Décision

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Positron inc. c. Screen People inc.

2013 QCCQ 10651

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

« Chambre civile »

N° :

500-22-197038-121

 

 

 

DATE :

19 septembre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GATIEN FOURNIER, J.C.Q.

 

 

______________________________________________________________________

 

 

POSITRON INC.

Demanderesse

c.

SCREEN PEOPLE INC.

ET

CHARLES SMILEY

ET

PAUL PAINTER

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]          La demanderesse (Positron) réclame aux défendeurs la somme de 21 635.84 $. Elle allègue avoir prêté à la défenderesse (Screen People), le 29 novembre 2010, la somme de 16 000 $ dont le paiement a été garanti par les défendeurs, Charles Smiley (Smiley) et Paul Painter (Painter).

[2]          Les défendeurs allèguent dans leur défense orale que le montant réclamé par Positron n'est pas dû. Subsidiairement, ils soutiennent qu'il y aurait eu novation par changement de débiteur. Ils ont enfin indiqué en cours d'audience qu'ils n'entendaient plus invoquer l'argument au terme duquel la dette serait éteinte par compensation.

 

QUESTION EN LITIGE

[3]          Positron est-elle en droit de réclamer aux défendeurs la somme de 21 635.84 $ au terme d'un prêt consenti à Screen People et dont le paiement est garanti par Painter et Smiley?

LES FAITS PERTINENTS

[4]          Bruno Desrosiers (Desrosiers) est vice-président finance au sein Positron. Celle-ci est en affaires depuis les années 1970 et elle exerce ses activités principalement dans le domaine de la vente et du développement de matériel de télécommunication.

 

[5]          Positron avait également, jusqu'en 2010, une division qui s'occupait de la gestion immobilière d'un immeuble commercial d'une superficie de 200 000 pieds carrés dont elle était alors propriétaire.

 

[6]          Painter et Smiley étaient administrateurs d'une entreprise du nom de Dream Factory qui louait un espace commercial dans l'immeuble de Positron.

 

[7]          Painter et Smiley étaient également administrateurs de Screen People.

 

[8]          Le 29 novembre 2010, Positron aurait prêté la somme de 16 000 $ à Screen People au moyen d'un chèque qui a été encaissé par cette dernière.

 

[9]          Desrosiers explique que ce montant aurait été prêté à Screen People afin de l'aider financièrement.

 

[10]       Desrosiers ajoute que les termes du prêt consenti à Screen People se retrouvent dans un document signé par Smiley et Painter le 30 novembre 2010.

 

[11]       Le document se lit comme suit:

 

PERSONAL GUARANTEE

 

In return for a sixteen thousand dollar loan from Positron Inc which is hereby given by a Positron cheque to Screen People Inc., we, the undersigned, jointly and severally agree personally to repay that loan to Positron Inc. within thirty days from this date if not repaid by Screen People Inc.

 

The loan shall be interest bearing at the rate of 1 % monthly if not paid within 30 days.[1]

 

[12]       Le chèque est daté du 29 novembre 2010. Il aurait été remis aux défendeurs le 30 novembre 2010 alors que le document reprenant les termes du prêt a été signé par Smiley et Painter. Ce document porte la date du 31 novembre 2010 mais il s'agit d'une erreur.

 

[13]       Selon Desrosiers, il était convenu entre les parties que le prêt serait remboursé rapidement. Les défendeurs auraient alors parlé de quelques semaines.

 

[14]       Les défendeurs n'ont cependant fait aucun paiement en capital ou en intérêts à ce jour.

 

[15]       Un état de compte daté du 30 septembre 2012 a été déposé. Celui-ci indique un solde dû en capital et intérêts à cette date au montant de 19 915.45 $.

 

[16]       Positron a aussi déposé un autre état de compte indiquant un solde dû en capital et intérêts en date du 2 mai 2013 au montant cette fois de 21 635.84 $. Positron a demandé à ce que sa requête introductive d'instance soit amendée pour tenir compte de ce dernier état de compte. Cette demande d'amendement a été accueillie par le tribunal séance tenante.

 

[17]       Des démarches en vue de recouvrer la somme due ont été entreprises par Positron auprès des défendeurs dont l'envoi d'un courriel en date du 22 octobre 2011 et d'une mise en demeure datée du 5 octobre 2012. Ces démarches n'ont cependant donné aucun résultat.

