Décision

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Desjardins c. 9048-5541 Québec inc. 

2025 QCTDP 8

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

 :

700-53-000054-241

 

DATE :

4 mars 2025

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SOPHIE LAPIERRE

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS :

 

Me Pierre Arguin, avocat à la retraite

Me Marie-Josée Paiement

 

 

 

MATHIEU DESJARDINS

Partie demanderesse

c.

9048-5541 QUÉBEC INC.

et

DOMINIQUE MIRON

Parties défenderesses

 

 

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

Article 127 de la Charte des droits et libertés de la personne

 

 

Une erreur matérielle s’est glissée dans le jugement rendu le 25 février 2025 quant à la date à partir de laquelle les intérêts courent pour la condamnation à des dommages-intérêts punitifs, soit la conclusion au paragraphe 100 du jugement ; cette date correspond plutôt à la date du jugement.

Également, le Tribunal corrige une coquille qui se trouve au paragraphe 27 du jugement en retranchant le mot « au ».

Le Tribunal rend d’office ce jugement rectifié qui doit se lire ainsi :

  1.           Après avoir pris connaissance d’une annonce d’un logement à louer dans un immeuble multiplex, Mathieu Desjardins communique avec Dominique Miron, gestionnaire de 9048-5541 Québec Inc. (la Locatrice).
  2.           L’annonce indique « clientèle âgée et retraitée », « immeuble avec clientèle de personnes âgées ». M. Desjardins est âgé de 32 ans à ce moment.
  3.           Il prétend que lors de sa conversation téléphonique avec Mme Miron, elle lui demande son âge et précise que l’immeuble est occupé par des personnes âgées ou retraitées. Il comprend des propos de Mme Miron qu’elle ne lui louerait pas le logement parce qu’il n’est pas une personne âgée ou retraitée. Il renonce à poursuivre sa démarche. Il sent qu’il a été l’objet de discrimination fondée sur son âge.
  4.           Mme Miron nie avoir demandé son âge à M. Desjardins. L’immeuble est occupé majoritairement par des personnes âgées et retraitées et elle concède qu’il en a probablement été question lors de la conversation téléphonique avec M. Desjardins, mais sans plus. Elle soutient qu’elle gère son offre locative sans aucune discrimination.
  5.           M. Desjardins porte plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Après enquête, la CDPDJ décide que la preuve qu’elle recueille est suffisante pour conclure que M. Desjardins aurait été victime de discrimination fondée sur l’âge et que le comportement de la Locatrice équivaut à un refus de conclure un acte juridique pour un motif de discrimination interdit par la Charte des droits et libertés de la personne[1] (Charte).
  6.           Comme mesure de redressement, la CDPDJ propose que la Locatrice et Mme Miron versent solidairement à M. Desjardins la somme de 3 600 $ pour préjudice matériel, 6 000 $ pour préjudice moral et chacun 4 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
  7.           La Locatrice et Mme Miron font défaut de donner favorablement suite à la proposition de la CDPDJ. Cette dernière choisit de ne pas intenter de recours en faveur de M. Desjardins.
  8.           Subrogé de plein droit à la CDPDJ[2], M. Desjardins intente son recours contre la Locatrice et Mme Miron. En plus de réclamer des dommages-intérêts pour préjudice matériel, pour préjudice moral et des dommages-intérêts punitifs, il demande au Tribunal d’ordonner à la Locatrice de lui transmettre une lettre d’excuse qui décrira également les actions spécifiques que la Locatrice compte entreprendre pour prévenir la discrimination dans l’avenir et les préjudices qui en découlent.

I.               LES QUESTIONS EN LITIGE

  1.           Les dispositions pertinentes de la Charte sont les suivantes :


10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.


12.
 Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.

 

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

  1.       Pour décider du sort du litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
  1.      La Locatrice et/ou Mme Miron ont-elles refusé de conclure un acte juridique ayant pour objet un bien généralement offert au public au sens de l’article 12 de la Charte, en raison de l’âge de M. Desjardins?
  2.      Si oui, M. Desjardins a-t-il subi un préjudice matériel et un préjudice moral causés par l’atteinte à ses droits?
  3.      Si oui, l’atteinte illicite est-elle intentionnelle et donne-t-elle droit à des dommages-intérêts punitifs?
  4.      M. Desjardins a-t-il le droit d’obtenir une lettre d’excuse et d’engagement?

