Boucher c. Corbeil D'Amours | 2023 QCTAL 22726 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
| ||||||
No dossier : | 588836 31 20210917 G | No demande : | 3346584 | |||
|
| |||||
Date : | 28 juillet 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Lucie Béliveau | |||||
| ||||||
Marie-Élaine Boucher |
| |||||
Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Marianne Corbeil D'Amours |
| |||||
Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
| ||||||
D É C I S I O N
| ||||||
[1] Par un recours introduit le 17 septembre 2021, le Tribunal est saisi d'une demande de la locataire qui recherche la condamnation de la locatrice en dommages pécuniaires de 1 971 $, moraux de 5 000 $ et punitifs de 7 779 $, pour une reprise de logement de mauvaise foi, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue par la loi, à compter de la mise en demeure, le 18 août 2021 ainsi que les frais de justice.
[2] Les parties étaient liées par un bail de logement ayant débuté en 2014 et reconduit au 30 juin 2021, au loyer mensuel de 840 $. La nouvelle locatrice achète l’immeuble en 2020.
[3] Le logement concerné est un quatre pièces et demie et se situe au rez-de-chaussée d’un triplex. La locatrice habite le logement de quatre pièces et demie au demi-sous-sol.
APERÇU DES FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La locataire
[4] La locataire explique qu’elle a reçu un avis de reprise de logement le 29 décembre 2020.
[6] Sur cette même entente se rajoute ce qui suit et signé par les parties :
« En date du 31 mars 2021, je soussignée, Marie-Élaine Boucher, reconnaît avoir la somme de 1 000$ et par conséquent, je donne quittance au Propriétaire et je renonce à tout droit que je pourrais détenir aux termes de droit au maintien dans les lieux, du droit de reprise et/ou d’éviction de mon logement. Je m’engage à quitter à la date prévue. À partir du 1er juillet 2021, la Propriétaire sera libre d’user des lieux loués et ce, sans que je puisse avoir un droit de regard. »
[7] La locataire croyait que cette formulation était normale dans les circonstances.
[8] Cependant, elle remarque que la locatrice, qui habite au sous-sol ne fait aucun préparatif pour déménager au rez-de-chaussée, mais elle installe plutôt sa terrasse et ses lumières comme si elle n’avait aucune intention de déménager.
[9] La sœur de la locataire, qui habite derrière l’immeuble, appelle la locataire le 20 juin 2021 pour l’informer que la locatrice n’a pas déménagé, mais que c’est une autre personne qui a emménagé. La locataire se déplace et note elle-même le 21 juin 2021, que quelqu’un habite dans le logement.
[10] Le 18 août 2021, elle signifie par huissier, une mise en demeure à la locatrice pour reprise de mauvaise foi.
[11] La locatrice l’informe alors que ce n’est pas une reprise de logement, mais une résiliation de bail qu’elle a signée. Elle comprend alors qu’elle a été flouée. Si elle avait su, elle n’aurait jamais signé cette entente.
[12] On lui a délibérément caché que la nature de cette entente avait changé, elle était pourtant de bonne foi, contrairement à la locatrice.
[13] En conséquence, elle réclame :
La différence entre le loyer qu’elle payait et le loyer qu’elle paie actuellement à son nouveau logement, soit 135 $ par mois pour 12 mois, pour un total de 1 620 $;
Une facture pour l’achat de peinture pour son nouveau logement, 68,95 $;
La différence entre ses versements en mode de versements égaux en frais d’électricité, soit 16 $ par mois pour 12 mois pour un total de 192 $;
Les frais de réacheminement de courrier : 99,80 $.
[14] Elle est une mère monoparentale, sa fille avait douze ans à cette époque. Elle habitait près de sa sœur et toutes deux s’apportaient un support moral qu’elle a perdu en déménageant. Cette situation a été extrêmement difficile pour elle déclare-t-elle, surtout en temps de pandémie. Elle a pleuré, fait des crises d’angoisse. Ayant déjà une santé fragile en raison de la maladie de Crohn et de bipolarité, son état mental s’est tellement fragilisé qu’elle a obtenu un congé maladie le 7 septembre 2021 et n’était toujours pas retournée travailler au 15 mars 2022.
[15] Elle demande donc des dommages moraux de 5 000 $ pour tous les troubles et inconvénients causés par ce déménagement obtenu de mauvaise foi.
[16] Elle demande également des dommages punitifs de 7 779 $.
La sœur de la locataire
[17] Celle-ci est voisine de cour de l’immeuble de la locatrice.
