Kanyinda c. Procureur général du Québec | 2022 QCCS 1887 | |||||
COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 500-17-108083-190 | |||||
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DATE : | Le 25 mai 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARC ST-PIERRE, J.C.S. | ||||
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BIJOU CIBUABUA KANYINDA | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | ||||||
Défendeur et | ||||||
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE Intervenante | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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APERÇU
[1] Une personne en demande d’asile au Canada demande à la Cour supérieure de déclarer qu’elle a droit à des places subventionnées en garderie pour ses enfants en vertu du Règlement sur la contribution réduite adopté sous l’empire de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance.
[2] La demanderesse d’asile propose une interprétation de l’article 3 RCR faisant en sorte que les demandeurs-esses d’asile en attente d’une décision sur leur statut de réfugié-e seraient admissibles à la contribution réduite, ce avec quoi le tribunal s’est déclaré en désaccord à l’audience. .
[3] Alternativement, elle demande de déclarer nul l’article
[4] Elle invoque que le gouvernement n’était pas habilité par la loi à établir des catégories de personnes admissibles à la contribution réduite.
[5] Également, la demanderesse soutient que le règlement établit des distinctions contraires à l’article
[6] La Comission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui a soutenu le point de vue de la demanderesse d’asile a plaidé plus particulièrement pour sa part sur la base de la Charte des droits et libertés de la personne (du Québec).
[7] Elle invoque, d’une part, que l’exclusion des demandeurs-esses d’asile établit une distinction basée sur des motifs de discrimination visés par l’article 10 eu égard au sexe, à la condition sociale et à l’origine ethnique et, d’autre part, que cette distinction serait illégale parce que contraire à l’article 12 qui interdit (à quiconque) de refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet un service ordinairement offert au public pour un motif discriminatoire.
[8] La commission plaide également que cette disposition de l’article 3 RCR se trouverait à violer en plus l’article 4 de la charte québécoise qui prévoit le droit à la sauvegarde de sa dignité.
[9] Le procureur général du Québec qui a pris la défense de l’article 3 RCR soulève dans un premier temps que la Cour supérieure ne doit pas se prononcer parce que le litige est devenu théorique par le fait de la reconnaissance par les autorités canadiennes du statut de réfugiée de la demanderesse d’asile – elle est devenue de ce fait éligible à la contribution réduite; la Cour s’autorisant de son pouvoir discrétionnaire croit qu’elle peut et doit se prononcer.
[10] Sur le fond, le Procureur général du Québec soumet que le gouvernement était habilité par la loi à adopter le règlement, ce que le tribunal ne croit pas.
[11] Il considère d’autre part que le règlement n’est pas discriminatoire au sens de la charte canadienne ni qu’il crée un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12; le tribunal est d’accord avec ces deux propositions.
[12] Il plaide par ailleurs que le règlement ne crée pas discrimination illégale en vertu de la charte québécoise et qu’il ne viole pas le droit des demandeurs-esses d’asile à la sauvegarde de leur dignité; le tribunal va lui donner raison.
PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE : Est-ce que la cour doit refuser de se prononcer sur le fond parce que le litige est devenu théorique?
[13] Dans Phillips c. N.- É. (enquête Westray)[1] plaidé par le P.G.Q., le juge Sopinka écrivait (traduction) :
Notre Cour a dit à maintes reprises qu’elle ne devait pas se prononcer sur des points de droit lorsqu’il n’est pas nécessaire de le faire pour régler un pourvoi. Cela est particulièrement vrai quand il s’agit de questions constitutionnelles et le principe s’applique avec encore plus de force si le fondement de la procédure qui a été engagée a cessé d’exister. [2]
[14] Le procureur général a également invoqué un arrêt de la Cour d’appel dans Procureur général du Québec c. 9105425 Canada association[3] qui pour sa part enseigne que :
[24] Tout comme dans l’arrêt Vidéotron, le premier critère, celui ayant trait à l’exigence d’un débat contradictoire, ne pose pas de problème ici. Les parties ont eu l’occasion de plaider le pourvoi au fond, l’entente étant intervenue en cours de délibéré.
[25] Le moment auquel cette entente intervient a également un impact sur le deuxième critère qui se rapporte à l’économie des ressources judiciaires. Dans Borowski c. Canada (Procureur générale), la Cour suprême enseigne que le fait qu’un tribunal a entendu le pourvoi au fond ne compromet pas pour autant son pouvoir discrétionnaire. Ici, comme on le sait, l’entente intervient pendant le délibéré, de sorte que le refus de se prononcer ne permettrait aucune économie à ce niveau. On peut donc dire que ce critère est ici neutre.
