Godin et Ministère des Transports et de la Mobilité durable | 2022 QCCFP 18 |
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE | ||||
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CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
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DOSSIER No : | 2000002 | |||
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DATE : | 1er novembre 2022 | |||
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Mathieu Breton | |||
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FRANÇOIS GODIN | ||||
Partie demanderesse | ||||
et | ||||
ministère des Transports et de la Mobilité durable | ||||
Partie défenderesse | ||||
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DÉCISION | ||||
(Article | ||||
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[1] Le 27 juillet 2022, M. François Godin dépose un recours à la Commission de la fonction publique (Commission) en vertu de l’article
Une enquête du ministère des transport a conclut que j’avais perdu mon emploi alors que je n’aurais jamais dû le perdre. Je conteste mon congédiement.
[Transcription textuelle]
[2] Il joint à son recours une annexe, datée du 16 mai 2022, d’un rapport d’enquête produit à la suite d’une plainte de harcèlement psychologique qu’il a soumise. Cette annexe relate des événements s’étant déroulés en 2019, dont la fin de stage probatoire de M. Godin « [l]e ou vers le 22 octobre 2019 ».
[3] Le 14 septembre 2022, le ministère soulève des moyens préliminaires :
[…] La présente vise à rectifier une allégation de la part de [M. Godin], soit qu’il aurait été congédié. M. Godin n’a jamais été congédié; il a toujours un emploi auprès du Ministère. Toutefois, le Ministère a mis fin au stage probatoire de M. Godin le 22 octobre 2019.
De plus, le Ministère entend formuler des objections préliminaires suivantes à l’encontre du recours de [M. Godin] :
1. Étant donné la décision rendue le 12 juin 2022 par la Commission de la fonction publique dans les dossiers 13023[6]8 et 1302369[[3]], qui n’a pas été portée en révision interne ou judiciaire, il y a chose jugée quant au présent recours.
2. La fin d’un stage probatoire n’est pas une mesure visée par l’article
3. Si [M. Godin] allègue que la fin de stage probatoire est une mesure disciplinaire déguisée, ce que le Ministère nie, la contestation de cette dernière est prescrite, car le délai légal est de 30 jours de la connaissance de la mesure contestée. La fin du stage probatoire ayant eu lieu le 22 octobre 2019, le recours déposé le 27 juillet 2022 est prescrit. […]
[Transcription textuelle]
[4] Le 27 septembre 2022, la Commission demande aux parties de transmettre leurs argumentations par écrit relativement aux moyens préliminaires afin de rendre une décision sur dossier.
[5] Le ministère soutient que l’autorité de la chose jugée doit entraîner le rejet du recours. Subsidiairement, il étaye sa position concernant les deux autres moyens préliminaires précités.
[6] Pour sa part, M. Godin cite l’article
[7] Il souligne que les délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile ont été suspendus en mars 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Il prétend que la pandémie aurait empêché son dossier d’être traité convenablement à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et ne lui aurait pas permis de faire valoir ses droits devant le tribunal compétent.
[8] Il soumet également « que les fonctionnaires de la CNESST [l]’ont induit dans l’erreur dès le dépôt de [sa] plainte et jamais ils ne sont intervenus dans le passé pour [lui] dire [qu’il devait s’adresser] à la Commission de la fonction publique du Québec. » Il ajoute : « Fait nouveau dans le dossier. Le 16 mai 2022 une enquête interne du MTQ confirmait que j’avais vécu de l’incivilité au travail. Incivilité qui m’a fait perdre mon emploi de cadre. »
[9] La Commission accueille le moyen préliminaire relatif à l’autorité de la chose jugée. Par conséquent, elle n’a pas à se prononcer sur les deux autres moyens préliminaires présentés par le ministère et elle rejette le recours de M. Godin.
