Décision

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C A N A D A

 

PROVINCE DE QUÉBEC

COMITÉ D'ENQUÊTE DU

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE

 

 

2015-CMQC-105

Québec, le 1er février 2017

 

 

 

PLAINTE DE :

 

 

Monsieur Marcel Drolet

 

 

 

À L'ÉGARD DE :

 

 

Monsieur le juge R. Peter Bradley

 

 

 

 

 

EN PRÉSENCE DE :

 

Madame la juge Danielle Côté, présidente

Monsieur le juge Pierre E. Audet

Monsieur le juge Martin Hébert

Maître Odette Jobin-Laberge

Monsieur Cyriaque Sumu

 

 

 

RAPPORT DU COMITÉ D'ENQUÊTE

 

 

LA PLAINTE

 

[1]           Le 21 janvier 2016, le plaignant dépose au secrétariat du Conseil une plainte à l'égard du juge R. Peter Bradley évoquant sa conduite lors de l'audience du 19 janvier 2016, dans un dossier de la Division des petites créances de la Cour du Québec. Le plaignant poursuit son voisin et une entreprise de déneigement pour 472,45 $ pour les dommages causés à la clôture qui sépare leur propriété par le poids de la neige accumulée sur celle-ci.

[2]           Il décrit ainsi la conduite reprochée au juge :

« Il (le juge) n'a eu aucun respect à mon égard il a crétiquer les points les plus important dans le dossier, et obligatoire:

1: Que j'avais demander conseil à Me Marco Lavoie

2: Que j'avais tenter de faire parvenir le compte par courrier recommandé…Disant qu'il y avait beaucoup de papier qui se perdent à la Cour, qui ne se rendaient pas jusqu'à lui, revetant les frais de poste de $23.00. La preuve a été deposé à la Cour, et j'avais copie.

3: Me reprochant d'avoir produit la preuve de paiement de la banque, photocopie du chèque # 037 du 18-07-2014 et refusant les frais de $5.00 de la banque.

4: M. Richard Drolet n'à pas pris possession du compte par courrier recommandé, j'ai dû l'envoyer par huissier, d'où les 2ème frais de $23.00…

5: Il voulait m'obliger ne négocier avec Richard Drolet, qui est de mauvais foie, aprè cet évènement un de ses locataires, du 353 des chènes O. est venu chez moi, me menaçant de me petter les chevilles avec un batte de base ball, si je remettai les pieds chez lui. (Je n'étais même pas aller chez lui) Richard Drolet à refuser de négocier.

6: Le juge n'avait que du mépris à mon égard, et a pris plaisir à remettre la cause, me faisant perdre mon temps. J'avais produit tout le nécessaire au dossier. »

(Reproduction exacte)

 

INTRODUCTION

 

[3]           Le plaignant dépose sa demande à la Division des petites créances le 30 janvier 2014. Le défendeur est forcé de déposer une contestation plus détaillée par un jugement rendu le 17 novembre 2014. Cette contestation amendée est déposée le 9 janvier 2015. Le défendeur nie toute responsabilité. Il invoque que la clôture est entièrement sur le terrain du plaignant et qu'il détient un certificat de localisation à cet effet; il ajoute qu'un témoin viendra établir que les dommages résultent du vandalisme des locataires du plaignant.

[4]           Le 19 janvier 2015, l'affaire vient au rôle et l'audition dure 36 minutes.

[5]           Dès le début de l'audition, le juge s'adresse aux deux parties pour leur demander si elles ont tenté de régler la cause par une médiation. Le plaignant l'informe qu'il a refusé la médiation parce que le défendeur a refusé de recevoir copie de sa demande et qu'il a dû la faire signifier par huissier; de plus, il déclare que les relations entre les parties ne se prêtent pas à une médiation.

[6]           Le Comité a pris connaissance des notes sténographiques de l'audience du 19 janvier 2015 et a procédé à l'écoute de l'enregistrement lors de la tenue de l'enquête le 3 octobre 2016.

[7]           L'analyse de la conduite du juge envers le plaignant sera étudiée au chapitre de la preuve, mais, d'emblée, il est important de noter qu'après avoir discuté à plusieurs reprises avec les parties du fardeau de preuve du plaignant, indiqué qu'il n'accorderait pas toutes les sommes réclamées, suivi plus tard du refus de laisser produire une pièce lors de l'audition, le juge rend sa décision dans les termes suivants :

« Afin de permettre à la partie défenderesse de compléter son dossier par le dépôt de documents non encore déposés au dossier de la cour;

Et pour les motifs énoncés oralement à l'audience, le Tribunal :

REMET l'audience de la cause;

CONDAMNE la partie défenderesse aux frais du jour, et ce, peu importe l'issue de la cause;

RENVOIE le dossier au rôle général;

ORDONNE la reconvocation des parties;

SE DÉSSAISIT du dossier. »

[8]           De fait, la cause a été entendue par un autre juge le 25 avril suivant, et le jugement rendu le 29 avril accorde au plaignant la totalité des sommes réclamées, incluant les intérêts, l'indemnité additionnelle et les frais.

 

LES FAITS

 

a)            Audition du 19 janvier 2015

 

[9]           Dès l'ouverture de la séance, le juge déclare que les parties devraient « se parler » et annonce, sans même avoir entendu la moindre preuve, qu'il y a des items de la demande qui ne seront pas accordés.[1]

[10]        Il insiste à plusieurs reprises sur le fardeau de preuve qui repose sur le plaignant en lui signalant que tout n'est jamais accordé lors d'une demande et que son fardeau est très lourd. Il lui dit que la facture de réparation de la clôture n'est pas assez détaillée parce qu'elle n'indique pas le nombre de poteaux et la nature des matériaux utilisés.[2] Il insiste à plusieurs reprises sur le fait qu'il est préférable que les parties se parlent et règlent leur dossier eux-mêmes plutôt que ce soit lui.[3]

[11]        Le passage suivant est assez explicite de l'attitude du juge :

« LA COUR :

Non, c'est ça.

Pis l'avocat, ben, ce qu'il a pu vous dire, c'est peut-être tout à fait correct, mais est-ce que c'est suffisant pour démontrer la preuve qu'ils ont commis une faute?

C'est pas évident.

Mais, c'est ça que vous voulez faire, on procède, pis c'est pas parce qu'ils ont pas voulu vous voir avant pis ça vous a coûté l'huissier pis les relations avec les voisins, c'est pas fameux, je le sais, c'est plate, là, mais c'est pas nécessairement une bonne idée, là, de... de pas essayer de vous entendre, même s'il est comme minuit moins cinq (0 h -5), façon de parler.

Mais c'est encore possible, si vous voulez vous asseoir pis vous parler, mais moi, là, j'insiste "pus" d'aucune façon, je pense que j'ai été assez clair depuis le début, là-dessus, mais je suis obligé de le faire parce que, en vertu de la loi, je suis obligé de vous dire, avant qu'on commence, c'est quoi l'état du droit pis c'est quoi la preuve qui s'applique pis c'est quoi les notions de responsabilité pis c'est quoi la possibilité d'aller en conciliation; je suis obligé de vous expliquer ça; alors, c'est ce que j'ai fait.

Bon.

Alors, maintenant que je vous l'ai expliqué pis que je vous ai offert trois (3) choix, si vous me dites : « Je veux procéder », procédons, tout simplement.

Mais vous êtes ben informé de... des... des fardeaux puis des preuves que vous devez faire; moi, je suis ben à l'aise avec ça.

Alors, on procède ou on fait quoi, là? »[4]

[12]        Les parties déclarent qu'elles veulent continuer l'audience mais se présente alors la question du dépôt d'une pièce (le certificat de localisation) par le défendeur. Le juge rejette la demande de dépôt, remet l'audition et se dessaisit du dossier;

[13]        Le Comité juge utile pour apprécier la conduite du juge de reproduire un long extrait des discussions ayant mené à cette conclusion :

« LA COUR :

Pis là, ça fait longtemps, là, que, ça, c'est indiqué, là, hein, c'est ça, c'était bien indiqué.

