Blais c. Meloche Monnex inc. (TD Assurance) |
2021 QCCQ 6035 |
COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE LOCALITÉ DE |
JOLIETTE JOLIETTE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
705-32-016547-199 |
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DATE : |
10 juin 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JEAN-FRANÇOIS MALLETTE, J.C.Q. |
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Benoît Blais |
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Partie demanderesse |
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c. |
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Meloche Monnex Inc., f.a.s.n.r.s. TD assurance Et Groupe Aqua Vitae inc., f.a.s.n.r.s. Club Piscine Repentigny
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Parties défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] Monsieur Blais réclame 5 400,00 $. Il prétend que sa piscine hors terre n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable.
[2] Club Piscine soutient que la piscine a été installée correctement et selon les règles de l’art. Selon elle, les dommages ont plutôt été causés par des conditions météo particulièrement difficiles.
[3] Enfin, l’Assureur considère que cette réclamation n’est pas recevable puisque la cause du problème à l’origine de la réclamation est expressément exclue du contrat d’assurance.
A. Quelle est la nature juridique du contrat intervenu entre Monsieur Blais et Club Piscine ?
B. Monsieur Blais a-t-il démontré que la piscine n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable ?
C. Si tel est le cas, quelle est la somme que Club Piscine doit verser à Monsieur Blais ?
D. Monsieur Blais a-t-il démontré de façon prépondérante que sa réclamation à l’égard de l’Assureur est bien fondée ?
[4] En février 2017, un contrat intervient entre Monsieur Blais et Club Piscine pour la vente et l’installation d’une piscine hors terre au montant de 3 429,68 $.
[5] En avril 2019, Monsieur Blais constate l’absence d’eau dans la piscine et remarque que le bloc de glace est maintenant situé au fond de celle-ci. Il remarque également des dommages sur la paroi. Dans les jours qui suivent, l’Assureur mandate un expert en sinistres pour procéder à l’évaluation de la situation. Le Tribunal retient notamment le passage qui suit :
« COMMENTAIRES SUR LA CAUSE DU SINISTRE
Lors de notre visite, des dommages ont été constatés à la paroi et à certains poteaux de la piscine. La paroi est déformée à plusieurs endroits et elle est déchirée près de la jonction.
La base des poteaux est enfouie à environ 1’’ et le pourtour de la piscine est également enfoui dans le sol.
Selon les informations obtenues de la part de l’assuré et selon les constatations que nous avons faites sur les lieux, nous sommes d’opinion que les dommages sont soudains et ont été causés par une installation inadéquate.
En effet, lors de l’installation en 2017, les installateurs devaient prévoir un monticule de sable sous la piscine afin que celle-ci soit installée sur le dos d’une cuillère plutôt que dans le creux.
Par conséquent, l’eau qui s’accumule au pourtour de la piscine, lors des périodes de gel et dégel, crée des mouvements différentiels et c’est alors que surviennes (sic) les dommages.
Suite à la rupture de la toile, l’eau contenue dans la piscine s’est évacué (sic) et le bloc de glace s’est échoué au fond de la piscine. »
A. Quelle est la nature juridique du contrat intervenu entre les parties - s’agit-il d’un contrat de vente ou d’un contrat d’entreprise?
[6]
Les articles
« 1708. La vente est le contrat par lequel une personne, le vendeur, transfère la propriété d’un bien à une autre personne, l’acheteur, moyennant un prix en argent que cette dernière s’oblige à payer.
Le transfert peut aussi porter sur un démembrement du droit de propriété ou sur tout autre droit dont on est titulaire.
2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer. »
[7]
La distinction entre le contrat de vente et le
contrat d’entreprise est parfois délicate. À cet effet, le dernier alinéa de
l’article
« 2103. […] Il y a contrat de vente, et non contrat d’entreprise ou de service, lorsque l’ouvrage ou le service n’est qu’un accessoire par rapport à la valeur des biens fournis. »
[8] Au sujet de cette disposition, les auteurs Pierre Gabriel Jobin et Michelle Cumyn écrivent ceci :
« […] l’article 2103 pose comme critère de distinction la valeur relative du travail et des matériaux : désormais, de tels contrats sont a priori considérés comme des contrats d'entreprise; ils sont des ventes quand le travail n'est « qu'un accessoire » par rapport à la valeur des matériaux. Pour que ce soit une vente, il faut donc démontrer que l'écart entre la valeur respective du travail et des matériaux est si considérable que le travail n'apparaisse que comme un accessoire.[1] »
[9] Selon les enseignements de la Cour d’appel lorsque la preuve ne permet pas de déterminer la valeur respective des matériaux et des coûts de main-d’œuvre, il faut présumer que l’on est en présence d’un contrat d’entreprise.[2]
[10] Or, la mise en place et l’installation d’une piscine nécessite un savoir-faire technique que la personne ordinaire ne possède pas.
