COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
134681 |
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Cas : |
CM-2010-0013 et CM-2010-1488 |
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Référence : |
2011 QCCRT 0323 |
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Montréal, le |
6 juillet 2011 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Susan Heap, juge administrative |
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Joseph Cox
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Plaignant |
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c. |
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Entreprise Robert Thibert inc. |
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1] Le 16 septembre 2009 Joseph Cox (le plaignant) dépose une plainte à l’encontre d’une pratique interdite selon l’article 122 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 (la LNT), alléguant que Entreprise Robert Thibert inc. (l’employeur) l’a congédié après qu’il se soit plaint de harcèlement et après avoir demandé que l’employeur lui assure un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Le 17 septembre 2009, le plaignant dépose également une plainte de harcèlement psychologique selon l’article 123.6 de la LNT contre le même l’employeur.
[2] L’employeur est une entreprise pancanadienne de distribution de pièces et accessoires de véhicules motorisés comptant plusieurs entrepôts. L’entrepôt principal au Québec et le siège social se trouvent à Châteauguay où travaillent environ 200 personnes. Un petit entrepôt n’employant qu’une vingtaine de salariés se trouve à Napierville.
[3] Le plaignant, qui a une formation professionnelle de dessinateur, a acquis de l’expérience en informatique au cours de ses emplois antérieurs. Il se porte candidat pour un poste de manutentionnaire. Martine Forest, responsable des ressources humaines (RH), lui offre un poste d’employé de bureau à l’entrepôt de Châteauguay. Il commence à travailler le 2 avril 2009.
[4] Au cours des deux premières semaines, le plaignant travaille dans la salle du courrier où il trie des documents pour des envois. La salariée Marylou Laplante (Marylou) y travaille également. Cette dernière effectue cette tâche depuis un mois ou deux et elle a acquis une certaine rapidité. Dès la première journée du travail du plaignant, Marylou commence à lui crier qu’il ne travaille pas assez vite, et elle répète la même chose, en criant, à un gestionnaire. Ce dernier dit à Marylou de se calmer, que c’est la première journée de travail du plaignant et qu’il apprend son métier. Marylou crie qu’elle va faire congédier le plaignant. Le plaignant affirme qu’il a pris le rythme de la tâche et qu’il est devenu aussi rapide que Marylou.
[5] Par la suite, le plaignant commence à faire du travail à l’ordinateur, dans le bureau situé au centre de l’entrepôt. Son travail consiste à « confirmer des commandes », une des étapes dans le traitement des commandes à l’entrepôt. Au début, il travaille de 10 h à 18 h et par la suite, de 12 h à 20 h. Les gestionnaires finissent généralement de travailler vers 17 h, de sorte qu’il n’y a pas de supervision après 17 h.
[6] Initialement, Marylou doit former le plaignant, mais elle s’impatiente et se met à crier. Elle est remplacée par D.M. qui complète sa formation en deux demi-journées.
[7] Dans le processus des commandes, Marylou créait les formulaires de commandes et le plaignant (de même que plusieurs autres salariés) confirme ces commandes. Cependant, il affirme qu’il n’était pas nécessaire que les deux se parlent. Il assure qu’il confirmait les commandes de façon diligente et qu’on n’a jamais attendu après lui. La preuve en est qu’il terminait toutes ses commandes vers 18 h ou 19 h, bien avant la fin de son quart de travail, à 20 h.
[8] Le plaignant remplaçait Marylou les jours où elle n’était pas disponible.
[9] Chaque fois qu’il y a un problème ou un incident avec Marylou, le plaignant en parle à Johanne Oligny, sa superviseure. Cette dernière lui répond alors qu’il doit tenter de s’entendre avec elle. La colère de Marylou est provoquée par différentes choses : la première journée, le plaignant ne va pas assez vite, puis il ne travaille pas comme il faut, selon elle.
[10] Le plaignant est très content de son emploi et il s’entend bien avec tout le monde sauf Marylou. Il commence à être dérangé par le comportement de celle-ci. Il estime qu’il ne devrait pas avoir à endurer sa conduite. Il qualifie son tempérament d’agressif, indiquant qu’il ne fallait pas grand-chose pour qu’elle explose. Elle peut également exploser lorsqu’il tente de l’ignorer ou de ne pas interagir avec elle.
[11] Le plaignant indique que lorsqu’il ignore sa présence, Marylou se met à crier des obscénités d’une voix forte. Elle insulte le plaignant au sujet de son poids. Elle affirme avec insistance qu’il est laid et elle le traite d’« anglais ». Le plaignant explique que, dans l’entrepôt, il parlait en français 99 % du temps; ceci n’est pas contredit.