Pis là, là, quand vous êtes venu ici, là, c'est au mois de décembre, pas deux mille quinze (2015), là, en deux mille quatorze (2014); il s'est rien passé depuis ce temps-là.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

Vous avez raison, Monsieur le Juge.

LA COUR :

Oui, je sais ça.

Bon.

Alors… non, je - on procède pas, c'est of… c'est officiel, là, vous allez remettre toutes vos pièces à monsieur, pour que monsieur en prenne connaissance, c'est évident.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

Ce n'est qu'une (1) seule feuille de… de papier.

LA COUR :

C'est pas une (1) seule feuille!

Non, non.

Une (1) feuille, ça peut changer beaucoup de choses.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

Parfait.

LA COUR :

Hein, ça peut changer beaucoup de choses.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

Hum, hum.

LA COUR :

Des fois, là, c'est ça d'épais pis j'ai pas de problème; des fois, c'est une (1) feuille, non, ça pose problème, ça dépend.

C'est pas le nombre de feuilles.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

O.K.

LA COUR :

Pis il y aussi, évidemment, le fait que monsieur est en droit d'avoir tout ça avant que ça procède.

Là, vous m'arrivez ici, là, pis vous dites « Non, non, regardez, là, j'ai une (1) feuille » pis bon.

Non.

Donc, c'est remis, à vos frais, dans les circonstances.

Ou bien vous vous rencontrez pis vous essayez de faire un effort entre vous autres, pis d'ailleurs, ça serait la meilleure chose à faire, mais, moi, je peux pas aller plus loin avec vous autres là-dedans, pis si vous voulez pas vous rencontrer, moi, je respecte ça; moi, je comprends pis je respecte ça.

Mais si vous me dites : « Moi, j'ai des pièces » pis ça fait drôlement longtemps qu'elles auraient dû être produites, il y a eu de la négligence, c'est vrai qu'il y a eu de la négligence dans ce dossier-là, ben, c'est pas monsieur qui va supporter la négligence, c'est pas vrai.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

Excusez, Monsieur.

LA COUR :

Ça va être remis pis, à ce moment-là, vous allez payer les frais de la remise d'aujourd'hui, y compris les frais du jour de monsieur est venu comme témoin, ça, c'est certain.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

C'est pas - je peux-tu m'exprimer?

Est-ce que je peux…

LA COUR :

Oui, allez-y.

M. MARCEL DROLET, demandeur

pour lui-même :

C'est pas une preuve, en fait, par rapport à…

LA COUR :

Je vous demande pas n'importe quoi, c'est marqué…

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

C'est mon certificat de localisation pour situer la bâtisse, tout simplement.

LA COUR :

C'est marqué…

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

Monsieur l'a en sa possession.

LA COUR :

ça va être à l'appui - non, je l'ai pas au dossier, moi je l'ai pas.

Non, je l'ai pas au dossier, c'est des photos, mais j'ai rien d'autre, je l'ai pas.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

O.K.

C'est parce que j'avais…

LA COUR :

Je ne l'ai pas.

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

… j'avais… j'avais pris la peine de…

LA COUR :

(…)

Vous avez tellement bien compris que c'est non, pis ça va être remis pis ça va être à vos frais. »[5]

(Soulignements du Comité)

[14]        Il ajoute quelques minutes plus tard :

« LA COUR :

Alors, voulez-vous...

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

... (inaudible)...

LA COUR :

... vous rencontrer, la réponse c'était “non”, vous maintenez “non”, c'est ça?

Puis je tiens à vous le dire, là : si vous vous rencontrez puis c'est pour offrir des arachides, oubliez ça.

C'est-tu - c'est clair, là, je m'exprime clairement, là.

Maintenant, si vous voulez tout avoir puis vous rien donner, là, on va arrêter ça tout de suite.

C'est souvent les dossiers où les sommes d'argent sont à peu près relativement faibles qu'il y a plus de - je sais pas pourquoi, on a des dossiers à presque sept mille piastres (7 000 $) pis c'est réglé pis c'est pas... pas plus compliqué que ça.

Pis, en médiation, là, les dossiers, là, parce qu'on a compétence, actuellement, jusqu'à soixante-dix mille dollars (70 000 $), on a une équipe spéciale de juges qui font de la médiation pis je peux vous dire qu'on règle des dossiers de cinquante-cinq mille (55 000 $), soixante mille piastres (60 000 $), regarde, ça se règle dans l'espace de trois (3) heures, pas de problème.

Mais, aux petites créances, je peux pas vous accompagner dans une autre salle, je peux... malheureusement, c'est une particularité des petites créances.

Vous auriez pu aller en médiation à l'époque, là, mais, pour toutes sortes de raisons, vous êtes pas allés, bon, ça vous regarde.

Mais, ici, aujourd'hui, moi, je peux encore, il est minuit moins cinq (0 h -5), tenter avec vous autres de - que vous puissiez vous rencontrer, mais dans une autre salle, mais juste entre vous autres pis pour faire un effort.

Maintenant, si vous voulez pas vous rencontrer ou si vous êtes vraiment pas disposés à faire un effort, c'est correct, j'ai pas de problème pis il y a pas de rencontre parce que si c'est pour juste faire semblant, on fait pas ça.

On le fait si vous êtes vraiment disposés à travailler sérieusement sur la somme qui est réclamée, qui est là.

Si vous voulez pas, moi, c'est tout.

Alors, vous, vous êtes toujours disposé à ce que je suspende pour tenter de voir si c'est possible de vous entendre avec monsieur? »[6]

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Oui, mais là, il m'a pas répondu…

LA COUR :

Non, non, mais je parle à vous, là.

Vous me dites « oui » face à lui…

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Oui.

LA COUR :

… c'est ça que vous me dites?

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Oui.

LA COUR :

On arrête là.

Vous?

M. RICHARD DROLET

partie défenderesse :

Moi je voudrais que monsieur fasse le fardeau de la preuve dans ce dossier-là.

LA COUR :

 

Oui?

 

D'accord.

 

C'est bien. »

 

(Soulignements du Comité)

[15]        Ainsi, obligé de procéder, le juge décide :

« Alors, le Tribunal - afin de permettre à la partie défenderesse de déposer - de compléter son dossier, étant donné que les documents annoncés depuis le… quinze (15) décembre deux mille quatorze (2014) ne l’ont pas été et ne le sont qu’éventuellement à l’audition, mais que la partie demanderesse en a pas eu copie, en a pas pris connaissance, le Tribunal remet la cause, renvoie le dossier au rôle général.

Les parties seront reconvoquées et condamne la partie défenderesse à payer les frais judiciaires des parties, peu - pour la cause d’aujourd’hui, à savoir les frais de - prévus par la loi en ce qui concerne le demandeur, monsieur Marcel Drolet, et aussi les frais de son témoin, à savoir monsieur Chamberland. »[7]

(Soulignements du Comité)

[16]        Quant à la nature des échanges et au ton adopté par le juge, outre le contexte général de l'absence de réceptivité du désir des parties de procéder, il convient de citer notamment l'extrait suivant:

« M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Monsieur, là, on n’a pas pu discuter…

LA COUR :

Ah! Non.

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

… il a refusé les lettres recommandées, j’ai été obligé d’envoyer un huissier, des mises en demeure…

LA COUR :

Oui.

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

… puis, quand j’y ai parlé au téléphone, il dit : « "Crisse"-moi la paix! »

LA COUR :

Bon.

Là, là, je vais vous…

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Pis, ça fait qu’on…

LA COUR :

Monsieur, là, je vais vous dire, là, vous êtes pas chez vous dans le salon…

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Oui.

LA COUR :

… hein, puis sacrer, ici, ça marche pas.

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Bien, je vous dis ses paroles.

LA COUR :

C’est la dernière fois que je vous entends sacrer ici.

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

D’accord.

Mais c’est les paroles qu’il m’a dits, là…

LA COUR :

Hein?

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

… excusez-moi, là.

LA COUR :

Vous allez apprendre à vous taire.

