C A N A D A |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
COMITÉ D'ENQUÊTE DU CONSEIL DE LA MAGISTRATURE |
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2015-CMQC-105 |
Québec, le 1er février 2017 |
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PLAINTE DE : |
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Monsieur Marcel Drolet |
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À L'ÉGARD DE : |
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Monsieur le juge R. Peter Bradley |
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EN PRÉSENCE DE : |
Madame la juge Danielle Côté, présidente Monsieur le juge Pierre E. Audet Monsieur le juge Martin Hébert Maître Odette Jobin-Laberge Monsieur Cyriaque Sumu
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RAPPORT DU COMITÉ D'ENQUÊTE
LA PLAINTE
[1] Le 21 janvier 2016, le plaignant dépose au secrétariat du Conseil une plainte à l'égard du juge R. Peter Bradley évoquant sa conduite lors de l'audience du 19 janvier 2016, dans un dossier de la Division des petites créances de la Cour du Québec. Le plaignant poursuit son voisin et une entreprise de déneigement pour 472,45 $ pour les dommages causés à la clôture qui sépare leur propriété par le poids de la neige accumulée sur celle-ci.
[2] Il décrit ainsi la conduite reprochée au juge :
« Il (le juge) n'a eu aucun respect à mon égard il a crétiquer les points les plus important dans le dossier, et obligatoire:
1: Que j'avais demander conseil à Me Marco Lavoie
2: Que j'avais tenter de faire parvenir le compte par courrier recommandé…Disant qu'il y avait beaucoup de papier qui se perdent à la Cour, qui ne se rendaient pas jusqu'à lui, revetant les frais de poste de $23.00. La preuve a été deposé à la Cour, et j'avais copie.
3: Me reprochant d'avoir produit la preuve de paiement de la banque, photocopie du chèque # 037 du 18-07-2014 et refusant les frais de $5.00 de la banque.
4: M. Richard Drolet n'à pas pris possession du compte par courrier recommandé, j'ai dû l'envoyer par huissier, d'où les 2ème frais de $23.00…
5: Il voulait m'obliger ne négocier avec Richard Drolet, qui est de mauvais foie, aprè cet évènement un de ses locataires, du 353 des chènes O. est venu chez moi, me menaçant de me petter les chevilles avec un batte de base ball, si je remettai les pieds chez lui. (Je n'étais même pas aller chez lui) Richard Drolet à refuser de négocier.
6: Le juge n'avait que du mépris à mon égard, et a pris plaisir à remettre la cause, me faisant perdre mon temps. J'avais produit tout le nécessaire au dossier. »
(Reproduction exacte)
INTRODUCTION
[3] Le plaignant dépose sa demande à la Division des petites créances le 30 janvier 2014. Le défendeur est forcé de déposer une contestation plus détaillée par un jugement rendu le 17 novembre 2014. Cette contestation amendée est déposée le 9 janvier 2015. Le défendeur nie toute responsabilité. Il invoque que la clôture est entièrement sur le terrain du plaignant et qu'il détient un certificat de localisation à cet effet; il ajoute qu'un témoin viendra établir que les dommages résultent du vandalisme des locataires du plaignant.
[4] Le 19 janvier 2015, l'affaire vient au rôle et l'audition dure 36 minutes.
[5] Dès le début de l'audition, le juge s'adresse aux deux parties pour leur demander si elles ont tenté de régler la cause par une médiation. Le plaignant l'informe qu'il a refusé la médiation parce que le défendeur a refusé de recevoir copie de sa demande et qu'il a dû la faire signifier par huissier; de plus, il déclare que les relations entre les parties ne se prêtent pas à une médiation.
[6] Le Comité a pris connaissance des notes sténographiques de l'audience du 19 janvier 2015 et a procédé à l'écoute de l'enregistrement lors de la tenue de l'enquête le 3 octobre 2016.
[7] L'analyse de la conduite du juge envers le plaignant sera étudiée au chapitre de la preuve, mais, d'emblée, il est important de noter qu'après avoir discuté à plusieurs reprises avec les parties du fardeau de preuve du plaignant, indiqué qu'il n'accorderait pas toutes les sommes réclamées, suivi plus tard du refus de laisser produire une pièce lors de l'audition, le juge rend sa décision dans les termes suivants :
« Afin de permettre à la partie défenderesse de compléter son dossier par le dépôt de documents non encore déposés au dossier de la cour;
Et pour les motifs énoncés oralement à l'audience, le Tribunal :
REMET l'audience de la cause;
CONDAMNE la partie défenderesse aux frais du jour, et ce, peu importe l'issue de la cause;
RENVOIE le dossier au rôle général;
ORDONNE la reconvocation des parties;
SE DÉSSAISIT du dossier. »
LES FAITS
a) Audition du 19 janvier 2015
« LA COUR :
Non, c'est ça.
Pis l'avocat, ben, ce qu'il a pu vous dire, c'est peut-être tout à fait correct, mais est-ce que c'est suffisant pour démontrer la preuve qu'ils ont commis une faute?
C'est pas évident.
Mais, c'est ça que vous voulez faire, on procède, pis c'est pas parce qu'ils ont pas voulu vous voir avant pis ça vous a coûté l'huissier pis les relations avec les voisins, c'est pas fameux, je le sais, c'est plate, là, mais c'est pas nécessairement une bonne idée, là, de... de pas essayer de vous entendre, même s'il est comme minuit moins cinq (0 h -5), façon de parler.
Mais c'est encore possible, si vous voulez vous asseoir pis vous parler, mais moi, là, j'insiste "pus" d'aucune façon, je pense que j'ai été assez clair depuis le début, là-dessus, mais je suis obligé de le faire parce que, en vertu de la loi, je suis obligé de vous dire, avant qu'on commence, c'est quoi l'état du droit pis c'est quoi la preuve qui s'applique pis c'est quoi les notions de responsabilité pis c'est quoi la possibilité d'aller en conciliation; je suis obligé de vous expliquer ça; alors, c'est ce que j'ai fait.
