Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nepton | 2025 QCCDCPA 15 |
CONSEIL DE DISCIPLINE
|
ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
|
N° : | 47-24-00450 |
|
DATE : | 26 juin 2025 |
______________________________________________________________________ |
|
LE CONSEIL : | Me GEORGES LEDOUX | Président |
M. ALAIN CHASSÉ, CPA auditeur | Membre |
M. JOCELYN PATENAUDE, FCPA auditeur | Membre |
______________________________________________________________________ |
|
JOSÉE MÉLANÇON, CPA, en sa qualité de syndique de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec |
Plaignante |
c. |
ANNIE NEPTON, CPA |
Intimée |
______________________________________________________________________ |
|
DÉCISION SUR CULPABILITÉ
|
______________________________________________________________________ |
Conformément à l’article 142 C. PROF., le Conseil A PRONONCÉ UNE ORDONNANCE DE NON-divulgation, DE NON-publication et de non-diffusion DES RENSEIGNEMENTS DE NATURE MÉDICALE DE M. DENIS LAVOIE MENTIONNÉS LORS DE L’AUDIENCE, ET DANS LES DOCUMENTS PRODUITS EN PREUVE, ET CE, DANS LE BUT D’ASSURER LA PROTECTION DE SA VIE PRIVÉE. |
| | | | |
INTRODUCTION
- Le Conseil s’est réuni afin de procéder à l’audition de la plainte portée contre l’intimée qui comporte trois chefs.
- Dans le cadre du premier chef de la plainte, il est reproché à l’intimée, alors qu'elle occupait les postes de directrice du Service des finances, de trésorière et de directrice générale adjointe, incluant la Direction des ressources humaines de la Ville de Chambly et alors qu'elle fréquentait le maire de la Ville de Chambly, d’avoir instauré que le Service des finances acquitte les soldes de la carte de crédit fournie par la Ville au maire sans s’assurer d’avoir toutes les pièces justificatives.
- Sur le second chef de la plainte, il est reproché à l’intimée, alors qu’elle occupait les fonctions précitées, de ne pas avoir révélé à son employeur qu'elle fréquentait le maire de la Ville ni pris des mesures visant à gérer cette situation.
- Enfin, dans le cadre du troisième chef de la plainte, il est reproché à l’intimée, dans le cadre de l'enquête de la plaignante, d’avoir fourni à cette dernière des renseignements inexacts ou incomplets relativement à la nature de sa relation avec le maire de la Ville.
- L’intimée plaide non coupable aux trois chefs de cette plainte.
PLAINTE
- Dans la plainte datée du 28 mars 2024 portée contre l’intimée, la plaignante lui reproche :
- À Chambly, des environs du mois de juillet 2014 au mois de février 2019, alors qu'elle occupait les postes de directrice du service des finances, de trésorière et de directrice générale adjointe (incluant la direction des ressources humaines) de la Ville de Chambly et alors qu'elle fréquentait D. L., alors maire de ladite ville, l’intimée a instauré que le service des finances acquitte les soldes de la carte de crédit fournie par la ville au maire sans s’assurer d’avoir toutes les pièces justificatives, le tout contrairement aux articles 5, 36.12 et 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ c. C-48.1, r. 6 ainsi qu'à l'article 59.2 du Code des professions, RLRQ c. C-26;
- À Chambly, entre le ou vers le 3 juin 2014 et le ou vers le 27 février 2019, alors qu'elle occupait les postes de directrice du service des finances, de trésorière et de directrice-générale adjointe (incluant la direction des ressources humaines) de la Ville de Chambly, l'intimée n'a pas révélé à son employeur qu'elle fréquentait D. L., alors maire de ladite ville, ni pris quelconque mesure visant à gérer cette situation, le tout contrairement aux articles 5, 36.12, 36.14 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ c. C-48.1, r. 6 ainsi qu'à l'article 59.2 du Code des professions, RLRQ c. C-26;
- À Chambly, le ou vers le 19 décembre 2022, dans le cadre de l'enquête de Mme Josée Mélançon, CPA, syndique adjointe, l'intimée a fourni des renseignements inexacts ou incomplets relativement à la nature de sa relation avec D. L., contrevenant ainsi à l’article 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ, c. C-48.1, r. 6 ainsi qu'aux articles 59.2 et 114 du Code des professions, RLRQ c. C-26.
[Transcription textuelle]
- L’intimée enregistre un plaidoyer de non-culpabilité à l’encontre des trois chefs de cette plainte.
QUESTION EN LITIGE
- Ainsi, le Conseil doit décider de la question en litige suivante :
- La plaignante s’est-elle déchargée de son fardeau de preuve concernant les éléments essentiels des trois chefs de la plainte portée contre l’intimée?
CONTEXTE
- L’intimée est membre de l’Ordre des comptables agréés du Québec depuis le 25 février 1993. Le 16 mai 2012, elle est inscrite au tableau de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre).
- La plaignante témoigne et fait entendre plusieurs témoins.
