Fréchette c. Bourbeau |
2014 QCCS 4110 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-015919-129 |
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DATE : |
13 août 2014 |
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L’HONORABLE JOHANNE APRIL, j.c.s. |
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SIMON FRÉCHETTE […]Québec (Québec) […] |
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Demandeur |
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c. |
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SÉBASTIEN BOURBEAU […]Québec (Québec) […] |
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Défendeur |
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JUGEMENT RECTIFIÉ |
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(sur action en dommages) |
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[1] Le 8 août dernier, le Tribunal a rendu jugement dans le présent dossier.
[2] Le Tribunal a accueilli la requête introductive d’instance du demandeur et lui a accordé un montant de 179 268,04 $ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter de l’assignation, tel qu’il appert au paragraphe [79] dudit jugement.
[3] Cette somme de 179 268,04 $ était détaillée comme suit, au paragraphe [75] du jugement :
« [75] Il y a donc lieu d’accorder les dommages et intérêts compensatoires réclamés par le demandeur, qui se détaillent comme suit :
a) incapacité partielle permanente évaluée lors de
rédaction des procédures: 70 000,00 $
b) esthétique reliée à la modification de la forme
et de l’asymétrie du visage, avec difformités au
niveau du nez et des orbites, ainsi qu’à la présence
de cicatrices importantes : 60 000,00 $
c) douleurs, souffrances et inconvénients : 40 000,00 $
- une anesthésie générale
- une semaine alité à l’hôpital
- une intervention chirurgicale
- stress, anxiété, angoisse, difficultés à dormir,
cauchemars, perte de confiance
d) frais de transport en ambulance : 125,00 $
e) examen de la vue : 50,00 $
f) frais de médicaments : 293,04 $
g) frais d’expertise médicale : 1 000,00 $
h) perte de salaire : 7 800,00 $
Total : 179 268,04 $ »
[4] Or, le montant réclamé par le demandeur a été amendé à la baisse à la somme de 174 974,47 $, tel qu’il appert de la requête introductive d’instance amendée du demandeur du 25 octobre 2013.
[5] Il y a donc lieu pour le Tribunal de rectifier le montant des dommages accordés pour le rendre conforme à la réalité.
[6] Par conséquent, le paragraphe [1] du jugement du 8 août 2014 devrait se lire comme suit :
« [1] Le demandeur Simon Fréchette poursuit le défendeur Sébastien Bourbeau pour une somme de 174 974,47 $ pour dommages et intérêts compensatoires.»
[7] Le paragraphe [75] dudit jugement devrait se lire comme suit :
« [75] Il y a donc lieu d’accorder les dommages et intérêts compensatoires réclamés par le demandeur, qui se détaillent comme suit :
PERTES NON PÉCUNIAIRES
a) Préjudice esthétique reliée à la modification
de la forme et de l’asymétrie du visage, avec
difformités au niveau du nez et des orbites,
ainsi qu’à la présence de cicatrices importantes;
b) Douleurs et souffrances importantes (une
anesthésie générale, une semaine alité à
l’hôpital, une intervention chirurgicale de
plusieurs heures);
c) Atteintes psychologiques graves (stress,
anxiété, angoisse, difficultés à dormir,
cauchemars, perte de confiance);
d) Perte de jouissance de la vie (énophtalmie
avec diplopie de l’œil gauche au point de vue
fonctionnel, paresthésie sous-orbitaire bilatérale
et paresthésie de la branche zygomatique
gauche, partielle);
TOTAL : 170 000,00 $
PERTES PÉCUNIAIRES
a) Frais de transport et ambulance : 125,00 $
b) Examen de la vue : 50,00 $
c) Frais de médicaments : 293,04 $
d) Frais d’expertise médicale : 1 250,00 $
e) Perte de salaire, passées et futures, et autres
pertes pécuniaires : 9 632,72 $
f) remboursement de l’IVAC : 6 376,29 $
TOTAL : 4 974,47 $ »
[8] Par le fait même, le paragraphe [79] du jugement du 8 août 2014 devra donc se lire comme suit :
« [79] CONDAMNE le défendeur Sébastien Bourbeau à verser au demandeur Simon Fréchette un montant de 174 974,47 $ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter de l’assignation;»
[9] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[10] RECTIFIE le jugement du 8 août 2014 afin que les paragraphes [1], [75] et [79] se lisent dorénavant comme suit :
« [1] Le demandeur Simon Fréchette poursuit le défendeur Sébastien Bourbeau pour une somme de 174 974,47 $ pour dommages et intérêts compensatoires.