Bon.
Alors, maintenant que je vous l'ai expliqué pis que je vous ai offert trois (3) choix, si vous me dites : « Je veux procéder », procédons, tout simplement.
Mais vous êtes ben informé de... des... des fardeaux puis des preuves que vous devez faire; moi, je suis ben à l'aise avec ça.
Alors, on procède ou on fait quoi, là? »[4]
« LA COUR :
Pis là, ça fait longtemps, là, que, ça, c'est indiqué, là, hein, c'est ça, c'était bien indiqué.
Pis là, là, quand vous êtes venu ici, là, c'est au mois de décembre, pas deux mille quinze (2015), là, en deux mille quatorze (2014); il s'est rien passé depuis ce temps-là.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
Vous avez raison, Monsieur le Juge.
LA COUR :
Oui, je sais ça.
Bon.
Alors… non, je - on procède pas, c'est of… c'est officiel, là, vous allez remettre toutes vos pièces à monsieur, pour que monsieur en prenne connaissance, c'est évident.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
Ce n'est qu'une (1) seule feuille de… de papier.
LA COUR :
C'est pas une (1) seule feuille!
Non, non.
Une (1) feuille, ça peut changer beaucoup de choses.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
Parfait.
LA COUR :
Hein, ça peut changer beaucoup de choses.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
Hum, hum.
LA COUR :
Des fois, là, c'est ça d'épais pis j'ai pas de problème; des fois, c'est une (1) feuille, non, ça pose problème, ça dépend.
C'est pas le nombre de feuilles.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
O.K.
LA COUR :
Pis il y aussi, évidemment, le fait que monsieur est en droit d'avoir tout ça avant que ça procède.
Là, vous m'arrivez ici, là, pis vous dites « Non, non, regardez, là, j'ai une (1) feuille » pis bon.
Non.
Donc, c'est remis, à vos frais, dans les circonstances.
Ou bien vous vous rencontrez pis vous essayez de faire un effort entre vous autres, pis d'ailleurs, ça serait la meilleure chose à faire, mais, moi, je peux pas aller plus loin avec vous autres là-dedans, pis si vous voulez pas vous rencontrer, moi, je respecte ça; moi, je comprends pis je respecte ça.
Mais si vous me dites : « Moi, j'ai des pièces » pis ça fait drôlement longtemps qu'elles auraient dû être produites, il y a eu de la négligence, c'est vrai qu'il y a eu de la négligence dans ce dossier-là, ben, c'est pas monsieur qui va supporter la négligence, c'est pas vrai.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
Excusez, Monsieur.
LA COUR :
Ça va être remis pis, à ce moment-là, vous allez payer les frais de la remise d'aujourd'hui, y compris les frais du jour de monsieur est venu comme témoin, ça, c'est certain.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
C'est pas - je peux-tu m'exprimer?
Est-ce que je peux…
LA COUR :
Oui, allez-y.
M. MARCEL DROLET, demandeur
pour lui-même :
C'est pas une preuve, en fait, par rapport à…
LA COUR :
Je vous demande pas n'importe quoi, c'est marqué…
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
C'est mon certificat de localisation pour situer la bâtisse, tout simplement.
LA COUR :
C'est marqué…
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
Monsieur l'a en sa possession.
LA COUR :
… ça va être à l'appui - non, je l'ai pas au dossier, moi je l'ai pas.
Non, je l'ai pas au dossier, c'est des photos, mais j'ai rien d'autre, je l'ai pas.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
O.K.
C'est parce que j'avais…
LA COUR :
Je ne l'ai pas.
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
… j'avais… j'avais pris la peine de…
LA COUR :
(…)
Vous avez tellement bien compris que c'est non, pis ça va être remis pis ça va être à vos frais. »[5]
(Soulignements du Comité)
« LA COUR :
Alors, voulez-vous...
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
... (inaudible)...
LA COUR :
... vous rencontrer, la réponse c'était “non”, vous maintenez “non”, c'est ça?
Puis je tiens à vous le dire, là : si vous vous rencontrez puis c'est pour offrir des arachides, oubliez ça.
C'est-tu - c'est clair, là, je m'exprime clairement, là.
Maintenant, si vous voulez tout avoir puis vous rien donner, là, on va arrêter ça tout de suite.
C'est souvent les dossiers où les sommes d'argent sont à peu près relativement faibles qu'il y a plus de - je sais pas pourquoi, on a des dossiers à presque sept mille piastres (7 000 $) pis c'est réglé pis c'est pas... pas plus compliqué que ça.
Pis, en médiation, là, les dossiers, là, parce qu'on a compétence, actuellement, jusqu'à soixante-dix mille dollars (70 000 $), on a une équipe spéciale de juges qui font de la médiation pis je peux vous dire qu'on règle des dossiers de cinquante-cinq mille (55 000 $), soixante mille piastres (60 000 $), regarde, ça se règle dans l'espace de trois (3) heures, pas de problème.
Mais, aux petites créances, je peux pas vous accompagner dans une autre salle, je peux... malheureusement, c'est une particularité des petites créances.
Vous auriez pu aller en médiation à l'époque, là, mais, pour toutes sortes de raisons, vous êtes pas allés, bon, ça vous regarde.
Mais, ici, aujourd'hui, moi, je peux encore, il est minuit moins cinq (0 h -5), tenter avec vous autres de - que vous puissiez vous rencontrer, mais dans une autre salle, mais juste entre vous autres pis pour faire un effort.
Maintenant, si vous voulez pas vous rencontrer ou si vous êtes vraiment pas disposés à faire un effort, c'est correct, j'ai pas de problème pis il y a pas de rencontre parce que si c'est pour juste faire semblant, on fait pas ça.
On le fait si vous êtes vraiment disposés à travailler sérieusement sur la somme qui est réclamée, qui est là.
Si vous voulez pas, moi, c'est tout.