II.             ANALYSE

A.           La trame factuelle

1.             L’annonce du logement

  1.       L’événement survient le 20 septembre 2022.
  2.       M. Desjardins cherche un logement à louer. Il repère l’annonce publiée par Mme Miron sur le site internet de petites annonces LesPACS Immo.
  3.       L’annonce montre une photographie de l’immeuble multiplex où se trouve le logement à louer[3]. L’immeuble comporte 16 logements. Il paraît ordinaire et n’est pas de construction récente.
  4.       L’annonce offre un « petit 3 1/2 » au rez-de-chaussée. Le prix du loyer est de 695 $ par mois.
  5.       Sous le titre « Description », le texte comporte les mentions « clientèle âgée et retraité (sic) » et « immeuble avec clientèle de personne (sic) âgées », ainsi que « clientèle tranquille et stable ».
  6.       M. Desjardins est séduit par son bas prix. Une aubaine, selon lui.

2.             La conversation téléphonique entre M. Desjardins et Mme Miron

  1.       L’interlocutrice de M. Desjardins est Dominique Miron. Elle est à la fois l’une des actionnaires de la Locatrice, sa vice-présidente et la gestionnaire des locations.
  2.       Il ressort du témoignage de M. Desjardins ce qui suit.
  3.       D’abord, il laisse un message sur la boîte vocale de Mme Miron. Il y précise ses nom et prénom, son domaine d’emploi - il travaille dans le domaine de la finance - et le fait qu’il est intéressé par le logement.
  4.       Mme Miron le rappelle. Lors de ce bref échange téléphonique, elle le questionne sur son âge. Il répond qu’il a 32 ans. M. Desjardins insiste sur le fait que Mme Miron aurait dit qu’il s’agit d’un immeuble « réservé » pour les personnes âgées. Plus tard au cours de l’audience, il se rétracte. Elle n’aurait pas utilisé le mot « réservé », mais possiblement le mot « occupé ».
  5.       Quoi qu’il en soit, M. Desjardins témoigne qu’il comprend de ce bref échange que Mme Miron n’est pas intéressée à lui louer le logement parce que l’immeuble n’est pas pour les gens de son âge. Il n’insiste pas et la conversation téléphonique se termine ainsi.
  6.       Après avoir raccroché, M. Desjardins se demande si Mme Miron a le droit de lui poser une question sur son âge et de choisir sa clientèle en fonction de l’âge. Il vérifie si l’immeuble est une résidence pour personnes âgées (RPA) et ce n’est pas le cas. Puis, à l’issue de ses recherches sur Internet, il conclut qu’il a été victime de discrimination fondée sur l’âge. Il porte plainte à la CDPDJ le même jour.
  7.       Moins d’une dizaine de jours plus tard, M. Desjardins raconte la teneur de sa conversation téléphonique avec Mme Miron à l’enquêtrice de la CDPDJ.  Il lui relate essentiellement les mêmes faits, soit que Mme Miron lui a demandé son âge, qu’il a répondu avoir 32 ans, et qu’elle aurait alors dit que « malheureusement c’est un immeuble pour personnes âgées ou retraitées » [4].
  8.       Pour sa part, Mme Miron n’a pas de souvenir précis de sa conversation téléphonique avec M. Desjardins.
  9.       Elle témoigne qu’elle n’a pas de clientèle cible ou de clientèle type pour cet immeuble ni de préférence, et ce, malgré le texte de son annonce. Elle ajoute qu’en général, les « professionnels » sont des candidats intéressants; elle les « adore ».
  10.       Mme Miron insiste sur son professionnalisme et son grand souci d’offrir un logement qui correspond aux besoins des personnes intéressées à louer. Elle explique que « quand ça convient moins, j’offre autre chose ».
  11.       Elle affirme qu’en 20 ans d’expérience comme gestionnaire d‘immeubles locatifs, elle n’a jamais demandé l’âge d’une personne intéressée à louer. Elle concède qu’elle peut souvent déceler s’il s’agit d’une personne jeune ou âgée en fonction de la voix […] perceptible au téléphone.
  12.       Mme Miron témoigne que « c’est sûr » qu’elle a demandé à M. Desjardins ce qu’il cherchait et qu’elle lui a probablement aussi demandé si ça le dérange que l’immeuble soit occupé par des gens âgés.
  13.       Finalement, elle insiste sur le fait qu’elle sait très bien qu’elle n’a pas le droit de discriminer en fonction de l’âge et qu’elle ne peut pas se permettre de refuser des candidats à la location ni d’être « sélective ».
  14.       Quelques mois après la conversation entre les parties, Mme Miron en relate le souvenir qu’elle en a à l’enquêtrice de la CDPDJ[5]. Cette dernière note que Mme Miron l’informe que l’appartement en question est « réservé » (elle place ce mot entre guillemets dans son rapport) aux personnes âgées qui y habitent depuis longtemps et ne veulent pas avoir affaire à « des jeunes qui font la fête », « ce qui peut amener des chicanes ». Mme Miron reproche à M. Desjardins de ne pas lui avoir précisé qu’il était une personne calme et non bruyante. Elle ajoute qu’elle est convaincue que l’appartement ne lui aurait pas plu, s’il l’avait visité, parce qu’il n’est pas rénové et qu’il est mal insonorisé.