[12] Ces propos sont tenus de telle façon que tout le monde dans l’entrepôt peut les entendre. Le plaignant indique que les salariés travaillant autour de Marylou et lui sont alors en état de choc « in shock » Les colères de Marylou sont si soudaines et si intenses qu’ils ne savent pas comment réagir, à part lui demander ce qui se passe.
[13] Le plaignant affirme qu’il n’a jamais réagi aux insultes de Marylou, sauf en lui disant : « Leave me alone. » Il se concentrait sur son travail « I kept my eyes on the screen » et s’efforçait de plaire à son employeur, de façon à conserver cet emploi qu’il aimait.
[14] Il affirme que Marylou semble lui en vouloir « she just seemed to have a grudge ».
[15] Le 9 juin 2009, le plaignant revient des toilettes et Marylou l’apostrophe, en criant, à cause de son absence de son poste de travail. Elle lève le poing à deux reprises de façon menaçante et lui donne deux coups de poing. Le plaignant demande de l’aide à un gestionnaire, qui se trouve tout près, et ce dernier tente de calmer la situation. Le plaignant sort du bureau pour tenter de téléphoner à sa superviseure, Johanne Oligny, sans succès. Quand il essaie de retourner au bureau, Marylou le frappe de nouveau.
[16] Marylou nie l’avoir frappé, mais elle admet à l’employeur l’avoir peut-être poussé pour sortir du bureau. Elle reconnaît aussi que son comportement était inacceptable, qu’elle a déjà consulté un professionnel pour l’aider à se maîtriser et qu’elle est prête à consulter de nouveau.
[17] Le lendemain matin, le plaignant se rend au travail très tôt pour relater à Johanne Oligny l’agression de la veille. Celle-ci affirme alors que la conduite de Marylou est inacceptable et qu’il va falloir la congédier. Elle demande au plaignant de faire le travail de Marylou pour le restant de la journée. Par la suite, elle se ravise : comme elle n’a pas vu l’agression de ses propres yeux, elle ne peut pas congédier Marylou. Celle-ci recevra un avertissement et, si ça se reproduit, elle sera congédiée. La lettre d’avertissement est rédigée en ces termes :
Marylou,
Suite à l’altercation que tu as eu avec Joseph Cox mardi le 9 juin, je me dois par la présente de te remettre un premier avis écrit concernant ton attitude.
Voici les faits du 9 juin 2009 :
Joseph Cox m’a rapporté que tu t’en étais prise contre lui en l’injuriant et que tu l’avais même poussé et frappé et ce, sans raison valable
Tu nous as rapporté qu’effectivement tu l’avais injurié mais que tu ne l’avais pas frappé. Tu as admis que peut-être tu l’aurais poussé pour sortir du bureau.
Tu nous a admis également que ton comportement était inacceptable et que tu étais prête à prendre les moyens nécessaires afin de corriger cette mauvaise attitude. Tu nous a avoué que tu avais déjà consulté un professionnel pour t’aider à te contrôler et que tu étais prête à consulter de nouveau.
Nous sommes satisfaits de la qualité de ton travail mais ton attitude est à reconsidérer. Je n’apprécie pas la façon dont tu t’adresses à certains collègues de travail. Il est recommandé de toujours me consulter avant d’apporter un commentaire quelconque sur les procédures et la qualité de travail de tes collègues et de faire preuve de diplomatie dans la façon de communiquer avec eux. Je ne pourrai accepter dans le futur tes écarts de conduites.
Considérant le fait que tu es consciente que ton comportement était inacceptable et que tu es prête à consulter un professionnel afin de remédier à la situation, nous sommes en accord de te donner la chance de nous prouver ta bonne volonté afin de remédier à la situation. Il est clair que nous n’accepterons plus aucune écart de conduite te concernant et de plus nous aimerions recevoir une confirmation de tes visites chez un professionnel de la santé.
Si tu as des problèmes particuliers ou des commentaires à apporter concernant le travail et que tu aimerais en discuter, ma porte est toujours ouverte.
Nous espérons qu’après cet avis, tu seras en mesure d’apporter des correctifs nécessaires afin de remédier à la situation et ce, dans le but de maintenir une ambiance de travail agréable et de continuer à donner un bon rendement sinon, nous appliquerons les sanctions appropriées pouvant aller jusqu’au congédiement.
