CSSS Jardins-Roussillon et Tremblay | 2024 QCTAT 115 |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL | |||
(Division de la santé et de la sécurité du travail) | |||
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Estrie | |||
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Dossiers : | 502265-05-1302 518442-05-1308 520604-05-1308 588571-05-1510 599869-05-1603 611542-05-1607 657830-05-1802
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Dossier CNESST : 140168246
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Sherbrooke, | le 11 janvier 2024 | ||
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François Ranger | |||
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CSSS Jardins-Roussillon |
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Nancy Tremblay |
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Partie mise en cause |
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et
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Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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Dossier 502265-05-1302
[1] Le 13 février 2013, CSSS Jardins-Roussillon, l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la CSST, le 22 janvier 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 13 décembre 2012 en déclarant que madame Nancy Tremblay, la travailleuse, est victime d’une lésion professionnelle le 26 octobre 2012, à savoir une tendinite au coude droit. Dans ce contexte, elle reconnaît le droit aux indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], la Loi.
Dossier 518442-05-1308
[3] Le 5 août 2013, l’employeur transmet à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 24 juillet 2013, à la suite d’une révision administrative.
[4] Au moyen de celle-ci, la CSST maintient sa décision initiale du 29 mai 2013 et déclare que le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio‑dépressive est consécutif à la lésion professionnelle du 26 octobre 2012, d’où le droit aux indemnités pour cette maladie.
Dossier 520604-05-1308
[5] Le 26 août 2013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 14 août 2013, à la suite d’une révision administrative.
[6] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement adoptée le 22 juillet 2013 en jugeant principalement que le diagnostic de syndrome de dystrophie réflexe (SDR) du membre supérieur droit est en relation avec la lésion professionnelle de la travailleuse.
Dossier 588571-05-1510
[7] Le 26 octobre 2015, l’employeur achemine à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il s’oppose à la décision rendue par la CSST le 14 octobre 2015, à la suite d’une révision administrative;
[8] Par cette décision, la CSST confirme une première décision rendue le 1er septembre 2015 et déclare que la lésion professionnelle du 26 octobre 2012 entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % et qu’elle donne droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 487,00 $, plus intérêts.
Dossier 599869-05-1603
[9] Le 3 mars 2016, l’employeur dépose au Tribunal administratif du travail, le Tribunal, un acte introductif par lequel il conteste une décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, le 12 février 2016, à la suite d’une révision administrative;
[10] Au moyen de cette décision, la Commission confirme celle rendue initialement par la CSST le 16 décembre 2015 et déclare que la lésion professionnelle du 26 octobre 2012 entraîne une atteinte permanente à l’intégrité psychique de 5,75 %, d’où le droit à une indemnité pour préjudice corporel de 3 886,48 $, plus intérêts.
Dossier 611542-05-1607
[11] Le 7 juillet 2016, l’employeur produit au Tribunal un acte introductif par lequel il conteste une décision adoptée par la Commission 30 juin 2016, à la suite d’une révision administrative.
[12] Par cette décision, la Commission maintient ses décisions initiales des 18 et 29 avril 2016. D’une part, elle déclare que la travailleuse a droit à la réadaptation prévue par la Loi. D’autre part, elle accorde une psychothérapie pour aider la travailleuse à atténuer les difficultés qu’elle éprouve en raison de sa lésion professionnelle.
Dossier 657830-05-1802
[13] Le 9 février 2018, l’employeur dépose au Tribunal un acte introductif par lequel il conteste une décision adoptée par la Commission le 24 janvier 2018, à la suite d’une révision administrative.
[14] Au moyen de cette décision, la Commission confirme ses deux décisions initiales du 17 novembre 2017 qui donnent suite à un avis du Bureau d'évaluation médicale sur le plan psychique. Essentiellement, cette composante de la lésion professionnelle de la travailleuse est jugée consolidée le 3 juin 2015 avec une atteinte permanente de 5,75 %. De même, la Commission maintient sa décision initiale du 23 novembre 2017 qui accorde à la travailleuse le droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans aux conditions prévues par la Loi.
[15] Par ailleurs, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Celle-ci crée le Tribunal qui assume dorénavant les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant ces instances est continuée devant la division compétente du Tribunal. La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de membre de celui-ci.
[16] De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission assume les compétences autrefois dévolues à la CSST. Aux fins de la présente, la Commission et la CSST seront indistinctement nommées « la Commission ».
[17] L’audience est tenue à Sherbrooke les 19 et 20 avril 2023, ainsi que le 7 novembre 2023. Alors que la travailleuse n’est pas représentée, l’employeur l’est par Me Catherine Gemme. Quant à l’avocate de la Commission, elle a indiqué qu’elle serait absente.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[18] L’employeur demande principalement de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 26 octobre 2012, et de conclure que les décisions adoptées, après celle portant sur l’admissibilité, sont devenues sans effet.
LA PREUVE
[19] En juillet 2008, alors qu’elle est âgée de 44 ans, la travailleuse commence à exercer l’emploi de préposée aux bénéficiaires pour l’employeur.
[20] Au cours des années subséquentes, elle est reconnue victime de trois lésions professionnelles à la région lombaire. De ce fait, elle devient incapable d’occuper son emploi du 19 octobre 2009 au 28 avril 2010, du 19 février au 4 mars 2011 puis du 15 août 2011 au 7 juin 2012.
[21] Le 26 octobre 2012, la travailleuse prétend subir une nouvelle lésion professionnelle, ce que reconnaît la Commission au moyen de la première décision que conteste l’employeur (dossier 502265-05-1302). Cette journée-là, la travailleuse dit débuter sa période de travail, à 7 h 30, au service des urgences de l’Hôpital Anna‑Laberge.
[22] Vers 11 h, elle raconte qu’elle doit déplacer une lourde poche de linge souillé vers un grand bac, chose qu’elle fait régulièrement au service des urgences. Elle dit que la poche lui arrive aux hanches et qu’elle repose sur un chariot à roulettes pour faciliter son transport. Rendue près du grand bac, elle explique qu’elle ferme la poche, la saisie à deux mains afin de la mettre dans le grand récipient. Lorsqu’elle témoigne le 19 avril 2023, elle est incapable de préciser la méthode qu’elle adopte pour ce faire. Elle n’est pas en mesure de dire si elle lance la poche dans le bac ou si elle l’appuie contre un des rebords pour la faire basculer. Lors de l’audience du 7 novembre 2023, elle est en revanche capable de dire qu’elle lève la poche à deux mains, pour la jeter dans le bac à bout de bras, au moyen d’un mouvement de la gauche vers la droite. Elle ne se souvient pas si elle tenait le fond de la poche avec la main droite ou avec la main gauche. À la suite de cette action, la travailleuse affirme éprouver une douleur au coude droit.
[23] Dans les minutes qui suivent, elle avise sa coordonnatrice de la situation et rédige une déclaration d’événement. Elle indique s’être blessée au coude droit en lançant une poche. Plus spécifiquement, elle écrit : « Lancée la poche et bouger mouvement du bras [sic] ».
[24] Bien qu’elle souhaite quitter les lieux, son employeur lui demande de rester pour voir un médecin. Jusqu’à la fin de sa période de travail, elle dit effectuer les tâches qu’elle est en mesure d’accomplir pour ensuite attendre d’être examinée par une professionnelle de la santé tard en soirée. À cette occasion, la docteure Marie-Hélène Biron diagnostique une tendinite du coude droit. Elle prescrit particulièrement un arrêt de travail d’une semaine et de la physiothérapie. Incidemment, la travailleuse ne reviendra jamais au travail.
[25] Le 31 octobre 2012, la docteure Josée Brière reprend le diagnostic de tendinite du coude droit et prolonge l’arrêt de travail de deux semaines. Dans la réclamation qu’elle signe à cette date, la travailleuse raconte s’être blessée de cette façon : « En manipulant la poche de linge, en tournant les patients, en faisant ma tâche de préposée bénéficière, enflure et brûlure au coude droit [sic] ».
[26] Le 2 novembre 2012, la gestionnaire de l’employeur qui a charge du dossier de la travailleuse depuis le 30 octobre, madame Caroline La Rocque, technicienne en gestion de dossier d’invalidité, insiste pour que celle-ci obtienne de son médecin une opinion sur sa capacité à être assignée temporairement à de nouvelles tâches. Alors que cette pratique est bien ancrée chez l’employeur, aucun formulaire d’assignation temporaire n’a été fourni à l’employeur jusqu’ici.