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Ouais.

LA COUR :

Une personne raisonnable, surtout à votre âge, vous devriez être capable d’être un peu plus modéré.

M. MARCEL DROLET

partie demanderesse :

Excusez-moi, j’ai répété les paroles que monsieur m’a dits.

LA COUR :

Vous avez bien fait de vous excuser! »[8]

 

b)           Devant le Comité d'enquête

[17]        Le juge affirme qu'il considère que la loi l'oblige à concilier les parties et qu'il était de son devoir de chercher à le faire et il ajoute qu’il est conforté dans son attitude puisqu’il s’agit là de l'esprit du nouveau Code de procédure civile. Il insiste beaucoup sur le taux de succès qu'il obtient en procédant de cette façon et sur sa conviction qu'il n'a fait que gérer l'instance. Les passages pertinents de ce témoignage seront cités dans le cadre de l'analyse de la conduite du juge afin d'éviter des répétitions.

[18]        Le juge a également fait entendre un professeur d'université, expert en éthique et déontologie, afin d'éclairer le Comité sur ces notions, mais celui-ci a admis que la déontologie judiciaire n'était pas sa spécialité et qu'il n'avait aucun commentaire particulier à faire sur la façon dont le juge a procédé.

 

L'ANALYSE

 

[19]        Le Comité considère que le témoignage de l’expert n’ajoute rien au débat et se limitera aux deux aspects principaux qui se dégagent du comportement du juge :

a)            Le refus d'entendre la cause

b)            La nature des échanges et le ton cassant, voire hostile, particulièrement à l'endroit du plaignant, et ce, sans justification apparente

 

a)         Le refus d'entendre la cause

 

[20]        Tel que mentionné, dès l'ouverture de la séance, le juge déclare que les parties devraient se parler et annonce, sans même avoir entendu la preuve, qu'il y a des items de la demande qui ne seront pas accordés. Il insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de régler par médiation puisqu'il est possible que le plaignant ne puisse rencontrer son fardeau et recevoir pleine compensation de sa réclamation.

[21]        Il suggère fortement aux parties de demander une remise pour parfaire leur preuve[9]. Pourtant le réparateur est présent et peut expliquer sa facture et le plaignant a connaissance du contenu du certificat de localisation que le défendeur veut déposer, et qui n'a pas été produit préalablement.

[22]        Il n'y a donc aucun effet de surprise justifiant le juge d'ordonner d’office la remise de l'audience, sans d'abord s'enquérir auprès du demandeur si celui-ci accepte le dépôt de cette pièce.[10] Au cours de cet échange, le juge déclare aux parties :

« Si vous voulez pas vous asseoir, là, moi, là, on ne procède pas ici parce que les pièces doivent être déposées par tout le monde avant le procès. »[11]

[23]        Quelques exemples tirés du témoignage du juge devant le Comité illustrent de façon éloquente qu’il n’avait pas l’intention d’entendre le dossier.

[24]        Commentant le fait qu’il a répété à plusieurs reprises que le dossier du demandeur présente quelques difficultés, le juge mentionne qu’il enseigne et qu’il a pris l’habitude de répéter pour s’assurer que les étudiants comprennent bien. Il ajoute :

« […] Et ça prend quand même des fois un certain temps pour que les parties puissent bien comprendre, notamment lorsque, venant aux petites créances elles ne s’attendent pas nécessairement à ce que le juge privilégie la conciliation, c’est-à-dire de ne pas entendre la cause puis davantage tenter de les concilier (…). »[12]

[25]        Les commentaires du juge quant aux lacunes dans le dépôt des pièces sont également indicatifs de son refus d’entendre la cause.

« (…) Donc, c’est un devoir que la loi impose au Tribunal d’indiquer aux parties des lacunes dans leurs pièces et à ce moment-là faire en sorte qu’elles puissent corriger le tir, soit par, notamment, une remise pour qu’elles puissent à nouveau, avec le recul, bien, toujours s’assurer qu’elles puissent bien faire valoir pleinement tous leurs moyens, surtout quand on est en demande et qu’on a aussi le fardeau de preuve. C’est plus lourd à ce moment-là, donc j’avais le souci de cela. »[13]

[26]        Rappelons que le juge mentionne au demandeur que sa facture pour la réparation de la clôture n’est pas assez détaillée. Le procureur assistant le Comité lui demande d’expliquer en quoi la facture n’est pas assez détaillée et précise que l’entrepreneur est présent pour l’expliquer. La réponse du juge démontre, encore une fois, qu’il n’a pas l’intention d’entendre la cause :

« La… même si l’entrepreneur était prêt à témoigner éventuellement, je devais considérer que le défendeur puisse être pris par surprise dans les circonstances puis ne pas être capable de faire valoir aussi ses moyens, le demandeur ayant son expert qui n’a pas apporté avant l’audience des précisions qui étaient tout à fait disponibles, mais qu’il ne pouvait pas… qu’il n’a pas… il dit… oui, on les a dans les notes sténographiques, qu’il ne pouvait pas apporter la précision à savoir le nombre de poteaux, le nombre de caps, le temps de main-d’œuvre, la qualité des pièces et cetera. Oui, il y avait ça, mais il ne les avait pas, bon. Alors, à partir de là ça aurait été un témoignage qui est apporté par l’entrepreneur, mais de cette façon-là ça déstabilise le défendeur qui n’a pas l’opportunité d’avoir l’appui à la facture peu précisée, peu détaillée.[14]

[27]        Soulignons qu’on parle ici d’une facture de 275 $. On peut comprendre le procureur du Comité d'exprimer le commentaire suivant :

« Q Donc, sur la preuve de la faute, vous avez voulu protéger pour ainsi dire le demandeur et, sur la preuve du quantum, protéger en quelque sorte le défendeur. C’est ça que je comprends?

R Oui. Bon, oui. Parce que j’essaie d’apporter une aide, là, impartiale aux deux parties, il y a ça aussi qui rentre en ligne de compte. »[15]

[28]        Quant au certificat de localisation mentionné précédemment, document d'une page dont il n’a pas voulu prendre connaissance avant de décider de reporter le dossier, et ce, alors que le défendeur mentionne que le plaignant l’a en sa possession, les passages suivants démontrent, encore une fois, de l’avis du Comité, le refus du juge d’entendre la cause. Il s’exprime ainsi en réponse à une question de la présidente du Comité :

« Q. Et il dit aussi que l’autre partie l’a?

R. Oui, effectivement, il le dit, ça c’est ce qu’il dit, mais je ne l’ai pas vérifié auprès du demandeur à savoir s’il l’a. Bon. Mais pour moi ça ne changeait pas grand-chose personnellement parce que j’estimais dans les circonstances qu’avec les remarques que j’avais faites au demandeur, celui-ci ayant le fardeau de preuve et qu’il y avait des éléments qui, au dossier, au niveau de ses pièces, soit qu’elles étaient absentes, soit encore qu’elles étaient lacunaires, bien, à ce moment-là ça faisait en sorte que ça serait davantage bénéfique pour lui de profiter d’une remise pour justement prendre le recul nécessaire et revenir à la cour avec un dossier bonifié.

Ça ne voulait pas dire, je m’en suis exprimé aussi, qu’il aurait nécessairement raison sur tout ce qu’il réclamait, mais au moins en prenant ce recul-là et en évitant éventuellement qu’en audience que les relations entre les parties qui n’étaient pas déjà au beau fixe dans les circonstances puissent éventuellement se… se détériorer, bien, j’ai été d’avis que même la pièce en question, même en suspendant puis en lui permettant de regarder ce qui en était, puis de là à dire “Oui, je veux procéder”, je pense que dans les circonstances, même si cela s’était produit, j’avais déjà exprimé des réserves auprès du demandeur, à savoir qu’il y avait déjà des lacunes au niveau de sa réclamation et aussi de son fardeau de preuve.