(Reproduite telle quelle.)
[18] Le plaignant indique que Marylou s’est calmée pendant une courte période. Cependant, son attitude hostile a repris par la suite.
[19] Au centre de l’entrepôt se trouve un grand bureau où travaillent plusieurs personnes, dont le plaignant et Marylou. Vers la mi-juillet, l’employeur sépare Marylou et le plaignant, en installant celui-ci à un poste de travail situé à environ 20 pieds à l’extérieur du bureau. Comme il travaille dans l’entrepôt, il doit porter un casque lourd, toute la journée, ce qu’il trouve très inconfortable. Il note que les autres employés de l’entrepôt ne portaient pas de casque en tout temps. De plus, son poste de travail se trouve dans un endroit fort poussiéreux, ce qui l’oblige à le nettoyer tous les jours.
[20] Au-dessus de sa tête se trouve un espace où des choses sont entreposées de façon précaire; il doit régulièrement vérifier qu’il n’y a pas d’article sur le point de tomber, ce qui s’est d’ailleurs produit à une reprise. C’est pour cette raison qu’il doit porter un casque toute la journée. Il est le seul employé de bureau qui travaille dans de telles conditions.
[21] Il en parle à son employeur, qui lui répond que c’est parce qu’on a besoin de la place qu’il doit travailler à cet endroit. Mais dans les faits, il est le seul qui est isolé de cette façon. Il constate qu’il y aurait amplement d’espace pour avoir son poste de travail dans le bureau.
[22] À la suite de ce déplacement à l’extérieur du bureau, ses relations avec Marylou s’améliorent légèrement parce qu’elle n’est plus à proximité de lui. Cependant, Marylou continue de venir le retrouver pour l’invectiver au sujet de son travail.
[23] Le plaignant trouve cet isolement frustrant et peu pratique, car il se trouve éloigné des collègues de son équipe. Ainsi, chaque fois qu’il doit leur parler ou échanger des documents, il doit se lever et se déplacer pour aller les retrouver plutôt que de simplement s’adresser à eux, comme il le faisait quand ils travaillaient tous dans la même pièce.
[24] Un jour, Marylou prend son clavier et refuse de le lui remettre. Il en parle à Johanne Oligny, qui lui donne un vieux clavier dont les touches collent, causant des fautes de frappe. Il se plaint de nouveau à Johanne Oligny, puis il est déplacé dans l’entrepôt où le clavier devient encore plus sale. Marylou enlève également sa chaise, lui laissant une vieille chaise brisée dans laquelle il est très inconfortable de s’asseoir durant toute une journée. Par la suite, il trouve une autre bonne chaise, mais celle-ci disparaît constamment. Il informe Johanne Oligny de la situation.
[25] Le 30 ou 31 juillet, pendant qu’il traite des bons de commande, Marylou s’approche de lui et demande qu’il les lui remette. Le plaignant lui indique qu’il les lui donnera dès qu’ils seront terminés. Marylou se fâche, s’empare de la pile de bons de commande en les lui arrachant. Au cours de cet incident, elle lui écorche le front avec la main sur laquelle elle porte une grosse bague. Ce geste lui occasionne une coupure au front et il saigne.
[26] Il en parle immédiatement à Robert Thibert, le propriétaire de l’entreprise, et à M.B., un gestionnaire, qui sont près de lui lors de l’incident. Le plaignant indique qu’ils ont sûrement entendu Marylou qui parlait fort. Il leur montre la coupure au front. Ils semblent être surpris et médusés « shocked and surprised ». Robert Thibert dit que cette conduite est inacceptable et que l’employeur sévira. L’employeur avait déjà avisé Marylou que c’était « sa dernière chance » et qu’elle serait congédiée si un tel incident se produisait de nouveau. Il indique qu’il est possible que Marylou soit mutée à un autre entrepôt.
[27] Le jour même, l’employeur dit à Marylou de se tenir loin du plaignant. Le 4 août, le président lui-même lui impose une suspension d’un jour et, également, un avertissement sévère dans les termes suivants :
Marylou,
Suite à une autre altercation survenue encore avec Joseph Cox vendredi dernier, je me vois donc dans l’obligation d’appliquer des mesures disciplinaires.
Le 11 juin dernier tu as reçu un avis écrit concernant un problème d’attitude. Dans cet avis, il t’était recommandé de consulter ton superviseur avant d’apporter un commentaire quelconque sur les procédures et la qualité de travail de tes collègues et de faire preuve de diplomatie dans la façon de communiquer avec eux.
