Décision

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Directeur des poursuites criminelles et pénales c. A. & O. Gendron inc.

 

 

2022 QCCQ 5173

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

:

500-61-552496-227

500-61-552497-225

 

 

 

DATE :

25 juillet 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE MADAME GENEVIEVE CLAUDE PARAYRE

JUGE DE PAIX MAGISTRAT

 

 

______________________________________________________________________

 

 

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivant

c.

A. & O. GENDRON INC.

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]                Le Directeur des poursuites criminelles et pénales («DPCP») reproche à A. & O. Gendron Inc. («Gendron») d’avoir contrevenu aux articles 3 et 12 du Règlement sur le registre, le rapport mensuel, les avis des employeurs et la désignation d’un représentant[1].

[2]                Plus précisément, il est reproché à Gendron de ne pas avoir transmis un avis à la Commission de la construction du Québec (C.C.Q.) avant d’entreprendre des travaux de construction assujettis à la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[2]la Loi») et de ne pas avoir transmis le rapport mensuel du mois de mars 2020 à la C.C.Q.

[3]                Le DPCP procède par le dépôt du rapport d’infraction de l’inspecteur Lalancette. Celui-ci mentionne effectuer, le 18 mars 2020, une inspection sur les lieux d’un chantier de construction.

[4]                Lors de cette inspection, il aperçoit un camion reculer à proximité d’une excavation où se trouvent des semelles de fondation. Une fois le camion immobilisé, le conducteur, identifié plus tard comme étant monsieur Meloche-Lecompte, active le pont roulant qui projette de la pierre concassée à l’intérieur et à l’extérieur des semelles de fondation.

[5]                Monsieur Meloche-Lecompte endosse par la suite un souffleur à essence et descend dans la fondation afin de souffler les pierres concassées qui sont tombées sur les semelles.

[6]                Selon l’inspecteur, ce type de travaux est assujetti à la Loi. Or, Gendron n’est pas enregistrée auprès de la C.C.Q.

[7]                Monsieur Meloche-Lecompte confirme, lors du procès, effectuer ces travaux pour le compte de Gendron.

[8]                En défense, monsieur Olivier Legault, président de Gendron, ne conteste pas les faits mis en preuve par le poursuivant.

[9]                Il mentionne que son entreprise effectue exclusivement de la livraison de pierres concassées sur divers chantiers.

POSITION DES PARTIES

[10]           Monsieur Legault est d’avis que la livraison de pierres concassées ainsi que leur déchargement sont des travaux qui ne sont pas assujettis à la Loi.

[11]           Selon celui-ci, le travail effectué le 18 mars 2020 est assimilable à la livraison de matériaux offerte par un centre de rénovation.

[12]           Gendron n’a donc pas l’obligation de s’enregistrer auprès de la C.C.Q. ni même de transmettre à celle-ci des rapports mensuels.

[13]           Le poursuivant est d’avis contraire et plaide que les actions accomplies par monsieur Meloche-Lecompte le 18 mars 2020 sont assujetties à la Loi.

QUESTION EN LITIGE

[14]           Le Tribunal doit répondre à la question suivante :

  1. Est-ce que les travaux sont assujettis à la Loi?

DROIT

[15]           Sous réserve de certaines exceptions, tous les employeurs et salariés de l’industrie de la construction sont assujettis à la Loi[3].

[16]           La Loi définit la construction à son article 1 f) comme étant :

Les travaux de fondation, d’érection, d’entretien, de rénovation, de réparation, de modification et de démolition de bâtiments et d’ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d’œuvre, y compris les travaux préalables d’aménagement du sol;

En outre, le mot «construction» comprend l’installation, la réparation et l’entretien de machinerie et d’équipement, le travail exécuté en partie sur les lieux mêmes du chantier et en partie en atelier, le déménagement de bâtiments, les déplacements des salariés, le dragage, le gazonnement, la coupe et l’émondage des arbres et arbustes ainsi que l’aménagement de terrains de golf, mais uniquement dans les cas déterminés par règlements;

[17]           Pour être assujettis à la Loi, les travaux doivent donc faire partie de l’une ou l’autre des catégories identifiées, être reliés à un bâtiment ou à un ouvrage de génie civil et être exécutés sur les lieux même du chantier ou à pied d’œuvre.

[18]           Afin de répondre à ces critères, une analyse de la nature du travail effectué doit être effectuée[4].

[19]            À cette étape, notons que la jurisprudence reconnaît que la simple livraison de matériaux sur un chantier de construction, le transport de marchandise ou de matériaux en vrac, de même que leur déchargement à l’endroit le plus propice à leur utilisation ne sont pas assimilables à des travaux de construction.[5]

[20]           Toutefois, les gestes posés à l’occasion d’une livraison peuvent être assimilés à des travaux de construction s’ils constituent une participation active à l’exécution des travaux[6].

[21]           Il en est de même pour les travaux préalables ou accessoires «s’ils font partie intégrante ou constituent une étape préalable essentielle à la réalisation des travaux de construction[7]».

[22]           Dans Procureur général du Québec c. Bertrand Beaulieu et Pompes à béton Tremblay Inc.[8], la livraison de béton ainsi que le déchargement sur un chantier à l’aide d’une pompe à béton, ne sont pas considérés comme des travaux de construction.