[26] En ce qui concerne le dernier critère, soit la fonction du tribunal dans l’élaboration du droit, il est vrai que la question soulevée par le pourvoi est susceptible d’être d’intérêt. D’autres aérodromes seront sans contredit construits à l’avenir au Québec. D’ailleurs, selon les observations de Ville de Mascouche, l’entente intervenue reflète l’intention des intimées de réaliser leur projet d’aérodrome sur un autre site. (références omises)
[15] Pour sa part, la demanderesse invoque plus particulièrement des extraits d’un ouvrage dont un des auteurs, Peter W. Hogg, ferait autorité en matière de droit constitutionnel au Canada; les extraits sont puisés dans l’ouvrage Constitutional Law of Canada[4] :
…The same is true of mootness. The Court has a discretion to decide a moot case, and, at least in constitutional cases, usually exercises the discretion in favour of deciding the case. Indeed, Borowski, despite its clear affirmation of the rule against deciding moot cases, is one of only a small group of cases in which the Court has actually applied the rule.
…
I have footnoted below a number of constitutional cases which were moot by the time they reached the Supreme Court of Canada, but which were decided nevertheless. In these cases, the Court was obviously persuaded that (1) there was a serious legal question to be decided, and (2) the question, despite its mootness, would be properly argued on both sides. Where both these factors are present, the Court will usually exercise its discretion to decide a moot case. (références omises)
[16] L’arrêt Maranda c. Richer[5] qui a été invoqué par la commission bien qu’il ne porte pas strictement sur un cas constitutionnel est considéré comme suffisamment pertinent par les auteurs Hogg et Wrigth pour faire partie des jugements auxquels ils réfèrent pour appuyer leur point de vue ci-dessus exprimé.
[17] Dans Maranda, toutes les cours se sont prononcées, en partant de la Cour supérieure jusqu’à la Cour suprême du Canada, même si la couronne s’était désistée auparavant du mandat de perquisition, l’objet du litige en cause.
[18] Considérant que ce dernier jugement est postérieur à celui invoqué par le procureur général et que la doctrine invoquée par la demanderesse est des plus récentes, le soussigné en conclut qu’il jouit du pouvoir discrétionnaire de se prononcer; d’ailleurs, le jugement de la Cour suprême et celui de la Cour d’appel invoqués par le P.G.Q. n’excluent pas affirmativement cette possibilité.
[19] Or, ici, au sens de ce qu’écrivaient les auteurs cités par la demanderesse, il y a une question sérieuse en droit à décider et elle a malgré son caractère théorique été argumentée adéquatement – sur deux jours.
[20] S’ajoute à ça ce que le tribunal a mentionné à l’audience, à savoir que les demandeurs-esses d’asile finissent par avoir une réponse dans un délai qui même si prolongé à cause de l’afflux de demandes peut être inférieur à celui entre le prise du pourvoi et le procès en première instance; ainsi, à chaque fois, on risque de se retrouver devant un cas théorique de sorte que la question - d’importance – ne serait jamais tranchée.
DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE : Est-ce que l’article
[21] L’article
3. Est admissible au paiement de la contribution réduite, le parent qui réside au Québec et qui satisfait à l’une des conditions suivantes :
1o il est citoyen canadien;
2o il est résident permanent au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, c. 27);
3o il séjourne au Québec principalement afin d’y travailler et il est titulaire d’un permis de travail délivré conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou est exempté de l’obligation d’être titulaire d’un tel permis en vertu de cette loi;
4o il est un étudiant étranger, titulaire d’un certificat d’acceptation délivré en vertu de la Loi sur l’immigration au Québec (chapitre I-0.2.1) et récipiendaire d’une bourse d’études du gouvernement du Québec en application de la politique relative aux étudiants étrangers dans les collèges et universités du Québec;
5o il est reconnu, par le tribunal canadien compétent, comme réfugié ou personne à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et il est titulaire d’un certificat de sélection délivré en vertu de l’article
6o le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration lui a accordé la protection en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et il est titulaire du certificat de sélection visé au paragraphe 5;
7o il est titulaire d’un permis de séjour temporaire délivré en vertu de l’article
8o Il est autorisé à soumettre au Canada une demande de résidence permanente en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/02-227) et il est titulaire du certificat de sélection visé au paragraphe 5.
