Mercier c. Ville de Montréal |
2020 QCTAT 2858 |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Région : |
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Dossier employeur : |
205946 |
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Montréal, |
le 6 août 2020 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : |
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CM-2017-5777 |
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Jean Mercier |
Patrick Renaud |
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Partie demanderesse |
Partie demanderesse |
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c. |
c. |
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Ville de Montréal |
Ville de Montréal |
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Partie défenderesse |
Partie défenderesse |
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[1] Le 6 juillet 2017, Jean Mercier (Mercier)[1] dépose une plainte en vertu de l’article 72 de la Loi sur les cités et les villes[2] (la LCV) afin de contester une suspension de trois mois imposée par l’arrondissement Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce de la Ville de Montréal (CDN-NDG ou l’employeur).
[2] L’employeur lui reproche, à titre de directeur des travaux publics, d’avoir permis à Patrick Renaud (Renaud) d’exercer les fonctions de chef de division par intérim du 29 janvier au 30 avril 2011 tout en étant rémunéré à titre de contremaître, afin qu’il puisse bénéficier du paiement d’heures supplémentaires.
[3] Le 3 novembre 2017, Renaud dépose lui aussi une plainte en vertu du même article afin de contester une suspension de six mois imposée par l’employeur le 27 octobre de la même année.
[4] L’employeur a sévi contre Renaud au motif qu’il a réclamé le paiement d’heures supplémentaires sachant qu’il n’y avait pas droit, sous de faux motifs et dont une partie de celles-ci n’ont pas été travaillées.
[5] Les plaignants soulèvent un moyen de droit préliminaire fondé sur l’amnistie implicite, doctrine qui veut qu’un employeur ne puisse pas imposer de mesures disciplinaires dans un délai déraisonnable de la connaissance des faits reprochés.
[6] À la demande des parties, la présente décision porte sur le moyen de droit et, s’il est rejeté, sur le bien-fondé des suspensions. Dans le cas où les plaintes seraient accueillies, le Tribunal conserverait compétence pour disposer des mesures de réparation en cas de litige entre les parties.
[7] Le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
· L’employeur a-t-il trop tardé à imposer ses mesures disciplinaires?
· Dans la négative, l’employeur a-t-il démontré les motifs pour lesquels il a discipliné Mercier et Renaud?
· Si oui, les suspensions sont-elles des peines trop sévères?
[8] La réponse à la première question est affirmative, et ce, pour les raisons mentionnées dans la partie analyse des présentes. N’eût été cette réponse, en fonction de la preuve présentée, le Tribunal aurait conclu que les fautes reprochées aux plaignants sont démontrées et que les mesures imposées sont raisonnables.
[9] En juin 2010, Mercier est nommé directeur des travaux publics à l’arrondissement de CDN-NDG. Depuis 1987, il travaille à la Ville de Montréal, occupant différentes fonctions : contremaître, gérant, surintendant, directeur des travaux publics et directeur d’arrondissement.
[10] Sous son autorité, il y a 3 chefs de division (1 à la division des parcs et 2 à celle de la voirie), environ 21 contremaîtres (5 à la division des parcs et les autres à celle de la voirie) et 145 cols bleus.
[11] À son arrivée, le directeur de CDN-NDG informe le directeur des travaux publics de son insatisfaction à l’endroit de deux divisions qui composent les travaux publics, soit celles des parcs et de la voirie.
[12] Les relations de travail y sont mauvaises, et ce, depuis longtemps, comme le démontre le fait qu’il est le 5e directeur des travaux publics à occuper le poste au cours des 7 dernières années. Un groupe de quatre contremaîtres de la voirie, qualifié de clique, est considéré par la direction comme étant problématique.
[13] Les contremaîtres effectuent deux fois par année un choix d’horaire, dont une avant la période hivernale, parmi les horaires suivants :
· du lundi au jeudi, à raison de 8 h 00 par quart (jour, soir et nuit);
· du vendredi au dimanche, à raison de 12 h 00 par quart (jour et nuit).
[14] Les chefs de division travaillent du lundi au vendredi sur le quart de jour. Lors des activités de déneigement qui s’effectuent en dehors de son horaire, le chef de division peut, de chez lui, les gérer si un problème survient, et ce, par téléphone. Exceptionnellement, il peut être obligé de se déplacer.
[15] Dans la semaine suivant l’arrivée du directeur des travaux publics, un des deux chefs de division affectés à la voirie s’absente à la suite d’un accident. Le directeur s’informe auprès de l’autre chef qui, parmi les contremaîtres en place, pourrait le remplacer. En août 2010, il nomme le contremaître Renaud à titre de chef de division par intérim. Celui-ci est à la Ville de Montréal depuis trois ans, auparavant il a travaillé dans le secteur privé.
[16] Le travail du chef de division consiste habituellement à gérer une équipe de contremaître et ces derniers, une équipe de cols bleus. Les deux fonctions peuvent quand même être assignées temporairement sur des projets spéciaux qui ne nécessitent pas de gestion de subalternes.
[17] En décembre 2010, le chef de division qui s’était blessé retourne progressivement au travail, pour effectuer des tâches non liées au déneigement. Il réintègre complètement le travail vers la troisième semaine de janvier 2011. Celui-ci est en période de probation, qui se conclura par un constat d’échec à la fin de l’année 2011.
[18] Plusieurs des contremaîtres à la voirie sont inexpérimentés et le climat de travail n’aide pas à améliorer la performance de l’équipe de contremaîtres. Il en est de même de l’autre chef de division, qui, de son aveu même, déclare ne pas connaître les activités de déneigement. Affecté à la division des parcs, il a été transféré à celle de la voirie en août 2010.