CONTEXTE ET ANALYSE
[10] Le 12 juin 2022, la Commission rend une décision relativement à deux recours de M. Godin à l’encontre du ministère (Décision)[4] :
[1] Le 7 novembre 2021, M. François Godin dépose auprès de la Commission de la fonction publique (Commission), une plainte de harcèlement psychologique, en vertu de l’article
[2] Le Ministère soulève un moyen préliminaire à l’égard de la recevabilité de ces deux recours. […]
[15] Le 1er avril 2019, M. Godin est promu au poste de chef des opérations au Ministère. Il occupe alors un poste de cadre, classe 7.
[16] Afin d’être confirmé à son poste de cadre, il doit réussir un stage probatoire d’une durée de deux ans.
[17] Il affirme que, depuis qu’il occupe ce nouvel emploi, il vit des difficultés avec sa supérieure hiérarchique. Elle occupe le poste de directrice de l’Exploitation au Ministère.
[18] Le 21 octobre 2019, M. Godin est avisé par sa supérieure hiérarchique que le Ministère met fin à son stage probatoire à compter du 22 octobre 2019.
[19] Il retourne alors dans les fonctions qu’il occupait au Ministère, avant sa promotion.
[20] Toutefois, il a le sentiment d’avoir été congédié et harcelé en raison des évènements qu’il a vécus depuis sa promotion au poste de chef des opérations.
[21] Le 19 novembre 2019, M. Godin remplit donc un formulaire en ligne sur le site Web de la CNESST afin de contester son congédiement et de dénoncer le climat de travail dans lequel il vivait. Il dépose un recours en vertu de l’article
[22] Le même jour, il est informé qu’il ne remplit pas les critères requis pour déposer une plainte pour contester un congédiement sans cause juste et suffisante. […]
[27] Le 7 novembre 2021, M. Godin dépose à la Commission une plainte de harcèlement psychologique en vertu de l’article
[28] À la lumière des informations indiquées dans la plainte de M. Godin, la Commission ouvre deux dossiers : le recours de harcèlement psychologique ainsi qu’un second en vertu de l’article 33 de la Loi, car M. Godin prétend dans sa plainte avoir été congédié. […]
[34] M. Godin soutient que le délai pour soumettre un recours en vertu de l’article 33 de la Loi n’est pas prescrit puisqu’il a été interrompu par le dépôt de sa plainte en vertu de l’article
[35] La Commission n’est pas de cet avis. […]
[40] La Commission conclut que le recours de M. Godin, déposé en vertu de l’article 33 de la Loi, est prescrit. Il doit donc être rejeté. […]
[51] L’article 120 de la Loi permet à la Commission de proroger les délais prévus par la loi lorsqu’elle est en présence d’une preuve prépondérante qu’une personne a été dans l’impossibilité d’agir dans le délai prescrit : […]
[57] M. Godin allègue aussi que les employés de la CNESST l’ont mal informé. Ils lui ont recommandé de poursuivre sa plainte de harcèlement psychologique devant le TAT, alors qu’ils savaient qu’il était un fonctionnaire non syndiqué et qu’il avait perdu un emploi de cadre au sein du Ministère.
[58] Il ajoute finalement que les mesures sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie de COVID-19 et l’interdiction de rassemblement imposée par la Santé publique, ont eu un impact sur le délai de traitement des dossiers au TAT. C’est ce qui explique, selon lui, la raison pour laquelle sa plainte n’a toujours pas été entendue.
[59] La décision Daigle[[7]] illustre ce qu’est et ce que n’est pas l’impossibilité d’agir : […]
[60] À la lumière de cette décision, la Commission conclut que la prétention de M. Godin selon laquelle il aurait été mal conseillé par des employés de la CNESST ne peut constituer une impossibilité d’agir.
[61] Au regard des impacts des mesures prises pour lutter contre la pandémie de COVID-19, la Commission juge qu’elle n’a pas de preuve probante voulant que M. Godin ait été dans l’impossibilité d’agir en raison de cette situation.
[62] En somme, la Commission conclut que la plainte de harcèlement psychologique de M. Godin est prescrite. Elle doit donc être rejetée.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
ACCUEILLE le moyen préliminaire présenté par le ministère des Transports relativement à la prescription des recours de M. François Godin;
REJETTE les recours de M. François Godin.