D. 583-2006, a. 3 : L.Q. 2015, c. 8, a. 178; L.Q. 2020, c. 5, a. 13
[22] Il vaut probablement la peine de reproduire l’article 4 de la loi applicable, la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, pour placer l’article 3 RCR dans son contexte :
4. Tout enfant a le droit de recevoir, jusqu’à la fin de l’enseignement primaire, des services de garde éducatifs personnalisés de qualité.
Ce droit s’exerce en tenant compte de l’organisation et des ressources des prestataires de services de garde et des bureaux coordonnateurs de la garde en milieu familial agréé ainsi que du droit du prestataire de services d’accepter ou de refuser des recevoir un enfant, des règles relatives aux subventions et de la priorité donnée aux enfants de la naissance jusqu’à leur admission à l’éducation préscolaire.
[23] L’article 3 RCR est donc la disposition qui identifie les personnes admissibles aux places subventionnées commandant une contribution réduite fixée à l’origine à cinq dollars (5,00$) puis apparemment rendue maintenant à huit dollars soixante-dix (8,70$).
[24] La demanderesse et la commission s’en prennent plus particulièrement au changement d’orientation des fonctionnaires du ministère qui ont décidé d’interpréter après quelques années d’application la partie au début du sous-aliéa 3o « il séjourne au Québec principalement afin de travailler…» comme excluant les demandeurs-esses d’asile; la commission s’en prend aussi à raison à l’ajout de conditions par les fonctionnaires aux dispositions du règlement.
[25] Toutefois, le tribunal a tendance à croire que les mots « principalement afin d’y travailler » au troisième sous-alinéa de l’article 3 RCR visent les travailleurs saisonniers en provenance du Mexique ou d’autres pays d’Amérique centrale ou du Sud qui viennent aider dans nos champs l’été; la procureure de la demanderesse a d’ailleurs mentionné qu’elle en représente plusieurs lorsque le tribunal l’a mentionné à l’audience donnant ainsi en quelque sorte à entendre qu’elle est d’accord.
[26] La procureure de la commission a argumenté à partir de principes d’interprétation tirés d’un ouvrage reconnu[6] que ça devait être vu autrement.
[27] Cependant, pour la cour, c’est surtout en vertu du cinquième sous-alinéa que les demandeurs-esses d’asile sont exclu-e-s, a contrario, parce qu’il y est fait référence à des réfugiés reconnus (comme faisant partie des personnes admissibles); les demandeurs-esses d’asile sont précisément des personnes qui demandent d’être reconnues comme réfugiées.
[28] Curieusement, l’article 106 de la loi qui identifie près de quarante (40) objets pour lequel le gouvernement peut adopter un règlement ne prévoit pas spécifiquement que le gouvernement peut adopter un règlement pour déterminer les conditions d’admissibilité des parents à la contribution réduite.
[29] Le procureur général a référé aux articles 84 et 106, 26e sous-alinéa, qui par une interprétation téléologique large donneraient au gouvernement l’habilitation pour identifier les personnes admissibles :
84. Le gouvernement peut, par règlement, déterminer les conditions de versement de la contribution fixée pour une journée ou une demi-journée de garde ainsi que les cas d’exemption totale ou partielle de cette contribution pour tout ou partie des services qu’il détermine.
2005, c. 47, a. 84; 2015, c. 8, a. 165; 2020, c. 5, a. 11.
106. Le gouvernement peut, par règlement, pour l’ensemble ou une partie du territoire du Québec:
26° déterminer les conditions et modalités suivant lesquelles le parent verse la contribution fixée par le gouvernement et les cas où le parent en est exempté, totalement ou partiellement, pour tout ou partie des services déterminés;
qui visent de toute évidence autre chose; si le législateur avait voulu que ces dispositions visent les catégories de personnes qui bénéficieraient de la contribution réduite, il l’aurait écrit dans ces mots-là ou dans des mots semblables.