[18] Elle a noté qu’au début juin 2021, il y avait des rénovations en cours dans le logement du rez-de-chaussée, qui ont perduré jusqu’au 20 juin 2021.
[19] Elle constate qu’un déménagement s’effectue et que toutes les choses s’en vont au rez-de-chaussée. Ensuite, elle a vu une jeune fille s’y installer.
La mère de la locataire
[20] Elle déclare avoir aidé sa fille à paqueter les boîtes et vider le logement de quatre pièces et demie. Cela a été exigeant. Sa fille pleurait beaucoup se souvient-elle. Elle perdait la proximité avec sa sœur.
[21] Le désarroi de sa fille a été exacerbé quand elle a constaté que quelqu’un d’autre vivait dans son logement et qu’elle avait été flouée.
Le père de la locataire
[22] Il a aidé à déménager et préparer l’autre logement. Sa fille pleurait beaucoup, elle n’aurait pas voulu déménager.
La locatrice
[23] En ce qui concerne la reprise de logement, elle n’a pas fait de recours, car la locataire était d’accord pour quitter le logement.
[24] Cependant, pour officialiser le départ de la locataire et se protéger, un avocat l’a aidée à rédiger une entente de résiliation. La locataire a eu ce document trois mois avant son départ, elle avait eu le temps de l’analyser. D’ailleurs, la locataire renonce à tout recours dans cette entente et donne quittance à la locatrice, plaide-t-elle. Elle est donc surprise que la locataire exerce le présent recours.
[25] La locatrice explique qu’elle n’a finalement pas déménagé au rez-de-chaussée parce qu’elle et son conjoint se sont séparés, alors qu’ils devaient déménager ensemble. Dès la mi-mai, leur relation battait de l’aile et vers le 8 juin 2021, en pleine rénovation, ils se sont séparés.
[26] Cela a changé la donne, car elle aurait assumé le loyer du rez-de-chaussée avec son conjoint alors que ce n’était plus possible. Après avoir investi 10 000 $ en rénovations, elle se sentait insécure financièrement, elle a donc décidé de rester au sous-sol et de vivre en colocation avec une collègue de travail et de louer le rez-de-chaussée à d’autres locataires.
[27] C’est cette collègue de travail qui devait originalement louer le sous-sol toute seule alors qu’elle devait déménager au rez-de-chaussée.
[28] Elle explique qu’elle s’est renseignée auprès du Tribunal et d’un avocat à savoir si elle devait obtenir une autorisation pour relouer le logement et on lui a dit que ce n’était pas nécessaire, car il ne s’agissait pas d’une reprise de logement, mais d’une entente de résiliation.
[29] Elle a donc reloué le rez-de-chaussée à d’autres personnes.
L’ex-conjoint de la locatrice
[30] Il explique que depuis 4 à 6 mois, sa relation avec la locatrice était chancelante, ils ont tenté de se réconcilier, mais de toute évidence il n’y avait plus rien à faire. Ils se sont chicanés en pleine rénovation et ont décidé de se quitter au début du mois de juin 2021.
La nouvelle locataire du sous-sol
[31] La locatrice est une collègue de travail. Au départ, elle devait louer seule le demi-sous-sol, mais lorsqu’elle a su que la locatrice venait de se séparer, elle lui a offert de rester avec elle, car de toute façon, elle voulait se trouver une colocataire pour partager les dépenses.
QUESTIONS EN LITIGE
1- S’agit-il d’une reprise de logement ou d’une entente de résiliation?
2- Dans l’éventualité où il s’agit d’une reprise de logement, la locataire a-t-elle été évincée des lieux de mauvaise foi?
3- Dans l’affirmative, les dommages pécuniaires, moraux et punitifs sont-ils justifiés?
Fardeau de preuve
[32] D’entrée de jeu, il est pertinent de rappeler que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal.
[33] Ainsi, si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est la partie qui devait faire cette preuve qui succombera et verra sa demande rejetée[1].
Reprise de logement ou entente de résiliation
[34] Certains principes quant à l’interprétation des contrats sont pertinents dans le passage de la Cour d’appel dans l’arrêt Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Sainte-Foy[2] :
« [50] Bref, s'il est vrai que la jurisprudence, comme la doctrine du reste, affirme parfois que l'on n'a pas à interpréter ce qui est clair, il demeure néanmoins que ce qui est ou paraît clair n'est pas toujours exact et peut donc requérir interprétation. L'exercice consistera alors à chercher, à travers mais aussi au-delà de la volonté déclarée, la volonté réelle des parties, c'est-à-dire leur véritable intention commune, intention dont il faudra bien sûr faire la preuve.