Donc, c’était préférable pour moi, et essentiellement pour le demandeur, d’accorder la remise, qu’il puisse reconsidérer son dossier et revenir. Et je me suis dessaisi du dossier étant donné que j’avais opté davantage pour tenter de les concilier plutôt que d’entendre la cause. »[16]

[29]        Il est vrai que l’article 560 du Code de procédure civile prévoit que le juge peut tenter de concilier les parties lorsque les circonstances s’y prêtent. Après s’être fait dire deux fois plutôt qu’une que les parties veulent procéder, continuer à privilégier la conciliation démontre, comme le dit d’ailleurs le juge dans le passage précité, qu’il n’a pas l’intention d’entendre la cause.

[30]        Le Comité est d'avis que, bien que le droit concernant le devoir du juge de favoriser la conciliation soit codifié à plusieurs articles, incluant celui concernant le recouvrement des petites créances,[17] ces nouvelles règles n'indiquent en rien qu'un juge peut imposer une telle conciliation. Dans les circonstances, il est donc pour le moins surprenant de constater que le juge ait choisi de se dessaisir du dossier plutôt que de débuter l’audience et permettre aux parties de compléter la preuve si besoin était.

 

b)         La nature des échanges et le ton cassant, voir hostile, particulièrement à l'endroit du plaignant, et ce, sans justification apparente

[31]        Quant au ton adopté par le juge et ses remontrances envers le plaignant reproduites ci-haut, il n’est pas étonnant que ce dernier en ait été blessé.

[32]        Le devoir du juge est d'accueillir sereinement les justiciables, de les écouter et de rendre jugement.

[33]        L'écoute de cette audience ne permet pas de conclure que l'objectif d'accès à la justice de façon simple et proportionnée a été rencontré dans un dossier concernant des troubles de voisinage pour des dommages s'élevant à 472,45 $.

[34]        L'accueil par le juge est la première impression d'un justiciable qui se présente devant la Cour. À la Division des petites créances, cela est d'autant plus important que le juge est le seul interlocuteur avec lequel les parties interagissent compte tenu que c’est lui qui préside l’enquête.

[35]        L'image d'autorité du juge est certes importante, mais ne justifie ni le ton cassant ni l'insistance à remettre la cause faute de conciliation. Cette attitude intransigeante déconsidère l’administration de la justice et dépasse les paramètres de la saine gestion d'instance.

[36]        Le Comité considère que le ton et la nature des propos tenus à l’égard du plaignant qui ne faisait que rapporter les paroles d’un tiers sont déplacés et blessants ce qui constitue une violation de l’article 8 du Code de déontologie :

 

8- Dans son comportement public, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité.

 

UNE RÉCIDIVE

 

[37]        Il importe de tenir compte du fait que le juge a déjà fait l'objet d'une décision d'un comité d'enquête en raison d'une conduite analogue[18], tel que le démontre les extraits suivants de la plainte alors étudiée :

« 2] La plainte se lit ainsi :

« M. le juge Peter Bradley présidait cette audition. Or, M. le juge ne m'a pas jamais donné l'opportunité de raconter les événements qui avaient mené à cette requête. Il a élaboré sur les documents qu'il avait en main, nous faisant la remarque que ce dossier « n'était pas facile ». N'est-ce pas justement pour ça qu'on a des juges? J'aurais pu lui rappeler que si le dossier avait été « facile », on n'aurait pas eu besoin d'un juge, mais je me suis abstenue…

[…]

M. le juge en est rapidement venu à la conclusion qu'il ne pouvait rendre un verdict dans cette affaire parce qu'il manquait d'éléments (j'avais 38 pièces au dossier), et ce, sans même avoir écouté ce que les parties avaient à dire. Il a alors mentionné que lorsqu'on dépose une requête aux petites créances, il est possible de consulter un avocat, afin d'être bien préparé, que les 30 premières minutes sont gratuites.

[…]

Le tout s'est donc terminé alors que le juge Bradley nous a expliqué qu'il n'avait d'autre choix que de suspendre l'audition, mais que ça pourrait être long avant d'avoir une nouvelle date, parce qu' « on manque de personnel »… Si les tribunaux n'ont plus les moyens de rendre justice, vers qui va-t-on se retourner?

Le juge nous a ensuite mentionné qu'on pouvait également aller s'asseoir et essayer d'en arriver à une entente à l'amiable. Si j'étais devant lui cette journée-là, c'est manifestement que ça n'avait pas fonctionné précédemment, n'est-ce pas? Et de fait, la rencontre en question n'a rien donné, la partie adverse refusant de me donner quelque compensation financière que ce soit.

J'ai alors dit qu'ayant passé une année à essayer de régler ce dossier en faisant toutes les démarches qui s'imposaient, je n'avais pas la force de recommencer une autre année et que j'allais tout simplement abandonner les procédures, ce que j'ai fait.

[…]

Peut-être que j'aurais gagné ma cause devant un autre juge. Peut-être pas. On ne le saura jamais. La seule chose dont je suis sûre, c'est que cette journée-là le juge Bradley ne s'est même pas donné la peine d'essayer.

De deux choses l'une : ou bien le juge Bradley n'a pas fait honneur à sa fonction cette journée-là, et je suis simplement malchanceuse de m'être retrouvée devant lui. Ou bien le système de justice n'a plus les moyens, ni le temps, de s'intéresser à ses justiciables.

Ça serait bien pire. »

[38]        Ce comité analyse la conduite du juge en ces termes :

« [62] Il comprend son rôle de trancher des litiges et de tenter de concilier les parties lorsque les circonstances le justifient.

[63] D’ailleurs, même en cours d’audience, lorsqu’il perçoit que les parties sont disposées à une conciliation, il les invite à se rencontrer pour discuter et trouver entre elles une entente.

[64] Dans le dossier qui lui était soumis, lors de la préparation, le juge a considéré qu’aucune des parties ne répondaient aux règles de preuve devant être appliquées au litige sous étude.

[65] À l'audience, lorsqu'il en a eu l'occasion, il a fait étalage des problèmes juridiques qu'ils avaient identifiés en préparant le dossier et il a cru que ses explications sur le poids de ces difficultés inciterait la demanderesse à accepter une solution de compromis.

[66] Il témoigne d'ailleurs, en toute bonne foi, qu'il estime que cette approche peut permettre le règlement d'un dossier dans certains cas. »

(Soulignements du présent Comité)

[39]        Ce comité cite longuement les propos du juge à la plaignante et on y constate sa façon de procéder :

« [69] Il importe de reproduire la partie des notes sténographiques du 29 octobre 2012 alors que le juge parle aux parties, mais plus spécialement à la plaignante :

LA COUR :

           Alors, ceci étant dit, j’ai, par ailleurs, un pouvoir de conciliation, en vertu de la loi, je siège pas, aujourd’hui, en chambre civile, ou alors, je suis médiateur, je fais partie d’une équipe dédiée à cet égard, alors, je peux pas vous accompagner dans une autre salle pour tenter de voir s’il y a pas possibilité d’un règlement dans le dossier.

           Mais, cependant, j’ai un pouvoir de conciliation. Donc, si vous le jugez à propos, vous êtes pas obligés d’accepter, on peut suspendre, vous allez vous parler dans une autre salle, pour voir s’il y a pas un terrain d’entente qui pourrait convenir.

           Parce que, en bout de ligne, vous, vous demeurez pus là pis, vous, c’est une somme d’argent que vous voulez avoir, bon, pis en autant que vous fassiez la preuve prépondérante, parce que si vous faites par la preuve prépondérante, on oublie ça carrément, et ça peut poser problème, hum.

[…]

           Moi, je constate que, actuellement, là, on a des problèmes pis, comme vous avez le fardeau de la preuve, ça… ça démarre pas bien, là. Pis dire que d’autres ont eu, oui, je veux bien le croire, mais, là, personne est là pis la qualité du plancher, oui, mais, non, il y a personne qui…

           Alors, ça va… ça va pas si bien que ça.

           Pis vous me dites : « Oui, ben, peut-être que monsieur Dionne existe pas. »

           Pis, là : « Ben, non, il existe ce monsieur-là, pis là j’ai peut-être regardé à la mauvaise place, t’sais. »

           Oui, il y a peut-être une autre filière que vous avez pas ouverte pis, ah ! regarde donc ça, oh, surprise !