[27] Le 6 novembre 2012, madame La Rocque, manifeste à la Commission son opposition à la demande d’indemnisation de la travailleuse. Elle écrit que la version contenue dans la déclaration d’événement diffère de celle exposée dans la réclamation. En outre, elle mentionne que la travailleuse a eu des difficultés à expliquer à sa supérieure comment elle s’était blessée.
[28] Le 12 novembre 2012, la docteure Brière refuse que la travailleuse soit assignée à de nouvelles tâches en indiquant que « tout travail est impossible ».
[29] Le 13 novembre 2012, la travailleuse est examinée par le docteur Carl Giasson Jr à la demande de l’employeur. Sur les circonstances de l’événement allégué, il écrit ce qui suit :
Le vendredi 26 octobre, dans l’exercice de ses fonctions, madame travaillait à l’urgence de 7 heures 30 à 15 heures 30. Vers 11 heures, elle me mentionne qu’elle a eu à soulever un sac contenant du linge souillé. Elle a soulevé le sac à deux mains et en s’exécutant, elle ressentit une chaleur au niveau du coude droit en latéral externe. Madame ne réfère à aucune fausse manœuvre. Elle a soulevé le sac comme elle le fait normalement.
L’inconfort ne fut pas jugé incompatible avec la poursuite de son travail. Un peu plus tard, un médecin lui a demandé de l’aide pour retourner une bénéficiaire. En s’exécutant, il y a eu accentuation des douleurs au niveau de son coude droit.
Madame n’aura pas le choix de dénoncer le tout. Elle ira s’inscrire à l’urgence. Elle a terminé son quart de travail en utilisant surtout son membre supérieur gauche.
[30] Après avoir noté que la douleur au coude droit se manifeste lors de gestes anodins et que la travailleuse « garde une attitude antalgique de surprotection de son coude » tout au long de l’examen, le docteur Giasson Jr diagnostique une épicondylalgie secondaire à une enthésopathie des épicondyliens. Il considère qu’il s’agit d’une condition personnelle. Il ajoute qu’il n’y a pas d’évidence clinique d’une épicondylite ou d’une tendinite du coude droit par traumatisme et/ou surutilisation.
[31] L’opinion diagnostique du docteur Giasson Jr n’étant pas partagée par le professionnel de la santé qui a charge de la travailleuse, le dossier est dirigé au Bureau d'évaluation médicale.
[32] Le 14 novembre 2012, en indiquant qu’elle est inapte à travailler, le docteur Arnold Aberman refuse d’autoriser l’employeur à assigner temporairement la travailleuse à de nouvelles tâches.
[33] Le 26 novembre 2012, le docteur Guillaume Berrière refuse à son tour une quelconque assignation temporaire à de nouvelles tâches.
[34] Le 5 décembre 2012, une agente d’indemnisation communique avec la travailleuse pour obtenir des précisions. Celle-ci l’informe alors qu’elle travaille à l’urgence, qu’elle « doit lever des sacs de linges souillés et se donner un élan pour les lancer dans un conteneur de 3 à 4 pieds de haut ». Lors de l’événement, elle rapporte avoir senti une brûlure et une enflure immédiate. Elle signale qu’elle a déclaré l’accident à son supérieur tout en continuant à effectuer ses tâches.
[35] Le 10 décembre 2012, le docteur Éric Dignard donne son accord pour que la travailleuse soit assignée à certaines tâches, soit celles de répondre aux cloches, d’effectuer du travail administratif (clérical) et de dresser des inventaires. En revanche, il précise qu’elle ne doit pas utiliser son membre supérieur droit à répétition ni réaliser d’efforts. En outre, le médecin mentionne qu’elle devra se déplacer en autobus aux frais de l’employeur pour se rendre au travail, parce qu’elle ne peut conduire son véhicule à transmission manuelle.
[36] Parce qu’elle s’estime incapable de faire quoique ce soit à cause de douleurs au coude droit, la travailleuse expose être en désaccord avec les recommandations du docteur Dignard. Elle juge insensé de la retourner au travail. Aussi, peu importe ses problèmes de transport ou les termes utilisés pour définir ce qu’elle pourrait accomplir, elle dit qu’il est hors de question qu’elle se présente au travail.
[37] Le 12 décembre 2012, madame La Rocque contacte la travailleuse pour connaître les raisons de son absence au travail le 11 décembre. Après l’avoir informée que l’employeur n’assume pas les frais de transport en commun, elle est avisée qu’elle est attendue au travail dans quelques heures et qu’elle ne se sera pas rémunérée si elle est absente.
[38] Le 13 décembre 2012, la Commission reconnaît la travailleuse victime d’une lésion professionnelle le 26 octobre 2012. Aussi, elle est avisée qu’elle a droit à des prestations pour la tendinite du coude droit diagnostiquée. Insatisfait, l’employeur conteste cette décision.
[39] La même journée, madame La Rocque communique avec la travailleuse parce qu’elle ne s’est pas rendue au travail le jour précédent. À cette occasion, elle réaffirme en être inapte à cause de son état de santé. Informée qu’elle doit travailler ce soir-là, si elle désire être rémunérée, elle indique à madame La Rocque que c’est impossible puisqu’elle garde le bébé de sa fille qui vient d’accoucher. Or, la travailleuse n’a pas d’enfant.
[40] Étant donné qu’elle ne se présente pas au travail, l’employeur décide de ne pas lui verser de rémunération pendant quatre jours sur la paie du 26 décembre 2012.
[41] Le 28 décembre 2012, madame La Rocque reçoit un appel téléphonique d’un directeur de la Commission qui lui explique les règles d’indemnisation prévues par la Loi. N’ayant pas été indemnisée pendant quatre journées, la travailleuse dit être dans une position financière précaire. À la suite de l’intervention du directeur de la Commission, l’employeur s’engage à corriger la situation. Sur cette question, madame La Rocque reconnaît son erreur en disant qu’elle croyait agir correctement parce que c’est l’employeur qui indemnisait la travailleuse pendant cette période.
[42] Le 31 décembre 2012, la docteure Brière refuse d’autoriser l’employeur à assigner temporairement la travailleuse à de nouvelles tâches au motif qu’elle est « inapte à travailler ».
[43] Le 3 janvier 2013, la travailleuse et madame La Rocque discutent au téléphone. La première signifie que la coupure de sa rémunération est une source de stress parce qu’elle ne peut satisfaire à ses obligations financières. Malgré son insistance, madame La Rocque dit qu’elle devra attendre la prochaine paie pour recevoir les indemnités manquantes. Également, elle convoque la travailleuse à une réunion le lendemain pour faire le point avec sa représentante syndicale. À ce moment, elle se plaindra d’être persécutée à cause de la coupure de son salaire et les demandes de l’employeur relatives à l’assignation temporaire. Pourtant, madame La Rocque dit agir de façon respectueuse tout en appliquant les règles qui sont les mêmes pour tous.
[44] Le 21 janvier 2013, le docteur Aberman indique que le tableau clinique se complique par l’ajout d’un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive. Le médecin maintient également le refus d’autoriser une assignation temporaire. Dans la note de l’infirmière avec qui discute la travailleuse la même journée, il est particulièrement rapporté qu’elle vit une séparation et qu’elle est confrontée à une perte monétaire.
[45] Le 31 janvier 2013, la travailleuse est examinée par un membre du Bureau d'évaluation médicale, le docteur Sevan Gregory Ortaaslan, orthopédiste. Dans son avis du 14 février 2013, il écrit ceci au sujet de l’événement :
Madame Tremblay explique qu’en date du 26 octobre 2012, lorsqu’elle lançait une poche souillée pour la mettre dans un bac d’une hauteur de 4 pieds, un geste vers le côté droit ou gauche, elle ne se souvient pas, elle a ressenti une douleur englobant le coude droit. En attendant d’être vue par un médecin au triage, elle a avisé son contremaître de l’événement, mais elle n’a pas été autorisée à partir. Son contremaître l’a obligée de rester jusqu’à la fin de son quart de travail. Elle est restée, mais elle faisait peu de choses, car elle ne pouvait pas se servir de son membre supérieur droit, les douleurs étant très importantes. À l’aide d’un collègue, elle s’est traitée avec du Tylenol qui a peu aidé ses douleurs.
