Décision

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Cole (Succession de) et Commission de la santé et de la sécurité du travail — Soutien à l'imputation

2008 QCCLP 789

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

12 février 2008

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

258012-62C-0503

 

Dossier CSST :

125105577

 

Commissaire :

Marlène Auclair, avocate

 

Membres :

Ronald G. Hébert, associations d’employeurs

 

Noëlla Poulin, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Mary Cole (succession)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail —

Soutien à l’imputation

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]             Le 16 mars 2005, la succession de madame Mary Cole (la partie requérante) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 février 2005, à la suite d’une révision administrative.

[2]             Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 25 octobre 2004 et déclare que Mary Cole n’a pas subi de lésion professionnelle le 1er juin 2003 et que, par conséquent, elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]                Les parties ont été convoquées à une audience qui s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 21 janvier 2008. Madame Linda Cole et madame Robin Irvine, agissant au nom de la succession de Mary Cole, ainsi que leur représentante étaient présentes à l’audience.

[4]                La CSST, qui est partie intervenante au dossier, a avisé de son absence à l’audience par une lettre du 16 janvier 2008.

MOYEN PRÉALABLE

[5]                La CSST soutient que la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si Mary Cole est une travailleuse au sens de la loi et, s’il y a lieu, retourner le dossier à la CSST afin qu’elle le réfère à un comité des maladies professionnelles pulmonaires, et ce, aux fins de rendre une décision en regard de l’admissibilité de sa réclamation[2].

[6]                La succession demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que Mary Cole était une travailleuse au sens de la loi pendant la période en litige.

[7]                La présente décision ne portera donc que sur le moyen préalable.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]                Conformément à l’article 429.50 de la loi, la commissaire soussignée a obtenu l’avis du membre issu des associations d’employeurs et de la membre issue des associations syndicales ayant siégé auprès d’elle dans la présente affaire.

[9]                Tant la membre issue des associations syndicales que le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la requête de la succession de Mary Cole doit être accueillie. À part quelques photographies, il est vrai qu’aucune preuve documentaire n’a pu être fournie, car les faits allégués se sont produits il y a cinquante ans et qu’en plus, la CSST n’a pas procédé avec diligence sur réception de la réclamation de Mary Cole pour recueillir des informations. La preuve testimoniale administrée par la succession démontre toutefois que Mary Cole a travaillé sur des sites d’exploitation minière entre février 1956 et août 1959 à servir des travailleurs miniers dans des cafétérias ou des salles à manger situées sur ces sites. Elle est donc considérée avoir été une travailleuse au sens de loi pour la période concernée.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           Madame Mary Cole est née le 3 août 1929. Elle a occupé divers emplois, ayant travaillé toute sa vie pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Elle a fait partie des Forces armées canadiennes et des Forces armées des États-Unis. Elle a occupé des emplois de serveuse dans des restaurants et de caissière dans des marchés d’alimentation. Elle a pris soin de personnes âgées pendant quelques années et a travaillé comme aide ménagère à l’hôpital Douglas.

[11]           De février 1956 jusqu’en août 1959, elle a travaillé sur des sites d’exploitation minière localisés en Ontario. Son travail consistait à servir les travailleurs miniers dans des cafétérias ou des salles à manger situées sur ces sites.

[12]           Le 6 novembre 2003, le docteur Gruber, pneumologue, remplit un rapport médical sur le formulaire prescrit par la CSST. Il y indique que Mary Cole souffre d’un mésothéliome pleural malin (pneumoconiose).

[13]           Mary Cole complète le formulaire de Réclamation du travailleur le 10 novembre 2003 pour un événement dont la date indiquée est le 1er juin 2003, date à laquelle elle a subi la biopsie confirmant le diagnostic.

[14]           Sur ce formulaire, à la section Description de l’événement, il est mentionné : « I have a mesothelomia of the pleura. My husband worked as an insulator in reffineries with asbestos. I washed his clothes ».

[15]           La succession soutient que la description de l’événement est erronée et qu’il s’agit tout simplement d’une erreur du docteur Gruber.