[30] Le procureur général invoque par ailleurs la doctrine de l’habilitation indirecte qui ferait en sorte que la cour devrait accepter la légalité de l’article 3 RCR sur la base de la disposition dans la loi qui réfère aux conditions d’admissibilité des parents à la contribution réduite déterminées par règlement, à savoir le quatrième paragraphe du premier alinéa de l’article 42 de la loi qui se lit comme suit :
42. Le bureau coordonnateur a pour fonctions, dans le territoire qui lui est attribué :
4o de déterminer, selon les cas et conditions déterminées par règlement, l’admissibilité d’un parent à la contribution fixée par le gouvernement en vertu de l’article 82;
[31] Le procureur général plaide à partir de cette disposition que la loi prévoit clairement un règlement sur l’admissibilité, donc permettant de déterminer les catégories de personnes pouvant bénéficier de la contribution réduite; le tribunal est d’accord avec cet avancé.
[32] Cependant, dans la doctrine plaidée par la demanderesse, Garant[7], d’une part et Issaly et Lemieux[8], d’autre part, écrivent en parlant de l’halibitation indirecte qu’il faut au moins que le titulaire du pouvoir (d’habilitation) soit identifié; cette détermination par les auteurs n’est pas remise en cause par le procureur général.
[33] Il plaide plutôt que l’autorité pour adopter dans un règlement les critères d’admissibilité à la contribution ressort de toute évidence du texte de loi, le seul autre titulaire du droit d’adopter des règlements en vertu de la loi[9], le ministre, se voyant confier le pouvoir d’adoption d’un règlement que dans une zone très limitée étrangère à la contribution (à l’article 107 de la loi).
[34] Cependant, pour le soussigné, même si c’était logique (que ce soit le gouvernement qui serait habilité), ce serait d’ajouter quelque chose qui ne se trouve pas dans l’enseignement à tirer de la doctrine que d’accepter la proposition du P.G.Q. en ce sens que ça serait la cour elle-même qui identifierait le titulaire du pouvoir d’habilitation alors que ça doit être la loi.
[35] Dans les circonstances, la cour est d’avis que le gouvernement n’a pas été habilité à adopter l’article 3 RCR fixant les catégories des personnes pouvant bénéficier de la contribution réduite; l’article
QUATRIÈME QUESTION EN LITIGE : Est-ce l’article 3 RCR crée une discrimination pour un motif énuméré à l’article 15 de la charte canadienne ou pour un motif analogue?
[36] Pour mémoire, voici comment se lit l’article 15 :
15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Programmes de promotion sociale
(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques. (85)
[37] Tel que mentionné précédemment, la demanderesse invoque trois motifs distincts, le sexe, la citoyenneté et le statut migratoire.
[38] Pour le sexe, elle s’est basée essentiellement sur un arrêt de la Cour suprême du Canada dans Fraser c. Canada (Procureur général)[10], une affaire de discrimination par effet préjudiciable.
[39] Dans cette affaire, les employées, des agentes de Gendarmerie royale du Canada, se plaignaient de ne pas avoir pu accumuler du service à temps plein aux fins du régime de retraite lorsqu’elles réduisaient leur temps de travail en application d’un certain mécanisme d’entente de partage de poste qui permet à deux employé-e-s à temps plein de combiner leur temps de travail sur un seul poste à temps plein.
[40] La cour suprême a déterminé que le régime avait des effets disproportionnés sur les femmes parce que ce sont surtout - pour ne pas dire seulement - elles qui s’en prévalent notamment et principalement pour s’occuper des enfants; il y avait donc discrimination basée sur le sexe même si les hommes pouvaient se prévaloir de l’entente de partage de poste – par effet préjudiciable d’une condition de travail d’apparence neutre.
[41] Le procureur général de son côté invoque l’arrêt Symes c. Canada[11] où il est traité de l’effet discriminatoire d’une disposition de la loi sur l’impôt faisant en sorte que les femmes d’affaires ne pouvaient pas déduire les frais de garde d’enfants de leurs revenus.
[42] La cour suprême décide que même s’il est entendu que les coûts sociaux engendrés par la venue au monde des enfants sont payés par les femmes bien davantage que par les hommes, ça aurait pris une preuve de paiement disproportionné par les femmes des frais de garde[12] - qui n’a pas été présentée.
[43] Également, le procureur général fait la distinction avec l’arrêt Fraser dans lequel une preuve a été apportée quant au pourcentage de femmes qui utilisaient l’entente de partage des postes, par exemple, cent pour cent dans la période de 2010 à 2014, alors que les chiffres de l’experte de la demanderesse ne sont pas concluants[13].