[19] L’arrondissement est réparti en trois territoires pour les fins du déneigement (déblaiement, pose de panneaux d’interdiction de stationner, chargement, épandage de déglaçant, etc.). Celui dont Renaud s’occupe comme contremaître et maintenant comme chef de division par intérim est le T-71, soit celui où il y a deux équipes de cols bleus qui y sont affectés, en plus des services de sous-traitants. La plupart des activités de déneigement des autres territoires sont données en sous-traitance.
[20] Les activités de déneigement mentionnées dans la présente décision sont celles effectuées au T-71. De nombreuses plaintes sont déposées par des citoyens relativement aux activités de déneigement, telles que rues non déblayées et omission de retirer les avis d’interdiction de stationner après les activités de chargement de la neige. Les plaintes peuvent transiter par le bureau du maire. Elles nécessitent qu’une vérification soit effectuée, suivie d’une correction s’il y a lieu. Dans certains cas, il est nécessaire de rédiger un rapport ou une communication qui est envoyé au citoyen ayant porté plainte.
[21] Malgré le retour au travail du chef de division, le peu d’expérience des deux chefs de division titulaires d’un poste et la faiblesse de l’équipe de contremaîtres du territoire font en sorte que le directeur des travaux publics désire conserver les services de Renaud jusqu’à la fin de la période hivernale. De plus, sa réintégration parmi les contremaîtres l’obligerait à refaire le choix des assignations de travail de la période hivernale et à alourdir un climat de travail déjà mauvais.
[22] Lorsque Mercier discute avec Renaud de la possibilité de le maintenir en poste jusqu’à la fin de l’hiver, ce dernier lui signifie qu’il est bien prêt à l’aider, mais pas à son détriment.
[23] L’horaire de travail auquel Renaud peut aspirer est du lundi au jeudi. La saison hivernale nécessite l’accomplissement de nombreuses heures supplémentaires, permettant d’accroître la rémunération annuelle de chacun des contremaîtres de 5 000 $ à 10 000 $. Les chefs de division ne sont pas rémunérés pour les heures supplémentaires effectuées.
[24] Renaud ne tient pas à perdre ce qu’il considère comme un avantage, soit l’exécution des heures supplémentaires et son paiement, et ce, même s’il perd la prime de 9 % qu’il reçoit lorsqu’il est affecté à une fonction supérieure, en l’occurrence chef de division.
[25] Selon le directeur des travaux publics, il convient avec Renaud de le retourner comme contremaître, lui permettant ainsi d’effectuer et d’être payé pour ses heures supplémentaires. Toutefois, il sera affecté à des mandats spéciaux tels que refaire certains parcours de déneigement nécessitant des corrections, effectuer la supervision générale du déneigement sur son territoire et voir à l’ébauche de nouveaux parcours de balai mécanique pour le printemps.
[26] Sur le registre de poste de l’arrondissement, qui relève du Service des ressources humaines, Renaud réintègre la fonction de contremaître le 29 janvier 2011. Toutefois, dans les faits, il continue d’agir comme s’il était toujours chef de division envers les contremaîtres. Il continue d’occuper le bureau qui est normalement destiné au chef de division. Il perd toutefois sa prime versée pour occuper une fonction supérieure. Dans ses communications avec les contremaîtres, il agit comme chef de division, c’est d’ailleurs ce titre qui apparaît sous son nom dans ses courriels. Il est cosignataire, à titre de chef de division, d’une lettre disciplinaire remise à un contremaître le 10 mars 2011.
[27] Dans une lettre datée du 21 février 2011, Renaud remercie le directeur des travaux publics de lui avoir permis d’occuper le poste de chef de division pour la période hivernale puisque, écrit-il, son mandat s’achèvera bientôt et qu’il retournera à son poste de contremaître.
[28] Sur son profil LinkedIn, Renaud mentionne qu’il a exercé la fonction de chef de division au sein de l’arrondissement de janvier 2011 à mai 2012.
[29] Pour recevoir le paiement des heures supplémentaires, le contremaître doit présenter une réclamation à l’aide d’un formulaire (feuille jaune) où figurent la date, la période où le travail est exécuté et le code correspondant à la nature des travaux, accompagné de sa signature. Cette feuille de réclamation est remise au chef de division pour signature, qui à son tour la transmet au directeur des travaux publics pour que lui aussi appose sa signature. Par la suite, la feuille jaune complétée sera traitée par le service de la paie et insérée dans un registre qui peut être consulté par les contremaîtres.
[30] Dans le cas de Renaud, l’étape de la signature du chef de division est omise, car c’est le directeur des travaux publics qui seul autorise le paiement de ses heures supplémentaires.
[31] Parce qu’il doutait ne pas avoir reçu tous les montants auxquels il avait droit, un contremaître (R) vérifie le registre contenant les feuilles jaunes. Il s’aperçoit alors que Renaud a effectué des réclamations pour le paiement d’heures supplémentaires et que Mercier les a autorisées. Il est surpris puisqu’il le considère comme étant le chef de division par intérim.
[33] Il en déduit que Mercier et Renaud ont convenu d’un arrangement permettant à ce dernier d’obtenir le paiement de la moyenne des heures effectuées par les contremaîtres, et ce, sans qu’il ait eu à toutes les travailler.
[35] Au début du mois de janvier 2013, une plainte anonyme est transmise au Bureau du contrôleur de la Ville de Montréal. L’objet de la plainte est ainsi décrit : « Fraude, harcèlement psychologique et favoritisme ». Les passages suivants de la plainte concernent la fraude, impliquant Renaud et Mercier :
Nous, les employés de CDN/NDG faisons appelle à vous, en temps que contrôleur. Il y a plusieurs mois, nous avons pris connaissance que notre direction, nos ressources humaines et la complicité de notre PSA ont fait de la manipulation au système de paie, afin de donner des avantages pécunier à un cadre en fonction supérieur. La personne en question est le contremaître Patrick Renaud, qui avait accepter le poste de chef de division voirie, pendant la période mentionné sur les feuilles que nous vous faisons parvenir.