***

  1.       Mme Miron a-t-elle demandé son âge à M. Desjardins?
  2.       Le Tribunal estime que la preuve prépondérante établit qu’elle a demandé son âge à M. Desjardins pour ensuite lui signifier que l’immeuble était occupé par des personnes âgées et retraitées.
  3.       M. Desjardins a un souvenir précis de la conversation. Il est crédible lorsqu’il en témoigne et affirme que Mme Miron lui a demandé son âge et qu’il a répondu 32 ans. Il s’agit du seul incident vécu par M. Desjardins, lié à son âge, dans sa recherche d’un logement.
  4.       À l’opposé, Mme Miron n’a pas de souvenir précis de sa conversation avec M.  Desjardins puisqu’elle gère une « centaine de portes » à partir d’un seul numéro de téléphone. Dans ce contexte, on ne peut lui reprocher son absence de souvenir spécifique de cette conversation. Elle témoigne par déduction, en fonction de sa façon habituelle de procéder.
  5.       Mme Miron témoigne qu’il a été « probablement » question du fait que l’immeuble est occupé par des personnes âgées et retraitées et que « c’est sûr » qu’elle a demandé à M. Desjardins si ça le dérangeait que l’immeuble soit habité par des personnes âgées.
  6.       Elle se souvient avoir eu une longue conversation avec l’enquêtrice, une conversation qu’elle décrit comme « positive », « un bel échange », notamment sur le fait que certaines de ses annonces comportent des éléments discriminatoires. Elle ne nie pas avoir expliqué que les personnes âgées qui occupent l’immeuble n’aiment pas la présence des jeunes parce qu’ils font la fête et que ça fait des chicanes.
  7.       Son témoignage est moins précis que celui de M. Desjardins, et ses propos à l’enquêtrice tendent à corroborer ceux de M. Desjardins. Son témoignage ne permet pas d’écarter celui de M. Desjardins.
  8.       De plus, les gestes posés par M. Desjardins, à la suite de l’appel, appuient son témoignage et lui apportent crédibilité et fiabilité.
  9.       Le fait que M. Desjardins vérifie, immédiatement après avoir raccroché, si l’immeuble est une RPA accrédite sa version selon laquelle Mme Miron l’a questionné sur son âge, et qu’il a conclu à une forme de refus.
  10.       Également, le fait qu’il fouille sur Internet pour savoir si Mme Miron a le droit de lui demander son âge pour ensuite porter plainte à la CDPDJ le même jour, donne du poids à sa version.
  11.       Le Tribunal retient que Mme Miron a demandé son âge à M. Desjardins au téléphone et lui a dit que l’immeuble est réservé ou occupé par des personnes âgées ou retraitées. Que l’on retienne l’emploi du mot « réservé » ou « occupé » est de peu d’importance en réalité. Le message était clair : cet immeuble n’est pas pour les jeunes.

