la norme de contrôle applicable. Les questions de droit en appel commandent l’application de la norme de la décision correcte (R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 18). Les questions de fait sont pour leur part assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante (par. 18). La question de l’application du droit à un cadre factuel donné, c’est‑à‑dire la question de savoir si un critère fixé par la loi est rempli, est une question de droit qui est contrôlée au moyen de la norme de la décision correcte (Shepherd, par. 20; Grant, par. 43).
[28] Dans le même ordre d’idée, selon l’arrêt Housen, aux par. 27-31, une question qui est à première vue une question mixte de fait et de droit constitue une pure question de droit, assujettie à la norme de la décision correcte, lorsque l’erreur porte sur un précepte de droit isolable. Voir aussi : Frédéric Bachand, Le traitement en appel des questions de fait, questions de droit et questions mixtes, 2007 86-1 Revue du Barreau canadien 69.
[29] Par ailleurs, en matière pénale, le poursuivant n’est pas limité en appel à des questions de droit. Il peut plaider le caractère déraisonnable du verdict d’acquittement (art. 286 du CPP; Autorité des marchés financiers c. Patry, 2015 QCCA 1933, par. 142-143).
[30] Un jugement est déraisonnable eu égard à la preuve au sens de l’art. 286, s’il s’agit d’un verdict qu’un juge se dirigeant correctement en droit et agissant de manière judiciaire n’aurait pas pu raisonnablement rendre eu égard à la preuve (Natale c. Autorité des marchés financiers, 2016 QCCA 944, par. 19-25).
[31] Il demeure que le critère du verdict déraisonnable doit être appliqué avec rigueur dans le cadre d’un appel du poursuivant (Bensaadi c. R., 2020 QCCA 1105).
[32] Avec respect, le juge du procès a erré en droit en manquant de constater ce que les faits établis au procès démontrent de manière inéluctable : les contrats en cause sont des contrats de prêt et ils ne sont pas des contrats de crédit variable.
[33] La conclusion contraire repose sur l’omission de donner leur effet juridique aux faits avérés et sur une compréhension erronée des définitions juridiques du contrat de prêt et du contrat de crédit variable.
[34] Situons le problème dans le cadre juridique applicable, c’est-à-dire une poursuite pénale dans laquelle le poursuivant doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l’infraction tels qu’ils sont définis par le droit.
[35] L’art. 115 de la LPC stipule qu’un contrat de prêt d’argent impliquant un consommateur doit comporter certains renseignements, précisés dans un règlement, concernant notamment le taux de crédit exact, visant à informer adéquatement le consommateur. Au passage, l’art. 115 a été amendé depuis les faits de la présente cause de sorte que les mentions obligatoires sont désormais inscrites à l’article même.
[36] L’al. 277 a) créé une infraction pénale en cas de contravention.
[37] Il est entendu que M. St-Pierre n’a pas agi à titre personnel. Le poursuivant a donc invoqué l’art. 282 qui prévoit que l’administrateur ou le représentant d’une personne morale qui avait connaissance d’une infraction commise par la personne morale est réputé être partie à l’infraction à moins qu’il n’établisse qu’il n’avait pas acquiescé à la commission de l’infraction.
[38] À l’époque pertinente, ces dispositions se lisaient comme suit :
115. Le contrat de prêt d’argent doit reproduire, en plus des mentions prescrites par règlement, les mentions prévues à l’annexe 3.
277. Est coupable d’une infraction la personne qui: a) contrevient à la présente loi ou à un règlement;
282. Lorsqu’une personne morale commet une infraction à la présente loi ou à un règlement, un administrateur ou un représentant de cette personne morale qui avait connaissance de l’infraction est réputé être partie à l’infraction et est passible de la peine prévue aux articles 278 ou 279 pour une personne physique, à moins qu’il n’établisse à la satisfaction du tribunal qu’il n’a pas acquiescé à la commission de cette infraction.
[39] Ainsi, au procès pour chacun des contrats allégués, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable, à titre d’éléments essentiels (1) que la compagnie avait conclu un contrat de prêt d’argent avec un consommateur, (2) que le contrat omettait l’une ou l’autre des mentions obligatoires applicables à un contrat de prêt, (3) que le défendeur était administrateur ou représentant de la compagnie, et (4) que le défendeur avait connaissance de l’infraction commise par la compagnie.
