Décision

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Ville de Laval c. 9042-7873 Québec inc.

2022 QCCQ 8971

COUR DU QUÉBEC
« Division de pratique – Chambre civile »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

LOCALITÉ DE

LAVAL

« Chambre civile »

 :

540-80-008336-221

 

 

DATE :

18 novembre 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JULIE MESSIER, J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

 

VILLE DE LAVAL

Appelante – intimée devant le TAQ

c.

9042-7873 QUÉBEC INC.

 Intimée – Requérante devant le TAQ

-et-

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

 Mis-en-cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR DEMANDE

 DE PERMISSION D'APPELER
 

______________________________________________________________________

 

[1]                                Ville de Laval demande la permission d'appeler d'une partie de la décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ), rendue le 14 avril 2022. Le TAQ a rendu une décision quant à trois recours déposés par 9042-7873 Québec inc. (ci-après « 9042 ») à l'encontre des inscriptions de valeur apparaissant aux rôles triennaux 2016 et 2019 pour l'unité 8242-16-1660-5.

[2]                                9042 contestait la valeur attribuée au bâtiment à la suite des certificats émis au cours du rôle 2016 ainsi qu'au dépôt du rôle 2019.

[3]                                Le TAQ a rejeté les recours à l'encontre des inscriptions au rôle de 2016 et a accueilli celui formé à l'encontre des inscriptions des inscriptions au rôle de 2019. Ville de Laval demande la permission d'appeler concernant le rôle de 2019.

[4]                                Lors des auditions les parties ont fait entendre comme seuls témoins, les experts évaluateurs. Pour 9042 Guillaume Couture (ci-après « Couture ») et pour Ville de Laval, Francis Limoges (ci-après « Limoges).

[5]                                Pour le rôle de 2019, qui est l'objet de la présente demande de permission, Limoges applique les méthodes du revenu et du coût et retient la méthode du coût.

[6]                                Les motifs de la décision du TAQ pour le rôle de 2019 se retrouvent aux paragraphes 149 à 152:

[149] Le Tribunal est d'avis que la méthode du revenu fournit un résultat probant pour établir la valeur puisqu'il s'agit de la seule méthode directe retenue dans le présent litige. De plus, que l'immeuble et le terrain génèrent des revenus provenant de tiers et non uniquement d'une compagnie liée au propriétaire.

[150] L'écart considérable entre la méthode du coût et celle du revenu découle du fait que seule la dépréciation physique est considérée pour l'ensemble des bâtiments et aménagements au terrain, aucune preuve n'ayant été présentée pour établir la désuétude économique.

[151] L'expert du requérant mentionne que la désuétude économique représente la différence entre sa conclusion par les méthodes directes, soit revenu et comparaison, et la méthode du coût alors que l'expert de l'intimée mentionne qu'aucune désuétude additionnelle n'a été observée pour les bâtiments, et ce même si sa conclusion par la méthode du revenu est inférieure à celle du coût.

[152] Le Tribunal partage l'avis de l'expert Couture qu'une désuétude additionnelle est applicable. C'est pourquoi il privilégie la méthode du revenu pour conclure et détermine la valeur réelle pour le rôle de 2019 à 3 332 000 $.

[7]                                Ville de Laval soutient que le TAQ a commis trois erreurs allant à l'encontre de la jurisprudence unanime et de la doctrine en matière d'évaluation et de fiscalité municipale.

[8]                                Premièrement, en qualifiant erronément la méthode du revenu de méthode d'évaluation directe. Deuxièmement, en qualifiant erronément de désuétude additionnelle l'écart entre les résultats obtenus pour les méthodes du coût et du revenu. Et, troisièmement, en appliquant erronément les principes directeurs relatifs au taux d'actualisation au niveau de la méthode du revenu.

[9]                                Ville de Laval suggère les questions suivantes:

  1. Le Tribunal administratif du Québec a-t-il erré en droit en qualifiant la méthode du revenu de méthode d'évaluation directe?
  2. Le Tribunal administratif du Québec a-t-il erré en droit en qualifiant la désuétude additionnelle l'écart entre les résultats obtenus par les méthodes du coût et du revenu?
  3. Le Tribunal administratif du Québec a-t-il erré en droit dans l'application des principes directeurs relatifs au taux d'actualisation au niveau de la méthode du revenu omettant de considérer que la valeur d'un terrain ne se déprécie pas et constitue une valeur sûre?