- Elle produit aussi une preuve documentaire[1].
- L’intimée témoigne et produit aussi une preuve documentaire[2].
- Elle fait aussi comparaître de nombreux témoins.
- La plainte portée contre l’intimée vise des faits qui se déroulent à la Ville de Chambly (la Ville) au moment où les élus de celle-ci font l’objet d’une enquête de la Commission municipale du Québec (la CMQ) concernant divers manquements de nature déontologique et éthique.
- Le maire de la Ville, monsieur Denis Lavoie (le maire de la Ville), occupe cette fonction de 2005 à 2019. Il démissionne de ce poste en mai 2019[3].
- Le 27 février 2019, la Ville fait l’objet d’une tutelle à la suite de l’adoption d’un décret par le gouvernement du Québec. À la même date, Me Denis Michaud, avocat et vice-président de la CMQ (Me Michaud), est nommé tuteur principal de la Ville.
- Le 31 janvier 2020, la plaignante reçoit une demande d’enquête, laquelle est transmise par un cadre de la Ville[4].
- Cette demande d’enquête allègue l’existence d’une relation entre l’intimée et le maire de la Ville ainsi que divers manquements de nature éthique ou déontologique à l’endroit de l’intimée et d’élus de la Ville.
- Le 30 avril 2007, l’intimée est embauchée par la Ville à titre de directrice des finances et de trésorière.
- Elle assume aussi les fonctions de directrice générale par intérim de décembre 2012 à juin 2014. À compter de juin 2014, l’intimée est nommée directrice générale adjointe.
- Le maire de la Ville participe au comité de sélection qui recommande sa nomination à titre de directrice générale adjointe par le Conseil de Ville[5].
- À ce titre, elle est aussi coresponsable des ressources humaines avec le directeur général de la Ville[6]. Elle agit de facto à titre de directrice des ressources humaines, puisqu’aucune résolution par le Conseil de la Ville n’a été adoptée à cet effet[7].
- À la suite de l’entrée en fonctions de Me Denis Michaud, avocat, à titre de tuteur de la Ville, l’intimée est destituée de ses fonctions de directrice des ressources humaines, poste qu’elle occupe sans que le Conseil de la Ville n’ait adopté une résolution à ce sujet.
- Le 3 juin 2019, l’intimée est congédiée par la CMQ[8].
- Lors de son témoignage, le 31 janvier 2020, devant le Tribunal administratif du travail (le TAT) dans le cadre d’une plainte portée par monsieur Michel Larose à titre de directeur général de la Ville, contestant sa destitution, l’intimée déclare qu’elle fréquente le maire[9].
- Lors de son témoignage du 9 mars 2020 dans le cadre du même dossier devant le TAT, l’intimée admet aussi qu’elle fréquente le maire de la Ville depuis sept ou huit ans[10].
- Lors de cette audition, l’intimée déclare aussi qu’elle n’a pas avisé monsieur Larose, directeur général de la Ville, de cette fréquentation[11]. Elle ajoute qu’elle n’a pas mis en place des mesures afin d’éviter toute situation de conflit d’intérêts[12].
- Lors de l’audition d’un autre dossier devant le TAT dans le cadre d’une plainte portée par monsieur Jean Lacroix ayant aussi occupé les fonctions de directeur général de la Ville, et qui conteste sa destitution, le maire de la Ville nie l’existence d’une relation amoureuse avec l’intimée[13].
- Dans sa décision, le TAT souligne qu’il a induit en erreur le tribunal par ses déclarations[14].
- Dans sa décision finale, le TAT accueille la plainte de monsieur Jean Lacroix portée en vertu de l’article 122 de la Loi sur les normes du travail et de l’article 71 de la Loi sur les cités et villes et annule son congédiement[15].
ARGUMENTATION DE LA PLAIGNANTE
- La plaignante plaide qu’elle a satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait et a présenté une preuve prépondérante sur les trois chefs de la plainte. En conséquence, l’intimée doit être déclarée coupable des trois chefs de la plainte portée contre elle, et ce, en fonction de toutes les dispositions de rattachement invoquées.
- Sur le chef 1 de la plainte, la plaignante a établi que l’intimée a fréquenté le maire de la Ville, et ce, depuis 2014. Cette fréquentation a été démontrée de diverses façons à la suite de plusieurs témoignages.
- Elle ajoute qu’il a été prouvé que l’intimée, entre le mois de juillet 2014 et février 2019, a demandé au Service des finances de la Ville d’acquitter les soldes de la carte de crédit du maire de la Ville sans s’assurer d’avoir toutes les pièces justificatives.
- En regard du chef 2 de la plainte, la plaignante soutient que lorsqu’elle occupe ses fonctions pour la Ville, l’intimée fréquente le maire de la Ville.
- Or, malgré cela, elle n’a pas révélé à son employeur qu’elle fréquentait le maire de la Ville ni pris des mesures pour gérer cette situation.