[11] À ce sujet, l’auteur Vincent Karim souligne d’ailleurs que l’aspect du savoir-faire technique nécessaire à l’exécution du contrat est un élément déterminant quant à la qualification du contrat :
« 589. […]. L’alinéa 3 prévoit-il un critère quantitatif ou, au contraire, un autre critère peut entrer en ligne de compte ? Il semble que le critère déterminant doit être l’importance de l’expertise nécessaire pour faire le montage ou l’installation du bien fourni. Ainsi, lorsque l’installation exige une expertise particulière impliquant une connaissance d’une technologie qui est à l’origine de la conception du bien ou de son utilité, le contrat ayant pour objet la commande d’un ouvrage ne doit pas être considéré comme un contrat de vente, peu importe la valeur des biens par rapport à la valeur de la prestation de travail. Par contre, si les biens fournis peuvent faire l’objet d’un montage sans exiger une spécialisation ou une expertise spécifique dans le domaine, le tribunal peut conclure à l’existence d’un contrat de vente lorsque les prestations de travail ou de services sont accessoires à la vente des biens et que leur valeur est considérablement inférieure à la valeur de ces biens.[3] »
[12] Il faut donc conclure que ce sont les règles du contrat d’entreprise qui doivent s’appliquer ici.
[13] De plus, s’agissant d’un contrat intervenu entre un consommateur et un commerçant, la Loi sur la protection du consommateur (L.P.C.) s’applique également.
B. Monsieur Blais a-t-il démontré que la piscine n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable?
[14]
Les articles
« 1458. Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.
Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.
2100. L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu’ils sont tenus au résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure. »
Puisqu’il
s’agit d’un contrat de consommation les articles
« 38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.
272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:
a) l’exécution de l’obligation;
b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;
c) la réduction de son obligation;
d) la résiliation du contrat;
e) la résolution du contrat; ou
f) la nullité du contrat,
sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs. »
[15] Ces dispositions allègent le fardeau Monsieur Blais. Il doit seulement démontrer que la piscine n’a pas servi pendant une durée raisonnable considérant les critères énumérés à l’article 38 de la LPC. [4]
[16]
En effet, comme le souligne la Cour d’appel du
Québec, les articles
[17] Or, dans la présente affaire, la piscine n'a été utilisée que pendant deux étés.
[18] Club Piscine doit établir les mauvaises conditions d'utilisation du bien. Une telle preuve n'a pas été démontrée. Au contraire, tous s’entendent qu’aucun reproche de cette nature ne peut être formulé à l’égard de Monsieur Blais.
[19] Par ailleurs, même en admettant que les dommages soient imputables à des mouvements de sol attribuables à la neige et aux fortes pluies, il n'en demeure pas moins qu'il est déraisonnable qu'une piscine ne soit pas conçue de façon à pouvoir supporter les hivers québécois et doivent être remplacée après seulement deux ans d'utilisation.[7] D’ailleurs, pour éviter tout quiproquo à ce sujet, Club Piscine reconnaît qu’elle ajoute dorénavant un avenant à ces contrats afin d’attirer l’attention de ses clients sur de potentiels événements de cette nature, leur recommander de s’assurer en conséquence et limiter sa responsabilité.[8]
[20] Or, une telle mise en garde écrite n’apparaît pas au contrat intervenu entre Monsieur Blais et Club Piscine. D’ailleurs, un tel avenant n’existait pas au moment où le contrat a été conclu.
[21] Ainsi, bien que les parties ne s’entendent pas sur les raisons ayant entrainé la perte de la piscine en litige il n’en reste pas moins que Monsieur Blais a établi que la piscine n’a pas servi à un usage normal pendant un délai raisonnable. Quant à Club piscine, elle n’a pas réussi à renverser la présomption.
[22] Le recours de Monsieur Blais à son égard doit donc être accueilli.
C. Si tel est le cas, quelle est la somme que Club Piscine doit verser à Monsieur Blais ?
[23] Afin de déterminer la juste valeur de l’indemnité à laquelle Monsieur Blais a droit, il importe de tenir compte de l’utilisation et l’usure de la piscine avant les événements. Le Tribunal doit également tenir compte du prix payé par Monsieur Blais.
[24] Celle-ci est installée 2 ans plus tôt. Monsieur Blais en bénéficie pendant cette période. Elle s’est également détériorée. D’ailleurs, l’expert en sinistres conclut dans son rapport qu’une dépréciation de 6 % est applicable en l’espèce. Or, les dommages-intérêts dus au créancier doivent compenser la perte qu'il a subie et non pas l’enrichir injustement.[9]
[25] Dans les circonstances, considérant le montant payé de 3 429,68 $ et le facteur de dépréciation de 6 %, le Tribunal accordera à Monsieur Blais une somme de 3 223,90 $ (3429,68 $ X 6%).