Monsieur Renaud s’est plaint à son directeur Jean Mercier qu’il avait perdu son temps supplémentaires durant cette période et une modification à alors été fait au système pour lui octroyer des avantages monétaires auxquels il n’avait aucun droit. Nous avons tous été témoins de ces modification et nous sommes indigner par ces façons de faire. […]
(Transcription textuelle)
[36] Les feuilles de réclamations pour des heures supplémentaires de Renaud pour les 31 janvier 2011, 1, 2, 4, 5, 7, 11, 13 et 25 février 2011 ainsi que les listes d’affectations (« booking ») pour quatre de ces journées sont jointes à la plainte.
[37] La plainte est déposée par une employée à qui R a remis tous les documents en sa possession.
[39] L’enquêteur occupe sa fonction depuis 2010. Auparavant, il était enquêteur à la Sécurité du revenu de la Ville de Montréal depuis 1993.
[40] En plus des documents qui accompagnent la plainte, l’enquêteur consulte :
· liste des événements salariaux d’un employé;
· historique des événements d’affectation [registre des postes];
· sommaires des transactions de paiement par employé;
[41] Il confectionne un tableau où apparaissent par ordre chronologique la fonction exercée par Renaud selon les évènements salariaux, celle exercée selon le sommaire des transactions de paiement, les dates des heures supplémentaires, leur durée, les dates des courriels consultés, leur nombre et à quel titre ils ont été envoyés.
[42] Il y a aussi une colonne pour les remarques, dans laquelle il mentionne que Renaud n’apparaît pas dans les quatre listes d’affectations des contremaîtres appelés à travailler aux périodes où il réclame des heures supplémentaires. Sur chacune des quatre listes, il y a quatre contremaîtres d’assignés.
[43] À partir de la liste des évènements salariaux, l’enquêteur constate que Renaud est chef de division aux dates suivantes : 31 janvier, 1, 2, 4, 5, 7, 8, 11, 12, 13, 14 et 25 février 2011. Toutefois, pour la même période, il est, selon le registre, contremaître et reçoit des paiements pour des heures supplémentaires réclamées selon le sommaire des transactions de paiement.
[44] L’enquêteur consulte la boîte de courriels de Renaud, constatant qu’il se désigne comme chef de division pour la période pertinente, soit dans 21 courriels. Il considère toutefois que cela n’est pas concluant.
[45] Afin d’éclaircir la situation, l’enquêteur rencontre le directeur des travaux publics, soit la personne qui autorisait les heures supplémentaires et qui est mentionné dans la plainte. Dans son rapport, il écrit que Mercier déclare que Renaud était contremaître à partir du 29 janvier 2011, ayant refusé d’être chef de division par intérim, mais qu’il a accepté d’effectuer certaines tâches de cette occupation durant quelques semaines. Les heures supplémentaires ont été faites sur des tâches relevant d’un contremaître. Aucune autre personne ne sera rencontrée.
[46] Le 18 avril 2013, Alain Bond, contrôleur général, transmet à Mercier le rapport de l’enquêteur. Le directeur des travaux publics est le seul de l’arrondissement à le recevoir.
[47] La conclusion de l’enquête est la suivante :
Considérant les documents analysés ainsi que le témoignage de M. Jean Mercier, nous considérons que les sommes payées en temps supplémentaires à Monsieur Patrick Renaud, respectent les règles applicables.
Cependant, nous recommandons aux responsables de l’arrondissement Côtes-des-Neiges - Notre-Dame-de-Grâce de faire des changements nécessaires dans le système de gestion du personnel afin d’éviter toute confusion quant aux fonctions occupées par son personnel. Cette rigueur permettra au personnel d’être rémunéré pour les tâches qu’il accomplit et ceci permettra aussi d’offrir un traitement juste et transparent auprès des employés de l’arrondissement.
[48] En février 2015, Mercier quitte l’arrondissement pour occuper un poste à la Commission des services électriques de Montréal, mais sa rémunération continue toujours d’être assumée par CDN-NDG.
[49] En mars 2015, le nouveau directeur des travaux publics rencontre le contremaître R qui a eu une prise de bec avec Renaud, son collègue. Il informe le directeur des heures supplémentaires réclamées par Renaud en 2011 et du dépôt d’une plainte concernant cette situation, au service de police de Mascouche en 2012 ou 2013. Il mentionne aussi la plainte déposée au contrôleur de la Ville de Montréal.
[50] Le nouveau directeur des travaux publics lui dit qu’il ne fera rien, considérant le dépôt d’une plainte à la police.
[51] Les relations sont toujours difficiles entre les contremaîtres de la voirie. Il y a deux clans, celui qui s’identifie au contremaître R et l’autre à Renaud.
[52] À un moment non précisé, le directeur des travaux publics avise R qu’il pourrait être l’objet d’une suspension s’il persévère dans son attitude. Selon ce dernier, afin de se protéger contre une éventuelle suspension, il envoie un courriel, le 20 décembre 2016, à la cheffe de division des ressources humaines de l’arrondissement (la cheffe DRH), avec copie au nouveau directeur des travaux publics et à une cheffe de division voirie, dans lequel il se qualifie de sonneur d’alarme. Il écrit :
Bonjour […],
A l’époque où mon collègue Patrick Renaud était chef de division sous l’égide de monsieur jean Mercier a eu plusieurs heures supplémentaires de payer alors qu’il n’y avait pas droit. J’ai fait part de cette situation [au directeur des travaux publics] peu de temps après son arrivé en poste en 2015. En tant que sonneur d’alarme, est-il possible de savoir si une enquête sérieuse a été faite a ce sujet. Je parle ici de documents frauduleux, quelqu’un a sûrement autorisé une intervention dans le registre de poste pour payer son [temps supplémentaire] rétroactivement et c’est signé de la main de jean Mercier.