Hors vendredi dernier, tu n’as pas respecté ces directives. Tu t’es adressé encore une fois à Joseph Cox d’une façon désobligeante en l’injuriant et en le poussant. Ce qui a résulté d’une légère coupure au-dessus du sourcil avec une feuille de papier.
Malgré le fait que tu es accepté de consulter un professionnel pour tes excès de colère; tu n’as su te contrôler envers Joseph. Suite à cela, je me vois donc dans l’obligation d’appliquer des mesures disciplinaires plus sévères comme mentionné dans le précédent avis.
Donc, tu seras suspendue sans solde mercredi le 5 août 2009. Ta présence sera au travail requise à compter de jeudi matin le 6 août 2009.
Nous espérons sincèrement qu’après cette suspension tu sauras nous démontrer que tu es capable de te contrôler car aucun autre écart de conduite de ta part ne sera toléré.
Si jamais il y avait récidive, nous serons dans l’obligation de te congédier.
(Reproduit tel quel.)
[28] À la suite de ce deuxième incident, Marylou est mutée à Napierville.
[29] Néanmoins, Marylou téléphone au plaignant tous les jours pour lui demander s’il a terminé tout son travail. Quand d’autres salariés répondent au téléphone et veulent prendre un message, elle persiste à tenter de parler directement au plaignant. Le plaignant ne peut pas toujours éviter de parler à Marylou. Ce dernier fait rapport de ceci à un gestionnaire.
[30] On déménage le plaignant à un poste de travail situé près des imprimantes parce qu’il est la seule personne capable d’accomplir les fonctions que Marylou accomplissait auparavant dans le bureau c’est-à-dire d’envoyer les commandes aux manutentionnaires de l’entrepôt. Celles-ci doivent être envoyées à des moments précis dans la journée. Le plaignant témoigne que les commandes sont toujours envoyées au moment où elles doivent l’être et ceci n’est pas contredit. Cependant, Marylou l’appelle toujours pour « vérifier », pendant la période d’une semaine et demie où il continue de travailler.
[31] Johanne Oligny revient de vacances le 12 août. Selon le plaignant, elle est déçue que Marylou ait été mutée à Napierville. Le plaignant lui demande si Marylou va suivre sa thérapie de maîtrise de colère; Johanne Oligny répond qu’on ne peut pas la contraindre à le faire.
[32] Alors que le plaignant affirme qu’il n’y a jamais eu de reproche concernant son travail, le 12 août, Johanne Oligny congédie le plaignant pour des problèmes de rendement.
[33] Le plaignant est en train de descendre de son auto, lorsque Johanne Oligny avance vers lui et l’informe qu’il est congédié. Le plaignant lui demande pourquoi. L’explication de Johanne Oligny est vague : « Des commandes pas expédiées. » Elle dit que c’est une décision de Robert Thibert et qu’il ne la reconsidérera pas. Le plaignant demande d’en parler avec Robert Thibert; Johanne Oligny refuse. Le plaignant demande d’aller saluer quelques collègues de travail; elle refuse. Il demande d’aller chercher ses articles personnels et Johanne Oligny le lui refuse également.
[34] Le plaignant apprend que, le jour même, Marylou est de retour à son ancien poste de travail, celui que le plaignant occupait la veille.
[35] On dit au plaignant de venir au bureau quelques jours plus tard pour prendre sa paie finale, ce qu’il fait. Pendant qu’il est au bureau, il demande de nouveau pourquoi il a été congédié et quels étaient ses manquements. Martine Forest, responsable des RH, vient lui dire que Robert Thibert ne lui parlera pas et ne changera pas d’avis. Pourtant, Robert Thibert est à son bureau, le plaignant le voit passer.
[36] Le plaignant affirme qu’il a perdu un emploi qu’il aimait, qui était tout près de chez lui et qu’il l’accomplissait sans difficulté « a job that I was doing just fine ». Depuis lors, il n’a trouvé que des emplois temporaires pendant des périodes de pointe telles que les semaines avant Noël dans les grands magasins.
[37] Le plaignant a déjà souffert d’anxiété. Il était en rémission, ne prenait plus de médicament et croyait qu’il gérait adéquatement la situation causée par le harcèlement de Marylou. Cependant, une fois congédié dans les circonstances décrites plus haut, il recommence à souffrir d’anxiété et est obligé de prendre des antidépresseurs.