Alors, vous, vous êtes toujours disposé à ce que je suspende pour tenter de voir si c'est possible de vous entendre avec monsieur? »[6]
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Oui, mais là, il m'a pas répondu…
LA COUR :
Non, non, mais je parle à vous, là.
Vous me dites « oui » face à lui…
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Oui.
LA COUR :
… c'est ça que vous me dites?
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Oui.
LA COUR :
On arrête là.
Vous?
M. RICHARD DROLET
partie défenderesse :
Moi je voudrais que monsieur fasse le fardeau de la preuve dans ce dossier-là.
LA COUR :
Oui?
D'accord.
C'est bien. »
(Soulignements du Comité)
« Alors, le Tribunal - afin de permettre à la partie défenderesse de déposer - de compléter son dossier, étant donné que les documents annoncés depuis le… quinze (15) décembre deux mille quatorze (2014) ne l’ont pas été et ne le sont qu’éventuellement à l’audition, mais que la partie demanderesse en a pas eu copie, en a pas pris connaissance, le Tribunal remet la cause, renvoie le dossier au rôle général.
Les parties seront reconvoquées et condamne la partie défenderesse à payer les frais judiciaires des parties, peu - pour la cause d’aujourd’hui, à savoir les frais de - prévus par la loi en ce qui concerne le demandeur, monsieur Marcel Drolet, et aussi les frais de son témoin, à savoir monsieur Chamberland. »[7]
(Soulignements du Comité)
« M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Monsieur, là, on n’a pas pu discuter…
LA COUR :
Ah! Non.
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
… il a refusé les lettres recommandées, j’ai été obligé d’envoyer un huissier, des mises en demeure…
LA COUR :
Oui.
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
… puis, quand j’y ai parlé au téléphone, il dit : « "Crisse"-moi la paix! »
LA COUR :
Bon.
Là, là, je vais vous…
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Pis, ça fait qu’on…
LA COUR :
Monsieur, là, je vais vous dire, là, vous êtes pas chez vous dans le salon…
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Oui.
LA COUR :
… hein, puis sacrer, ici, ça marche pas.
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Bien, je vous dis ses paroles.
LA COUR :
C’est la dernière fois que je vous entends sacrer ici.
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
D’accord.
Mais c’est les paroles qu’il m’a dits, là…
LA COUR :
Hein?
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
… excusez-moi, là.
LA COUR :
Vous allez apprendre à vous taire.
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Ouais.
LA COUR :
Une personne raisonnable, surtout à votre âge, vous devriez être capable d’être un peu plus modéré.
M. MARCEL DROLET
partie demanderesse :
Excusez-moi, j’ai répété les paroles que monsieur m’a dits.
LA COUR :
Vous avez bien fait de vous excuser! »[8]
b) Devant le Comité d'enquête
L'ANALYSE
a) Le refus d'entendre la cause
« Si vous voulez pas vous asseoir, là, moi, là, on ne procède pas ici parce que les pièces doivent être déposées par tout le monde avant le procès. »[11]
« […] Et ça prend quand même des fois un certain temps pour que les parties puissent bien comprendre, notamment lorsque, venant aux petites créances elles ne s’attendent pas nécessairement à ce que le juge privilégie la conciliation, c’est-à-dire de ne pas entendre la cause puis davantage tenter de les concilier (…). »[12]
« (…) Donc, c’est un devoir que la loi impose au Tribunal d’indiquer aux parties des lacunes dans leurs pièces et à ce moment-là faire en sorte qu’elles puissent corriger le tir, soit par, notamment, une remise pour qu’elles puissent à nouveau, avec le recul, bien, toujours s’assurer qu’elles puissent bien faire valoir pleinement tous leurs moyens, surtout quand on est en demande et qu’on a aussi le fardeau de preuve. C’est plus lourd à ce moment-là, donc j’avais le souci de cela. »[13]
« La… même si l’entrepreneur était prêt à témoigner éventuellement, je devais considérer que le défendeur puisse être pris par surprise dans les circonstances puis ne pas être capable de faire valoir aussi ses moyens, le demandeur ayant son expert qui n’a pas apporté avant l’audience des précisions qui étaient tout à fait disponibles, mais qu’il ne pouvait pas… qu’il n’a pas… il dit… oui, on les a dans les notes sténographiques, qu’il ne pouvait pas apporter la précision à savoir le nombre de poteaux, le nombre de caps, le temps de main-d’œuvre, la qualité des pièces et cetera. Oui, il y avait ça, mais il ne les avait pas, bon. Alors, à partir de là ça aurait été un témoignage qui est apporté par l’entrepreneur, mais de cette façon-là ça déstabilise le défendeur qui n’a pas l’opportunité d’avoir l’appui à la facture peu précisée, peu détaillée.[14]
« Q Donc, sur la preuve de la faute, vous avez voulu protéger pour ainsi dire le demandeur et, sur la preuve du quantum, protéger en quelque sorte le défendeur. C’est ça que je comprends?
R Oui. Bon, oui. Parce que j’essaie d’apporter une aide, là, impartiale aux deux parties, il y a ça aussi qui rentre en ligne de compte. »[15]
« Q. Et il dit aussi que l’autre partie l’a?
R. Oui, effectivement, il le dit, ça c’est ce qu’il dit, mais je ne l’ai pas vérifié auprès du demandeur à savoir s’il l’a. Bon. Mais pour moi ça ne changeait pas grand-chose personnellement parce que j’estimais dans les circonstances qu’avec les remarques que j’avais faites au demandeur, celui-ci ayant le fardeau de preuve et qu’il y avait des éléments qui, au dossier, au niveau de ses pièces, soit qu’elles étaient absentes, soit encore qu’elles étaient lacunaires, bien, à ce moment-là ça faisait en sorte que ça serait davantage bénéfique pour lui de profiter d’une remise pour justement prendre le recul nécessaire et revenir à la cour avec un dossier bonifié.