Merci pour le suivi
(Transcription textuelle)
[53] Le 27 mars 2017, R récidive en mettant cette fois en copie le contrôleur général de la Ville. Il demande à la cheffe DRH s’il peut espérer avoir une réponse à son courriel précédent.
[54] Le 5 avril suivant, la cheffe DRH lui répond, avec copie au contrôleur de la Ville de Montréal, que des vérifications sont en cours à la suite de la rencontre qu’il a eue récemment avec le directeur des travaux publics. Le même jour, le contrôleur de la Ville de Montréal demande à la cheffe de le tenir au courant de ses démarches et de ses conclusions.
[55] Le matin du 4 mai 2017, R assiste à une formation concernant les sonneurs d’alertes. Au début de l’après-midi, il envoie un courriel à la formatrice, avec copie à la cheffe DRH et au contrôleur général, où il écrit :
Très content d’avoir suivi cette formation ce matin et d’apprendre que les représailles sont interdite suite a une dénonciation.
Si vous lisez l’historique de cette chaîne de courriel vous pouvez lire que mon premier envoi date du 20 décembre 2016 adressé au chef RH avec en copie le directeur [des travaux publics] et une chef de division voirie. Pas de son pas d’image jusqu’au moment d’une relance plus de trois mois plus tard avec [le contrôleur général] en copie. [La cheffe de division des ressources humaines, le directeur des travaux publics et la cheffe de division de la voirie] sont pourtant tous des gestionnaires d’expérience !
Ma question est la suivante:
D’attendre plus de trois mois et de réagir seulement lorsqu’on voit le nom [du contrôleur général] dans l’envoi, est-ce un problème d’éthique eu de déontologie ? et qu’elle pourrait être les conséquences pour ce mutisme pendant ces trois mois angoissant là que j’ai dû a vivre.
(Transcription textuelle)
[56] Le 8 mai 2017, la cheffe DRH donne le mandat au Bureau du contrôleur général de valider les allégations voulant que des heures supplémentaires aient été payées à Renaud alors qu’il agissait à titre de chef de division par intérim en 2011.
[57] À la réception du mandat, le contrôleur général, son chef de division et une enquêtrice discutent de la première enquête tenue en 2013, ils se questionnent sur l’opportunité d’en tenir une autre et concluent par l’affirmative.
[58] Les mêmes documents qui accompagnent la plainte de 2013 sont joints au mandat de l’arrondissement, portant principalement sur le mois de février 2011. Mais outre les documents colligés lors de la première enquête, l’enquêtrice prend connaissance des deux documents suivants : une décision rendue par la Commission des relations du travail et des données provenant du système de gestion du temps de Kronos.
[59] La décision de la Commission des relations du travail[3] est rendue le 1er février 2013 et concerne la destitution d’un contremaître. Dans cette cause, Renaud témoigne qu’il a été chef de division par intérim d’août 2010 à avril 2011. Une conseillère en ressources humaines de l’arrondissement assiste à l’ensemble des audiences.
[60] Outre Renaud et Mercier, l’enquêtrice rencontre : deux contremaîtres, R et un collègue identifié à la clique de ce dernier, qui ont travaillé au déneigement lors des jours identifiés dans la première enquête; le chef de division qui était en retour progressif; la conseillère en ressources humaines qui était affectée à l’arrondissement au moment des faits litigieux; la cheffe DRH; l’agent technique qui a travaillé sur les parcours de balai mécanique avec Renaud et l’actuel directeur des travaux publics.
[61] En résumé, le rapport retient divers éléments. Par exemple, selon le chef de division qui était en retour progressif et qui n’a pas réussi sa période de probation, Renaud a continué d’être chef de division après le 22 janvier 2011 et n’a jamais fait de tâches de contremaître durant cette période. Les réclamations d’heures supplémentaires « ne tiennent pas la route » parce qu’il ne gérait pas une équipe de cols bleus et n’avait pas d’assignation en tant que contremaître lors des déneigements.
[62] L’enquêtrice ne vérifie pas si des contremaîtres qui n’apparaissent pas à la liste d’affectations peuvent quand même effectuer des heures supplémentaires à l’occasion du déneigement. Selon la preuve, un contremaître qui n’est pas affecté sur la liste et qui ne gère pas une équipe de cols bleus peut quand même faire des heures supplémentaires. Tous les contremaîtres qui sont volontaires pour effectuer des heures supplémentaires lors de déneigement en font.
[63] À la suite de l’analyse des courriels de Renaud, l’enquêtrice constate qu’il détient un lien d’autorité envers les contremaîtres, d’autant que le titre de chef de division y est bien mentionné.
[64] Selon les deux contremaîtres rencontrés, Renaud gérait des contremaîtres et n’avait pas d’équipe de cols bleus sous son autorité. Il pouvait téléphoner à deux reprises lors de déneigements effectués durant les fins de semaine, mais ils ne l’ont pas vu et rien ne justifiait sa présence.
[65] Selon la cheffe DRH, en février 2011, Renaud aurait pu continuer d’être chef de division par intérim jusqu’à six semaines suivant le retour à temps complet du chef de division qu’il remplaçait. Mais la volonté de Mercier et de Renaud était qu’il retourne comme contremaître. La cheffe, qui était conseillère en ressources humaines, savait qu’il était affecté à des mandats visant à revoir les parcours de neige et de balai mécanique et qu’il ne gérait pas spécifiquement une équipe de cols bleus, mais ignorait ses autres tâches.
[66] C’est au cours de sa rencontre avec l’enquêtrice que la cheffe DRH et le nouveau directeur des travaux publics apprennent l’existence du premier rapport d’enquête, en 2013.
[67] De la rencontre avec Mercier, l’enquêtrice retient « qu’il voulait garder Renaud "en haut" comme adjoint ou comme chef d’équipe des contremaîtres pour ne pas créer de problèmes et changer les "bookings" d’hiver ». Il reconnaît que Renaud agissait comme chef de division, mais payé comme contremaître et qu’il approuvait ses réclamations d’heures supplémentaires, sans vérification. Il n’a pas fait d’entente avec Renaud quant aux paiements d’heures supplémentaires.