[Transcription textuelle]
[46] Après la revue du dossier, le membre du Bureau d'évaluation médicale rapporte que la travailleuse se plaint d’une douleur des deux côtés du coude droit. Il note que la douleur est présente même au repos et s’accentue à l’activité. Par exemple, il précise que soulever une tasse à café augmente le phénomène. Il ajoute qu’elle trouve difficile d’utiliser son automobile munie d’une transmission manuelle. Au terme de son examen, il diagnostique une tendinite épicondylienne du coude droit.
[47] Le 1er février 2013, la Commission accepte de lier le diagnostic d’épicondylite droite à l’événement du 26 octobre 2012. Cependant, elle jugera plus tard cette décision sans objet après une révision administrative, en déclarant que le diagnostic retenu par le membre du Bureau d'évaluation médicale doit prévaloir pour ce qui est de l’affection du coude droit.
[48] Le 15 février 2013, la travailleuse est examinée par le docteur Michel H. Des Rosiers à la demande de l’employeur. Depuis l’événement, il rapporte une détérioration sur le plan subjectif. Il écrit ceci :
Pas d’amélioration depuis le début, voire même détérioration car la douleur serait maintenant diffuse à tout son bras. En effet, elle présenterait encore beaucoup de douleurs tant à la face interne qu'externe du coude. Elle ressentirait aussi beaucoup de douleurs à tout son avant-bras, à sa main, à ses doigts, à son bras, à l'épaule, et ce, jusque vers la région sous-scapulaire droite.
Elle ressentirait également des engourdissements dans ses doigts et aurait l’impression de froidure et de brûlure, en alternance, dans son membre supérieur droit. Le moindre toucher superficiel serait douloureux et la douleur l'empêcherait de dormir. La mobilité de son coude serait réduire, voire même de son poignet, et garderait son bras le long de son corps.
[Transcription textuelle]
[49] À la suite de son examen, il pose le diagnostic d’entorse de l’avant-bras droit impliquant les extenseurs et les fléchisseurs du poignet. Il considère aussi que la travailleuse présente une dystrophie réflexe au membre supérieur droit.
[50] Le 20 février 2013, la travailleuse est vue par le docteur Michael S. Golgoon. Ce dernier refuse toute assignation temporaire.
[51] Le 21 février 2013, la Commission donne suite à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale du 14 précédent. Elle déclare qu’il existe une relation entre l’événement du 26 octobre 2012 et le diagnostic retenu (tendinite épicondylienne du coude droit), d’où le droit à l’indemnisation. Cette décision n’est pas contestée.
[52] Le 8 mars 2013, la travailleuse rencontre son agent d’indemnisation et sa conseillère en réadaptation. Ceux-ci notent qu’elle garde le membre supérieur droit contre son corps. Ils rapportent d’ailleurs qu’elle dit éviter d’utiliser celui-ci dans ses activités courantes. Ils ajoutent qu’elle déclare aimer prendre la route pour se changer les idées et être en mesure de conduire sa voiture équipée d’une transmission manuelle. Pour ce qui est de sa santé mentale, il est indiqué ceci :
Nous avons abordé la question du trouble d'adaptation émis par son md le 21 janvier 2013. Elle mentionne que le point centrale de son instabilité émotive est la douleur qu'elle vit jour après jour depuis l'accident de travail ainsi que le manque de sommeil. Elle a de la difficulté à gérer sa douleur, toute sa vie quotidienne tourne autour de cela. Elle cherchait des solutions mais n'en trouve pas. Également, la T ne se sentait pas comprise par les divers intervenants. Elle avait beau expliquer ce qu'elle vivait personne n'apportait de réponse à son questionnement et personne ne semblait la croire. La situation s'est compliquée quand son employeur a coupé indûment son salaire à cause d'une différent par rapport à l'ATT. La T mentionne que c'est cet événement qui a fait sauté la marmitte. Elle mentionne qu'elle sentait que l'E s'acharnait injustement sur elle. D'ailleurs la T mentionne que l'E l'aurait menacé de couper sa paie si elle ne faisait pas remplir le formulaire d'ATT par son md.
[Transcription textuelle]
[53] Le 27 mars 2013, le docteur Golgoon parle d’une épicondylite droite sans amélioration. Il refuse aussi que la travailleuse soit assignée temporairement à de nouvelles tâches.
[54] Le 19 avril 2013, le docteur Des Rosiers réexamine la travailleuse à la demande de l’employeur. Cette fois, l’évaluation concerne sa santé mentale. Sur ce plan, il indique qu’elle estime ses gains à 85-90 %, car les gens comprennent mieux sa condition. D’ailleurs, il constate qu’elle se présente avec le membre supérieur droit immobilisé dans une attelle et gardé contre le corps. Selon le docteur Des Rosiers, l’examen ne permet pas d’identifier de pathologie psychique, plus particulièrement un trouble de l’adaptation.
[55] Le 22 avril 2013, une médecin-conseil de la Commission associe le diagnostic de trouble de l’adaptation à la lésion professionnelle d’octobre 2012. Pour ce faire, la docteure Yolande Lussier écrit :
Le Dx de trouble d'adaptation avec humeur dépressive secondaire à son épicondylite apparait sur un rapport médical du Dr Aberman le 21 janvier 2013.
A la lecture des notes cliniques au dossier, on note que ce problème psy est multi factoriel à savoir : isolement social, problèmes financiers, séparation, troubles avec l'E, troubles avec la CSST, douleur secondaire à son épicondylite.
Une relation médicale est possible entre ce trouble d'adaptation et l'épicondylite.
[56] Sur cette base, la Commission accepte de lier le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive à la lésion professionnelle du 26 octobre 2012. Cette décision initiale du 29 mai 2013 sera ensuite confirmée après une révision administrative, d’où la seconde contestation de l’employeur (dossier 518442‑05‑1308).
[57] Pendant ce temps, le 1er mai 2013, le docteur Golgoon réitère son refus de permettre à l’employeur d’assigner temporairement la travailleuse à de nouvelles tâches. Néanmoins, celle-ci dit qu’elle va de mieux en mieux bien qu’elle connaisse des hauts et des bas.
[58] Au cours des semaines subséquentes, madame La Rocque dit prendre connaissance d’éléments qu’elle juge incompatibles avec la condition de santé que décrit la travailleuse. Par exemple, elle remarque à la lecture de la note, du 8 mars 2013, des intervenants de la Commission que la travailleuse aime prendre la route pour se changer les idées alors qu’elle prétend avoir de la difficulté à conduire son automobile. Par un concours de circonstances, madame La Rocque est aussi en mesure de consulter le profil public Facebook de la travailleuse. Or, le 23 mai 2013, elle voit qu’elle cherche quelqu’un pour aller se balader à cheval au cours d’une fin de semaine. Il est aussi mentionné qu’elle compte s’acheter une BMW décapotable alors qu’elle se dit être dans une situation financière difficile.
[59] Considérant ce qu’elle observe, madame La Rocque fait un rapport à sa supérieure. C’est dans ce contexte que l’employeur mandate une firme d’investigation pour qu’elle procède à une enquête de filature afin d’identifier la condition médicale réelle de la travailleuse. Dans une décision qui sera rendue le 20 octobre 2017 par le Tribunal, la preuve ainsi obtenue est jugée recevable[3]. Plus spécifiquement, le Tribunal conclut comme suit :
DÉCLARE recevable en preuve le rapport d’enquête et les séquences vidéo faisant suite à la filature des 5, 6, 20 juin 2013 et 9, 11, 12 et 13 juillet 2013 de même que les extraits du compte Facebook de la travailleuse consultés par l’employeur en mai 2013;
[60] Lors de l’audience, les images captées durant cette filature sont visionnées.
[61] Le 5 juin 2013, celles-ci montrent essentiellement que la travailleuse marche normalement et qu’elle circule sans difficulté apparente avec son automobile à transmission manuelle. Cette journée-là, le docteur Golgoon diagnostique une épicondylite droite et un SDR du bras droit.
[62] Le 12 juin 2013, le docteur Golgoon refuse que la travailleuse soit temporairement affectée à des tâches qui demandent de répondre aux cloches, d’aider à l’alimentation, d’effectuer du travail administratif et de procéder au remplissage de chariots. Il recommande la poursuite de l’arrêt de travail pour un mois de plus.