 

[18]       Desrosiers confirme en contre-interrogatoire que Positron fait occasionnellement des prêts.

 

[19]       Desrosiers confirme avoir rencontré Smiley et Painter. Ils étaient propriétaires d'une autre entreprise du nom de Dream Factory qui louait depuis 2008 un local commercial dans l'immeuble de Positron. Il explique que la proposition de prêt faisait suite à des discussions entre Dream Factory et Positron au sujet de loyers impayés. Il y aurait eu des sommes dues par Dream Factory. Smiley et Painter auraient fait des représentations à Positron laissant présager que les choses allaient reprendre à court terme. La somme de 16 000 $ aurait été prêtée à Screen People, dans le cadre de ces discussions, pour ainsi lui permettre de faire avancer un projet. Il aurait été question d'un film.

 

[20]       Desrosiers confirme en ré-interrogatoire avoir eu des discussions et des échanges avec Smiley et Painter quant au remboursement des sommes dues par Screen People. Jamais il n'aurait alors été indiqué par ceux-ci que les sommes réclamées par Positron n'étaient pas dues.

 

[21]       Painter a témoigné. Il est vice-président et administrateur de Screen People. Il dit que celle-ci a été incorporée en 2004 pour un projet spécifique. Il s'agit d'un film dont l'acteur principal était Roy Dupuis du nom de "C'est pas moi, c'est l'autre". Screen People louait alors un local sur la rue Paris.

 

[22]       Painter cherchait un nouvel endroit pour s'établir. Il a arrêté son choix sur l'immeuble commercial de Positron. Une nouvelle société a été créée du nom de Dream Factory et celle-ci a loué un espace commercial de Positron en 2008.

 

[23]       Selon Painter, le président de Positron, Réginald Weiser (Weiser), aurait demandé à le rencontrer en novembre 2010 afin de lui faire part d'un stratagème dans lequel il lui demandait d'intervenir. Weiser désirait que Dream Factory déménage dans un autre local de l'immeuble de Positron afin de libérer l'espace alors occupé par elle. Il voulait de plus qu'une autre société dans laquelle Painter avait des intérêts, HD Post, signe un bail avec Positron pour ce local. Puisque HD Post était sans moyens financiers, il aurait été convenu que Positron avance les fonds pour 2 mois de loyers, soit la somme de 16 000 $. Or, le chèque de 16 000 $ fait au nom de Screen People devait servir à cette fin.

 

[24]       Sur réception de cette somme, Screen People a transféré les fonds à Dream Factory, qui aurait fait le paiement des 2 mois de loyers à Positron, pour et au nom de HD Post. Un chèque à cet effet, daté du 29 novembre 2010, au montant de 15 766.76 $ a été déposé en preuve.

 

[25]       Ce stratagème aurait été mis en place afin de faciliter une démarche de refinancement hypothécaire que Positron aurait entreprise auprès de la Banque TD. Ce bail de location de HD Post aurait permis à Positron d'obtenir un meilleur taux d'intérêt.

 

[26]       Painter explique qu'il n'était pas favorable à cette idée de Weiser. Ce dernier l'aurait rassuré en lui disant de ne pas s'inquiéter. Weiser lui aurait affirmé qu'il n'entreprendrait pas de procédures pour recouvrer cette somme. Il l'incitait par ailleurs à y participer car Dream Factory devait beaucoup d'argent à Positron.

 

[27]       Painter ajoute qu'il a signé une garantie personnelle car Screen People n'était pas solvable et Weiser voulait s'assurer que l'argent avancé retournerait à Positron.

 

[28]       Painter confirme que le chèque de 16 000 $ de Positron, daté du 29 novembre 2010, a été déposé par Screen People. Les fonds ont par la suite été transférés à Dream Factory. Le paiement de Dream Factory, pour et au nom de HD Post, a en réalité été effectué le 22 décembre 2010.

 

[29]       Une garantie personnelle aurait été signée le 29 novembre 2010. Painter aurait cependant signé la garantie personnelle, mise en preuve par Positron, une semaine plus tard quoique celle-ci porte la date du 31 novembre 2010.