[68] Dans son rapport, parmi les éléments retenus de la version de Renaud, il y a les suivants :
· au retour [du chef de division] en janvier 2011, [Renaud] a continué ses tâches de chef de division tout en ayant un mandat spécial, celui de revoir les parcours de neige et balais mécaniques;
· de janvier à la fin avril 2011, il admet avoir occupé des fonctions de chef de division tout en étant rémunéré comme un contremaître;
· pendant cette [même] période, il était un « genre » de contremaître administratif sur un mandat spécial;
· il ne se sentait pas bien là-dedans car il n’était pas opérationnel et il se demandait : «chu tu [chef de division], chu tu pas [chef de division]»;
· il s’est investi beaucoup au niveau du déneigement pendant cette période. Il venait voir les contremaîtres sur le terrain, voyait à la formation et encadrait les moins expérimentés. Il venait voir ses contremaîtres comme un chef de division peut le faire. Il ne gérait pas d’équipe de cols bleus;
· en étant rémunéré comme contremaître, il a pu réclamer des heures de travail supplémentaires;
· il n’a pas eu d’entente avec M. Mercier pour « magouiller » les feuilles de temps supplémentaire;
(Transcription textuelle)
[69] Lorsque l’enquêtrice le questionne sur les motifs inscrits sur les réclamations d’heures supplémentaires qu’elle considère comme douteux, Renaud explique ne pas apparaître sur les listes d’assignations parce qu’il n’est pas responsable d’une équipe de cols bleus, mais attitré à des projets. De plus, il souligne la difficulté de se rappeler de situations survenues il y a six ans et affirme avoir effectué les heures réclamées. « il avoue qu’avec les connaissances qu’il a aujourd’hui, ce n’est pas fort fort. Mais il faut se mettre dans le contexte de ce moment-là .… "ma carrière a monté en flèche". M. Mercier me disait : "encadre bien, chapeaute Bélanger….etc…. j’avais beaucoup à gérer, on me faisait confiance" ». Bélanger est l’un des contremaîtres qui indiquent à l’enquêtrice qu’ils n’ont jamais vu Renaud à l’arrondissement durant les fins de semaine.
[70] L’enquêtrice tire plusieurs conclusions, dont celle que Renaud agissait comme chef de division et que l’arrangement convenu avec Mercier lui était plus profitable, recevant ainsi une rémunération supérieure à cause du paiement des heures supplémentaires.
[71] De plus, sur les 145 heures supplémentaires payées à Renaud, 90 lui apparaissent injustifiées. Elle conclut aussi :
À la lumière des témoignages de MM Mercier et Renaud, nous constatons que les deux parties désiraient une situation gagnant-gagnant. M. Mercier avait besoin de M. Renaud en tant que chef de division dans la gestion des opérations de déneigement et de mandats spéciaux et d’autre part M. Renaud voulait bien aider mais ne voulait pas être pénalisé au niveau salarial. Il aimait être « boss », avoir les avantages sans avoir les conditions. M. Mercier en était pleinement conscient et il a signé les feuilles de temps supplémentaire sans poser de questions.
[72] Le rapport se termine par les directives suivantes :
En tenant compte des éléments du présent rapport, la Direction de l’arrondissement de [CDN-NDG] devra :
· faire les changements nécessaires dans le système de gestion du personnel afin d’éviter toute confusion quant aux fonctions occupées par son personnel. Cette rigueur permettra au personnel d’être rémunéré pour les tâches qu’il accomplit et ceci permettra d’offrir un traitement juste et transparent auprès des employés de l’arrondissement;
· prendre les mesures nécessaires à l’égard de MM. Patrick Renaud et Jean Mercier visés par le présent rapport.
[73] Le 6 juin 2017, le rapport est expédié au directeur des travaux publics de CDN-NDG, avec copie au directeur général de la Ville de Montréal.
[74] Le 7 juin 2017, le contremaître Renaud s’absente pour maladie. Il revient au travail en août suivant.
[75] Le 15 juin 2017, le directeur de l’arrondissement, qui a pris connaissance du rapport, rencontre Mercier en présence de la cheffe DRH. Il lui pose une série de questions sur les évènements de février 2011 et le suspend administrativement le temps de réfléchir à la situation.
[76] Le directeur de l’arrondissement discute par la suite avec un représentant de la Ville de Montréal. Ce dernier est d’avis que les fautes reprochées à Mercier justifient un congédiement, le directeur trouve que c’est une mesure trop sévère considérant ses années de service.
[77] Le 29 juin 2017, Mercier reçoit une lettre qui lui annonce une suspension sans solde de trois mois, signée par le directeur de l’arrondissement. Dans la lettre, il lui est souligné que selon l’enquête du Bureau du contrôleur général, lui et Renaud ont convenu d’un arrangement dolosif. L’objectif était de permettre au deuxième d’exercer des fonctions de chef de division tout en étant rémunéré comme contremaître, ce qui était plus avantageux, la rémunération de 145 heures supplémentaires effectuées durant environ trois mois dépassant largement une prime de 9 % pour la même période.
[78] Il est reproché à Mercier d’avoir signé « en pleine conscience » les formulaires de réclamations d’heures supplémentaires « que l’enquête indique non justifié (sic), et ce, sans en vérifier l’authenticité ».
[79] La lettre mentionne qu’il a reconnu avoir demandé à Renaud « de continuer d’exercer les fonctions de chef de division; il supervisait les contremaîtres et était assigné à des parcours de déneigement et de mandats spéciaux. Il n’était pas en charge de cols bleus et n’était pas présent sur le "booking" de contremaîtres ».
[80] L’arrondissement conclut que Mercier a fait preuve d’un manque flagrant de jugement et a contrevenu à ses obligations d’intégrité, d’honnêteté et de diligence envers la Ville de Montréal.