[16]           En effet, la succession allègue que Mary Cole a travaillé comme serveuse dans des cafétérias ou des salles à manger sur des sites d’exploitation minière situés en Ontario et qu’elle a, par le fait ou à l’occasion de ce travail, contracté une maladie professionnelle pulmonaire ayant causé son décès le 2 septembre 2004.

[17]           Par une décision rendue le 25 octobre 2004, la CSST refuse la réclamation de Mary Cole pour une pneumoconiose au motif qu’elle n’est pas une travailleuse au sens de la loi. Cette décision est contestée par la succession le 19 novembre 2004.

[18]           Le 15 février 2005, à la suite d’une révision administrative, la CSST rend une décision confirmant la décision initiale, mais pour d’autres motifs. Le réviseur conclut, qu’en raison de l’absence de l’obtention, tel que prévu à la loi dans le cas de telle maladie, d’une opinion d’un comité des maladies professionnelles pulmonaires, aucune décision d’admissibilité ne peut être rendue. Il s’agit de la décision faisant l’objet de la présente contestation.

[19]           À l’audience, Robin Irvine, fille de Mary Cole, explique que c’est le docteur Gruber lui-même qui a rempli cette section du formulaire et non sa mère. Lors de la visite du 6 novembre 2003, le docteur Gruber a raconté, à elle-même et à sa mère, qu’une autre de ses patientes portant également le nom de Cole avait contracté la même maladie, et ce, en lavant les vêtements souillés de son mari, un travailleur minier.

[20]           En comparant l’écriture du docteur Gruber sur le rapport médical à celle sur le formulaire de la section de la Description de l’événement, il ne fait aucun doute qu’il s’agisse de son écriture et qu’il est présumé avoir complété cette section du formulaire.

[21]           La preuve révèle que Mary Cole n’a jamais été mariée et que le seul conjoint avec qui elle a cohabité n’était pas un travailleur minier.

[22]           En effet, elle a fait vie commune avec monsieur William Irvine de 1965 jusqu’en 1982. De leur union est née Robin Irvine le 13 septembre 1966. Il s’agit d’ailleurs du seul homme avec qui elle a vécu au cours de sa vie.

[23]           Monsieur Irvine était briqueteur. En raison d’un problème d’alcoolisme, il travaillait peu et de façon sporadique. Il n’a jamais travaillé dans des mines et n’a jamais quitté le domicile pour aller travailler à l’extérieur.

[24]           La succession prétend que Mary Cole a contracté une maladie pulmonaire alors qu’elle travaillait sur des sites d’exploitation minière, mais qu’il n’existe aucune preuve documentaire de ces emplois occupés dans les années cinquante.

[25]           En l’instance, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si Mary Cole était une travailleuse au sens de la présente loi entre 1956 et 1959.

[26]           Selon la jurisprudence du présent tribunal, le statut de « travailleur » doit être considéré au moment de la survenance de la lésion professionnelle[3]. En l’espèce, il ne s’agit pas de la date de l’événement indiqué dans la réclamation, mais bien du moment où il est allégué que Mary Cole a contracté une maladie professionnelle pulmonaire au travail.

[27]           Aux termes de l’article 2 de la loi, un « travailleur » est une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage.

[28]           Quant à un « employeur », il s’agit d’une personne qui, en vertu d'un contrat de travail ou d'un contrat d'apprentissage, utilise les services d'un travailleur aux fins de son établissement, tel que prévu à l’article 2 de la loi.

[29]           La loi renvoie à l’article 1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[4] en ce qui a trait à la définition de la notion d’« établissement » :

1.  Dans la présente loi et les règlements, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

[…]

 

 « établissement  » : l'ensemble des installations et de l'équipement groupés sur un même site et organisés sous l'autorité d'une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l'exception d'un chantier de construction; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l'employeur à la disposition du travailleur à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs, à l'exception cependant des locaux privés à usage d'habitation;

 

[…]

 

__________

1979, c. 63, a. 1; 1985, c. 6, a. 477, a. 521; 1986, c. 89, a. 50; 1988, c. 61, a. 1; 1992, c. 21, a. 300; 1992, c. 68, a. 157; 1994, c. 23, a. 23; 1997, c. 27, a. 34; 1998, c. 39, a. 188; 1999, c. 40, a. 261; 2002, c. 38, a. 10; 2001, c. 26, a. 168; 2002, c. 76, a. 1; 2005, c. 32, a. 308.