[11] Le ministère prétend qu’en raison de la Décision, l’autorité de la chose jugée doit entraîner le rejet du recours déposé par M. Godin le 27 juillet 2022, à l’instar de ce que la Commission avait conclu dans la décision Lessard[8].
[12] L’article
2848. L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même. […]
[13] Cet article a pour but d’empêcher la multiplication des recours à l’égard d’un même litige et d’assurer la stabilité juridique lorsqu’une décision finale est rendue. La Cour d’appel s’exprime à ce sujet dans l’arrêt Jean-Paul Beaudry ltée[10] :
[36] La chose jugée, qui fait obstacle à ce que soit tranché de nouveau ce qui l’a déjà été, répond à un souci de stabilité juridique et vise à ce que soient évitées la multiplicité des procès et la possibilité de jugements contradictoires. Il s’agit d’une présomption absolue dont l’effet s’étend à tous les jugements définitifs prononcés par un tribunal ayant juridiction civile au Québec dans une matière contentieuse. Elle repose sur la prémisse d’une triple identité entre le premier jugement et la demande qui est faite par la suite : identité des parties, identité de la cause, identité de l’objet (la chose demandée).
[37] L’effet de la chose jugée s’attache non seulement au dispositif du jugement mais également aux motifs – c’est ce que reconnaît la jurisprudence –, dans la mesure qu’indique, par exemple, l’arrêt Contrôle technique appliqué ltée c. Québec (Procureur général)[[11]]. La Cour se penchait alors sur l’article 1241 C.c.B.‑C., ancêtre de l’article
On doit bien comprendre cependant la portée de cette règle. Cette présomption de vérité ne se limite pas seulement au dispositif formel du jugement : elle s’étend aux motifs essentiels qui s’y trouvent intimement liés. Elle comprend les conclusions même implicites qui résultent comme une conséquence nécessaire du dispositif de ce jugement[[12]]: […]
[14] La Cour suprême du Canada énonce qu’une partie déboutée ne bénéficie pas d’une deuxième tentative concernant un même litige[13] :
[18] Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative. L’appelante a décidé de se prévaloir du recours prévu par la LNE. Elle a perdu. Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.
[15] L’arrêt Golzarian[14] de la Cour d’appel explique l’importance de l’autorité de la chose jugée dans notre société, notamment lorsqu’un recours est rejeté :
[85] Or, cette prétention de l’appelant ignore l’irrecevabilité prévue par l’art. 168 al. 1(1°) C.p.c. (« litispendance ou chose jugée / lis pendens or res judicata) et heurte de plein fouet le concept même de la chose jugée, qui ne permet pas de remettre en question, dans le cadre d’un autre recours, les déterminations de fait comme de droit d’un premier jugement final (en l’occurrence celui du juge Davis et de l’arrêt de notre cour le confirmant), dont l’autorité a force de présomption absolue (selon l’art.
La raison d’être de cette présomption légale irréfragable de validité des jugements est ancrée dans une politique sociale d’intérêt public visant à assurer la sécurité et la stabilité des rapports sociaux. L’inverse signifierait l’anarchie, avec la perspective de procès sans fin et de jugements contradictoires.
Les auteurs, tant en France qu’au Québec, expriment sensiblement la même opinion. Planiol et Ripert, dans leur Traité pratique de droit civil français (2e éd. 1954), t. VII, au no 1552, p. 1015, font observer ceci :
En réalité cette présomption légale recouvre une règle de fond. Le jugement une fois rendu doit terminer définitivement le procès si les voies de recours ont été en vain exercées ou s’il n’en a pas été fait usage. Il y a une nécessité sociale de premier ordre à ce que les litiges ne recommencent pas indéfiniment sur le même sujet. La stabilité des rapports sociaux exige que les décisions de justice soient respectées au même titre que la loi.