[…]
[75] Il y a donc lieu d’accorder les dommages et intérêts compensatoires réclamés par le demandeur, qui se détaillent comme suit :
PERTES NON PÉCUNIAIRES
a) Préjudice esthétique reliée à la modification
de la forme et de l’asymétrie du visage, avec
difformités au niveau du nez et des orbites,
ainsi qu’à la présence de cicatrices importantes;
b) Douleurs et souffrances importantes (une
anesthésie générale, une semaine alité à
l’hôpital, une intervention chirurgicale de
plusieurs heures);
c) Atteintes psychologiques graves (stress,
anxiété, angoisse, difficultés à dormir,
cauchemars, perte de confiance);
d) Perte de jouissance de la vie (énophtalmie
avec diplopie de l’œil gauche au point de vue
fonctionnel, paresthésie sous-orbitaire bilatérale
et paresthésie de la branche zygomatique
gauche, partielle);
TOTAL : 170 000,00 $
PERTES PÉCUNIAIRES
a) Frais de transport et ambulance : 125,00 $
b) Examen de la vue : 50,00 $
c) Frais de médicaments : 293,04 $
d) Frais d’expertise médicale : 1 250,00 $
e) Perte de salaire, passées et futures, et autres
pertes pécuniaires : 9 632,72 $
f) remboursement de l’IVAC : 6 376,29 $
TOTAL : 4 974,47 $
[…]
[79] CONDAMNE le défendeur Sébastien Bourbeau à verser au demandeur Simon Fréchette un montant de 174 974,47 $ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter de l’assignation;»
[11] SANS FRAIS.
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__________________________________ JOHANNE APRIL, j.c.s. |
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Me Audrey Gagnon |
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FASKEN MARTINEAU DUMOULIN (casier 133) |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Félix Guérin |
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BÉLANGER RICHARD (casier 135) |
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Pour la partie défenderesse |
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Dates d’audience : |
16 et 17 avril 2014 |
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Fréchette c. Bourbeau |
2014 QCCS 4110 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-015919-129 |
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DATE : |
8 août 2014 |
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L’HONORABLE JOHANNE APRIL, j.c.s. |
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SIMON FRÉCHETTE […] Québec (Québec) […] |
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Demandeur |
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c. |
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SÉBASTIEN BOURBEAU […] Québec (Québec) […] |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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(sur action en dommages) |
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[1] Le demandeur Simon Fréchette poursuit le défendeur Sébastien Bourbeau pour une somme de 179 268,04 $ pour dommages et intérêts compensatoires.
[2] En début d’instance, le défendeur déclare au Tribunal qu’il se désiste de sa demande reconventionnelle.
contexte
[3] Dans la nuit du 27 au 28 mai 2009, le demandeur, âgé de 25 ans, se rend, à la fin de son travail vers 23 h, en compagnie de son cousin Vincent Fréchette, à l’établissement « Le Mundial », situé à l’époque sur la route de l’Église à Ste-Foy, Québec. Il s’agit d’un bar sportif.
[4] Le demandeur et Vincent Fréchette quittent le bar, vers 3 heures du matin. Ne se considérant ni l’un ni l’autre en état de conduire, le demandeur se dirige vers sa voiture afin d’y prendre ses effets personnels et ils planifient un retour à leur domicile respectif.
[5] À l’approche de son véhicule, le demandeur constate que deux personnes sont assises sur le capot de sa voiture.