           Alors, tout ça pour vous dire, si vous voulez le faire, l’exercice, c’est une suggestion : je peux suspendre, vous allez vous parler dans une autre salle, pour voir s’il y a pas un terrain d’entente raisonnable qui ferait en sorte que, oui, vous pourriez décider, là, d’un accommodement qui vous a… qui vous arrangerait, de part et d’autre.

           Et si c’est ça, s’il y en a un, vous le mettez par écrit, vous revenez en salle, on l’examine. Si tout le monde le trouve raisonnable, ça devient votre jugement.

           Vous êtes pas obligés de le faire déposer au dossier de la Cour, une déclaration de règlement hors Cour peut être tout aussi bien, parfaitement légale.

           Le gros avantage de procéder comme ça, et d’avoir une entente, c’est que ça devient votre jugement, c’est vous qui contrôlez l’issue.

           Sinon, c’est le Tribunal.

           Alors, s’il y a pas d’entente, vous revenez, tatata : « Pas d’entente. » Bon. On s’est au moins parlé, c’est déjà bon, pas dans la bonne direction, « Malheureusement, on n’a pas d’entente. »

           Ben, à ce moment-là, soit qu’on procède avec les… les problèmes de preuve qu’il y a dans le dossier, dont je vous ai fait part, et, si la preuve est pas rencontrée, ben, je vais être obligé de rejeter, malheureusement, d’un bord et de l’autre.

           Si, par contre, vous dites : « Ben, dans ce cas-là, on est aussi ben de repenser à notre affaire, on va essayer de vous contacter pis de, bon, ramasser notre preuve en conséquence », fort bien, alors, le dossier sera remis, vous serez reconvoqués pis, à ce moment-là, on reprendre ça. Quand ? Ne me le demandez pas, c’est pas moi qui gère ça.

[…]

[70] Après cette explication du juge qui a duré plus de 13 minutes et la suspension suggérée, les parties sont revenues trois minutes plus tard en déclarant qu’elles abandonnent leur procédure respective. »

(Soulignements du présent Comité)

[40]        Dans son rapport, le comité d'enquête commente ainsi la conduite du juge :

« [80] Le juge doit gérer l’instance, permettre aux parties de s’exprimer, de présenter leur preuve et, in extremis, leur permettre de la compléter ultérieurement au besoin. Il doit dans ce contexte agir équitablement et impartialement.

[81] Le Comité constate que le juge, après avoir signalé aux parties plusieurs lacunes dans la preuve, les a tout simplement invitées avec beaucoup d’insistance à se rencontrer pour régler seules leur dossier. Sinon, il a évoqué la possibilité que le dossier soit reporté devant lui après un long délai pour sa continuation.

[82] La plaignante souhaite de son côté être entendue et produire les différentes pièces qu’elle a préparées avec l’aide d’avocats.

[83] Elle ne croit pas que la discussion avec la partie adverse va permettre un règlement, mais s’y soumet face aux commentaires du juge.

[84] Rendre justice comporte qu’il peut arriver que certains dossiers puissent faire l'objet d'une remise pour que les parties complètent la preuve, mais ceci en agissant dans les meilleurs délais.

[85] Les parties ont déjà attendu une année avant de procéder sur leur demande respective et elles comprennent que, si elles devaient compléter leur preuve ou qu’elles remettaient le dossier, elles pourraient être confrontées à un délai.

[86] L’audition durera 39 minutes, excluant le délai de trois minutes qui a suivi la suspension pour que les parties se rencontrent pour discuter et voir si elles pouvaient régler.

[87] Le juge posera beaucoup de questions et il y répondra, sans oublier qu’il critiquera la preuve présentée par les parties. Toutefois, après avoir été entendues par le juge, peut-être décideraient-elles que leur dossier était complet et qu’elles laisseraient au juge la liberté de rendre jugement à partir de ce qu’elles avaient présenté sans requérir de remise de la cause pour compléter la preuve.

[88] L’écoute de l'enregistrement audio des débats laisse entendre dans ce cas-ci que c’est le juge qui souhaite la remise.

[89] Bien qu’il ait été courtois et respectueux dans la façon de s’adresser aux parties et plus précisément à la plaignante, le Comité ne croit pas qu’il ait rempli son rôle, soit celui de rendre justice. Il n’a pas rempli utilement et avec diligence ses devoirs judiciaires.

[90] Lorsque le juge s’exprime en salle d’audience, il le fait avec une certaine autorité, une autorité morale que le justiciable prend en considération dans le cheminement de son dossier et dans les décisions à rendre, au besoin.

[91] Lorsqu’un justiciable se fait dire qu’il y a une lacune dans la preuve et qu’une remise de son dossier pourrait provoquer un délai d’une année avant qu’il ne soit entendu de nouveau, il est normal qu'il se désintéresse.

[92] La partie qui dépose une demande espère présenter son dossier à un juge le plus rapidement et, s'il devait être remis pour compléter la preuve, elle souhaite aussi que cela se fasse dans les meilleurs délais.

[93] L'attitude d'un juge et ses propos ne doivent en aucun temps démotiver une partie et l'amener à se désister de sa demande.

[94] L'insistance du juge afin que la plaignante rencontre la partie adverse est un autre élément à considérer, surtout en raison de l'autorité que représente le juge lorsqu'il préside une audience.

[95] Le juge est un guide pour les parties, un accompagnateur pour faciliter la tâche de chacune d'elles et pour faire en sorte qu'il y aura un bon déroulement de l'enquête.

[96] Une partie n'a pas à se désister de sa procédure parce qu'elle ne se sent pas écoutée et qu'elle est découragée dans sa démarche judiciaire.

[97] L'intervention du juge n'a pas permis aux parties d'expliquer leur cas, sans compter que l'insistance à tenir une rencontre pour discuter d'un règlement a démotivé la plaignante à poursuivre sa démarche.

[98] Le Comité rappelle que l'écoute et l’empathie sont des qualités essentielles d'un bon juge et que ces qualités doivent l'aider à remplir son devoir judiciaire.

[99] L'écoute ne signifie pas que le juge doit tout laisser faire. Au contraire, comme mentionné précédemment, le juge doit gérer l'instance en écoutant les parties présenter leur preuve.

[100] La plainte de la plaignante démontre bien que cette dernière voulait expliquer au juge son dossier avant toute chose et lui présenter les pièces qu’elle avait préparées au soutien de son dossier.

[101] Dans ce contexte, le Comité conclut que le juge a contrevenu aux articles 1 et 6 du Code déontologie de la magistrature.

[102] Les propos d'un juge ou encore son attitude à la Cour sont en partie l'image de la magistrature pour le public et peuvent avoir une influence sur la confiance du public envers elle. »

(Soulignements du présent Comité)

[41]        Ce comité a alors recommandé au Conseil de lui adresser une réprimande.

[42]        La similitude de la conduite du juge dans cette affaire et le présent dossier est frappante.

[43]        Force est de constater que le juge n'a pas assimilé le message qui a mené à la réprimande faite en 2014. Sa conduite dans le présent dossier présente un comportement tout aussi répréhensible, si ce n'est encore plus marqué, tant par le nombre d'interventions que par le fait qu'il se soit, de plus, dessaisi du dossier.

[44]        La violation des articles 1 et 6 du Code de déontologie constitue donc une récidive :

1- Le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit.

6- Le juge doit remplir utilement son rôle et avec diligence et s’y consacrer entièrement.

[45]        La situation d'une récidive s'est présentée récemment devant un autre comité d'enquête[19] dans quatre dossiers distincts. Ce comité déclare que :

« [36] La réprimande constitue un blâme formel à l'endroit de la conduite du juge et est une sanction importante pour un juge. Elle vise à ce que le juge corrige sa conduite tout en “réparant le tort causé à la magistrature”.