Me Charles-Auguste Chauveau, dans sa thèse de doctorat, De l’autorité de la chose jugée en matière civile (1903), explicite l’objet de la chose jugée, au no 1, p. 7 :
Sans une autorité suprême et définie, la société dégénère bientôt en anarchie. Sans la présomption de vérité que la loi accorde à une certaine classe de jugements, l’exercice de l’autorité judiciaire deviendrait un mal et occasionnerait des désordres irrémédiables; les tribunaux seraient des instruments de persécution entre les mains des riches qui pourraient sans cesse renouveler les mêmes attaques contre des adversaires moins fortunés, et, loin d’être une source de protection et un refuge pour les faibles, la loi n’apporterait à ces derniers qu’une aggravation de leurs misères.
Nadeau et Ducharme, dans La preuve en matières civiles et commerciales, dans Traité de Droit civil du Québec, t. 9, 1965, au no 552, p. 447, abondent dans le même sens, quoique sur une note moins dramatique :
Mais le fondement réel de l’autorité de la chose jugée réside bien moins dans cette présomption légale de vérité que dans une considération d’utilité sociale. Le législateur a voulu empêcher que des procès perpétuellement recommencés ne viennent compromettre la sécurité et la stabilité des rapports sociaux, compte tenu surtout de ce fait inéluctable de la contrariété possible des jugements dans ces procès multiples. L’intérêt public exige qu’on ne puisse plus remettre en question ce qui, suivant l’expression classique, est passé en force de chose jugée…
Une conséquence inéluctable de la présomption irréfragable de validité des jugements est que l’autorité de la chose jugée existe même dans le cas où le jugement est entaché d’erreur. Le Code de procédure civile prévoit expressément un certain nombre de voies de recours pour corriger les erreurs qui ont pu se glisser dans un jugement (Livre III, « Moyens de se pourvoir contre les jugements »), dont l’appel et la possibilité de rétractation de jugement. Toutefois, si ces recours ne sont pas exercés, le jugement acquerra forcément, en vertu de l’art. 1241 C.c.B.‑C. et des principes qui le sous‑tendent, l’autorité de la chose jugée.
[…][[16]]
[86] Il en va de même, évidemment, lorsque ces recours ont été exercés et rejetés, l’autorité de la chose jugée restant ainsi intacte et se trouvant même renforcée par les déterminations qui ont pu être faites en appel, par exemple.
[87] Ces règles régissant l’autorité de la chose jugée n’ont pas changé avec l’entrée en vigueur de l’art.
[46] La chose jugée « fait obstacle à ce que soit tranché de nouveau ce qui l’a déjà été, répond à un souci de stabilité juridique et vise à ce que soient évitées la multiplicité des procès et la possibilité de jugements contradictoires » [renvoi omis]. La litispendance est régie par les mêmes principes, car « les deux moyens servent des fins médiates similaires qui consistent essentiellement à éviter la multiplicité des procès et la possibilité de jugements contradictoires » [renvoi omis]. Chose jugée et litispendance « réalisent ultimement un objectif d’intérêt public de protection de la sécurité et de la stabilité des rapports sociaux » [renvoi omis], alors que la chose jugée « protège les droits acquis en faveur des parties » [renvoi omis] et que la litispendance « évite au défendeur les inconvénients pouvant découler des poursuites multiples » [renvoi omis].
[…]
[93] L’affaire, en réalité, se résume en peu de mots : en ce qui concerne sa situation d’emploi auprès de la mise en cause Sûreté du Québec, l’appelant n’a plus aucun recours contre l’intimée, pas plus qu’il n’en a contre son ancien employeur ou contre le procureur général du Québec. […] Cette cause d’action a été rejetée par le jugement Davis et l’arrêt de notre cour confirmant celui-ci (sans parler de l’arrêt de 2011, déclarant que l’intimée n’a plus de devoir de représentation envers l’appelant depuis 200463) et elle ne peut pas renaître, quels que soient les stratagèmes de l’appelant pour contourner cette réalité juridique. C’est l’effet de l’autorité de la chose jugée, principe qui existe justement pour empêcher (ou tenter d’empêcher) une personne de revenir sans cesse à la charge, à l’instar de l’appelant.
