Décision

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Gabarit EDJ

Astral Media Affichage c. Montréal (Ville de)

2016 QCCS 4541

JB-3976

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

N° :

500-17-066207-112

 

 

 

 

DATE :

22 septembre 2016

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

ASTRAL MEDIA AFFICHAGE

-et-

INDUSTRIES JIM PATTISON LTÉE

-et-

CBS CANADA HOLDINGS CO.

Demanderesses / Défenderesses reconventionnelles

-et-

OUTFRONT MEDIA CANADA LP

Demanderesse en reprise d'instance / Défenderesse reconventionnelle en reprise d'instance

-et-

IRWIN H. LANDE

-et-

GLENN J. FELDMAN

Demandeurs

c.

VILLE DE MONTRÉAL

Défenderesse / Demanderesse reconventionnelle

-et-

PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LP

Intervenante

 

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Confrontés à une prohibition totale de la présence de panneaux-réclames sur le territoire de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal (« l’arrondissement »), Astral Média Affichage S.E.C., Industries Jim Pattison Ltée et Outfront Media Canada LP (« les demanderesses ») demandent, notamment, une déclaration d'inconstitutionnalité des règlements municipaux l'établissant.  Ces entreprises ainsi que Irwin H. Lande et Glenn J. Feldman, (« les demandeurs ») ces derniers à titre de propriétaires d'immeubles louant des emplacements pour accueillir ces panneaux-réclames, requièrent des condamnations de 100 000 $ et 25 000 $ respectivement à titre de dommages punitifs pour la violation intentionnelle de leurs droits.

[2]           La Ville de Montréal s'oppose à ces demandes et requiert la démolition de ces infrastructures.

[3]           Afin de bien situer le débat, il importe de reprendre les conclusions substantives recherchées :

DÉCLARER que l'arrondissement Plateau-Mont-Royal ne peut prohiber totalement sur son territoire les enseignes publicitaires et plus particulièrement les panneaux-réclames (panneaux publicitaires);

DÉCLARER que l'arrondissement Plateau-Mont-Royal ne peut forcer l'enlèvement des enseignes publicitaires, incluant les panneaux-réclames (panneaux publicitaires) légalement érigés sur son territoire, à moins d'une expropriation à des fins municipales;

DÉCLARER que l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal numéro 01-277, tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement numéro 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement numéro 2010-14, de même que les articles 13 et 14 du Règlement numéro 2010-14 venus modifier la section X du chapitre I du titre VII du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal numéro 01-277 sont nuls parce qu'ultra vires des pouvoirs conférés par la Loi au conseil d'arrondissement du Plateau-Mont-Royal et au surplus, adoptés de mauvaise foi et déraisonnables;

DÉCLARER que l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal numéro 01-277, tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement numéro 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement numéro 2010-14, de même que les articles 13 et 14 du Règlement numéro 2010-14 venus modifier la section X du chapitre I du titre VII du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal numéro 01-277 sont nuls et inconstitutionnels parce que contrevenant au droit à la liberté d'expression prévu à l'article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, ainsi qu'au droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens prévu à l'article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne;

DÉCLARER que les certificats d'autorisation P-22 et P-23 émis par l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal à l'égard de 44 panneaux-réclames des demanderesses ne sont pas périmés, ont créé une expectative légitime et permettent ainsi le maintien de ces panneaux-réclames sans que ne leur soit opposable l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal numéro 01-277 tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement numéro 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement numéro 2010-14;

DÉCLARER que les Règlements numéro 2010-10 et numéro 2010-14 de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal ne sont pas conformes au Plan d'urbanisme P-52 de la Ville défenderesse;

DÉCLARER que la Décision déléguée numéro DA100524045 datée du 21 décembre 2010 (P-40) du Directeur de la Direction du développement économique et urbain du service du Développement et des opérations de la Ville défenderesse n'a pas respecté les règles d'équité procédurale;

DÉCLARER nuls la Décision déléguée DA100524027 datée du 20 juillet 2010 (P-50) du Chef de division de la Direction du développement économique et urbain du service du Développement et des opérations de la Ville défenderesse concernant la conformité du Règlement no 2010-10 au Plan d'urbanisme P-52 et la Décision déléguée numéro DA 100524045 datée du 21 décembre 2010 (P-40) du Directeur de la Direction du développement économique et urbain du service du Développement et des opérations de la Ville concernant la conformité du Règlement no 2010-14 au Plan d'urbanisme P-52, ainsi que les certificats de conformité qui en découlent émis respectivement les 23 décembre 2010 et 21 juillet 2010 par la greffière adjointe de la Ville défenderesse (P-51 et P-41);

DÉCLARER par conséquent que les Règlements numéro 2010-10 et numéro 2010-14 de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal ne sont jamais entrés en vigueur;

CONDAMNER la défenderesse à payer à la demanderesse Astral Media Affichage, s.e.c., à la demanderesse en reprise d'instance Outfront Media Canada LP et à la demanderesse Industries Jim Pattison ltée chacune un montant de 100 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires et à payer aux demandeurs Irwin H. Lande et Glenn J. Feldman chacun un montant de 25 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires, le tout avec intérêt et indemnité additionnelle à compter de l'assignation.


1.       LES FAITS

            1.1.      La nature des entreprises commerciales

[4]           Astral, Pattison et Outfront exploitent des entreprises d'affichage publicitaire extérieur dans plusieurs villes du Canada dont Montréal, depuis de nombreuses années, certaines depuis une centaine d'années.  Elles permettent à leurs clients de louer des espaces publicitaires qui se trouvent sur des structures leur appartenant le long des voies de circulation afin que ceux-ci diffusent des messages de toute nature, tant commerciale, sociale, charitable, religieuse que politique.  Elles offrent aussi, gratuitement, certains espaces publicitaires à des organismes sans but lucratif ainsi qu'au ministère des Transports du Québec.

[5]           On retrouve en permanence la raison sociale de leurs entreprises sur les enseignes publicitaires.  Certaines, plus petites, en l'occurrence 2,5 mètres carrés ou moins constituent des modules publicitaires communément appelés du mobilier urbain généralement installés sur le domaine public alors que les enseignes publicitaires de plus de 2,5 mètres carrés constituent des panneaux publicitaires qui logent sur des immeubles avec l'autorisation des propriétaires concernés.

[6]           Ces constructions se trouvent portées au rôle d'évaluation foncière de la Ville et font l'objet d'une taxe foncière sur les immeubles non-résidentiels, d'une taxe spéciale relative au service de l'eau, d'une taxe spéciale relative au service de la voirie et d'une taxe municipale spéciale sur les installations publicitaires[1] ainsi qu'une taxe scolaire sur les panneaux publicitaires[2].

[7]           Outfront exploite 14 panneaux-réclames sur le territoire de l'arrondissement, Astral 16 et Pattison 8.[3]  Vingt-cinq (25) de ces panneaux horizontaux mesurent 10 pieds par 20 pieds; onze (11) verticaux mesurent 12 pieds par 16 pieds et deux (2) horizontaux mesurent 14 pieds par 48 pieds.  Un plan établit la localisation des panneaux-réclames[4].

[8]           Les tarifs publicitaires et la mesure de l'impact global d'une campagne publicitaire en affichage extérieur tiennent compte du niveau de visibilité mesurée en point d'exposition brut (PEB) qui correspond à 1% de la population de 5 ans et plus d'une zone géographique donnée tel que déterminé par le Bureau canadien d'évaluation de la publicité extérieure (COMB).


1.2       Le contexte réglementaire

[9]           L'article 424 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement du Plateau Mont-Royal, numéro 01-277[5] énonce :

424.      Une enseigne est accessoire à un usage et doit être installée sur le lieu de l'établissement ou de l'immeuble qui est annoncé.

[10]        La définition du terme « enseigne publicitaire » dans le Règlement d'urbanisme  se lit ainsi :

425.      Une enseigne publicitaire est une enseigne constituant un usage principal et qui peut être située ailleurs qu'au lieu de l'établissement, du produit, du service ou de l'immeuble annoncé.

[11]        Avant son abrogation le 21 juillet 2010, le chapitre III du titre V du Règlement d'urbanisme concernant les « enseignes publicitaires » définissait aux articles 500 et 508 deux types d'« enseignes publicitaires », les « modules publicitaires », communément appelés mobilier urbain, en l'occurrence des enseignes publicitaires d'au plus 2,5 mètres carrés, ou les « panneaux publicitaires » et les « panneaux publicitaires autoroutiers », communément appelés dans les deux cas panneaux-réclames, d'une superficie supérieure à 2,5 mètres carrés[6].

1.2.1   L'historique réglementaire.

[12]        Dans un sommaire décisionnel du 11 mai 2010 et une recommandation de la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises (DAUSE) du 26 mai 2010 préparés au soutien de l'adoption du projet de Règlement P-14[7], on constate que celle-ci propose de :

1. Préparer un inventaire détaillé de toutes les enseignes publicitaires présentes sur le territoire de l'arrondissement, avec l'aide d'étudiants ;

2. Remplacer les anciens permis émis, par de nouveaux certificats d'autorisation, afin de permettre le maintien des enseignes publicitaires sur le territoire, tout comme l'opération effectuée en 2005, lors de l'intégration de nouvelles dispositions réglementaires concernant l'affichage commercial de l'arrondissement.

[13]        Puis le compte-rendu de la réunion du 22 mai 2010[8] du comité consultatif d'urbanisme fait état qu'avant même l'adoption du Règlement P-14, la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de l'arrondissement recevait le mandat « d'éliminer les enseignes publicitaires sur l'ensemble du territoire de l'arrondissement » et que :

À terme, le retrait des enseignes publicitaires sur l'ensemble du territoire permettra d'éliminer les nuisances visuelles dans l'arrondissement reliées à :

-       La grande superficie des panneaux publicitaires;

-       La luminosité des enseignes publicitaires;

-       L'encombrement du paysage urbain.

[14]        Les demanderesses affirment que jamais on ne les consulte sur cette stratégie.

[15]        Le 5 juillet 2010, le conseil d'arrondissement du Plateau-Mont-Royal adopte le Règlement no 2010-10 modifiant le Règlement d'urbanisme (01-277), le Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (R.R.V.M., c. C-3.2) et le Règlement sur les tarifs de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal (2009-14) afin d'interdire les enseignes publicitaires sur l'ensemble du territoire de l'arrondissement[9].

[16]        Dans le préambule de la résolution CA10 25 0210[10], on lit que ce règlement résulte de la volonté de l'arrondissement d'« interdire toutes les enseignes publicitaires sur l'ensemble de son territoire afin d'éviter l'augmentation des nuisances visuelles qui y sont reliées ».

[17]        Ce règlement P-14 entre en vigueur le 21 juillet 2010[11].

[18]        Son article 1 introduit un nouvel article 487.1 au Règlement d'urbanisme qui prohibe toute enseigne publicitaire sur l'ensemble du territoire de l'Arrondissement, sauf quelques exceptions :

487.1    Toute enseigne publicitaire est prohibée sur l'ensemble du territoire, à l'exception d'une enseigne publicitaire visée par les chapitres IV et V du titre V du présent règlement.

Toutefois, une enseigne publicitaire existante peut être maintenue, même si elle est prohibée par l'alinéa précédent, si elle était conforme à la réglementation avant l'entrée en vigueur du présent article ou, si elle n'y était pas conforme, elle était protégée par droits acquis.  Une telle enseigne ne peut être modifiée, déplacée ou remplacée.


[19]        Ces exceptions[12] visent :

Ø  les enseignes publicitaires temporaires qu'autorise par ordonnance le conseil d'arrondissement lors d'événements[13];

Ø  les enseignes publicitaires intérieures, les enseignes publicitaires formées exclusivement de plantes vivantes, les enseignes publicitaires sur un véhicule routier au bénéfice de son propriétaire, les enseignes publicitaires non visibles depuis une voie publique, un parc ou un immeuble voisin[14];

Ø  les affiches publicitaires temporaires sur un module d'affichage libre spécifiquement destiné à cette fin par la Ville et les affiches publicitaires sur une palissade de chantier[15].

[20]        Pour les demanderesses, les enseignes publicitaires visées par ces exceptions ne répondent pas aux caractéristiques normales des panneaux-réclames exploités par une entreprise d'affichage extérieur dans le cadre de ses activités commerciales.

[21]        L'article 2 du Règlement 2010-10 abroge l'ensemble des règles applicables à la construction de nouvelles enseignes publicitaires prévues aux articles 488 à 515 du Règlement d'urbanisme.

[22]        Avant cette abrogation, sujettes au respect de certaines conditions, la Ville permettait les nouvelles enseignes publicitaires dans les zones industrielles, commerciales ou institutionnelles autorisant certains usages[16].

[23]        Soulignons qu'en vertu de l'article 660 du Règlement d'urbanisme (P-16), le Règlement 2010-10 (P-14) ne modifie pas les règles applicables à l'égard des enseignes publicitaires dérogatoires prévues à la section X du chapitre I du titre VII déjà modifiées en 2006 :

Section X

Enseignes et enseignes publicitaires dérogatoires

660.      Une enseigne ou une enseigne publicitaire non-conformes au présent règlement peuvent être réparées.

Les droits acquis à une enseigne ou enseigne publicitaire dérogatoire se perdent dans les situations suivantes :

1.        Lorsqu'un nouvel exploitant occupe un établissement;

2.        Lorsque qu'une enseigne ou enseigne publicitaire est modifiée, déplacée, remplacée ou enlevée.

[24]        Les articles 3 à 8 du Règlement 2010-10 (P-14) modifient les articles 9 à 13 du Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis[17] pour exiger l'obtention, dans les trente jours de son entrée en vigueur d'un nouveau certificat d'autorisation afin de permettre le « maintien » des enseignes publicitaires légalement érigées sur le territoire de l'arrondissement.  L'article 10 du Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis énonce cette obligation :

10.        Il est interdit de maintenir une enseigne publicitaire, tel qu'autorisé par l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal (01-277), sans l'obtention d'un certificat d'autorisation permettant ce maintien.  Le certificat d'autorisation doit avoir fait l'objet d'une demande déposée au plus tard trente (30) jours après l'entrée en vigueur du présent article.

[25]        Notons que l'article 8 du Règlement numéro 2010-10 (P-14) remplace l'article 13 du Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (P-17) par le libellé suivant:

13.        Un certificat d'autorisation d'enseigne publicitaire est périmé dans l'un ou l'autre des cas suivants :

1.   l'enseigne publicitaire pour laquelle le certificat d'autorisation a été délivré est modifiée, remplacée ou enlevée en contravention à ce certificat d'autorisation;

[26]        Le 4 août 2010, l'arrondissement émet d'abord, de sa propre initiative, des certificats d'autorisation à l'égard de 43 des 45 panneaux-réclames des demanderesses existant à l'époque, par l'entremise de Claude Laurin, chef de la division Urbanisme, patrimoine et services aux entreprises de l'arrondissement[18].

[27]        Quant au 44e panneau-réclame, Astral demande, le 8 octobre 2010, et obtient, le 14 janvier 2011, un certificat d'autorisation de la part de l'arrondissement pour ce seul panneau-réclame omis par l'arrondissement dans sa lettre du 4 août[19].

[28]        Ainsi, toutes les demanderesses considéraient qu'il s'agit alors d'une reconnaissance expresse à l'existence de leurs droits acquis à l'exploitation de 44 de leurs 45 panneaux-réclames existant à l'époque.

[29]        Pour elles, le 45e panneau-réclame situé sur le territoire de l'arrondissement sis sur le boulevard Saint-Laurent à l'intersection sud-est de la voie ferrée du Canadien Pacifique, propriété d’Outfront, bénéficie également de droits acquis vu son érection en 1957 en toute légalité.

[30]        Pour le sommaire décisionnel du 4 août 2010 (P-25), on note que l'adoption de ce projet de Règlement P-24 s'inscrit dans le cadre d'une « stratégie » proposée le 12 mai 2010 par le comité consultatif d'urbanisme de l'arrondissement « visant à terme, l'enlèvement des panneaux publicitaires sur l'ensemble du territoire de l'arrondissement ».

[31]        Le 7 septembre 2010, par la résolution CA10 25 0269 et le projet de Règlement 2010-14[20], à la grande surprise des demanderesses et, selon elles, sans avis ou consultation, le conseil d'arrondissement adopte le projet de Règlement no 2010-14 modifiant le Règlement d'urbanisme (01-277), le Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (R.R.V.M., c. C-3.2) et le Règlement sur les tarifs de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal (2009-14) afin de fixer un délai pour l'enlèvement des enseignes publicitaires dérogatoires sur l'ensemble du territoire de l'arrondissement visant à « mettre fin aux droits acquis et d'obliger l'enlèvement des enseignes publicitaires existantes ».

[32]        L'article 487.1 du Règlement d'urbanisme, entré en vigueur un mois plus tôt au moyen du Règlement P-14, se trouve modifié par l'article 12 de ce projet de Règlement P-24 afin de remplacer la reconnaissance expresse des droits acquis aux enseignes publicitaires érigées légalement contenue à son deuxième alinéa, par une obligation d'enlever toutes les enseignes publicitaires existantes dans les douze mois de l'entrée en vigueur du projet de Règlement P-24 :

12. L'article 487.1 de ce règlement est modifié par le remplacement de son deuxième alinéa par le suivant :

L'interdiction édictée au premier alinéa s'applique également aux enseignes publicitaires existantes, lesquelles doivent être enlevées dans les douze (12) mois de l'entrée en vigueur du présent alinéa.

[33]        De plus, les articles 13 et 14 du projet de Règlement P-24 viennent retirer de l'article 660 du Règlement d'urbanisme toute référence aux enseignes publicitaires dérogatoires, ce qui, selon les demanderesses, permettait avant cet amendement de « réparer » ces enseignes publicitaires dérogatoires et de « remplacer » leur support et leur contenu.

[34]        Le projet de Règlement (P-24) vient en même temps abroger la totalité de la section III du Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (P-18) concernant les certificats d'autorisation d'enseigne ainsi que le tarif correspondant prévu au paragraphe 3 du premier alinéa de l'article 4 du Règlement sur les tarifs de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal - exercice financier 2010 (P-20), alors en vigueur que depuis un peu plus d'un mois.

[35]        Dans le préambule de la résolution numéro CA10 25 0269 (P-24), ainsi que du sommaire décisionnel daté du 4 août 2010 et de la recommandation de la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de l'arrondissement datée du 26 août 2010 préparés au soutien de l'adoption du projet de Règlement P-24[21], l'arrondissement affirme détenir « le pouvoir de mettre fin aux droits acquis et d'obliger l'enlèvement des enseignes publicitaires existantes sur son territoire ».

[36]        Le 7 septembre 2010, le cabinet du maire de l'arrondissement émet un communiqué qu'il importe de citer en entier ici :

Montréal, le 7 septembre 2010 - Les élus du Plateau-Mont-Royal seront appelés à voter ce soir une résolution visant l'enlèvement des enseignes publicitaires sur l'ensemble du territoire de l'arrondissement. « Nous voulons construire une ville à échelle humaine et cette décision nous permettra d'améliorer la qualité de vie de nos citoyens sans avoir d'incidence significative sur les revenus de la Ville », a déclaré le maire de Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez.  En effet, les 45 panneaux publicitaires géants sur Le Plateau ne rapportent que 40 000 $ par année en taxes à la Ville, ce qui est une somme risible en contrepartie des impacts de ces panneaux sur le territoire.

Des peanuts

« Chaque panneau rapporte moins de 1000 $ par année en taxes à la Ville centre. C'est des peanuts par rapport à l'importance qu'ils ont dans nos vies de tous les jours et par rapport aux profits que réalisent ces grandes entreprises », a dénoncé Alex Norris, conseiller du Mile End et responsable du dossier. « Les principaux bénéficiaires de cet arrangement sont une poignée de puissantes entreprises publicitaires.  Les perdants, ce sont les citoyens qui doivent regarder ces laideurs au quotidien.  C'est un très mauvais deal pour les Montréalais », a-t-il poursuivi.  Advenant l'adoption du règlement, les 45 panneaux publicitaires sur le territoire du Plateau-Mont-Royal devront être démantelés, aux frais des exploitants, au cours des 12 mois suivant son entrée en vigueur, prévue pour novembre prochain.

Embellissement du Plateau Mont-Royal

« Nous avons toujours souhaité réduire la pollution visuelle; c'est un engagement que nous avons pris et nous allons le réaliser, a affirmé Richard Bergeron, conseiller de Jeanne-Mance et chef de la 2e opposition.  Si nous voulons embellir notre ville, nous devons retirer les laideurs qui nous entourent et les panneaux publicitaires en font partie ».  Le retrait des enseignes publicitaires permettra de réduire les nuisances visuelles dans l'arrondissement reliées à leur grande superficie, leur luminosité et l'encombrement du paysage urbain. « Avec cette décision, nous améliorerons les entrées et les sorties de notre arrondissement », a indiqué Richard Bergeron.

Un défi aux autres arrondissements et aux autres villes

Le Vermont, le Maine, Hawaï et l'Alaska ont banni depuis plusieurs années les affiches publicitaires.  C'est le cas aussi de la ville de Sao Paulo, au Brésil, la septième plus grande ville du monde et la capitale commerciale de l'Amérique du Sud.  Les avantages du retrait des panneaux-réclames sont nombreux : mise en valeur du patrimoine naturel et architectural, maintien du rythme du paysage urbain et rétablissement du prestige de certaines grandes avenues montréalaises, comme du Parc et Papineau.

La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme permet aux arrondissements et aux villes de retirer les panneaux publicitaires.  « Nos recherches nous indiquent qu'aucune ville canadienne et aucun arrondissement montréalais n'ont encore agi de façon aussi complète pour bannir et faire enlever les panneaux-réclames de leur territoire.  Je leur lance un défi aujourd'hui : imitez-nous et faisons de Montréal une ville sans panneaux-réclames », a conclu Alex Norris, fier d'améliorer la beauté du Plateau-Mont-Royal.[22]

[37]        Le 12 octobre 2010, les demanderesses mettent en demeure l'arrondissement de ne pas procéder à l’adoption finale du Règlement 2010-14[23].

[38]        Le 22 octobre 2010, puisque selon elles la conformité du Règlement 2010-14 à l'égard du Plan d'urbanisme de la Ville devait éventuellement faire l'objet d'une évaluation par son comité exécutif advenant son adoption, le porte-parole du Regroupement de l'industrie de l'affichage extérieur au Québec écrit au président du comité exécutif, le maire Gérald Tremblay, afin de l'aviser de sa prétendue illégalité et sa non-conformité au Plan d'urbanisme[24].

[39]        Le 30 octobre 2010, les demandeurs Lande et Feldman mettent en demeure l'arrondissement de ne pas procéder à l'adoption finale du Règlement 2010-14[25].

[40]        Le 1er novembre 2010, le conseil d'arrondissement adopte le Règlement 2010-14[26].

[41]        Le 11 novembre 2010, la directrice des communications de la Ville, Christiane Miville-Deschênes, accuse réception de cette lettre par courriel en affirmant que « cette responsabilité relève exclusivement de l'arrondissement » et qu'elle transmet copie de cette lettre à Isabelle Cadrin, directrice de l'arrondissement[27].

[42]        Le même jour, le consultant du Regroupement de l'affichage extérieur au Québec écrit à Miville-Deschênes quant aux responsabilités qui incombent au comité exécutif de la Ville à cet égard[28].  Personne ne reçoit un accusé de réception ou une réponse à l'envoi de cette lettre du 22 octobre 2010.

[43]        Le 21 décembre 2010, le directeur de la Direction du développement économique et urbain du service du Développement et des opérations de la Ville défenderesse, Arnold Beaudin, approuve le Règlement 2010-14 (P-38) comme conforme au Plan d'urbanisme[29].

[44]        Par l'avis public du 13 janvier 2011 du secrétaire de l'arrondissement, les demanderesses apprennent l'émission du certificat de conformité au Plan d'urbanisme daté du 23 décembre 2010[30].

