Décision

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Commission municipale du Québec

 

 

 

 

Date : Le 2 février 2024

 

 

Dossier : CMQ-70200-001   (33514-24) 

 

 

Juge administratif : Denis Michaud, vice-président

 

 

 

 

eau secours! la coalition québécoise pour la gestion responsable de l’eau

 

Demanderesse

 

et

 

VILLE DE MONTRÉAL

 

et

 

Greenpeace Canada

 

 

Mises en cause

 

 

 

 

 

demande de RECONNAISSANCE AUX FINS

D’EXEMPTION DES TAXES FONCIÈRES

 

 

 

D écision

[1]               Le 13 octobre 2023, EAU SECOURS! LA COALITION QUÉBÉCOISE POUR LA GESTION RESPONSABLE DE L’EAU (Eau Secours) s’adresse à la Commission municipale du Québec pour obtenir la reconnaissance aux fins d’exemption des taxes foncières pour l’immeuble situé au 454, avenue Laurier Est, sur le territoire de la Ville de Montréal (la Ville), conformément aux articles 243.1 et suivants de la Loi sur la fiscalité municipale[1].

[2]               Le 11 janvier 2024, les procureurs de la Ville avisent la Commission qu’ils s’opposent partiellement à la demande au motif qu’Eau Secours est sous-locataire et que la demande aurait dû être faite par le sous-locateur, Greenpeace Canada[2].

[3]               Le 30 janvier 2024, les procureurs de la Ville informent la Commission qu’elle lève son opposition et s’en remet à sa décision[3].

[4]               Le 1er février 2024, la Commission tient une audience par visioconférence Zoom. Eau Secours est représentée par madame Rebecca Pétrin, la Ville par Me Edelweiss Vigneault et Greenpeace Canada par madame Amélie Cantin.

L’IRRECEVABILITÉ DE LA DEMANDE

[5]               Malgré le changement de position de la Ville relativement à la demande, il appert du bail produit au dossier qu’Eau Secours est effectivement sous-locataire de Greenpeace Canada. Cette dernière est locataire de la Fabrique de la paroisse Saint-Denis qui bénéficie de l’exemption de taxes prévue au paragraphe 8 de l’article 204 LFM. Il en découle que la demande d’Eau Secours est irrecevable.

[6]               La LFM est une loi complexe. Les dispositions portant sur les exemptions de taxes sont parfois difficiles à comprendre, en raison notamment de plusieurs renvois et exceptions. Il est donc nécessaire de bien expliquer ici leur application à la demande d’Eau Secours et l’irrecevabilité qui en découle.

[7]               L’article 204 LFM exempte plusieurs personnes ou immeubles du paiement des taxes foncières. Le paragraphe 8 de cet article exempte du paiement des taxes un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une fabrique et servant principalement à l’exercice du culte public. Il en est ainsi de l’immeuble situé au 454, avenue Laurier Est.

[8]               L’article 208 LFM prévoit toutefois qu’un immeuble visé par un paragraphe de l’article 204, hormis le paragraphe 10, redevient imposable s’il est occupé par un autre qu’une personne visée par le paragraphe qui rend l’immeuble non imposable[4]. Il en résulte que cet occupant doit alors payer les taxes pour la partie de l’immeuble qu’il occupe.

[9]               Ainsi, en vertu de l’article 208 LFM, lorsqu’un propriétaire exempté du paiement des taxes en vertu de l’article 204 LFM n’est pas l’utilisateur de l’immeuble, ce dernier est inscrit au rôle au nom du locataire ou de l’occupant de cet immeuble. Ce locataire ou cet occupant peut toutefois demander à la Commission une reconnaissance qui l’exemptera à son tour du paiement des taxes foncières[5] s’il respecte les conditions prévues aux articles 243.1 et suivants LFM.