[40] En défense, le défendeur pouvait présenter une preuve pour réfuter ou soulever un doute raisonnable à l’égard de l’un ou l’autre de ces éléments essentiels, ne pas présenter de preuve et plaider que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve, ou encore repousser la présomption de participation en établissant qu’il n’avait pas acquiescé à l’infraction.
[41] Comme déjà mentionné, la défense de M. St-Pierre dans la présente cause a consisté à alléguer que les contrats n’étaient pas des contrats de prêt, mais plutôt des contrats de crédit variable. Il est entendu que l’infraction n’était pas prouvée si les contrats étaient des contrats de crédit variable ou s’il subsistait un doute raisonnable sur ce point. Les exigences de la loi diffèrent à l’égard de l’un et de l’autre de ces contrats (voir notamment l’art. 15 du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1, r 3).
[42] Ainsi, au procès comme en appel, la seule véritable question en litige concerne la qualification des contrats litigieux.
[43] En cette matière, il est utile de considérer le droit civil qui enseigne que la qualification d’un contrat est un exercice de classification portant sur l'objet, les effets et les conditions du contrat afin de le rattacher à une catégorie normative permettant de déterminer le régime juridique qui lui est applicable. Il s’agit essentiellement d’une question de droit. Ainsi, le juge n'est pas lié par la qualification du contrat énoncée par les parties. Cependant, selon le contexte, il peut s’agir d’une question mixte de fait et de droit, car l’examen concerne la véritable intention commune des parties qui peut être révélée par les circonstances de la formation du contrat ou par la manière dont celui-ci est appliqué. La qualification du contrat est proche, mais distincte de l’interprétation du contrat, qui est également fonction de l’intention des parties, mais qui vise plutôt à en déterminer le contenu précis en vertu de certaines règles d’interprétation (Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, par. 27-42; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, par. 51; Société immobilière Duguay inc. c. 547264 Ontario Limited, 2020 QCCA 571, par. 33-34; Domtar inc. c. Axa Assurances inc., 2019 QCCA 1736, par. 43-45; Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018, pp. 968-974).
[44] Voilà qui est éclairant. Toutefois, le droit civil relatif à la qualification des contrats ne doit pas être appliqué sans nuance dans le cadre d’une affaire pénale. Il importe de faire les adaptations nécessaires. Le contrat inclus dans un texte d’incrimination est un élément de l’actus reus (l’élément matériel) de l’infraction en cause. Dans ce contexte, l’analyse ne porte pas tant sur l’intention commune des parties que sur le comportement qui est reproché au défendeur. Ensuite, dans un système de justice pénale fondé sur la primauté du droit, l’actus reus de l’infraction doit être définie de manière précise et objective en droit. Le contrat considéré à titre d’élément constitutif d’une infraction pénale doit être défini objectivement. Dans R. c. Labaye, 2005 CSC 80, au par. 2, la juge en chef McLachlin affirmait ceci :
L’importance accrue accordée à un test objectif repose sur le principe que les infractions criminelles doivent être définies de telle manière que les citoyens, la police et les tribunaux puissent avoir une idée claire des actes qui sont interdits. (Voir Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, le juge Lamer.) En règle générale, nous ne condamnons et n’emprisonnons les gens que lorsqu’il est établi hors de tout doute raisonnable qu’ils ont violé des normes définies objectivement.
[45] Cela étant dit, qu’est-ce qu’un contrat de prêt ? La LPC ne contient aucune définition spécifique, mais le Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991 (C.c.Q.) prévoit ceci aux articles 2314 et 2315 :
2314. Le simple prêt est le contrat par lequel le prêteur remet une certaine quantité d’argent ou d’autres biens qui se consomment par l’usage à l’emprunteur, qui s’oblige à lui en rendre autant, de même espèce et qualité, après un certain temps.
2315. Le simple prêt est présumé fait à titre gratuit, à moins de stipulation contraire ou qu’il ne s’agisse d’un prêt d’argent auquel cas, il est présumé fait à titre onéreux.
[46] Quant au contrat de crédit variable, il est ainsi défini à l’art. 118 de la LPC :
118. Le contrat de crédit variable est le contrat par lequel un crédit est consenti d’avance par un commerçant à un consommateur qui peut s’en prévaloir de temps à autre, en tout ou en partie, selon les modalités du contrat.
Le contrat de crédit variable comprend le contrat conclu pour l’utilisation d’une carte de crédit, que l’utilisation de la carte exige ou non un numéro d’identification personnel ou un autre moyen visant à s’assurer de l’autorisation du consommateur; il comprend aussi le contrat conclu pour l’utilisation de ce qui est communément appelé marge de crédit, compte de crédit, ligne de crédit, compte budgétaire, crédit rotatif, ouverture de crédit et tout autre contrat de même nature.