[63] Pendant ce temps, la travailleuse indique particulièrement sur son profil Facebook qu’elle cherche un chalet pour passer une fin de semaine au bord de l’eau. Elle raconte aussi qu’elle a acheté une motomarine et qu’elle l’a essayée sur un plan d’eau, le 14 juin 2013. Le lendemain, elle écrit avoir trouvé l’expérience « vraiment cool, WOW !!!!! ».
[64] Le 20 juin 2013, les images vidéo permettent notamment d’observer la travailleuse en train de discuter avec des gens dans la rue et circuler avec son automobile. On la voit ensuite se rendre en bordure du Lac Saint-Louis avec une autre personne pour faire une promenade en motomarine. Après certains ennuis techniques, on peut l’apercevoir utiliser l’engin seule sans la moindre difficulté. Cela étant, elle revient chercher l’autre personne pour effectuer une promenade en duo. Ce faisant, elle se déplace à une bonne vitesse en effectuant particulièrement des virages serrés. À la fin de cette sortie, elle replace la motomarine sur sa remorque en l’immobilisant avec une courroie. Bref, elle se comporte normalement. D’ailleurs, la travailleuse reconnaît que les images captées lors de la filature ne permettent pas de soupçonner qu’elle est diminuée physiquement et/ou mentalement.
[65] Le 22 juin 2013, la travailleuse indique sur son profil Facebook s’être promenée toute la journée avec sa nouvelle BMW.
[66] Le 4 juillet 2013, elle discute avec son agent d’indemnisation. Dans ses notes, celui-ci rapporte particulièrement ceci :
La T mentionne que sa condition s'est grandement détériorée au cours des dernières semaines, elle ne sait plus quoi en penser
Elle dit que depuis qu'il fait chaud et que l'humidité est élevé sa condition s'est détériorée. Elle dit que son avant-bras est tout enflé et a changé de couleur
Elle mentionne qu'elle va devoir recommencer a faire la thérapie du miroir.
[…]
La T se décrit comme étant "complètement décrissé". En dedans, elle est enragée
Elle dit qu'elle a besoin de soutient de la part des intervenants pour l'aider à comprendre ce qui lui arrive
Elle pleure durant notre conversation
[Transcription textuelle]
[67] Le 10 juillet 2013, le docteur Golgoon continue à refuser que la travailleuse soit assignée temporairement à de nouvelles tâches. Dans le rapport médical du même jour, il reprend les diagnostics d’épicondylite droite et de SDR. Il s’interroge sur la manifestation d’une « rechute algodystrophie ».
[68] Le 11 juillet 2013, la travailleuse est examinée par le docteur Éric Renaud, orthopédiste, à la demande de l’employeur. À ce moment, l’expert ne sait rien des faits qui justifient que l’employeur a demandé une filature. Sur les circonstances de l’événement en cause, il écrit ce qui suit :
Le 26 octobre 2012, madame devait manipuler une poche de linge souillé et le mettre dans un chariot dont la bordure est environ à 4 pi, selon ce qu’elle me décrit. Or, il s’agit d’une tâche effectuée régulièrement par madame. Elle doit donc effectuer un certain mouvement vers le haut afin de dépasser le rebord et placer la poche dans le chariot. Madame ne se souvient pas si c’est de gauche à droite ou de droite à gauche qu’elle a effectué le mouvement, mais en effectuant ce dernier, elle ressent une douleur significative à la face interne du coude droit. Elle poursuit son quart de travail et elle note une exacerbation du phénomène douloureux, ce pour quoi elle consulte la journée même, soit le 26 octobre 2012 à l’urgence de l’hôpital Anna-Laberge.
[Transcription textuelle]
[69] Après sa revue du dossier, il indique que la travailleuse rapporte une détérioration de sa condition depuis deux à trois semaines, sans fait particulier. Il note qu’elle décrit une douleur à la face externe du coude droit qui irradie à la face latérale de l’avant-bras jusqu’à la région dorsale du poignet droit. Cette douleur est estimée entre 3 et 5 sur une échelle de 10 et s’aggrave à l’activité. Le docteur Renaud rapporte que l’examen physique est difficile à cause des éléments douloureux, omniprésents, surtout à l’épaule droite, au coude droit et au poignet droit. D’ailleurs, il indique que la travailleuse est incapable d’effectuer l’épreuve de force de préhension de la main avec un dynamomètre. Au terme de son examen, il conclut à une épicondylite du coude droit compliquée d’un syndrome douloureux régional complexe de type I au membre supérieur droit. Le docteur Renaud pense que cette lésion n’est pas consolidée. Pour l’instant, il recommande que la travailleuse évite de soulever des charges de plus de deux kilos avec le membre supérieur droit et d’effectuer des mouvements de préhension de la main droite. Il croit aussi nécessaire qu’elle ne fasse pas de mouvements répétés ou soutenus de flexion et d’extension du coude et du poignet droits.
[70] Le 12 juillet 2013, les images vidéo captées lors de la filature, demandée par l’employeur, montrent particulièrement la travailleuse conduisant sa voiture à transmission manuelle, tirant une remorque sur laquelle est installée sa motomarine, de Beauharnois à Saint-Michel-des-Saints. Durant le trajet, elle effectue quelques arrêts dans des commerces et transporte du matériel. Arrivée au Lac Taureau, elle met notamment sa motomarine à l’eau avant de l’arrimer à un bâteau ponton. Durant cette journée, elle ne manifeste rien qui suggère qu’elle est handicapée d’une quelconque manière. En fait, elle donne l’impression d’une personne heureuse de se retrouver en vacances avec des amis.
[71] Le 13 juillet 2013, les images vidéo permettent principalement d’observer la travailleuse conduisant sa motomarine dans différentes situations. Sans problème apparent, elle se déplace parfois lentement et, à d’autres occasions, elle va vite. À midi, l’enquêteur qui effectue la filature perd de vue la travailleuse, lorsqu’elle accompagne le bâteau ponton qui quitte le rivage vers le large.
[72] Le 22 juillet 2013, la Commission accepte d’associer le diagnostic de SDR du membre supérieur droit à la lésion professionnelle du 26 octobre 2012. Cette décision étant confirmée après une révision administrative, il s’ensuit la troisième contestation de l’employeur (dossier 520604-05-1308).
[73] Le 1er août 2013, l’employeur demande au docteur Renaud une opinion complémentaire à la lumière du rapport de filature qu’il a obtenu. Après avoir passé en revue ses éléments clés, l’expert écrit ceci :
En somme, la consultation du rapport de filature démontre une personne qui ne protège en aucune façon son membre supérieur droit. Elle utilise celui-ci dans ses activités de la vie quotidienne et même elle réussit à deux reprises à effectuer de la moto marine avec les deux membres supérieurs, ce qui nécessite des efforts significatifs et qui occasionne des vibrations, ce qui n’est pas compatible avec les symptômes décrits par madame lors de l’évaluation du 11 juillet 2013. En effet, à ce moment l’examen était limité par l’élément
antalgique avec des douleurs même au tact léger.
En conclusion, il existe des discordances significatives entre le tableau clinique qui a été peint par madame lors de l’évaluation du 11 juillet 2013 et les activités effectuées. Selon ce qui a pu être identifié sur la filature, il me semble clair cliniquement que l’épicondylite du coude droit ainsi que le syndrome douloureux régional complexe de type 1 sont résolus en date de mon évaluation soit le 11 juillet 2013. Les traitements sont donc suffisants et madame ne conserve aucune séquelle fonctionnelle ni atteinte permanente.
[74] Le 14 août 2013, le docteur Golgoon réitère que la travailleuse doit bénéficier d’un arrêt de travail complet. Dans ce contexte, il refuse qu’elle soit temporairement assignée à de nouvelles tâches par l’employeur.
[75] Le 9 septembre 2013, le docteur Renaud maintient ses conclusions du 1er août précédent après avoir eu l’occasion de voir les images vidéo de la filature de la travailleuse. Il insiste particulièrement sur l’utilisation de la motomarine pour soutenir que les activités en cause sont incompatibles avec les diagnostics retenus sur le plan physique.
[76] Toujours le 9 septembre 2013, l’employeur congédie la travailleuse pour les motifs suivants :
Selon les informations que nous possédons et après analyse de votre dossier, nous arrivons à la conclusion que :
Vos activités réalisées sont totalement incompatibles avec votre condition médicale et vos symptômes allégués ;
Vous avez délibérément donné une fausse version des faits au médecin expert désigné par l’employeur.