[6] C’est à ce moment que le demandeur est asséné de coups au visage.
[7] Le demandeur sera hospitalisé dix jours après avoir subi une chirurgie au visage, laquelle a nécessité une intervention qui aura duré 11 heures.
les questions en litige
[8] Le défendeur est-il l’auteur des dommages causés au demandeur?
[9] Dans l’affirmative, quel est le montant que le défendeur doit verser au demandeur à titre de dommages et intérêts?
la preuve
- en demande
- simon fréchette
[10] Au moment de l’altercation dans la nuit du 27 au 28 mai 2009, le demandeur est âgé de 25 ans. Il se décrit comme un jeune homme en santé, sportif et aventureux.
[11] À l’époque pertinente aux faits en litige, le demandeur occupe deux emplois, l’un comme responsable des travaux municipaux auprès de la Ville de Québec et l’autre auprès de la compagnie aérienne Jazz à titre de préposé à l’entretien des avions, pour un total de 57 heures de travail par semaine.
[12] Dans la nuit du 27 au 28 mai 2009, après avoir terminé son travail à la Ville de Québec, le demandeur suggère à Vincent Fréchette de se rendre au Bar Le Mundial, endroit qu’ils ont l’habitude de fréquenter pour y rencontrer des amis.
[13] Au moment du départ, le demandeur se dirige en compagnie de Vincent Fréchette vers le véhicule automobile du demandeur, alors que deux individus sont assis sur le capot de la voiture.
[14] Le demandeur explique qu’il s’est adressé à l’un deux, situé à sa gauche, afin de l’enjoindre à descendre de son véhicule. Il a reçu la réponse du 2e individu se trouvant à la droite du premier : « Qu’est-ce que tu veux à mon chum? ».
[15] C’est à ce moment que le défendeur s’est dirigé vers lui et lui a asséné un coup au visage, ce qui lui a fait perdre contact avec la réalité. Après avoir repris connaissance, le demandeur s’est adressé à son agresseur, le priant de cesser de le frapper, et s’est réfugié dans un portique en attendant les secours.
[16] Au moment de l’incident, le demandeur n’est pas en mesure d’identifier son agresseur ni de préciser le nombre de coups qui ont été portés à son visage. Cependant, il précise qu’il a été opéré à l’Hôpital de L’Enfant-Jésus de Québec, où il a été hospitalisé dix jours.
[17] Il décrit sa période de convalescence comme « pénible ». En plus de composer avec des blessures importantes au visage, il décrit le sentiment d’insécurité qui l’habite : « J’ai peur de ne pas retrouver le physique que j’avais avant ». De plus, il craint de sortir et a rompu les liens avec ses amis.
[18] Ce n’est qu’un an plus tard qu’il est en mesure de faire le lien entre la personne qui se trouvait devant lui au moment de l’agression et une photo sur Internet (Facebook). Il explique qu’il fait partie d’un réseau d’amis, lesquels, sans nécessairement avoir entre eux des contacts réguliers, se connaissaient surtout par personnes interposées. C’est ainsi qu’il identifie le défendeur : « C’est lui! ».
[19] Le demandeur s’est empressé d’exhiber la photo du défendeur à ses connaissances pour valider son identité.
[20] Vincent Fréchette est le premier avec lequel il communique, après avoir reconnu le défendeur. Par la suite, le demandeur a exhibé la même photo à Mehdi Allouche afin de lui partager qu’il avait enfin pu identifier la personne qui s’en était pris à lui dans la nuit du 27 au 28 mai 2009.
[21] Le demandeur a repris le travail après treize semaines de convalescence. Depuis l’événement, il explique qu’il pratique peu de sport et qu’il a dû abandonner l’idée de faire de la plongée sous-marine. Il a peu de fréquentations et explique qu’il a toujours un sentiment de honte qui l’habite, ce qui affecte grandement sa qualité de vie.
[22] Le demandeur a fait entendre plusieurs témoins. Aux fins du présent jugement, il y a lieu de reprendre l’essentiel de chacun de ces témoignages.