[47] Ces définitions s’appliquent en droit pénal, mais en mettant l’accent sur le comportement du défendeur et en leur donnant le caractère objectif requis. Ainsi, considéré à titre d’élément de l’actus reus de l’infraction, le contrat de prêt d’argent est une entente en vertu de laquelle le défendeur remet un montant d’argent à un consommateur contre un engagement de ce consommateur à lui rendre le montant d’argent après un certain temps, et ce, habituellement à titre onéreux. Dans le même contexte, le contrat de crédit variable est une entente en vertu de laquelle le défendeur consent une avance un crédit à un consommateur qui peut s’en prévaloir de temps à autre, en tout ou en partie, selon les modalités du contrat. Les contrats énumérés à l’art. 118 permettent de comprendre le type de contrats dont il s’agit (Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, par. 40-43; Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., 2000 CSC 13, par. 14-26).
[48] Dans la présente cause, les faits non contestés établissaient en droit que la compagnie a conclu des contrats de prêt d’argent, à titre onéreux, avec les consommateurs. La compagnie a remis des montants d’argent aux consommateurs qui s’engageaient à la rembourser avec des intérêts et des frais. Objectivement, à titre d’élément de l’actus reus, les contrats étaient des contrats de prêt.
[49] La défense de M. St-Pierre ne soulevait pas le moindre doute à cet égard. Selon les faits établis, les contrats ne comportaient, en réalité, aucune des caractéristiques juridiques essentielles du contrat de crédit variable. Il ne s’agissait pas de crédits consentis d’avance dont les consommateurs pouvaient se prévaloir de temps à autre, en tout ou en partie, à la manière des contrats de carte de crédit, de marge de crédit, ou de ligne de crédit, etc. Rappelons que les contrats conçus par la compagnie prêteuse, auxquels adhéraient les consommateurs, stipulaient plutôt la remise automatique et immédiate du plein montant consenti et prévoyaient que l’obtention d’un autre montant devait faire l’objet d’une demande de renouvèlement pouvant être refusée par la compagnie.
[50] Pour les mêmes raisons, les verdicts de première instance sont déraisonnables eu égard à la preuve. Avec respect, il est impossible de conclure raisonnablement, considérant la preuve retenue au procès, que les contrats en litige étaient autre chose que des contrats de prêts ou même d’entretenir un doute raisonnable à ce sujet.
[51] Il s’agit d’un rare cas où le doute raisonnable ne peut s’appuyer sur aucune inférence disponible eu égard à la preuve (Bensaadi c. R., 2020 QCCA 1105, paré 36; R. c. Zhang, 2023 QCCS 3387, par. 33).
[52] Il vaut, cependant, de souligner certains points à propos desquels le juge du procès avait raison.
[53] Il est vrai que le juge n’avait pas nécessairement à qualifier les contrats. La question importante était de décider si le poursuivant s’était déchargé de son fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable. Théoriquement, un doute raisonnable pouvait subsister, sans que la question de la qualification ne soit tranchée de façon définitive.
[54] Puisque l’analyse devait porter sur le comportement infractionnel reproché et sur son caractère objectif, le langage employé par les consommateurs pour désigner les contrats avait une utilité limitée pour qualifier les contrats au sens du droit pénal. Il demeure que la perception des consommateurs pouvait être un aspect de la preuve circonstancielle à ce sujet.
[55] De même, le juge a eu raison d’affirmer que les plaidoyers de culpabilité de la compagnie aux mêmes infractions n’étaient pas opposables à M. St-Pierre. En principe, le plaidoyer de culpabilité d’un complice ne fait pas preuve contre l’accusé (R. c. Vinette, [1975] 2 RCS 222; R. c. Gordon Gray, 2018 QCCA 1104, par. 19-20; R. c. Caesar, 2016 ONCA 599, par. 55).
[56] Au passage, les commentaires exprimés par le juge lors des plaidoiries, qui seraient contraires aux conclusions de son jugement subséquent, ne sont pas pertinents à l’analyse en appel. À ce sujet, le juge Doyon écrivait dans R. c. Giroux, 2007 QCCA 1670, au par. 10 :
[10] Devant un tel argument, il est utile de répéter que les interventions d'un juge en appel ont pour but d'éclairer davantage le débat et de permettre aux parties de réagir à une proposition qu'il avance, mais ne sauraient constituer une opinion ferme ou des conclusions sur lesquelles il ne pourrait ensuite revenir. On ne peut évidemment reprocher à un juge d'avoir délibéré et rendu un jugement qui s'est avéré différent de certains commentaires formulés pendant l'audience. Si l'on pouvait lui en faire grief, il faudrait s'interroger sérieusement sur la signification et la portée du délibéré.