[10]           La LFM prévoit deux conditions de base pour qu’un locataire puisse faire l’objet d’une reconnaissance de la Commission : il doit être une personne morale à but non lucratif et l’unité d’évaluation doit être inscrite à son nom au rôle d’évaluation[6]. Les immeubles portés au rôle sont inscrits par unité d’évaluation (art. 33 LFM), habituellement au nom du propriétaire (art. 35 LFM). L’article 208 LFM crée une exception pour que des locataires ou des occupants d’un immeuble visé par une exemption de l’article 204 LFM ne puisse bénéficier de cette exemption, sauf s’il a obtenu une reconnaissance de la Commission.

[11]           Lorsqu’un locataire sous-loue une partie de l’immeuble visé par la reconnaissance qu’il a obtenue, il doit présenter à la Commission une demande combinée (demande pour un autre utilisateur) pour que cette partie sous-louée soit incluse dans la reconnaissance. Nous sommes précisément dans un tel cas : Greenpeace Canada loue à la Fabrique une partie de l’immeuble et sous-loue des locaux à d’autres organismes, dont Eau Secours. Il en résulte que c’est Greenpeace qui doit présenter la demande pour que les locaux sous-loués à Eau Secours (et aux autres sous-locataires) fassent l’objet d’une reconnaissance de la Commission. Le sous-locataire ne peut présenter lui-même une telle demande. Il résulte de ce qui précède que la demande d’Eau Secours dans le présent dossier est irrecevable[7].

[12]           Dans le contexte du présent dossier, la Commission juge toutefois que le rejet de la demande d’Eau Secours est prématuré et que la procédure de demande peut être régularisée. Il suffit que Greenpeace Canada se substitue à Eau Secours comme demandeur de la reconnaissance. Signalons ici que Greenpeace Canada bénéficie déjà d’une reconnaissance de la Commission pour les locaux qu’il occupe dans l’immeuble[8].

[13]           Par conséquent, la Commission décide de suspendre le dossier jusqu’au 4 mars 2024 afin de permettre à Greenpeace Canada de produire la demande combinée ainsi que les documents requis pour obtenir la reconnaissance de la Commission pour la partie de l’immeuble sous-louée à Eau Secours.

LA SITUATION PARTICULIÈRE DU 454, AVENUE LAURIER EST

[14]           En procédant à l’examen de la demande et des documents transmis par Eau Secours, la Commission a constaté des irrégularités concernant plusieurs reconnaissances accordées visant l’immeuble situé au 454 avenue Laurier Est.

[15]           Le 9 juin 2023, le soussigné rendait une décision dans le dossier CMQ-64433-002[9]. Il s’agit d’une demande de reconnaissance de Greenpeace Canada visant l’immeuble situé au 454, avenue Laurier Est. Cette demande est accueillie et la reconnaissance est accordée pour tout l’immeuble, sauf le sous-sol, les bureaux de la Fabrique au rez-de-chaussée et la totalité du 2e étage. Cette décision avait pour but de réviser la reconnaissance accordée le 23 mai 2013, corrigée le 4 octobre 2013, et qui visait alors la totalité de l’immeuble. Comme Greenpeace Canada spécifiait dans sa demande de 2023 qu’elle ne visait pas la partie de l’immeuble occupée par d’autres utilisateurs, il n’y avait pas lieu de soupçonner une irrégularité.

[16]           Dans le présent dossier, Eau Secours demande la reconnaissance pour la totalité du 454, avenue Laurier Est. À sa face même, cette demande est surprenante puisqu’une partie de l’immeuble est déjà exemptée des taxes foncières en vertu de la décision du 9 juin 2023. De plus, le bail transmis par Eau Secours avec sa demande fait état de deux autres sous-locataires : Fondations Rivières et Réseau de milieux naturels protégés.

[17]           Ce constat nous a incité à faire une recherche afin de déterminer si d’autres décisions ont été rendues par la Commission concernant le 454, avenue Laurier Est, notamment pour les deux autres sous-locataires. Cette recherche nous a permis de constater que la Commission a effectivement accordé plusieurs reconnaissances à d’autres sous-locataires de Greenpeace Canada.