- vincent fréchette
[23] Vincent Fréchette est non seulement le cousin du demandeur, mais un ami et ils se sont toujours côtoyés.
[24] Il décrit le demandeur comme un « bon vivant », qui pratiquait, avant l’agression dont il a été victime, plusieurs sports: planche à neige, motoneige, tennis, pêche.
[25] Il était présent la nuit de l’attaque. Il précise qu’il s’est interposé entre les parties et le défendeur afin que cesse cette offensive contre le demandeur. Il n’a pu se porter plus tôt à la défense de son ami puisqu’il était retenu par la 2e personne se trouvant assise sur le capot du véhicule. Il explique qu’après l’agression, avant même que les secours arrivent, le défendeur et son acolyte ont pris la fuite, sans qu’il ait eu le temps d’évaluer la situation.
[26] Il relate avec détails le moment où le demandeur lui a partagé la découverte de la photo qui lui a permis d’identifier son agresseur. Il a reçu un appel du demandeur, lequel souhaitait lui partager la photo d’une personne, sans toutefois lui mentionner de quelle personne il s’agissait.
[27] Vincent Fréchette s’exprime ainsi : « En voyant la photo, j’ai figé » et il a dit au demandeur : « Tu viens de trouver ton agresseur ».
[28] Il témoigne de la situation actuelle du demandeur depuis l’agression :
- il ne sort plus;
- il refuse de faire du sport;
- il a peur le soir;
- il lui a fait part de séquelles physiques.
[29] Vincent Fréchette a exprimé clairement au Tribunal : « Si je n’étais pas certain que c’est le défendeur qui est l’agresseur de Simon, je ne serais pas ici aujourd’hui. Je n’aurais pas intérêt à identifier une personne qui ne serait pas l’agresseur de Simon ».
- thomas constable
[30] Thomas Constable est maître d’hôtel de métier. Il connaît le demandeur depuis le moment où ils fréquentaient tous deux un établissement scolaire du niveau secondaire.
[31] Il connaît également le défendeur, puisqu’ils ont des amis communs.
[32] Thomas Constable témoigne que le soir de l’agression, il a vu le demandeur dehors après l’agression, il se trouvait dans le porche où il avait trouvé refuge; il se tenait le visage. De plus, il confirme que dans la nuit du 27 au 28 mai, le défendeur Sébastien Bourbeau se trouvait au bar Le Mundial : « Je l’ai salué ».
- mehdi allouche
[33] Mehdi Allouche connaît les parties. Ils se sont rencontrés au PEPS de l’Université Laval à deux occasions, en 2004 et en 2006, alors qu’il a vu plusieurs connaissances, dont le demandeur et le défendeur. Ils ont loué un local pour la pratique d’un sport d’équipe.
[34] Il mentionne que le demandeur lui a montré une photo du défendeur. Suivant son témoignage, le demandeur n’avait aucun doute sur l’identification de son agresseur. Il était bouleversé, tremblait et se disait libéré.
- victor goodyer (témoin expert)
[35] Le docteur Victor Goodyer est un chirurgien buccal et maxillo-facial. Son curriculum vitae[1] fournit moult informations concernant sa carrière et ses compétences en plastie et maxillo-faciales, compétences acquises à travers le monde.
[36] Il a participé à de nombreux congrès et a été invité à titre de conférencier, toujours dans le domaine du maxillo-facial, en plus de consacrer une grande partie de son temps à l’enseignement à l’Université Laval.
[37] Bref, sa carrière dans le domaine des traumatismes craniofaciaux fait de lui un chirurgien abondamment consulté par ses pairs et recherché à titre d’expert.
[38] Le docteur Victor Goodyer a produit son rapport d’expertise après avoir pris connaissance du dossier médical du demandeur à l’Hôpital de L’Enfant-Jésus, où le demandeur a été opéré à la suite de son agression[2].