[57] Toujours avec respect, le jugement de première instance comporte une erreur quant à la mens rea requise par l’art. 282 de la LPC. Le juge se trompe en affirmant que cette disposition requiert une mens rea objective pour établir la participation de l’administrateur ou du représentant de la personne morale. Cependant, le DPCP fait également fausse route en plaidant qu’il n’avait pas à prouver la connaissance de l’infraction. L’art. 282 exige la preuve hors de tout doute raisonnable d’une connaissance subjective de l’infraction.
[58] L’infraction prévue par les art. 115 et l’al. 277 a) de la LPC est évidement une infraction pénale règlementaire selon la classification de l’arrêt R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 RCS 1299. L’objet de cette infraction est la protection du public à l’égard d’une activité règlementée. Normalement, ce genre d’infraction appartient à la catégorie des infractions de responsabilité stricte pour lesquelles le poursuivant n’a pas à prouver d’élément de faute, à moins d’une indication claire à l’effet contraire dans le texte de la disposition créant l’infraction (La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, par. 31; Lévis (Ville) c. Tétreault, 2006 CSC 12, par. 16; Heller c. Autorité des marchés financiers, 2022 QCCA 208).
[59] En l’espèce, puisque les contrats en question ont été conclus par la compagnie, et non par M. St-Pierre personnellement, et que ce dernier était accusé à titre d’administrateur en vertu de l’art. 282, la poursuite devait prouver qu’il avait connaissance des infractions commises par la compagnie pour lui imputer les infractions à titre de participant. Le libellé de l’art. 282 est clair : « un administrateur ou un représentant de cette personne morale qui avait connaissance de l’infraction est réputé être partie à l’infraction ».
[60] En droit comme en psychologie, la connaissance est bien évidemment un état d’esprit subjectif. La connaissance est la croyance ou la conscience véritable de certains faits ou circonstances (États-Unis d'Amérique c. Dynar, [1997] 2 RCS 462, par. 41-44).
[61] Bref, il s’agit d’un cas d’exception où la loi prévoit explicitement que le poursuivant a le fardeau de prouver un élément de mens rea, soit la connaissance.
[62] Selon l’art. 282, si le poursuivant prouve la connaissance, l’administrateur est réputé être partie à l’infraction. L’administrateur peut, cependant, réfuter la présomption de participation en établissant qu’il n’a pas donné son accord à l’infraction : « à moins qu’il n’établisse à la satisfaction du tribunal qu’il n’a pas acquiescé à la commission de cette infraction ».
[63] Dans la présente affaire, selon son propre témoignage, M. St-Pierre avait connaissance des infractions commises par la compagnie et il a acquiescé à celles-ci. Il en était même le principal instigateur. C’est lui qui, à titre d’âme dirigeante de la compagnie, a présidé à la création et la mise en place des contrats en cause.
[64] Bien entendu, l’état d’esprit visé par l’art. 282 concerne la perpétration des éléments essentiels de l’infraction et non leur caractère illégal. La volonté ou la croyance sincère d’agir légalement, même conformément à des avis juridiques, n’étaient d’aucun secours pour M. St-Pierre. L’erreur de droit n’est pas une défense recevable en droit pénal (La Souveraine, par. 68-77; Gingras c. R., 2022 QCCA 1546, par. 15).
[65] M. St-Pierre est donc coupable.
[66] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[67] ACCUEILLE l’appel;
[68] ANNULE les verdicts d’acquittement;
[69] DÉCLARE Nicolas St-Pierre coupable des 12 constats d’infraction;
[70] CONDAMNE Nicolas St-Pierre à des amendes de 600 $ sur chacun des 12 constats d’infraction avec les frais et contributions en première instance, sans frais en appel.
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ALEXANDRE BOUCHER, j.c.s.
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Me Gabrielle Arsenault | |
Directeur des poursuites criminelles et pénales | |
Procureure de l’appelant – poursuivant | |
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Me Lauriane Walker-Hanley | |
Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L | |
Procureure de l’intimée – défendeur | |
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Date d’audience : | 15 juin 2023 |
AVIS :
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