- Enfin, et concernant le chef 3 de la plainte, la plaignante est d’avis qu’elle a démontré que l’intimée lui a fourni des renseignements inexacts ou incomplets relativement à la nature de sa relation avec le maire de la Ville.
- La plaignante plaide des autorités au soutien de sa position[16].
ARGUMENTATION DE L’INTIMÉE
- L’intimée plaide qu’elle doit être acquittée des trois chefs de la plainte portée contre elle, considérant que la plaignante n’a pas été en mesure de satisfaire son fardeau de preuve.
- Elle est d’avis qu’elle n’a pas entretenu une relation amoureuse avec le maire de la Ville, qu’ils ne sont pas des conjoints et que la loi ne lui interdit pas de fréquenter le maire de la Ville.
- Elle soutient qu’elle n’a pas donné de directives au Service des finances de la Ville de ne pas exiger de pièces justificatives du maire de la Ville découlant de l’utilisation de sa carte de crédit. Elle est d’avis qu’elle n’a instauré aucune pratique puisque celle-ci existait avant son embauche à la Ville à titre de directrice du Service des finances et trésorière[17].
- L’intimée plaide que tous les élus, cadres et employés de la Ville connaissaient sa fréquentation avec le maire de la Ville. Elle ajoute que la Ville n’a jamais vu aucun conflit ou apparence de conflit d’intérêts dans cette relation et qu’elle était satisfaite de son rendement.
- L’intimée souligne que les résolutions du Conseil de Ville ayant approuvé le paiement des cartes de crédit sans y avoir d’irrégularités et qu’elles n’ont pas été contestées devant les tribunaux. Pour ces motifs, elle plaide qu’il y a en quelque sorte chose jugée même si aucun jugement n’a été rendu à ce sujet [18].
- Elle ajoute que les états financiers de la Ville qui ont été vérifiés par des auditeurs n’ont fait l’objet d’aucune réserve ou de commentaire concernant l’utilisation des cartes de crédit ou la fourniture de pièces justificatives.
- L’intimée relate avoir demandé l’installation d’un pigeonnier et d’une déclaration d’honneur en cas de défaut de produire des pièces justificatives.
- Sur les chefs 1 et 2, l’intimée invoque une défense de diligence raisonnable faisant appel à la fois à l’erreur de fait et à l’erreur de bonne foi.
- En regard du chef 1 de la plainte, l’intimée plaide aussi un autre moyen à titre de défense, soit le critère de l’importance relative, comme il est décrit dans la décision rendue à ce sujet dans l’affaire Lacroix[19].
- L’intimée argumente que l’importance relative est une question de jugement professionnel et que chaque cas est un cas d’espèce.
- Dans le présent dossier, la faible importance des sommes représentant les dépenses du maire de la Ville qui ont été remboursées sans pièces justificatives (l’équivalent de 0,01 % du budget de la Ville)[20], fait en sorte qu’un manquement de l’intimée en pareilles circonstances ne constitue pas une infraction déontologique.
- L’intimée plaide que le maire de la Ville faisait preuve de négligence dans la remise des pièces justificatives. Une fois qu’elle demande les pièces justificatives au maire de la Ville et qu’il fait défaut de les fournir, elle soutient qu’elle ne doit pas être tenue responsable de cette négligence et qu’aucun reproche ne peut donc lui être adressé.
- De plus, elle ajoute que les dépenses du maire de la Ville ont été autorisées par une résolution du Conseil de la Ville et que ces résolutions n’ont pas fait l’objet d’une demande d’annulation devant la Cour supérieure[21]. Aucune plainte n’a été formulée à son endroit par la Ville.
- À l’égard du chef 2 de la plainte, l’intimée plaide que les élus, cadres et employés de la Ville connaissaient la relation entre elle et le maire de la Ville et que même tous étaient au courant de cette situation, et ce, dès 2013.
- Pour elle ainsi que pour la Ville, il n’existait pas de conflits d’intérêts ou d’apparence de conflits d’intérêts et donc aucune mesure à prendre à ce sujet.
- Selon l’intimée, le maire de la Ville a obtenu un avis juridique concluant que sa relation avec ce dernier ne contrevenait pas à la loi. Pour ce motif, elle soutient qu’elle a aussi fait preuve d’une diligence raisonnable.
- Concernant le chef 3 de la plainte, l’intimée soutient qu’une divergence d’interprétation ou de point de vue avec la plaignante concernant l’interprétation du mot « fréquentation » ne constitue pas de l’entrave.
- L’intimée a le droit d’être en désaccord avec la position de la plaignante concernant l’interprétation du mot « fréquentation ». Elle et le maire de la Ville ne sont pas un couple, soutient-elle. Il faut tenir compte du contexte et présumer de sa bonne foi.
- De plus, elle ajoute que cette divergence d’opinions n’a pas compromis ou nuit au déroulement de l’enquête de la plaignante. Pour tous ces motifs, elle doit être acquittée du chef 3 de la plainte portée contre elle.