Un tel comportement est inacceptable et a pour effet de rompre définitivement le lien de confiance essentiel au maintien du lien d’emploi.
[77] Cette mesure est suivie d’un grief qui donnera lieu à une sentence arbitrale le 17 janvier 2018. Dans cette décision[4], l’arbitre déclare admissible la preuve obtenue lors de la filature de la travailleuse. Avant que celle-ci soit présentée, il rapporte qu’elle a témoigné de ceci devant lui :
[56] Questionnée sur ses activités aux mois de juillet et août (2013), la plaignante affirme devant le tribunal qu’elle est assise et qu’elle pleure. Elle a peur d’effectuer des sorties et ne fait aucune activité sportive. Quant à l’entretien de son duplex, elle fait tout ce qu’elle peut et va même jusqu’à passer la tondeuse en l’appuyant sur son ventre avec l’unique assistance de son bras gauche. Selon elle, son état ne lui permet pas d’effectuer des travaux légers en assignation temporaire. […]
[78] Au terme de son analyse de l’affaire, l’arbitre conclura que la travailleuse « a manifestement amplifié sa symptomatologie » quand elle fut examinée, le 11 juillet 2013, par le docteur Renaud. De même, il considèrera qu’elle a exercé des activités irréconciliables avec son état de santé allégué. Sur cette question, il écrira ce qui suit :
[192] Les images captées lors de la filature démontrent à bien des égards des activités manifestement incompatibles avec son état de santé allégué au médecin expert, à l’Employeur et à l’audience. Il est pour le moins surprenant qu’une personne soit en mesure de faire de la motomarine et d’organiser des journées du genre, tout en affirmant avoir peur de sortir de chez soi. Je comprends l’incompréhension de l’Employeur que la plaignante ne soit pas en mesure d’effectuer des tâches cléricales devant les images captées par la filature. J’estime que ces dernières sont révélatrices de l’état de santé de la plaignante au cours de l’été 2013.
[79] C’est pourquoi l’arbitre conclura que le congédiement constitue la sanction applicable.
[80] Le 10 octobre 2013, le docteur Renaud réexamine la travailleuse à la demande de l’employeur. À cette occasion, il observe une détérioration globale du tableau clinique depuis son évaluation du 11 juillet 2013. À ce sujet, la travailleuse explique avoir développé une lésion hépatique qui affecte considérablement son état de santé. Dans ce contexte de maladie intercurrente, le docteur Renaud conclut qu’il devient difficile de se prononcer sur les conséquences de la lésion professionnelle reconnue par la Commission.
[81] Au cours des mois subséquents, le docteur Golgoon signe des rapports médicaux où il conserve son opinion diagnostique.
[82] Le 3 juin 2015, le docteur Golgoon rédige un rapport médical final. Il identifie une épicondylite du coude droit qui s’est compliquée d’un syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit, ce qui équivaut ici au diagnostic de SDR du membre supérieur droit. Il diagnostique également un trouble de l’adaptation. Il juge les affections consolidées avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[83] Le 29 juillet 2015, le docteur Arash Sepehr Arae prépare un rapport d’évaluation médicale. En ce qui a trait à l’aspect physique de la lésion du 26 octobre 2012, il accorde un déficit anatomo-physiologique de 2 %. Quant aux limitations fonctionnelles, il écrit que la travailleuse doit éviter d’effectuer, de façon répétitive et fréquente, de lever des charges de plus de deux kilos avec le bras droit, d’accomplir des mouvements du coude et du poignet droits et de forcer en préhension avec la main droite.
[84] Le 1er septembre 2015, la Commission déclare que la lésion professionnelle du 26 octobre 2012 entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % d’où le versement d’une indemnité pour préjudice corporel de 1 487,00 $, plus les intérêts. Après avoir été maintenue à la suite d’une révision administrative, cette question fait l’objet de la 4e contestation de l’employeur (dossier 588571-05-1510).
[85] Le 6 octobre 2015, le docteur Jean-Pierre Berthiaume, psychiatre, examine la travailleuse à la demande de la Commission. Au terme de sa revue du dossier et de son examen, il croit que la composante psychique de la lésion du 26 octobre 2012 entraîne un déficit anatomo-physiologique de 5 % et des limitations fonctionnelles qui font en sorte qu’elle est incapable d’accomplir un travail qui comporte des responsabilités importantes.
[86] Le 2 décembre 2015, le docteur Golgoon se dit en accord avec les conclusions du docteur Berthiaume.
[87] Le 16 décembre 2015, la Commission reconnaît que la lésion professionnelle du 26 octobre 2012 entraîne une atteinte permanente à l’intégrité psychique de 5,75 %. Ceci donne droit à une indemnité pour préjudice corporel de 3 886,48 $. La Commission ayant confirmé cette décision après une révision administrative, l’employeur produit sa 5e contestation (dossier 599869-05-1603).
[88] Le 9 février 2016, la travailleuse est examinée par le docteur Martin Tremblay, psychiatre, à la demande de l’employeur. Il conclut à l’absence de diagnostic courant sur le plan psychiatrique en précisant que l’histoire de la travailleuse « nécessitera d’être regardée sous l’angle de la fiabilité avant d’accepter un quelconque diagnostic psychiatrique ou relation de causalité ». Cette opinion est suivie d’une contestation au Bureau d'évaluation médicale parce que la professionnelle de la santé qui a maintenant charge de la travailleuse, la docteure Emmanuelle Huchet, n’est pas du même avis.
[89] Le 18 avril 2016, la Commission reconnaît que la travailleuse a droit à la réadaptation prévue par la Loi. Moins de deux semaines plus tard, elle lui accorde le droit à une psychothérapie. Ces deux décisions sont confirmées après une révision administrative, d’où le dépôt de la 6e contestation de l’employeur (dossier 611542‑05‑1607).
[90] Le 23 juin 2016, ayant préalablement conclu qu’elle est incapable d’occuper à nouveau les tâches de préposée aux bénéficiaires, la Commission décide qu’il est actuellement impossible de déterminer un emploi que la travailleuse serait en mesure d’exercer à temps plein. Dans ces conditions, la Commission reconnaît le droit à l’indemnité de remplacement de revenu jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 68 ans aux conditions prévues par la Loi.
[91] Le 22 septembre 2017, la travailleuse est examinée par la docteure Sonia Calouche, psychiatre, membre du Bureau d'évaluation médicale. Elle conclut alors à un trouble de l’adaptation possible. Elle fixe la date de consolidation au 3 juin 2015 tout en permettant 20 séances additionnelles de psychothérapie. Elle accorde un déficit anatomo-physiologique de 5 %, mais aucune limitation fonctionnelle.
[92] Le 17 novembre 2017, la Commission donne suite à cet avis en adoptant deux décisions. Au moyen de celles-ci, elle reconnaît principalement la présence d’une atteinte permanente de 5,75 % sur le plan psychique et le droit à une indemnité pour préjudice corporel de 3 886,48 $. Ces décisions sont suivies de demandes de révision de l’employeur.
[93] Le 23 novembre 2017, la Commission décide à nouveau que la travailleuse conserve le droit à l’indemnité de remplacement de revenu jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 68 ans aux conditions prévues par la Loi, ce à quoi s’oppose l’employeur.
[94] Le 24 janvier 2018, la Commission confirme ses trois dernières décisions initiales, d’où la dernière contestation de l’employeur (dossier 657830-05-1802).