[18]           Le 10 janvier 2014, la Commission rendait une décision dans le dossier CMQ-64529, accordant une reconnaissance la Fondation Rivières pour la totalité de l’immeuble situé au 454, rue Laurier Est[10]. Et le 20 janvier 2021, la Commission rendait une décision dans le dossier CMQ-67436-001, accordant une reconnaissance Réseau de milieux naturels protégés pour l’immeuble situé au 454, rue Laurier Est[11].

[19]           Les deux autres sous-locataires identifiés au bail transmis par Eau Secours avaient donc obtenu une reconnaissance de la Commission, dont une pour la totalité du 454, avenue Laurier Est, alors que ces organismes n’en occupent qu’une partie. Ces deux sous-locataires ne pouvaient, en vertu de l’article 243.3 LFM, faire une demande de reconnaissance. Seul Greenpeace Canada pouvait le faire.

[20]           Mais il y a plus. Le 10 juillet 2015, la Commission accordait une reconnaissance à l’organisme Le Réseau québécois des groupes écologistes à l’égard de deux locaux d’une superficie totale de 27,4 mètres carrés situés au 454, avenue Laurier Est[12]. À l’audience du 1er février 2024, madame Amélie Cantin a confirmé que cet organisme était un sous-locataire de Greenpeace Canada; par conséquent la demande de reconnaissance aurait dû être présentée par Greenpeace Canada.

[21]           Le 13 octobre 2017, la Commission accordait une reconnaissance au Réseau québécois contre les organismes génétiquement modifiés à l’égard du local 5 d’une superficie totale de 418 pieds carrés situé au 1er étage du 454, avenue Laurier Est[13]. Madame Cantin a confirmé que cet organisme était lui aussi un sous-locataire de Greenpeace Canada; la demande de reconnaissance aurait dû être présentée par Greenpeace Canada.

[22]           Le 8 novembre 2021, la Commission accordait une reconnaissance au Centre québécois du droit de l’environnement à l’égard de « deux bureaux sis à l’étage de l’immeuble situé au 454, avenue Laurier Est »[14]. Madame Cantin a confirmé que cet organisme était lui aussi un sous-locataire de Greenpeace Canada; la demande aurait donc dû être présentée par Greenpeace Canada.

[23]           Enfin, le 18 février 2022, la Commission accordait une reconnaissance à l’Association québécoise pour la promotion de l’éducation relative à l’environnement (A.Q.P.E.R.E.) à l’égard de la totalité de l’immeuble situé au 454, avenue Laurier Est[15]. Madame Cantin a confirmé que cet organisme était lui aussi un sous-locataire de Greenpeace Canada; la demande aurait dû, comme les autres, être présentée par Greenpeace Canada, d’autant plus qu’elle visait la totalité de l’immeuble alors que l’organisme n’en occupait qu’une partie.

[24]           La Commission n’adresse aucun blâme ici à Greenpeace Canada, à Eau Secours et aux autres organismes sous-locataires ayant obtenu une reconnaissance de la Commission. Des informations données aux organismes par des employés de la Commission sur la présentation de leur demande peuvent avoir été mal comprises. De plus, une certaine confusion résulte d’une pratique du service de l’évaluation de la Ville de Montréal, qui ne porte pas au rôle d’évaluation les parties d’immeubles exemptées des taxes par l’article 204, qui sont loués à d’autres organismes si ces derniers bénéficient d’une reconnaissance de la Commission. Le cinquième alinéa de l’article 208 prévoit pourtant que ces parties louées doivent être inscrites au rôle au nom du locataire. La Ville de Montréal est la seule, à notre connaissance, à ne pas le faire. Il en résulte une absence d’information importante pour la Commission qui doit pouvoir constater qu’un organisme demandant une reconnaissance est bien la personne au nom de qui l’immeuble ou une partie de celui-ci est inscrit au rôle. Il est parfois très difficile d’identifier clairement la situation juridique d’un immeuble et des organismes pouvant présenter une demande de reconnaissance.

[25]           Cela étant précisé, la Commission a indiqué à Greenpeace Canada, lors de l’audience du 1er février 2024, que les reconnaissances accordées à ses sous-locataires étaient irrégulières et qu’elles pourraient être révoquées par la Commission en vertu de l’article 243.17 LFM. Greenpeace Canada doit présenter une demande de reconnaissance pour toutes les parties de l’immeuble occupées par ses sous-locataires pour régulariser la situation.