- L’intimée invoque des autorités au soutien de sa position[22].
ANALYSE
- Le Conseil rappelle les enseignements qu’il doit suivre concernant le fardeau de la preuve qu’une partie plaignante doit satisfaire en droit disciplinaire.
Le fardeau de la preuve
- Le Conseil doit décider si la plaignante s’est déchargée du fardeau de preuve qui lui incombe, à savoir de présenter une preuve claire et convaincante de la culpabilité de l’intimée relativement aux trois chefs d’infraction contenus dans la plainte disciplinaire.
- La Cour d’appel[23] nous rappelle l’étendue de ce fardeau de preuve :
[66] Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le « sérieux » de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences.
[67] Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.
[68] Comme le rappelle la Cour suprême, « [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.
[Références omises]
- Le Conseil doit également tenir compte de l’arrêt de la Cour d’appel dans Tremblay c. Dionne[24], qui souligne que savoir que les éléments essentiels d’un chef d’une plainte disciplinaire ne sont pas définis par son libellé, mais par les dispositions du Code de déontologie ou des règlements auxquelles le professionnel aurait contrevenu. Le Conseil devra, par conséquent, décider de la culpabilité ou de l’acquittement de l’intimée en fonction de chacune des dispositions invoquées.
[84] D'une part, les éléments essentiels d'un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu'on lui reproche d'avoir violées (Fortin c. Tribunal des professions, 2003 CanLII 33167 (QC CS), [2003] R.J.Q. 1277, paragr. [136] (C.S.); Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, précité; Béchard c. Roy, précité; Sylvie POIRIER, précitée, à la p. 25).
La gravité suffisante de la faute disciplinaire
- Dans son jugement rendu dans Gruszczynski[25], le Tribunal des professions écrit ce qui suit concernant la qualification de la faute commise :
[47] Il faut distinguer le comportement souhaitable du comportement acceptable, comme l’écrit le Tribunal des professions dans Architectes (Ordre professionnel des) c. Duval :
[11] Comme le soulignait le procureur de l'intimée, il faut distinguer en droit disciplinaire entre le comportement souhaitable et le comportement acceptable. La faute déontologique naît d'un comportement qui se situe en dessous du comportement acceptable. Un professionnel peut avoir une conduite qui s'éloigne du comportement souhaitable sans être inacceptable. Dans ce cas, il ne commet pas de faute déontologique.
- Dans Florea c. Baldassare[26], le conseil de discipline du Barreau a appliqué ce principe en précisant :
[…] qu’étant donné qu’une plainte risque d’entacher ou de nuire à la réputation d’un professionnel, il faut que les reproches formulés par le plaignant soient sérieux et présentent une certaine gravité
- Il faut donc distinguer le comportement souhaitable du comportement inacceptable ainsi que celui qui revêt un certain critère de gravité[27].
- Dans une décision rendue en 2019 par le conseil de discipline du Barreau du Québec dans l’affaire Goldwater[28], ces principes ont été repris et sont résumés ainsi :
[50] Dans Clément-Ball c. Heft, le conseil de discipline du Barreau a également rejeté une plainte portée contre un avocat tout en jugeant qu’il avait mal jugé la situation :
[52] L’incident est regrettable. L’intimée a très mal jugé la situation : le plaignant n’est pas un tiers étranger, mais la partie adverse dans deux (2) dossiers très chauds.
[53] Ce faisant, a-t-il commis un geste dérogatoire?
[54] La faute dérogatoire doit avoir un certain caractère de gravité. Or, l’intimée a posé un geste que l’huissier déclare habituel, même si la signification est irrégulière. C’est pourquoi, si l’interlocuteur accepte la procédure, il la lui laisse en écrivant « sur instruction de l’avocat ».
[55] Il pourrait à la rigueur s’agir d’un cas limite, mais le Comité ne croit pas que le geste rencontre les critères de la faute déontologique tels qu’établis par le Tribunal des professions.
[Références omises]
Les dispositions invoquées dans le cadre de la plainte
- Dans le cadre des trois chefs de la plainte, diverses dispositions sont invoquées par la plaignante, lesquelles sont reproduites ci-dessous :
Code de déontologie des comptables professionnels agréés
Chefs 1 et 2
5. Le membre doit, en tout temps, agir avec dignité et éviter toute méthode et attitude susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession.
36.12. Le membre ne doit pas se placer en situation où sa loyauté envers son client ou envers son employeur peut être entachée.
Sous réserve de l’article 36.13, le membre ne doit pas se placer en situation où il y a conflit entre son intérêt personnel ou l’intérêt de la société au sein de laquelle il exerce sa profession et celui de son client ou des clients de la société ou en donner l’apparence.
Le membre doit révéler à son client ou à son employeur tout intérêt ainsi que toute relation ou lien d’affaires dont celui-ci devrait être informé.