[38] Joanne Oligny témoigne que Marylou et le plaignant s’échangeaient des remarques bêtes comme deux grands enfants qui ne s’entendaient pas.
[39] À l’audience, Marylou nie une grande partie de ce que relate le plaignant quant à sa conduite agressante. Elle présente un portrait de deux salariés immatures qui s’agaçaient mutuellement et elle affirme que le plaignant « réagissait » à ses remarques sur le même ton que le sien. Elle nie l’avoir agressé physiquement; il s’agirait plutôt de l’avoir bousculer par accident. Selon ses dires, le front du plaignant n’a pas été écorché par sa bague, mais plutôt par une feuille de papier.
[40] Johanne Oligny témoigne à l’audience qu’elle a décidé, le 11 août, de congédier le plaignant en raison de ses problèmes de performance.
[41] Elle dit qu’il a oublié à plusieurs reprises de fermer la « machine Purolator » en quittant l’entrepôt le soir, ce qui occasionnait des inconvénients sérieux. Cet appareil servait à enregistrer tous les items qui sont livrés par des camions de Purolator et il établissait donc la facturation de Purolator. Le plaignant nie qu’on lui ait donné cette consigne. Le procureur de l’employeur le confronte au fait qu’il y a un papier collé sur la « machine Purolator » indiquant qu’elle doit être fermée quand on quitte l’entrepôt. Le plaignant affirme ne pas avoir vu une telle affiche ou ne pas y avoir porté attention. Il n’a jamais compris que c’était sa responsabilité de la fermer. Elle affirme avoir évalué que le plaignant ne répondait pas aux exigences du poste. Elle admet ne pas l’avoir averti qu’il avait des manquements. La Commission note que le 11 août, le plaignant accomplissait une nouvelle fonction, celle accomplie par Marylou jusqu’au 4 août.
[42] Le plaignant dit qu’il était très ébranlé. Il n’avait pas d’explication pour ce congédiement qu’il n’avait aucunement vu venir. Il affirme qu’il n’y a jamais eu de problème avec son travail. Il a fait tout son possible pour plaire à son employeur et faire exactement ce qu’on lui demandait. Cette frustration est d’autant plus grande qu’il a encaissé tout ce harcèlement sans déposer de recours juridique pour ne pas déplaire à son employeur.
[43] Enfin, le plaignant témoigne qu’il a formé deux autres salariés. Ceci n’est pas contredit.
[44] L’employeur plaide qu’il ne peut y avoir de plainte de pratique interdite parce que le plaignant n’a pas déposé une plainte formelle auprès de l’employeur utilisant le terme « harcèlement ». L’employeur avait déposé d’ailleurs un document d’une page contenant la politique en matière de harcèlement. Or, il n’y a pas eu de preuve que le plaignant ait pris connaissance de ce document, qui est daté de décembre 2008. Mais en tout état de cause, même s’il n’a jamais utilisé les termes « harcèlement psychologique », il n’est pas contesté qu’il s’est plaint, à de très nombreuses reprises, auprès de sa superviseure, de faits, gestes et paroles qui constituaient « une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés » pour reprendre les expressions de l’article 81.19 de la LNT. Il est donc clair que le plaignant s’est plaint de façon répétée du harcèlement psychologique qu’il subissait et que l’employeur avait l’obligation de le protéger et de lui assurer un milieu de travail exempt de harcèlement.