B.           Le droit applicable

  1.       La partie qui prétend à une atteinte discriminatoire à un droit protégé par la Charte doit démontrer, par une preuve prépondérante, l’existence de trois éléments, soit : 1) une distinction, exclusion ou préférence, 2) fondée sur l’un des motifs de discrimination interdit par l’article 10 de la Charte, 3) qui a pour effet de détruire ou compromettre son droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne, protégé par la Charte. Lorsque ces trois éléments sont démontrés, la partie demanderesse remplit son fardeau d’établir l’existence d’une discrimination « à première vue » [6].
  2.       Pour contrer cette preuve, la partie à qui on reproche d’avoir agi de façon discriminatoire doit justifier sa décision ou sa conduite en établissant l’une des exemptions prévues par la Charte ou celles développées par la jurisprudence[7].
  3.       M. Desjardins demande au Tribunal de déterminer qu’il a été victime d’une atteinte à son droit de conclure un acte juridique (un bail) pour un bien offert généralement au public (un logement), en pleine égalité et sans discrimination fondée sur un des motifs de discrimination interdits par la Charte (l’âge) [8], portant ainsi atteinte au droit protégé à l’article 12 de la Charte.
  4.       L’article 12 de la Charte doit recevoir une interprétation large. L’analyse doit tenir compte du contexte global dans lequel les faits se déroulent. Il n’est pas nécessaire d’établir un refus formel de louer le logement pour que s’applique l’article 12[9].
  5.       Le fait d’agir de façon à éviter d’avoir à refuser de conclure un acte juridique pour un motif de discrimination interdit enclenche l’application de l’article 12, comme s’il y avait eu un refus formel de conclure un acte juridique. Autrement, une personne pourrait se comporter de façon discriminatoire, en amont du processus menant à la conclusion d’un acte juridique, afin de décourager la personne de poursuivre sa démarche, et ce, en toute impunité[10].
  6.       La jurisprudence a reconnu qu’il y a discrimination interdite lorsqu’une personne exprime une préférence ou agit en fonction d’une préférence, fondée sur un motif interdit par l’article 10 de la Charte.
  7.       Dans l’affaire Taoussi c. Taranovskaya et Tsarevsky[11], il est question d’une personne ayant des enfants, intéressée à louer un logement. Le Tribunal décide qu’indépendamment du fait que M. Taoussi ait légitimement ou non conclu que les propos de la locatrice traduisaient un refus de lui louer le logement convoité, l’expression d’une préférence en faveur de locataires sans enfant, en elle-même, constitue une violation de ses droits garantis par l’article 12 de la Charte[12].
  8.       Toujours dans l’affaire Taoussi, le Tribunal précise que la Charte prohibe nommément toute « distinction, exclusion ou préférence » fondée sur un motif de discrimination interdit par l’article 10[13]. Il souligne qu’en tenant compte de l’ensemble des droits protégés par la Charte et des valeurs qu’elle sous-tend et promeut, la notion d’interdiction de refuser de conclure un acte juridique ne peut être interprétée de manière restrictive et se limiter uniquement à un refus explicite et affirmatif de conclure un acte juridique[14].
  9.       Un propriétaire ne peut fonder le choix de ses locataires sur un motif discriminatoire basé sur des préjugés ou des stéréotypes.
  10.       C’est ce qu’exprime la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Whittom c. Commission des droits de la personne[15], alors qu’elle enseigne qu’un refus de conclure un acte juridique basé sur des critères abstraits entraine l’effet pernicieux d’exclure une personne sur la base de considérations liées au groupe auquel elle est associée plutôt que sur ses caractéristiques propres. Il en découle qu’un locateur doit s’attarder à la personne elle-même plutôt qu’à une catégorie de personnes à laquelle il l’associe, à tort ou à raison.
  11.       Par exemple, dans l’affaire CDPDJ (Jacques-Lajeunesse) c. Gagné[16], le Tribunal décide qu’un locateur ne peut tenir pour acquis qu’en raison de son jeune âge, la personne qui désire louer le logement pourrait rencontrer des difficultés à en payer le loyer. Raisonner ainsi équivaut à fonder le choix d’un locataire en fonction de préjugés et stéréotypes. C’est ce que la Charte vise à proscrire.
  12.       Pour l’application de l’article 12 de la Charte, il n’est pas pertinent de déterminer si advenant une visite du logement convoité, M. Desjardins aurait renoncé à le louer[17].