 

 

[30]           Puisqu’il est allégué que la maladie a été contractée hors du Québec, la succession doit également démontrer que Mary Cole était domiciliée au Québec et que son employeur avait un établissement au Québec, conformément au premier alinéa de l’article 8 de la loi :

8. La présente loi s'applique au travailleur victime d'un accident du travail survenu hors du Québec ou d'une maladie professionnelle contractée hors du Québec si, lorsque l'accident survient ou la maladie est contractée, il est domicilié au Québec et son employeur a un établissement au Québec.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas domicilié au Québec, la présente loi s'applique si ce travailleur était domicilié au Québec au moment de son affectation hors du Québec, la durée du travail hors du Québec n'excède pas cinq ans au moment où l'accident est survenu ou la maladie a été contractée et son employeur a alors un établissement au Québec.

__________

1985, c. 6, a. 8; 1996, c. 70, a. 2.

 

 

[31]           Dans sa lettre du 16 janvier 2008, le représentant de la CSST soutient qu’une preuve documentaire doit être apportée par la succession pour soutenir sa prétention en regard du statut de travailleuse de Mary Cole au sens de la loi, et ce, pour la période concernée.

[32]           La Commission des lésions professionnelles partage l’opinion du représentant de la CSST, mais uniquement dans la mesure où une telle preuve existe, et qu’en plus, il est possible de la retrouver par des recherches raisonnables.

[33]           Dans les circonstances fort particulières du présent cas, tant par la nature de la lésion professionnelle alléguée que par le contexte dans lequel elle a prétendument été contractée, il ne serait pas juste d’exiger de la succession des preuves documentaires pour l’établissement de sa preuve. Si la succession démontre qu’elle a pris tous les moyens raisonnables pour en retrouver, mais qu’elle n’a pas réussi, la preuve testimoniale sera forcément admise pour lui permettre de se décharger de son fardeau de preuve.

[34]           Lors de la détermination du statut de « travailleur » ou d’« employeur », il importe de garder à l’esprit que la loi, dont l’objet est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qui en découlent, doit être interprétée de façon juste et libérale de façon à respecter son caractère social. Dans le cadre de l’application de la loi pour procéder à un tel exercice, il s’avère tout aussi important de ne pas imposer à la partie requérante, en l’occurrence, la succession, un fardeau de preuve qui serait telle, qu’elle ne pourrait, réalistement le rencontrer.

[35]           De plus, la Commission des lésions professionnelles retient que, dans ses recherches, la succession a été confrontée à une difficulté majeure, soit l’impossibilité de questionner Mary Cole, de qui la CSST n’avait pas recueilli sa version des faits au moment où elle a produit une réclamation.

[36]           En effet, rien au dossier ne justifie ni n’explique pourquoi la CSST a reçu la réclamation de Mary Cole le 10 novembre 2003, et n’a rendu sa décision d’admissibilité que le 25 octobre 2004, presque un an plus tard. Ceci est d’autant plus incompréhensible, que la loi impose un délai de 10 jours à la CSST pour diriger toute réclamation dans laquelle une maladie professionnelle pulmonaire est alléguée, suivant l’article 226 de la loi :

226.  Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.

__________

1985, c. 6, a. 226.

 

 

[37]           Selon les notes évolutives du dossier, madame Francine Leroux, agente d’admissibilité, a contacté Mary Cole et lui a laissé un message le 28 novembre 2003. Ce n’est que le 8 octobre de l’année suivante qu’elle la contacte de nouveau pour procéder à la cueillette des informations qui lui seront nécessaires aux fins de rendre sa décision sur l’admissibilité de sa réclamation.

[38]           Avant de rendre sa décision, l’agente d’admissibilité n’a donc pu parler à Mary Cole, car elle était malheureusement décédée depuis le 2 septembre 2004. Il est incontestable que, dans un tel contexte, la CSST n’a pu rendre une décision suivant l’équité et d’après le mérite réel du cas, tel que prescrit par l’article 351 de la loi :

351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

[39]           De plus, la Commission des lésions professionnelles rappelle l’obligation de la CSST de procéder avec diligence, obligation qui lui est imposée par l’article 354 de la loi :

354.  Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.