[45]        Le 28 janvier 2011, les demanderesses reçoivent une lettre du 19 janvier 2011 du Chef de la division Permis et inspection de l'arrondissement, Pierre-Paul Savignac, les informant de l'entrée en vigueur du Règlement 2010-14 (P-38) et leur demandant de retirer leurs 45 panneaux-réclames d'ici le 23 décembre 2011[31].

[46]        Les demanderesses déposent leur recours le 20 juin 2011.

2.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[47]        Dans la déclaration commune de dossier complet de 2013, les parties identifient neuf questions en litige :

1.    L'arrondissement Plateau-Mont-Royal peut-il prohiber totalement sur son territoire les enseignes publicitaires et plus particulièrement les panneaux-réclames (panneaux publicitaires)?

2.    L'arrondissement Plateau-Mont-Royal peut-il forcer l'enlèvement des enseignes publicitaires, incluant les panneaux-réclames (panneaux publicitaires) légalement érigées sur son territoire sans procéder à une expropriation à des fins municipales?

3.    L'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'Arrondissement Plateau-Mont-Royal no 01-277, tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement d'amendement no 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement numéro 2010-14, de même que les articles 13 et 14 du Règlement d'amendement no 2010-14 sont-ils nuls et ultra vires, adoptés de mauvaise foi et déraisonnables?

4.    L'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'Arrondissement Plateau-Mont-Royal no 01-277, tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement d'amendement no 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement numéro 2010-14, de même que les articles 13 et 14 du Règlement d'amendement no 2010-14 sont-ils nuls et inconstitutionnels parce que contrevenant au droit à la liberté d'expression prévu à l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, ainsi qu'au droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens prévu à l'article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne?

5.    Les certificats d'autorisation P-22 et P-23 émis par l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal à l'égard de 44 panneaux-réclames des demanderesses ont-ils créé une expectative légitime permettant ainsi le maintien de ces panneaux-réclames sans que ne leur soit opposable l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal numéro 01-277 tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement numéro 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement numéro 2010-14?

6.    Les Règlements numéro 2010-10 et numéro 2010-14 de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal sont-ils conformes au Plan d'urbanisme P-52 de la Ville défenderesse et sinon par conséquent, la Décision déléguée DA100524027 datée du 20 juillet 2010 (P-50) et la Décision déléguée numéro DA100524045 datée du 21 décembre 2010 (P-40), ainsi que les certificats de conformité qui en découlent émis respectivement les 23 décembre 2010 et 21 juillet 2010 par la greffière adjointe de la Ville défenderesse (P-51 et P-41) sont-ils nuls et lesdits règlements jamais entrés en vigueur?

7.    La Décision déléguée numéro DA100524045 datée du 21 décembre 2010 (P-40) a-t-elle respecté les règles d'équité procédurale et sinon par conséquent, cette Décision P-40 ainsi que le certificat de conformité qui en découle émis le 23 décembre 2010 par la greffière adjointe de la Ville défenderesse (P-41) sont-ils nuls et ledit règlement jamais entré en vigueur?

8.    Les demanderesses et les demandeurs ont-ils droit à des dommages-intérêts exemplaires?

9.    La Cour doit-elle ordonner l'enlèvement des panneaux publicitaires?

[48]        Avec égards, le Tribunal en regroupera certaines et les abordera dans un ordre différent.  Ainsi, la première question apparaît recouper certaines autres sans qu'il ne s'avère nécessaire d'en discuter précisément.

3.       L'ANALYSE

            3.1       La prohibition totale

Question 1 : L'arrondissement Plateau-Mont-Royal peut-il prohiber totalement sur son territoire les enseignes publicitaires et plus particulièrement les panneaux-réclames (panneaux publicitaires)?

[49]        De façon générale, une municipalité ne peut interdire à la grandeur de son territoire des activités par ailleurs légales à moins de détenir une autorisation législative à cet égard :

« Lorsque le législateur délègue aux municipalités un pouvoir de réglementation, ceci ne comprend pas le pouvoir de prohiber totalement l'activité que celles-ci peuvent régir (…) C'est une application de la doctrine de l'ultra vires : les municipalités ne peuvent exercer que les pouvoirs expressément conférés.  Toutefois, la prohibition n'est pas interdite si la loi habilitante l'autorise en employant des termes comme « prohiber », «défendre», « supprimer », « interdire », « empêcher » (…) Lorsqu'un tel pouvoir de prohibition existe, le préjudice économique dont peut souffrir un contribuable ne peut être un argument de défense. »[32]

[50]        De plus, la Cour d'appel enseigne qu'une municipalité ne peut en vertu de ses pouvoirs interdire un usage, par ailleurs licite, sur tout son territoire.

[51]        Dans Bureau c. Stoneham et Tewkesbury[33], elle énonce :

51. Si, d'une part, un règlement de zonage peut diviser le territoire en zones et, d'autre part, spécifier, pour chaque zone, les usages prohibés, je ne peux me résoudre à interpréter cette disposition législative comme permettant de prohiber un usage de façon générale sur tout le territoire de la municipalité.

52. Lorsqu'en 1979 le législateur a édicté la Loi qui représentait à l'époque une pièce majeure de législation comportant 269 articles, il connaissait très bien l'état du droit quant à la prohibition pour un conseil municipal d'adopter une réglementation générale interdisant un usage sur tout le territoire.

53. Si, en 1979, le législateur avait voulu contrer cette situation bien fixée par la jurisprudence et permettre qu'un usage soit prohibé dans tout le territoire de la municipalité, il se serait sûrement exprimé autrement qu'il l'a fait à l'article 113 où, outre le paragraphe 3 sur lequel porte la présente étude, on retrouve, dans bon nombre des 22 paragraphes, les mots «pour chaque zone» ou «une zone».

54. Non seulement ne voit-on pas là une indication du législateur de déroger à l'état du droit existant à l'époque, mais plutôt, au contraire, une réaffirmation qu'un règlement de zonage devait bien faire la distinction entre chaque zone quant à la classification des usages.

[52]        Enseignement qu'elle réitère dans Saint-Michel-Archange c. 2419-6388 Québec inc.[34] :

33. L'article de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme précise dorénavant ce pouvoir de prohiber, en obligeant les corporations municipales à spécifier pour chaque zone les constructions et les usages défendus. Cette précision n'a cependant pas pour effet de modifier les pouvoirs municipaux, de façon à permettre aux municipalités de prohiber un usage licite sur l'ensemble de leur territoire, en le prohibant dans chacune des zones. Telle est la conclusion de notre cour dans les arrêts Stoneham et Tewkesbury (Corp. municipale des cantons unis de) c. Sablière C.D.R. Inc., J.E. 90-1591, (C.A. Qué. 200-09-000027-898, 1990-10-24) et Stoneham et Tewkesbury (Corp. municipale des cantons unis de) c. Bureau, J.E. 90-1592,  (C.A. Qué. 200-09-000512-886, 1990-10-241).

[53]        Cependant, la jurisprudence reconnaît la légalité des prohibitions partielles en matière de zonage.  Dans McCaughry c. Lac-Etchemin (Municipalité de)[35], elle réaffirme que :

10. L'appelant soutient que la réglementation municipale prohibant l'utilisation des roulottes sur son territoire est ultra vires puisque la prohibition est, en pratique, complète et que, pour ce faire, la Municipalité avait besoin d'une autorisation législative. En raison de cette prétendue illégalité, l'appelant est d'avis que la juge se méprend quand elle conclut que le règlement est valide et lui est opposable.

11. L'appelant se trompe sur ce point. La juge n'a pas erré en refusant d'invalider le règlement limitant l'usage des roulottes sur le territoire de la Municipalité et en le déclarant opposable à l'appelant.

12. Le règlement 634-2000 permet, exceptionnellement, l'installation de roulottes sur les terrains de camping ainsi que, sur certains lots, à titre d'usage temporaire et accessoire à des fins d'habitation (art. 18.3.2.1 et 18.3.2.3). La validité du règlement n'est pas affectée par le fait qu'aucun terrain de camping n'existe sur le territoire de la Municipalité au moment du litige, ou encore parce que le lot de l'appelant ne se qualifie pas pour un usage permissible (voir St-Michel-Archange (Municipalité de) c. 2419-6388 Québec inc. [1992] R.J.Q. 875, 883 (CA)). Le règlement est, à ce titre, pleinement opposable à l'appelant.

[54]        Dans 9034-8822 Québec inc. c. Ville de Sutton[36], cette même Cour expose que :

42. Même si les articles 13.2.2 (fortes pentes) et 13.6.1 (coupe en altitude) énoncent des interdictions d'abattage, ils ne sont pas invalides pour autant. D'une part, comme l'a signalé avec justesse le juge, ces dispositions n'ont pas pour effet d'interdire toute coupe forestière sur l'ensemble du territoire municipal. Il aurait pu également ajouter qu'elles n'ont pas non plus pour conséquences d'empêcher toute exploitation forestière des propriétés des appelantes.

43. Par ailleurs, considéré dans son ensemble, le chapitre 13 relatif à l'abattage ne peut être considéré comme constituant un texte juridique purement prohibitif, même s'il contient des interdictions précises. Son interprétation globale permet de conclure qu'il ne contrevient pas au principe fondamental du droit municipal selon lequel un règlement ne peut être prohibitif et discriminatoire à moins que la loi habilitante ne l'autorise. Il est reconnu, en effet, que le pouvoir de réglementer une activité comporte le pouvoir d'en prohiber certains aspects sous peine de sanctions.

[55]        L'article 113, paragraphe 14 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (LAU)[37] précise les pouvoirs de l'arrondissement, par l'effet de l'article 131 de la Charte de la Ville de Montréal[38], à l'égard des affiches, panneaux-réclames et enseignes :

113. Le Conseil d'une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l'ensemble ou une partie de son territoire.

Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants:

(…)

14. Régir, par zone, la construction, l'installation, le maintien, la modification et l'entretien de tout affiche, panneau réclame ou enseigne déjà érigé ou qui le sera à l'avenir.

[56]        Pour les demanderesses, le premier alinéa de l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme P-12, tel qu'adopté par l'article 1 du Règlement 2010-10 (P-14) et modifié par l'article 12 du Règlement 2010-14 (P-38) constitue un exercice ultra vires des pouvoirs conférés à l'arrondissement par le paragraphe 14 du premier alinéa de l'article 113 de la LAU en ce qu'il ne « régit » pas les panneaux-réclames, mais les « prohibe » totalement.

[57]        Elles plaident que l'opération de panneaux-réclames constitue un usage principal à part entière, légitime et légal, tel que le reconnaît expressément l'arrondissement à l'article 425 de son Règlement d'urbanisme (P-12) :

« 425. Une enseigne publicitaire est une enseigne constituant un usage principal et qui peut être située ailleurs qu'au lieu de l'établissement, du produit, du service ou de l'immeuble annoncé. »

[58]        Elles ajoutent que les panneaux-réclames constituent leurs fonds de commerce, c'est-à-dire l'objet même de l'usage commercial qu'elles exercent qui consiste à afficher sur ces structures pour une période donnée, moyennant contrepartie, des messages de toute nature au bénéfice de clients.

[59]        Selon elles, il existe un principe bien reconnu en matière de zonage qui veut qu'une autorité réglementaire municipale ne peut prohiber totalement sur son territoire un usage que la loi ne l'autorise qu'à « régir », à moins que cela ne découle d'une obligation de conformité au schéma d'aménagement.

[60]        Or, pour elles, l'arrondissement ne base pas la prohibition totale contenue au nouvel article 487.1 du Règlement d'urbanisme P-12 sur une obligation de prohibition des panneaux publicitaires qui résulterait du schéma d'aménagement, puisque ce schéma ne prévoit pas une telle obligation de prohibition.

[61]        Notons que l'article 157 de l'annexe C de la Charte de la Ville de Montréal permet à la Ville d'interdire les enseignes ou panneaux-réclames sur tout son territoire.  Il s'agit d'un pouvoir spécifique :

157.  La ville peut, par règlement :

1. régir ou interdire, par partie de territoire, la construction, l'installation, la modification et l'entretien de tous panneaux-réclames et enseignes déjà érigés ou qui le seront à l'avenir et exiger, pour leur maintien ou leur installation un permis dont elle détermine le coût;

2. prescrire, par partie de territoire, la distance minimale des panneaux-réclames entre eux, laquelle ne peut excéder 90 m;

3. empêcher toute construction, installation, modification et réparation qui ne sont pas conformes, les faire cesser et pourvoir même à la démolition ou à l'enlèvement du panneau-réclame ou de l'enseigne.

[62]        Cependant, pour elles, la possibilité d'interdire certains panneaux-réclames au paragraphe 1 doit s'interpréter comme visant ceux érigés « à l'avenir » et la possibilité de forcer l'enlèvement des panneaux-réclames au paragraphe 3 doit s'interpréter comme concernant seulement ceux construits, installés, modifiés ou réparés de manière non-conforme.

[63]        Elles ajoutent que, bien que l'arrondissement reconnaisse que les enseignes publicitaires bénéficient de droits acquis, il cherche à les éteindre par son Règlement 2010-14 (P-38).  À cet égard, le préambule des résolutions adoptant les différents projets de Règlements 2010-14 (P-24, P-32 et P-38), affirme que ce Règlement 2010-14 vise à « mettre fin aux droits acquis et d'obliger l'enlèvement des enseignes publicitaires existantes » et la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises considère que l'arrondissement possède le pouvoir de « mettre fin aux droits acquis » des enseignes publicitaires[39].

[64]        Pour elles, non seulement la LAU n'autorise pas l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal à forcer l'«enlèvement» de panneaux-réclames érigés légalement, elle autorise encore moins l'arrondissement à retirer à ces panneaux-réclames des droits acquis que la réglementation d'urbanisme applicable leur reconnaît depuis plusieurs décennies et que consacrent officiellement les certificats d'autorisation P-22 et P-23.

[65]        De plus, pour les mêmes motifs, elles soutiennent que les modifications apportées à la section X du chapitre I du titre VII du Règlement d'urbanisme, par les articles 13 et 14 du Règlement 2010-14 (P-38), venant exclure les enseignes publicitaires des règles applicables aux enseignes dérogatoires bénéficiant de droits acquis, résultent d'un exercice ultra vires des pouvoirs conférés à l'arrondissement Plateau-Mont-Royal par les paragraphes 14 et 18 de l'article 113 LAU et par le paragraphe 3 de l'article 118 LAU.

[66]        Elles plaident que l'article 13 du Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (P-18), avant l'abrogation de cet article par le Règlement 2010-14 (P-38), reconnaissait clairement les limites des pouvoirs de l'arrondissement en matière de droits acquis en déclarant que les certificats d'autorisation émis à l'égard des enseignes publicitaires deviendraient périmés que dans deux circonstances bien précises.

[67]        Ainsi, pour elles, l'arrondissement ne peut retirer, sans expropriation à des fins municipales, des droits acquis à l'égard de panneaux-réclames qu'elles reconnaissent dans le Règlement 2010-10 et dans les certificats d'autorisation P-22 et P-23 émis.

[68]        Elles ajoutent que l'arrondissement ne peut pas non plus retirer, sans expropriation à des fins municipales, le droit acquis des propriétaires de sites, de continuer de louer, moyennant contrepartie, des emplacements sur leurs immeubles pour fins d'un usage commercial d'exploitation de panneaux-réclames car l'enlèvement forcé des panneaux-réclames se traduira en une importante perte de valeur pour leurs immeubles, considérant la perte de revenus de loyers, ainsi qu'en une capacité réduite de garantie hypothécaire rattachée à ces immeubles, le tout sans indemnité d'expropriation.

[69]        Le Tribunal discutera de la question de l'expropriation dans son analyse de la deuxième question en litige.

[70]        Elles concluent qu'il apparaît déraisonnable de préserver à l'article 660 du Règlement d'urbanisme (P-12) les droits acquis de tout type d'« enseignes » commerciales, constituant par définition un usage accessoire servant à identifier un établissement situé sur les lieux où se trouve cette enseigne, tout en niant désormais tout droit acquis à l'égard d'« enseignes publicitaires » qui constituent pourtant l'objet même d'un usage principal commercial légitime.

[71]        Finalement, elles soutiennent que l'arrondissement ne pouvait non plus se fonder sur l'article 157 de l'Annexe C de la Charte de la Ville de Montréal pour adopter l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme P-12, tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement 2010-10 (P-14) et modifié par l'article 12 du Règlement 2010-14 (P-38), ni pour adopter les articles 13 et 14 du Règlement 2010-14 (P-38) venus modifier la section X du chapitre I du titre VII du Règlement d'urbanisme concernant les enseignes publicitaires dérogatoires.

[72]        Ultimement, elles plaident que le paragraphe 2 consacre le principe voulant que l'on ne peut prohiber totalement des panneaux-réclames puisqu'il fixe une distance séparatrice maximale qui peut être imposée entre de tels panneaux, permettant ainsi d'éviter que des distances séparatrices excessives résultent en une prohibition absolue des panneaux-réclames sur un territoire donné.

[73]        Pour la Ville, bien qu'elle possède l'autorisation législative lui permettant d'interdire les enseignes publicitaires sur tout son territoire, le conseil d'arrondissement n'interdit les enseignes publicitaires que sur une partie du territoire de la Ville.  Entre autres, les arrondissements de Ville-Marie et de Côte-des-Neiges - Notre-Dame-de-Grâce, pour ne nommer que ceux-ci, l'autorisent toujours[40].

[74]        À cet égard, soulignons que l'affaire Dupuis c. Ville de Montréal[41] énonce que, même dans l'exercice de ses compétences, le territoire d'un arrondissement ne constitue pas une municipalité au sens de la LAU.

[75]        La Ville ajoute que l'arrondissement autorise toujours les enseignes publicitaires non visibles d'une voie de circulation, d'un parc ou d'un immeuble voisin, tout comme plusieurs autres types d'enseignes, ce qui ne peut constituer une prohibition au sens des principes généraux gouvernant la réglementation d'urbanisme.  Elle s'appuie sur l'arrêt Montréal c. 177380 Canada Inc.[42] :

50. L'article 7.1.2 e) prohibe, dans toutes les zones, les enseignes amovibles, disposées sur roue, traîneau ou transportable.  L'article du règlement en cause ne prohibe pas totalement l'affichage commercial, mais simplement un type de construction d'enseigne.  En régissant l'affichage, l'appelante peut interdire, par exemple, certains types de construction des enseignes, déterminer les dimensions et l'emplacement des enseignes, soit dans une zone précise ou sur tout le territoire de l'appelante.  Ce genre de prohibition ne constitue pas une prohibition totale au sens des principes généraux gouvernant la réglementation municipale car la réglementation des types de construction des enseignes est autorisée par la loi habilitante et la municipalité a le pouvoir de préciser les types de construction permise et celle qui sont prohibées dans certaines zones ou sur l'ensemble du territoire.

[76]        En 1996, dans Ville de Magog c. Les Restaurants McDonald du Canada Ltée[43], la Cour d'appel se penche pour la première fois sur la question suivante :

Une municipalité a-t-elle le pouvoir, en vertu de l'article 113 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (L.R.Q., c. A-19.1) (L.A.U.), d'obliger par règlement les propriétaires ou utilisateurs d'enseignes installées suivant les normes d'une réglementation antérieure à les rendre conformes à de nouvelles exigences réglementaires?

[77]        Il s'agit donc de l'affaire séminale en la matière qui fait autorité depuis lors.

[78]        Notons les termes de l'article 4.6.1 du Règlement contesté de Magog dans ce litige :

4.6.1 La réglementation s'applique à la fois aux enseignes existantes et à celles qui seront installées suite à l'entrée en vigueur du présent règlement.  Les enseignes existantes et dérogatoires au présent règlement doivent être enlevées, modifiées, déplacées ou remplacées selon le cas afin de se conformer aux présentes dans un délai maximal de 36 mois à compter de la date d'entrée en vigueur du présent règlement.

[79]        La Cour réfère également aux paragraphes 14 et 18 de l'article 113 LAU.  Elle souligne que le pourvoi soulève un problème d'atteinte aux droits acquis, pour l'avenir, par l'effet immédiat de la réglementation nouvelle plus qu'une question de rétroactivité[44].  Elle opine que :

« Le sous-paragraphe 18 représente la consécration législative de ce principe.  Il signifie que les municipalités ne sauraient, en règle générale, abolir des usages dérogatoires établis.  Elles peuvent seulement empêcher leur extension ou fixer les modalités de leur extinction, lorsqu'on a cessé de les utiliser.  Cependant, tant que l'usage d'une construction demeure conforme aux droits acquis, tels qu'ils étaient constitués, il ne saurait être affecté par une nouvelle réglementation. »[45]

[80]        Elle conclut :

La version française du texte de loi vise tous les aspects de la réglementation de la mise en place et de l'usage des enseignes.  Elle permet de régir non seulement leur installation, leur modification ou leur entretien, mais aussi leur maintien.  Le terme « maintien » peut difficilement être interprété autrement que comme le fait de maintenir en place l'enseigne existante, puisque, par ailleurs, on peut régir, de façon distincte, son entretien proprement dit.

(…)

… Dans ce cas, le texte français, plus précis, indique l'intention de régir non seulement l'entretien de l'enseigne existante, mais aussi le droit de la garder en place.  Retenir une interprétation littérale du mot maintenance évacuerait de la version française une mention explicite du pouvoir de réglementation du maintien en place des enseignes existantes.

Dans l'ensemble, l'interprétation la plus conforme à la volonté législative exige la reconnaissance d'un pouvoir municipal de réglementation des affichages déjà en place, y compris les enseignes.  Ce pouvoir de réglementation, suivant la règle spéciale du sous-paragraphe 114, 14 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme s'étend au maintien des enseignes existantes.  En conséquence, le règlement municipal attaqué était valide.[46]

[81]        Les demandeurs plaident que le paragraphe 14 de l'article 113 LAU n'autorise d'aucune manière une municipalité à exiger l'«enlèvement» d'un panneau-réclame légalement érigé puisque pour eux, cette décision porte sur une enseigne commerciale et non sur un panneau-réclame et la disposition réglementaire en litige, dans cette affaire, vise la réduction de la hauteur d'une enseigne et non son enlèvement.

[82]        Avec égards, le Tribunal ne partage pas cette interprétation.  La Cour d'appel tranche en fonction de la disposition législative habilitante, en l'occurrence le paragraphe 14 de l'article 113 LAU, qui permet d'édicter une réglementation semblable à celle de la Ville en l'espèce pour les panneaux-réclames tout comme elle pouvait le permettre à l'égard d'une enseigne commerciale à Magog.

[83]        Il s'ensuit que l'effet de l'article 157 de l'annexe C de la Charte de la Ville de Montréal et le paragraphe 14 de l'article 113 LAU permettent à la Ville d'agir comme elle le fait.  Ce moyen doit échouer.

3.2       L'expropriation déguisée

Question 2 : L'arrondissement Plateau-Mont-Royal peut-il forcer l'enlèvement des enseignes publicitaires, incluant les panneaux-réclames (panneaux publicitaires) légalement érigés sur son territoire sans procéder à une expropriation à des fins municipales?

[84]        Les demanderesses soutiennent que la modification apportée à l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme par l'article 12 du Règlement 2010-14 (P-38), de même que les modifications à la section X du chapitre I du titre VII du Règlement d'urbanisme apportées par les articles 13 et 14 du Règlement 2010-14 (P-38) constituent une expropriation déguisée des panneaux-réclames, ce qui va au-delà des pouvoirs réglementaires conférés aux municipalités et aux arrondissements et viole l'article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne[47] qui énonce :

6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

[85]        Elles s'appuient aussi sur l'article 952 C.c.Q. :

952. Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pas voie d'expropriation faite suivant la loi pour une cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.

[86]        Les demanderesses prétendent que chacune des enseignes publicitaires constitue un immeuble à revenus ayant une valeur économique importante ainsi qu'une place d'affaires et un usage commercial à part entière dont elles seraient privées par les règlements contestés, ce que nie la Ville.