[45] Ce principe a été bien articulé dans la décision Association du personnel de soutien du Collège A c. Collège A, AZ-50515118 :
[90] Les obligations édictées à l’article 81.19 de la Loi sur les normes sont des obligations de moyen et à cette fin, l’employeur est non seulement tenu de prendre tous les moyens raisonnables pour prévenir et y mettre fin, mais doit agir avec prudence et diligence :
« L’obligation de moyens est celle pour la satisfaction de laquelle le débiteur est tenu d’agir avec prudence et diligence en vue d’obtenir le résultat convenu, en employant tous les moyens raisonnables, sans toutefois assurer le créancier de l’atteinte du résultat. » Baudoin et Jobin, Les Obligations, 6ième édition, Éditions Yvan Blais, pages 37-38
…
[97] Une revue de la jurisprudence démontre que les arbitres estiment que l’employeur doit agir dès qu’il a connaissance d’une conduite indésirable. L’employeur ne doit pas attendre le dépôt d’une plainte formelle ni se réfugier derrière sa politique :
…
[103] La doctrine et la jurisprudence sont claires, l’employeur a la responsabilité première d’intervenir dès qu’il est informé d’une conduite indésirable ou d’un conflit susceptible de se transformer en du harcèlement psychologique, sans quoi il ne respecte pas son obligation de prévention édictée à l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail. La doctrine en la matière nous enseigne qu’il existe des situations ou des contextes qui constituent en soi un foyer propice à l’émergence de harcèlement psychologique. Parmi ces situations, il y a les conflits interpersonnels entre collègues de travail mal gérés ou qui persistent dans le temps :
« Tant que le conflit n’est pas résolu, il tend à s’amplifier avec la recherche de nouveaux alliés. On peut y mettre fin spontanément ou à la suite d’arbitrages ou de médiation, cela vaut toujours mieux que de laisser pourrir la situation. Les conflits qui tardent à se résoudre s’enkystent et se poursuivent de façon souterraine. Dans ce cas, il y a un risque de passage vers des procédés de harcèlement moral. » Marie-France Hirigoyen, Malaise dans le travail, Harcèlement moral, Démêler le vrai du faux, Éditions La Découverte et Syros, 2001, page 20
« Malheureusement, nous avons souvent observé que la plupart des responsables, dès lors qu’ils étaient confrontés à un conflit, n’avaient qu’une ambition : celle de faire disparaître artificiellement les symptômes les plus évidents sans jamais chercher la cause. Or, tant qu’un conflit n’est pas convenablement traité - ou qu’il a été imparfaitement résolu- il y a de grandes chances qu’il puisse déboucher sur un harcèlement. » Christian Ballico, Pour en finir avec le harcèlement psychologique, Éditions d’Organisation, 2001, page 13
[104] Ainsi, un employeur informé au départ d’une situation qui s’apparente à un conflit interpersonnel entre deux collègues ne peut invoquer qu’il ne s’agit pas d’une situation de harcèlement psychologique pour justifier l’absence d’adoption de mesures pour redresser la situation puisque ce genre de situation est un terreau fertile à du harcèlement psychologique et que le législateur a prévu qu’il doit le prévenir, c’est-à-dire prendre les devants. Et à cette fin, l’employeur doit adopter des moyens raisonnables et efficaces.
(Notre soulignement.)
[46] En conclusion, le plaignant a exercé un droit conféré par la LNT. Il est salarié et il a été congédié de façon concomitante avec sa plainte de harcèlement psychologique et ses demandes d’avoir un milieu de travail exempt de harcèlement. Il bénéficie donc de la présomption.
[47] L’employeur a-t-il une autre cause, qui est une cause sérieuse par opposition à un prétexte? Examinons la preuve.
[48] Les reproches de l’employeur ne sont pas sérieux. Il n’a pas établi qu’on a avisé le plaignant que c’était sa responsabilité de fermer la « machine Purolator ». De plus, personne n’est venu établir véritablement que cet appareil n’a pas été fermé, ne serait-ce qu’une seule fois. Pourquoi aucun salarié n’est-il venu témoigner avoir trouvé l’appareil ouvert, le matin, en arrivant au travail? Pourquoi aucun document n’a-t-il été produit indiquant l’heure à laquelle cet appareil a été fermé?
[49] Les autres reproches sont vagues et aucun d’eux n’est corroboré. Il n’est pas clair si les manquements évoqués sont relatifs à ses anciennes tâches ou ses nouvelles. La Commission retient aussi le témoignage non contredit du plaignant selon lequel il a formé deux salariés pendant qu’il travaillait pour l’employeur. Il serait quand même étonnant que l’employeur confie à un salarié ayant un mauvais rendement la tâche de former de nouveaux salariés.
[50] Mais surtout, en contre-interrogatoire, Johanne Oligny admet qu’elle n’a pas vraiment fait part de ces supposés manquements au plaignant avant de le congédier le 13 août de façon sommaire. La version de l’employeur n’est pas crédible : comment comprendre que c’est seulement le 11 août, à son retour de vacances, que la superviseure du plaignant découvre les manquements du plaignant? Et pourquoi avoir pris la décision si soudainement? Comment croire qu’il s’agissait de manquements tellement criants qu’il fallait congédier le plaignant sans aucun avertissement, de manquements si graves qu’elle ait dû congédier le plaignant sur-le-champ, de façon urgente, dans le stationnement avant qu’il se présente à son poste de travail?