[39] Lors de son témoignage, le docteur Goodyer décrit avec force détails l’état dans lequel se trouve le demandeur à son arrivée au CHUL et des motifs qui ont justifié son transfert au centre de traumatologie de l’Hôpital de L’Enfant-Jésus, aux soins du docteur Pierre-Éric Landry, chirurgien maxillo-facial de cet établissement, lequel a procédé à la reconstruction faciale du demandeur.
[40] Pour le docteur Goodyer, il n’y a aucun doute que le demandeur a subi de multiples coups qui ont repoussé chaque fois les fragments résultant des coups précédents et qu’il y a eu plusieurs arrachements provenant de coups latéraux qui ont provoqués de nouvelles fractures.
[41] De plus, le protocole opératoire signé par le docteur Landry fait état des blessures subies par le demandeur :
«DIAGNOSTIC PRÉOPÉRATOIRE : fracture-enfoncement de la pyramide nasale avec fracture naso-orbito-ethmoïdale de type 1 bilatérale, fracture des planchers orbitaires droit et gauche, fracture des parois orbitaires supérieures et supéro-médianes bilatérale, fracture-enfoncement du sinus frontal.»[3]
[42] Toujours en référant au protocole opératoire du docteur Landry, le docteur Goodyer explique l’intervention pratiquée :
« Le Docteur Landry a donc procédé à une longue intervention chirurgicale par approche bicoronale pour réduire les fractures naso-orbitaires de type 1 bilatérales, fractures du plancher de l’orbite, de même que des fractures nasales et du sinus frontal. Il a subi des réductions ouvertes avec fixations internes de toutes ses fractures, incluant celle du sinus frontal. Pendant son hospitalisation, il a été vu en ophtalmologie de même qu’en psychiatrie. Un long protocole de 4 pages est inclus au dossier indiquant que l’approche bicoronale a nécessité une longue incision au travers du cuir chevelu pour exposer la majorité de ses fractures. Le protocole opératoire décrit bien les réductions ouvertes par voies intra et extra-orales par lambeau bicoronal des fractures du sinus frontal déjà mentionnées, des réductions ouvertes naso-ethmoïdales, des réductions ouvertes de fractures du plancher orbitaire, des fractures de Lefort II et reconstruction des parois orbitaires supérieures et médianes. »[4]
[43] À l’aide d’un spécimen squelettique, de photographies et de schémas[5], le docteur Goodyer a expliqué au Tribunal l’ampleur des lésions subies par le demandeur et les conséquences engendrées par les multiples coups infligés à son visage.
[44] Il est pertinent de référer aux conclusions de son rapport :
« DISCUSSION
Ce violent traumatisme qu’a subi Simon Fréchette a causé de sévères dommages à tout le complexe maxillo-facial et a nécessité plusieurs heures de chirurgie, des incisions assez importantes telles que la bicoronale pour exposer le massif facial et réduire les fractures au niveau du sinus frontal et des orbites. Le patient, malgré la belle réduction de ses fractures, demeure avec plusieurs séquelles qui ont déjà été décrites, particulièrement, les cicatrices bicoronales, sous-orbitaires et autres. Les difformités encore présentes au point de vue nasal et orbitaire doivent être compensées. »[6]
[45] Par conséquent, il établit les dommages dont le demandeur a été victime de la façon suivante :
« SÉQUELLES ANATOMOPHYSIOLOGIQUE
Difformité apparente physiologique
Énophtalmie avec diplopie de l’œil gauche au point de vue fonctionnel 3 %
Paresthésie sous-orbitaire bilatérale 6 %
Paresthésie de la branche zygomatique gauche, partielle 2 %[7]
PRÉJUDICE ESTHÉTIQUE
Atteinte légère à modérée
Modification de la forme et de l’asymétrie avec en plus deux éléments anatomiques, c’est-à-dire le nez, les orbites, plus l’atteinte cicatricielle au niveau du crâne, de la région sous-orbitaire et autres 10 % »[8]
la preuve
- en défense
- sébastien Bourbeau
[46] Le défendeur s’est fait entendre.