[87]        Les articles 947 et 952 du Code civil du Québec mentionnent :

947. La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.

Elle est susceptible de modalités et de démembrements.

952. Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est par voie d'expropriation faite suivant la loi pour une cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.

[88]        Dans Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville)[48], la Cour suprême consacre le principe selon lequel un règlement d'urbanisme peut, au nom de l'intérêt collectif, affecter défavorablement la valeur d'un immeuble :

33. […] La Ville n'a gagné rien de plus qu'une certaine assurance que le terrain sera utilisé ou aménagé selon sa vision, sans même exclure l'utilisation antérieure ou actuelle du terrain.  Il ne s'agit pas d'un type d'avantage qui peut être considéré comme une « appropriation ».

34. Deuxièmement, le règlement ne supprime pas toutes les utilisations raisonnables du bien-fonds.  Cette condition doit être appréciée [TRADUCTION] « non seulement par rapport à l'utilisation potentielle optimale du terrain, mais aussi compte tenu de la nature du terrain et des diverses utilisations raisonnables dont il a effectivement fait l'objet » : voir Mariner Real Estate, p. 717.  Le règlement n'empêche pas CP d'utiliser son terrain pour exploiter un chemin de fer, soit la seule utilisation dont le terrain a fait l'objet au cours de l'histoire de la Ville.  Il ne l'empêche pas non plus, contrairement à ce qu'elle prétend, d'entretenir sa voie ferrée.  La définition de [TRADUCTION] « aménagement » à l'art. 559 est modifiée par « [s]auf indication contraire du contexte ».  Enfin, le règlement n'empêche pas CP de louer le terrain pour une utilisation conforme au règlement ni d'établir des partenariats public-privé.  Le règlement reconnaît la nature spéciale du terrain, à savoir qu'il constitue le seul corridor intact à Vancouver, et apporte des précisions sur la seule utilisation qu'il a connue dans son histoire récente.

[89]        La Cour d'appel quant à elle spécifie que :

[43] Il convient tout d'abord de rappeler que la frontière entre ce qu'est une réduction acceptable de l'usage du droit de propriété et sa stérilisation pure et simple est souvent difficile à déterminer.  C'est la raison d'ailleurs pour laquelle il est admis que cette question relève au premier plan du conseil municipal, seul responsable devant l'électorat pour ses décisions de nature politique.

[44] Les appelants allèguent être privés de l'utilisation raisonnable de leur immeuble.  La jurisprudence a traité de cette notion à plus d'une reprise.  Tout d'abord, faut-il le préciser, le droit de propriété au Québec n'a rien d'absolu.  Celui-ci n'est d'ailleurs jamais vraiment arrêté dans la mesure où il est susceptible, selon différentes sources juridiques, de démembrement et de limitation.

[45] Dans R. c. Tener, la Cour suprême réfère à la notion de «négation absolue» du droit d'accéder à un bien-fonds avant de pouvoir déduire qu'il y a expropriation.  Dans Abitibi (Municipalité régionale de comté d') c. Ibitiba Ltée, le juge Baudouin estime ne pas être en présence d'une expropriation déguisée au motif que «[n]ous ne sommes pas devant une situation où la réglementation réduit tellement l'exercice du droit de propriété qu'elle en rend un usage impossible».  Le juge Brossard écrit pour sa part dans Corporation municipale de Wendover & Simpson c. Filion:

(…)

Ce n'est pas non plus parce qu'une loi ou un règlement de zonage tend à stériliser une partie du droit de propriété ou de son exercice, même de façon draconienne, qu'il en devient abusif et inopposable.

(…)

[46] Plus récemment, notre Cour dans l'affaire 9034-8822 Québec inc. c. Sutton s'en remettait à une norme semblable en énonçant que:

[49] En conséquence, à moins que la réglementation n'équivaille à une véritable confiscation de la propriété privée, le seul préjudice économique résultant de l'imposition de restrictions à l'exploitation ne peut affecter la validité de la réglementation.

[47] Les tribunaux ont donc reconnu que, pour être considérée illégale, une restriction réglementaire doit équivaloir à une «négation absolue» de l'exercice du droit de propriété ou encore à «une véritable confiscation» de l'immeuble.  Les limitations qui tendent à ne stériliser qu'une partie de ce droit sans toutefois priver son titulaire de l'utilisation raisonnable de sa propriété ne seront pas jugées abusives.

(…)

[51] Tout d'abord, il n'est pas démontré que le règlement ampute le droit de propriété de ses attributs fondamentaux dont celui de l'usage exclusif.  On ne peut de plus considérer que l'avantage que les appelants retirent de leur bien-fonds est désormais passé aux mains de l'intimée.  En somme, le règlement ne fait pas en sorte que la propriété des appelants est devenue virtuellement publique.

[52] De plus, rien dans la preuve ne suggère que l'usage à des fins résidentielles des immeubles concernés soit compromis. Certes, certains aménagements sont maintenant prohibés, mais les appelants ne peuvent pour autant soutenir être confrontés à une interdiction totale de tous les usages possibles. (...)

[53] En somme, l'intimée ne tente pas ici d'acquérir de façon indirecte des propriétés riveraines, mais vise essentiellement par sa réglementation à contrôler l'usage de ces propriétés, et ce, dans l'intérêt collectif des résidants de la Ville de Québec. (...)[49]

[90]        Le seul fait qu'il résulte d'un règlement d'urbanisme que la valeur monétaire d'un immeuble puisse diminuer par l'entrée en vigueur d'un règlement de zonage ne peut constituer un motif valable de nullité[50].

[91]        Puisque les panneaux-réclames situés sur le territoire de l'arrondissement constituent des immeubles distincts faisant l'objet d'une inscription au rôle d'évaluation à titre d'immeubles imposables à part entière qui génèrent des revenus et possèdent une valeur économique importante ainsi qu'une durée de vie très longue, ils plaident que les tribunaux déclarent inopposable à une entreprise une réglementation qui l'oblige à cesser l'exercice d'une activité commerciale légitime amorcée légalement, et ce, même à l'égard de règlements dont la nature ne permettait pas de soulever une défense de droit acquis.

[92]        Pour elles, l'arrêt Ville de Laval c. Prince[51] affirme que même dans les cas où une municipalité détient le pouvoir d'imposer de nouvelles normes à une activité déjà existante sans devoir respecter le principe des droits acquis, ceci ne l'autorise pas à adopter et appliquer une réglementation de manière à obliger une entreprise à cesser ses activités amorcées légalement :

« S'il est exact qu'un citoyen ne peut invoquer de droits acquis contre une disposition réglementaire qui concerne la protection de l'environnement, ce citoyen peut faire voir qu'en ce qui concerne son immeuble l'application de la disposition constitue une expropriation sans indemnité.

En l'espèce, c'est l'effet du règlement en cause en ce qui concerne l'intimé.

(…) à toutes fins utiles, pour respecter la norme sévère, il devrait cesser une partie de son exploitation ou déménager. »[52]

[93]        Ils ajoutent que l'effet de l'article 12 du Règlement qui oblige l'enlèvement de tous les panneaux-réclames érigés légalement d'ici le 23 décembre 2011 les forcera à cesser l'exploitation d'une entreprise pourtant opérée en toute légalité depuis des décennies.

[94]        Soulignons qu'un règlement adopté en vertu d'une autorisation expresse du législateur ne peut constituer une expropriation déguisée.

[68] Tel n'est pas le cas en l'espèce.  La jurisprudence considère que le règlement qui reprend l'une des dispositions de l'article 116 de la LAU, ne peut constituer une expropriation déguisée car le législateur le permet spécifiquement. Ainsi, une municipalité a le pouvoir de prohiber la construction sur un terrain non borné par une rue publique sans que cela ne constitue une expropriation déguisée. Ainsi, le fait d'avoir modifié les conditions de délivrance d'un permis de construction, par le truchement d'une clause sur les chemins publics, n'est pas en soi un acte de mauvaise foi.[53]

[95]        En matière d'urbanisme, l'affaire Exploitation agricole et forestière des Laurentides inc. c. Mont-Tremblant (Ville de)[54] récapitule les circonstances dans lesquelles les tribunaux considèrent qu'un règlement de zonage équivaut à une expropriation :

[65] Toutefois, pour être assimilé à une expropriation, le zonage doit avoir pour effet de :

Causer une restriction qui détruit la propriété privée ou les usages qu'on peut en faire, de manière déraisonnable et indue;

Empêcher toute utilisation possible par le propriétaire;

Rendre la propriété absolument inutile à son propriétaire;

Faire en sorte que le propriétaire n'ait pour seul privilège que le droit de payer des taxes sur un terrain qu'il ne peut ni utiliser, ni vendre;

Rendre la propriété privée sans valeur.

[96]        Ici la qualification des panneaux-réclames en biens immeubles soulève, entre autres, deux questions.  La première relève de l'application de la Loi sur la fiscalité municipale[55] (LFM), la seconde du Code civil du Québec.

[97]        La Ville reconnaît leur qualification d'immeuble au sens de la LFM.  Quant au sens du droit commun, elle plaide le deuxième alinéa de l'article 903 C.c.Q. adopté en 2013 qui se lit :

903.      Les meubles qui sont, à demeure, matériellement attachés ou réunis à l’immeuble, sans perdre leur individualité et sans y être incorporés, sont immeubles tant qu’ils y restent et assurent l’utilité de l’immeuble.

 

Toutefois, les meubles qui, dans l’immeuble, servent à l’exploitation d’une entreprise ou à la poursuite d’activités demeurent meubles.

[98]        L'ancien article 903 C.c.Q. se lisait ainsi :

903.      Les meubles qui sont, à demeure, matériellement attachés ou réunis à l'immeuble, sans perdre leur individualité et sans y être incorporés, sont immeubles tant qu'ils y restent.

[99]        Rappelons que les règlements contestés datent de 2010 et que la contestation juridique remonte à 2011, avant l'entrée en vigueur du nouvel article 903 C.c.Q.  Le Tribunal conclut que l'ancien article 903 C.c.Q. doit s'appliquer à l'instance.

[100]     De plus, l'article 900 C.c.Q. demeure pertinent à la détermination des panneaux-réclames en l'espèce :

900.   Sont immeubles les fonds de terre, les constructions et ouvrages à caractère permanent qui s'y trouvent et tout ce qui en fait partie intégrante.

 

Le sont aussi les végétaux et les minéraux, tant qu'ils ne sont pas séparés ou extraits du fonds. Toutefois, les fruits et les autres produits du sol peuvent être considérés comme des meubles dans les actes de disposition dont ils sont l'objet.

[101]     Il ne fait aucun doute qu'ici 25 panneaux-réclames reposent directement sur des fonds de terre et constituent une construction ou un ouvrage à caractère permanent[56].  Il s'agit bien là d'immeubles au sens du droit commun.

[102]     Quant aux 13 panneaux-réclames situés sur un mur ou un toit d'un bâtiment, l'arrêt Câblevision apporte, par analogie, une réponse à notre question :

« Enfin, il n'est plus contesté que l'antenne située à l'intersection des rues Sherbrooke et Atwater est immeuble par nature: cette antenne est rivée à une tour qui repose elle-même dans un socle de ciment fixé au sol.  C'est seulement cette antenne que la Cour d'appel déclare immeuble et dont la vente est exemptée de taxe (p. 69) ».

« Dans la présente affaire, les fils et amplificateurs de Câblevision sont attachés aux poteaux de l'Hydro-Québec - qui sont immeubles par nature - ou aux poteaux ou câbles de Bell Canada - qui sont pareillement immeubles - de la même façon que les fils électriques et les fils téléphoniques. (p. 72) ».

« Sans doute ces trois arrêts mettent-ils l'accent sur l'incorporation des ouvrages au sol comme condition de leur immobilisation par nature.  Mais il faut voir le principe qui dicte cette condition: c'est lorsqu'elle sera réalisée que les ouvrages, comme ceux dont il est question dans ces arrêts, participeront à la fixité ou à l'immobilité du sol, critère ultime de l'immobilisation par nature.  Le principe est respecté dès lors qu'un ouvrage participe à l'immobilité du sol en y adhérant directement ou en adhérant à un autre ouvrage qui adhère lui-même au sol.  Dans l'un et l'autre cas, l'ouvrage est immeuble par nature parce qu'il est naturellement immobile.  La plupart des auteurs remarquent que les fonds de terre sont les seuls biens corporels véritablement immeubles.  Néanmoins, suivant l'art. 376 C.c. les bâtiments sont immeubles par nature tout autant que les fonds de terre.  À mon avis le critère de l'immobilisation par nature est satisfait quand un ouvrage que l'on peut qualifier de bâtiment adhère à un immeuble par nature, fonds de terre ou bâtiment, et qu'il acquiert par là une assiette fixe.  La dissociation possible de la propriété de l'ouvrage qui adhère au sol et de celle de l'ouvrage qui adhère à l'ouvrage précédent est sans conséquence.  Un exemple illustrera ma pensée: une entreprise d'aviation obtient du propriétaire d'un gratte-ciel le droit d'édifier sur le toit une plate-forme d'atterrissage pour hélicoptères; elle ancre ou attache fortement la plateforme au toit: la plate-forme est immeuble par nature quoiqu'elle soit distincte du gratte-ciel et sans utilité pour lui; mais par lui elle rejoint le sol qui lui prête sa stabilité. (pp 73 et 74) ».

« Il est donc sans importance que le réseau de Câblevision complète ou non le réseau de l'Hydro-Québec et celui de Bell Canada.  Il ne s'agit pas de savoir s'il est l'accessoire ou le complément indispensable d'un bâtiment mais s'il est lui-même un bâtiment selon le sens donné par la jurisprudence à cette expression de l'art. 375 C.c. (p. 77) ».

« Reste l'antenne érigée sur le toit de l'édifice Place Ville-Marie.  Le juge Lajoie dit qu’elle n’est pas immeuble.  Je veux bien qu'elle ne soit pas immeuble par destination mais, ce que j'ai dit plus haut le montre assez, je ne vois pas ce qui l'empêche d'être immeuble par nature.  La preuve révèle que cette antenne est elle aussi montée sur une tour.  Il s'agit donc d'un ouvrage distinct de l'édifice mais construit sur lui, et capable, grâce à lui, d'être immeuble par nature.  La preuve ne relève pas comment la tour tient à l'édifice. Néanmoins, la balance des probabilités m'empêche de penser qu'une tour érigée à cette altitude et capable de résister au vent et aux intempéries, soit attachée au toit de l'édifice moins fermement que les fils de Câblevision ne le sont aux poteaux de l'Hydro-Québec et de Bell Canada. (pp. 77 et 78) ».

[103]     L'adhérence durable aux bâtiments et le caractère permanent de leur installation permettent de conclure qu'il s'agit là aussi d'immeubles au sens du Code civil.

[104]     Dans tous les cas, il apparaît étonnant, pour ne pas dire plus, que la Ville puisse taxer ces installations comme s'il s'agissait d'immeubles pour ensuite pouvoir soutenir, qu'en réalité, il s'agirait plutôt de meubles.  Avec égards, la fiction juridique peut assurément permettre un certain décalage avec la réalité, mais il n'en demeure pas moins qu'elle doit s'ancrer dans une réalité qui assure aux contribuables le droit de ne pas se sentir à la merci d'une qualification qui le confine au seul statut d'éternel débiteur de l'administration publique.

[105]     Les auteurs Hétu et Duplessis énoncent :

« Nous retrouvons dans la jurisprudence de nombreux exemples où les juges ont considéré que des règlements de zonage très restrictifs dans les usages permis constituaient de l’expropriation sans indemnité. (…) Un règlement qui ne permet à un propriétaire aucun usage de son terrain n’est pas un règlement de zonage, mais une expropriation ; une municipalité ne peut s’emparer de la propriété d’un citoyen sans l’indemniser (Ville de Montréal c. Benjamin, J.E. 2005-151 (C.A.)). Ainsi on a jugé illégal pour une municipalité de vouloir restreindre l’usage d’un terrain à des seules fins de parc ou d’institutions publiques comme des écoles, des églises ou des centres communautaires […] »..[57]

[106]     Dans Québec (Ville) c. Marché Trait-Carré inc.[58], la Cour supérieure, avalisée par la Cour d'appel[59], affirme :

35. Lors de l'abolition des droits acquis, selon le professeur Lorne Giroux, la municipalité et le citoyen doivent s'entendre de gré à gré ou la municipalité doit indemniser le citoyen pour l'expropriation de ses droits acquis ou la municipalité doit prévoir un délai dans la disposition qui abolit les droits acquis pendant lequel le citoyen peut continuer l'usage dérogatoire pour ainsi récupérer l'investissement qu'il a fait. C'est ce qu'on appelle l'«amortissement» des droits acquis et ainsi, la municipalité n'a plus à indemniser le citoyen pour l'expropriation de ses droits acquis.

36. Selon Me Lorne Giroux toujours, une abolition des droits acquis entraîne une expropriation du droit à se prévaloir de l'usage dérogatoire. Cette expropriation des droits acquis doit être compensée par une indemnité ou par l'octroi d'un délai pendant lequel le propriétaire de l'établissement pourra continuer d'exercer l'usage dérogatoire. Cette possibilité de continuer l'usage dérogatoire permet au propriétaire de l'établissement de récupérer l'investissement qu'il a fait et remplace le paiement de l'indemnité pour l'expropriation des droits acquis. C'est ce qu'il est convenu d'appeler «l'amortissement» des droits acquis. Quant à l'auteur, le délai raisonnable pour amortir les droits acquis se situe entre cinq et dix ans.

37. Décidément, il n'y a pas, semble-t-il, de décision, ni de texte autre que celui de Me Giroux, traitant du dédommagement du citoyen lors de l'abolition des droits acquis.

38. La ville de Québec a donc décidé de ne pas accorder d'indemnité en espèces aux propriétaires d'établissements à caractère érotique dérogatoire ; elle leur a, par contre, accordé un délai de deux ans pour amortir l'élimination des droits acquis. Ce délai est-il trop court ? Peut-être bien, mais il n'y a pas lieu de s'attarder à cette question puisque, dans les faits la défenderesse a bénéficié d'un délai de près de 10 ans. Il a été en effet admis que les activités à caractère érotique continuaient toujours au Bar de la couronne. Pourtant c'est le 10 juillet 1989, que le règlement 3473 et l'article 184.1 qui s'y trouve ont été adoptés. Les établissements à caractère érotique dérogatoires devaient donc cesser leurs activités au plus tard le 9 juillet 1991. L'action en injonction a été intentée en 1993. La défenderesse a donc bénéficié d'un délai considérable équivalent à une importante indemnité et à une complète récupération de son investissement.

39. Il faut conclure que la ville de Québec avait le pouvoir en vertu du paragraphe 43d) de l'article 336 de la Charte de la ville de Québec, d'adopter un règlement qui abolit les droits acquis des établissements à caractère érotique dérogatoires. Il faut également conclure que le Bar de la couronne n'a droit à aucune indemnité parce que, depuis l'adoption de l'article 184.1 du règlement 3473 il y a eu amortissement des droits acquis.

[107]     Ici, il apparaît que les délais de plus de cinq ans permettent de conclure à l'amortissement des droits acquis.

[108]     À l'évidence, Lande et Feldman ne réussissent pas à satisfaire aux exigeants critères énoncés dans l'affaire Mont-Tremblant.  En effet, on ne peut dire que la réglementation contestée empêche toute utilisation raisonnable possible par le propriétaire ou qu'elle rende la propriété absolument inutile ni qu'il ne peut l'utiliser, la vendre ou la priver de toute valeur. Ainsi, le Tribunal doit rejeter leurs prétentions quant à l'existence d'une expropriation déguisée en l'espèce.

3.3       Des modifications réglementaires déraisonnables, adoptées de mauvaise foi.

Question 3 : L'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'Arrondissement Plateau-Mont-Royal no 01-277, tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement d'amendement 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement 2010-14, de même que les articles 13 et 14 du Règlement d'amendement 2010-14, sont-ils nuls et ultra vires, adoptés de mauvaise foi et déraisonnables?

[109]     Demandant de conclure au caractère déraisonnable du Règlement, les demanderesses soumettent que le fait que l'adoption du premier projet de Règlement 2010-14 survienne à peine quelques semaines après l'entrée en vigueur du Règlement 2010-10, qui instaure un système de certificats d'autorisation visant la confirmation des droits acquis quant aux panneaux-réclames érigés légalement sur le territoire de l'arrondissement, démontre la mauvaise foi évidente de la Ville.

[110]     Elles ajoutent que cette mauvaise foi apparaît d'autant plus évidente qu'au moment d'adopter le projet de Règlement 2010-14, l'arrondissement admettait que la réglementation d'urbanisme reconnaissait des droits acquis à au moins 43 des 45 panneaux-réclames existant alors dans l'arrondissement[60].

[111]     Selon elles, bien que dûment avisé de la situation par les demanderesses lors de la rencontre du 23 septembre 2010 et par les lettres P-33 et P-34, le conseil procède néanmoins à l'adoption finale du Règlement 2010-14, le 1er novembre 2010[61].

[112]     Les demanderesses soutiennent, qu'en tentant de connaître l'ensemble des enseignes publicitaires sur le territoire et en exigeant l'obtention d'un certificat, le conseil d'arrondissement effectue par conséquent une manœuvre qui constitue un exercice de mauvaise foi et que le fait d'affecter des droits acquis, malgré la connaissance de la Ville de l'existence d'opinions juridiques des conseillers juridiques des publicitaires, entraîne le caractère déraisonnable de la mesure.

[113]     La Ville rétorque que le simple fait de vouloir connaître le nombre exact d'enseignes publicitaires présentes sur son territoire ne révèle pas, en lui-même, un exercice empreint de mauvaise foi de la part du conseil d'arrondissement.

[114]     Pour elle, rien ne l'oblige à obtempérer aux communications reçues par des entreprises par ailleurs inscrites au registre des lobbyistes et on ne peut tirer aucune conclusion du fait que la défenderesse ne change pas sa position après la réception des communications[62].

[115]     Elle plaide que le conseil d'arrondissement adopte les règlements pour valoriser les paysages de l'arrondissement, améliorer l'expérience piétonne et améliorer les milieux de vie dans les secteurs en requalification ainsi que pour réduire la pollution visuelle[63].

[116]     Selon elle, puisque la réglementation municipale bénéficie d'une présomption de validité, on doit présumer que les municipalités agissent de bonne foi et dans l'intérêt public dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire[64].

[117]     À cet égard, l'arrêt Ville de Montréal c. Auberge des Glycines[65] rappelle que le rôle des tribunaux ne vise pas à contrôler l'opportunité des décisions du conseil municipal :

27. Je signale enfin qu'il a été depuis longtemps décidé qu'en matière de zonage, il ne peut y avoir de contrôle d'opportunité par les tribunaux. La seule prétention que le zonage en vigueur ne semble pas approprié aux caractéristiques physiques ou aux conditions économiques d'un terrain ou de ses environs n'est pas suffisante pour affecter la validité du règlement en l'absence d'une preuve de discrimination ou d'abus de pouvoir équivalant à fraude.

[118]     Notons que rien dans la preuve ne démontre que le conseil d'arrondissement cherche, en ce faisant, à desservir l'intérêt public ou désire agir de mauvaise foi.  Il s'agit, tout simplement, d'une conception différente de ce qui constitue l'intérêt public.