Ça ne voulait pas dire, je m’en suis exprimé aussi, qu’il aurait nécessairement raison sur tout ce qu’il réclamait, mais au moins en prenant ce recul-là et en évitant éventuellement qu’en audience que les relations entre les parties qui n’étaient pas déjà au beau fixe dans les circonstances puissent éventuellement se… se détériorer, bien, j’ai été d’avis que même la pièce en question, même en suspendant puis en lui permettant de regarder ce qui en était, puis de là à dire “Oui, je veux procéder”, je pense que dans les circonstances, même si cela s’était produit, j’avais déjà exprimé des réserves auprès du demandeur, à savoir qu’il y avait déjà des lacunes au niveau de sa réclamation et aussi de son fardeau de preuve.
Donc, c’était préférable pour moi, et essentiellement pour le demandeur, d’accorder la remise, qu’il puisse reconsidérer son dossier et revenir. Et je me suis dessaisi du dossier étant donné que j’avais opté davantage pour tenter de les concilier plutôt que d’entendre la cause. »[16]
b) La nature des échanges et le ton cassant, voir hostile, particulièrement à l'endroit du plaignant, et ce, sans justification apparente
[36] Le Comité considère que le ton et la nature des propos tenus à l’égard du plaignant qui ne faisait que rapporter les paroles d’un tiers sont déplacés et blessants ce qui constitue une violation de l’article 8 du Code de déontologie :
8- Dans son comportement public, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité.
UNE RÉCIDIVE
« 2] La plainte se lit ainsi :
« M. le juge Peter Bradley présidait cette audition. Or, M. le juge ne m'a pas jamais donné l'opportunité de raconter les événements qui avaient mené à cette requête. Il a élaboré sur les documents qu'il avait en main, nous faisant la remarque que ce dossier « n'était pas facile ». N'est-ce pas justement pour ça qu'on a des juges? J'aurais pu lui rappeler que si le dossier avait été « facile », on n'aurait pas eu besoin d'un juge, mais je me suis abstenue…
[…]
M. le juge en est rapidement venu à la conclusion qu'il ne pouvait rendre un verdict dans cette affaire parce qu'il manquait d'éléments (j'avais 38 pièces au dossier), et ce, sans même avoir écouté ce que les parties avaient à dire. Il a alors mentionné que lorsqu'on dépose une requête aux petites créances, il est possible de consulter un avocat, afin d'être bien préparé, que les 30 premières minutes sont gratuites.
[…]
Le tout s'est donc terminé alors que le juge Bradley nous a expliqué qu'il n'avait d'autre choix que de suspendre l'audition, mais que ça pourrait être long avant d'avoir une nouvelle date, parce qu' « on manque de personnel »… Si les tribunaux n'ont plus les moyens de rendre justice, vers qui va-t-on se retourner?
Le juge nous a ensuite mentionné qu'on pouvait également aller s'asseoir et essayer d'en arriver à une entente à l'amiable. Si j'étais devant lui cette journée-là, c'est manifestement que ça n'avait pas fonctionné précédemment, n'est-ce pas? Et de fait, la rencontre en question n'a rien donné, la partie adverse refusant de me donner quelque compensation financière que ce soit.
J'ai alors dit qu'ayant passé une année à essayer de régler ce dossier en faisant toutes les démarches qui s'imposaient, je n'avais pas la force de recommencer une autre année et que j'allais tout simplement abandonner les procédures, ce que j'ai fait.
[…]
Peut-être que j'aurais gagné ma cause devant un autre juge. Peut-être pas. On ne le saura jamais. La seule chose dont je suis sûre, c'est que cette journée-là le juge Bradley ne s'est même pas donné la peine d'essayer.
De deux choses l'une : ou bien le juge Bradley n'a pas fait honneur à sa fonction cette journée-là, et je suis simplement malchanceuse de m'être retrouvée devant lui. Ou bien le système de justice n'a plus les moyens, ni le temps, de s'intéresser à ses justiciables.
Ça serait bien pire. »
« [62] Il comprend son rôle de trancher des litiges et de tenter de concilier les parties lorsque les circonstances le justifient.
[63] D’ailleurs, même en cours d’audience, lorsqu’il perçoit que les parties sont disposées à une conciliation, il les invite à se rencontrer pour discuter et trouver entre elles une entente.
[64] Dans le dossier qui lui était soumis, lors de la préparation, le juge a considéré qu’aucune des parties ne répondaient aux règles de preuve devant être appliquées au litige sous étude.
[65] À l'audience, lorsqu'il en a eu l'occasion, il a fait étalage des problèmes juridiques qu'ils avaient identifiés en préparant le dossier et il a cru que ses explications sur le poids de ces difficultés inciterait la demanderesse à accepter une solution de compromis.
[66] Il témoigne d'ailleurs, en toute bonne foi, qu'il estime que cette approche peut permettre le règlement d'un dossier dans certains cas. »
(Soulignements du présent Comité)
« [69] Il importe de reproduire la partie des notes sténographiques du 29 octobre 2012 alors que le juge parle aux parties, mais plus spécialement à la plaignante :
LA COUR :
Alors, ceci étant dit, j’ai, par ailleurs, un pouvoir de conciliation, en vertu de la loi, je siège pas, aujourd’hui, en chambre civile, ou alors, je suis médiateur, je fais partie d’une équipe dédiée à cet égard, alors, je peux pas vous accompagner dans une autre salle pour tenter de voir s’il y a pas possibilité d’un règlement dans le dossier.
Mais, cependant, j’ai un pouvoir de conciliation. Donc, si vous le jugez à propos, vous êtes pas obligés d’accepter, on peut suspendre, vous allez vous parler dans une autre salle, pour voir s’il y a pas un terrain d’entente qui pourrait convenir.