[16] Dans un arrêt récent, la Cour d’appel décrit les critères d’application de l’autorité de la chose jugée en vertu de l’article
[22] Pour que l’autorité de la chose jugée s’applique, le jugement, ou en l’espèce, la sentence arbitrale, doit être définitif et avoir été rendu par un tribunal compétent dans une matière contentieuse. De plus, comme l’indique l’article
[23] Les trois identités au cœur de l’analyse de l’autorité de la chose jugée ont été discutées à maintes reprises dans la jurisprudence. Pour les fins de la présente cause, il convient de rappeler que l’identité des parties doit être analysée au sens juridique et ne se limite pas à la seule identité physique[[19]]. L’identité des parties peut être satisfaite par le mécanisme de la représentation[[20]].
[24] L’identité de cause réfère pour sa part au « fait juridique ou matériel qui constitue le fondement direct et immédiat du droit réclamé »[[21]]. En d’autres mots, il y a identité de cause lorsque « les faits matériels ou les actes juridiques allégués dans les deux instances sont les mêmes et lorsque la qualification juridique de ces faits est identique »[[22]].
[25] Enfin, notons que l’objet d’une demande est « le bénéfice que l’on se propose d’obtenir en la formulant »[[23]].
[17] La Commission doit déterminer si l’autorité de la chose jugée s’applique en analysant la Décision, le recours en matière de congédiement de M. Godin, déposé le 7 novembre 2021 (Recours 1), et celui visé par la présente décision, soumis le 27 juillet 2022 (Recours 2).
[18] La Décision est bel et bien finale et définitive. En effet, le 12 juin 2022, la Commission rejette les recours de M. Godin puisqu’elle considère qu’ils sont prescrits, incluant le Recours 1. De plus, la Décision n’a pas fait l’objet d’une demande de révision à la Commission, en vertu de l’article
[19] Les parties sont également identiques dans le cadre du Recours 1 et du Recours 2. Dans les deux cas, la partie demanderesse est M. Godin, l’employé, qui dépose un recours à l’encontre du ministère, l’employeur, qui est la partie défenderesse.
[20] Ces deux recours sont fondés sur la « même cause », soit le fait que le ministère a mis fin au stage probatoire effectué par M. Godin dans le cadre d’une promotion, ce que ce dernier qualifie de congédiement dans un contexte de harcèlement psychologique. À cet égard, la Cour d’appel mentionne[25] :
[17] La cause est définie comme étant « le fait juridique ou matériel qui constitue le fondement direct et immédiat du droit réclamé »[[26]]. Elle comprend un élément matériel, soit les faits de l’affaire, ainsi qu’un élément formel et abstrait, soit la qualification juridique de ces faits[[27]].
[21] Pour ce qui est de la « chose demandée », soit l’objet de la demande, la Cour d’appel explique[28] :
[21] L’objet de la demande est défini comme étant « le bénéfice juridique immédiat qu’on recherche en la formant, soit le droit dont on poursuit l’exécution »[[29]].
[22] Il n’est pas nécessaire qu’exactement la même chose soit réclamée dans la deuxième action pour conclure à une identité de l’objet[[30]]. Ainsi, lorsque « deux objets sont tellement connexes que les deux débats qui se font à leur sujet soulèvent la même question […] »[[31]], ou, autrement dit, lorsque les deux demandes cherchent « la sanction des mêmes droits »[[32]], il y a identité d’objet. La Cour suprême spécifie également qu’afin d’établir l’identité d’objet, « il faut examiner non seulement la forme de la demande, mais encore sa substance »[[33]].
[22] Ce critère est aussi respecté puisque M. Godin conteste de nouveau dans le Recours 2 la fin de son stage probatoire, qu’il qualifie de congédiement, en recherchant l’annulation de cette mesure.
[23] De plus, M. Godin fait valoir les mêmes arguments, qu’il avait soumis concernant le Recours 1, pour que le Recours 2 ne soit pas considéré comme prescrit, soit le fait qu’il a déposé une plainte à la CNESST et qu’il aurait été mal conseillé par les employés de cet organisme, l’impossibilité d’agir dans laquelle il aurait été ainsi que la pandémie de COVID‑19 et les mesures prises pour lutter contre celle-ci. Dans la Décision, la Commission n’avait pas retenu ces arguments et avait jugé que les recours de M. Godin étaient prescrits.