[119]     La Cour d'appel enseigne que :

20. Quand une ville adopte un règlement non pas dans l'intérêt public mais uniquement pour se donner une raison de refuser un permis déjà demandé, elle est évidemment de mauvaise foi; elle fait preuve alors de discrimination et son intention de nuire injustement à autrui ne fait pas de doute. Tout autre est le cas de la ville qui réalise que le permis demandé risque de compromettre l'intérêt public et qui, pour cette raison, prend des mesures pour y faire obstacle. La réception d'une demande de permis ne doit pas paralyser le pouvoir réglementaire de la ville. Le Conseil de ville qui réalise les inconvénients que le permis sollicité risque d'entraîner pour l'ensemble de la population peut à mon avis remédier sans délai à la carence de sa réglementation. Certes, l'adoption d'un règlement prohibitif à l'occasion d'une demande de permis est suspecte et peut créer une présomption de mauvaise foi. Cependant, si la ville établit que son but est non pas de nuire au solliciteur de permis mais de sauvegarder l'intérêt général de ses ressortissants, on ne peut la taxer de “mauvaise foi” à moins de donner à cette expression un sens qu'elle n'a pas.[66]

[120]     À ce sujet, l'arrêt Entreprises Sibeca inc. c. Frelighsburg (Municipalité de)[67] illustre bien la nature des concepts en cause :

25. L’application en droit civil du critère de la mauvaise foi ne cause aucun problème.  Cette notion n’est pas unique au droit public.  Elle trouve d’ailleurs application dans les domaines les plus divers du droit.  La notion de mauvaise foi est cependant flexible et son contenu varie selon les domaines du droit.  Comme le souligne le juge LeBel dans l’affaire Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, 2004 CSC 36, la mauvaise foi peut avoir un contenu qui dépasse la faute intentionnelle (par. 39) :

[La notion de mauvaise foi] inclut certainement la faute intentionnelle, dont le comportement du procureur général du Québec, examiné dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, représente un exemple classique.  Une telle conduite constitue un abus de pouvoir qui permet de retenir la responsabilité de l’État ou parfois du fonctionnaire.  Cependant, l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi.  L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins. 

26. Cette interprétation du concept de mauvaise foi permet d’englober non seulement les actes qui sont délibérément accomplis dans l’intention de nuire, ce qui correspond à la mauvaise foi classique, mais aussi ceux qui se démarquent tellement du contexte législatif dans lequel ils sont posés qu’un tribunal ne peut raisonnablement conclure qu’ils l’ont été de bonne foi.  Ce qui paraît être une extension de la mauvaise foi n’est, en quelque sorte, que l’admission en preuve de faits qui correspondent à une preuve circonstancielle de la mauvaise foi à défaut par la victime de pouvoir en présenter une preuve directe.

[121]     Rappelons que pour la Ville, l'adoption des règlements par le conseil d'arrondissement s'inscrit dans le cadre d'un processus mûrement réfléchi qui vise à permettre aux citoyens de se réapproprier leur quartier, de se donner un cadre de vie à l'échelle humaine dans un contexte où l'on vise à favoriser l'expérience piétonne et cycliste et à valoriser le paysage.

[122]     Le Tribunal doit faire preuve de circonspection avant de déclarer invalide un règlement parce que déraisonnable.  Le fardeau apparaît lourd à satisfaire, tel que l'exprime la Cour suprême dans Catalyst Paper Corporation c. North Cowichan (District)[68] :

24. Il est donc clair que les tribunaux appelés à réviser le caractère raisonnable de règlements municipaux doivent le faire au regard de la grande variété de facteurs dont les conseillers municipaux élus peuvent légitimement tenir compte lorsqu'ils adoptent des règlements. Le critère applicable est le suivant : le règlement ne sera annulé que s'il s'agit d'un règlement qui n'aurait pu être adopté par un organisme raisonnable tenant compte de ces facteurs. Le fait qu'il faille faire preuve d'une grande retenue envers les conseils municipaux ne signifie pas qu'ils ont carte blanche.

25. La norme de la décision raisonnable restreint les conseils municipaux en ce sens que la teneur de leurs règlements doit être conforme à la raison d'être du régime mis sur pied par la législature. L'éventail des issues raisonnables est donc circonscrit par la portée du schème législatif qui confère à la municipalité le pouvoir de prendre des règlements.

[123]     Ici, bien que la démarche réglementaire de la Ville puisse apparaître incongrue, on ne peut conclure à son caractère déraisonnable.

3.4         La liberté d'expression

Question 4 :     L’article 487.1 du Règlement d’urbanisme de l’Arron­dissement Plateau-Mont-Royal n° 01-277, tel qu’inséré par l’article 1 du Règlement d’amendement 2010-10 et modifié par l’article 12 du Règlement 2010-14, de même que les articles 13 et 14 du Règlement d’amendement 2010-14 sont-ils nuls et inconstitutionnels parce que contrevenant au droit à la liberté d’expression prévu à l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, ainsi qu’au droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens prévu à l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne?

            3.4.1    La violation

[124]     La Charte canadienne des droits et libertés énonce :

1.   La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés.  Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans les limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

2.   Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

[125]     La Charte québécoise des droits et libertés de la personne prévoit :

3.   Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.

[…]

6.   Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

[…]

9.1.       Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

[126]     À titre liminaire, le Tribunal tient à souligner qu'il traitera de la question constitutionnelle relative à la liberté d'expression en référant aux dispositions de la Charte canadienne pour des fins de commodité uniquement puisque l'on sait que les garanties prévues à la Charte québécoise s'analysent, à toute fin pratique, de façon identique.

[127]     Rappelons que les demanderesses opèrent un média servant à transmettre au grand public des messages de nature commerciale, politique, sociétale, religieuse, charitable.  Ainsi, une interdiction totale des panneaux-réclames sur le territoire de l'arrondissement jumelé à l'obligation de les enlever constituent, à l'évidence, une atteinte au droit à la liberté d'expression.

[128]     La Ville admet que les enseignes publicitaires constituent une forme d'expression protégée par les Chartes et que les dispositions pertinentes des règlements 2010-10 et 2010-14 limitent la liberté d'expression.  Il s'ensuit qu'elle doit en justifier le bien-fondé.

[129]     Donc, l'analyse doit se faire de façon contextuelle en prenant compte de la nature de l'expression visée ainsi que des effets bénéfiques de l'interdiction.  Dans ce cadre, l'expression « purement » commerciale possède une valeur sociale intrinsèque qui ne se situe pas au coeur des valeurs que protège l'article 2b) de la Charte et l'article 3 de la Charte québécoise.[69]  Cependant, il n'en va pas ainsi pour le reste du contenu que l'on retrouve sur les panneaux-réclames.

3.4.2     La justification en vertu de l'article premier de la Charte.

3.4.2.1      Considérations générales

[130]     La Ville ne distingue aucunement les règlements 2010-10 et 2010-14 pour les fins de justification en vertu de l'article premier de la Charte.  Notons aussi que sa reconnaissance de la violation de l'article 2b) de la Charte ne trace aucune distinction.

[131]     En fait, tant le maire Ferrandez de l’arrondissement que la chef de la direction d'urbanisme, Claude Laurin, expliquent le caractère d'interrelation qui existe entre les deux règlements.  Ils affirment que cette façon de faire, en l'occurrence, l'adoption d'un premier règlement qui gèle l'octroi de nouveau permis suivie de l'adoption rapide d'un second qui possède des objectifs plus radicaux, découle d'une expérience réglementaire antérieure, validée par le contentieux de la Ville.  Ils reproduisent cette façon de faire pour parvenir à leur but qui vise à l'élimination des panneaux-réclames.

[132]     On doit donc logiquement conclure que la Ville considère, pour les fins du présent exercice, que les deux règlements forment un tout indissociable.  Le Tribunal analysera donc leur validité constitutionnelle en tenant compte de cette position.

[133]     Dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[70], la majorité de la Cour suprême reconnaît que les tribunaux doivent accorder aux gouvernements une certaine latitude lorsqu'il s'agit de déterminer si les restrictions aux droits qui découlent de programmes publics réglementant les interactions sociales et commerciales se justifient au sens de l'article premier de la Charte.  Les choix difficiles liés à la gouvernance de l'État qui peuvent empiéter sur les droits constitutionnels relèvent au premier chef à la législature élue et à ceux qu'elle désigne pour appliquer ses politiques[71].  Une certaine déférence s'impose donc lors du contrôle de la constitutionnalité[72], et ce à chacune des étapes de l'analyse[73].

[134]     Au stade de l'analyse du lien rationnel, il s'agit simplement de déterminer s'il existe un lien rationnel entre la mesure contestée et l'objectif gouvernemental puisque l'équilibre entre les effets positifs et négatifs de la mesure s'effectue à la deuxième étape de l'analyse requise par l'article premier[74].

[135]     Il apparaît utile de souligner que lorsque le Tribunal fera l'analyse de l'atteinte minimale, il se verra confronté à la position de la Ville qui s'apparente à un syllogisme circulaire.  En effet, l'idéologie urbanistique de la Ville repose sur l'inexistence et, par voie de conséquence, l'abolition des panneaux-réclames du paysage urbain.  Donc, le seul moyen pour arriver au but recherché réside dans l’élimination de ceux-ci.  Pour elle, il ne peut donc exister de mesures alternatives.  On n'en fait d'ailleurs l'étude d'aucune, tant avant d'adopter le règlement 2010-14 qu'après.

[136]     On comprend aisément qu'ici la Ville réclame le respect absolu de sa volonté réglementaire de bannir du territoire de l’arrondissement les panneaux-réclames et, tel qu'elle le reconnaît d'emblée, de violer ainsi le droit à la liberté d'expression des demanderesses et de leurs clients.

[137]     Ainsi, si l'on suit de façon aveugle le raisonnement de la Ville, ce à quoi ne nous invite pas l'arrêt Hutterian[75], l'absolutisme de l'objectif recherché empêche ou évacue toute possibilité de pondération adéquate entre les droits en cause.

[138]     Exprimé autrement, on constate que l'atteinte minimale à la liberté d'expression devient, de facto, de par la nature de la mesure entreprise et la volonté de la Ville, l'atteinte maximale, en l'occurrence, la suppression du discours.

[139]     Pour le Tribunal, on retrouve là une justification suffisante pour réaffirmer le principe qui veut qu'une interdiction totale qui empiète sur un droit fondamental, doit faire l'objet d'une vérification plus attentive vu les conséquences radicales qui en découlent.

[140]     À cet égard, l'arrêt Hutterian contient des enseignements fort utiles quant à la démarche analytique à suivre :

[76] (…) Quand aucun autre moyen n’est raisonnablement susceptible de permettre la réalisation de l’objectif gouvernemental, la véritable question est de savoir si les conséquences de l’atteinte aux droits sont disproportionnées par rapport aux effets bénéfiques probables de la mesure législative contestée.  Plutôt que de donner une interprétation atténuée de l’objectif gouvernemental lors de l’analyse de l’atteinte minimale, les tribunaux devraient reconnaître qu’il n’existe aucun moyen moins attentatoire et procéder à la dernière étape de l’analyse proposée dans Oakes.

[77] La dernière étape de la méthode d’analyse établie dans Oakes permet une appréciation plus large de la question de savoir si les effets bénéfiques de la mesure législative contestée en justifient le coût que représente la restriction au droit. (…)

[78] À mon avis, il s’agit en l’espèce d’un cas où l’analyse se joue à la dernière étape de l’analyse décrite dans Oakes.  Les deux premiers éléments du critère de la proportionnalité — le lien rationnel et l’atteinte minimale — sont respectés et l’issue de l’affaire dépend de la question de savoir si les « effets préjudiciables sur des particuliers ou sur des groupes » l’emportent sur les avantages que l’ensemble de la population peut tirer de la mesure.  Lorsque, comme en l’espèce, un plaignant réclame le respect absolu de son droit, sans compromis, la justification de la mesure législative attentatoire tient souvent au fait que ses effets préjudiciables sont disproportionnés ou non par rapport aux avantages que l’ensemble de la population en tirera.

3.4.2.2        L'importance de l'objectif poursuivi

[141]     Dans R. c. Guignard[76], la Cour suprême enseigne ainsi le fardeau qui pèse sur les épaules de l'État :

28. (…) L'objectif poursuivi par la disposition attaquée doit être urgent et réel. La disposition doit être proportionnelle à l'objectif poursuivi, en ce sens qu'elle doit favoriser la réalisation de cet objectif, être soigneusement conçue pour éviter toute atteinte excessive au droit et produire des avantages qui l'emportent sur les effets négatifs de l'atteinte à la liberté d'expression.[77]

[142]     La Ville soutient que cette atteinte se justifie par les objectifs poursuivis qui ne visent pas à réglementer la liberté d'expression en tant que telle. Pour elle, l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal possède des caractéristiques qui sous-tendent et expliquent en tout ou en partie ses différents objectifs.  S'y trouve une population de plus de 100 000 habitants, donc environ 12 430 habitants par kilomètre carré, ce qui constituent le plus dense des arrondissements montréalais avec une composante fortement résidentielle possédant aussi une grande présence commerciale comme en témoignent les 5 700 places d'affaires sur son territoire.  Il comporte des zones mixtes résidentielles, commerciales, industrielles ou institutionnelles.

[143]     Plusieurs zones possédant actuellement un caractère plus industriel se transforment et font ou feront l'objet de construction ou de requalification. Pour la Ville, l'arrondissement présente un cadre bâti d'une certaine unicité de par la période de construction de plusieurs des immeubles.

[144]     Selon elle, les objectifs poursuivis par l'arrondissement s'avèrent urgents et réels et visent notamment la valorisation des paysages de l'arrondissement, l'amélioration de l'expérience piétonne, l'amélioration des milieux de vie dans les secteurs en requalification ou à requalifier ainsi que la réduction de la pollution visuelle[78].  Ils s'inscrivent dans le cadre d'une vision de l'aménagement du milieu qui peut notamment s'expliquer par :

Ø  Le Plan d'urbanisme de la Ville de Montréal[79];

Ø  La Politique du Patrimoine de mai 2005[80];

Ø  Le Rapport final des Soirées du Plateau - avril 2004[81];

Ø  Le premier plan de déplacement urbain du Plateau Mont-Royal - Plan d'action 2009-2024[82].

[145]     Ainsi, pour la Ville, ces objectifs ne se limitent donc pas à la subjectivité du « bon goût » et du « j'aime/j'aime pas » contrairement à ce que, selon elle, soutiennent les demanderesses[83].

[146]     Quant à l'objectif de l'arrondissement, le témoignage de son maire, Luc Ferrandez, ne laisse place à aucune ambiguïté.  Le médium des panneaux-réclames ne possède aucune utilité ou finalité sociale et comme il désire que l'ensemble de l'arrondissement demeure à l'échelle humaine, ce type d'affichage ne peut demeurer.  Le maire déclare qu'aucune ouverture n'existe quant à lui pour tenter de trouver des accommodements qui permettraient de faire subsister certaines zones où les panneaux-réclames pourraient se maintenir.

[147]     Il confirme que l'arrondissement n'effectue aucune analyse de mesure alternative avant de décider d'agir de la sorte.  Il ajoute que, pour lui, l'argument relié à la liberté d'expression qu'invoquent les demanderesses galvaude celle-ci.  Par conséquent, toute discussion avec elles s'avère inutile en ce que les intérêts des interlocuteurs ne feraient que révéler l'intérêt fondamentalement opposé et partant irréconciliable de leurs positions respectives.

[148]     Son témoignage, lors de son interrogatoire hors cour illustre bien sa position :

R. :    « Non.  Pour nous, c'était juste une question technique.  En fait, moi ça me semblait un objectif… ça me semblait… J'ai été même très très surpris d'apprendre que ça pouvait avoir un impact sur la liberté d'expression; je pense que j'ai éclaté de rire en fait quand j'ai entendu ça.  Je n'arrivais pas à croire que c'était considéré dans la liberté d'expression.  Compte tenu de l'offre commerciale, l'offre publicitaire qui est constamment en hausse, je me disais : s'il y a un enjeu, c'est pas celui-là, c'est l'enjeu inverse qui est le matraquage publicitaire.  Il ne s'agit pas d'une question qui a été abordée de façon… Une fois que j'ai eu l'assurance que c'était pas une considération qui allait nuire à notre dossier, ça ne m'a pas intéressé, la suite ne m'a pas intéressé.  Je n'avais pas l'intention… Nous n'avons jamais eu l'intention de s'armer d'armes… de documents ou de preuves ou d'analyses qui permettraient de lutter contre cette éventuelle parade sur la liberté d'expression, on ne considérait pas que c'était ça l'enjeu principal. »

[149]     À première vue, le conseiller, Alex Norris, apparaît dans son témoignage devant le Tribunal plus nuancé; il affirme que s'il existe une utilité pour le public aux discours des demanderesses, ceux-ci ne possèdent pas la même importance que le fait de vouloir éliminer ce qu'il qualifie de nuisance pour le paysage.  Cependant, le communiqué émis par l'arrondissement[84] le 7 septembre 2010 ne laisse place à aucun doute, sa lecture s'impose à nouveau, à cet égard[85].

[150]     Rappelons que le Tribunal ne doit pas discuter ou analyser la motivation des gestes ou des décisions qui relèvent de la sphère politique, dans la mesure où ceux-ci ne révèlent pas une conduite empreinte de mauvaise foi ou qui apparaîtrait discriminatoire à l'instar de l'affaire Roncarelli c. Duplessis[86].  Il s'agit plutôt pour lui de déterminer la conformité de la réglementation municipale avec les principes généraux du droit applicable, incluant sa conformité constitutionnelle.  Un règlement peut posséder tous les attributs de légitimité politique sans pour autant passer le test de sa conformité avec les droits fondamentaux applicables.

[151]     À l'évidence, la prévention de la pollution visuelle représente un objectif raisonnable, réel et urgent.  Ici, cependant, il importe de souligner qu'il ne s'agit pas uniquement de la prévention d'un mal anticipé, mais de l'éradication d'une situation qui existe depuis plusieurs décennies, qui ne subsiste que grâce à l'existence de droits acquis et qui subit une attrition progressive, possiblement irréversible, vu la perte d'espace d'affichage causée par le développement immobilier.

[152]     Pour le Tribunal, le résultat demeure le même, mais il n'apparaît pas inutile de souligner que le fardeau qui pèse sur l'administration publique apparaît plus facile à assumer dans le cas où on veut prévenir un mal que dans le cas où l'on vise l'élimination de l’exercice d'une forme de droit fondamental qui existe de façon légitime et légale depuis fort longtemps.

[153]     Il importe aussi de noter que le témoignage de Norris quant à l'existence de dispositions réglementaires ou législatives similaires dans d'autres municipalités canadiennes, en l'occurrence Wesmount, Victoria et Hudson ou ailleurs dans le monde, au Vermont, au Maine, à Hawaii, Sao Paulo et Grenoble ne peut servir de preuve concluante quant à la nature juridique réelle de celles-ci.  En effet, le témoin peut bien l'affirmer, mais la preuve découle de la production au dossier des textes législatifs ou réglementaires pertinents.

3.4.2.3      Le lien rationnel

[154]     Pour la Ville, il existe un lien rationnel entre les objectifs poursuivis et les mesures prises pour l'adoption des règlements 2010-10 et 2010-14 parce que les enseignes publicitaires dévalorisent le paysage urbain en brisant son homogénéité et leur prédominance atténue la visibilité des autres composantes du paysage, ce qui en banalise la qualité.  De plus, en s'ajoutant aux enseignes commerciales nécessaires à la vie commerciale de l'arrondissement, elles peuvent surcharger le paysage urbain.

[155]     À l'évidence, l'objectif de visibilité des enseignes publicitaires que poursuivent les demanderesses et l'effort d'harmonisation de la qualité du paysage que vise l’arrondissement s'opposent.

[156]     L'experte Marie-Claude Robert, architecte paysagiste, soutient, dans son rapport[87], que les enseignes publicitaires, en raison de leur taille et de leur positionnement, attirent l'attention des automobilistes et peuvent devenir source de distraction qui deviendrait alors une source d'insécurité pour les piétons et les cyclistes. Notons, cependant, que le Tribunal ne peut retenir de telles conclusions en l'absence de compétence du témoin pour tirer de telles conclusions qui débordent de son champ d'expertise. Elle note, également, que l'élimination des enseignes publicitaires, souvent associées à des milieux plus industriels ou commerciaux, participe à la requalification de certains secteurs en améliorant la qualité des paysages urbains en les rendant plus attrayants.  Elle ajoute qu'il existe un lien rationnel entre les objectifs poursuivis et les mesures prises pour l'adoption des règlements 2010-10 et 2010-14.

[157]     Selon elle, les enseignes publicitaires dévalorisent le paysage urbain et en brisent l'homogénéité puisque leur prédominance dans le paysage atténue la visibilité des autres composantes du paysage et en banalise la qualité. Puisque les enseignes publicitaires s'ajoutent aux enseignes commerciales nécessaires à la vie commerciale de l'arrondissement, elles peuvent surcharger ainsi le paysage urbain.

[158]     Elle reconnaît que l'objectif de visibilité des enseignes publicitaires et l'effort d'intégration poursuivi par la collectivité au chapitre de la qualité du paysage constituent deux objectifs qui s'opposent.

[159]     De plus, l'élimination des enseignes publicitaires, souvent associées à des milieux plus industriels ou commerciaux, favorise la requalification résidentielle ou mixte de certains secteurs en améliorant la qualité du paysage urbain en rendant ces secteurs plus attrayants.

[160]     Les entreprises soutiennent que les panneaux-réclames ne constituent pas des nuisances visuelles parce qu'ils participent, bien au contraire, à l'animation urbaine, notamment parce que les messages diffusés résultent souvent d'une démarche artistique visant la création d'un concept accrocheur.

[161]     D'après elles, les 38 panneaux-réclames se trouvent en grande majorité localisés le long de la limite Nord et Est de l'arrondissement, dans les zones industrielles et commerciales longeant la voie ferrée du Canadien Pacifique.  Neuf (9) se trouvent situés ailleurs que dans les zones longeant cette voie ferrée et donc, dans des zones à prédominance commerciale ou parfois mixte commerciale/résidentielle. Aucun ne se trouve dans une zone à prédominance résidentielle.[88]

[162]     Les demanderesses synthétisent ainsi la position de la Ville : en décrétant une prohibition totale des panneaux-réclames, le Règlement vise à empêcher l'augmentation de prétendues nuisances visuelles et en décrétant l'enlèvement forcé de tous les panneaux-réclames existants il vise à éliminer celles-ci, vu leur grande superficie et leur luminosité, afin d'améliorer l'encombrement du paysage urbain qui résulterait de leur présence.

[163]     Selon elles, cet objectif d'éliminer les nuisances visuelles découle d'une nette subjectivité et son importance diminue de façon marquée puisque l'on tombe, selon elles, dans le domaine du « bon goût » et du « j'aime/je n'aime pas ».

[164]     Elles ajoutent que la plupart des panneaux-réclames sur le territoire de l'arrondissement montrent une superficie d'affichage similaire à certaines enseignes commerciales.  Certains possèdent un éclairage intégré (panneaux rétro-éclairés) alors que d'autres dirigent la lumière à partir de supports accrochés afin que les projecteurs illuminent la surface publicitaire et il n'existerait aucun effet d'éblouissement ou de nuisance lumineuse.

[165]     Elles prétendent que certains panneaux-réclames constituent même une belle animation visuelle par nuit obscure et des éléments venant améliorer l'environnement où ils se trouvent, par exemple en zone industrielle, devant des murs aveugles, sur des terrains vagues ou dans des stationnements.

[166]     Pour elles, en zone commerciale, les panneaux-réclames se retrouvent dans un environnement rempli d'enseignes commerciales identifiant les établissements s'y trouvant et leur impact visuel ne diffère pas généralement de celui des enseignes commerciales qui les entourent.

[167]     Elles concluent qu'il n'existe pas de lien rationnel entre un objectif de réduction des nuisances visuelles et la prohibition totale des panneaux-réclames, incluant l'enlèvement forcé de ceux existant sur le territoire de l'arrondissement.

[168]     Cependant, rappelons que dans Guignard[89], la Cour suprême détermine que vouloir prévenir la pollution visuelle et limiter les distractions visuelles pour les automobilistes constituent des objectifs réels et urgents.  Il n'existe aucune raison pour remettre cette détermination en cause en l'instance.  Ici, la Ville ajoute d'autres justifications.  À l'évidence, la Ville assume son fardeau à cet égard.