[10]                            9042 conteste la demande pour permission. Sur la première question, il reconnaît que le TAQ a qualifié la méthode du revenu comme une méthode directe, mais soutient que le fait de retenir cette méthode découle d'une analyse étayée et relevant de son expertise.

[11]                            Pour 9042 qualifier directe ou indirecte la méthode du revenu n'est pas une question sérieuse ou d'intérêt. Sur la deuxième question et troisième question 9042, considère que ces questions portent directement sur des concepts d'évaluation qui relèvent de la compétence du TAQ et qui n'ont aucune valeur jurisprudentielle.

Le droit

[12]                            L'article 159 de la Loi sur la Justice administrative édicte la règle pour l'obtention d'une permission d'appeler.[1]

159. Les décisions rendues par le Tribunal dans les matières traitées par la section des affaires immobilières, de même que celles rendues en matière de protection du territoire agricole, peuvent, quel que soit le montant en cause, faire l’objet d’un appel à la Cour du Québec, sur permission d’un juge, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour.

[13]                            Les critères applicables à ce qui représente une question d'intérêt ont été résumés dans Windsor (Ville de) c. Domtar inc.[2].

[…]

[9] Ainsi, la question sera d'intérêt si elle soulève une question sérieuse, controversée, nouvelle oui d'intérêt général. L'utilisation de la conjonction de coordination « ou » marque bien le caractère alternatif et non supplétif de ces critères.

[10] Parmi les exemples retenus par la jurisprudence, on retrouve les cas suivants:

Une question sérieuse

- Une faiblesse apparente de la décision attaquée;

- Une erreur déterminante;

- L'omission d'analyser des éléments fondamentaux de preuve;

- Une sérieuse lacune au niveau des motifs de la décision attaquée qui empêche d'en comprendre le fondement factuel et juridique;

- L'incidence de la décision sur le sort du justiciable;

- L'importance du montant en jeu.

Une question controversée

- Une jurisprudence incohérente ou contradictoire même sur des questions techniques;

- Une décision isolée allant à l'encontre d'un courant jurisprudentiel solidement établi.

Une question nouvelle

- Une question n'ayant jamais été soumise à la Cour du Québec;

Une question d'intérêt général

- La violation d'une règle de justice naturelle;

- Une question visant les intérêts supérieurs de la justice;

- Une question de principe à caractère normatif, dont les enjeux dépassent les intérêts des parties;

- Une violation patente d'une règle de droit.

[11] Dans son analyse sur la permission d'appeler, le Tribunal jouit d'une large discrétion. Cette discrétion s'inscrit non seulement dans l'appréciation des questions soumises, mais également dans l'identification et le libellé des questions permises. Cet exercice comporte inéluctablement le devoir de rejeter celles qui sont à leur face même futiles ou abusives, qui ne sont pas soutenues par des arguments cohérents et défendables et qui ne font que traduire l'expression d'un désaccord sur le fond de la décision en appel.

[12] L'appel sur permission ne vise pas à accorder à une partie une deuxième chance de soumettre des arguments qui ont été rejetés par le T.A.Q. de façon motivée et intelligible.

[13] Il faut toutefois se garder de transformer la requête pour permission d'appeler en appel sur le fond. Dans cette perspective, le Tribunal doit éviter à ce stade-ci de statuer sur le bien-fondé des questions soumises ou sur les chances de succès de l'appel au fond.

[14]                            À l'étape de la permission, le Tribunal n'a pas à analyser le fond des questions soulevées en appel.