C.           La discrimination

  1.       La Locatrice et/ou Mme Miron ont-elles refusé de conclure un acte juridique ayant pour objet un bien ordinairement offert au public au sens de l’article 12 de la Charte, en raison de l’âge de M. Desjardins? Le Tribunal répond par l’affirmative.
  2.       Plus particulièrement, par son annonce et les propos de Mme Miron, la Locatrice a exprimé sa préférence pour des locataires âgés ou retraités, ce qui a eu comme résultat que M. Desjardins a mis fin à sa démarche et a été privé de sa liberté de choisir ce logement, ainsi que de son droit de conclure un bail pour ce logement.
  3.       Même si Mme Miron le nie à l’audience, l’annonce laisse entendre que la clientèle ciblée pour l’immeuble est âgée ou retraitée. La rédaction de l’annonce a comme résultat de ne pas encourager les autres personnes à y louer un logement.
  4.       Par cette annonce, la Locatrice exprime clairement sa préférence pour les personnes âgées ou retraitées.
  5.       Là où le bât blesse est lorsque cette préférence se concrétise lors de l’appel téléphonique de M. Desjardins, quand Mme Miron lui demande son âge. Elle agit en fonction de sa préférence en réitérant que l’immeuble est habité par des personnes âgées ou retraitées, et laisse entendre qu’elle entretient un doute sur le fait que cela convienne à M. Desjardins vu son âge.
  6.       M. Desjardins est associé malgré lui à la catégorie des « jeunes qui font la fête et que ça crée des chicanes ».
  7.       La bonne foi et le professionnalisme de Mme Miron, au sujet desquels le Tribunal ne se prononce pas, n’influencent pas l’analyse de l’existence ou non d’un comportement discriminatoire. C’est l’effet discriminatoire sur M. Desjardins qui importe.
  8.       Mme Miron témoigne qu’elle tente « toujours » d’offrir d’autres logements à des candidats intéressants, comme des professionnels, quand celui pour lequel la personne demande des renseignements ne convient pas. Or, d’autres logements étaient libres et elle n’a pas profité de l’occasion qui se présentait d’offrir un autre logement à M. Desjardins, un professionnel selon elle. Elle n’explique pas pourquoi.
  9.       Le Tribunal conclut que M. Desjardins remplit son fardeau de preuve de l’existence de la discrimination et qu’à l’inverse, la Locatrice n’offre pas de preuve permettant de justifier la discrimination.