[169]     Cette conclusion s'appuie également sur la reconnaissance de l'existence d'un lien causal entre la violation et l'avantage recherché reposant sur la raison ou la logique, sans insister sur la nécessité d'une preuve directe de lien entre la mesure attentatoire et l'objectif législatif, ce qui découle d'une série de décisions du plus haut tribunal du pays[90].


3.4.2.4      L'atteinte minimale

[170]     Pour la Ville, l'interdiction des enseignes publicitaires constitue pour elle une atteinte minimale à la liberté d'expression.

[171]     Elle soutient que l'interdiction des enseignes publicitaires prévue à l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme[91] dans un arrondissement à prédominance résidentielle, ne s'applique pas dans les 16 autres arrondissements et qu'elle s’accompagne d’exceptions telles que celles prévues pour les enseignes visées par les chapitres IV et V du Titre V de ce règlement.

[172]     Elle ajoute que l'interdiction ne vise qu'un médium ne représentant qu'une part du marché publicitaire et qu'il existe de nombreux autres médias qui permettent de cibler et rejoindre le consommateur de nos jours.  À ce sujet, elle s'appuie sur le rapport d'Anik St-Onge[92].

[173]     Aussi, la réglementation n'interdit pas toute forme de publicité puisque les compagnies d'affichage peuvent utiliser d'autres formes d'affichage sur le territoire de l'arrondissement.

[174]     Elle soutient sa position en citant les énoncés jurisprudentiels suivants :

42. (…) Dans l’arrêt Ford, notre Cour a statué qu’une interdiction totale d’utiliser une autre langue que le français sur les enseignes commerciales ne pouvait satisfaire aux exigences du critère de proportionnalité, notamment aux volets du lien rationnel et de l’atteinte minimale. Par contre, dans l’arrêt Irwin Toy, précité, notre Cour a maintenu les restrictions importantes quant au contenu (par opposition à une interdiction totale) de la publicité destinée aux enfants. Il sera, en conséquence, plus difficile de justifier l’interdiction totale d’une forme d’expression que les restrictions quant aux heures, au lieu et au mode d’expression.[93]

[34] (…) As Mr. LeTourneux for the City argued, then, if one wished to restore the beauty of Vancouver’s skyline, the prohibition of roof-top signs was the only realistic way to do so. In the overall scheme, moreover, the prohibition is a relatively minor infringement on free expression since many types of signs are still permitted at many locations on and around buildings and other structures, or as free-standing structures, throughout Vancouver.[94]

[175]     Pour la Ville, toute interdiction tant sur une portion de rue que dans un quartier ne devient pas nécessairement problématique puisque conclure autrement reviendrait à dire qu'il n'existe pas d'endroit où empêcher les enseignes publicitaires.

[176]     La municipalité soutient qu'il existe une proportionnalité entre l'ensemble des bénéfices de la réglementation et l'atteinte à la liberté d'expression. L'interdiction des enseignes sur une petite partie du territoire de la Ville de Montréal limite minimalement la liberté d'expression, alors que cette mesure entraîne des bénéfices au chapitre de la valorisation des paysages, de la sécurité des piétons, de la réduction de la pollution visuelle de même que de la requalification de secteurs d'un arrondissement fortement résidentiel de la Ville de Montréal.

[177]     Ainsi, pour la Ville, puisque l'atteinte à la liberté d'expression constatée à l'article 487.1 du Règlement VM-3 apparaît donc justifiable dans le cadre d'une société libre et démocratique, il ne subsiste donc pas de violation injustifiée à la liberté d'expression.

[178]     Pour les demanderesses, l'arrondissement possède une panoplie de pouvoirs réglementaires lui permettant de s'assurer que les nouveaux panneaux-réclames se situent dans les zones appropriées et que l'on entretienne correctement ceux existants sans devoir les prohiber totalement ou d'en forcer l'enlèvement sur son territoire.

[179]     Notamment, l'article 113, paragraphe 14, de la LAU autorise l'arrondissement, par l'effet de l'article 131 de la Charte de la Ville de Montréal[95], à déterminer les zones où elle entend autoriser les panneaux-réclames et à quelles conditions.

[180]     Pour elles, selon l'arrêt Vann Media Group inc. c. Oakville[96], l'arrondissement, dans l'exercice de ce pouvoir, doit cependant s'assurer qu'il laisse des espaces raisonnables et viables pour les fins d'exploitation des panneaux-réclames.

[181]     Elles invoquent que la LAU permet d'assujettir la construction d'un panneau-réclame à l'approbation d'un plan d'implantation et d'intégration architecturale afin de s'assurer que celui-ci s'intègre bien à son environnement[97], d'assujettir à son approbation tout projet de construction d'un nouveau panneau-réclame dans certaines zones où l'on n'autorise pas ces panneaux de plein droit et lui donne la possibilité d'imposer les conditions qu'il juge appropriées à cette approbation[98], d'assujettir à son approbation tout projet particulier de construction d'un nouveau panneau-réclame dans certaines zones où l'on n'autorise pas ces panneaux de plein droit et lui donne la possibilité d'imposer les conditions qu'il juge appropriées à cette approbation[99].

[182]     Quant aux panneaux-réclames existants, elles soumettent que l'arrondissement détient les pouvoirs d'adopter des règlements pour s'assurer du maintien en bon état des panneaux-réclames en vertu de l'article 136.1 de la Charte de la Ville de Montréal.

[183]     Donc, pour elles, l'arrondissement dispose de bien d'autres moyens pour régir adéquatement les panneaux-réclames sur son territoire, sans porter atteinte de manière aussi radicale à la liberté d'expression comme elle le fait en interdisant purement et simplement tous les panneaux-réclames sur son territoire, incluant ceux déjà existants.

[184]     Les publicitaires évoquent, à titre prémonitoire, les propos du conseiller de la Ville, Alex Norris que nous citons à nouveau :

« Nos recherches nous indiquent qu'aucune ville canadienne et aucun arrondissement montréalais n'ont encore agi de façon aussi complète pour bannir et faire enlever les panneaux-réclames de leur territoire.  Je leur lance un défi aujourd'hui : imitez-nous et faisons de Montréal une ville sans panneaux-réclames », a conclu Alex Norris, fier d'améliorer la beauté du Plateau-Mont-Royal. »[100]

[185]     Quant à l'analyse de ce critère, dans Ville de Montréal c. 2952-1366 Québec inc.[101], la Cour suprême énonce :

[94] Premièrement, lorsqu’ils s’attaquent à un problème social comme celui-ci, en présence d’intérêts et de droits conflictuels, les représentants élus doivent bénéficier d’une certaine latitude.  La Cour n’interviendra pas du seul fait qu’elle peut imaginer un moyen plus adéquat, moins attentatoire, de remédier au problème.  Il suffit que la Ville démontre qu’elle a conçu une mesure restrictive  raisonnablement adaptée à la situation. Cela vaut particulièrement dans le domaine de la protection de l’environnement, où les avis divergent, les intérêts s’opposent et la précision est inatteignable : Canadien Pacifique.

[186]     Puis dans Canada (P.G.) c. JTI-Macdonald[102] :

[43] Là encore, une certaine déférence peut être indiquée lorsque le problème auquel s’attaque le législateur est un problème social complexe.  Il peut exister plusieurs façons d’aborder un problème, sans qu’on l’on sache avec certitude laquelle sera la plus efficace.  Il peut être possible, dans le calme de la salle d’audience, d’imaginer une solution qui porte moins atteinte au droit en cause que celle adoptée par le législateur.  Toutefois, il faut également se demander si, au regard des moyens choisis par le législateur, cette solution serait raisonnablement efficace.  Pour compliquer les choses, il se peut qu’un régime législatif vise un certain nombre d’objectifs et que l’atteinte minimale portée à un droit dans la poursuite d’un objectif particulier empêche la réalisation d’un autre objectif.  La formulation de solutions législatives à des problèmes complexes est forcément une tâche complexe, qui commande une évaluation et une mise en balance.  C’est pourquoi notre Cour a conclu que, en ce qui touche les questions sociales complexes, l’exigence d’atteinte minimale est respectée si le législateur a choisi l’une des diverses solutions raisonnables qui s’offraient : R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713, et Irwin Toy.[103]

[187]     La preuve révèle que parmi les différents moyens de diffusion disponibles de messages, l'affichage publicitaire extérieur constitue de loin le média le moins coûteux tout en offrant un haut niveau de diffusion[104].

[188]     Ce rapport entre l'impact et les coûts permet de mettre à la disposition des personnes désirant rejoindre un large auditoire, mais ne possédant pas nécessairement les ressources requises afin de diffuser un nombre suffisant de messages à la télévision, à la radio ou dans les journaux, de recourir à l'affichage extérieur comme moyen de diffusion efficace.  Celui-ci permet d'offrir une couverture géographique très précise, notamment à l'échelle d'un quartier, ce qui s'avère impossible avec des médias tels que la télévision, la radio ou les magazines.

[189]     Pour cette raison, et grâce à son faible coût, l'affichage extérieur par les annonceurs disposant de budgets limités et visant des cibles très précises sur le plan géographique privilégie ce mode d'expression.

[190]     Ainsi, des petites entreprises, incluant les détaillants et restaurateurs de quartier, les institutions culturelles dont les théâtres, les salles de spectacle ou les musées ainsi que les institutions éducatives ou les organismes sans but lucratif, pour qui les budgets disponibles s'avèrent généralement peu élevés, et pour qui la capacité de rejoindre à faible coût un auditoire important apparaît essentielle, utilisent ce moyen pour rejoindre le public.

[191]     De plus, compte tenu de son impact visuel et de ses possibilités créatives de plus en plus diversifiées, l'affichage publicitaire extérieur se classerait comme un des véhicules privilégiés par les agences et les créateurs, que ce soit au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde[105].

[192]     Au cours des dernières années, alors que les budgets destinés aux médias traditionnels connaissent des baisses importantes avec l'avènement des nouveaux médias, l'affichage extérieur et intérieur maintenait sa part de marché, pour atteindre des investissements de 130 M$ en 2009, soit 6% de l'enveloppe publicitaire disponible dans le marché comparativement à 5,5% en 2000[106].

[193]     Pour la même période, la télévision généraliste, les quotidiens et les magazines connurent une baisse de leur revenu publicitaire.  Ainsi, dans un monde où l'auditoire des médias se fragmente chaque jour davantage, l'affichage publicitaire extérieur se distingue des autres médias de masse car il génère des hauts niveaux de fréquence d'exposition aux messages affichés et peut constituer un média idéal pour la compréhension rapide d'un message publicitaire ou d'intérêt public.

[194]     Pour les demanderesses, la prohibition et la réduction du nombre de panneaux-réclames porteraient également préjudice aux fondations, organismes de charité et autres organismes sans but lucratif oeuvrant notamment dans le domaine de la santé, de l'éducation, de l'environnement et de la culture, qui se verraient ainsi privés de l'espace publicitaire mis gratuitement à leur disposition par elles, à hauteur d'environ 3% de leur espace publicitaire, ce qui en 2010 représente une valeur au marché de plus de 3,0 M$ au Québec, dont la majeure partie attribuable au marché de Montréal[107].

[195]     De plus, en vertu d'un protocole d'entente spécifique, les entreprises offrent des espaces d'affichage gracieusement au ministère des Transports du Québec pour des campagnes de sécurité publique ce qui représente une valeur totale de près de 3M $ entre 2008 et 2013[108].

[196]     Comme pour l'ensemble des médias, Montréal représente une part prépondérante de l'offre tant sur le plan du nombre de structures disponibles qu'à l'égard du nombre de personnes rejointes par le média puisque 72% des panneaux-réclames situés au Québec se trouvent dans la région métropolitaine de Montréal et que ce marché compte pour 84% des personnes rejointes[109].

[197]     À l'évidence, la logique permet de conclure que la prohibition totale des panneaux-réclames, incluant l'obligation d'enlever les panneaux-réclames existants, dans un arrondissement aussi important que le Plateau-Mont-Royal, nuit assurément à la couverture géographique offerte par les panneaux-réclames dans la région métropolitaine de Montréal et par le fait même à l'efficacité de ce média comme moyen d'expression.

[198]     Notons que d'importantes voies de circulation urbaine, telles que le boulevard Saint-Laurent, la rue Saint-Urbain, la rue Saint-Denis, l'avenue Papineau, l'avenue de Lorimier, la rue D'Iberville, l'avenue Christophe-Colomb, l'avenue du Parc, l'avenue Van Horne, le boulevard Saint-Joseph et la rue Sherbrooke traversent cet arrondissement.

[199]     Rappelons enfin que l'arrondissement englobe une population de plus de 100 000 habitants et une des plus fortes densités de population au Canada, soit 12 430 habitants au kilomètre carré.

[200]     Il s'ensuit que les personnes désirant communiquer un message de manière ciblée à la population habitant ou fréquentant cet arrondissement perdraient ainsi un moyen efficace et économique de le faire.

[201]     Soulignons que l'experte en communication marketing et médias de la Ville, Anik St-Onge opine que : « Dans un avenir rapproché, le média de l'affichage deviendra probablement le seul média de masse. »[110]  Il va de soi que cette affirmation emporte des conséquences : bannir totalement le mode d'expression entraînera inéluctablement une perte du discours social.

[202]     À ce sujet, certains, dont les représentants de la Ville, n'y voient uniquement qu'un discours de nature commerciale, ne possédant aucune valeur sociale particulière.  Il s'agit assurément de leur opinion.  Cependant, la réalité apparaît plus complexe et la preuve révèle le contraire.  Certes, la très grande proportion des messages que l'on retrouve sur les panneaux-réclames, environ 95%, constitue de la publicité commerciale, entendue dans le sens de la promotion de biens ou de services à des fins de séduire le consommateur à la recherche de ceux-ci.

[203]     Cependant, les 5 % résiduels de ces messages s'inscrivent dans une autre perspective tout comme le fait une certaine partie des précédents.  Quant à ces derniers, la preuve révèle que les demanderesses mettent à la disposition des parties politiques des espaces publicitaires à des prix uniformes pour tous pendant les campagnes électorales.  Des photographies illustrent cette utilisation[111].  On se trouve donc alors au cœur même des valeurs fondamentales que promeut la liberté d'expression[112].

[204]     La proportion résiduelle du discours provient de publicité de deux types.  L’un se compose de messages d'intérêt public diffusés gratuitement, par exemple pour le compte du ministère des Transports du Québec (MTQ) qui visent à sensibiliser les automobilistes à différentes problématiques, la cohabitation entre automobiles et piétons ou cyclistes s'avérant l'une d'elles.  Il s'agit là également d'un discours qui se situe au cœur de la finalité d'un message d'intérêt public.

[205]     Le second, que l'on pourrait qualifier dans le sens générique du terme de discours commercial, participe cependant à une réalité plus subtile.  Il s'agit de publicités pour le compte d'organismes sans but lucratif, de fondations caritatives ou sociales, d’entreprises culturelles ou à vocation communautaire.  La preuve révèle que les demanderesses accordent à cette catégorie de citoyens l'accès à leur panneau sans en payer la valeur commerciale réelle ou sans rien débourser dans certains cas.

[206]     L'abolition de la possibilité pour ces personnes physiques ou morales de pouvoir bénéficier d'un accès à un coût moindre permet au Tribunal d'inférer et de conclure que cette disposition causera un tort important à celles-ci.  En effet, les expertes St-Onge[113] pour la Ville et Deniger[114] pour les publicitaires s'entendent pour dire que les panneaux-réclames constituent le moyen le plus économique pour rejoindre le public cible.

[207]     Notons d'ailleurs, que par sa constitution démographique, l'arrondissement représente assurément un public cible privilégié par ces entreprises sociales, caritatives ou culturelles.

[208]     Tel que l'affirme l'arrêt Rocket[115], une partie du contexte dans lequel s'apprécient les valeurs concurrentes, celles de la restriction et la liberté d'expression, peut s'apprécier en fonction du caractère entièrement commercial ou non de l'expression visée[116].  La Cour rappelle alors ce qu'elle énonçait dans l'affaire Irwin Toy Ltd c. Québec (P.G.)[117] qui veut qu’une restriction à la liberté d’expression ne vise qu’un discours de nature économique pourra se justifier plus facilement que la perte d'occasion de pouvoir participer au processus politique ou au monde des idées ou de réaliser un épanouissement personnel sur le plan spirituel ou artistique[118].

[209]     Dans Guignard[119], le contexte factuel sur lequel se penche la Cour suprême s'apparente au nôtre.  Il s'agit en effet de déterminer dans quelle mesure un règlement municipal de la Ville de St-Hyacinthe peut empêcher un résident d'afficher sur sa propriété par le moyen d'un panneau-réclame ses motifs de récriminations à l'endroit de son assureur alors que la municipalité ne permet ce moyen d'expression que dans les rues industrielles.

[210]     La haute instance rappelle que bien qu'il faille respecter la relation de proximité avec ses citoyens de l'administration publique locale, les pouvoirs municipaux doivent s'exercer conformément aux principes de la Charte[120].  Elle réitère[121] les conclusions de l'arrêt Ramsden c. Peterborough (Ville)[122] quant à :

25. (…) l'importance de l'affichage comme moyen de communication efficace et peu coûteux pour les particuliers et les groupes dépourvus de ressources économiques suffisantes.  Utilisées depuis des siècles pour communiquer des renseignements de nature politique, artistiques ou économique, les affiches transmettent des messages parfois percutants.  Sous des formes diverses, l'affichage constitue ainsi une forme d'activité expressive publique, accessible et efficace pour qui ne peut recourir aux campagnes médiatiques.

[211]     La Ville de St-Hyacinthe plaidait alors, en substance, la même justification que la Ville en l'instance : la volonté de prévenir la pollution visuelle. Ici, selon la Ville, il s'agit d’éliminer ce type de pollution et de minimiser les sources de distraction des automobilistes.  Quant au premier élément, celui-ci se décline en plusieurs notions, dont celles relatives à l'échelle humaine du paysage urbain, à la valorisation de l'expérience piétonnière ou cycliste ou au caractère purement esthétique de cette forme d'expression.  Quant au second, il suffit de dire qu'aucune preuve de la Ville ne permet de l'étayer bien que celle-ci en fasse état dans ses documents justificatifs[123] élaborés après l'adoption du règlement.  En réalité, la preuve démontre le contraire de ce que peut soutenir la Ville à cet égard[124].

[212]     Ainsi, dans Guignard, la Cour suprême conclut à une grave restriction à la liberté d'expression et, bien qu'il existe des moyens alternatifs d'expression, elle détermine que le règlement ne constitue pas une solution raisonnable parmi celles normalement laissées à l'appréciation de l'autorité publique[125].  Elle statue aussi à l’impact disproportionné sur la liberté d'expression de l'individu par rapport aux avantages que la réglementation confère à la municipalité[126].

[213]     Dans JTI-MacDonald, le plus haut tribunal énonce ainsi les questions que doit résoudre le Tribunal dans son analyse relative à l'atteinte minimale et la proportionnalité des mesures qui restreignent le droit en question :

45. (…) Quels effets bénéfiques la mesure aura-t-elle sur le plan du bien collectif recherché?  Quelle est l’importance de la restriction du droit?  La restriction est-elle justifiée lorsque les avantages qu’elle procure sont mis en balance avec la mesure dans laquelle elle limite le droit en question?

46. Bien que la question de l’atteinte minimale soit souvent déterminante, l’examen final de la proportionnalité des effets est essentiel.  C’est seulement à cette étape que la réalisation de l’objectif peut être soupesée en fonction de l’effet sur le droit en question.  Si les exigences de lien rationnel et d’atteinte minimale étaient respectées et que l’analyse devait s’arrêter là, il se pourrait qu’en présence d’un objectif moins important la validité d’une atteinte grave à un droit soit confirmée.

47. Comme nous le verrons, bien que l’argumentation ait surtout porté sur la question de l’atteinte minimale, la présente affaire met en cause des préoccupations relatives à la proportionnalité des effets.  Les effets bénéfiques potentiels de la réduction de l’usage du tabac et de la prévention du tabagisme chez les jeunes sont très grands.  Par contre, on peut soutenir qu’un certain nombre des effets négatifs sur le droit en question se situent au bas de l’échelle de la liberté d’expression.  (La présumée interdiction de la publication des résultats d’une recherche scientifique est une exception.)  Lorsque l’expression commerciale est utilisée, comme on le fait valoir en l’espèce, pour inciter les gens à adopter un comportement préjudiciable et toxicomaniaque, sa valeur devient faible.[127]

[214]     Le Tribunal demeure conscient qu'il doit faire preuve de déférence lorsque le législateur s'attaque à un problème social complexe tel que par exemple, la nécessité d'interdire la publicité sur le tabac comme moyen de prophylaxie sociale pour enrayer un mal, en l'occurrence, le tabagisme, dont les conséquences néfastes sur la santé ne peuvent pas faire l'objet de remises en question sérieuses[128].  Ici, le mal en question apparaît, d'une part, beaucoup moins sérieux et, d'autre part, beaucoup moins complexe.

[215]     Moins sérieux parce qu'il relève d'une conception somme toute idéologique, le mot devant s'entendre sans connotation péjorative, de l'administration publique élue, pour des raisons en partie esthétique et en partie reliée à sa définition d'une qualité de vie idéale.  Or, les méfaits du tabagisme en termes de coûts en vie humaine et en soins de santé, pour ne nommer que ceux-là, apparaissent évidemment et éminemment plus importants que les conséquences de panneaux-réclames sur la pollution visuelle d'une agglomération urbaine importante ou sur l'expérience piétonne ou cycliste à échelle humaine.

[216]     Le Tribunal tient à faire preuve de clarté : il ne s'agit pas pour lui de remettre en question cette conception de l'administration publique, mais bien plutôt d'en apprécier objectivement le fondement et les conséquences sociales dans les limites entre autres de la preuve mais aussi, dans le cadre de l'analyse sous l'article premier de la Charte, des inférences et conclusions raisonnables que l'on peut tirer des connaissances que possède le Tribunal quant au fonctionnement de la société, de ses valeurs et de son histoire.

[217]     Moins complexe aussi parce qu'il ne s'agit pas en l'instance de contrer une problématique sociale polymorphe, mettant en cause plusieurs éléments sociologiques hétérogènes.

[218]     Le Tribunal n'ignore pas ce qu'enseigne l'arrêt Montréal c. 2952-1366 Québec[129] à ce sujet :

94.      Premièrement, lorsqu’ils s’attaquent à un problème social comme celui-ci, en présence d’intérêts et de droits conflictuels, les représentants élus doivent bénéficier d’une certaine latitude.  La Cour n’interviendra pas du seul fait qu’elle peut imaginer un moyen plus adéquat, moins attentatoire, de remédier au problème.  Il suffit que la Ville démontre qu’elle a conçu une mesure restrictive  raisonnablement adaptée à la situation.  Cela vaut particulièrement dans le domaine de la protection de l’environnement, où les avis divergent, les intérêts s’opposent et la précision est inatteignable : Canadien Pacifique.

[219]     Tel que l'exprime sans ambages le maire Ferrandez, l'origine de la prohibition provient d'un choix urbanistique qui postule que les panneaux-réclames constituent de la pollution visuelle qui ne participe pas à l'échelle humaine de la Ville, tel qu'on le constate au communiqué du 7 septembre 2010[130] publié le matin de l'adoption du règlement 2010-14.  Dans le cadre de la défense de sa réglementation, la Ville ajoute que cela permettra d'améliorer l'expérience piétonne et participera à la valorisation des paysages urbains tout en aidant à la requalification de certains milieux plus industriels ou commerciaux.

[220]     Puisque ces derniers motifs de justification s'inscrivent dans un démembrement du concept large de ce que l'on appelle « la pollution visuelle », le Tribunal conclut que son analyse doit porter sur ces quatre éléments.  Il ne s'agit pas ici pour le Tribunal d'agir en censeur du bon goût ou de l'esthétique urbaine, mais bien plutôt de qualifier juridiquement la valeur des effets bénéfiques par rapport à leurs effets délétères sur la liberté d'expression.