D. Monsieur Blais a-t-il démontré de façon prépondérante que sa réclamation à l’égard de l’Assureur est bien fondée ?
[26] En vertu des règles de preuve applicables en matière civile, la partie qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve de façon prépondérante de tous les faits qu’elle invoque au soutien de ses prétentions et de sa réclamation.[10] Si la preuve n’est pas suffisamment convaincante ou si elle est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, celui sur qui reposait l’obligation de convaincre le Tribunal du bien-fondé de sa réclamation perdra, en tout ou en partie.[11]
[27] Les auteurs Jean-Claude Royer et Catherine Piché expliquent ainsi la portée de cette règle :
« 150 - Fondement - Le principe énoncé à l'article
(…)
181 - Généralités - La partie qui a le fardeau de persuasion perd son procès si elle ne réussit pas à convaincre le juge que ses prétentions sont fondées. Ainsi, l'action du demandeur sera rejetée si celui-ci n'établit pas les actes ou les faits générateurs de son droit. D'autre part, le défendeur sera condamné à exécuter sa prestation s'il ne prouve pas son extinction.[12] »
[28] En l’espèce, l’Assureur soutient que les dommages causés à la piscine de Monsieur Blais découlent d’une installation déficiente. Il en résulte que l’accumulation de neige, les fortes pluies de l’hiver de même que les périodes de gel et dégel ont contribué à créer des mouvements de sols qui ont eu un impact sur la structure de la piscine.
[29] Or, selon l’Assureur, les dommages causés par les mouvements de sol sont expressément exclus. Selon l’expert en sinistres l’impression que la piscine aurait été écrasée par l’accumulation de neige et de glace est trompeuse. Il explique que c’est plutôt le sol, gorgé d’eau, qui a créé une pression vers le haut. D’ailleurs, selon lui la pression occasionnée par l’eau dans d’une piscine est beaucoup plus importante lorsque cet élément est liquide en saison chaude que lorsqu’il est solide l’hiver.
[30] Le témoignage de l’expert en sinistres est précis et crédible. Le Tribunal n’a aucune raison de le rejeter.
[31] Pour ces motifs, le recours de Monsieur Blais contre l’Assureur sera rejeté.
[32] Le Tribunal doit également déterminer le sort des frais de justice. Or, le comportement inopportun de son représentant nous amène à conclure qu’il serait inapproprié d’accorder des frais à l’Assureur. En effet, le représentant se présente en retard à l’audition. Puisque le dossier était le premier sur le rôle, les autres parties ont dû céder leur place à un autre dossier et ainsi retarder l’audition. Lors de son arrivée, plutôt que de s’excuser, le représentant interrompt l’audition de l’autre cause pour s’enquérir auprès du Tribunal sur la façon dont il pourrait obtenir des sommes liquides pour acquitter son parcomètre. Par ailleurs, lors du procès certaines de ces interventions et commentaires ont inutilement compliqué la qualification de son propre témoin expert et, bien que pour une courte durée, prolonger inutilement le débat. Enfin, sa tenue vestimentaire, la présence de ses lunettes soleil et sa préparation manifestement nonchalante témoignent également d’une insouciance à l’égard du décorum nécessaire à toute audition.
[33] Bref, pour ces motifs, le Tribunal n’attribuera pas de frais de justice à l’Assureur.
Pour ces motifs, le Tribunal :
Accueille en partie la demande ;
Condamne Groupe Aqua Vitae Inc. à payer à
Benoît Blais la somme de 3 223,90 $ plus les intérêts au
taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l'article
Condamne Groupe Aqua Vitae Inc. à payer à Benoît Blais les frais de justice de 190,00 $ ;
rejette sans frais de justice la demande de Benoît Blais à l’égard de Meloche Monex Inc.
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__________________________________ Jean-François Mallette, j.c.q. |
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Date d’audience : |
2 juin 2021 |
[1]
Pierre-Gabriel
JOBIN et Michelle CUMYN,
[2] Gestion
J.P. Brousseau inc. c.
Drummond Mobile Québec inc.,
[3] Vincent KARIM, Contrats d’entreprise, contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 3e Édition, Wilson& Lafleur 2015, p. 236-237.
[4] Bisson
c. P.E. Boisvert Auto ltée,
[5]
CNH Industrial Canada Limited c. Promutuel Verchères, société mutuelle
d’assurances générales,
[6] Renaud c. Auto Jean Yan,
[7] Bouchard
c. Piscines Pro ,
[8] Ledit avenant n’a pas été soumis au Tribunal pour étude et considération et nous ne nous prononçons donc pas sur la validité et/ou des conséquences juridiques de celui-ci.
[9] Article
[10] Articles
[11] Lemay
c. Desjardins Sécurité financière,
[12]
Jean-Claude ROYER et Catherine PICHÉ,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.