 

[30]       Painter est d'avis qu'une fois que le paiement de Dream Factory, pour et au nom de HD Post, a été effectué le 22 décembre 2010 à Positron, Screen People, Smiley et lui-même avaient accompli l'ensemble de leur obligations et qu'ils étaient ainsi relevés de celles-ci.

 

[31]       Painter ne peut expliquer la différence de montants entre le chèque de 16 000 $ émis à Screen People et celui fait au nom de Positron au montant de 15 766. 76 $.

 

[32]       Dream Factory a quitté l'immeuble commercial de Positron en décembre 2011 puisqu'elle n'a jamais été en mesure de trouver un financement viable pour l'entreprise.

 

[33]       Painter indique qu'entre décembre 2010 et décembre 2011, il n'y a eu aucune discussion ou communication relative au prêt de 16 000 $ avec Positron.

 

[34]       En contre-interrogatoire, Painter indique que, à son sens, le courriel de Weiser en date du 22 octobre 2011 ne concernait que les arrérages de loyers de Dream Factory car il n'y est pas fait mention du prêt mais seulement d'arrérages.

 

[35]       Painter réaffirme que l'offre de bail intervenue entre Positron et HD Post, le 29 novembre 2010, n'est qu'un document de complaisance. Il reconnaît cependant qu'aucune entente n'est intervenue entre les parties afin d'annuler les effets de cette offre de bail.

 

[36]       Smiley a également témoigné. Il est avocat de profession. Il reconnaît avoir signé le document P-4. Il dit l'avoir fait à la demande de Painter.

 

[37]       Smiley ajoute qu'il se questionnait sur le mouvement circulaire des fonds avancés par Positron. Il dit que Weiser voulait démontrer que l'immeuble était loué. Il reconnaît cependant ne pas avoir exigé de documents le relevant de ses obligations.

 

[38]       En contre-preuve, Desrosiers soumet que HD Post a signé l'offre de bail puisqu'elle voulait s'assurer, en cas de vente de l'immeuble, de conserver la mainmise sur un local déjà aménagé qui l'intéressait.

 

[39]       La vente de l'immeuble par Positron a de fait eu lieu le 15 décembre 2010.

 

[40]       Desrosiers indique que le déménagement de Dream Factory dans un autre local au cours de l'année 2010 a été convenu à cause des arrérages de loyers et du fait qu'un autre locataire s'est montré intéressé à louer cet espace.

 

[41]       Desrosiers confirme enfin que le courriel de Weiser, envoyé en date du 22 octobre 2011 à Painter et Smiley, concernait tous les arrérages incluant ceux relatifs au prêt de 16 000 $.

 

[42]       Desrosiers ajoute que le prix de vente de l'immeuble de Positron a été convenu avec le tiers acquéreur entre le 1er et le 10 novembre 2010. L'offre de location signée par HD Post n'a pas eu d'incidence sur ce prix, d'autant que la superficie du local dont il est question ne représente que 3.48 % de la superficie de l'immeuble.

 

[43]       Desrosiers termine enfin en précisant qu'il n'y a eu aucune discussion relative au financement de l'immeuble de Positron avec la Banque TD. Si tel avait été le cas, il en aurait été partie compte tenu du poste qu'il occupe.

ANALYSE ET DÉCISION

[44]       Positron soutient qu'elle a prêté la somme de 16 000 $ à Screen People dont le paiement était garanti par Smiley et Painter personnellement.

 

[45]       Screen People, Smiley et Painter soutiennent de leur côté qu'il n'y a jamais eu de prêt qui a été consenti par Positron. Cette dernière a plutôt élaboré un stratagème ou un trompe-l'œil dans lequel sont intervenus les défendeurs pour ainsi tromper un tiers, en l'occurrence, la Banque TD.

 

[46]       Or, celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention[2].

 

[47]       Nous sommes ici en présence de deux versions totalement contradictoires.

 

[48]       L'issue de la présente affaire doit être déterminée, selon la balance des probabilités, et ce, conformément à l'article 2804 du C.c.Q.