[37] La réprimande sera une sanction appropriée si elle conserve son utilité et sa crédibilité. (…)»

[38] Le Comité doit considérer le dossier déontologique antérieur du juge afin de déterminer la recommandation appropriée pour rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir à l’endroit du juge et du système judiciaire. « La récidive d’une conduite fautive de la part du juge constituerait un facteur aggravant à considérer au moment d’en établir la sanction.

[39] Le juge (…) a déjà reçu une réprimande pour des allégations semblables à celles dénoncées par les plaignants. La répétition des actes reprochés démontre que le juge n’aurait pas su tirer les enseignements nécessaires qui lui auraient permis d’amender sa conduite. »

[46]        Ce comité s'interroge alors à savoir « si une recommandation de réprimande s'avère justifiée et suffisante »[20] et rappelle les enseignements de la Cour suprême sur les critères à envisager lorsqu'il s'agit de la destitution d'un juge.[21] Le comité examine à cet effet, les arrêts Ruffo et Therrien, et en tire les critères suivants :

« [41] Les arrêts Ruffo et Therrien ont établi des critères à considérer lorsqu’il s’agit d’envisager la destitution d’un juge. Le Comité d’enquête doit s’interroger sur la gravité objective des manquements déontologiques eu égard à la capacité du juge de continuer d’exercer ses fonctions. Le Comité devra examiner si :

« Cette conduite a-t-elle détruit la confiance indiscutée [que les personnes impartiales] plaçaient en sa droiture, son intégrité morale et en l’honnêteté de ses décisions, éléments qui constituent l’honneur public. Si tel est le cas, l’inaptitude est démontrée. »

« La conduite reprochée porte-t-elle si manifestement et si totalement atteinte aux notions d’impartialité, d’intégrité et d’indépendance de la justice qu’elle ébranle suffisamment la confiance de la population pour rendre le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge. »

[47]        Dans cette affaire, ce comité conclut que la conduite du juge - principalement des écarts de langage - constituait une récidive, mais que cela n'était pas de nature à porter atteinte à son impartialité ou à l'intégrité et l'indépendance de la justice, le rendant inapte à exercer ses fonctions de juge[22]. Le comité lui adresse une « sévère réprimande » au motif que le ton utilisé ne faisait pas honneur à l'image ni à la sérénité attendues du public à l'endroit de la magistrature.[23]

[48]        Dans le présent cas, le comportement du juge n'est pas de même nature. De l'avis du Comité, le juge a ouvertement refusé de remplir son devoir en refusant de procéder alors que les parties étaient prêtes à le faire. Les motifs donnés pour remettre la cause afin de compléter la preuve, alors qu'un témoin approprié de la demande pouvait expliquer la facture de réparation de la clôture, et que la pièce à produire par le défendeur était connue du plaignant, apparaissent de biens faibles prétextes pour remettre une cause à la Division des petites créances et se dessaisir du dossier.

[49]        C'est la seconde fois qu'un justiciable se plaint de ne pas avoir été écouté et que ce juge décourage, avec insistance, les parties de lui soumettre leur litige pour qu’il en décide.

[50]        Le premier alinéa de l’article 9 du Code de procédure civile rappelle de façon éloquente la mission première du juge :

Les tribunaux ont pour mission de trancher les litiges dont ils sont saisis en conformité avec les règles de droit qui leur sont applicables. […].

 

[51]        Certes, le deuxième alinéa de cet article édicte qu’il est aussi de la mission du juge de tenter de concilier les parties mais à certaines conditions : si la loi leur en fait le devoir, si les parties le demandent ou si elles y consentent, si les circonstances s’y prêtent ou s’il est tenu une conférence de règlement à l’amiable. Pour le recouvrement de petites créances, l’article 540 alinéa 3 du Code précise que le juge à la Division des petites créances peut, si les circonstances s’y prêtent, tenter de concilier les parties soit au cours de l’audience soit à l’occasion d’une conférence de règlement à l’amiable.

[52]        Il est manifeste que le législateur requiert le consentement exprès des parties pour participer à un mode dit alternatif de règlement des litiges. Que ce soit pour la conciliation effectuée par un juge ou la médiation pratiquée par un avocat ou un notaire accrédité, toutes deux requièrent le consentement manifeste des parties. La seule exception est la médiation obligatoire réalisée par des juristes accrédités pour les litiges découlant d’un contrat de consommation dans le cadre d’un projet pilote comme l’édictent les articles 28 et 836 du C.p.c.[24]

[53]        En l’espèce, les parties ont manifesté clairement leur refus de tenter une ultime négociation entre elles ou encore de participer à une conciliation présidée par le juge. Elles voulaient que le procès se tienne. Devant une telle volonté manifeste exprimée par les parties, le juge se devait de les entendre et, une fois la preuve dûment complétée, au besoin, en accordant un ajournement de l‘audience pour la compléter, de trancher leur litige.

[54]        L'interprétation que le juge fait de son « pouvoir » ou « devoir » de conciliation, au point d'argumenter avec les parties à ce sujet et de décourager le demandeur, tout comme dans le premier dossier où sa conduite a été examinée, et de refuser de les entendre pour décider de leur litige et de décider constituent des violations aux articles 1 et 6 du Code de déontologie de la magistrature qui obligent le juge à rendre justice dans le cadre du droit d’une part et d’autre part, de remplir son rôle avec diligence.

 

LA SANCTION

 

[55]        Le Comité est d'avis que le comportement du juge constitue une récidive grave d'un comportement qui lui a déjà été reproché. En 2014, le comité avait déclaré qu'il était de bonne foi, mais la réprimande reçue n'a manifestement pas porté ses fruits puisqu'il a procédé de façon similaire pour décourager les parties : invoquer les déficiences de la preuve et insistance à prédire que tout règlement serait plus favorable que le jugement qu'il pourrait rendre.

[56]        Le Comité croit que les violations aux articles 1 et 6 du Code de déontologie ne sont pas l'objet d'une inattention du juge ou d'un accident de parcours, mais, selon le témoignage même de ce dernier, reflète sa façon de voir son rôle, particulièrement en Division des petites créances. Sa conduite constitue une manifestation claire de son absence d’intérêt à entendre les parties et à rendre justice.

[57]        Une nouvelle réprimande risque de ne pas avoir plus d'effet que la précédente sur sa façon de procéder.

[58]        Au contraire, les passages suivants de son témoignage devant le Comité démontrent la mauvaise compréhension de son rôle et le fait que le juge n’entend pas changer sa façon de procéder puisqu’il est convaincu que l’esprit du nouveau Code de procédure civile confirme qu’il a raison :

« Même si je n’ai… effectivement j’ai insisté parce que je crois toujours beaucoup en les vertus, au moins que les gens puissent se rencontrer pour tenter de se parler et voir, si possible, à en venir à une entente. Et c’est tellement vrai que le législateur c’est l’avenue qu’il a décidé avec le nouveau Code. Moi, je n’ai rien fait d’autre.

Et ça c’est dans l’intérêt public, ce n’est pas dans l’intérêt personnel, ce n’est pas dans l’intérêt de la Cour, c’est dans l’intérêt public tel que la disposition préliminaire du Code le prévoit, et ça s’applique aux petites créances évidemment. »[25]

[59]        Commentant la réprimande reçue pour un comportement antérieur semblable, le juge s’exprime ainsi :

« Maintenant, je dois prendre en considération, je l’ai dit aussi tout à l’heure, que malgré que j’en suis conscient de cette tache-là, que je vis avec et que j’essaie en tout temps de m’améliorer de ce côté-là, il n’en demeure pas moins que le Code a aussi changé et lorsqu’on arrive avec cette cause-là en deux mille seize (2016), ce qui n’existait pas en deux mille quatorze (2014) c’est l’obligation pour le juge de tenter de concilier les parties. Ça vient de changer beaucoup de choses.

On m’avait reproché de ne pas vouloir entendre la cause puis rendre jugement. Décision a été rendue, je vis avec. Mais en deux mille seize (2016) la donne a changé, j’ai l’obligation de tenter de concilier les parties si les circonstances s’y prêtent. Malgré la tache que j’ai à mon… malgré la tache que j’ai à mon dossier, bien, j’ai aussi cette obligation dont je dois tenir compte.