[95] Lors de l’audience, le docteur Renaud est entendu. Il fait la revue des principaux éléments du dossier. Sur l’événement, il remarque que la travailleuse semble avoir effectué un mouvement de flexion et d’extension du coude droit pour lancer la poche en gardant le poignet en position neutre tout en agrippant l’objet avec les mains. Parce qu’ils sont des extenseurs, il ne pense pas que les muscles épicondyliens furent alors sollicités de façon significative. Sur le diagnostic retenu par le membre du Bureau d'évaluation médicale (tendinite épicondylienne du coude droit), il explique qu’il équivaut à celui qu’a initialement accepté la Commission (tendinite coude droit), tout en étant plus précis. Ensuite, il observe que plusieurs intervenants ont identifié de l’allodynie, soit une hypersensibilité au toucher. D’ailleurs, quand il a examiné la travailleuse le 11 juillet 2013, il rappelle que son examen était caractérisé par des éléments douloureux, omniprésents, surtout à l’épaule droite, au coude droit et au poignet droit. Devant ce tableau clinique, il a alors conclu comme il l’a fait. Or, le docteur Renaud croit que la filature effectuée à la demande de l’employeur témoigne d’une tout autre réalité. Sur les images captées, il rappelle qu’on voit la travailleuse agir normalement dans toutes ses activités. Il insiste particulièrement sur l’utilisation de la motomarine les 20 juin et 13 juillet 2013. À ces occasions, il constate qu’elle se déplace à grande vitesse sur l’engin tout en effectuant des virages serrés. Pourtant, à son examen du 11 juillet 2013, elle se disait incapable d’effectuer l’épreuve de préhension de la main droite et se plaignait de douleurs au coude droit au simple contact léger. Bref, l’expert considère que le résultat de la filature est irréconciliable avec les allégations de la travailleuse, d’où ses opinions complémentaires du 1er août et du 9 septembre 2013.
[96] De son côté, la travailleuse réitère s’être blessée au coude droit le 26 octobre 2012 en lançant une lourde poche souillée dans un bac. À la suite de cet accident, elle répète être devenue inapte à tout travail alors que madame La Rocque était sur son dos pour qu’elle obtienne une assignation temporaire tout en demandant qu’elle soit souvent examinée par des médecins de l’employeur. Elle rappelle aussi que ce dernier lui a coupé injustement sa rémunération à l’approche du congé de la Fête de Noël, ce qui a, dit-elle, affecté sa santé mentale. À partir du mois d’avril 2013, elle déclare avoir fait certains progrès. C’est sous la recommandation de ses thérapeutes qu’elle a donc commencé à s’activer dans les limites de ses capacités. Elle ajoute que son médecin était d’accord pour qu’elle utilise une motomarine. À ce sujet, elle renvoie le Tribunal aux réponses données à des questions posées, en juin 2017, au docteur Golgoon par son avocate de l’époque. Dans ce document, le médecin écrit qu’il faut encourager une victime d’un SDR à s’activer dans les limites de ses capacités. Pour ce qui est de l’usage d’une motomarine en présence d’un SDR à un membre supérieur, le docteur Golgoon écrit ne pouvoir se prononcer dans le cas précis de la travailleuse parce que chaque patient victime de ce syndrome éprouve un degré de douleurs et de symptômes qui sont variables. Incidemment, le médecin ne spécifie pas avoir autorisé la travailleuse à pratiquer la motomarine. Quoiqu’il en soit, elle prétend que tout ce qu’elle a fait lors de la filature s’harmonise avec son état de santé, lequel s’est progressivement détérioré au cours de l’été 2013 à cause d’une lésion hépatique. Malgré la gravité de cette affection, elle rappelle que l’employeur n’a pas hésité à la congédier en septembre 2013. Tout compte fait, elle se positionne en victime devant le Tribunal en affirmant avoir été injustement traitée à la suite de son accident du travail. Elle déplore aussi ne pas avoir bénéficié du soutien de son syndicat tout au long de ce processus.
LES MOTIFS
[97] Parce que certains pourraient prétendre que la première décision en litige est devenue sans effet à la suite de la décision adoptée le 21 février 2013, pour donner suite au premier avis du Bureau d'évaluation médicale en vertu de la théorie dite du remplacement complet, le Tribunal écarte cette idée. Suivant cette théorie, « la décision faisant suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale par laquelle la CSST se prononce sur la relation entre l'événement allégué et le diagnostic établit par ce dernier, remplace la décision d’admissibilité initialement rendue dans la mesure où le membre du Bureau d’évaluation médicale modifie le diagnostic du médecin qui a charge qui a servi de prémisse pour rendre cette décision initiale »[5]. Ici, le membre du Bureau d'évaluation médicale n’a pas changé la nature de la lésion du coude droit. Comme l’a d’ailleurs expliqué le docteur Renaud, les diagnostics de tendinite du coude droit et de tendinite épicondylienne du coude droit expriment une même réalité. Ce n’est pas parce que le second précise les structures atteintes que « le diagnostic du médecin, qui a charge, qui a servi de prémisse pour rendre cette décision initiale », à savoir une tendinite du coude droit, est différent. Dans les deux cas, ce sont des tendons du coude droit qui sont lésés.
[98] Pour ces motifs, le Tribunal considère être valablement saisi de la question de l’admissibilité de la réclamation du 31 octobre 2012 de la travailleuse, au moyen de la contestation de l’employeur qui vise la décision rendue le 22 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative (dossier 502265-05-1302).
[99] La Loi prévoit qu’une lésion professionnelle est « une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation ».
[100] Dans ce dossier, la travailleuse attribue sa lésion du coude droit à l’action qu’elle dit avoir posé, le 26 octobre 2012, pour placer une poche de linge souillé dans un bac. Dans ce contexte, l’affaire est analysée sous l’angle du concept d’accident du travail et non en regard d’une autre forme de lésion professionnelle.
[101] Dans ces conditions, il appartenait à la travailleuse de prouver les éléments constitutifs de ce qu’est un « accident du travail » au sens de la Loi pour être jugée victime d’une lésion professionnelle à savoir :
- un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause;
- survenu par le fait ou à l’occasion du travail, et;
- qui a entraîné une lésion professionnelle.
[102] Par ailleurs, l’article 28 de la Loi crée une présomption de lésion professionnelle lorsqu’une blessure « arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail ».
[103] Quand un diagnostic de tendinite est retenu, la jurisprudence conclut à une lésion de nature mixte puisque cette forme de pathologie peut être considérée à la fois comme une blessure ou comme une maladie[6]. En cette matière, l’emphase doit alors être mise sur les circonstances d’apparition de la lésion[7].
[104] Considérant ce qui précède, la crédibilité qu’il faut accorder au récit de la travailleuse devient un élément déterminant. Dans l’affaire Frégeau et Carrière Bernier ltée[8], le Tribunal énonce d’ailleurs les principes suivants :
[232] Certes, la crédibilité du travailleur ne constitue pas une condition d’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la Loi. La preuve des conditions d’application de la présomption, comme l’ensemble de la preuve, doit reposer sur des exigences de clarté, de justesse et de crédibilité des témoignages, notamment pour ce qui est des deux dernières conditions d’application de la présomption. Cela constitue l’essence de la prépondérance de preuve. D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles a déjà refusé d’appliquer la présomption prévue à l’article 28 de la Loi en raison du manque de crédibilité d’un travailleur18. À cet égard, le Tribunal écrit, dans l’affaire Service de personnel Mirabel inc. et Huot19 :
[17] L’application de cette présomption soustrait le travailleur d’avoir à démontrer la survenance d’un accident du travail. C’est un moyen de preuve voulu par le législateur pour privilégier le travailleur. Le corollaire exige cependant que ce moyen de preuve ne doive souffrir d’aucune ambiguïté dans les circonstances entourant l’apparition de la blessure. Ces circonstances doivent être claires, convaincantes et dénuées d’ambiguïté4, la démonstration des trois éléments exigés devant faire part d’une crédibilité sans faille5 et, si des contradictions subsistent, le travailleur doit apporter des explications satisfaisantes et plausibles6.
[Notes omises]
[23] Bien qu’un témoignage s’apprécie dans sa globalité20, le Tribunal doit prendre en compte, dans son analyse de la crédibilité d’un témoin, la précision dans son récit des faits, la vraisemblance des faits rapportés ainsi que la cohérence et la constance dans ses déclarations21. Des contradictions prises isolément peuvent paraître peu ou sans importance. Toutefois, lorsqu’elles sont évaluées globalement et en fonction de l’ensemble de la preuve, ces contradictions peuvent affecter irrémédiablement la crédibilité d’un témoin.
[Notes omises]
[105] Or, la travailleuse n’est pas une personne crédible.
[106] L’événement du 26 octobre 2012 qu’elle allègue demeure nébuleux.