__________

1985, c. 6, a. 354.

 

 

[40]           En l’instance, il est indéniable que, dans le traitement de la réclamation de Mary Cole, la CSST n’a pas respecté l’obligation de diligence et de célérité que lui impose l’article 354 de la loi, un délai d’un an n’étant certes pas raisonnable.

[41]           Bien que la CSST ne pouvait anticiper le décès de Mary Cole, il n’en demeure pas moins que certaines conséquences sont attribuables au délai d’un an, par ailleurs non justifié, qui s’est écoulé entre la demande de Mary Cole et le moment où l’agente d’admissibilité la contacte.

[42]           D’une part, en raison de sa propre négligence, la CSST a été dans l’impossibilité de poser toutes les questions pertinentes à Mary Cole dans le but d’obtenir les informations nécessaires à la détermination de son statut de travailleuse pendant la période en question aux fins de rendre une décision éclairée.

[43]           D’autre part, l’absence de cueillette d’informations en temps opportun auprès de Mary Cole a rendu très difficile la recherche d’informations à laquelle la succession a dû se livrer, voire même impossible, en regard de certains éléments.

[44]           En dernier lieu, même si Mary Cole avait eu l’opportunité de fournir des informations à la CSST précédent son décès, il aurait probablement été tout aussi difficile de retrouver des preuves documentaires.

[45]           Par contre, il est raisonnable de croire que la version des événements de Mary Cole aurait probablement permis de procéder plus facilement à l’élaboration d’une preuve par présomption de faits par elle-même de son vivant ou par sa succession, en l’instance.

[46]           La Commission des lésions professionnelles estime que cela ne décharge pas pour autant la succession de son fardeau de preuve, mais chacun des éléments de preuve sera toutefois évalué en tenant compte de ce contexte particulier.

[47]           À partir de la preuve au dossier, mais surtout à partir des témoignages entendus, la Commission des lésions professionnelles conclut que les faits analysés, dans leur ensemble, démontrent que Mary Cole était une travailleuse au sens de la loi entre 1956 et 1959 alors qu’elle travaillait sur des sites d’exploitation minière, que ce soit à titre de serveuse ou d’employée dans des cafétérias.

[48]           Tel que mentionné précédemment, la preuve présentée à l’audience par la représentante de la succession repose essentiellement sur le témoignage des filles de Mary Cole, à savoir madame Linda Cole et madame Robin Irvine.

[49]           Un historique complet des emplois occupés par Mary Cole a été mis en preuve pour tenter de démontrer que seuls les emplois occupés sur les exploitations minières ont pu provoquer la maladie pulmonaire ayant entraîné son décès.

[50]           Or, pour décider du présent litige, la Commission des lésions professionnelles ne s’attardera qu’à l’analyse de la situation professionnelle de Mary Cole à l’époque de la période concernée, à savoir de 1956 à 1959, puisque la question de la relation médicale entre la lésion alléguée et le travail ne fait pas partie de l’objet du présent litige.

[51]           À titre de commentaire préliminaire, la Commission des lésions professionnelles souligne la qualité des témoignages entendus, desquels aucune contradiction ou incohérence n’est ressortie.

[52]           Madame Linda Cole est née le 14 août 1947. Elle n’a jamais connu son père et a été prise en charge par ses grands-parents maternels chez qui elle a vécu jusqu’à l’âge adulte. Jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 8 ans, ils habitent à Shawbridge dans les Laurentides et par la suite à Montréal. Sa mère habite également la maison familiale.

[53]           À partir de février 1956, et ce, jusqu’en août 1959, sa mère quittait pour des périodes allant de 3 à 12 mois. Elle lui parlait parfois au téléphone, mais échangeait surtout avec elle au moyen de lettres ou de cartes postales. Sa mère revenait à la maison familiale entre ses contrats.

[54]           Linda Cole se rappelle très précisément de cette période, car c’est à la suite de la mort de son grand-père, le 30 janvier 1956, que sa mère s’était fait renvoyer des Forces armées canadiennes parce qu’elle s’était rendue au chevet de son père qui était mourant, sans permission au préalable.