[221]     Évidemment, dans le champ d'une science sociale telle l'urbanisme plusieurs écoles de pensée cohabitent.  Il n'appartient pas au Tribunal de décider laquelle réunit le plus de mérite. Il suffit de voir si les mesures adoptées par la Ville devraient logiquement et selon la preuve, s'avérer bénéfiques et non exiger qu'elles démontrent que celles-ci entraîneraient effectivement les effets bénéfiques escomptés[131].

[222]     La Ville plaide que la prohibition n'existe que pour une petite partie de son territoire, en l'occurrence l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal et que des arrondissements limitrophes ou quasi-limitrophes, ceux de Ville-Marie ou Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce par exemple, ne possèdent pas de tel règlement.  Elle ajoute que les panneaux-réclames des demanderesses ne constituent qu'une infime partie, environ de 2% à 2,5% des « faces » de panneaux disponibles sur l'ensemble de la grande région de Montréal.  Notons pour fin de référence, que cette région englobe l'île de Montréal et un périmètre d'environ 40 kilomètres de circonférence.  Rappelons qu'elle complète sa défense de la réglementation en invoquant qu'il existe d'autres moyens d'affichage sur le territoire de l'arrondissement ainsi que de nombreux autres médias pour effectuer une campagne publicitaire telle la radio et la télévision, Internet, les téléphones intelligents et l'affichage intérieur.

[223]     Selon le maire Ferrandez, le retrait des panneaux-réclames de l'arrondissement se veut un coup de pinceau sur la toile que composent des mesures comme le zonage, l'urbanisme ou d’autres pouvoirs réglementaires que celui-ci possède pour tenter de mettre de l'avant la conception du « Travailler, vivre et jouer »[132] que son administration préconise.  Il ne peut rien dire sur les chances de réussite ou sur l’effet probable de cette initiative.  Il semble que pour la Ville, cela va de soi.

[224]     Mais il n'en demeure pas moins que cette réglementation repose pour l’essentiel sur des assises purement conceptuelles. Il devient donc difficile, pour dire le moins, d’établir dans quelle mesure la réglementation comporte suffisamment d’effets bénéfiques pour justifier la restriction au droit.  Néanmoins, la logique et la preuve permettent au Tribunal de conclure que des effets bénéfiques sur l'amélioration du paysage urbain découleraient de l'élimination de ce que l'arrondissement qualifie de pollution visuelle.

[225]     Dans Ramsden, la Cour suprême conclut que puisque les avantages du règlement qui cherchait à éviter la présence de déchets dans les rues, l'existence d'irritants esthétiques et des dangers pour la circulation, ce qui ressemblent fortement à notre affaire, en interdisant tout affichage sur une propriété publique, apparaissent limités alors que l'abrogation s'avère totale, il n'existe pas de proportionnalité entre les effets et l'objectif visé :

… Bien que les objectifs législatifs soient importants, ils ne justifient pas le refus total de donner accès à une forme d'expression historiquement et politiquement importante.  Sur ce point, je suis d'accord avec la Cour d'appel de l'Ontario à la majorité qui affirme, à la p. 294, que [TRADUCTION] «[s]'il faut choisir entre une restriction totale de ce droit important et la présence de quelques déchets, il faut certainement tolérer la présence de quelques déchets».  En conséquence, le règlement ne saurait être justifié en vertu de l'article premier.[133]

[226]     Le Tribunal convient aisément qu'il demeure préférable de laisser au processus politique et législatif l'évaluation des raisons de principe qui sous-tendent une mesure législative.  Cependant, le rôle des tribunaux consiste à protéger les droits constitutionnels en cherchant une solution qui permette, dans la mesure du possible, d'établir un équilibre entre les droits en cause.

[227]     Dans le cadre de l'étude de la constitutionnalité d'une disposition législative attaquée, la volonté législative ne constitue pas un objectif absolu devant lequel les tribunaux doivent s'incliner automatiquement, mais elle constitue un des éléments à considérer dans le cadre d'une analyse globale de la proportionnalité[134].

[228]     Dans l'analyse de ces éléments, il importe de garder à l'esprit que la gravité de la restriction à la liberté d'expression variera en fonction de l'ampleur de l'atteinte et du degré d'incompatibilité des mesures restrictives avec les principes inhérents à une société libre et démocratique[135].

[229]     Ici, à charge de redite, l'atteinte s'avère maximale par la suppression totale de tous les panneaux-réclames de l'arrondissement.

[230]     Dans RJR-MacDonald inc. c. Canada (P.G.)[136], la Cour suprême enseigne que les interdictions totales doivent s'analyser de façon sévère et que seule une preuve clairement convaincante permettra de sauvegarder les dispositions qui les établissent[137].

[231]     Malgré ce qu'en dit le conseiller Norris, ce sur quoi le Tribunal ne pose aucun jugement quant à la légitimité d'entretenir une telle opinion, la liberté d'expression commerciale bénéficie d'une protection importante.  Ainsi, la Cour suprême en réitère l'importance dans Guignard :

« Dans l'application de l'al. 2b) de la Charte, notre Cour a reconnu une valeur considérable à la liberté d'expression commerciale.  La nécessité de cette dernière découle de la nature même de notre régime économique qui est fondé sur l'existence d'un libre marché.  Or, le fonctionnement harmonieux de ce marché repose sur l'accès des entreprises et des consommateurs à une information abondante et diversifiée. »[138]

[232]     Elle ajoute :

« … Sous des formes diverses, l'affichage constitue ainsi une forme d'activité expressive publique, accessible et efficace pour qui ne peut recourir aux campagnes médiatiques. »[139]

[233]     Dans Ramsden, elle énonce :

« L'affichage constitue historiquement un moyen de communication efficace et relativement peu coûteux.  Les affiches servent depuis des siècles à communiquer des renseignements de nature politique, culturelle et sociale. »[140]

[234]     Certes, la très grande partie du discours véhiculé par les panneaux-réclames relève de l'offre commerciale la plus élémentaire : des publicités pour des produits et des services qui ne possèdent aucun lien avec le discours politique ou social entendu dans leur sens le plus noble et englobant.

[235]     Assurément, tel que l'évoque la Cour suprême dans Guignard, la publicité commerciale caractérise les sociétés occidentales par son omniprésence.  Ainsi, vu l'importance majeure de l'activité économique dans notre société, ce type de communication comporte une importance sociale certaine[141].

[236]     Or, la vie en société comporte de nombreux irritants.  Évidemment, chacun peut concevoir la nature et la portée de ceux-ci de façon différente.  Il appartient aux élus d'en déterminer les paramètres s'ils le jugent à propos et aux tribunaux d'en apprécier la légalité.

[237]     Certains, à l'instar du maire Ferrandez, peuvent penser que la liberté d'expression sert de faux-semblant aux demanderesses pour leurs opérations strictement commerciales et en galvaudent la nature et la finalité.  Il s'agit de leur droit le plus strict.  Néanmoins, cette liberté existe pour tous et l'on peut même affirmer qu'elle sert d'abord et avant tout à protéger un discours impopulaire ou marginal.  En effet, à priori, le discours majoritaire ou non dérangeant ne requiert habituellement pas la protection de la loi pour se propager.  Cela constitue le prix à payer pour vivre dans une société pluraliste où le bien côtoie le mal, la beauté avoisine la laideur, le silence lutte avec le bruit et le mieux fréquente le pire.

[238]     À l'instar de ce qu'exprime l'arrêt Guignard, le Tribunal doit logiquement conclure que l’expression que promeuvent les demanderesses, malgré ses apparences premières, joue un rôle dans le cadre de l'organisation sociale de la cité puisqu'elle peut favoriser des choix économiques éclairés[142].

[239]     De plus, une partie de ce qui se retrouve sur les panneaux-réclames permet de transmettre des messages relatifs à des événements culturels ou artistiques ou des campagnes de publicité pour des sujets, à l'évidence, d'intérêt public, par exemple la sécurité routière et piétonnière, la protection de l'environnement ou le recyclage.  Ce discours comporte une valeur de grande importance dans notre société puisqu'il permet aux citoyens de participer à l'épanouissement de la vie sociale.

[240]     Finalement, dans le cadre du débat démocratique tant lors d'élections municipales, provinciales ou fédérales que lorsque des intervenants sociaux, en l'occurrence à titre illustratif, des syndicats, des groupes de pression, des organismes non gouvernementaux ou de citoyens veulent s'exprimer, les panneaux-réclames demeurent un moyen peu coûteux et efficace pour rejoindre leur public cible.  On se trouve alors au cœur même de la finalité sociétale de la liberté d'expression[143].  Ce discours possède une très grande importance et une même valeur.

[241]     Avec égards, par contre, l'avantage social qu’offre l'abolition des panneaux-réclames n'apparaît pas de la même importance.  Tenant pour acquis, pour les fins de l'exercice, ce sur quoi le Tribunal s’abstient de conclure, que ce mode d'expression constitue nécessairement une forme de pollution visuelle, bien que l'on puisse soutenir le contraire, le fait que celles-ci se trouvent localisées, pour la très grande majorité, dans des zones périphériques ou limitrophes des zones résidentielles tempère assurément la nécessité de leur abolition pour améliorer la qualité de la vie urbaine.

[242]     Rappelons que le maire Ferrandez parle de l'abolition comme d'un coup de pinceau sur l'ensemble de la toile urbaine pour tenter, avec un ensemble d'autres mesures, d'en arriver à un meilleur environnement visuel dans l'espace urbain.  À l'évidence, personne ne peut en prédire l’effet réel sauf pour dire, en acceptant la prémisse de la Ville, que leur destruction enlèvera du paysage urbain des éléments que l’arrondissement estime négatifs.

[243]     À charge de redite, il ne s'agit pas, pour le Tribunal, d'opposer la thèse de la pureté visuelle à l'antithèse de la pollution, mais bien plutôt de tenter de faire synthèse des éléments en présence, d'en apprécier le poids relatif dans le cadre de l'évaluation de la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées pour en distiller, dans la mesure du possible, les avantages et les inconvénients.

[244]     Cela fait, le bienfait escompté sur le paysage urbain et la qualité de vie apparaît au Tribunal moins important que l'effet irrémédiablement délétère sur la liberté d'expression.

[245]     Les effets néfastes de la violation de la liberté d'expression convainquent le Tribunal que ceux-ci s'avèrent plus graves que les avantages attendus des règlements litigieux de la Ville.  En effet, ces avantages s'avèrent, d'une part, hypothétiques et, d'autre part, relever d'un parti-pris idéologique sur la méthode urbanistique à privilégier pendant que les effets délétères sur la liberté d'expression ne font aucun doute.  Exprimés autrement, les effets bénéfiques de l'interdiction n'apparaissent pas aussi manifestes que les effets négatifs sur la liberté fondamentale en cause. 

[246]     Ainsi, le Tribunal conclut que les règlements ne peuvent se justifier en vertu de l'article premier de la Charte.

[247]     Vu les conclusions antérieures du Tribunal, il apparaît inutile de traiter ici à nouveau de la question relative à l'article 6 de la Charte québécoise.

3.5       L'expectative légitime créée par les certificats d'autorisation émis par l'arrondissement

Question 5 : Les certificats d’autorisation P-22 et P-23 émis par l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal à l’égard de 44 panneaux-réclames des demanderesses ont-ils créé une expectative légitime permettant ainsi le maintien de ces panneaux-réclames sans que ne leur soit opposable l’article 487.1 du Règlement d’urbanisme de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal 01-277 tel qu’inséré par l’article 1 du Règlement 2010-10 et modifié par l’article 12 du Règlement 2010-14?

[248]     Selon les demandeurs, l'arrondissement reconnaît formellement les droits acquis sur 44 de ses 45 panneaux-réclames existants au 4 août 2010 en émettant à l'égard de chacun de ceux-ci un certificat d'autorisation[144], ce qui crée une expectative légitime pour eux au maintien de leurs droits acquis tant que ces certificats d'autorisation ne deviendraient pas périmés dans l'une des deux situations décrites alors à l'article 13 de ce Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (P-18).

[249]     Ils concluent que l'abrogation des articles 9 à 13 du Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (P-18) n'éteint pas l'effet de ces certificats d'autorisation P-22 et P-23 et qui permettent le maintien des 44 panneaux-réclames qu'ils visent.

[250]     La Ville soutient que la théorie de l'expectative légitime n'offre qu'une garantie procédurale et ne constitue pas une source de droit substantif et ne peut donc pas conférer aux demanderesses un droit à l'exercice d'un usage ou à la conservation de leurs panneaux-réclames.

[251]     Elle s'appuie sur l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mavi[145], où on lit :

[68]   Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur.  La preuve que l’intéressé s’est fié aux affirmations n’est pas nécessaire.  Voir les arrêts Centre hospitalier Mont-Sinaï, par. 29-30; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 249, par. 78; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 (CanLII), [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131.  Constitue un manquement à son obligation d’équité l’omission substantielle du décideur de respecter sa parole : Brown et Evans, p. 7-25 et 7-26.[146]

ainsi que le passage suivant dans l'affaire Association des résidants du Vieux Saint-Boniface inc. c. Winnipeg (Ville)[147] :

Le principe élaboré dans cette jurisprudence n'est que le prolongement des règles de justice naturelle et de l'équité procédurale.  Il accorde à une personne touchée par la décision d'un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, autrement, elle n'aurait pas cette possibilité.  La cour supplée à l'omission dans un cas où, par sa conduite, un fonctionnaire public a fait croire à quelqu'un qu'on ne toucherait pas à ses droits sans le consulter.

Le processus de planification et de zonage constitue un ensemble complexe destiné à permettre que toutes les personnes concernées soient non seulement consultées mais aussi entendues.  L'appelante s'est prévalue de ce processus en faisant des observations devant le comité municipal.  Or, même si la conduite de ce comité a suscité certaines attentes chez l'appelante, j'estime que cela ne justifierait pas que notre Cour introduise dans le régime complexe établi par la Loi encore un autre processus de consultation.[148]

[252]     Pour elle, les demanderesses ne peuvent se réclamer de la théorie de l'expectative légitime pour fonder leur prétention voulant que les certificats d'autorisation délivrés relativement aux enseignes publicitaires demeurent valables malgré l'entrée en vigueur des règlements contestés et que par conséquent, ces enseignes publicitaires peuvent être maintenues car s'il existe une violation la seule réparation possible demeure de nature procédurale.

[253]     Notons que les demandeurs énoncent la question en litige comme relevant de la notion d'expectative légitime alors qu'ils se fondent en réalité sur la notion de la préclusion promissoire[149].

[254]     Ici, il n'existe aucune preuve quant au fait que les publicitaires agissent d'une certaine façon après la réception d'une quelconque promesse de la Ville à leurs endroits.  En réalité, ils se déclarent eux même surpris par la réception des certificats d'autorisation[150] ce qui exclut d'emblée la possibilité que leurs conduites proviennent d'une promesse claire et non équivoque de la Ville.

[255]     L'arrêt Centre Hospitalier Mont Sinai c. Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux)[151] énonce que l'administré qui invoque la préclusion doit nettement satisfaire à des exigences strictes en matière de preuve.  À l'évidence, les demanderesses ne peuvent rencontrer les conditions requises ni à cet égard ni quant à l'existence d'une expectative légitime.  Ce moyen doit échouer.

3.6       La conformité au plan d'urbanisme

Question 6 : Les Règlements 2010-10 et 2010-14 de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal sont-ils conformes au Plan d'urbanisme P-52 de la Ville défenderesse et sinon par conséquent, la Décision déléguée DA 100524027 datée du 20 juillet 2010 (P-50) et la Décision déléguée DA100524045 datée du 21 décembre 2010 (P-40), ainsi que les certificats de conformité qui en découlent émis respectivement les 23 décembre 2010 et 21 juillet 2010 par la greffière adjointe de la Ville défenderesse (P-51 et P-41) sont-ils nuls et lesdits règlements jamais entrés en vigueur?

[256]     La Ville admet[152] que le présent recours constitue le seul moyen à la disposition des publicitaires afin de faire valoir ces non-conformités au Plan d'urbanisme puisque la Charte de la Ville ne prévoit pas de droit d'appel devant la Commission municipale du Québec advenant une approbation erronée ou même manifestement déraisonnable de l'autorité en charge d'évaluer la conformité des règlements d'urbanisme des arrondissements de la Ville par rapport à ce Plan d'urbanisme P-51.

[257]     Elle admet[153] également que l'opération d'un panneau publicitaire, à titre d'« enseigne publicitaire », représente un usage principal en lui-même qui ne constitue pas, contrairement aux enseignes commerciales, un usage accessoire à un autre usage principal, par exemple, commercial, industriel ou autre, vu la définition d'« enseigne publicitaire » de l'article 425 du Règlement d'urbanisme 01-277[154] :

425. Une enseigne publicitaire est une enseigne constituant un usage principal et qui peut être située ailleurs qu'au lieu de l'établissement, du produit, du service ou de l’immeuble annoncé.

[258]     Pour les publicitaires, les panneaux-réclames constituent un type d'usage commercial autonome, opéré légalement et légitimement, par des entreprises spécialisées dans ce domaine.

[259]     Ils plaident qu'en ce qui concerne l'orientation d'aménagement relative à « un paysage urbain et une architecture de qualité » énoncée à la section 2.5 du Plan d'urbanisme, celui-ci identifie quatre objectifs dont notamment l'objectif 12 visant à « favoriser une architecture de qualité et consolider le cadre bâti en harmonie avec le caractère de chaque lieu » et l'objectif 13 visant à « valoriser l'espace public par un aménagement cohérent de la rue et des autres lieux publics »[155].

[260]     Ainsi, afin de mettre en œuvre ce premier objectif, le Plan d'urbanisme propose comme action (12.1) d'« encourager une production architecturale de qualité, écologique et respectueuse du caractère montréalais »[156] et à cette fin, on énonce des moyens de mise en œuvre dont celui de :

« Contrôler l'installation des enseignes, des panneaux-réclames, des antennes et des équipements mécaniques de manière à en limiter l'impact visuel. »[157]

[261]     Plus spécifiquement quant aux rues commerçantes, on énumère certains principes d'aménagement dont celui de :

« Contrôler l'affichage commercial et les panneaux-réclames afin d'en limiter les incidences négatives sur le cadre bâti et le paysage de la rue. »[158]

[262]     Quant à l'objectif 13, il propose comme action (13.1) de « rehausser la qualité de l'aménagement du domaine public »[159] et on identifie des moyens de mise en œuvre dont ceux-ci :

« Élaborer et mettre en œuvre la Politique sur l'affichage commercial de grandes dimensions et les panneaux-réclames.

Réglementer l'affichage commercial et les panneaux-réclames de manière à limiter leur impact visuel sur le domaine public et le paysage urbain en général.»[160]

[263]     Donc, pour les demandeurs, dans cette optique, la Ville fait le choix dans son Plan d'urbanisme de ne pas prévoir un bannissement des panneaux-réclames, mais plutôt des moyens de « contrôle » afin de « réglementer » et non de les prohiber.  Ils ajoutent que si la Ville annonce dans son Plan d'urbanisme l'élaboration éventuelle d'une « politique » sur les panneaux-réclames, pas encore adoptée à ce jour, c'est qu'elle ne désire pas permettre une prohibition totale d'un tel usage commercial légal et légitime.

[264]     Selon eux, les Règlements 2010-10 (P-14) et 2010-14 (P-38), en forçant la disparition complète de tous les panneaux-réclames sur le territoire de l'arrondissement, plutôt que de prévoir un « contrôle » et une « réglementation », contreviennent clairement aux moyens de mise en œuvre des objectifs prévus au Plan d'urbanisme.

[265]     Au soutien de cette position, ils utilisent l'affaire CBS Affichage c. Ville de Québec[161] où la Commission municipale du Québec affirme :

« Les intentions de la Ville sont claires (dans le plan d'urbanisme de la Ville de Québec).  Elles ne souffrent d'aucune ambiguïté.  La prohibition, sur l'ensemble du territoire, des panneaux-réclames n'est pas une intention formulée.

Le PDAD (plan d'urbanisme de la Ville de Québec) retient le mot « régir » quand il dit que leur « dimension et leur esthétisme seront régis par des normes ».  Le mot « régir » ne veut certes pas dire « prohiber », puisque ces mots incarnent deux réalités différentes, tel qu'en fait foi le fort courant jurisprudentiel, auquel le procureur du Groupe de l'affichage a référé. »

[266]     Ils affirment que cette intention exprimée dans un plan d'urbanisme de « contrôler » et « réglementer » les panneaux-réclames plutôt que de les « prohiber » apparaît conforme aux limites des pouvoirs municipaux en cette matière qui interdisent une prohibition totale d'un usage principal selon cette décision :

« Cette intention de la Ville de régir les panneaux-réclames à son PDAD (plan d'urbanisme de la Ville de Québec), plutôt que de les prohiber est d'ailleurs conforme aux habilitations législatives auxquelles elle est assujettie.  En fait, lorsqu'une ville édicte ses intentions dans un plan d'urbanisme, elle ne le fait pas en vase clos.  Elle doit tenir compte de l'environnement législatif. »[162]

[267]     Ils concluent de cette décision que lorsqu'une ville fait le choix d'identifier dans son Plan d'urbanisme un moyen de mise en œuvre d'un objectif d'aménagement, notamment en matière d'affichage, elle ne peut y contrevenir à l'intérieur d'un règlement d'urbanisme:

« Lorsqu'une ville choisit de préciser ses intentions dans un plan, elle ne peut les répudier par la suite lorsque vient l'étude de la conformité ».[163]

[268]     Ainsi, pour eux, puisque les dispositions des Règlements 2010-10 (P-14) et 2010-14 (P-38) ne s'avèrent pas conformes au Plan d'urbanisme, les Décisions déléguées P-50 et P-40 et les certificats de conformité P-51 et P-41 deviennent nuls et les modifications apportées par les Règlements 2010-10 (P-14) et 2010-14 (P-38) caduques.

[269]     La Ville soumet que les règlements apparaissent conformes au Plan d'urbanisme.  À cet égard, la Ville émet deux certificats de conformité soit les pièces P-41 et P-51.

[270]     Notons que le fonctionnaire de qui émanent ces certificats exerce ce pouvoir par délégation en vertu :

Ø  des articles 34, 35 et 133 de la Charte;

Ø  de l'article 1.1 du Règlement intérieur de la Ville sur la délégation de pouvoirs du conseil au comité exécutif en matière d'aménagement et d'urbanisme (02-080)[164] et

Ø  l'article 4.1 du Règlement intérieur du comité exécutif sur la délégation de pouvoirs aux fonctionnaires et aux employés (02-004)[165].

[271]     Pour la municipalité, le plan d'urbanisme, dans son ensemble, dénote une préoccupation à l'égard de l'impact négatif de l'affichage sur le territoire de la Ville de Montréal et une volonté d'améliorer le paysage urbain notamment par les objectifs 12, 13, 14 et 15 du Plan d'urbanisme qui s'énoncent ainsi :


Objectifs

Actions

Commentaires et moyens de mise en œuvre

Objectif 12 :

Favoriser une architecture de qualité et consolider le cadre bâti en harmonie avec le caractère de chaque lieu.

Action 12.1 :

Encourager une production architecturale de qualité, écologique et respectueuse du caractère montréalais.

- Contrôler l'affichage commercial et les panneaux-réclames afin d'en limiter les inci­dences négatives sur le cadre bâti et le paysage de la rue;

- Contrôler l'installation des enseignes, des panneaux-réclames, des antennes et des équi­pements mécaniques de manière à en limiter l'impact visuel.

Objectif 13 :

Valoriser l'espace public par un aménagement cohérent de la rue et des autres lieux publics.

Action 13.1 :

Rehausser la qualité de l'aménagement du domaine public.