[107] Pour commencer, la travailleuse est incapable d’expliquer au Tribunal comment elle s’y est prise pour déposer la poche de linge souillé dans le bac. À l’occasion de son témoignage du 19 avril 2023, elle ne peut décrire la méthode qu’elle emploie pour exécuter cette tâche. Elle n’est pas en mesure de dire si elle lance la poche dans le bac ou si elle l’appuie contre un des rebords pour la faire basculer à l’intérieur. À l’audience du 7 novembre 2023, elle est en revanche capable de dire qu’elle lève la poche à deux mains pour la jeter dans le bac à bout de bras, au moyen d’un mouvement de la gauche vers la droite. Cette bonification de son récit laisse perplexe.
[108] Ensuite, dans la déclaration d’événement du 26 octobre 2012, elle écrit s’être blessée après avoir « Lancée la poche et bouger mouvement du bras [sic] ». Elle fournit cependant une version différente de l’événement dans sa réclamation du 31 octobre 2012 puisqu’elle indique s’être fait mal « En manipulant la poche de linge, en tournant les patients, en faisant ma tâche de préposée bénéficière [sic] ». Quand elle est examinée par le docteur Giasson Jr, le 13 novembre 2012, elle donne apparemment une autre explication puisque le médecin rapporte ce qui suit :
Vendredi, le 26 octobre, dans l’exercice de ses fonctions, madame travaillait à l’urgence de 7 heures 30 à 15 heures 30. Vers 11 heures, elle me mentionne qu’elle a eu à soulever un sac contenant du linge souillé. Elle a soulevé le sac à deux mains et en s’exécutant, elle ressentit une chaleur au niveau du coude droit en latéral externe. Madame ne réfère à aucune fausse manœuvre. Elle a soulevé le sac comme elle le fait normalement.
[109] Il existe aussi certaines variantes sur les suites immédiates de l’événement allégué. Par exemple, la travailleuse a rapporté au docteur Giasson Jr que « L’inconfort ne fut pas jugé incompatible avec la poursuite de son travail », mais que les douleurs se sont aggravées lorsqu’un médecin lui a demandé de l’aide pour déplacer un patient. Comme ce fut le cas à l’audience, elle a cependant exposé au premier membre du Bureau d'évaluation médicale qu’elle a fait peu de choses après l’événement, « car elle ne pouvait pas se servir de son membre supérieur droit, les douleurs étant très importantes ».
[110] La suite des choses finit par discréditer complètement la travailleuse.
[111] D’abord, elle invoque différents prétextes pour éviter d’être assignée temporairement à de nouvelles tâches dans les premières semaines de sa convalescence. Entre autres, elle prétend être incapable d’utiliser le transport en commun pour se rendre au travail et invente l’histoire de sa fille qui vient d’accoucher, bien qu’elle n’ait pas d’enfant. Alors qu’elle se présente devant différents intervenants, le membre supérieur appuyer contre le corps, elle explique aux personnes de la Commission, le 8 mars 2013, qu’elle aime prendre la route pour se changer les idées et être en mesure de conduire sa voiture équipée d’une transmission manuelle.
[112] La situation devient totalement invraisemblable à compter du mois de mai 2013.
[113] Durant cette période, la travailleuse annonce sur son profil Facebook qu’elle cherche quelqu’un pour faire une balade à cheval au cours d’une fin de semaine. Pourtant, le docteur Golgoon indique qu’elle est incapable d’effectuer des tâches légères depuis plusieurs semaines. Elle s’apprête également à effectuer l’achat d’une BMW décapotable tout en prétendant être confrontée à des difficultés financières.
[114] Le 12 juin 2013, le docteur Golgoon considère qu’elle est incapable de répondre aux cloches, d’aider à l’alimentation, d’effectuer du travail administratif et de procéder au remplissage de chariots, pendant qu’elle cherche un chalet à louer pour passer une fin de semaine au bord de l’eau. Sur son profil Facebook, elle raconte aussi s’être acheté une motomarine, dont elle a fait l’essai le 14 juin 2013 sur un plan d’eau. Le lendemain, elle écrit avoir trouvé l’expérience « vraiment cool, WOW !!!!! ».
[115] Ensuite, les images vidéo obtenues, le 20 juin 2013, montrent particulièrement la travailleuse se promener sur le Lac Saint-Louis en motomarine avec et sans passagère. On peut l’apercevoir se déplacer sans peine à une bonne vitesse en effectuant des virages serrés avec l’engin.
[116] Le 13 juillet 2013, elle répète cette expérience sur le Lac Taureau après s’être rendue la veille à Saint-Michel-des-Saints avec son véhicule et son matériel. Les images vidéo la montrent s’amuser sur sa motomarine.
[117] Pourtant, le 4 juillet 2013, elle a raconté à son agent d’indemnisation ceci :
La T mentionne que sa condition s'est grandement détériorée au cours des dernières semaines, elle ne sait plus quoi en penser
Elle dit que depuis qu'il fait chaud et que l'humidité est élevé sa condition s'est détériorée. Elle dit que son avant-bras est tout enflé et a changé de couleur
Elle mentionne qu'elle va devoir recommencer a faire la thérapie du miroir.
[…]
La T se décrit comme étant "complètement décrissé". En dedans, elle est enragée
Elle dit qu'elle a besoin de soutient de la part des intervenants pour l'aider à comprendre ce qui lui arrive
Elle pleure durant notre conversation
[Transcription textuelle]
[118] En outre, le docteur Renaud a rapporté que son examen du 11 juillet 2013 était marqué par des éléments douloureux omniprésents, surtout à l’épaule droite, au coude droit et au poignet droit. Il précise que la travailleuse était particulièrement incapable d’effectuer l’épreuve de force de préhension de la main avec un dynamomètre. L’expert considérait alors le tableau clinique suffisamment sévère pour identifier des limitations fonctionnelles temporaires qui consistaient à éviter de soulever des charges de plus de deux kilos avec le membre supérieur droit, à effectuer des mouvements de préhension de la main droite et à s’abstenir de faire des mouvements répétés ou soutenus de flexion et d’extension du coude et du poignet droits. Bref, probablement tout le contraire de ce que requière l’utilisation d’une motomarine. Dans ces circonstances, il est facile de comprendre pourquoi le docteur Renaud a revu les conclusions de sa première expertise le 1er août et le 9 septembre 2013.
[119] À ces éléments, il faut ajouter le témoignage que la travailleuse a offert devant l’arbitre. Dans sa sentence arbitrale[9], il expose qu’elle témoigne ainsi avant que les images vidéo soient mises en preuve :
[56] Questionnée sur ses activités aux mois de juillet et août (2013), la plaignante affirme devant le tribunal qu’elle est assise et qu’elle pleure. Elle a peur d’effectuer des sorties et ne fait aucune activité sportive. Quant à l’entretien de son duplex, elle fait tout ce qu’elle peut et va même jusqu’à passer la tondeuse en l’appuyant sur son ventre avec l’unique assistance de son bras gauche. Selon elle, son état ne lui permet pas d’effectuer des travaux légers en assignation temporaire. […]
[120] La travailleuse a beau prétendre que l’usage d’une motomarine s’harmonise avec l’état de santé qu’elle prétend présenter, le Tribunal ne voit pas les choses de la même façon. Comme en a décidé l’arbitre pour confirmer son congédiement du 9 septembre 2013, « Les images captées lors de la filature démontrent à bien des égards des activités manifestement incompatibles avec son état de santé allégué au médecin expert, à l’Employeur et à l’audience ».
[121] Quant au document de juin 2017, du docteur Golgoon, censé justifier l’utilisation d’une motomarine aux yeux de la travailleuse, il n’a pas cette portée. Le médecin s’en tient à des généralités. Il écrit qu’il faut encourager une victime d’un SDR à s’activer dans les limites de ses capacités. Pour ce qui est de l’usage d’une motomarine dans ce contexte, le docteur Golgoon écrit ne pouvoir se prononcer dans le cas précis de la travailleuse parce que chaque patient éprouve un degré de douleurs et de symptômes variable. Incidemment, contrairement à ce qu’a déclaré la travailleuse, le médecin ne spécifie pas l’avoir autorisé à pratiquer la motomarine.
[122] Ne pouvant accorder une quelconque crédibilité aux assertions de la travailleuse dans ce contexte, le Tribunal juge qu’elle n’a pas démontré que sa tendinite du coude droit ou sa tendinite épicondylienne du coude droit est survenue lors de la manutention d’une poche de linge souillée au travail le 26 octobre 2012.