Parce que, en bout de ligne, vous, vous demeurez pus là pis, vous, c’est une somme d’argent que vous voulez avoir, bon, pis en autant que vous fassiez la preuve prépondérante, parce que si vous faites par la preuve prépondérante, on oublie ça carrément, et ça peut poser problème, hum.
[…]
Moi, je constate que, actuellement, là, on a des problèmes pis, comme vous avez le fardeau de la preuve, ça… ça démarre pas bien, là. Pis dire que d’autres ont eu, oui, je veux bien le croire, mais, là, personne est là pis la qualité du plancher, oui, mais, non, il y a personne qui…
Alors, ça va… ça va pas si bien que ça.
Pis vous me dites : « Oui, ben, peut-être que monsieur Dionne existe pas. »
Pis, là : « Ben, non, il existe ce monsieur-là, pis là j’ai peut-être regardé à la mauvaise place, t’sais. »
Oui, il y a peut-être une autre filière que vous avez pas ouverte pis, ah ! regarde donc ça, oh, surprise !
Alors, tout ça pour vous dire, si vous voulez le faire, l’exercice, c’est une suggestion : je peux suspendre, vous allez vous parler dans une autre salle, pour voir s’il y a pas un terrain d’entente raisonnable qui ferait en sorte que, oui, vous pourriez décider, là, d’un accommodement qui vous a… qui vous arrangerait, de part et d’autre.
Et si c’est ça, s’il y en a un, vous le mettez par écrit, vous revenez en salle, on l’examine. Si tout le monde le trouve raisonnable, ça devient votre jugement.
Vous êtes pas obligés de le faire déposer au dossier de la Cour, une déclaration de règlement hors Cour peut être tout aussi bien, parfaitement légale.
Le gros avantage de procéder comme ça, et d’avoir une entente, c’est que ça devient votre jugement, c’est vous qui contrôlez l’issue.
Sinon, c’est le Tribunal.
Alors, s’il y a pas d’entente, vous revenez, tatata : « Pas d’entente. » Bon. On s’est au moins parlé, c’est déjà bon, pas dans la bonne direction, « Malheureusement, on n’a pas d’entente. »
Ben, à ce moment-là, soit qu’on procède avec les… les problèmes de preuve qu’il y a dans le dossier, dont je vous ai fait part, et, si la preuve est pas rencontrée, ben, je vais être obligé de rejeter, malheureusement, d’un bord et de l’autre.
Si, par contre, vous dites : « Ben, dans ce cas-là, on est aussi ben de repenser à notre affaire, on va essayer de vous contacter pis de, bon, ramasser notre preuve en conséquence », fort bien, alors, le dossier sera remis, vous serez reconvoqués pis, à ce moment-là, on reprendre ça. Quand ? Ne me le demandez pas, c’est pas moi qui gère ça.
[…]
[70] Après cette explication du juge qui a duré plus de 13 minutes et la suspension suggérée, les parties sont revenues trois minutes plus tard en déclarant qu’elles abandonnent leur procédure respective. »
(Soulignements du présent Comité)
« [80] Le juge doit gérer l’instance, permettre aux parties de s’exprimer, de présenter leur preuve et, in extremis, leur permettre de la compléter ultérieurement au besoin. Il doit dans ce contexte agir équitablement et impartialement.
[81] Le Comité constate que le juge, après avoir signalé aux parties plusieurs lacunes dans la preuve, les a tout simplement invitées avec beaucoup d’insistance à se rencontrer pour régler seules leur dossier. Sinon, il a évoqué la possibilité que le dossier soit reporté devant lui après un long délai pour sa continuation.
[82] La plaignante souhaite de son côté être entendue et produire les différentes pièces qu’elle a préparées avec l’aide d’avocats.
[83] Elle ne croit pas que la discussion avec la partie adverse va permettre un règlement, mais s’y soumet face aux commentaires du juge.
[84] Rendre justice comporte qu’il peut arriver que certains dossiers puissent faire l'objet d'une remise pour que les parties complètent la preuve, mais ceci en agissant dans les meilleurs délais.
[85] Les parties ont déjà attendu une année avant de procéder sur leur demande respective et elles comprennent que, si elles devaient compléter leur preuve ou qu’elles remettaient le dossier, elles pourraient être confrontées à un délai.
[86] L’audition durera 39 minutes, excluant le délai de trois minutes qui a suivi la suspension pour que les parties se rencontrent pour discuter et voir si elles pouvaient régler.
[87] Le juge posera beaucoup de questions et il y répondra, sans oublier qu’il critiquera la preuve présentée par les parties. Toutefois, après avoir été entendues par le juge, peut-être décideraient-elles que leur dossier était complet et qu’elles laisseraient au juge la liberté de rendre jugement à partir de ce qu’elles avaient présenté sans requérir de remise de la cause pour compléter la preuve.
[88] L’écoute de l'enregistrement audio des débats laisse entendre dans ce cas-ci que c’est le juge qui souhaite la remise.
[89] Bien qu’il ait été courtois et respectueux dans la façon de s’adresser aux parties et plus précisément à la plaignante, le Comité ne croit pas qu’il ait rempli son rôle, soit celui de rendre justice. Il n’a pas rempli utilement et avec diligence ses devoirs judiciaires.
[90] Lorsque le juge s’exprime en salle d’audience, il le fait avec une certaine autorité, une autorité morale que le justiciable prend en considération dans le cheminement de son dossier et dans les décisions à rendre, au besoin.
[91] Lorsqu’un justiciable se fait dire qu’il y a une lacune dans la preuve et qu’une remise de son dossier pourrait provoquer un délai d’une année avant qu’il ne soit entendu de nouveau, il est normal qu'il se désintéresse.
[92] La partie qui dépose une demande espère présenter son dossier à un juge le plus rapidement et, s'il devait être remis pour compléter la preuve, elle souhaite aussi que cela se fasse dans les meilleurs délais.
[93] L'attitude d'un juge et ses propos ne doivent en aucun temps démotiver une partie et l'amener à se désister de sa demande.