[51] Les articles 1425 et 1426 C.c.Q. consacrent cette primauté de la volonté réelle sur la volonté déclarée des parties en disposant que :
1425. Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.
1426. On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.
[52] Le principe de la primauté de la volonté réelle, que nos tribunaux ont avalisé, n'est cependant pas absolu, en ce qu'il n'emporte pas que l'on doive faire totalement abstraction de la lettre du contrat, lorsque celui-ci a été consigné par écrit. L'écrit par lequel les parties choisissent de constater leur entente est, après tout, la première manifestation de leur commune intention. Ce texte, qui doit être envisagé dans sa globalité et son contexte, en fonction de son objet, selon les articles 1426 à 1428 C.c.Q., revêt donc une importance particulière dans l'exercice interprétatif. […] »
[35] Si on prend en considération le contexte dans lequel cette entente de résiliation a été conclue, c’est celui d’une reprise de logement où la locatrice devait venir l’habiter. Il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal que la locataire a signé cette entente dans ce but précis.
[36] Par ailleurs, en matière de contrat, l’article 1399 du Code civil du Québec (C.c.Q.)[3] énonce la norme applicable à l'analyse du consentement :
« 1399. Le consentement doit être libre et éclairé.
Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion. »
[37] Ainsi, le contrat doit respecter les conditions essentielles à sa formation relativement au consentement des parties, à leur capacité, à l'objet du contrat, à sa cause ainsi que, dans certains cas, à ses conditions de forme.
[38] De plus, les articles 1400 et 1401 C.c.Q.[4] édictent ce qui suit :
« 1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement. »
« 1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence. »
[39] Peut-on parler de dol dans le présent cas? Le dol est défini comme étant « le fait de provoquer volontairement une erreur dans l'esprit d'autrui pour le pousser à conclure le contrat... »[5]
[40] L'erreur est définie comme étant « une croyance qui n'est pas conforme à la vérité », « un défaut de concordance entre la volonté interne et la volonté déclarée, qui ternit la parfaite intégrité du consentement de l'acte juridique. »[6]
[41] La locataire s’est sentie flouée lorsqu’elle a constaté qu’une entente de résiliation n’avait pas la même portée juridique qu’une entente de reprise de logement. Elle affirme qu’elle n’aurait jamais signé ce document si elle avait su.
[42] Conséquemment, le Tribunal croit que la locatrice a fait rédiger une entente de résiliation par un avocat en sachant très bien ce qu’elle faisait, mais sans expliquer à la locataire que non seulement il ne s’agissait plus d’une reprise de logement et que de plus, elle renonçait à tout recours contre elle.
[43] La locataire n’a pas donné un consentement libre et éclairé. On lui a caché délibérément la nature de ce contrat, rédigé par un avocat dont elle n’a pas saisi la portée : elle a fait confiance à la locatrice les yeux fermés. Les rapports de force n’étaient pas équitables, la locatrice a pris conseil auprès d’un avocat.
[44] En outre, la locatrice affirme qu’elle s’est renseignée à savoir si elle devait demander l’autorisation au Tribunal pour relouer le logement, ce qui milite en faveur de la volonté commune des parties était de conclure une entente de reprise de logement.
[45] Ainsi, le Tribunal conclut qu’il s’agit d’une reprise de logement.
Reprise de mauvaise foi?
[46] Le présent recours est prévu à l'article 1968 du Code civil du Québec (C.c.Q.)[7] qui stipule ce qui suit :
« 1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d'une reprise ou d'une éviction obtenue de mauvaise foi, qu'il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction.
Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l'éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[47] Pour réussir sur sa demande, la locataire doit prouver par une preuve prépondérante et concluante que la locatrice l'a évincée des lieux de mauvaise foi, dans le but ultime d'atteindre d'autres fins.
[48] Par ailleurs, une règle prime sur toutes les obligations réciproques des parties, celle de la bonne foi.
[49] La loi prescrit l'obligation pour toute personne d'exercer ses droits, selon les exigences de la bonne foi et qu'aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable[8].
[50] Cette obligation de bonne foi doit gouverner la conduite des parties tant au moment de la naissance qu'à celui de son exécution ou de son extinction. La bonne foi se présume toujours et il appartient à celui qui plaide la mauvaise foi de faire la preuve des éléments objectifs qui permettent de conclure à la mauvaise foi[9].