36.14 Le membre doit, si les services professionnels qu’il fournit engendrent un conflit d’intérêts ou en donne l’apparence ou, dès qu’il constate qu’il se trouve en situation de conflit d’intérêts ou donne l’apparence de l’être, refuser d’agir ou renoncer à fournir ces services, sauf si les clients concernés sont informés de l’existence du conflit d’intérêts et qu’ils y consentent ou si le membre a recours à des techniques de gestion de conflits et qu’il obtient le consentement de tous les clients concernés avant de les fournir.
37. Le membre doit révéler à son client ou employeur tous intérêts, relations d’affaires ou attaches dont celui-ci devrait normalement être informé.
Le membre n’est cependant pas tenu de mettre au courant son client des services professionnels qu’il rend ou qu’il se propose de rendre à d’autres clients.
Code des professions
Chefs 1, 2 et 3
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
Chef 3
Code de déontologie des comptables professionnels agréés
61. Le membre doit s’assurer de l’exactitude et de l’intégrité des renseignements qu’il fournit à l’Ordre. Il doit en tout temps respecter ses engagements envers l’Ordre liés au contrôle de l’exercice de la profession
Code des professions
114. Il est interdit d’entraver de quelque façon que ce soit un membre du comité, la personne responsable de l’inspection professionnelle nommée conformément à l’article 90, un inspecteur ou un expert, dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées par le présent code, de le tromper par des réticences ou par de fausses déclarations, de refuser de lui fournir un renseignement ou document relatif à une inspection tenue en vertu du présent code ou de refuser de lui laisser prendre copie d’un tel document.
De plus, il est interdit au professionnel d’inciter une personne détenant des renseignements le concernant à ne pas collaborer avec une personne mentionnée au premier alinéa ou, malgré une demande à cet effet, de ne pas autoriser cette personne à divulguer des renseignements le concernant.
Analyse de la preuve présentée
- Le Conseil débute son analyse de la preuve administrée avec le premier chef de la plainte.
Chef 1 – Alors qu'elle occupait les postes de directrice du Service des finances, de trésorière et de directrice générale adjointe (incluant la Direction des ressources humaines) de la Ville, a instauré un système pour que le Service des finances de la Ville acquitte les soldes des cartes de crédit du maire sans s’assurer d’avoir toutes les pièces justificatives (Code de déontologie des comptables professionnels agréés, art. 5, 36.12, 36.14 et C. prof. 59.2)
- Dans le cadre du premier chef de la plainte, le Conseil doit décider de l’acquittement ou de la culpabilité en vertu de chacune des dispositions de rattachement invoquées, soit les articles 5, 36.12 et 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et l’article 59.2 C. prof.
- Le Conseil résume la preuve des parties concernant ce reproche et doit, à cette fin, examiner la nature de la relation de l’intimée avec le maire de la Ville, notamment pour déterminer s’il est en présence d’une situation de conflit d’intérêts.
- Plusieurs personnes témoignent concernant ce premier chef, dont Me Michaud, monsieur Jean-François Auclair, madame Isabelle McIntyre, madame Hélène Boulanger, monsieur René Gauvreau, monsieur Jean Roy, monsieur Marc Bouthillier, le maire de la Ville ainsi que l’intimée.
- Certains témoignages sont plus déterminants. C’est notamment le cas de ceux de madame McIntyre, qui est commis aux comptes payables au Service des finances de la Ville et de l’intimée.
- L’intimée est sa supérieure immédiate.
- Madame McIntyre relate que selon les politiques en vigueur concernant le processus de paiement des cartes de crédit, les personnes doivent remettre comme pièces justificatives la facture et le reçu[29]. Cette politique s’applique également au maire de la Ville.
- La Loi sur les cités et villes[30] ainsi que la Politique sur les achats et les délégations de pouvoirs[31] prévoient que le trésorier doit conserver toutes les pièces justificatives pour tous les paiements et que celles-ci doivent être fournies[32]. Madame McIntyre précise qu’elle demande à tous les cadres de transmettre les pièces justificatives. La problématique de l’absence de pièces justificatives n’a été constatée que pour le maire de la Ville, et ce, pour la période de juillet 2014 à février 2019.
- Pour cette période de juillet 2014 à février 2019, la preuve démontre que 100 pièces justificatives sont manquantes sur un total de 196 transactions liées à la carte de crédit du maire de la Ville[33].
- Selon la preuve administrée devant le Conseil, en l’absence de vérifications suffisantes, le maire de la Ville utilise la carte de crédit de la Ville pour des dépenses en voyage à Cancún (pour un appel téléphonique) et pour des achats d’essence dans le bas du fleuve et dans les Maritimes[34]. Le maire de la Ville remboursera ces dépenses d’essence, lesquelles découlent d’une erreur selon lui.
- Au printemps 2014, madame McIntyre ne reçoit pas tous les reçus du maire de la Ville. Elle les demande à la secrétaire ou à l’adjointe du maire de la Ville de les transmettre. Elle est informée que le maire de la Ville les a perdus.