D.           Les dommages-intérêts

1.             Le préjudice matériel

  1.       M. Desjardins réclame la somme de 3 600 $ à la Locatrice, représentant le loyer supplémentaire qu’il a dû payer pour un autre appartement, pendant douze mois.
  2.       Dans les faits, environ 15 jours après l’appel téléphonique de Mme Miron, M. Desjardins trouve un appartement qu’il loue à partir du 1er novembre suivant. Il s’agit d’un appartement de 4 ½ pièces pour un loyer de 995 $ par mois, soit 300 $ de plus par mois que le logement en litige.
  3.       Huit mois plus tard, lors du renouvellement du bail pour une durée de douze mois, le loyer a été augmenté, mais M. Desjardins n’en tient pas compte dans sa réclamation. Il réclame 300 $ par mois, pendant 12 mois, pour un total de 3 600 $.
  4.       Outre que l’appartement de remplacement trouvé par M. Desjardins comporte une pièce de plus que celui en litige, bien peu d’éléments dans la preuve permettent au Tribunal de comparer les deux appartements.
  5.       Mme Miron décrit le logement en litige comme étant un genre de studio, petit, avec une seule fenêtre et aucune garde-robe. Il est mal insonorisé et sent la cigarette. Elle lui accorde même l’épithète de « pas recommandable ».
  6.       Selon M. Desjardins, le logement qu’il a trouvé, et qu’il habite toujours au moment de l’audience, est situé dans un triplex, au 3e étage, et comporte une chambre et un bureau. Il est de type aire ouverte et est lumineux. De plus, le bail mentionne un cabanon extérieur à l’usage du locataire.
  7.       Considérant ces quelques éléments de preuve qui indiquent que le surplus mensuel du prix du loyer est en partie lié à une situation améliorée, le Tribunal ne peut accorder la somme totale réclamée. Usant de sa discrétion, le Tribunal juge que M. Desjardins a droit à la somme de 1 800 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice matériel.

2.             Le préjudice moral

  1.       M. Desjardins réclame la somme de 6 000 $ pour le préjudice moral subi en raison de l’atteinte à ses droits protégés par la Charte.
  2.       L’évaluation du montant à accorder pour le préjudice moral constitue un exercice difficile, qui comporte une part de discrétion[18]. Il n’existe pas de barème pour en déterminer la hauteur.
  3.       Les dommages-intérêts s’évaluent en tenant compte de la gravité et des conséquences de l’atteinte aux droits fondamentaux de chaque victime. Une même atteinte peut causer un préjudice moral différent d’une personne à l’autre. La jurisprudence en cette matière sert de guide, mais chaque cas doit être analysé selon la spécificité de la victime et en fonction de la preuve faite devant le Tribunal[19].
  4.       M. Desjardins témoigne longuement des conséquences qui découlent de sa prise de conscience qu’il a été victime de discrimination. Il est émotif quand il en témoigne.
  5.       Contrairement à ce que la partie adverse a pu percevoir, M. Desjardins n’est pas apparu au Tribunal comme un revanchard ou une personne qui exagère. Il est plutôt apparu sensible et anxieux.
  6.       M. Desjardins témoigne qu’après avoir porté plainte à la CDPDJ, son anxiété naturelle s’amplifie. Il anticipe les questions semblables que d’autres locateurs pourraient lui poser.
  7.       Comme il est jeune et évolue parmi une clientèle de gens relativement âgés et aisés financièrement, il se met à se questionner sur son habillement ou son allure, pour ne pas avoir l’air trop jeune. Il est angoissé, manque de concentration au travail et commet des erreurs. Ses patrons le rencontrent à ce sujet. Malgré ces difficultés, il obtient une promotion qu’il convoitait.
  8.       La jurisprudence consultée par le Tribunal situe la hauteur des dommages-intérêts pour préjudice moral, dans des affaires relativement comparables, à une somme qui se situe entre 2 500 et 5 000 $[20].
  9.       Considérant l’ampleur et la durée du bouleversement que cette affaire a eue pour M. Desjardins est liée à l’atteinte à ses droits mais également à des enjeux au travail, et usant de sa discrétion, le Tribunal fixe la hauteur de l’indemnité à 2 500 $.

3.             Les dommages-intérêts punitifs

  1.       L’article 49 de la Charte ouvre le droit à des dommages-intérêts punitifs lorsque l’atteinte discriminatoire est illicite et que cette atteinte est intentionnelle. Leur octroi demeure discrétionnaire.
  2.       M. Desjardins réclame la condamnation de la Locatrice à la somme de 3 000 $, et celle de Mme Miron à la somme de 1 000 $.
  3.       L’arrêt phare de la Cour suprême du Canada dans l’affaire St-Ferdinand[21] enseigne ce qui suit :