[51] Dans un jugement de la Régie du logement, la juge administrative, Anne Mailfait, effectue l'analyse suivante dans un contexte de reprise de logement[10] :
« [54] Qu'appelle-t-on la mauvaise foi ?
[55] Il peut être mal aisé de pénétrer dans l'esprit d'un individu pour déterminer dans quelle mesure celui-ci était animé par une volonté de tromper autrui sur ses réelles intentions. Pour ce faire, le tribunal apprécie la qualité des témoignages, par le ton, l'ordre des propos, les nuances ou contradictions énoncées ainsi que les éventuelles causes de reproches aux témoins.
(…)
[57] La mauvaise foi est une forme de duplicité où la malice de son auteur vise à convaincre un tiers qu'il accepte un fait pour des raisons qu'il croit être vraies sur la foi des propos des locateurs. La victime développe donc la conviction erronée qu'elle agit conformément au droit ou à la vérité. La mauvaise foi, c'est donc de susciter cette conviction chez autrui en feignant une attitude qui n'est en réalité qu'un double rôle. »
[52] Cette notion de bonne ou mauvaise foi en est une principalement d'intention. Les faits et circonstances entourant les événements viendront révéler la véritable intention d’un locateur.
[53] Les allégations des parties doivent être examinées rigoureusement, car le droit d’un locataire au maintien dans les lieux fait partie de l'essence même du bail résidentiel.
[54] En reprenant possession, il est fait légitimement accroc à ce droit primordial et c'est pourquoi il est exigé d’un locateur qu’il démontre qu'il entend réellement reprendre pour les fins indiquées à son avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.
[56] La version de la locatrice contient des incongruités. Elle affirme ne plus vouloir déménager au rez-de-chaussée parce que son copain ne viendrait plus vivre avec elle et qu’il ne participerait plus aux dépenses. Elle pouvait fort bien inviter sa colocataire à vivre avec elle au rez-de-chaussée pour minimiser ses dépenses et louer le sous-sol? Pourquoi faire l’inverse? On ne peut qu’imaginer que c’était plus rentable de louer le rez-de-chaussée que le sous-sol et que c’était une finalité depuis le début.
[57] La locatrice dépose un suivi de demande de changement d’adresse effectif le 8 juin 2021 alors que c’est la journée qu’elle se sépare de son conjoint et qu’elle ne veut plus déménager? Et ce document ne note que le changement du code postal et non l’adresse. Pourquoi ne pas avoir fourni un document complet? Se pourrait-il qu’il s’agisse d’un changement d’adresse à la suite de son achat en 2020 et non de changement de logement dans le même immeuble?
[58] L’ex-conjoint a affirmé que sa relation avec la locatrice n’allait plus bien depuis quatre à six mois. Qu’il fallait se rendre à l’évidence que ça ne marchait pas. Lorsque la renonciation de la locataire à exercer tout recours contre la locatrice a été ajoutée sur l’entente le 31 mars 2021, la locatrice devait bien se douter qu’il y avait une forte possibilité que son conjoint n’habiterait pas avec elle. Si c’était une condition essentielle de son déménagement, elle aurait dû en faire part à la locataire qu’il y avait une possibilité que son projet ne se réalise pas.
[59] Le fait que la locataire a fait rédiger par un avocat une entente de résiliation avec une renonciation de la part de la locataire à tout recours contre elle milite en faveur que cette dernière avait d’autres plans et qu’elle voulait éviter d’être poursuivie. Il y a de la planification derrière cette manœuvre.
[60] Le Tribunal retient le témoignage probant, sincère et crédible de la locataire et estime qu’elle a fait une preuve prépondérante à l’effet que la reprise de logement a été obtenue de mauvaise foi.
[61] Vu ce qui précède, le Tribunal conclut qu'en l’instance, la locatrice n'a pas agi selon les exigences de la bonne foi en reprenant le logement, ce qui ouvre le droit à la locataire de demander des dommages pécuniaires, moraux et punitifs[11].
Les dommages
a) Pécuniaires
[62] La locataire dépose devant le Tribunal son nouveau bail et il appert qu’elle paie un loyer de 975 $, soit une différence de 135 $ par rapport à son ancien loyer.
[63] Le Tribunal accorde donc la somme de 1 620 $, soit 135 $ pour une durée de 12 mois.
[64] Quant à la réclamation pour la peinture, le nouveau locateur avait l’obligation de rafraîchir le logement, le Tribunal n’accorde aucun dommage à cet égard.