[47] Pour combler une période de chômage, il joint l’armée. Au moment des événements, il est à la veille de son départ en mission.
[48] Il admet, d’entrée de jeu, avoir rencontré le demandeur à deux reprises au PEPS en 2004 et 2006. Cependant, il n’a aucune idée de l’événement relaté par le demandeur. Il précise qu’il apprend par l’entremise de ses supérieurs que des soupçons pèsent contre lui concernant un événement survenu dans un bar la veille de son départ. D’ailleurs, les médias écrits ont fait état de la poursuite[9] alors qu’il n’en sait rien.
[49] Il mentionne qu’il s’est souvenu après la signification des présentes procédures où il était dans la nuit du 27 au 28 mai, soit à une soirée au bar Le Dagobert, après avoir fait une vérification sur Internet.
[50] Toutefois, en contre-interrogatoire, il précise qu’il est possible, après la soirée au Dagobert, que le tout se soit terminé au Mundial.
- marie-ève tremblay
[51] Elle dépose des photos[10] qu’elle a prises à l’occasion d’une soirée au bar Le Dagobert, endroit où elle et le défendeur sont demeurés jusqu’à 1 h du matin, sans toutefois préciser la date de l’événement.
analyse et discussion
- le droit applicable
[52] Le demandeur réclame des dommages et intérêts pour les blessures qu’il a subies par le fait du défendeur.
[53] En matière de preuve, les articles 2803, 2804, 2846 et 2859 du Code civil du Québec édictent ce qui suit :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
2846. La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d'un fait connu à un fait inconnu.
2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes. »
[54] Quant au régime de responsabilité extracontractuelle, le Code civil du Québec prévoit ce qui suit, à son article 1457 :
« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
[…]»
[55] Voici comment les tribunaux ont qualifié de « présomption simple sur l’auteur d’un préjudice » une preuve indiciaire tirée des faits. En l’occurrence, il s’agit dans le présent cas d’évaluer si, dans l’ensemble, le Tribunal dispose de suffisamment d’éléments graves, précis et concordants pour établir qui est l’auteur du préjudice subi par le demandeur.
[56] La Cour d’appel, dans un récent jugement, soit la cause Marc Barrette c. L’Union canadienne, compagnie d’assurances[11], mentionne ce qui suit :
« [30] Toutefois, en l’absence d’une preuve directe démontrant que l’appelant a été l’auteur du préjudice, il appartenait à l’intimée, en application des articles 2846 et 2849 C.c.Q., d’établir la faute intentionnelle de l’appelant au moyen de présomptions graves, précises et concordantes.
[31] La preuve par présomption est l’un des cinq moyens de preuve mis à la disposition des plaideurs pour démontrer un fait. Souvent utilisée en matière civile pour démontrer un acte fautif et intentionnel, il s’agit d’un moyen de preuve qui répond à ses propres exigences.
[32] Qualifié de preuve indirecte ou indiciaire, ce moyen nécessite la mise en preuve de faits que l’on pourrait, au moyen d’une preuve directe, qualifiés (sic) d’indices, suivi d’un raisonnement inductif qui permettra ou non au tribunal de conclure à l’existence du fait à prouver, selon qu’il estime que les faits prouvés sont suffisamment graves, précis et concordants pour conduire à l’inférence qu’il en fera.
[33] Larombière, encore cité récemment par la Cour, exprime avec une grande acuité ce qu’il faut entendre par des présomptions graves, précises et concordantes :
Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l’existence de l’un établit, par une induction puissante, l’existence de l’autre (…)
Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S’il était également possible d’en tirer les conséquences différentes et mêmes contraires, d’en inférer l’existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n’auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l’incertitude.
Elles sont concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu’il s’agit de prouver…Si…elles se contredisent…et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l’esprit du magistrat.