[23]           Dans Portomatik c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, la livraison et le déballage de portes et de pièces connexes ne sont pas considérés comme étant assujettis à la Loi puisqu’ils ne font pas partie intégrante à la réalisation des travaux.[9]

[24]           Dans Procureur général du Québec c. Gagné, un livreur de fermes de toit, de versants et de tourelles n’est pas considéré comme participant activement à des travaux de construction[10].

[25]           Dans Commission de la construction du Québec c. Chevron Dionne, le fait pour un livreur de maintenir en place à l’aide d’une grue des chevrons de grandes dimensions à l’endroit désigné par un charpentier-menuisier constitue une participation active aux travaux de construction[11].

ANALYSE

  1. Est-ce que les travaux sont assujettis à la Loi?

[26]           L’inspecteur Lalancette inscrit à son rapport que «des travaux de construction d’un bâtiment multifamilial de 6 logements sont en cours d’exécution» sur le chantier visité.

[27]           Au support de cette affirmation, il mentionne constater la présence d’une excavation dans laquelle des semelles de fondation sont déjà construites.

[28]           Outre la description effectuée relativement à la livraison de pierres concassées, aucun autre détail n’est fourni sur le chantier en cours. Ainsi, le Tribunal ne sait pas à quel moment les fondations ont été construites, si celles-ci sont terminées, si d’autres travailleurs sont présents ou si des travaux sont en cours d’exécution au moment de la visite du chantier.

[29]           S’il est de connaissance judiciaire qu’un bâtiment possède une fondation, une charpente et un toit, il n’en est pas de même pour l’ensemble des tâches spécifiques reliées à leur réalisation et les menus détails de la construction.

[30]           En effet, seuls «les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être lobjet de débats entre des personnes raisonnables ou ceux dont lexistence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont lexactitude est incontestable[12]» peuvent être tenus pour avérés sans exiger de preuve particulière.

[31]           Bien que plusieurs lois et réglementations régissent la construction d’un bâtiment[13], il n’est pas de connaissance judiciaire que les gestes posés par monsieur Meloche-Lecompte constituent, au moment où ceux-ci sont exécutés, une participation directe aux travaux de construction ou encore une partie intégrante ou une étape préalable essentielle à leur réalisation.

[32]           Le Tribunal prend également soin de rappeler les enseignements de la Cour suprême qui précise que plus un fait touche au cœur du litige, moins la connaissance judiciaire est bienvenue :

Les limites acceptables de la connaissance d’office varient selon la nature de la question considérée, et plus un fait a une incidence directe sur l’issue du procès, plus le Tribunal doit faire observer le critère rigoureux applicable à la connaissance d’office.[14]

[33]           Ainsi, le Tribunal arrive à la conclusion que la livraison de pierres concassées, son déchargement et le nettoyage subséquent effectués le 18 mars 2020 ne répondent pas à la définition de construction de l’article 1 f) de la Loi.

CONCLUSION

[34]           Après analyse de la preuve soumise, le Tribunal conclut que les événements du 18 mars 2020 ne sont pas soumis à l’application de la Loi.

[35]           Les gestes posés sont assimilables à une simple livraison de matériaux.

[36]           En conséquence, Gendron n’avait pas à transmettre un avis à la C.C.Q. ni même à transmettre de rapport mensuel.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : 

[37]           ACQUITTE A&O Gendron Inc. dans le dossier 500-61-552496-227;

[38]           ACQUITTE A&O Gendron Inc. dans le dossier 500-61-552497-225;

 

 

 

__________________________________

Madame Geneviève Claude Parayre

Juge de paix magistrat

 

Me Natasha Tonich

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Poursuivant

 

Monsieur Olivier Legault, président

A. & O. Gendron Inc.

Défenderesse

 

Date d’audience :

24 mai 2022

 

 

 


[1] RLRQ, c. R -20, r.11.

[2] Chapitre R-20.

[3] Précité, note 2, art. 19.

[4] Commission de la construction du Québec c. Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal, 1986 CanLII 33 (CSC).

[5] Québec (Procureur général) c. Gagné, 2004 Soquij AZ-50276996; Québec (Procureur général) c. W. Rourke ltée, 2007 CanLii 6984 (QCCQ); Commission de la construction du Québec c. Transport Clermont Inc., 1993 Soquij AZ-500069387 (Bureau de la commissaire de la construction).

[6] Portomatik Inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2017 5034 (QCCS).

[7] Id, par 30.

[8] 1995 Soquij AZ-96039007 (QCCQ), p. 9.

[9] Id.

[10] 2004, Soquij AZ-50276996 (QCCQ).

[11] 1989, Soquij AZ-89144041 (Commission de la construction du Québec).

[12] 2001 CanLII 32 (CSC).

[13] Loi sur le bâtiment, chapitre B-1.1; Code de construction du Québec – chapitre 1, bâtiment, et Code national du bâtiment – Canada 1995, conseil national de recherches du Canada 1995, 2001.

[14] R. c. Spence, 2003 CanLII 71 (CSC).

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