Et si je pense que l’avenue de la conciliation compte tenu des circonstances s’y prête, je dois tenter de concilier les parties. Et c’est une avenue qui est toute aussi correcte que celle d’entendre la cause et de rendre jugement, ça en est à mon avis, rendu là. C’est sûr que c’est une surprise pour les justiciables lorsqu’ils arrivent aux petites créances, ils ne s’y attendent pas. »[26]

(Soulignements du présent Comité)

[60]        Invité à expliquer en quoi le rôle du juge aux petites créances a changé avec le nouveau Code de procédure, et ce, tenant compte du fait que l’ancien article 978 prévoyait déjà l’obligation de conciliation du juge aux petites créances, il répond :

« R. Oui, d’abord il y a la disposition préliminaire qui n’existait pas, il y a l’article 9 qui n’existait pas, et on a aussi l’article 26 qui n’existait pas. Bon. Alors, tout ça, ça amène - je ne veux pas parler trop… excusez

Q.  Ca va

R.  Tout ça, ça amène une volonté du législateur de vraiment faire prendre conscience au Tribunal que son rôle a changé. Pas simplement dire : bon bien, si on regarde l’ancien article avec le nouvel article, malgré qu’il y a des différences dans l’expression, là, peut-être quelques petites nuances, bien, à ce moment-là c’est tout du pareil au même et puis il n’y a rien qui a changé.

A mon avis c’est beaucoup plus que cela. C’est beaucoup plus que cela, c’est… je dirais même qu’en matière civile on pourrait aborder les dossiers en conciliation… en médiation. »[27]

[61]        Tel qu‘exposé précédemment, le Comité est conscient que le Code de procédure civile prévoit que le juge doit tenter de concilier les parties si les circonstances s’y prêtent, mais cela ne doit pas être fait au détriment des parties qui veulent être entendues et qui, dans le présent cas, ont démontré clairement qu’elles ne voulaient pas discuter entre elles, ni participer à une conciliation, mais qu’elles voulaient que le procès se tienne.

[62]        Bien que le nouveau Code de procédure civile encourage l’utilisation des modes alternatifs de résolution des conflits, il n’a pas aboli la tenue des procès.

[63]        À l’évidence, malgré la réprimande dont il a fait l’objet, le juge ne comprend pas la portée de ses obligations déontologiques dont les principales sont d’entendre les parties et de rendre jugement. Au contraire, il est convaincu que son attitude est la bonne et il se sent conforter par les dispositions du nouveau Code de procédure civile.

[64]        Le Comité reconnaît que la loi lui donne peu d’alternatives : une réprimande ou une recommandation de destitution.

[65]        Comme le juge Hébert le souligne, le Comité réalise qu’une recommandation de destitution est sévère, et ce, tenant compte du fait que le juge a eu une seule réprimande auparavant. Il s’agit en effet de la sanction ultime.

[66]        Toutefois, devant un juge qui refuse manifestement d’exercer la charge qui lui est assignée, à savoir siéger à la Division des petites créances, et, par voie de conséquence, refuse d’exercer la fonction pour laquelle il a été nommé une seule conclusion s’impose : la destitution.

[67]        Cette conclusion s’impose en raison du témoignage du juge devant le Comité par lequel il confirme sa conviction que son interprétation du Code de procédure civile est la seule acceptable et doit prévaloir, celle-ci justifiant alors sa façon de procéder.

[68]        Pour reprendre les mots du juge Hébert, le Comité a « l’intime conviction que le juge visé ne peut d’aucune façon continuer à exercer ses fonctions et que le principe d’inamovibilité des juges ne s’applique plus à lui ».

[69]        Faut-il le rappeler : un justiciable a décidé de ne plus poursuivre son recours parce que le juge ne voulait pas entendre la cause et, un an plus tard, un autre justiciable se voit condamner aux frais du jour parce que le juge ne veut pas entendre la cause?

[70]        En recommandant la destitution, le Comité n’entend pas punir le juge visé mais veille plutôt à l’intégrité de l’ensemble de la magistrature.

 

CONCLUSION

 

[71]        Le Comité d'enquête recommande au Conseil de la magistrature de demander la destitution du juge conformément à l'article 95 de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

 

 

 

 

__________________________________

_____________________________________

Mme la juge Danielle Côté

Juge en chef adjointe

Présidente du Comité

Me Odette Jobin-Laberge, Ad. E.

 

 

 

 

__________________________________________

M. Cyriaque Sumu

 

 


C A N A D A

 

PROVINCE DE QUÉBEC

COMITÉ D'ENQUÊTE DU

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE

 

 

2015-CMQC-105

Québec, le 1er février 2017

 

 

 

PLAINTE DE :

 

 

Monsieur Marcel Drolet

 

 

 

À L'ÉGARD DE :

 

 

Monsieur le juge R. Peter Bradley

 

 

 

 

 

 

RAPPORT DU COMITÉ D'ENQUÊTE

 

OPINION DU JUGE PIERRE E. AUDET, dissident sur la sanction

 

[1]           J’ai pris connaissance de l’opinion tant de la majorité qui recommande la destitution du juge que celle du juge Hébert, qui retient plutôt comme sanction la réprimande.

[2]           Pour les motifs ci-après exposés, je souscris à l’opinion de la majorité sur sa présentation factuelle et sa conclusion quant aux manquements déontologiques identifiés. Les reproches à l’endroit du juge sont manifestement sérieux, ils méritent sanction. Toutefois, je ne peux me convaincre que pour une deuxième récidive, il faille proposer la sanction capitale, soit la destitution. À cet égard, je souscris à l’opinion exprimée et à la sanction proposée par le juge Hébert.

[3]            Je crois opportun d’ajouter les quelques commentaires supplémentaires.

[4]           Un juge à la Division des petites créances doit tenter de concilier les parties et non les contraindre contre leurs volontés. Encourager ces dernières à aller négocier à l’extérieur de la salle d’audience est certes une avenue intéressante lorsque les circonstances s’y prêtent et que les parties sont disposées à le faire. Il en est de même pour l’obligation du juge de tenter de concilier les parties à l’audience, si les circonstances s’y prêtent. Encourager n’est pas contraindre, le verbe peut se faire convainquant mais non contraignant. 

[5]           En l’espèce, il est manifeste que le juge a franchi la ligne de démarcation entre convaincre et contraindre. Les parties ayant refusé de négocier ou de participer à la démarche du juge, elles se sont retrouvées devant un juge qui ne souhaitait visiblement pas les entendre. S’il est du devoir du juge de soulever les lacunes dans la preuve des parties (art. 268 C.p.c.), il doit le faire judiciairement, il ne peut se substituer aux parties. Il doit, au besoin, ajourner la cause et leur permettre de la compléter à une audience ultérieure. 

[6]           D’ailleurs, obliger les parties à reprendre le tout devant un autre juge dans de telles circonstances, la réclamation en litige était de moins de 500, 00$, va à l’encontre du principe de proportionnalité édicté à l’article 18 C.p.c. qui vaut autant pour les parties que pour le juge :

                         18.  Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la demande.

  

                   Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit l’étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu’ils ordonnent ou autorisent doivent l’être dans le respect de ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice.

[7]           En l’espèce, malgré les violations flagrantes du juge de ses obligations déontologiques, celles des articles 1 et 6 du Code de déontologie de la magistrature, et  bien qu’il s’agisse au surplus, d’une récidive, il est permis d’espérer que le juge s’amendera à l’avenir et qu’il révise sa «conception» de la volonté du législateur de favoriser le règlement à l’amiable des litiges. Sa «conception» semble d’ailleurs le conduire à nier l‘existence du droit des parties à une audition publique et impartiale devant un juge consacrée à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[28].