 

[49]       Jean-Claude Royer dans son ouvrage La Preuve civile[3], se prononce sur le degré de preuve requis pour répondre à l'obligation de convaincre en matière civile. Ces propos vont comme suit:

 

173 - La règle de prépondérance - (…) L'article 2804 C.c.Q. codifie une règle depuis longtemps établie par la jurisprudence. Ainsi, dans l'arrêt Parent c. Lapointe, M. le juge Taschereau, de la Cour suprême du Canada, déclare:

 

C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établies.

 

Il n'est donc pas requis que la preuve offerte conduise à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux. Dans l'arrêt Dubois c. Génois, M. le juge Rinfret, de la Cour d'appel du Québec, s'exprime comme suit:

 

Il aurait pu également s'appuyer sur les décisions citées par M. le juge Taschereau dans Rousseau c. Bennett, pour appuyer la théorie que «les tribunaux doivent souvent agir en pesant les probabilités. Pratiquement rien ne peut être mathématiquement prouvé».

 

174 - Appréciation de la prépondérance - Pour remplir son obligation de convaincre, un plaideur doit faire une preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais bien qualitatif. La preuve produite n'est pas évaluée en fonction du nombre de témoins présentés par chacune des parties, mais en fonction de leur capacité de convaincre. Ainsi, le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Dans l'appréciation globale d'une preuve, il n'est pas toujours facile de tracer la ligne de démarcation entre la possibilité et la probabilité. L'application concrète de ce critère varie dans les multiples décisions judiciaires. Même s'il faut prendre garde de leur attribuer une importance excessive, il existe néanmoins des règles qui peuvent aider un juge à décider de la suffisance ou non d'une preuve.

 

[50]       Gardant à l'esprit ces commentaires, le Tribunal est ici d'avis que la preuve qui a été administrée rend l'existence des faits allégués par Positron plus probable que leur inexistence.

 

[51]       Le Tribunal a, entre autres, peine à concevoir que des gens d'affaires, dont l'un est par ailleurs avocat, aient accepté de participer à une simulation sans se prémunir, au terme d'ententes écrites, de l'effet des contrats apparents. Il saisit, par ailleurs, mal l'intérêt que les défendeurs auraient pu avoir à intervenir dans une telle simulation.

 

[52]       Painter a soutenu que Positron aurait mis en place ce stratagème pour obtenir de meilleures conditions de crédit auprès de la banque TD. Or, la preuve va plutôt dans le sens où l'immeuble était sur le point d'être vendu au moment où le prêt allégué aurait été consenti. La vente imminente de l'immeuble aurait, de surcroît, été connue de lui.

 

[53]       Painter indique qu'il n'y a pas eu de discussions ou de communications relatives au prêt de 16 000 $ entre son octroi, en novembre 2010, et décembre 2011. Il y a cependant ce courriel de Weiser, acheminé en octobre 2011, qui appert y faire allusion.

 

[54]       Enfin, Painter n'a pas su expliquer pourquoi Positron a émis un chèque au montant de 16 000 $ alors que la somme nécessaire pour les fins de la prétendue simulation n'était que de 15 766.76 $.

 

[55]       Compte tenu que le Tribunal rejette l'argument avancé par les défendeurs quant à l'existence d'une simulation, il n'y pas lieu de traiter de la question de la novation.

 

[56]       Positron a ainsi démontré, selon la balance des probabilités, qu'elle a prêté en novembre 2010 la somme de 16 000 $ à Screen People selon les modalités décrites à la pièce P-4 et dont le remboursement était garanti par Smiley et Painter.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE la requête introductive d'instance de la demanderesse.

 

CONDAMNE les défendeurs, conjointement et solidairement, à payer à la demanderesse, la somme de 21 635.84 $ avec les intérêts au taux de 12 % l'an plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 3 mai 2013.

 

LE TOUT avec dépens en faveur de la demanderesse.

 

 

__________________________________

GATIEN FOURNIER, j.c.Q.

 

Me Harry Dikranian

Sternthal, Katznelson, Montigny s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie demanderesse

 

Me Claude Lévesque

Lévesque Juriconsulte

Procureurs de la partie défenderesse

 

Date d’audience :

2 mai 2013

 



[1]    Voir pièce P-4.

[2]    Article 2803 C.c.Q.

[3]    ROYER, Jean-Claude, La preuve civile, 4e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2008, par. 173 et 174.

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