[34] L’exercice prévu à l’article 2849 C.c.Q. consiste en deux étapes bien distinctes. La première, établir les faits indiciels. Dans cette première étape, le juge doit, selon la balance des probabilités, retenir de la preuve certains faits qu’il estime prouvés. Dans une deuxième étape, il doit examiner si les faits prouvés et connus l’amènent à conclure, par une induction puissante, que le fait inconnu est démontré. »
[57] En effet, en présence de faits de nature grave, précise et concordante, il s’opère ce que l’auteur Royer décrit comme « une inférence défavorable au défendeur plutôt [qu’un] déplacement du fardeau de la preuve »[12].
[58] Voyons maintenant ce que la preuve révèle.
la faute
[59] Alors qu’il quitte un établissement fréquenté régulièrement par les parties, le demandeur Simon Fréchette subit une agression d’une rare violence.
[60] Il n’est pas contesté que les parties se connaissent surtout par personnes interposées. Elles fréquentent des amis communs sans toutefois entretenir entre elles des contacts.
[61] Les événements qui les ont mis en présence l’un de l’autre sont deux rencontres organisées pour la pratique d’un sport au PEPS de l’Université Laval en 2004 et 2006.
[62] Le défendeur confirme d’ailleurs cette information.
[63] Les rares occasions et l’absence de contemporanéité avec les tribulations de la nuit du 27 au 28 mai expliquent sans doute en partie l’hésitation du demandeur d’identifier le défendeur lors de l’agression et que ce n’est qu’un an plus tard qu’il est en mesure avec certitude d’entreprendre les présentes procédures.
[64] Les circonstances entourant l’agression ne justifient pas les gestes dont le demandeur a été victime :
Ø le demandeur, à 3 heures du matin, se dirige vers sa voiture, dans un stationnement situé à l’arrière d’un établissement peu éclairé, et demande à deux personnes de descendre du capot de son véhicule où elles sont installées;
Ø l’une des personnes se trouvant alors sur sa voiture se dirige vers lui et lui assène un premier coup qui lui fait perdre connaissance;
Ø l’autre contact que le demandeur a eu avec son agresseur est le moment où il demande grâce.
[65] Le Tribunal accorde toute crédibilité au témoignage du demandeur qui soutient ne pas reconnaître immédiatement son agresseur dans la nuit du 27 au 28 mai, d’autant plus que la surprise déclenchée par le premier coup met le demandeur en état de choc, si l’on en croit l’expert qui révèle qu’il est impossible que la gravité des blessures du demandeur soit le fait d’un seul coup au visage, mais bien le résultat de coups violents et répétés.
[66] Le Tribunal n’a aucune hésitation à croire que le demandeur n’a pu « faire connaissance » avec son agresseur alors qu’il est pris par surprise et cherche à se protéger.
[67] La violence et la vitesse de l’agression ne sont pas étrangères au fait que le témoin Vincent Fréchette, qui accompagne le demandeur, n’ait pu lui aussi identifier de façon contemporaine à l’événement celui qui s’acharnait avec violence sur son cousin et ami.
[68] Pour le demandeur, l’identité du défendeur ne fait plus de doute, il est ferme : « C’est mon agresseur », ce qui lui est d’ailleurs confirmé par Vincent Fréchette : « T’as trouvé ton agresseur! » et par la suite par ceux à qui il exhibe la photo du défendeur et qui lui confirment son identité.
[69] Vincent Fréchette renforce la théorie du demandeur lorsqu’il déclare que s’il n’avait pas la conviction que le défendeur est le responsable de l’agression, il ne se serait pas présenté devant le Tribunal. Le Tribunal accorde toute la crédibilité à ce tiers, de même qu’à Thomas Constable qui confirme la présence du défendeur au Mundial dans la nuit du 27 au 28 mai 2009.
[70] Ces faits mis en preuve par le demandeur sont, de l’avis du Tribunal, suffisamment graves, précis et concordants pour établir que le défendeur est celui qui a infligé les blessures au demandeur. C’est d’ailleurs le degré de preuve que requièrent les articles 2846 et 2849 C.c.Q. en pareilles circonstances.