- Devant ce fait, l’intimée lui mentionne de ne pas demander de pièces justificatives et de payer le solde de la carte de crédit du maire de la Ville.
- Le mois suivant, madame McIntyre redemande à la secrétaire du maire de la Ville de lui fournir les pièces justificatives de ce dernier.
- L’intimée rencontre madame McIntyre à son bureau et lui indique qu’elle lui a déjà dit de ne pas demander de pièces justificatives et de payer le solde de la carte de crédit du maire de la Ville sans poser de questions.
- Madame McIntyre transmet un courriel à l’intimée pour confirmer qu’elle doit payer la carte de crédit du maire de la Ville en l’absence de pièces justificatives, car elle n’est pas confortable avec cette façon de faire. Elle écrit :[35]
Si tu peux me confirmer par écrit que je peux payer la facture Visa du maire sans signature et autorisation, car je ne suis pas à l’aise avec cette situation. Merci.
- Le 23 juillet 2021, l’intimée lui écrit un courriel[36] :
Oui, à payer sans signature.
- Sur cet aspect, l’intimée nie qu’elle autorise le Service des finances à acquitter les factures de la carte de crédit du maire de la Ville sans avoir toutes les pièces justificatives et précise qu’elle n’est pas en mesure d’expliquer le courriel transmis à madame McIntyre concernant le paiement de la carte Visa du maire de la Ville en l’absence de pièces justificatives[37].
- Le Conseil retient le témoignage de madame McIntyre comme étant fiable. Aucun motif ne milite pour écarter ce témoignage d’autant que la preuve documentaire produite corrobore cette version.
- Cependant, le témoignage de l’intimée qui nie l’autorisation donnée à madame McIntyre de procéder sans pièce justificative s’avère peu fiable et crédible. Sa position est contredite par les courriels échangés avec madame McIntyre[38].
- On peut aussi citer le témoignage de madame Hélène Boulanger, qui occupe le poste de commis aux comptes payables du Service des finances de la Ville. Elle occupe le poste autrefois occupé par madame McIntyre et sa supérieure immédiate est l’intimée.
- Madame Boulanger applique la même demande de l’intimée concernant les pièces justificatives de la carte de crédit du maire[39]. Lors de son témoignage, l’intimée admet avoir donné une directive verbale à madame Boulanger de ne pas vérifier ou insister pour obtenir les reçus liés à la carte de crédit du maire de la Ville.
- Le Conseil décide que le fait que la liste des comptes à payer soit approuvée par le Conseil de la Ville n’a aucune incidence sur les responsabilités devant être assumées par l’intimée en regard du paiement des cartes de crédit.
- En effet, l’intimée admet qu’à titre de trésorière et directrice du Service des finances, elle doit assumer les responsabilités prévues à la Loi sur les cités et villes[40]. Ainsi, elle a l’obligation de vérifier la légalité de tous les paiements effectués par la Ville et d’obtenir toutes les pièces justificatives[41].
- Elle reconnaît aussi que son approche était de payer la carte de crédit du maire de la Ville alors que l’ensemble des reçus n’était pas joint ou fourni à la Ville et que le maire de la Ville « s’organiserait à justifier ses affaires au niveau politique »[42].
- Concernant la relation de l’intimée avec le maire de la Ville, le Conseil retient ce qui suit.
- Le 9 mars 2020, l’intimée déclare lors de son témoignage devant le TAT dans le dossier de monsieur Michel Larose, ancien directeur général de la Ville :
- Qu’elle fréquente le maire de la Ville depuis le moment de son embauche, soit depuis environ sept ou huit ans, même si elle n’habite pas avec lui[43];
- Qu’elle n’a pas discuté avec monsieur Michel Larose, ex-directeur général, de sa fréquentation avec le maire de la Ville[44];
- Qu’elle n’a pris aucune mesure découlant de sa fréquentation avec le maire de la Ville pour éviter toute situation de conflit d’intérêts[45].
- Par rapport aux déclarations précitées de l’intimée, le Conseil examine les dispositions pertinentes de la loi et la jurisprudence pour évaluer s’il est en présence d’aveux extrajudiciaires qui ont été faits par l’intimée, comme le suggère la plaignante qui a transmis un avis à cette dernière en date du 11 septembre 2024[46].
- L’article 2850 C.c.q.[47] définit l’aveu en ces termes :
2850. L’aveu est la reconnaissance d’un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre son auteur.
- Dans un jugement rendu en 2018 par la Cour supérieure, les principes applicables à l’aveu sont énoncés ainsi[48] :
[118] Afin de constituer un aveu, une déclaration doit porter sur un fait et non sur une question de droit. Elle doit aussi pouvoir entraîner des conséquences juridiques défavorables contre son auteur.
[119] La jurisprudence a établi depuis bien longtemps que l’aveu est un moyen de preuve par excellence. En effet, il est considéré contre nature qu’un individu effectue une déclaration reconnaissant son tort ou l’incriminant lorsque cette déclaration est fausse.