[94] L'insistance du juge afin que la plaignante rencontre la partie adverse est un autre élément à considérer, surtout en raison de l'autorité que représente le juge lorsqu'il préside une audience.
[95] Le juge est un guide pour les parties, un accompagnateur pour faciliter la tâche de chacune d'elles et pour faire en sorte qu'il y aura un bon déroulement de l'enquête.
[96] Une partie n'a pas à se désister de sa procédure parce qu'elle ne se sent pas écoutée et qu'elle est découragée dans sa démarche judiciaire.
[97] L'intervention du juge n'a pas permis aux parties d'expliquer leur cas, sans compter que l'insistance à tenir une rencontre pour discuter d'un règlement a démotivé la plaignante à poursuivre sa démarche.
[98] Le Comité rappelle que l'écoute et l’empathie sont des qualités essentielles d'un bon juge et que ces qualités doivent l'aider à remplir son devoir judiciaire.
[99] L'écoute ne signifie pas que le juge doit tout laisser faire. Au contraire, comme mentionné précédemment, le juge doit gérer l'instance en écoutant les parties présenter leur preuve.
[100] La plainte de la plaignante démontre bien que cette dernière voulait expliquer au juge son dossier avant toute chose et lui présenter les pièces qu’elle avait préparées au soutien de son dossier.
[101] Dans ce contexte, le Comité conclut que le juge a contrevenu aux articles 1 et 6 du Code déontologie de la magistrature.
[102] Les propos d'un juge ou encore son attitude à la Cour sont en partie l'image de la magistrature pour le public et peuvent avoir une influence sur la confiance du public envers elle. »
(Soulignements du présent Comité)
1- Le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit.
6- Le juge doit remplir utilement son rôle et avec diligence et s’y consacrer entièrement.
« [36] La réprimande constitue un blâme formel à l'endroit de la conduite du juge et est une sanction importante pour un juge. Elle vise à ce que le juge corrige sa conduite tout en “réparant le tort causé à la magistrature”.
[37] La réprimande sera une sanction appropriée si elle conserve son utilité et sa crédibilité. (…)»
[38] Le Comité doit considérer le dossier déontologique antérieur du juge afin de déterminer la recommandation appropriée pour rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir à l’endroit du juge et du système judiciaire. « La récidive d’une conduite fautive de la part du juge constituerait un facteur aggravant à considérer au moment d’en établir la sanction.
[39] Le juge (…) a déjà reçu une réprimande pour des allégations semblables à celles dénoncées par les plaignants. La répétition des actes reprochés démontre que le juge n’aurait pas su tirer les enseignements nécessaires qui lui auraient permis d’amender sa conduite. »
« [41] Les arrêts Ruffo et Therrien ont établi des critères à considérer lorsqu’il s’agit d’envisager la destitution d’un juge. Le Comité d’enquête doit s’interroger sur la gravité objective des manquements déontologiques eu égard à la capacité du juge de continuer d’exercer ses fonctions. Le Comité devra examiner si :
« Cette conduite a-t-elle détruit la confiance indiscutée [que les personnes impartiales] plaçaient en sa droiture, son intégrité morale et en l’honnêteté de ses décisions, éléments qui constituent l’honneur public. Si tel est le cas, l’inaptitude est démontrée. »
« La conduite reprochée porte-t-elle si manifestement et si totalement atteinte aux notions d’impartialité, d’intégrité et d’indépendance de la justice qu’elle ébranle suffisamment la confiance de la population pour rendre le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge. »
Les tribunaux ont pour mission de trancher les litiges dont ils sont saisis en conformité avec les règles de droit qui leur sont applicables. […].
LA SANCTION
« Même si je n’ai… effectivement j’ai insisté parce que je crois toujours beaucoup en les vertus, au moins que les gens puissent se rencontrer pour tenter de se parler et voir, si possible, à en venir à une entente. Et c’est tellement vrai que le législateur c’est l’avenue qu’il a décidé avec le nouveau Code. Moi, je n’ai rien fait d’autre.
Et ça c’est dans l’intérêt public, ce n’est pas dans l’intérêt personnel, ce n’est pas dans l’intérêt de la Cour, c’est dans l’intérêt public tel que la disposition préliminaire du Code le prévoit, et ça s’applique aux petites créances évidemment. »[25]
« Maintenant, je dois prendre en considération, je l’ai dit aussi tout à l’heure, que malgré que j’en suis conscient de cette tache-là, que je vis avec et que j’essaie en tout temps de m’améliorer de ce côté-là, il n’en demeure pas moins que le Code a aussi changé et lorsqu’on arrive avec cette cause-là en deux mille seize (2016), ce qui n’existait pas en deux mille quatorze (2014) c’est l’obligation pour le juge de tenter de concilier les parties. Ça vient de changer beaucoup de choses.
On m’avait reproché de ne pas vouloir entendre la cause puis rendre jugement. Décision a été rendue, je vis avec. Mais en deux mille seize (2016) la donne a changé, j’ai l’obligation de tenter de concilier les parties si les circonstances s’y prêtent. Malgré la tache que j’ai à mon… malgré la tache que j’ai à mon dossier, bien, j’ai aussi cette obligation dont je dois tenir compte.
Et si je pense que l’avenue de la conciliation compte tenu des circonstances s’y prête, je dois tenter de concilier les parties. Et c’est une avenue qui est toute aussi correcte que celle d’entendre la cause et de rendre jugement, ça en est à mon avis, rendu là. C’est sûr que c’est une surprise pour les justiciables lorsqu’ils arrivent aux petites créances, ils ne s’y attendent pas. »[26]
(Soulignements du présent Comité)
« R. Oui, d’abord il y a la disposition préliminaire qui n’existait pas, il y a l’article 9 qui n’existait pas, et on a aussi l’article 26 qui n’existait pas. Bon. Alors, tout ça, ça amène - je ne veux pas parler trop… excusez
Q. Ca va
R. Tout ça, ça amène une volonté du législateur de vraiment faire prendre conscience au Tribunal que son rôle a changé. Pas simplement dire : bon bien, si on regarde l’ancien article avec le nouvel article, malgré qu’il y a des différences dans l’expression, là, peut-être quelques petites nuances, bien, à ce moment-là c’est tout du pareil au même et puis il n’y a rien qui a changé.