- Élaborer et mettre en œuvre la Politique sur l'affichage commercial de grandes dimensions et les panneaux-réclames;

- Réglementer l'affichage commercial et les panneaux-réclames de manière à limiter leur impact visuel sur le domaine public et le paysage urbain en général.

Objection 14:

Assurer une contribution positive des grandes infrastructures de transport à l'amélioration du paysage urbain.

Action 14.1 :

Améliorer l'image des corridors routiers montréalais.

- Réglementer l'affichage commercial et l'implan­tation des panneaux-réclames de manière à limiter leur impact visuel sur les corridors routiers (voir objectif 13);

- Régir, en bordure des grands corridors de circulation illustrés ci-après et des liens routiers projetés identifiés à la carte 2.2.3, les constructions de manière à répondre aux préoccupations suivantes : […] l'inté­gration des enseignes commerciales au cadre bâti.

Objectif 15 :

Assurer la conservation et la mise en valeur du patrimoine bâti et archéologique.

Action 15.1 :

Protéger les secteurs d'intérêt patrimonial.

- Instauration de mesures de protection de mise en valeur et de sensibilisation afin de préserver les ensembles urbains à valeur patrimoniale.

[272]     Elle réfère aussi à l'objectif 7 du document concernant l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal du Plan d'urbanisme « Protéger et mettre en valeur le patrimoine paysager, bâti et culturel du Plateau-Mont-Royal qui énonce :

« Aux yeux des résidents, la richesse patrimoniale du Plateau ne repose pas uniquement sur les qualités architecturales des bâtiments, mais également sur les caractéristiques paysagères, historiques et culturelles de leur milieu de vie. Le Plateau-Mont-Royal est structuré par des composantes architecturales et urbaines significatives qui participent à l'identité même de ses quartiers.  Il s'agit des composantes d'origine des bâtiments, des tracés fondateurs et des grands axes commerciaux, des parcs de grande valeur patrimoniale, comme le parc La Fontaine et le square Saint-Louis, des vues sur les sommets du Mont Royal, des nombreux noyaux collectifs et institutionnels correspondant aux anciennes paroisses, du réseau de ruelles et de la foresterie urbaine. »

ainsi qu'à l'article 5.8.3 « les enseignes publicitaires » du document complémentaire du Plan d'urbanisme qui se lit :

5.8.3      Les enseignes publicitaires

·      La réglementation d'arrondissement doit interdire les enseignes publicitaires sur les emplacements suivants :

o   un territoire identifié à la carte 2.6.1 intitulée « Le patrimoine bâti », à l'exception d'un ensemble urbain d'intérêt;

o   un site du patrimoine et un bâtiment cité;

o   un lieu d'un bien culturel, d'un site historique et d'un monument historique au sens de la Loi sur les biens culturels;

o   un emplacement d'un bâtiment d'intérêt patrimonial ou architectural hors secteurs de valeur exceptionnelle énuméré à la partie II du Plan d'urbanisme, intitulée « Les documents d'arrondissement »;

o   un terrain qui borde le parcours riverain identifié à l'illustration intitulée « Le parcours riverain ».

·      La réglementation d'arrondissement doit interdire les panneaux-réclames dans un secteur où l'habitation est autorisée.

[273]     Elle plaide que la notion de conformité entre un règlement et un plan d'urbanisme implique simplement que le règlement ne doit pas contredire, mettre en péril ou rendre caduque les politiques établies dans le plan d'urbanisme[166].

[274]     Subsidiairement, elle ajoute que la contestation de la conformité des règlements au Plan d'urbanisme ne peut se faire par un recours en nullité, mais plutôt par une requête en révision judiciaire d'une décision de la Ville de Montréal et que le Tribunal doit faire preuve de retenue et n'intervenir que s'il considère qu'il s'agit d'une décision déraisonnable.

[275]     En vertu de l'article 133 de la Charte de la Ville, toute modification au règlement de zonage doit, pour entrer en vigueur, faire l'objet de l'émission d'un certificat de conformité au Plan d'urbanisme :

133. Aux fins d'assurer la conformité, au plan d'urbanisme de la ville, de tout règlement de concordance au sens des articles 59.5, 110.4 et 110.5 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (chapitre A-19.1), adopté par un conseil d'arrondissement, les articles 137.2 à 137.8 de cette loi s'appliquent en remplacement des articles 137.10 à 137.14, compte tenu des adaptations nécessaires.

Parmi les adaptations que requiert l'application du premier alinéa, les suivantes sont applicables: le conseil de la ville établit les règles applicables aux fins de la transmission des copies certifiées conformes des règlements et résolutions adoptés par les conseils d'arrondissement en vue de leur examen par le conseil de la ville, aux fins de ce qui pourra tenir lieu de la notification de ces documents lorsque ces articles exigent une telle notification à la municipalité régionale de comté, ainsi qu'aux fins de l'établissement des dates auxquelles ces documents sont réputés notifiés ou signifiés; il identifie également le fonctionnaire responsable de la délivrance des certificats de conformité.

Les articles 137.2 à 137.8 et 137.15 à 137.17 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme s'appliquent également à tout règlement, visé à l'article 131, adopté par un conseil d'arrondissement et qui n'est pas un règlement de concordance, compte tenu des adaptations nécessaires et de celles visées au deuxième alinéa.

[276]     En vertu de l'article 137.15 LAU, le règlement entre en vigueur lors de la délivrance d'un certificat de conformité en vertu de l'article 137.3 LAU, suite à l'adoption d'une résolution par le comité exécutif ou par le fonctionnaire délégué attestant que le règlement s'avère conforme au Plan d'urbanisme.

[277]     Le 5 juillet 2010, par la Décision déléguée[167], on approuve le Règlement P-14 comme conforme au Plan d'urbanisme :

« Ce jour, en vertu de l’article 41.9 du Règlement RCE 02-004 du 26 juin 2002 modifié, il est décidé :

D’approuver le Règlement 2010-10 adopté le 5 juillet 2010 par le conseil d’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, celui-ci étant conforme au plan d’urbanisme de la Ville de Montréal. »

[278]     Le 21 décembre 2010, on fait de même avec le Règlement VM-1 :

« Ce jour, en vertu de l’article 41.9 du Règlement RCE 02-004 du 26 juin 2002 modifié il est décidé :

D’approuver le Règlement 2010-14 adopté le 1er novembre 2010 par le conseil d’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, celui-ci étant conforme au plan d’urbanisme de la Ville de Montréal. »[168]

[279]     Pour la Ville, ces deux décisions constituent l'approbation requise par l'article 137.3 LAU nécessaire à la délivrance de certificats de conformité (Pièces P-41 et P-51) et dès lors à l'entrée en vigueur des règlements 2010-10 et 2010-14 en vertu de l'article 137.15 LAU :

137.3. Dans les 120 jours qui suivent la transmission prévue au premier alinéa de l'article 137.2, le conseil de la municipalité régionale de comté doit approuver le règlement, s'il est conforme aux objectifs du schéma et aux dispositions du document complémentaire, ou le désapprouver dans le cas contraire.

Résolution motivée.

La résolution par laquelle le conseil de la municipalité régionale de comté désapprouve le règlement doit être motivée et identifier les dispositions du règlement qui ne sont pas conformes.

Certificat de conformité.

Le plus tôt possible après l'adoption de la résolution par laquelle le règlement est approuvé, le secrétaire délivre un certificat de conformité à son égard et transmet une copie certifiée conforme du certificat à la municipalité. Toutefois, lorsque le règlement doit également être approuvé par les personnes habiles à voter et que cette approbation n'a pas encore été donnée au moment où le conseil donne la sienne, la délivrance et la transmission prévue au présent alinéa sont faites le plus tôt possible après que la municipalité régionale de comté a reçu l'avis prévu au troisième alinéa de l'article 137.2. En outre, si, en application de l'article 110.10.1, le conseil de la municipalité adopte le même jour le règlement révisant le plan et celui qui remplace le règlement de zonage ou de lotissement, ces délivrance et transmission à l'égard du règlement approuvé par le conseil de la municipalité régionale de comté ne peuvent être effectuées tant que celles prévues au présent article ou à l'un des articles 109.7, 109.9 et 137.5 ne peuvent l'être à l'égard de tout autre règlement ainsi adopté le même jour; les délivrance et transmission sont alors effectuées le même jour à l'égard de tous ces règlements.

Désapprobation.

Le plus tôt possible après l'adoption de la résolution par laquelle le règlement est désapprouvé, le secrétaire transmet une copie certifiée conforme de celle-ci à la municipalité.

(…)

137.15. Tout règlement à l'égard duquel s'appliquent les articles 137.2 à 137.7 ou qui est adopté par le conseil de la municipalité régionale de comté conformément à l'article 137.8 entre en vigueur à la date de la délivrance du certificat de conformité à son égard. Il est réputé conforme aux objectifs du schéma et aux dispositions du document complémentaire.

Entrée en vigueur.

Toutefois, si les articles 137.10 à 137.14 s'appliquent également à l'égard du règlement, il entre en vigueur à la plus tardive entre la date de la délivrance du certificat de conformité à son égard et la date à compter de laquelle, selon l'article 137.13, il est réputé conforme au plan d'urbanisme.

Publication d'un avis.

Le plus tôt possible après l'entrée en vigueur prévue au premier ou au deuxième alinéa, le greffier ou secrétaire-trésorier de la municipalité en publie un avis dans un journal diffusé sur le territoire de celle-ci et affiche cet avis au bureau de cette dernière.

(…)

Vu l’article 133 de la Charte de la Ville de Montréal :

Je certifie que le règlement 2010-10 de l’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal, adopté le 5 juillet 2010, intitulé « Règlement 2010-10 modifiant le Règlement d’urbanisme (01-277), le Règlement sur le certificat d’occupation et certains permis (R.R.V.M. c. C-3.2) et le Règlement sur les tarifs - exercice financier 2010  de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal (2009-14)  afin d’interdire les enseignes publicitaires sur l’ensemble du territoire de l’arrondissement» est conforme au plan d’urbanisme de la Ville de Montréal et en délivre le présent certificat ce 21 juillet 2010.[169]

Vu l’article 133 de la Charte de la Ville de Montréal :

Je certifie que le règlement 2010-14 de l’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal, adopté le 1er novembre 2010, intitulé « Règlement 2010-14 modifiant le Règlement d’urbanisme (01-277), le Règlement sur le certificat d’occupation et certains permis (R.R.V.M. c. C-3.2) et le Règlement sur les tarifs - exercice financier 2010 (2009-14) de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal » est conforme au plan d’urbanisme de la Ville de Montréal et en délivre le présent certificat ce 23 décembre 2010. »[170]

[280]     Le directeur de la DDEU du service du développement possède ce pouvoir d’approbation de la conformité au Plan d’urbanisme de la Ville de Montréal des règlements d’urbanisme adoptés par les arrondissements en vertu d’une délégation de pouvoir octroyée par le conseil municipal par l’intermédiaire du Règlement intérieur de la Ville sur la délégation de pouvoirs du conseil au comité exécutif en matière d’aménagement et d’urbanisme (P-48) et du Règlement intérieur du comité exécutif sur la délégation de pouvoirs aux fonctionnaires et employés (P-49).

1. Le conseil de la Ville délègue au comité exécutif les pouvoirs suivants :

(1) l’examen et l’approbation de la conformité au plan d’urbanisme, des règlements adoptés par un conseil d’arrondissement en vertu de l’article 131 de la Charte de la Ville de Montréal (RLRQ c. C-11.4).[171]

(…)

41.9. L’examen et l’approbation de la conformité au plan d’urbanisme, des règlements adoptés par un conseil d’arrondissement en vertu de l’article 131 de la Charte de la Ville de Montréal (L.R.Q. Chapitre C-11.4) est déléguée au fonctionnaire de niveau A de la Direction du développement économique et urbain du Service du développement et des opérations, sauf si, de l’avis de ce dernier, le règlement n’est pas conforme au plan d’urbanisme.[172]

[281]     Dans ce cadre, le rôle du directeur de la DDEU se limite à approuver les règlements qui s'avèrent, selon lui, conformes au Plan d'urbanisme de la Ville (article 49.1 du règlement P-49), après leur adoption par le conseil d'arrondissement.

[282]     Notons que cette étape de vérification de conformité peut devenir accessible aux citoyens devant la Commission municipale du Québec conformément à l'article 137.11 LAU :

137.11. Toute personne habile à voter du territoire de la municipalité peut demander par écrit à la Commission son avis sur la conformité du règlement au plan.

La demande doit être transmise à la Commission dans les 30 jours qui suivent la publication de l'avis prévu à l'article 137.10.

Le secrétaire de la Commission transmet à la municipalité une copie de toute demande transmise dans le délai prévu.

[283]     Soulignons toutefois que selon l'article 133 de la Charte, seul le conseil d'arrondissement peut contester une décision de la Ville relativement à la conformité d'un règlement au plan d'urbanisme devant la Commission municipale du Québec puisque l'article 137.11 ne trouve pas application :

133. Aux fins d'assurer la conformité, au plan d'urbanisme de la ville, de tout règlement de concordance au sens des articles 59.5, 110.4 et 110.5 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (chapitre A-19.1), adopté par un conseil d'arrondissement, les articles 137.2 à 137.8 de cette loi s'appliquent en remplacement des articles 137.10 à 137.14, compte tenu des adaptations nécessaires.

Adaptations

Parmi les adaptations que requiert l'application du premier alinéa, les suivantes sont applicables: le conseil de la ville établit les règles applicables aux fins de la transmission des copies certifiées conformes des règlements et résolutions adoptés par les conseils d'arrondissement en vue de leur examen par le conseil de la ville, aux fins de ce qui pourra tenir lieu de la notification de ces documents lorsque ces articles exigent une telle notification à la municipalité régionale de comté, ainsi qu'aux fins de l'établissement des dates auxquelles ces documents sont réputés notifiés ou signifiés; il identifie également le fonctionnaire responsable de la délivrance des certificats de conformité.

Dispositions applicables.

Les articles 137.2 à 137.8 et 137.15 à 137.17 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme s'appliquent également à tout règlement, visé à l'article 131, adopté par un conseil d'arrondissement et qui n'est pas un règlement de concordance, compte tenu des adaptations nécessaires et de celles visées au deuxième alinéa.

[284]     Donc, les articles 137.2 à 137.8 LAU s'appliquent pour la conformité des règlements au Plan d'urbanisme pour le territoire de la Ville, mais, en vertu de l'article 137.4 LAU, seul un arrondissement peut contester la décision de la Ville relativement à la conformité devant la Commission municipale du Québec :

137.4. Si le conseil de la municipalité régionale de comté désapprouve le règlement ou s'il fait défaut de se prononcer dans le délai prévu à l'article 137.3, le conseil de la municipalité peut demander à la Commission son avis sur la conformité du règlement aux objectifs du schéma et aux dispositions du document complémentaire.

Le greffier ou secrétaire-trésorier de la municipalité notifie à la Commission une copie certifiée conforme de la résolution par laquelle l'avis est demandé et du règlement concerné. Il notifie une telle copie de la résolution à la municipalité régionale de comté.

La copie destinée à la Commission doit être reçue par elle dans les 15 jours qui suivent la transmission de la copie de la résolution par laquelle le règlement est désapprouvé ou, selon le cas, qui suivent l'expiration du délai prévu à l'article 137.3.

[285]     Outre le pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure, il n'existe pas, de façon expresse, de mécanisme de contrôle des décisions relatives à la conformité des règlements d'un conseil d'arrondissement au plan d'urbanisme.

[286]     Selon les demandeurs, conformément à l'article 133 de la Charte de la Ville de Montréal, le Règlement numéro 2010-14 (P-38) doit se conformer à son Plan d'urbanisme et en vertu de l'article 137.15 LAU, ce Règlement ne peut entrer en vigueur, suite à son adoption finale par l'arrondissement Plateau-Mont-Royal, que si on délivre un certificat de conformité au Plan d'urbanisme en vertu de l'article 137.3 de cette loi et ce dernier requièrerait l'existence d'une résolution d'approbation de la part du conseil municipal de la Ville attestant de sa conformité au Plan d'urbanisme.

[287]     Pour eux, l'article 1(1) du Règlement intérieur de la Ville sur la délégation de pouvoirs du conseil au comité exécutif en matière d'aménagement et d'urbanisme, 02-080, le conseil municipal de la Ville délègue ce pouvoir d'approbation à son comité exécutif[173].

[288]     Ils ajoutent que l'article 41.9 du Règlement intérieur du comité exécutif sur la délégation de pouvoirs aux fonctionnaires et employés, RCE 02-004 sous-délègue le pouvoir d'approbation du comité exécutif de la Ville « au fonctionnaire de niveau A de la Direction du développement économique et urbain du Service du développement et des opérations » sauf si, de l'avis de ce dernier, le règlement n'est pas conforme au Plan d'urbanisme[174].

[289]     Selon eux, la nullité d'une telle approbation faite du Règlement 2010-14 par la Décision déléguée DA100524045 du 21 décembre 2010[175], à l'égard du Plan d'urbanisme de la Ville, entraînera donc automatiquement celle du certificat de conformité émis en conséquence le 23 décembre 2010 par la greffière adjointe de la Ville et empêchera l'entrée en vigueur de ce règlement.  Il en résultera de même à l'égard de l'approbation faite du Règlement 2010-10[176] par la Décision déléguée DA100524027 du 20 juillet 2010 du Chef de division de la Direction du développement économique et urbain du service du Développement et des opérations, Guy De Repentigny et du certificat de conformité émis en conséquence le 21 juillet 2010[177].

[290]     Puisque l'évaluation de la conformité au Plan d'urbanisme relève d'une évaluation qui comprend des éléments d'appréciation où s'entremêlent des questions de faits et de droit, la Ville soutient, en s'appuyant sur l'arrêt Dunsmuir, que comme la décision du conseil de la Ville au chapitre de la conformité ne peut faire l'objet d'une révision par la Commission municipale, la Cour doit déterminer si la décision prise par le fonctionnaire à qui le conseil délègue la décision apparaît déraisonnable :

[51] Après avoir examiné la nature des normes de contrôle, nous nous penchons maintenant sur le mode de détermination de la norme applicable dans un cas donné.  Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement.  De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité.

[52] L’existence d’une clause privative milite clairement en faveur d’un contrôle suivant la norme de la raisonnabilité.  En effet, elle atteste la volonté du législateur que les décisions du décideur administratif fassent l’objet de plus de déférence et que le contrôle judiciaire soit minimal.  Cependant, elle n’est pas déterminante.  La primauté du droit exige des cours supérieures qu’elles s’acquittent de leur rôle constitutionnel et, nous le rappelons, ni le Parlement ni une législature ne peuvent écarter totalement leur pouvoir de contrôler les actes et les décisions des organismes administratifs.  Il s’agit d’un pouvoir protégé par la Constitution.  Le contrôle judiciaire est nécessaire afin que la clause privative soit interprétée dans le bon contexte législatif et que les organismes administratifs respectent les limites de leurs attributions. 

[53] En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599-600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29-30).  Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.[178]

[291]     Pour elle, l'exercice d'évaluation de la conformité ne relève pas d'un exercice d'analyse de la légalité ou de l'opportunité de la réglementation[179], mais plutôt de celui de déterminer si le règlement en question contredit le Plan d'urbanisme, son esprit, ses intentions, ses orientations principales, les rend caducs ou les met en péril[180].

[292]     Pour la Ville, la Commission municipale énonce que la notion de conformité ne s'interprète pas comme un synonyme d'identité ou de similarité, mais plutôt dans le sens de correspondance et d'harmonie[181] et une ville peut adopter des normes plus strictes que celles énoncées au Plan d'urbanisme sans qu'il existe une contradiction ou mise en péril[182] :

[31] Comme l’a indiqué la Commission dans une décision visant les règlements de la Ville de Sutton, une ville peut adopter dans son règlement de zonage des normes plus contraignantes que celles prévues au plan :

[143] La Ville a le droit d’adopter, dans son règlement de zonage, des normes traitant de la densité d’occupation du sol qui sont plus contraignantes que celles prévues au plan d’urbanisme, tel que dans le cas de la zone H-06 se trouvant sur le territoire de l’affectation REC-1. Il n’y a pas ici de contradiction avec le plan d’urbanisme qui n’est pas mis en péril. En effet, ces dispositions sont plus strictes que celles du plan d’urbanisme et visent l’atteinte de plusieurs de ses orientations touchant le développement durable. De fait, la grille des spécifications de cette zone détermine une densité d’un logement pour un hectare, alors que l’exigence du plan pour l’affectation REC-1 est de deux logements à l’hectare. Il en est de même pour les cas soulevés par des requérants pour l’affectation agroforestière dont l’exigence au niveau de la densité d’occupation du sol est d’un logement à l’hectare, alors que plusieurs zones faisant partie de ce territoire ont une norme de lotissement d’un logement par deux hectares. L’application de ces exigences plus strictes que celles du plan d’urbanisme ne peut que permettre l’atteinte des orientations du plan. Le contraire n’aurait pas été acceptable.[183]

[293]     Pour la Ville, le Plan d'urbanisme, dans son ensemble, dénote une préoccupation à l'égard de l'impact négatif de l'affichage sur le territoire et une volonté d'améliorer le paysage et le fait d'interdire des enseignes publicitaires sur une partie du territoire ne contredit pas, ne met pas en péril ou ne rend pas caduques les politiques établies dans le Plan d'urbanisme.  Ainsi, les règlements demeurent conformes au Plan d'urbanisme et il n'apparaît pas déraisonnable de délivrer les certificats de conformité.

[294]     Selon le Tribunal, il faut se garder d'adopter une attitude technocratique et chercher à faire une interprétation étroite des objectifs du plan d'urbanisme.  Une lecture qui permet de mettre de l'avant la finalité générale de celui-ci apparaît préférable.  Cette approche téléologique révèle que la Ville pouvait, sans violer le plan d'urbanisme, interdire sur une partie de son territoire les panneaux-réclames.

3.7       L'équité procédurale

Question 7 : La Décision déléguée DA100524045 datée du 21 décembre 2010 (P-40) a-t-elle respecté les règles d'équité procédurale et sinon par conséquent, cette Décision P-40 ainsi que le certificat de conformité qui en découle émis le 23 décembre 2010 par la greffière adjointe de la Ville défenderesse (P-41) sont-ils nuls et ledit règlement jamais entré en vigueur?

[295]     À propos du cadre général de l'obligation des municipalités d'agir dans le respect de l'équité procédurale, la Cour suprême, dans l'arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville)[184] enseigne :

Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour a confirmé l’obligation d’équité procédurale dans la prise de décisions administratives. Ces décisions doivent être prises « au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social » (par. 22, la juge L’Heureux-Dubé). En outre, les personnes visées par la décision doivent avoir la possibilité de présenter leur point de vue et des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

[...]

La question de savoir si la Ville a agi contrairement aux attentes légitimes doit être tranchée dans le contexte de la nature de son pouvoir décisionnel, du régime législatif et du rôle qu’elle joue lorsqu’elle prend une décision dans l’intérêt de l’ensemble de la ville. [...] Le processus décisionnel n’est pas judiciaire mais législatif. Le conseil municipal exerce son pouvoir discrétionnaire dans l’intérêt public. CP avait un intérêt spécial parce qu’elle était propriétaire du terrain visé, mais le règlement avait une incidence beaucoup plus grande, pouvant toucher bien d’autres citoyens privés et publics. La Ville est appelée à exercer son pouvoir de manière réceptive, en tenant compte des commentaires pertinents, et de manière responsable, en prenant finalement la décision qu’elle juge être dans l’intérêt public. Ces considérations peuvent atténuer l’obligation de répondre aux attentes des parties intéressées qui pourrait exister. Si l’obligation d’équité peut comporter pour la Ville l’obligation de tenir compte de toutes les attentes légitimes, elle ne comporte pas nécessairement celle d’y satisfaire.