[120] Afin d’être mis en preuve contre son auteur, l’aveu extrajudiciaire doit être allégué par l’autre partie. Cette dernière pourra utiliser tous les moyens de preuve recevables afin de le prouver,
[121] À cet égard, l’article 2867 C.c.Q. prévoit ce qui suit :
2867. L’aveu, fait en dehors de l’instance où il est invoqué, se prouve par les moyens recevables pour prouver le fait qui en est l’objet.
[122] La valeur probante de l’aveu extrajudiciaire est laissée à l’appréciation du Tribunal.
[123] Le Tribunal a une large discrétion dans son analyse de l’appréciation de cette preuve. Une fois que l’aveu extrajudiciaire est mis en preuve, il bénéficie d’une présomption de vérité.
[124] Une preuve contraire peut cependant être amenée par l’auteur de la déclaration, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’erreur de fait.
[125] L’auteur Jean-Claude Royer écrit ce qui suit à cet égard :
L'article 2852 C.c.Q. dispose expressément que la force probante de l'aveu extrajudiciaire est laissée à l'appréciation du tribunal. Aussi, un plaideur peut offrir une preuve contredisant son admission extrajudiciaire. Cette preuve est admise même si l'aveu n'est pas annulé. Ainsi, la partie qui a admis hors de cour un fait qu'elle savait être faux peut établir devant le tribunal la fausseté de son aveu. Le tribunal a discrétion pour choisir entre la version contenue dans l'aveu et la preuve soumise devant lui.
[Références omises]
- Un aveu est qualifié d’extrajudiciaire lorsqu’il est fait « en dehors de toute instance ou dans le cadre d’un autre litige » et doit[49] :
- Émaner de la partie adverse (ou son mandataire ou représentant);
- Être préjudiciable à son auteur;
- Porter sur une question de fait;
- Être clair, sans ambiguïté et sans équivoque.
- L’aveu extrajudiciaire possède une présomption de vérité qui s’attache à toute déclaration par laquelle une personne reconnaît un fait contraire à ses intérêts.
- Par ailleurs, une partie est liée par l’aveu qu’elle a fait, à moins qu’elle démontre pourquoi le conseil de discipline ne devrait pas y prêter foi.
- Ainsi, le professionnel peut se faire opposer une déclaration antérieure qu’il aurait faite, notamment, dans le cadre d’une rencontre avec le syndic préalable au dépôt de la plainte lorsque l’objectif de la production du document faisant état de l’entrevue est pour faire la preuve d’un aveu extrajudiciaire[50].
- Dans le jugement du Tribunal des professions dans De Sierra, on peut lire :
[67] Il faut rappeler que la déclaration extrajudiciaire d’un fait matériel pour établir la véracité de son contenu reste irrecevable en droit de la preuve sauf si elle est un aveu ou si elle rencontre les autres exceptions à la règle de l’exclusion de la déclaration extrajudiciaire ou la preuve par ouï-dire.
[68] Il est vrai qu’aux termes de l’article 2851 alinéa 1 du Code civil, l’aveu peut être exprès ou implicite. Toutefois, la lecture des passages que cite l’appelant à l’audience laisse sceptique sur la question de déterminer s’ils constituent véritablement des aveux de la perpétration des infractions disciplinaires reprochées.
[69] L’aveu extrajudiciaire se prouve par les moyens recevables pour prouver le fait qui en est l’objet (article 2867 du Code civil).
[70] La preuve par témoignage d’une déclaration défavorable d’une partie est donc permise lorsqu’elle se rapporte à un fait matériel qui peut être établi par témoin.
[71] Dans la présente affaire, s’il prétend à une reconnaissance par l’intimée de faits compromettants, l’appelant doit d’abord l’alléguer et ensuite le prouver, soit par son propre témoignage, ou comme dans la présente affaire, par la transcription sténographique de la version de l’intimée, dont la fiabilité sera laissée à l’appréciation du décideur de première instance, ou par les deux moyens.
- Selon les exigences prévues par les précédents cités, il est requis que le professionnel soit expressément informé de l’allégation d’un aveu extrajudiciaire que l’on entend lui opposer et qu’un avis lui soit transmis identifiant les extraits pertinents où il aurait, selon la partie plaignante, exprimé de tels aveux[51].
- La preuve d’un aveu extrajudiciaire d’une partie intimée formulé au cours d’une entrevue avec une partie plaignante peut être faite par le témoignage de cette dernière, l’enregistrement de la rencontre ou par la transcription sténographique de la version donnée par la partie intimée[52].
- La force probante de l’aveu est laissée à l’appréciation du Conseil. Celui-ci ne peut toutefois être écarté sans raison valable.
- C’est à la partie qui demande d’écarter l’aveu de démontrer, par une preuve contraire, qu’elle ne devrait pas être liée par ledit aveu[53].