A mon avis c’est beaucoup plus que cela. C’est beaucoup plus que cela, c’est… je dirais même qu’en matière civile on pourrait aborder les dossiers en conciliation… en médiation. »[27]
CONCLUSION
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Mme la juge Danielle Côté Juge en chef adjointe Présidente du Comité |
Me Odette Jobin-Laberge, Ad. E.
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M. Cyriaque Sumu
C A N A D A |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
COMITÉ D'ENQUÊTE DU CONSEIL DE LA MAGISTRATURE |
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2015-CMQC-105 |
Québec, le 1er février 2017 |
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PLAINTE DE : |
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Monsieur Marcel Drolet |
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À L'ÉGARD DE : |
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Monsieur le juge R. Peter Bradley |
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RAPPORT DU COMITÉ D'ENQUÊTE
OPINION DU JUGE PIERRE E. AUDET, dissident sur la sanction
[1] J’ai pris connaissance de l’opinion tant de la majorité qui recommande la destitution du juge que celle du juge Hébert, qui retient plutôt comme sanction la réprimande.
[2] Pour les motifs ci-après exposés, je souscris à l’opinion de la majorité sur sa présentation factuelle et sa conclusion quant aux manquements déontologiques identifiés. Les reproches à l’endroit du juge sont manifestement sérieux, ils méritent sanction. Toutefois, je ne peux me convaincre que pour une deuxième récidive, il faille proposer la sanction capitale, soit la destitution. À cet égard, je souscris à l’opinion exprimée et à la sanction proposée par le juge Hébert.
[3] Je crois opportun d’ajouter les quelques commentaires supplémentaires.
[4] Un juge à la Division des petites créances doit tenter de concilier les parties et non les contraindre contre leurs volontés. Encourager ces dernières à aller négocier à l’extérieur de la salle d’audience est certes une avenue intéressante lorsque les circonstances s’y prêtent et que les parties sont disposées à le faire. Il en est de même pour l’obligation du juge de tenter de concilier les parties à l’audience, si les circonstances s’y prêtent. Encourager n’est pas contraindre, le verbe peut se faire convainquant mais non contraignant.
[5] En l’espèce, il est manifeste que le juge a franchi la ligne de démarcation entre convaincre et contraindre. Les parties ayant refusé de négocier ou de participer à la démarche du juge, elles se sont retrouvées devant un juge qui ne souhaitait visiblement pas les entendre. S’il est du devoir du juge de soulever les lacunes dans la preuve des parties (art. 268 C.p.c.), il doit le faire judiciairement, il ne peut se substituer aux parties. Il doit, au besoin, ajourner la cause et leur permettre de la compléter à une audience ultérieure.
[6] D’ailleurs, obliger les parties à reprendre le tout devant un autre juge dans de telles circonstances, la réclamation en litige était de moins de 500, 00$, va à l’encontre du principe de proportionnalité édicté à l’article 18 C.p.c. qui vaut autant pour les parties que pour le juge :
18. Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la demande.
Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit l’étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu’ils ordonnent ou autorisent doivent l’être dans le respect de ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice.
[7] En l’espèce, malgré les violations flagrantes du juge de ses obligations déontologiques, celles des articles 1 et 6 du Code de déontologie de la magistrature, et bien qu’il s’agisse au surplus, d’une récidive, il est permis d’espérer que le juge s’amendera à l’avenir et qu’il révise sa «conception» de la volonté du législateur de favoriser le règlement à l’amiable des litiges. Sa «conception» semble d’ailleurs le conduire à nier l‘existence du droit des parties à une audition publique et impartiale devant un juge consacrée à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[28].
[8] Malgré la gravité des manquements déontologiques, je partage l’opinion du juge Hébert au regard de la sanction proposée. Comme lui, je déplore par ailleurs l’impossibilité de sanctions alternatives ou intermédiaires susceptibles d’accompagner le juge dans sa réhabilitation. Une récidive de plus, la voie sera alors tracée pour la sanction ultime.
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Honorable PIERRE E. AUDET, J.C.Q.
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C A N A D A |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
COMITÉ D'ENQUÊTE DU CONSEIL DE LA MAGISTRATURE |
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2015-CMQC-105 |
Québec, le 1er février 2017 |
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PLAINTE DE : |
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Monsieur Marcel Drolet |
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À L'ÉGARD DE : |
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Monsieur le juge R. Peter Bradley |
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RAPPORT DU COMITÉ D'ENQUÊTE
OPINION DU JUGE MARTIN HÉBERT, dissident sur la sanction
[1] La trame factuelle est claire et la violation des obligations déontologiques du juge l’est tout autant. À cet égard, je partage l’opinion de mes collègues.
[2] Cela dit, même en considérant qu’il s’agit d’une récidive, je ne parviens pas à me convaincre que la recommandation de destitution soit une mesure qui satisfait au critère de la proportionnalité en regard des circonstances propres à l’affaire. Or, il s’agit là d’une considération fondamentale en matière de sanction. Dans l’affaire Lacasse[29], la Cour suprême affirme qu’il s’agit d’un « principe cardinal » dans la détermination de la mesure à être mise en application face à un comportement déviant.
[3] Une sanction doit aussi être juste et équitable en prenant en compte tous les faits pertinents établis par la preuve. Cela répond à un autre critère, celui de l’individualisation. Cet exercice est exigeant et périlleux car il faut éviter que le débat dérive vers une affaire trop personnalisée, nous éloignant de la sorte des seuls faits visés par la plainte pour faire le procès de l’individu.