[81] À l’audience, le directeur de l’arrondissement admet qu’un contremaître peut remplacer un chef de division quelques semaines sans que l’on procède à une inscription de changement de fonction dans le registre des postes. Il ajoute que cela est épisodique.
[82] Le 31 août et le 20 septembre 2017, le nouveau directeur des travaux publics rencontre Renaud. Des pièces jointes au rapport du contrôleur sont montrées à ce dernier, qui admet avoir effectué des tâches de chef de division, conformément à ce que Mercier lui a demandé.
[83] À chaque fois qu’il lui est demandé s’il a effectué les heures supplémentaires réclamées à l’arrondissement même et non de chez lui, il répond par l’affirmative.
[84] Entre la fin de septembre et le début d’octobre 2017, le nouveau directeur des travaux publics rencontre deux chefs de division, trois contremaîtres et un agent technique. Deux de ces six personnes ont aussi rencontré l’enquêtrice du Bureau du contrôleur.
[85] L’enquête du directeur des travaux publics révèle que Renaud pouvait travailler tard la semaine, mais pas qu’il ait travaillé les week-ends.
[86] Le directeur des travaux publics tente d’obtenir les courriels de la boîte de Renaud pour la période pertinente, mais ils sont tous effacés tout comme les feuilles de réclamations d’heures supplémentaires de tous les contremaîtres. La politique de la Ville de Montréal est de détruire les documents après cinq ans.
[87] Le 12 octobre 2017, Renaud est suspendu administrativement.
[88] Le 17 octobre suivant, il reçoit une lettre lui annonçant une suspension de six mois, signée par le directeur des travaux publics. Selon l’employeur, l’analyse des faits recueillis révèle :
· de février à avril 2011, une somme d’environ 5 000 $ a été payée à Renaud à la suite de réclamations d’heures supplémentaires, alors que Renaud ne pouvait en réclamer parce qu’il exerçait des tâches de chef de division;
· dans plusieurs cas, les réclamations l’ont été pour des motifs erronés;
· les heures réclamées pour les 5, 11, 12, 13 et 25 février 2011, soit 56,25 heures, n’ont pas été effectuées, ou du moins pas en totalité, et n’ont pas clairement été réalisées sur les lieux de travail;
[89] Le vendredi 4 février 2011, Renaud réclame 15 heures supplémentaires et le samedi 5 février, 11 heures 45, les deux jours au motif qu’il supervise le chargement de la neige.
[90] Selon un document faisant état des précipitations, il tombe 20,4 centimètres le mercredi 2 février 2011. Les opérations de déblaiement et de chargement commencent le lendemain et se termineront le 11 février. Le 5 février, il tombe de nouveau 11,2 centimètres et 7 contremaîtres effectuent des heures supplémentaires, des précipitations de neige de 2,8 et de 3,6 centimètres s’ajoutent respectivement les 6 et 8 février. Selon Mercier et Renaud, ce dernier devait superviser les travaux.
[91] Le vendredi 11 février suivant, il réclame le paiement de 12 heures supplémentaires pour, selon Renaud, vérifier s’il y a eu des rues oubliées et la révision des parcours. Il réclame aussi 12 heures le lendemain, alors qu’il tombe 3,6 centimètres de neige, et 8 heures 30 le dimanche 13 février, alors qu’il en tombe 10,4 supplémentaires. Les motifs respectifs inscrits sur les réclamations pour ces deux dernières journées sont « surveillance des contrats de neige » et « surveillance déneigement ».
[92] Selon Mercier, les opérations de chargement devaient se terminer le 10 février. Or, comme il y avait des rues oubliées, elles se sont poursuivies le lendemain et même quatre contremaîtres ont effectué des heures supplémentaires le samedi 12 février 2011.
[93] Les opérations de chargement débutent le 14 février suivant.
[94] Finalement, le vendredi 25 février 2011, il réclame 12 heures supplémentaires pour « encadrement neige contrat », alors que la liste des affectations pour cette journée prévoit qu’un contremaître effectue 5 h 45 d’heures supplémentaires.
[95] Dans son argumentation, la « Ville reconnaît qu’elle doit agir dans un délai raisonnable afin d’imposer une mesure disciplinaire à l’un de ses employés ». Elle assortit cette obligation aux conditions suivantes, comme prévu à la jurisprudence[4] et à la doctrine[5] :
· Ce délai commence à courir uniquement à compter du moment où l’employeur connaît tous les faits pertinents eu égard à la faute reprochée;
· Le délai ne commence à courir qu’au moment où l’employeur a terminé son enquête incluant le fait de recevoir la version des faits des plaignants;
· Au surplus, la connaissance des faits doit être acquise par un représentant de l’employeur qui détient un pouvoir disciplinaire à l’encontre de l’employé concerné.
[96] Pour Mercier, son supérieur est le directeur de l’arrondissement, qui a pris connaissance des faits le 15 juin 2017, soit après l’avoir rencontré. Il s’écoule un délai raisonnable entre cette connaissance et l’imposition de la mesure, le 29 juin suivant.
[97] Pour Renaud, il s’est absenté du 7 juin au 30 août, empêchant d’obtenir sa version. La suspension imposée le 27 octobre 2017, soit 37 jours après la dernière rencontre du 20 septembre, l’a été dans un délai raisonnable.
[98] Les plaignants ne peuvent prendre comme point de départ du délai le rapport du premier enquêteur, en 2013. Il s’agissait d’une plainte anonyme et le supérieur de Mercier, le directeur de l’arrondissement, n’en a pas été informé. Au surcroît, le directeur des travaux publics a menti à l’enquêteur lorsqu’il a dit que Renaud était contremaître.
[99] Les faits pour lesquels ils ont été suspendus sont démontrés et les mesures imposées sont raisonnables compte tenu de la gravité des fautes commises.