[55]           Elle a souvenir que sa mère quittait le domicile pour aller travailler dans des salles à manger ou des cafétérias sur des sites d’exploitation minière situés en Ontario, à Elliot Lake ou à Blind River, et ce, pour le compte de « Quebec Catering » ou « Crawley McCraken » dont le bureau était situé dans le Vieux-Montréal. Il s’agit des noms de lieux ou d’employeurs qui étaient mentionnés à l’époque dans les conversations, et qu’elle a retenus.

[56]           Elle se rappelle que sa tante, la sœur de sa mère, soit madame Marlene Cole Johnson, est allée rejoindre sa mère à l’exploitation minière d’Elliot Lake en Ontario, en 1957 ou 1958. Elle avait signé un contrat d’un an avec Crawley McCraken. Sa tante n’est pas restée très longtemps, car elle a été transférée d’urgence au Québec après avoir fait sa première crise d’épilepsie. Sa mère a continué à travailler à Elliot Lake.

[57]           Linda Cole dépose des photographies lors de l’audience. Sur la première, sa mère se tient debout dans les escaliers, de ce qui semble être une baraque ou une caserne[5], à côté d’une autre jeune femme. Au-dessus de la porte, un écriteau indique « Algon Uranium Mines LTD - Panabode 2[6] ». Une autre photographie semblable, mais affichant cette fois deux jeunes hommes dans l’escalier d’une construction semblable, montre un écriteau identique qui indique toutefois « Algon Uranium Mines LTD - Panabode 3 ». Elle croit qu’il s’agit probablement des baraquements dans lesquelles logeaient les travailleurs miniers, dont sa mère.

[58]           En 1959, sa mère a joint les forces armées des États-Unis à titre de commis dans un magasin de la base de Goose Bay au Labrador.

[59]           Madame Robin Irvine reprend par la suite plusieurs des éléments du témoignage de sa sœur Linda Cole.

[60]           Pendant la dernière année de sa vie, sa mère a vécu avec elle. Sa mère lui a alors raconté que c’est son grand frère, Frank Cole, qui lui avait trouvé ce travail pour Crawley McCraken à Elliot Lake et qu’ils y avaient d’ailleurs travaillé ensemble. Sa mère lui a aussi raconté qu’elle et ses compagnes ou compagnons de travail aimaient se baigner dans ce magnifique lac qu’était Elliot Lake.

[61]           Après son décès, Robin Irvine a passé au peigne fin tous les objets personnels de sa mère, mais n’a trouvé que quelques photographies et une cuillère portant l’inscription « Dominion Catering ».

[62]           Par des recherches sur internet, Robin Irvine a découvert qu’« Algom Uranium Mines LTD » appartenait à Denison Mines qui possédait des exploitations minières situées à Elliot Lake et à Blind River en Ontario (près d’Elliot Lake) et que la compagnie n’est plus en activité depuis 1974. Elle a tenté de trouver d’autres informations relativement à cette compagnie, mais sans succès.

[63]           Robin Irvine a contacté la bibliothèque et l’Hôtel de Ville d’Elliot Lake, mais n’a pu obtenir aucune information pertinente ni aucune piste pour ses recherches. Elle a contacté la Régie des rentes du Québec, mais celle-ci n’existe que depuis 1966. Quant aux déclarations de revenus du Québec et du Canada, aucune information ne peut être obtenue pour des déclarations précédant 1970.

[64]           La succession a tenté, en vain, de retrouver monsieur Frank Cole pour lui poser des questions. Quant à Marlene Cole, elle est maintenant âgée et il lui était impossible de venir témoigner. Elle lui a toutefois confirmé que c’est précisément en 1958 qu’elle a travaillée pour Crawley McCraken à Elliot Lake, car c’est à cet endroit qu’elle a subi sa première crise d’épilepsie et que trois mois après son retour de la « mine », elle s’est mariée.

[65]           L’analyse de la preuve offerte permet à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu’il a été démontré, et ce, de façon prépondérante, que les conditions énoncées dans les définitions de « travailleur » et « d’employeur », prévues à l’article 2 de la loi, sont rencontrées.

[66]           En effet, il a été démontré que Mary Cole, entre février 1956 et août 1959, exécutait un travail, soit serveuse ou employée dans des cafétérias ou des salles à manger, pour le compte d’un employeur, à savoir Crawley McCraken.