[51] La version de l’employeur ne tient pas la route. L’employeur a éloigné la harceleuse à l’entrepôt de Napierville. La Commission retient de la preuve que la superviseure de l’entrepôt a été déçue d’apprendre, à son retour de vacances, qu’on avait éloigné une employée qu’elle appréciait. Or, c’est la présence du plaignant qui fait obstacle au retour de celle-ci. La superviseure décide donc de congédier le plaignant.
[52] Il est évident que si Joseph Cox ne s’était pas plaint du harcèlement, il serait encore à son travail à l’entrepôt chez l’employeur. Le problème n’était pas le rendement du plaignant, mais l’absence de Marylou. Dans ces circonstances, l’employeur n’a pas renversé la présomption et le congédiement constitue une pratique interdite.
[53] La LNT édicte ce qui suit au sujet du harcèlement psychologique :
81.18. Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
Droit du salarié.
81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.
[54] C’est au plaignant que revient le fardeau de démontrer les faits établissant qu’il y a eu harcèlement.
[55] La Commission ne retient pas la version des faits donnée par Marylou pour les raisons suivantes.
[56] Premièrement, au sujet de la crédibilité des témoignages livrés par le plaignant et Marylou, on doit noter que ces deux personnes sont très différentes. Le plaignant est un homme placide, il a témoigné en termes simples et concrets, calmement, bien qu’il était évident par moment qu’il décrivait des épisodes qui n’avaient pas été faciles pour lui. Son témoignage était sobre, sans exagération, mais spontané. Marylou a témoigné en regardant constamment le procureur de l’employeur; elle semblait chercher confirmation de ses dires. Elle avait le regard fuyant. Lors du contre-interrogatoire, en réaction à certaines questions quelque peu « insistantes », elle serrait les poings et balançait les bras. La Commission ne tirerait pas de conclusion de ces seuls gestes; mais ces réactions tendent à rendre encore plus vraisemblable le témoignage du plaignant selon lequel Marylou réagit promptement et manque de maîtrise de soi.
[57] La Commission ne retient pas non plus la version des faits de Johanne Oligny, la superviseure du plaignant. Elle témoigne que Marylou et le plaignant agissaient comme deux jeunes qui se chicanent, contestant ainsi les allégations de ce dernier. La Commission ne peut pas accorder de force probante à ce témoignage. Une telle version des faits est contredite par les actions prises par l’employeur. Après tout, pour faire suite aux plaintes du plaignant concernant les deux agressions, l’employeur a sévi contre Marylou, l’avertissant que son comportement était inacceptable et qu’en cas de récidive, elle serait congédiée. On l’enjoint d’agir pour contrôler sa colère. Après le deuxième incident, l’employeur la sépare physiquement du plaignant en la déplaçant à Napierville.
[58] De plus, la Commission note qu’à la suite de ces deux incidents « physiques », aucune mesure n’est imposée au plaignant, aucun avertissement ne lui est donné, aucune recommandation, de quelque nature que ce soit, ne lui est transmis, ni verbalement ni par écrit. Il faut conclure qu’à l’époque, l’employeur avait évalué que Marylou était l’agresseur et le plaignant, la victime. Il est clair qu’à la suite de la plainte de harcèlement, l’évaluation de la superviseure s’est modifiée en fonction des intérêts de l’employeur.
[59] Un milieu de travail néfaste est un milieu qui ne permet pas à un salarié de travailler tout en conservant sa dignité. La décision Neal Bangia c. Nadler Danino, 2006 QCCRT 0419 fait état du sens donné à la notion de dignité par la Cour Suprême :
[88] La conduite vexatoire doit nécessairement porter atteinte soit à la dignité, soit à l’intégrité physique ou psychologique du salarié. La Cour suprême s’exprime ainsi sur la notion de dignité :
53. … La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne.
…
La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes ou des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés...
Law c. Ministre de l’emploi et l’immigration, [1999] 1 R C S 497, 530.
[60] Le plaignant a dû travailler dans un milieu où il a été insulté, méprisé et humilié devant ses collègues de travail et où il a subi des agressions physiques. La Commission considère donc que ce milieu était néfaste pour le plaignant.
[61] La Commission n’hésite pas à conclure que le plaignant a subi une conduite vexatoire, hostile ou non désirée. La salariée Marylou l’a agressé physiquement à deux reprises. Elle l’a insulté et a tenu des propos humiliants au sujet de son apparence personnelle. Elle le traite d’« anglais ». Le simple fait de souligner l’origine d’une personne n’est pas nécessairement un geste hostile ou ethnocentrique; tout est dans le contexte et le registre. Compte tenu de l’ensemble de la conduite de Marylou, un tel terme, en apparence un constat factuel est une manifestation d’agressivité.