[26]           La Commission s’attend à ce que la demande de Greenpeace Canada soit également présentée d’ici le 4 mars 2024, en même temps que celle visant les locaux sous-loués à Eau Secours.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

        SUSPEND le dossier jusqu’au 4 mars 2024 afin de permettre que la demande de reconnaissance visant les locaux occupés par EAU SECOURS! LA COALITION QUÉBÉCOISE POUR LA GESTION RESPONSABLE DE L’EAU dans l’immeuble situé au 454, avenue Laurier Est, sur le territoire de la Ville de Montréal, soit présentée par Greenpeace Canada, à défaut de quoi la demande sera rejetée.

        AVISE Greenpeace Canada que les reconnaissances accordées à ses sous-locataires pourraient faire l’objet d’une révocation de la Commission, cet avis ayant pour but de permettre à Greenpeace Canada de régulariser la situation en présentant une demande de reconnaissance pour les locaux occupés par ces sous-locataires.

 

 

 

Denis Michaud

Juge administratif

 

DM/ar

 

Décision rendue sur dossier

La version numérique de
ce document constitue l’original de la Commission municipale du Québec

 

 

Secrétaire

Président

 


[1] RLRQ, c. F-2.1 (la LFM).

[2]  Lettre de Me Edelweiss Vigneault du 11 janvier 2024.

[3]  Lettre de Me Edelweiss Vigneault du 30 janvier 2024.

[4]  Le paragraphe 10 rend non imposable les immeubles visés par une reconnaissance de la Commission. La raison de cette exception est qu’une personne bénéficiant d’une telle reconnaissance peut louer ou prêter l’immeuble en question, en totalité ou en partie, à une autre personne à but non lucratif pouvant être reconnue comme utilisateur exerçant des activités admissibles. La reconnaissance accordée doit mentionner que cet utilisateur respecte les conditions prévues aux articles 243.1 et suivants LFM. L’immeuble demeure alors non imposable.

[5]  Voir l’article 243.3 LFM.

[6]  Articles 243.3 et 243.6 LFM.

[7]  La Commission a rendu de nombreuses décisions précisant qu’une demande de reconnaissance doit être faite par la personne au nom de qui l’immeuble est porté au rôle d’évaluation, donc qui est propriétaire ou occupant et débiteur d’une taxe foncière. Voir notamment : Ressourcerie des frontières et Magog (Ville de), 2015 CanLII 74724 (QC CMNQ); Légion royale canadienne, filiale 147 Montarville et Saint-Bruno-de-Montarville, 2015 CanLII 34569 (QC CMNQ); Groupe en toute amitié de Senneterre et Ville de Senneterre, 2017 CanLII 89293 (QC CMNQ); Montréal (Ville de) et Union française, 2019 CanLII 29728 (QC CMNQ).

[8]  Greenpeace Canada et Ville de Montréal, 2023 CanLII 57545 (QC CMNQ).

[9]  Décision précitée, note 8.

[10]  Fondation Rivières et Ville de Montréal, 2014 CanLII 799 (QC CMNQ).

[11]  Réseau de milieux naturels protégés et Ville de Montréal, 2021 CanLII 10075 (QC CMNQ).

[12]  Le Réseau québécois des groupes écologistes et Ville de Montréal, 2015 CanLII 45681 (QC CMNQ). Cette décision a fait l’objet d’une rectification le 23 mars 2016.

[13]  Réseau québécois contre les organismes génétiquement modifiés et Ville de Montréal, 2017 CanLII 83161 (QC CMNQ).

[14]  Centre québécois du droit de l’environnement et Ville de Montréal, 2021 CanLII 119760 (QC CMNQ). Cette décision a été rectifiée le 19 janvier 2022.

[15]  Association québécoise pour la promotion de l’éducation relative à l’environnement (A.Q.P.E.R.E.) et Ville de Montréal, 2022 CanLII 17835 (QC CMNQ).

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