[67]           Il serait difficilement concevable, qu’à l’époque, Mary Cole n’ait pas été liée à l’employeur par un contrat de service, mais qu’elle ait plutôt travaillé à titre de travailleuse autonome.

[68]           Dans son témoignage, Linda Cole a fait référence à « Quebec Catering », nom qu’elle se souvient avoir entendu à l’époque, mais aucun autre élément de preuve s’y rapportant n’a été fourni. Comme la Commission des lésions professionnelles considère que la preuve établit que Crawley McCraken était l’employeur, il n’est donc pas nécessaire de tenir compte de Quebec Catering aux fins de décider de la question en litige.

[69]           Quant à la question de la rémunération, il ressort de la preuve que Mary Cole se rendait sur des sites d’exploitation minière pour y travailler, laissant présumer qu’elle effectuait ce travail moyennant rémunération et non à titre bénévole, d’autant plus qu’il a été démontré qu’elle a toujours eu à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.

[70]           De plus, les critères de la définition « d’établissement » prévues à l’article 1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail sont satisfaits puisque Mary Cole travaillait sur des sites d’exploitation minière où les opérations étaient vraisemblablement organisées dans le but de procéder à l’extraction de matière première.

[71]           Pour la période concernée, la preuve démontre que Mary Cole était domiciliée à la maison familiale de ses parents au Québec et que l’employeur possédait un établissement au Québec, tel que requis par l’article 8 de la loi, puisqu’il est allégué que Mary Cole a contracté sa maladie pulmonaire hors du Québec.

[72]           En ce qui concerne la démonstration qu’elle avait un contrat de travail avec un employeur ayant un établissement au Québec, sa fille Linda Cole a témoigné qu’à son souvenir les bureaux de Crawley McCraken étaient situés dans le Vieux-Montréal, au Québec.

[73]           Le lieu de l’établissement de l’employeur constitue d’ailleurs un excellent exemple du type d’information qu’il aurait été possible d’obtenir de Mary Cole au moment de la production de sa réclamation à la CSST et que les recherches effectuées par la succession n’ont pas permis de préciser.

[74]           Le fait que les bureaux de Crawley McCraken aient été situés dans le Vieux-Montréal laisse présumer que l’employeur possédait un établissement au Québec.

[75]           La succession ayant démontré que madame Mary Cole rencontre les conditions permettant d’établir qu’elle était une travailleuse au sens de la présente loi entre 1956 et 1959, la Commission des lésions professionnelles rejette le moyen préalable soulevé par la CSST et, par conséquent, déclare qu’une décision relativement à l’admissibilité de sa réclamation devra être rendue par la CSST, et ce, selon les dispositions spécifiques prévues à la loi en regard des maladies pulmonaires professionnelles.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE le moyen préalable soulevé par la CSST;

DÉCLARE que madame Mary Cole était une travailleuse au sens de la loi pour la période de février 1956 à août 1959;

RETOURNE le dossier à la CSST afin qu’elle le réfère à un comité des maladies professionnelles pulmonaires, et ce, aux fins de rendre une décision en regard de l’admissibilité de la réclamation de madame Mary Cole déposée le 10 novembre 2003.

 

 

 

__________________________________

 

Marlène Auclair

 

Commissaire

 

 

 

 

Kathleen Tansey, avocate

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Pierre Bouchard

Panneton Lessard

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Le tout conformément aux articles 226 et 233 de la loi.

[3]           Bombardier inc. et Côté, 35904-60-9201, C.A.L.P. 17 novembre 1993, M. Lamarre, (J5-24-01); Succession Richard Watkins et Ascenseur Provincial 2000, C.L.P. 82849-62-9609, 22 mars 1999, T. Giroux.

[4]           L.R.Q., c. S-2.1.

[5]           Madame Linda Cole utilise le mot « barrack ».

[6]           Selon une recherche faite sur internet par la commissaire soussignée du mot « panabode », il pourrait s’agir d’une compagnie dont le nom est Pan-Abode International Ltd qui se spécialise dans la construction de maison en cèdre rouge (Western Red Cedar Log Homes).

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