[4] Il importe aussi de rappeler que, malgré ses effets pénalisants, l’objectif premier d’une sanction en déontologie n’est pas de punir. À cet égard, dans l’affaire Ruffo[30], la Cour suprême s’exprime ainsi :
Le Comité a donc pour mission de veiller au respect de la déontologie judiciaire pour assurer l'intégrité du pouvoir judiciaire. La fonction qu'il exerce est réparatrice, et ce à l'endroit de la magistrature, non pas du juge visé par une sanction. Sous cet éclairage, au chapitre des recommandations que peut faire le Comité relativement aux sanctions à suivre, l'unique faculté de réprimander, de même que l'absence de tout pouvoir définitif en matière de destitution, prennent tout leur sens et reflètent clairement, en fait, les objectifs sous-jacents à l'établissement du Comité: ne pas punir un élément qui se démarque par une conduite jugée non conforme mais veiller, plutôt, à l'intégrité de l'ensemble.
[5] L’imposition d’une sanction doit donc porter un message de réprobation d’une conduite fautive en visant la dissuasion et l’exemplarité pour éviter la répétition d’actes qui portent atteinte à la dignité de l’institution et à l’ensemble de la magistrature.
[6] Le choix de la mesure à mettre en application n’est jamais facile. Il l’est d’autant moins face à une fourchette qui, à l’évidence, manque de dents. Elle n’en a que deux : la réprimande ou la destitution. En vertu des dispositions de la loi, le choix s’arrête là. On peut le déplorer mais on doit appliquer la loi.
[7] Pour retenir la voie de la destitution, il faut atteindre l’intime conviction que le juge visé ne peut d’aucune façon continuer à exercer ses fonctions[31] et que le principe d’inamovibilité des juges ne s’applique plus à lui[32]. Force est de reconnaître que la mesure est drastique et même fatale.
[8] Dans son ouvrage sur la déontologie judiciaire[33], le professeur Noreau fait état des cas, plutôt rares, où il y a eu une recommandation de destitution d’un juge.
[9] À la lumière des précédents qui y sont évoqués, on constate que la sévérité de la mesure exige une grande circonspection pour ne l’appliquer que dans les situations de gravité fort exceptionnelle. Or, sans banaliser de quelque façon les manquements déontologiques du juge en l’espèce, il faut reconnaître qu’ils n’appartiennent pas à cette catégorie.
[10] À l’opposé, il y a la réprimande. Je reconnais d’emblée que ce choix ne pèche pas par excès de sévérité. Il s’agirait ici pour le juge d’une seconde réprimande. Sans présumer de l’avenir, on peut raisonnablement espérer que cela sonne l’alarme de façon à ce que le juge amende sa conduite sans délai.
[11] À cet égard, il est manifeste que ce dernier comprend mal son rôle en occultant ses responsabilités d’adjudicateur pour se limiter à tenter de concilier les parties avec une insistance démesurée et des propos déplacés. À ce sujet spécifique, mes collègues auront raison d’affirmer que les nouvelles règles de procédure civile favorisant la conciliation ne doivent pas servir de prétexte pour ne pas entendre une cause. En l’espèce, le juge prend indûment appui sur cette réforme pour justifier sa conduite. Une dose d’autocritique s’impose de sa part.
[12] Devant pareil constat, on peut légitimement se demander si, au-delà des mesures disciplinaires, d’autres avenues pourraient être envisagées pour mieux encadrer la pratique judiciaire du juge ? Il y a possiblement matière à réflexion pour l’avenir puisque même s’il faut réprimer une conduite fautive au nom des impératifs déontologiques, on peut aussi penser à aménager un espace de réhabilitation, dans des limites du raisonnable et de l’acceptable. La déontologie c’est aussi tenter de faire mieux.
[13] Quoi qu’il en soit, dans le présent cas et face aux fautes commises, incluant le volet de la récidive, je suis d’avis que la destitution ne constitue pas une sanction équitable, juste et proportionnelle. Eu égard au choix de mesures dont dispose le Conseil de la magistrature, je recommande plutôt une réprimande.
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Honorable MARTIN HÉBERT, Président Tribunal des professions
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[1] Voir les notes sténographiques, p. 7 à 12.
[2] Voir les notes sténographiques, p. 33 à 36 et 43.
[3] Voir les notes sténographiques, p. 32, 44, 47, 52, 56 et 57.
[4] Voir les notes sténographiques, p. 46 à 48.
[5] Voir notes sténographiques, p. 49.
[6] Voir notes sténographiques, pp. 54 à 57.
[7] Voir notes sténographiques, p. 58.
[8] Voir notes sténographiques, p. 41-44.
[9] Voir notes sténographiques, p. 38.
[10] Voir notes sténographiques, p. 49 à 53.
[11] Voir notes sténographiques, p. 50.
[12] Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 43.
[13] Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 50.
[14] Voir notes sténographiques, p. 70-71.
[15] Voir notes sténographiques, p. 71.
[16] Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 53-54.
[17] Art. 9, 540 et 560 C.p.c.
[18] 2012 QCCMAG 62.
[19] 2014 CMQC 057, 2014 CMQC 061, 2014 CMQC 066 et 2014 CMQC 093
[20] Idem, paragr. 40.
[21] Idem, paragr. 41.
[22] Idem, paragr. 42.
[23] Idem, paragr. 45.
[24] Règlement établissant un projet pilote de médiation obligatoire pour le recouvrement des petites créances découlant d’un contrat de consommation, chapitre C-25.01, r.1.
[25] Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 60.
[26] Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 62-63.
[27] Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 76.
[28] RLRQ. C. C-12
[29] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.
[30] Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, p. 309.
[31] Ministre de la justice et Crochetière, CM-8-93-37 (enquête).
[32] Lapointe et Ruffo, CM-8-88-37 (enquête).
[33] NOREAU, Pierre, Emmanuelle Bernheim. « La déontologie judiciaire appliquée », 3e édition, Wilson & Lafleur, 2013, p. 107.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.