[8]           Malgré la gravité des manquements déontologiques, je partage l’opinion du juge Hébert au regard de la sanction proposée. Comme lui, je déplore par ailleurs l’impossibilité de sanctions alternatives ou intermédiaires susceptibles d’accompagner le juge dans sa réhabilitation. Une récidive de plus, la voie sera alors tracée pour la sanction ultime.

 

 

 

_____________________________________

 

Honorable PIERRE E. AUDET, J.C.Q.

 

 

 

 


C A N A D A

 

PROVINCE DE QUÉBEC

COMITÉ D'ENQUÊTE DU

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE

 

 

2015-CMQC-105

Québec, le 1er février 2017

 

 

 

PLAINTE DE :

 

 

Monsieur Marcel Drolet

 

 

 

À L'ÉGARD DE :

 

 

Monsieur le juge R. Peter Bradley

 

 

 

 

 

 

RAPPORT DU COMITÉ D'ENQUÊTE

 

OPINION DU JUGE MARTIN HÉBERT, dissident sur la sanction

 

 

[1]           La trame factuelle est claire et la violation des obligations déontologiques du juge l’est tout autant. À cet égard, je partage l’opinion de mes collègues.

[2]           Cela dit, même en considérant qu’il s’agit d’une récidive, je ne parviens pas à me convaincre que la recommandation de destitution soit une mesure qui satisfait au critère de la proportionnalité en regard des circonstances propres à l’affaire. Or, il s’agit là d’une considération fondamentale en matière de sanction. Dans l’affaire Lacasse[29], la Cour suprême affirme qu’il s’agit d’un « principe cardinal » dans la détermination de la mesure à être mise en application face à un comportement déviant.

[3]           Une sanction doit aussi être juste et équitable en prenant en compte tous les faits pertinents établis par la preuve. Cela répond à un autre critère, celui de l’individualisation. Cet exercice est exigeant et périlleux car il faut éviter que le débat dérive vers une affaire trop personnalisée, nous éloignant de la sorte des seuls faits visés par la plainte pour faire le procès de l’individu.

[4]           Il importe aussi de rappeler que, malgré ses effets pénalisants, l’objectif premier d’une sanction en déontologie n’est pas de punir. À cet égard, dans l’affaire Ruffo[30], la Cour suprême s’exprime ainsi :

 

Le Comité a donc pour mission de veiller au respect de la déontologie judiciaire pour assurer l'intégrité du pouvoir judiciaire. La fonction qu'il exerce est réparatrice, et ce à l'endroit de la magistrature, non pas du juge visé par une sanction. Sous cet éclairage, au chapitre des recommandations que peut faire le Comité relativement aux sanctions à suivre, l'unique faculté de réprimander, de même que l'absence de tout pouvoir définitif en matière de destitution, prennent tout leur sens et reflètent clairement, en fait, les objectifs sous-jacents à l'établissement du Comité: ne pas punir un élément qui se démarque par une conduite jugée non conforme mais veiller, plutôt, à l'intégrité de l'ensemble.

[5]           L’imposition d’une sanction doit donc porter un message de réprobation d’une conduite fautive en visant la dissuasion et l’exemplarité pour éviter la répétition d’actes qui portent atteinte à la dignité de l’institution et à l’ensemble de la magistrature.

[6]           Le choix de la mesure à mettre en application n’est jamais facile. Il l’est d’autant moins face à une fourchette qui, à l’évidence, manque de dents. Elle n’en a que deux : la réprimande ou la destitution. En vertu des dispositions de la loi, le choix s’arrête là. On peut le déplorer mais on doit appliquer la loi.

[7]           Pour retenir la voie de la destitution, il faut atteindre l’intime conviction que le juge visé ne peut d’aucune façon continuer à exercer ses fonctions[31] et que le principe d’inamovibilité des juges ne s’applique plus à lui[32]. Force est de reconnaître que la mesure est drastique et même fatale.

[8]           Dans son ouvrage sur la déontologie judiciaire[33], le professeur Noreau fait état des cas, plutôt rares, où il y a eu une recommandation de destitution d’un juge.

[9]           À la lumière des précédents qui y sont évoqués, on constate que la sévérité de la mesure exige une grande circonspection pour ne l’appliquer que dans les situations de gravité fort exceptionnelle. Or, sans banaliser de quelque façon les manquements déontologiques du juge en l’espèce, il faut reconnaître qu’ils n’appartiennent pas à cette catégorie.

[10]        À l’opposé, il y a la réprimande. Je reconnais d’emblée que ce choix ne pèche pas par excès de sévérité. Il s’agirait ici pour le juge d’une seconde réprimande. Sans présumer de l’avenir, on peut raisonnablement espérer que cela sonne l’alarme de façon à ce que le juge amende sa conduite sans délai.

[11]        À cet égard, il est manifeste que ce dernier comprend mal son rôle en occultant ses responsabilités d’adjudicateur pour se limiter à tenter de concilier les parties avec une insistance démesurée et des propos déplacés. À ce sujet spécifique, mes collègues auront raison d’affirmer que les nouvelles règles de procédure civile favorisant la conciliation ne doivent pas servir de prétexte pour ne pas entendre une cause. En l’espèce, le juge prend indûment appui sur cette réforme pour justifier sa conduite. Une dose d’autocritique s’impose de sa part.

[12]        Devant pareil constat, on peut légitimement se demander si, au-delà des mesures disciplinaires, d’autres avenues pourraient être envisagées pour mieux encadrer la pratique judiciaire du juge ? Il y a possiblement matière à réflexion pour l’avenir puisque même s’il faut réprimer une conduite fautive au nom des impératifs déontologiques, on peut aussi penser à aménager un espace de réhabilitation, dans des limites du raisonnable et de l’acceptable. La déontologie c’est aussi tenter de faire mieux.

[13]        Quoi qu’il en soit, dans le présent cas et face aux fautes commises, incluant le volet de la récidive, je suis d’avis que la destitution ne constitue pas une sanction équitable, juste et proportionnelle. Eu égard au choix de mesures dont dispose le Conseil de la magistrature, je recommande plutôt une réprimande.

 

 

 

 

 

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Honorable MARTIN HÉBERT, Président

Tribunal des professions

 

 

 

 



[1]     Voir les notes sténographiques, p. 7 à 12.

[2]     Voir les notes sténographiques, p. 33 à 36 et 43.

[3]     Voir les notes sténographiques, p. 32, 44, 47, 52, 56 et 57.

[4]     Voir les notes sténographiques, p. 46 à 48.

[5]     Voir notes sténographiques, p. 49.

[6]     Voir notes sténographiques, pp. 54 à 57.

[7]     Voir notes sténographiques, p. 58.

[8]     Voir notes sténographiques, p. 41-44.

[9]     Voir notes sténographiques, p. 38.

[10]    Voir notes sténographiques, p. 49 à 53.

[11]    Voir notes sténographiques, p. 50.

[12]    Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 43.

[13]    Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 50.

[14]    Voir notes sténographiques, p. 70-71.

[15]    Voir notes sténographiques, p. 71.

[16]    Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 53-54.

[17]    Art. 9, 540 et 560 C.p.c.

[18]    2012 QCCMAG 62.

[19]    2014 CMQC 057, 2014 CMQC 061, 2014 CMQC 066 et 2014 CMQC 093

[20]    Idem, paragr. 40.

[21]    Idem, paragr. 41.

[22]    Idem, paragr. 42.

[23]    Idem, paragr. 45.

[24]    Règlement établissant un projet pilote de médiation obligatoire pour le recouvrement des petites créances découlant d’un contrat de consommation, chapitre C-25.01, r.1.

[25]    Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 60.

[26]    Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 62-63.

[27]    Voir témoignage du juge devant le Comité, notes sténographiques, p. 76.

[28]            RLRQ. C. C-12

[29]           R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.

[30]           Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, p. 309.

[31]           Ministre de la justice et Crochetière, CM-8-93-37 (enquête).

[32]           Lapointe et Ruffo, CM-8-88-37 (enquête).

[33]           NOREAU, Pierre, Emmanuelle Bernheim. « La déontologie judiciaire appliquée », 3e édition, Wilson & Lafleur, 2013, p. 107.

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