[71] Quant à la version du défendeur concernant sa présence au bar Le Mundial elle souffre de quelques contradictions :
Ø Dans sa défense écrite, le défendeur déclare qu’il ignore où il était le soir de l’agression;
Ø Lors de son témoignage, il mentionne qu’après la signification des procédures du demandeur, il a fait une recherche sur Facebook et s’est souvenu de ses activités le soir du 27 au 28 mai au bar Le Dagobert;
Ø Au surplus, en contre-interrogatoire, il affirme qu’il aurait pu être présent au bar Le Mundial dans la nuit du 27 au 28 mai puisqu’il est possible qu’il soit venu y terminer la soirée.
[72] Le défendeur ne peut, dans les circonstances, se contenter de nier être l’auteur de l’agression. Il doit mettre en preuve qu’il ne pouvait être présent dans la nuit du 27 au 28 mai ou qu’il n’est pas l’agresseur du demandeur. Or, la preuve soumise par le défendeur ne fait pas le poids et n’a pas réussi à convaincre le Tribunal qu’il était impossible que le défendeur soit présent cette nuit-là au bar sportif Le Mundial.
[73] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le défendeur est responsable des dommages dont le demandeur a été victime.
les dommages
[74] Le défendeur, en début d’audition, a déclaré au Tribunal que la question des dommages n’est pas contestée puisqu’il y a eu désistement de sa demande reconventionnelle.
[75] Il y a donc lieu d’accorder les dommages et intérêts compensatoires réclamés par le demandeur, qui se détaillent comme suit :
a) incapacité partielle permanente évaluée lors de
rédaction des procédures: 70 000,00 $
b) esthétique reliée à la modification de la forme
et de l’asymétrie du visage, avec difformités au
niveau du nez et des orbites, ainsi qu’à la présence
de cicatrices importantes : 60 000,00 $
c) douleurs, souffrances et inconvénients : 40 000,00 $
- une anesthésie générale
- une semaine alité à l’hôpital
- une intervention chirurgicale
- stress, anxiété, angoisse, difficultés à dormir,
cauchemars, perte de confiance
d) frais de transport en ambulance : 125,00 $
e) examen de la vue : 50,00 $
f) frais de médicaments : 293,04 $
g) frais d’expertise médicale : 1 000,00 $
h) perte de salaire : 7 800,00 $
Total : 179 268,04 $
[76] Quant aux dommages et intérêts punitifs, la preuve telle que soumise ne supporte pas une telle demande.
[77] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[78] ACCUEILLE la requête introductive d’instance;
[79] CONDAMNE le défendeur Sébastien Bourbeau à verser au demandeur Simon Fréchette un montant de 179 268,04 $ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter de l’assignation;
[80] CONDAMNE le défendeur Sébastien Bourbeau aux frais d’expertise médicale, y compris les frais de la présence de l’expert lors de l’audition;
[81] LE TOUT avec dépens, incluant les frais d’assistance technique au procès.
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__________________________________ JOHANNE APRIL, j.c.s. |
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Me Audrey Gagnon |
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FASKEN MARTINEAU DUMOULIN (casier 133) |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Félix Guérin |
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BÉLANGER RICHARD (casier 135) |
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Pour la partie défenderesse |
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Dates d’audience : |
16 et 17 avril 2014 |
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[1] Pièce P-1-c.
[2] Pièce P-8.
[3] Extrait du dossier médical de M. Simon Fréchette obtenu de l’Hôpital de L’Enfant-Jésus, pièce P-8, p. 1.
[4] Rapport d’expertise du docteur Goodyer, daté du 18 avril 2011, pièce P-1, p.1.
[5] Pièce P-10.
[6] Rapport d’expertise du docteur Goodyer du 18 avril 2011, pièce P-1, p. 2.
[7] Id., p. 3.
[8] Id.
[9] Pièce P-5.
[10] Pièce D-6-C.
[11] Id.
[12] Jean-Claude Royer, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 748.
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