Dans cette perspective, je suis convaincue que la démarche suivie était suffisante pour que les conditions d’une procédure équitable soient respectées. […][185]

[296]     Dans Mignault Perreault (Succession de) c. Hudson (Ville d')[186], la Cour d'appel discute du pouvoir d'intervention des tribunaux en ces termes :

[4]          La règle de principe ici applicable énonce qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’ordonner aux organismes publics d’agir dans un sens précis puisqu’une cour de justice ne peut sans motif sérieux substituer sa décision à celle de l’organisme à qui le législateur a confié un mandat précis. Dans le cas du mandamus, l’application de ce principe signifie que, s’il est possible par ce recours de forcer l’administration publique ou un tribunal à exercer sa compétence, même lorsqu’il s’agit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, on ne peut demander que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé dans un sens déterminé.

[5]          Ce n’est que de façon exceptionnelle que notre Cour a passé outre à cette règle et a ordonné à l’organisme de délivrer le permis recherché même si la délivrance de celui-ci reposait sur un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi. Ce sera le cas si, notamment, l’ordonnance de retour du dossier à l’organisme est inutile ou inappropriée parce que, en fonction des faits de l’espèce, la discrétion est restreinte ou qu’elle a été de fait exercée, que l’organisme a épuisé sa compétence, qu’il est peu probable que l’organisme agisse conformément aux règles de la justice naturelle ou encore que le retour occasionnera un délai indu. Il s’agit de cas exceptionnels.[187]

[297]     Pour la Ville, le non-respect de ces règles ne peut donner lieu qu'à une réparation de nature procédurale et non à la nullité de la décision attaquée.

[298]     Les demanderesses déclarent apprendre par la voie des journaux que l'arrondissement adoptait le projet de Règlement 2010-14 (P-24) alors qu’elles rencontrent le maire de l'arrondissement le 23 septembre 2010, en présence d'un conseiller d'un district de l'arrondissement et du directeur de l'aménagement urbain et des services aux entreprises.  Ces dernières transmettent leurs objections quant à la conformité au Plan d'urbanisme et à la légalité du Règlement numéro 2010-14 au président du comité exécutif et au directeur général de la Ville par la suite.[188]

[299]     Notons que les demanderesses apprennent l'existence du Règlement 2010-10 (P-14) par la réception des certificats d'autorisation P-22 et P-23 une fois celui-ci en vigueur, ce qui implique une approbation préalable quant à sa conformité au Plan d'urbanisme par la Ville.  À l'évidence, ce règlement affecte leurs droits de maintenir leurs panneaux-réclames et d'en ériger des nouveaux.

[300]     Les demanderesses ne reçoivent aucune communication de suivi de la Ville quant à ces lettres, si ce n'est la réception d'un courriel d'accusé de réception[189] émis par la directrice des communications du cabinet du maire de la Ville affirmant que cette question relevait exclusivement de l'arrondissement.

[301]     Finalement, elles allèguent que la Décision déléguée[190] s'avère totalement laconique et ne contient aucun motif afin de soutenir la conformité du Règlement 2010-14 au Plan d'urbanisme et ne répond pas aux objections transmises par elles.

[302]     Elles concluent de tout ce qui précède que cela constitue une contravention aux exigences d'équité procédurale et un motif de nullité de la Décision déléguée[191] et par conséquent du certificat de conformité[192].

[303]     Le 21 décembre 2010, Arnold Beaudin, directeur de la Direction du développement économique et urbain du service du Développement et des opérations de la Ville approuve le Règlement VM-1 comme conforme au Plan d'urbanisme, en vertu de l'article 133 de la Charte[193].

[304]     Pour la Ville, cette décision constitue l'approbation nécessaire, en vertu de l'article 137.3 LAU, à la délivrance du certificat de conformité[194] nécessaire à l'entrée en vigueur du règlement en vertu de l'article 137.15 LAU.

[305]     Le directeur de la Direction du développement économique et urbain et du service du Développement possède ce pouvoir d'approbation par l'intermédiaire du Règlement intérieur de la Ville sur la délégation de pouvoirs du conseil au comité exécutif en matière d'aménagement et d'urbanisme[195] et du Règlement intérieur du comité exécutif sur la délégation de pouvoirs aux fonctionnaires et employés[196].

[306]     Le rôle du directeur dans ce contexte se limite à approuver les règlements qui, à son avis, apparaissent conformes au Plan d'urbanisme en vertu de l'article 49.1 du Règlement P-49 et il ne s'agit pas d'une décision discrétionnaire ou quasi-judiciaire qui emporte des obligations d'équité procédurale en elle-même.

[307]     Selon la Ville, la décision P-40, de même que le certificat de conformité P-41, ne constituent que les dernières étapes du processus d'entrée en vigueur du Règlement VM-1, qui relève pour son adoption de la compétence et de la discrétion du conseil d'administration du Plateau-Mont-Royal.

[308]     Dans ce cadre, les demandeurs firent part de leurs préoccupations et leurs attentes durant la procédure d'adoption du règlement lorsque le porte-parole du Regroupement de l'industrie de l'affichage extérieur au Québec, les demanderesses Pattison, CBS et Astral, rencontrèrent le 23 septembre 2010, en compagnie du consultant du regroupement, le maire de l'arrondissement Luc Ferrandez, le conseiller municipal Alex Norris et le directeur de l'aménagement urbain et des services aux entreprises, M. Guy Ouellet relativement au projet de Règlement 2010-14.

[309]     Cette rencontre faisait suite à un avis de consultation publique du 17 septembre[197] au sujet de ce projet de règlement.

[310]     Également, une assemblée de consultation publique se tient le 29 septembre 2010 relativement au projet de Règlement 2010-14[198].

[311]     Les demandeurs firent valoir plusieurs fois leurs observations par écrit notamment à l'égard du Règlement VM-1, à différents intervenants de la Ville[199].

[312]     La Ville plaide que la Cour suprême enseigne que « si l'obligation d'équité peut comporter pour la Ville l'obligation de tenir compte de toutes les attentes légitimes, elle ne comporte pas nécessairement celle d'y satisfaire. »[200]

[313]     Pour la Ville, les demanderesses purent faire part de leurs préoccupations et leurs attentes quant aux règlements en cause dans le cadre de leur procédure d'approbation par le conseil d'arrondissement, conformément aux modalités prévues par la LAU puisque, suite à la publication des avis de consultation publique au sujet des projets de règlements, des assemblées de consultation publique se tinrent le 21 juin et le 29 septembre 2010.

[314]     Il n'existe pour la Ville aucune obligation, en dehors de l'organisation des séances de consultation annoncées aux citoyens de l'arrondissement conformément aux exigences de la LAU, d'informer personnellement les demanderesses de l'existence de sa volonté d'adopter les projets de règlement en cause et de les convier à participer aux séances de consultation publique.

[315]     Rappelons que les demanderesses font valoir, plusieurs fois par écrit, leurs observations auprès de différents intervenants de la Ville de Montréal[201] et le porte-parole du Regroupement de l'industrie de l'affichage extérieur au Québec ainsi que les demanderesses, en compagnie du consultant du regroupement, rencontrent le 23 septembre 2010 le maire Ferrandez, le conseiller municipal Norris et le directeur de l'aménagement urbain et des services aux entreprises Ouellet relativement au projet de Règlement 2010-14[202].

[316]     Les demanderesses ne peuvent donc reprocher à la Ville de ne pas respecter le principe d'équité procédurale dans le cadre du processus d'adoption des règlements.


3.8       Les dommages exemplaires

Question 8 : Les demanderesses et les demandeurs ont-ils droit à des dommages-intérêts exemplaires?

[317]     Dans un paragraphe laconique et lapidaire de leur action judiciaire, les demandeurs allèguent qu'en agissant telle qu'elle le fait, la Ville porte atteinte intentionnellement aux droits et libertés garantis par la Charte canadienne et par la Charte québécoise et réclament un montant de 100 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires pour chacune des demanderesses et 25 000 $ pour chacun des demandeurs.

[318]     La Ville plaide que même si le Tribunal conclut à l'invalidité de la réglementation, sa conduite ne justifie pas l'octroi de dommages exemplaires puisque les demanderesses doivent démontrer non seulement une atteinte illicite à leurs droits prévus par la Charte, mais également le caractère intentionnel de celle-ci.

[319]     Rappelons que la Cour suprême dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[203] énonce la norme d'analyse applicable en la matière :

121. En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[204]

[320]     Bien que le Tribunal conclut à une violation injustifiable du droit à la liberté d'expression, le comportement de la Ville ne peut atteindre le seuil requis pour justifier l'octroi de dommages-intérêts exemplaires.  À moins de jouir d'une preuve claire d'une volonté indigne de l'administration publique, absente en l'espèce, la bonne foi de celle-ci se présume et, partant, l'octroi de tels dommages-intérêts s'avère inapproprié.


3.9       L'enlèvement des panneaux publicitaires

Question 9 : La Cour doit-elle ordonner l'enlèvement des panneaux publicitaires?

[321]     Dans l'éventualité où le Tribunal conclut en la validité des règlements contestés, la Ville requiert que le Tribunal déclare non-conformes les enseignes publicitaires identifiées[205] et ordonne leur enlèvement.

[322]     Vu la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal quant à la conformité des règlements avec la Charte, cette demande ne possède plus aucun mérite.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[323]     ACCUEILLE en partie la demande;

[324]     DÉCLARE que l'article 487.1 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal 01-277, tel qu'inséré par l'article 1 du Règlement 2010-10 et modifié par l'article 12 du Règlement 2010-14, de même que les articles 13 et 14 du Règlement 2010-14 venus modifier la section X du chapitre I du titre VII du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement Plateau-Mont-Royal 01-277 sont nuls et inconstitutionnels parce que contrevenant au droit à la liberté d'expression prévu à l'article 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne et ne peuvent se justifier en vertu des articles 1 de la Charte et 9.1 de la Charte québécoise;

[325]     AVEC LES FRAIS DE JUSTICE à la charge de la Ville de Montréal, incluant les frais d'experts.

 

 

 

______________________________

MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S.

 

 

Me Sylvain Lanoix

Dunton Rainville

Avocat de la Partie demanderesse

 

Me Éric Couture

Me Anne-Marie McSween

Dagenais Gagnier Biron

Avocat(e)s de la Partie défenderesse

 

Dates d’audience : 10, 11, 12, 13, 17, 18 mai 2016

 

Réception de notes et autorités supplémentaires : 24 mai, 6 et 9 juin 2016

 

Date de mise en délibéré : 9 juin 2016

 



[1]     Pièces P-5 et P-6.

[2]     Pièce P-7.

[3]     Pièce P-8.

[4]     Pièce P-9.

[5]     Pièce P-12.

[6]     Pièce P-13.

[7]     Pièce P-21.

[8]     Pièce P-28.

[9]     Pièce P-14.

[10]    Idem.

[11]    Pièce P-15.

[12]    Voir le Règlement d'urbanisme tel que modifié par le Règlement 2010-10, pièce P-16.

[13]    Voir article 526 (1 et 5) du chapitre IV du titre V du Règlement.

[14]    Voir article 537 (1, 4, 9 et 13) de la section I du chapitre V du titre V du Règlement.

[15]    Voir articles 538 et 539 de la section II du chapitre V du titre V du Règlement.

[16]    Voir I.1, I.2, I.4, I.5, I.6, I.7, C.6, C.7, E.7(1), E.7(2) ou E.7(3), pièce P-13.

[17]    R.R.V.M., c. C-3.2, voir pièce P-17 pour l'ancien règlement et pièce P-18 pour le nouveau.

[18]    Pièce P-22.

[19]    Pièce P-23.

[20]    Pièce P-24.

[21]    Pièce P-25.

[22]    Pièce P-26.

[23]    Pièce P-33.

[24]    Pièce P-34.

[25]    Pièce P-37.

[26]    Voir la résolution CA10 25 0343 et le Règlement 2010-14 ainsi adopté, pièce P-38.

[27]    Pièce P-35.

[28]    Pièce P-36.

[29]    Voir la Décision déléguée numéro DA100524045 rendue à cette date et dénoncée à la défenderesse, pièce P-40 ainsi que le certificat de conformité émis le 23 décembre 2010 par la greffière adjointe dénoncée à la défenderesse, pièce P-41.

[30]    Pièce P-39.

[31]    Pièce P-42.

[32]    HÉTU Jean, DUPLESSIS Yvon, Droit municipal: principes généraux et contentieux, Éd., Feuilles mobiles, 2e éd., Brossard, Wolters Kluwer Québec, 2015, p. 8251.

[33]    EYB 1990-57952 (C.A.), par. 51 à 54.

[34]    EYB 1992-63857 (C.A.), par. 33.

[35]    EYB 2014-236677 (C.A.), par. 10 à 12.

[36]    EYB 2010-173377 (C.A.), par. 42 et 43.

[37]    R.L.R.Q., c. A-19.1.

[38]    R.L.R.Q., c. C-11.4.

[39]    Voir la section « Contexte » du sommaire décisionnel P-25 accompagnant le Règlement 2010-14.

[40]    Voir les articles 455, 520 à 559 et 561 à 573 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement de Ville-Marie (01-282), pièce VM-4 et les articles 414, 476 à 514 et 516 à 528 du Règlement d'urbanisme de l'arrondissement de Côte-des-Neiges - Notre-Dame-de-Grâce (01-276), pièce VM-5.

[41]    EYB 2009-162053 (C.S.), par. 58-63.

[42]    REJB 2003-46488 (C.A.), par. 50.

[43]    C.A. EYB 1996-71769.

[44]    Idem, page 9.

[45]    Idem, page 14.

[46]    Idem, page 15.

[47]    R.L.R.Q., c. C-12.

[48]    [2006] 1 R.C.S. 227, par. 33 et 34.

[49]    Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165, par. 43-47 et par. 51-53.

[50]    Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), [2004] 3 R.C.S. 304, par. 21; 9034-8822 Québec inc. c. Ville de Sutton , EYB 2010-173577 (C.A.), par. 48 et 49; Blondin c. Mont St-Grégoire (Municipalité de), 2014 QCCS 4816, par. 24; GIROUX, Lorne et CHOUINARD, Isabelle, «Le contrôle réglementaire des usages, de leur intensité et de leur implantation: le zonage » dans Droit public et administratif, Collection de droit, Volume 7, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, page 8 de 37.

[51]    J.E. 96-201 (C.A.).

[52]    Idem, p. 2.

[53]    Frelighsburg (Municipalité) c. Entreprises Sibeca inc., 2002 CanLII 41283 (QC CA), par. 68.

[54]    2015 QCCS 1930, par. 65.

[55]    R.L.R.Q., c. F-21.

[56]    Câblevision (Montréal) c. Sous-ministre du Revenu de la Province de Québec, [1978] 2 R.C.S. 64, p. 69; Daumer c. Mensing, 2007 QCCA 1560, p. 3.

[57]    Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, Droit municipal, principes généreux et contentieux, Brossard, Wolters Kluwer Québec, 2009, p. 8262.

[58]    REJB 2000-20990.

[59]    2003 CanLII 72090 (QCCA).

[60]    Voir la section « Contexte » du sommaire décisionnel, pièce P-25.

[61]    Procès-verbal, pièce P-38.

[62]    Pièces P-33 et P-34.

[63]    Voir rapport préparé par Claude Laurin et Simon Lemieux, pièce VM-6.

[64]    HÉTU, Jean et DUPLESSIS, Yvon, Droit municipal : principes généraux et contentieux, Éd. Feuilles mobiles, 2e éd. Brossard, Wolters Kluwer Québec, 2015, p. 8251.

[65]    [2012] R.J.Q. 635 (C.A.), par. 27.

[66]    Carrières T.R.P. Ltée c. Mirabel (Ville), EYB 1979-135833 (C.A.), par. 20.

[67]    [2004] 3 R.C.S. 304, par. 25 et 26.

[68]    [2012] 1 R.C.S. 5, par. 24.

[69]    Québec (P.G.) c. Ford, [1988] 2 R.C.S. 712; Irwin Toy c. Québec (P.G.), [1989] 1 R.C.S. 927; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes de l'Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232; Canada (A.G.) c. JTI-Macdonald, [2007] 2 R.C.S. 610; R. c. Guignard, [2002 1 R.C.S. 472.

[70]    [2009] 2 R.C.S. 567.

[71]    Idem, par. 35.

[72]    Idem, par. 37.

[73]    Idem, par. 53.

[74]    Idem, par. 51

[75]    Idem, par. 55.

[76]    Supra note 69.

[77]    Idem, par. 28.

[78]    Pièce VM-6.

[79]    Pièce VM-7.

[80]    Pièce VM-8.

[81]    Pièce VM-9.

[82]    Pièce VM-10.

[83]    Voir le par. 157 de la requête introductive d'instance.

[84]    Pièce P-26.

[85]    Voir le paragraphe 36 du jugement.

[86]    [1959] R.C.S. 121.

[87]    Pièce VM-11.

[88]    Voir la carte P-8 et le plan de zonage P-9.

[89]    R. c. Guignard, supra note 69.

[90]    R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, aux pp. 768 et 777; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 502; RJR-Macdonald inc. c. Canada (P.G.), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 154.

[91]    Pièce VM-3.

[92]    Pièce VM-12.

[93]    Ramsdem c. Peterborough (Ville de), [1993] 2 R.C.S. 1084, 1105, par. 42.

[94]    Vancouver (City) v. Jaminer, 2001 BCCA 240, par. 34.

[95]    R.L.R.Q. c. C-11.4.

[96]    2008 95 O.R. (3d) 252 (C.A.O.).

[97]    Voir les articles 145.15 et ss. de la LAU qui autorisent l'arrondissement, par l'effet de l'article 131 de la Charte de la Ville de Montréal.

[98]    Voir les articles 145.31 et ss. de la LAU qui autorisent l'arrondissement, par l'effet de l'article 131 de la Charte de la Ville de Montréal.

[99]    Voir les articles 145.36 et ss. de la LAU qui autorisent l'arrondissement, par l'effet de l'article 131 de la Charte de la Ville de Montréal.

[100]   Voir le communiqué de presse du 7 septembre 2010, pièce P-26.

[101]   [2005] 3 R.C.S. 141, par. 94.

[102]   [2007] 2 R.C.S. 610.

[103]   Idem, par. 43.

[104]   Voir la page 7 du rapport intitulé « Portrait de l'industrie de l'affichage extérieur à Montréal et au Québec » de Secor daté du 20 avril 2011, pièce P-45.

[105]   Voir la page 3 du rapport P-45.

[106]   Voir la page 5 du rapport P-45.

[107]   Voir la page 16 du rapport, pièce P-45.

[108]   Idem.

[109]   Voir la page 13 du rapport, pièce P-45.

[110]   Pièce VM-12, page 12, 3e paragraphe.

[111]   Pièce P-47.

[112]   Thompson Newspaper Co. c. Canada (P.G.), [1998] 1 R.C.S. 877.

[113]   Pièce VM-12, page 5.

[114]   Pièce P-45, page 2.

[115]   Supra note 69.

[116]   Idem, page 242, ligne b).

[117]   [1989] 1 R.C.S. 927, page 976.

[118]   Supra, note 69, page 247, lignes c) à e).

[119]   [2002] 1 R.C.S. 472.

[120]   Idem, par 17.

[121]   Idem, par. 25.

[122]   [1993] 2 R.C.S. 1084, pages 1096-1097.

[123]   Pièces VM-6, VM-9, VM-11.

[124]   Pièce P-72.

[125]   Supra, note 69, par. 30.

[126]   Idem, par. 31.

[127]   Supra, note 102, par. 45 à 47.

[128]   Canada (P.G.) c. JTI-McDonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, par. 41 à 43.

[129]   [2005] 3 R.C.S. 141, par. 94.

[130]   Pièce P-26.

[131]   Hutterian, par. 85.

[132]   Traduction de l'expression : « Work, live and play » utilisée par lui.

[133]   Supra note 93, page 1107, lignes H à J.

[134]   Hutterian, par. 195 à 199.

[135]   Idem, par. 87.

[136]   [1995] 3 R.C.S. 199.

[137]   Voir par. 163 (J. McLachlin) et par. 188 (J. Iacobucci).

[138]   Guignard, note 69, par. 21.

[139]   Idem, page 485.

[140]   Supra note 93, page 1096, ligne b).

[141]   Supra note 69, par. 23.

[142]   Idem, par. 22.

[143]   Guignard, par. 20; Rushanpe, par. 23; Irwin Toy, p. 976; Thompson Newspapers Co.

[144]   Pièces P-22 et P-23.

[145]   [2011] 2 R.C.S. 504.

[146]   Idem, par. 68.

[147]   [1990] 3 R.C.S. 1170.

[148]   Idem, p. 1204.

[149]   Plan d'argumentation des demandeurs, par. 79 à 82.

[150]   Pièces P-22 et P-23.

[151]   [2001] 2 R.C.S. 281, par. 42 et 47.

[152]   Paragraphe 124 de la défense.

[153]   Paragraphe 118 de la défense amendée.

[154]   Pièce P-12.

[155]   Voir la page 113 du Plan d'urbanisme de la Ville, pièce P-52.

[156]   Idem, p. 132.

[157]   Idem, p. 134.

[158]   Idem, p. 135.

[159]   Idem, p. 138.

[160]   Idem, p. 152.

[161]   2009 CMQ 63174, CMQ 63180, CMQ 63184, CMQ 63185, par. 376-377.

[162]   Idem, par. 378.

[163]   Idem, par. 394.

[164]   Pièce P-48.

[165]   Pièce P-49.

[166]   MARCHAND, François, « La conformité entre les règlements d'urbanisme, le plan d'urbanisme et le schéma d'aménagement », (1986) 27 C. de D. 543; Julien c. Mont-Tremblant, C.M.Q. 59634 (11501-03).

[167]   Pièce P-50.

[168]   Pièce P-40.

[169]   Pièce P-51.

[170]   Pièce P-41.

[171]   Pièce P-48.

[172]   Pièce P-49.

[173]   Pièce P-48.

[174]   Pièce P-49.

[175]   Pièce P-40.

[176]   Pièce P-14.

[177]   Pièces P-50 et P-51.

[178]   Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 51 à 53.

[179]   Myriam Prévost et als. c. Ville de Sherbrooke, [2007] CanLII 53881 (QCCMQ), par. 16 et Lydia Weldon et als c. Ville de Sutton, [2008] CanLII 21081 (QCCMQ), par. 10.

[180]   MARCHAND, François, « La conformité entre les règlements d'urbanisme, le plan d'urbanisme et le schéma d'aménagement », (1986) 27 C. de D. 543, 591-592; 2876574 Canada inc. c. Québec (Commission municipale), 1998 CanLII 11717 (QCCS), par. 51 à 53 et Glawdecki et als. c. Ville de Dorval, 2014 CanLII 55271, par. 9 (QCCMNQ).

[181]   Prévost c. Sherbrooke (Ville de), 2007 CanLII 53881, par. 86-87 (QCCMNQ) et Weldon c. Ville de Sutton, [2008] CanLII 21081 (QCCMNQ).

[182]   Dumont et als. c. Ville de Mont-Royal, 2015 CanLII 45659 (QCCMNQ).

[183]   Idem, par. 31.

[184]   [2006] 1 RCS 227.

[185]   Idem, par. 38, 48-49.

[186]   2010 QCCA 2108.

[187]   Idem, par. 4-5.

[188]   Pièce P-34.

[189]   Pièce P-35.

[190]   Pièce P-40.

[191]   Idem.

[192]   Pièce P-41.

[193]   Pièce P-40.

[194]   Pièce P-41.

[195]   Pièce P-48.

[196]   Pièce P-49.

[197]   Pièce P-31.

[198]   Pièce VM-13.

[199]   Pièces P-30, P-33, P-34 et P-37.

[200]   Supra note 184.

[201]   Pièces P-33, P-34 et P-37.

[202]   Pièce P-30.

[203]   [1996] 3 R.C.S. 211.

[204]   Idem, par. 121.

[205]   Pièce P-8.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.