ANALYSE

Première erreur alléguée

[15]                            Il appert du paragraphe 149 de la décision que le TAQ qualifie la méthode du revenu comme une méthode directe.  Cette affirmation soulève une question sérieuse eu égard à la jurisprudence existante.[3]

Deuxième erreur alléguée

[16]                            Dans Traité de l'évaluation foncière[4], les auteurs mentionnent une erreur fréquemment commise:

« L'évaluateur doit éviter de recourir à des idées qui sont très répandues en évaluation, mais qui n'ent sont pas moins fausses pour autant. Ces prétentions erronées sont les suivantes:

(…)

4) l'indication de valeur par la méthode du coût tend à établir la limite supérieure de la valeur. Cette maxime est très répandue dans le mode de l'évaluation et est erronée, car rien ne justifie que la dépréciation soit constamment sous-estimée. »

[17]                            Or, le TAQ aux paragraphes 150 à 152, bien qu'il observe qu'aucune preuve de désuétude économique n'ait été établie décide tout de même d'en appliquer une. Ce choix, tel que les auteurs, Desjardins, Lavoie, Caron, l'ont soulevé semble être fait sur la base d'une maxime erronée.

[18]                            Il s'agit d'une question qui n'a jamais été soumise à la Cour du Québec, à savoir s'il est exact ou non de considérer les résultats obtenus par la méthode du coût comme représentant la limite supérieure de la valeur.

Troisième erreur alléguée

[19]                            Ville de Laval soulève que l'écart entre les deux méthodes (coût et revenu) s'explique par une application erronée des principes directeurs relatifs au taux d'actualisation dans la méthode du revenu, contrairement à ce que le TAQ écrit au paragraphe 151:

« [151] L'expert du requérant mentionne que la désuétude économique représente la différence entre sa conclusion par les méthodes dites directes, soit revenu et comparaison, et la méthode du coût alors que l'expert de l'intimée mentionne qu'aucune désuétude additionnelle n'a été observée pour les bâtiments, et ce même si sa conclusion par la méthode du revenu est inférieure à celle du coût. »

[20]                            Ville de Laval soutient qu’aucun des comparables utilisés par Couture pour établir son TGA ne sont similaires au lot en litige. Ainsi, selon Ville de Laval le TAQ commet une erreur en favorisant l’analyse de Couture. Pour Ville de Laval, en agissant ainsi le TAQ fait fi du principe voulant que la valeur d’un terrain ne se déprécie pas et constitue une valeur sûre qui aurait dû favoriser la méthode du coût surtout lorsque la proportion de la valeur du terrain par rapport à la valeur totale est importante.[5]

[21]                            Il s'agit ici d'une question portant à nouveau sur une faiblesse apparente de la décision. La question est sérieuse et d'intérêt, puisqu'elle porte sur les principes en matière d'évaluation municipale.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la demande;

PERMET l'appel à la Cour du Québec de la décision du TAQ rendue le 14 avril 2022, dans le dossier SAI-M-297330-2005 eu égard aux trois questions suivantes:

  1. Le Tribunal administratif du Québec a-t-il erré en droit en qualifiant la méthode du revenu de méthode d'évaluation directe?
  2. Le Tribunal administratif du Québec a-t-il erré en droit en qualifiant la désuétude additionnelle l'écart entre les résultats obtenus par les méthodes du coût et du revenu?
  3. Le Tribunal administratif du Québec a-t-il erré en droit dans l'application des principes directeurs relatifs au taux d'actualisation au niveau de la méthode du revenu omettant de considérer que la valeur d'un terrain ne se déprécie pas et constitue une valeur sûre?

Le tout frais à suivre.

 

 

__________________________________

JULIE MESSIER, J.C.Q.

 

 

 

Me Louis-Bouchard d'Orval

Me Marie-Hélène Toussaint

LESAJ, Avocats

Avocats de l'Appelante

 

 

Me Éric David

Avocat de l'Intimée

David Sauvé

 

 

Date d’audience :

31 octobre 2022

 


[1]  RLRQ c. F-2.1.

[2]  2009 QCCQ 5334, par. 9 à 13.

[3]  Montréal (Communauté urbaine) c. Asvstalt, 2000 4834 QCCA par. 30; Immeubles Riotec inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2006 QCCA 5836, par. 44; Montréal (Communauté urbaine) c. 2946-4617 Québec Inc., 1998, 11054 QCCQ, par. 7.

[4]  Jean-Guy DESJARDINS, Steven LAVOIE et Sébastien CARON, Traité de l'évaluation foncière, 2e édition. Montréal, Wilson & Lafleur, 2021, p. 460.

 

[5]  Immeubles Riotec inc. c. Québec (Sous-ministre du revenu), 2006 QCCQ 5386, par. 96-97.

AVIS :
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