 121.  En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.

  1.       Puis, dans l’arrêt Brossard[22], la Cour suprême du Canada réitère que l’intention s’attache non pas à la volonté de l’auteur de commettre l’acte illicite, mais à sa volonté d’en entraîner le résultat.
  2.       Le fait que l’auteur de l’atteinte illicite ne pouvait raisonnablement ignorer que son comportement porterait atteinte aux droits fondamentaux de la victime, peut prouver l’intention[23].
  3.       Les tribunaux reconnaissent que l’octroi de dommages-intérêts punitifs peut viser un ou plusieurs des objectifs suivants : la prévention et la dissuasion de la récidive, et la dénonciation du caractère répréhensible des actes commis aux yeux de la société[24].
  4.       En l’espèce, le Tribunal juge nécessaire de condamner Mme Miron à des dommages-intérêts punitifs dans le but de la dissuader de choisir ou d’exclure une personne intéressée par un logement, directement ou indirectement, par l’expression d’une préférence basée sur des préjugés ou des stéréotypes fondés sur un motif de discrimination interdit.
  5.       Le droit au logement est un droit fondamental dans notre société. Une personne a le droit de pouvoir choisir si un logement lui convient ou non. Il est possible qu’une jeune personne ne veuille pas habiter dans un immeuble occupé majoritairement par des gens âgés et retraités. Mais ce droit de choisir lui appartient.
  6.       Mme Miron semble croire que puisqu’elle ne demande pas l’âge des personnes (elle l’a pourtant fait pour M. Desjardins), et qu’elle ne refuse formellement personne pour ce motif, elle n’exerce pas de discrimination. Mais elle fait erreur. Par son annonce et sa façon d’interagir avec M. Desjardins, elle s’assure du résultat souhaité : il va renoncer.
  7.       Son intention réelle se révèle lorsqu’elle discute avec l’enquêtrice de la CDPDJ. Elle lui dit que les locataires âgés ne veulent pas de jeunes parce qu’ils font la fête et que ça fait des chicanes. Mme Miron, comme elle le déclare à l’audience, veut des locataires heureux. En tentant de dissuader un jeune candidat dès son appel initial pour des informations sur le logement, sa préférence et son intention s’expriment et se concrétisent.
  8.       Dans des affaires qui présentent certaines similarités avec celle-ci, le Tribunal a condamné l’auteur de l’acte illicite à des sommes qui varient entre 1 000 $ et 3 000 $[25].
  9.       Le Tribunal fixe la condamnation de Mme Miron à la somme réclamée, soit 1 000 $.
  10.       Quant à la Locatrice, elle est une personne juridique distincte de Mme Miron. Certes, elle est vice-présidente et gestionnaire de l’entreprise, mais il en faut plus pour condamner la personne morale au sein de laquelle Mme Miron agit à l’endroit de M. Desjardins. L’article 49 de la Charte donne au Tribunal le pouvoir de condamner l’auteur de l’acte illicite. La preuve doit révéler que la Locatrice cautionne, ratifie, ferme les yeux, approuve, ou autrement participe à l’acte illicite, ou que la compagnie est l’alter ego de la personne[26]. Une telle preuve n’a pas été faite devant le Tribunal.
  11.       En l’absence d’une preuve suffisante, le Tribunal ne condamne pas la Locatrice à des dommages-intérêts punitifs.

III.          conclusion

  1.       Le Tribunal conclut que la Locatrice et Mme Miron ont porté atteinte au droit de M. Desjardins de conclure un acte juridique pour un bien offert généralement au public, en pleine égalité, sans discrimination fondée sur l’âge.
  2.       Le Tribunal conclut que cette atteinte a causé à M. Desjardins un préjudice matériel pour lequel il détermine une indemnité de 1 800 $, ainsi qu’un préjudice moral pour lequel il attribue la somme de 2 500 $.
  3.       Le Tribunal condamne Mme Miron à des dommages-intérêts punitifs de 1 000 $.
  4.       Finalement, le Tribunal rejette la demande de M. Desjardins d’obtenir une lettre d’excuse et d’engagement à poser des gestes concrets pour éviter la répétition d’actes discriminatoires par la Locatrice. M. Desjardins n’a pas insisté sur cette demande à l’audience, et n’a pas établi son droit à cet égard.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.       ACCUEILLE partiellement la demande introductive d’instance;
  2.       CONDAMNE solidairement 9048-5541 Québec Inc. et Dominique Miron à payer à Mathieu Desjardins la somme de 1 800 $ à titre de préjudice matériel, avec intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 21 décembre 2023, date de la décision de la CDPDJ proposant des mesures de redressement;
  3.       CONDAMNE solidairement 9048-5541 Québec Inc. et Dominique Miron à payer à Mathieu Desjardins la somme de 2 500 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, avec intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 21 décembre 2023, date de la décision de la CDPDJ proposant des mesures de redressement;
  4. CONDAMNE Dominique Miron à payer à Mathieu Desjardins la somme de 1 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, avec intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date du présent jugement.
  5. CONDAMNE solidairement 9048-5541 Québec Inc. et Dominique Miron aux frais de justice.