[100] Ajoutant aux conditions tirées de la jurisprudence par l’employeur, les plaignants soulignent que l’enquête doit être tenue avec soin et application, tel que le mentionne l’arbitre Jobin[6], dans une analyse exhaustive de la jurisprudence sur l’appréciation du délai d’imposition d’une mesure disciplinaire :
3) L’enquête doit être raisonnablement justifiée et conduite de bonne foi et avec diligence. La notion de diligence ne signifie pas seulement la célérité, mais également le soin ou l’application. L’enquête doit être continue ce qui n’exclut pas qu’elle puisse piétiner et prendre un certain temps, c’est-à-dire le temps raisonnablement nécessaire. Elle sert à approfondir, à mettre en contexte, à valider ou invalider diverses informations et à recueillir les versions des personnes impliquées. En somme, l’enquête sert à acquérir une connaissance suffisamment complète et précise des faits et circonstances pertinentes à l’existence, à la nature et à la gravité d’une infraction afin d’être en mesure de prendre une décision à incidence disciplinaire.
(Nos soulignements)
[101] De plus, selon les plaignants, « pour assumer son fardeau, la Ville doit respecter la règle de la meilleur (sic) preuve ». Or, Mercier et Renaud « ne peuvent être pénalisés du fait que certains éléments de preuve importants aient été détruits ou perdus en raison, notamment, du délai qu’a pris la Ville pour enquêter et statuer sur les faits reprochés ».
[102] Ces documents sont les courriels des plaignants qui auraient pu leur permettre de se souvenir de ce qui s’est passé six ans auparavant et ainsi motiver les éléments qu’on leur reproche. De même, les feuilles de réclamations des heures supplémentaires des autres contremaîtres auraient pu aussi apporter un éclairage différent et permettre de les disculper du constat de fraude alléguée par l’employeur.
[103] En fonction du droit des plaignants à une défense pleine et entière, il est difficile de leur tenir rigueur d’avoir témoigné au meilleur de leur connaissance, lorsque l’employeur est responsable d’un si long délai entre les évènements reprochés et la deuxième enquête qui a mené aux sanctions imposées.
[104] Sur le fond, il a été démontré qu’il arrive qu’un contremaître puisse effectuer des tâches de chef de division durant quelques semaines. Il n’y a donc pas eu de faute commise. De plus, Renaud a expliqué du mieux qu’il pouvait la nécessité qu’il supervise le déneigement aux dates reprochées.
[105] Les
plaignants ont déposé des plaintes en vertu de l’article
72. La résolution destituant un fonctionnaire ou employé visé au deuxième ou au troisième alinéa de l’article 71, le suspendant sans traitement ou réduisant son traitement doit lui être signifiée de la même façon qu’une citation à comparaître en vertu du Code de procédure civile (chapitre C-25.01).
Sous réserve de l’article
72.1 Les
dispositions de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (chapitre T-15.1) relatives au Tribunal
administratif du travail, à ses membres, à leurs décisions et à l’exercice de
leur compétence, de même que l’article
72.2. Le Tribunal administratif du travail peut:
1° ordonner à la municipalité de réintégrer le fonctionnaire ou employé;
2° ordonner à la municipalité de payer au fonctionnaire ou employé une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au traitement qu’il aurait normalement reçu s’il n’avait pas fait l’objet de la mesure;
3° rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, et notamment ordonner à la municipalité de payer au fonctionnaire ou employé une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au montant de la somme qu’il a dépensée pour exercer son recours.
[106] Le Bureau du contrôleur général est un service spécialisé de la Ville de Montréal qui a pour mandat d’enquêter à la suite de plainte concernant de possibles malversations ou fraudes. Il doit recueillir les faits pertinents lui permettant de faire des constats, d’effectuer des recommandations, voire d’ordonner de prendre action, comme dans les présents dossiers en 2017[7]. C’est d’ailleurs au Bureau que les deux plaintes, l’une anonyme en 2013 et l’autre de la cheffe DRH en 2017, ont été acheminées.
[107] Comme l’employeur l’admet, son droit de discipliner est conditionné par une obligation d’agir avec célérité, soit dans un délai raisonnable à partir des faits constatés, qui, selon la jurisprudence, ne dépasse pas six mois. Cette célérité ou diligence comporte aussi l’obligation sous-jacente que l’enquête servant à recueillir les faits doit être réalisée avec soin et application.
[108] Considérant que nous sommes en présence de deux enquêtes, l’une en 2013 et l’autre en 2017, le Tribunal doit tout d’abord déterminer si la fin de première constitue le point de départ des délais servant à apprécier la célérité de l’employeur à imposer les mesures disciplinaires contestées.
[109] La plainte déposée en 2013 est la même que celle déposée en 2017 ainsi que les documents qui les accompagnaient. L’enquêteur, après avoir consulté les divers documents à sa disposition, dont les 21 courriels où Renaud donne des directives aux contremaîtres, coiffés du titre de chef de division, est toujours incertain quant à la véritable fonction qu’il occupe.
[110] Il rencontre alors Mercier, dont le nom est mentionné à la dénonciation anonyme[8] comme ayant manipulé le système de paie pour donner des avantages à Renaud. Satisfait de ses explications, soit que les heures supplémentaires ont été exécutées à titre de contremaître, il cesse l’enquête et ne fait que des recommandations d’ordre administratif.
[111] Il est assez surprenant qu’un enquêteur d’expérience aille, dans sa quête de la vérité, rencontrer une seule personne, à plus forte raison celle qui est visée par la dénonciation. Bien entendu, si celle-ci admet avoir commis de la fraude ou de la malversation, cela peut être suffisant. Mais ce n’est pas le cas ici, au contraire, Mercier prétend que Renaud agit à titre de contremaître, une version qui les disculpe tous les deux.