[44] Le tribunal croit devoir se ranger à l’avis du procureur général en ce que dans ce cas-ci non plus rien ne permet de déterminer dans quelle proportion l’homme et la femme demandeus-esses d’asile assumeraient les frais supplémentaires de garde de leurs enfants; le cas de la demanderesse arrivée seule avec ses enfants ne peut pas constituer une évidence statistique.
[45] En ce qui concerne la citoyenneté, la demanderesse atteste que la citoyenneté est un motif de discrimination analogue à ceux énumérés qui est reconnu, ce qui n’est pas contesté par le procureur général.
[46] Cependant, comme le procureur général l’a plaidé, la contribution réduite en vertu de l’article 3 RCR bénéficie oui aux citoyens canadiens, par son premier sous-alinéa, mais aussi à sept autres catégories de personnes qui ne sont pas citoyens du Canada.
[47] Par analogie, dans Li c. British-Columbia[14], plaidé par le P.G.Q., une taxe supplémentaire à l’achat d’un immeuble résidentiel dans certaines régions ne s’appliquant qu’aux étrangers n’a pas été considérée par la Cour d’appel de Colombie-Britannique comme une discrimination sur la base de citoyenneté parce que la taxe n’était pas payable par les résidents permanents au Canada – qui n’ont pas la citoyenneté canadienne; la cour doit donc se ranger ici aussi à l’avis du procureur général.
[48] Finalement, en ce qui concerne le statut migratoire, la demanderesse invoque un jugement de la Cour suprême dans Miron c.Trudel[15] où la cour suprême nuance la nécessité du caractère immuable d’un motif analogue; elle donne comme exemple la religion qui est un des motifs énumérés et correspond à une caractéristique qui peut changer dans le temps.
[49] Cependant, il y a toute une marche à monter pour placer la demande d’asile sur le même pied que la religion en ce que si les délais prévus par la loi étaient respectés, la réponse quant au statut de réfugié viendrait dans les soixante (60) jours.
[50] Même si les délais se sont prolongés jusqu’à une année ou deux à cause de l’explosion du nombre de demandes, par nature, le statut de demandeur d’asile est temporaire alors que tel n’est pas le cas pour la religion.
[51] D’ailleurs, le procureur général a cité deux jugements dans lesquels la Cour d’appel fédérale a refusé de reconnaître le statut migratoire comme un motif analogue au sens de l’article
[52] Sur le tout, la cour en vient à la conclusion que l’article 3 RCR n’est pas discriminatoire au sens de l’article 15 de la Charte canadienne.
CINQUIÈME QUESTION EN LITIGE : Est-ce que l’exclusion des demandeurs-esses d’asile à l’article 3 RCR constitue un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la charte canadienne?
[53] Nous reproduisons l’article 12 :
Cruauté
12 Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
[54] Ici, la demanderesse invoque essentiellement un jugement de la Cour fédérale de 2014 dans Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général)[17]; il s’agit précisément d’une affaire de demandeurs-esses d’asile.
[55] C’est un jugement bien étoffé au terme duquel la juge Anne Mc Tavish conclut que l’exclusion des demandeurs-esses d’asile du paiement des soins de santé (en totalité ou en partie selon le pays d’origine) constituait dans le contexte un traitement cruel et inusité.
[56] La juge Mc Tavish écrit qu’un gouvernement nouvellement élu a pris pour cible un groupe vulnérable[18] à qui il a appliqué un traitement débilbérément défavorable[19].
[57] Ce jugement est discuté dans un autre jugement de la Cour fédérale rendu celui-là en 2017 dans Hassouna c. Canada (Citoyonneté et Immigration)[20], une affaire de révocation de citoyenneté; la juge Gagné fait expressément référence au jugement dans Médecins Canadiens pour dire que dans son cas :
Les demandeurs ne sont pas sous le contrôle administratif de l’état et ils ne sont pas intentionnellement pris pour cible par le gouvernement, à titre de groupe des personnes vulnérables, pour désavantager, dans la mise en œuvre des dispositions contestées.[21]
[58] Cette notion de prise pour cible paraît effectivement importante dans l’esprit de la juge qui a rendu le jugement dans Médecins Canadiens.
[59] Bien qu’ici aussi, il soit plutôt question de demandeurs-esses d’asile comme dans Médecins Canadiens alors que ce n’est pas le cas dans Hassouna, le tribunal croit qu’il doit malgré tout écarter Médecins canadiens en ce que les demandeurs-esses d’asile ne sont pas ici pris pour cible de façon délibérée par l’article 3 du RCR à la suite de l’afflux d’arrivages.