[65] En ce qui concerne les frais d’Hydro-Québec, la preuve est concluante et la somme de 192 $ est accordée soit la différence entre le mode de versements égaux antérieurs et celui du nouveau logement.
[66] La somme de 99,80 $ est également accordée pour le réacheminement du courrier.
[67] Par ailleurs, il est vrai qu’une compensation de 1 000 $ a déjà été accordée à la locataire pour les frais de déménagement.
b) Moraux
[68] Les dommages moraux visent à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue, les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. L'évaluation de tels dommages demeure un défi important, car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables[12].
[69] Les manœuvres de la locatrice ont infligé un déménagement non désiré à la locataire ainsi que des troubles et inconvénients considérables. La locataire monoparentale a été obligée de déménager avec tout le trouble que cela comporte. Sa fille de 12 ans a été perturbée, elle n’habite plus près de sa sœur qui était source de réconfort et de soutien, sans compter qu’elle habite maintenant un logement plus dispendieux.
[70] Ce changement a provoqué une détérioration de la santé de la locataire en raison du stress, de l’angoisse causée par cette situation.
[71] Ainsi, le Tribunal accorde la somme de 1 000 $ à cet égard.
c) Punitifs
[72] L'article 1621 C.c.Q.[13] prévoit ce qui suit quant à la détermination des dommages punitifs.
« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »
[73] Le comportement de la locatrice révèle une indifférence relativement au droit de la locataire au maintien dans les lieux.
[74] L'objectif lorsqu’un tribunal accorde des dommages punitifs est d'assurer une fonction préventive, dissuasive et de dénonciation afin d'éviter des récidives, et punitive pour sanctionner un comportement répréhensible.
[75] La jurisprudence a développé des critères qu’il faut considérer. Ainsi, l'évaluation de la valeur de tels dommages doit respecter, notamment, les critères suivants :
- effet dissuasif;
- circonstances et gravité objective de la faute;
- répercussions chez la victime;
- persistance des gestes, le degré de malice;
- conduite et récidive du défendeur;
- capacité de payer du défendeur.
[76] Ainsi, comme la locatrice est jeune et que sa capacité financière est surement plus restreinte, le Tribunal accorde donc des dommages punitifs de 2 000 $ pour avoir causé une éviction de la locataire de mauvaise foi, laquelle a dû déménager alors qu’elle n’avait aucune intention de le faire. La locataire habitait son logement depuis 7 années.
[77] La Cour suprême a cependant décidé que les intérêts et l'indemnité additionnelle sur les dommages punitifs ne peuvent être accordés qu'à compter du jugement[14]. Les intérêts et l’indemnité additionnelle seront calculés, à compter de l’introduction du recours.
[78] Finalement, tel que prévu par règlement[15], la locataire a droit aux frais de justice, lesquels ne correspondent pas nécessairement à tous les types de frais encourus et aux montants déboursés.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[79] ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;
[81] REJETTE la demande quant au surplus.
|
| ||
|
Lucie Béliveau | ||
| |||
Présence(s) : | la locataire la locatrice | ||
Date de l’audience : | 26 avril 2023 | ||
| |||
| |||
[1] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991 et Nadeau, André et Ducharme, Léo, Traité de droit civil du Québec, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur, p. 99.
[2] Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Ste-Foy, C.A., 2005-12-07, 2005 QCCA 1172, SOQUIJ AZ-50346149, J.E. 2006-59, [2006] R.J.Q. 100, [2006] R.D.I. 12 (rés.).
[3] Code civil du Québec, CCQ-1991.
[4] Code civil du Québec, CCQ-1991.
[5] Baudouin, Jean-Louis et Jobin, Pierre-Gabriel, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, 1 934 p.
[6] Idem.
[7] Code civil du Québec, CCQ-1991.
[8] Articles 6 et 7 du Code civil du Québec, CCQ-1991
[9] Article 1375 du Code civil du Québec, CCQ-1991.
[10] Laureti c. D'Onofrio, R.D.L., 2010-06-10, 2010 QCRDL 22814, SOQUIJ AZ-50646465, 2010EXP-3319.
[11] Article 1968 du Code civil du Québec, CCQ-1991.
[12] Obadia c. 3008380 Canada inc., R.D.L., 1998-02-11, SOQUIJ AZ-51078786.
[13] Code civil du Québec, CCQ-1991.
[14] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, C.S. Can., 1996-10-03, SOQUIJ AZ-96111110, J.E. 96-2256, [1996] 3 R.C.S. 211.
[15] Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. R-8.1, r.5., art. 7.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.