[62] Marylou s’est acharnée sur le plaignant pour critiquer, de façon inacceptable, sa façon de travailler, alors qu’elle n’avait aucun droit de le faire. La première journée de travail, elle menace de le faire congédier. Dans les semaines qui suivent, elle lui enlève son clavier et sa chaise, de sorte qu’il doit se servir d’un clavier et d’une chaise peu fonctionnels. Elle lui crie des paroles hostiles devant des collègues de travail. Le plaignant est isolé de ses collègues et est obligé de travailler dans des conditions désagréables. Le plaignant s’est plaint régulièrement à sa superviseure et au président de l’entreprise.
[63] Le plaignant a subi beaucoup d’atteintes à sa dignité parce qu’il aimait son emploi. Mais même s’il voulait garder son emploi et ne pas trop déplaire à son employeur, il a néanmoins informé sa superviseure de la conduite harcelante de sa collègue. L’employeur a pris certaines mesures, décrites plus haut; notamment, la personne harcelante a été déplacée pour une semaine et demie dans un autre lieu de travail. Cependant, l’employeur n’était pas prêt à assumer ses responsabilités jusqu’au bout à cet égard. Après que l’entrepôt ait été privé pendant 10 jours d’une employée efficace (en effet, la qualité du travail de Marylou était bonne : voir le premier avertissement de l’employeur au paragraphe 17), l’employeur n’était plus prêt à se passer de ses services. Il décide alors de congédier le plaignant. En effet, la Commission conclut que la véritable raison du congédiement de celui-ci réside dans le désir de l’employeur de « rapatrier » Marylou à Châteauguay.
[64] En faisant ceci, l’employeur contrevient à son obligation prévue à l’article 81.19 de la LNT :
81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
Devoir de l’employeur.
L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.
(Notre soulignement.)
[65] Enfin, l’employeur congédie le plaignant dans un endroit public, le stationnement de l’entreprise. Quand la procureure du plaignant demande à la superviseure si elle ne croyait pas que le plaignant méritait au moins que le congédiement ait lieu d’une façon plus appropriée, elle répond : « Non!»
[66] La superviseure, représentante de l’employeur, refuse de le laisser aller saluer ses collègues et d’aller chercher ses articles personnels. Elle ne lui explique pas concrètement ce que l’employeur lui reproche et ne lui donne aucune chance de se défendre. Au contraire, elle l’avise tout de suite que c’est le président qui a pris la décision et que l’employeur ne changera pas d’avis.
[67] La responsable des RH répète la même chose quand le plaignant demande, quelques jours plus tard, de rencontrer le président pour savoir ce qu’il a fait de mal « to know what did I do wrong ». Sans que l’employeur soit nécessairement sujet à un « devoir d’agir équitablement », il n’est pas dans les pratiques de travail normales qu’un salarié soit congédié sans savoir ce qui lui est reproché et sans avoir la moindre chance d’offrir des explications.
[68] Rappelons que le plaignant n’a jamais eu d’avertissement verbal ou écrit avant de se faire congédier.
[69] L’employeur a congédié sans cause la victime du harcèlement.
[70] La Commission reconnaît que l’employeur a, dans un premier temps, pris des mesures pour faire cesser le harcèlement. Cependant, il n’était pas prêt à assumer la mesure finale, c’est-à-dire de maintenir la séparation physique entre la harceleuse et la victime. Quand la superviseure immédiate s’est rendu compte que cette mesure l’empêchait de bénéficier des services de la harceleuse à Châteauguay, l’employeur n’a pas pris une décision appropriée ; il a décidé d’éliminer la victime. Il ne s’agit pas d’une mesure raisonnable et surtout ce n’est pas une mesure qui assure au plaignant un milieu sans harcèlement. Cette « solution » n’est pas conforme à la loi.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
ACCUEILLE la plainte selon l’article 123.6 de la LNT;
DÉCLARE que Joseph Cox a été victime de harcèlement psychologique;
DÉCLARE que Entreprise Robert Thibert inc. a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail;
ACCUEILLE la plainte selon l’article 122 de la LNT;
RÉSERVE sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées.
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__________________________________Susan Heap |
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Me Anne-Isabelle Bilodeau |
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RIVEST, TELLIER, BRETON |
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Représentante du plaignant |
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Me Christopher Deehy |
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LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON, S.E.N.C.R.L. |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
31 mars 2011 |
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/sg
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