[60] La demanderesse a bien plaidé que par son avis du 10 avril 2018 (P-1), le ministère de la famille a pointé les demandeurs-esses d’asile pour les exclure du bénéfice des places subventionnées en garderie à l’époque de l’explosion du nombre de cas notamment par les passages au Chemin Roxham, par où serait d’ailleurs passée la demanderesse.
[61] Cependant, de l’avis du soussigné, ce n’est pas là la question : l’avis n’a fait que donner la bonne interprétation du règlement à l’égard des demandeurs-esses d’asile et c’est le règlement lui-même qui est attaqué – rien ne prouve qu’il a été adopté pour écarter les « faux réfugiés » comme dans l’affaire Médecins Canadiens.
[62] Par ailleurs, pour le soussigné, avec respect pour l’opinion contraire, les termes « traitements … cruels et inusités » utilisés à l’article 12 doivent être interprérés selon leur sens ordinaire et non pas de façon à permettre au pouvoir judiciaire de se substituer aux élus.
SIXIÈME QUESTION EN LITIGE : Est-ce que l’article 3 RCR par l’exclusion des demandeurs-esses d’asile viole les articles 10 et 12 de la Charte québécoise?
[63] Voilà d’abord le texte de l’article10 :
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
1975, c. 6, a. 10; 1977, c. 6, a. 1; 1978, c. 7, a. 112; 1982, c. 61, a. 3; 2016, c. 19, a. 11.
[64] La commission invoque trois motifs, à savoir le sexe, la condition sociale et l’origine ethnique; elle y ajoute un facteur d’intersectionnalité faisant en sorte que la combinaison des trois motifs donnerait plus que la somme de chacun.
[65] Pour le sexe, la commission se réfère à l’arrêt Fraser plaidé par la demanderesse; pour la condition sociale, elle plaide qu’elle a été reconnue pour les demandeurs-esses d’asile dans Médecins Canadiens[22]; pour l’origine ethnique, elle se réfère à un tableau produit par elle duquel il appert que statistiquement les demandeurs-esses d’asile à 23 pays sur 25 proviennent de pays à ethnies racisées.
[66] Si la discrimination sur la base du sexe doit être écartée en l’espèce pour les mêmes motifs que dans l’analyse de la quatrième question, il n’en va pas de même pour la condition sociale et l’origine ethnique.
[67] Cependant, la charte québécoise a ceci de différent de la charte canadienne que l’existence de motifs de discrimination n’est pas suffisante en soi pour qu’elle trouve l’application – la discrimination doit être exercée à l’égard de certaines situations identifiées ailleurs, plus loin dans la loi, comme une discrimination dans les conditions de travail.
[68] Ici, la combinaison doit être effectuée par la commission avec l’article 12 qui, tel qu’il appert du texte ci-dessous reproduit, prévoit que nul ne peut par discrimination refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des services ordinairement offerts au public :
12. Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.
1975, c. 6, a. 12.
[69] Or, tel que mentionné à l’audience pendant la plaidoirie de la procureure de la commission, le tribunal est assez sceptique quant à son application à un texte règlementaire; effectivement, le procureur général a produit par la suite un jugement de la Cour d’appel qui vient confirmer ce point de vue.
[70] Le juge Nuss qui a rendu le jugement pour le banc écrit qu’il est d’accord avec le juge d’instance que la phrase « conclure un acte juridique » réfère au concept ciblé qui se traduit par la manifestation de la volonté de la personne de créer ou de modifier des obligations comme conclure un contrat ou faire un testament[23].
[71] Ainsi, il n’y a pas violation dans l’opinion du soussigné des articles
SEPTIÈME QUESTION EN LITIGE : Est-ce que l’exclusion des demandeurs-esses d’asile porte atteinte aux droits à la sauvegarde de leur dignité en contravention de l’article
[72] Nous reproduisons le texte de l’article 4 :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
[73] Rappelons d’abord que depuis St-Ferdinand[24], il est clair que les droits protégés par les articles qui précèdent l’article 10 s’appliquent indépendamment des motifs de discrimination – sans combinaison avec un autre article.
[74] En l’espèce, la commission invoque notamment l’arrêt Lavoie[25] dans lequel la Cour suprême écrivait que les immigrants arrivant au Canada s’attendent à bénéficier des mêmes possibilités fondamentales que les citoyens et que la liberté du droit de travail et d’emploi sont des aspects fondamentaux de notre société.