 

 

__________________________________

SOPHIE LAPIERRE

Juge au Tribunal des droits de la personne

 

Mathieu Desjardins

Non représenté

Partie demanderesse

 

Me Patrick Lamanna

AEDIFICO AVOCATS INC.

Pour les parties défenderesses

 

Date d’audience :

29 octobre 2024

 


[1]  Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c.C-12, art. 10 et 12 (Charte).

[2]  Charte, art. 84.

[3]  Puisqu’il s’agit d’une capture d’écran de l’annonce tirée du site internet, le Tribunal ne bénéficie pas des autres photographies jointes à l’annonce.

[4]  Pièce P-2, Extrait du dossier d’enquête de la CDPDJ, section 7.

[5]  Id., section 21.

[6]  Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 35-36.

[7]  Id., par. 37.

[8]  Charte, art. 12.

[9]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gravel) c. 9228-0908 Québec inc. (Domaine du Radar), 2024 QCTDP 16, par. 50-53.

[10]  Id., par. 53.

[11]  Taoussi c. Taranovskaya et Tsarevsky, 2020 QCTDP 7 (Taoussi).

[12]  Id., par. 53.

[13]  Id., par. 59.

[14]  Id., par. 65 à 69.

[15]  Whittom c. Commission des droits de la personne, 1997 CanLII 10666 (QCCA), par.18 à 28.

[16]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jacques-Lajeunesse) c. Gagné, 2003 CanLII 60 (QCTDP), par. 27 à 31 (Jacques-Lajeunesse).

[17]  Taoussi, préc., note 11, par. 73.

[18]  Bou Malhab c. Métromédia C.M.R. Montréal inc., 2003 CanLII 47948 (QCCA) par. 62-63.

[19]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Guillaume) c. Entrepôt de la lunette inc. (9318-1022 Québec inc.), 2022 QCTDP 13, par. 68 (Guillaume).

[20]  Grenier-Laroche c. Deblois, 2023 QCTDP 17 (Grenier-Laroche); Guillaume, id. ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pheneus et une autre) c. Fornella, 2018 QCTDP 3; Taoussi, préc., note 11; Jacques-Lajeunesse, préc., note 16.

[21]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, 1996 CanLII 172 (CSC).

[22]  de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51 (CanLII), par. 49 et 60 (Brossard).

[23]  Grenier-Laroche, préc., note 20 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Isabelle) c. Panacci, 2013 QCTDP 28, par. 112 (Isabelle).

[24]  Brossard, préc., note 22, par. 47 et s.; Grenier-Laroche, préc., note 20, par. 89.

[25]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Cadieux) c. Lacombe, 2003 CanLII 13140 (QC TDP), par. 32 (demande pour permission d’appeler refusée, CA, 27-10-2003, 500-09-013666-037); Grenier-Laroche, préc. note 20, par. 93 ; Isabelle, préc., note 23, par. 114 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Chachai) c. Immeubles Chantal et Martin inc., 2013 QCTDP 23, par. 100 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dufresne) c. Poirier, 2004 CanLII 27800 (QC TDP), par. 77.

[26]  Gauthier c. Beaumont, 1998 CanLII 788 (CSC), par. 108 à 111; Isabelle, préc., note 23, par. 114.

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