[24] En outre, même en considérant que M. Godin aurait présenté de nouveaux arguments concernant la prescription ou le fond du litige, l’autorité de la chose jugée s’appliquerait quand même, comme le détermine la Cour d’appel dans l’affaire Werbin[34] :
[8] En principe, on ne peut pas combattre l’effet de chose jugée d’un jugement en faisant valoir ultérieurement à son prononcé un argument de droit ou de fait qui aurait dû être avancé antérieurement. Si cela était possible, la stabilité des jugements serait mise à rude épreuve, puisqu’un plaideur pourrait toujours revenir à la charge en faisant valoir un moyen qui n’a été ni soulevé ni débattu alors qu’il aurait dû l’être, comme c’est ici le cas. On ne peut pas davantage combattre l’effet de la chose jugée en invoquant que le jugement est erroné en fait ou en droit[[35]].
[25] En somme, la Commission est d'avis que l’autorité de la chose jugée s’applique à l’égard du Recours 2. Elle doit donc le rejeter.
[26] Par conséquent, la Commission n’a pas à se prononcer sur les deux autres moyens préliminaires soulevés par le ministère.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
ACCUEILLE le moyen préliminaire présenté par le ministère des Transports et de la Mobilité durable relatif à l’autorité de la chose jugée;
REJETTE le recours de M. François Godin.
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Original signé par :
__________________________________ Mathieu Breton | |
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M. François Godin | ||
Partie demanderesse | ||
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Me Jean‑François Dolbec | ||
Me Julie‑Ann L. Blain | ||
Procureurs du ministère des Transports et de la Mobilité durable | ||
Partie défenderesse | ||
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Date de la prise en délibéré : 27 octobre 2022 | ||
[1] RLRQ, c. F-3.1.1.
[2] Auparavant nommé « ministère des Transports ».
[3] Godin et Ministère des Transports,
[4] Préc., note 3, par. 1-2; 15-22; 27-28; 34-35; 40; 51; 57-62.
[5] RLRQ, c. N-1.1.
[6] Préc., note 1.
[7] Daigle c. Marchés mondiaux CIBC,
[8] Lessard et Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports,
[9] RLRQ, c. CCQ-1991.
[10] Jean-Paul Beaudry ltée c. 4013964 Canada inc.,
[11]
[12] Ellard c. Millar,
[13] Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc.,
[14] Golzarian c. Association des policières et policiers provinciaux du Québec,
[15] Roberge c. Bolduc,
[16] Id., p. 402-403.
[17]
[18] Commission de la construction du Québec c. Électricité Tri-Tech inc.,
[19] Roberge c. Bolduc, préc., note 15, p. 410.
[20] Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan,
[21] Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, préc., note 20, par. 57, citant Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, p. 252, par. 626.
[22] Gowling Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l., srl c. Lixo Investments Ltd.,
[23] Pesant c. Langevin,
[24] RLRQ, c. C-25.01.
[25] Globe Technologie inc. (9174-0866 Québec inc.) c. Rochette,
[26] Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, préc., note 20, par. 57, citant Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, p. 252, par. 626.
[27] Jean-Claude Royer et Catherine Piché,
[28] Globe Technologie inc. (9174-0866 Québec inc.) c. Rochette, préc., note 25, par. 21-22.
[29] Roberge c. Bolduc, préc., note 15, p. 413, citant Pierre Basile Mignault, Le droit civil canadien, vol. 6, Montréal, Théoret, 1902, p. 105.
[30] Pesant c. Langevin, préc., note 23, p. 421.
[31] Ibid.
[32] Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, préc., note 20, par. 79.
[33] Roberge c. Bolduc, préc., note 15, p. 415.
[34] Werbin c. Werbin, préc., note 23, par. 8.
[35] Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, préc., note 20, notamment au par. 117, citant l’affaire Turcotte c. Trust Général du Canada,
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