[75] Ces possibilités devraient aux yeux d’un immigrant lui être tout aussi accessibles qu’à un citoyen canadien[26]; dans cette affaire, c’était l’emploi qui était en cause en ce que la citoyenneté était requise pour l’accès à la profession.
[76] La cour suprême ajoute que la discrimination si elle a pour effet que l’immigrant se sente moins digne d’intérêt et de considération contrevient à l’article 15, premier alinéa, de la charte canadienne; pour la commission, ça s’applique par analogie à l’article 4.
[77] Factuellement, la commission réfère au rapport d’expertise de la demanderesse[27], plus particulièrement aux paragraphes 20 et 21, qui toutefois n’affirment pas qu’il y a diminution de la dignité par l’effet de l’exclusion des enfants des demandeurs-esses d’asile aux places subventionnées en garderie; interpellée par la cour sur cet aspect, la procureure de la commission revient sur le jugement dans Lavoie, les passages ci-dessus.
[78] Pour sa part, le procureur général s’est évidemment empressé d’invoquer l’arrêt Ward[28] qui a récemment restreint en quelque sorte la portée de l’article
[79] La Cour suprême y réfère à des traitements qui avilissent la personne, l’asservissent, l’avillissent, la réifient (?), l’humilient ou la dégradent – ce serait à l’égard de ce type d’atteintes que l’article 4 constituerait un bouclier. [29]
[80] Sur la base de ce critère assez sévère, le tribunal ne croit pas que l’on puisse conclure judicieusement que la privation de places subventionnées en garderie pour les demandeurs-esses d’asile violerait l’article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[81] ACCUEILLE pour partie la demande de la demanderesse (« DEMANDE DE POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE MODIFIÉE »);
[82] DÉCLARE que l’article
[83] DÉCLARE que la demanderesse avait droit aux services de garde subventionnés en vertu du premier alinéa de l’article
[84] AVEC les frais de justice de la demanderesse;
[85] REJETTE les autres demandes de la demanderesse;
[86] SANS frais de justice.
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MARC ST-PIERRE, j.c.s. | |
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Me Sibel Ataogul | ||
Me Guillaume Grenier | ||
MELANÇON MARCEAU GRENIER COHEN S.E.N.C. | ||
Avocats de la demanderesse | ||
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Me Manuel Klein | ||
BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC) | ||
Avocats du défendeur | ||
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Me Justine St-Jacques Avocate de l’intervenante
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Date des audiences : | 21 et 22 avril 2022 | |
[1]
[2] Page 111 vis-à-vis le chiffre 6.
[3]
[4] Constitutional Law of Canada, 5th Edition, Peter W. Hogg, Wade Wright. Part IV. Practice Chapter 59. Procedure III. Mootnesse, §59:9. Discretion to decide. 2021 Thomson Reuters Canada Limited.
[5]
[6] L’ouvrage du professeur Pierre-André Côté sur l’interpétation des lois; la procureure de la commission a lu des extraits à l’audience sans déposer les texte en sorte que la cour n’a pas le référence.
[7] Droit administratif, 7e édition, Patrice Garant, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2017.
[8] L’action gouvernementale – Précis de droit des institutions administratives, 4e édition, 2019, Karl Issaly et Denis Lemieux, Cowansville, Éditions Yvon Blais.
[9] Autre que le bureau coordonnateur qui de toute évidence ne peut pas être habilité à fixer les catégories de personnes admissibles aux places subventionnées.
[10]
[11]
[12] À la page 765 du jugement, deuxième paragraphe.
[13] Paragraphes 43 et 44 du rapport de la Dre Jill Hanley de septembre 2020.
[14]
[15]
[16] Almadhoun c. Canada,
[17]
[18] Voir paragraphe 585 du jugement.
[19] Paragraphe 587.
[20]
[21] Au par. 174
[22] Aux paragraphes 832, 833 et 842.
[23] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Procureur général),
[24] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand,
[25] Lavoie c. Canada,
[26] Paragraphe 52 deuxième partie (après la citation), vers le milieu du paragraphe.
[27] Rapport de la Dre Jill Hanley de septembre 2020.
[28] Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse),
[29] Au paragraphe 58 dans l’opinion de la juge Côté qui a écrit pour la majorité.
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