[123] Pour ces motifs, il n’est pas prouvé que la lésion est arrivée sur les lieux du travail et alors qu’elle était au travail. Il s’ensuit que la présomption de lésion professionnelle de l’article 28 de la Loi n’a pas sa place.
[124] Pour les mêmes raisons, il n’est pas établi que la travailleuse a subi un accident du travail le 26 octobre 2012.
[125] Conséquemment, il n’y a donc pas eu de lésion professionnelle le 26 octobre 2012 et la travailleuse n’a pas droit aux avantages de la Loi pour ce qui est de sa lésion au coude droit.
[126] Dès lors, la décision rendue le 22 janvier 2013 par la Commission à la suite d’une révision administrative est infirmée (dossier 502265-05-1302).
[127] Pour ce qui est de celle adoptée au sujet du diagnostic de SDR du membre supérieur droit, elle est mal fondée dans la mesure où cette affection fut jugée secondaire à une lésion du coude droit qui n’est pas de nature professionnelle (520604-05-1308).
[128] Quant au diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive, il ne s’agit pas non plus d’une lésion professionnelle.
[129] D’une part, la travailleuse a fait valoir qu’elle a développé cette lésion psychique à cause des impacts de sa lésion au coude droit. Dans la note du 8 mars 2013 des intervenants de la Commission, il est exposé ceci :
Nous avons abordé la question du trouble d'adaptation émis par son md le 21 janvier 2013. Elle mentionne que le point centrale de son instabilité émotive est la douleur qu'elle vit jour après jour depuis l'accident de travail ainsi que le manque de sommeil. Elle a de la difficulté à gérer sa douleur, toute sa vie quotidienne tourne autour de cela. Elle cherchait des solutions mais n'en trouve pas. Également, la T ne se sentait pas comprise par les divers intervenants. Elle avait beau expliquer ce qu'elle vivait personne n'apportait de réponse à son questionnement et personne ne semblait la croire. La situation s'est compliquée quand son employeur a coupé indûment son salaire à cause d'une différent par rapport à l'ATT. La T mentionne que c'est cet événement qui a fait sauté la marmitte. Elle mentionne qu'elle sentait que l'E s'acharnait injustement sur elle. D'ailleurs la T mentionne que l'E l'aurait menacé de couper sa paie si elle ne faisait pas remplir le formulaire d'ATT par son md.
[Transcription textuelle et notre soulignement]
[130] D’autre part, le Tribunal rejette l’idée que la maladie psychique puisse être attribuable à un abus d’autorité de l’employeur dans la gestion du dossier. Sur cette question, il reprend ce qu’il a écrit au moment de déclarer recevable en preuve les éléments liés à la filature et les extraits du compte Facebook de la travailleuse, à savoir ceci[10] :
[116] De l’avis du Tribunal, le comportement de l’employeur en l’instance dénote certes une gestion serrée du dossier de la travailleuse, ce qui peut s’expliquer dans le contexte où il s’agit d’une travailleuse présentant des antécédents en matière d’absentéisme. Toutefois, le Tribunal estime que l’exercice des droits prévus à la loi n’a pas été fait de manière abusive. L’employeur est en droit de contester les décisions de la Commission. Il ne s’agit pas d’une preuve de harcèlement. L’employeur est en droit de faire expertiser la travailleuse. D’ailleurs, avant qu’il ne procède à une demande d’enquête, il s’est prévalu de ce droit à trois occasions alors que la condition de la travailleuse évoluait et que de nouveaux diagnostics étaient posés. Le Tribunal ne voit pas en quoi cela est abusif. Madame La Rocque a aussi fourni des explications plausibles quant à la coupure des indemnités de remplacement du revenu et le fait qu’elle exige de la travailleuse qu’elle se rendre au travail à l’heure prévue pour son assignation temporaire. Par ailleurs, il n’est pas inhabituel en matière de mandat de filature d’aviser les enquêteurs des déplacements futurs du sujet visé. Cela ne peut s’assimiler à un guet-apens.
[131] Considérant les éléments disponibles, l’employeur était justifié d’assurer un suivi étroit du dossier. Depuis son embauche, la travailleuse s’était absentée régulièrement du travail pour des périodes plus ou moins longues alors que ses allégations relatives à l’événement du 26 octobre 2012 étaient discordantes. En outre, les raisons alléguées pour ne pas se présenter au travail après l’événement étaient à bien des égards invraisemblables.
[132] Du reste, comme le montre l’exposé de la médecin-conseil de la Commission du 22 avril 2013, le trouble d’adaptation diagnostiqué est probablement multifactoriel. Les conséquences de l’affection au coude droit, qui n’est pas une lésion professionnelle, y jouent un rôle déterminant. Également, comme l’a noté une infirmière le 21 janvier 2013, une rupture amoureuse influe vraisemblablement sur le tableau psychique. Dans ce contexte, la Commission a eu tort de considérer le diagnostic en cause comme une lésion professionnelle donnant droit à l’indemnisation.
[133] Pour ces motifs, la contestation déposée par l’employeur à l’encontre de la décision rendue le 24 juillet 2013 à la suite d’une révision administrative est accueillie (dossier 518442-05-1308).
[134] Quant au reste des contestations de l’employeur, elles deviennent sans objet. La travailleuse n’ayant pas subi de lésion professionnelle le 26 octobre 2012 ou après cette date, il va de soi que le dossier n’avait pas à être dirigé au Bureau d'évaluation médicale[11], qu’il n’y a pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique au sens de la Loi[12] et que la travailleuse n’a pas droit à la réadaptation, dont à une psychothérapie au printemps 2016[13]. Il s’ensuit aussi qu’elle n’avait pas droit à des indemnités pour préjudices corporels[14] ni au droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans aux conditions prévues par la Loi[15].
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
Dossier 502265-05-1302
ACCUEILLE la contestation de CSSS Jardins-Roussillon, l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 22 janvier 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Nancy Tremblay, la travailleuse, n’a pas subi de lésion professionnelle le 26 octobre 2012, à savoir une tendinite au coude droit ou une tendinite épicondylienne du coude droit;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit aux indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 518442-05-1308
ACCUEILLE la contestation de l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 juillet 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le trouble d’adaptation, avec humeur anxio-dépressive, diagnostiqué dans ce dossier n’est pas une lésion professionnelle;
DÉCLARE que cette lésion psychique ne donne pas droit aux avantages de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 520604-05-1308
ACCUEILLE la contestation de l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 août 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le syndrome de dystrophie réflexe du membre supérieur droit diagnostiqué dans ce dossier n’est pas une lésion professionnelle;
DÉCLARE que cette lésion ne donne pas droit aux avantages de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossiers 588571-05-1510, 599869-05-1603, 611542-05-1607 et 657830-05-1802
DÉCLARE sans objet les contestations de l’employeur déposées dans ces dossiers;
DÉCLARE sans effet la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail 14 octobre 2015, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE sans effet les décisions rendues par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail les 12 février 2016, 30 juin 2016 et 24 janvier 2018, à la suite de révisions administratives.
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| François Ranger |
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Me Catherine Gemme | |
SERVICE DES AFFAIRES JURIDIQUES CISSS MONTÉRÉGIE-OUEST | |
Pour la partie demanderesse
Mme Nancy Tremblay Pour elle-même | |
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Me Isabelle Vachon | |
PINEAULT AVOCATS CNESST | |
Pour la partie intervenante | |
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[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] RLRQ, c. T-15.1.
[3] CSSS Jardins-Roussillon et Tremblay 2017 QCTAT 4826; requête en révision ou révocation rejetée CSSS Jardins-Roussillon et Tremblay 2020 QCTAT 639.
[4] CISSS de la Montérégie-Ouest (CSSS Jardins-Roussillon) et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3247 (Nancy Tremblay), 2018 QCTA 26.
[5] Henley et Restaurant Café aux délices, 2015 QCCLP 331.
[6] Routhier et Courrier Purolator ltée, 2011 QCCLP 2994.
[7] Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
[8] 2023 QCTAT 2425 (Décision relative à une requête en révision ou en révocation).
[9] Précitée, note 4.
[10] Précitée, note 3.
[11] Dossier 657830-05-1802.
[12] Dossiers 588571-05-1510, 599869-05-1603 et 657830-05-1802.
[13] Dossier 611542-05-1607.
[14] Dossiers 588571-05-1510, 599869-05-1603 et 657830-05-1802.
[15] Dossier 657830-05-1802.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.