[112] Pour le Tribunal, il s’agit d’une enquête bâclée. Elle n’a pu servir « à acquérir une connaissance suffisamment complète et précise des faits et circonstances pertinentes à l’existence, à la nature et à la gravité d’une infraction afin d’être en mesure de prendre une décision à incidence disciplinaire[9] », comme nous l’enseigne la jurisprudence.
[113] Considérant la dénonciation, l’enquêteur devait consulter d’autres personnes que seulement l’un de ceux qui font l’objet de la plainte. Il devait consulter la cheffe DRH de l’époque pour s’enquérir de ce qu’elle savait du statut de Renaud et lui montrer les documents.
[114] De plus, au moment de son enquête, la décision de la Commission des relations du travail qui relate le témoignage de Renaud voulant qu’il ait été chef de division jusqu’en avril 2012 est connue. Il en aurait été de même, possiblement, de la lettre disciplinaire signée par Renaud à titre de chef de division, en mars 2011, à l’encontre d’un contremaître.
[115] Même si la plainte était anonyme, l’enquêteur avait à sa disposition les listes des affectations des contremaîtres lors des journées où Renaud réclamait les heures supplémentaires. Selon les jours, il y a un, quatre ou sept contremaîtres affectés en heures supplémentaires. Il pouvait facilement en rencontrer quelques-uns afin de vérifier à quel titre Renaud exécutait les heures de travail en temps supplémentaires. Il aurait alors découvert, comme l’enquêtrice en 2017, les prétentions des contremaîtres voulant qu’ils ne l’aient jamais vu durant les fins de semaine et que de toute façon il agissait à titre de chef de division.
[116] Les erreurs ne s’arrêtent pas là. Le rapport du Bureau du contrôleur général n’est envoyé qu’à Mercier. Encore là, outre une lecture minimaliste de la politique en vigueur qui prévoit que le rapport est acheminé au supérieur immédiat de la personne visée par le mandat[10], la dénonciation mentionne aussi Mercier. La précaution élémentaire aurait été de transmettre le rapport au supérieur du directeur des travaux publics, soit le directeur de l’arrondissement, ce qui n’a pas été fait.
[117] Bref, même si le Tribunal retenait que Mercier a induit en erreur l’enquêteur en 2013 et que cette faute ne doit pas profiter à son auteur, cela ne modifierait pas cette conclusion voulant que l’enquête ait bafoué les règles élémentaires de conduite dans une affaire comme celle dont le Tribunal est saisi.
[118] Quelle est la conséquence de cette enquête bâclée?
[119] « L’obligation d’agir avec célérité permet une pleine défense. Elle évite d’exposer le salarié indéfiniment à un reproche[11] », selon la jurisprudence. En conséquence, le décompte du délai doit commencer à la production du rapport en 2013 et non en mars 2017. Convenir autrement serait de permettre à l’employeur, qui n’a pas respecté son obligation de diligence, de discipliner le salarié pour une faute commise tant et aussi longtemps qu’il n’a pas effectué une enquête sérieuse. Dans notre affaire, les plaignants ont été suspendus en juin et en septembre 2017, alors que la première plainte anonyme est déposée en janvier 2013 soit plus de 4 ans après la tenue de la première enquête.
[120] Soulignons que les plaignants se sont plaints de l’incapacité d’avoir accès à leurs courriels de 2011 ainsi qu’aux réclamations d’heures supplémentaires des contremaîtres, ce qui aurait pu les aider à se souvenir de ce qui s’est passé ou à tout le moins de l’induire.
[121] Il n’est pas permis à l’employeur d’avoir une deuxième chance, ne pouvant prendre « prétexte d’une enquête postérieure pour faire revivre artificiellement le délai d’imposition d’une sanction qui était expiré à l’égard de faits dont il avait déjà une connaissance suffisamment complète ou qui aurait raisonnablement justifié la tenue d’une enquête à l’époque[12] » ou aurait pu être découverts au moment opportun si une enquête raisonnable avait été effectuée la première fois.
[122] Le Tribunal conclut donc que l’employeur n’a pas imposé les mesures disciplinaires dans un délai raisonnable, puisque s’écoulant près de quatre ans entre la production du rapport et l’imposition des mesures.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE le moyen de droit préliminaire;
ANNULE les suspensions;
ORDONNE à
l’arrondissement Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce de la Ville de
Montréal de verser à Jean Mercier et à Patrick Renaud à titre
d’indemnité, dans les huit (8) jours de la notification de la présente
décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont ils ont été
privés par les suspensions, le tout portant intérêt à compter du dépôt des
plaintes conformément à l’article
RÉSERVE sa compétence pour régler toute difficulté résultant de la présente ordonnance et pour déterminer les autres mesures de réparation appropriées.
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Mario Chaumont |
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Me Marco Gaggino |
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GAGGINO AVOCATS |
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Pour la partie demanderesse, Jean Mercier
Me Denis Monette SERVICES JURIDIQUES DENIS MONETTE INC. Pour la partie demanderesse, Patrick Renaud |
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Me France Legault |
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GAGNIER GUAY BIRON AVOCATS NOTAIRES |
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Pour la partie défenderesse |
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Date de la dernière audience : 11 mars 2020 |
MC/nl
[1] Le Tribunal utilise le nom de famille non pas par manque de respect, mais simplement pour alléger le texte.
[2] RLRQ, c. C-19.
[3] Jean Jacques
c. Ville de Montréal,
[4] L. BERNIER et al., Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail, 2e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, p. 3-225.
[5] Syndicat démocratique des employés de garage Saguenay
- Lac-Saint-Jean (CSD) et Maison
Mazda,
[6] Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 et Caisse populaire Desjardins de l’ouest de Villeray, 2003 CanLII 74335 (QC SAT), p. 13.
[7] Voir par. [68].
[8] Voir par. [35].
[9] Voir par. [100].
[10] Voir par. [34], [35] et [38].
[11] P. 14 de la sentence précitée à la note 6.
[12] P. 14 de la sentence précitée à la note 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.