- Suivant ces principes, les déclarations faites par l’intimée qui sont reproduites dans l’Avis de dénonciation d’aveux extrajudiciaires transmis à l’intimée doivent être suffisamment précises et non ambiguës pour que le Conseil constate l’existence d’admissions ou d’aveux extrajudiciaires[54].
- Pour le Conseil, les éléments suivants sont qualifiés d’aveux extrajudiciaires :
- Lors de l’audition, le 31 janvier 2020, devant le TAT dans le dossier de monsieur Michel Larose, l’intimée reconnaît qu’elle fréquente le maire de la Ville[55];
- Lors de l’audition, le 9 mars 2020, devant le TAT dans le même dossier, l’intimée reconnaît qu’elle a commencé à fréquenter le maire de la Ville à la suite de son embauche par la Ville soit depuis sept ou huit ans[56];
- Lors de cette même audition, l’intimée déclare qu’elle n’a jamais discuté des impacts de cette fréquentation avec monsieur Michel Larose, ex-directeur général, et qu’elle n’a mis en place aucune mesure pour gérer cette situation[57].
- Le recours à la définition comprise par le dictionnaire proposée par l’intimée n’est pas nécessaire pour statuer sur la question en litige. Le Conseil n’est pas lié par cette définition ou par l’interprétation préconisée par l’intimée ou par des tiers.
- Le Conseil doit s’en remettre aux aveux extrajudiciaires de l’intimée et aux autres éléments de preuve administrés devant lui.
- La preuve prépondérante administrée devant le Conseil permet d’établir l’existence d’une relation entre l’intimée et le maire de la Ville, qui est plus qu’une relation d’amitié.
- En effet, pendant la période visée par le premier chef de la plainte (juillet 2014 à février 2019) et pour reprendre le mot utilisé par l’intimée, la preuve administrée et retenue par le Conseil révèle ce qui suit concernant cette « fréquentation » :
- L’intimée fréquente le maire de la Ville en dehors du milieu professionnel, soit à l’extérieur de l’Hôtel de Ville ou des bureaux administratifs de la Ville, même si elle précise qu’ils ne sont pas des conjoints au sens légal du terme;
- Sans que cela soit caché, l’intimée est vue avec le maire de la Ville au restaurant ou sur les terrasses de restaurants, et ce, à de nombreuses reprises. Plusieurs témoins, dont des employés et cadres de la Ville, les voient en dehors des heures de travail et durant les fins de semaine[58];
- En 2016, l’intimée accompagne le maire de la Ville à Charlottetown pour assister au repêchage de la LHJMQ où le fils du maire de la Ville doit être repêché pour évoluer au sein de cette ligue. Selon deux témoins, cet évènement a été publié sur les réseaux sociaux[59];
- L’intimée assiste à un souper avec le maire de la Ville en compagnie de deux conseillers municipaux de la Ville en présence des conjointes de ces derniers;
- L’intimée déclare qu’aujourd’hui, l’ex-maire de la Ville est son ami;
- Le maire de la Ville témoigne devant le Conseil que lui et l’intimée étaient des amis très proches depuis juin 2014 et tout le monde était au courant;
- Le maire de la Ville a discuté de cette fréquentation avec un ministre du gouvernement et un sous-ministre du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. Ce dernier lui a affirmé qu’aucune législation n’interdit que lui et l’intimée soient en couple ou se fréquentent;
- Le maire de la Ville a même obtenu un avis juridique d’un avocat confirmant que sa fréquentation avec l’intimée était légale.
- Le Conseil signale que, lors de son argumentation du 23 avril 2025, l’intimée admet qu’elle fréquente le maire de la Ville pendant la période où les manquements visés aux divers chefs de la plainte lui sont reprochés, tout en précisant qu’ils ne sont pas des conjoints et en niant entretenir une relation amoureuse avec lui[60].
- Il n’appartient pas au Conseil de se prononcer sur les droits individuels de personnes de se fréquenter ou d’entretenir une relation amicale, amoureuse ou d’une autre nature.
- La compétence du Conseil doit être exercée afin de déterminer, à la lumière de la preuve administrée par les parties, si l’intimée a commis les manquements qui lui sont reprochés.
- Le Conseil juge qu’il n’est pas nécessaire d’être en présence d’une preuve prépondérante qui démontre l’existence d’une relation amoureuse ou d’une relation de conjoints au sens légal ou commun qui cohabitent comme conjoints.
- Comme l’enseigne le professeur Alain Roy, le conflit d’intérêts peut prendre diverses formes :
À notre avis, l’intérêt susceptible de poser problème peut être direct ou indirect, financier, personnel ou moral. En raison du fondement même des nouvelles règles sur le conflit d’intérêts, nous considérons qu’une interprétation très rigoureuse s’impose. La profession notariale est desservie lorsque les apparences laissent croire à un éventuel manquement à l’impartialité de l’officier public.
[Soulignement ajouté]
La défense concernant le critère de l’importance relative
- À l’égard du chef 1 de la plainte, le Conseil souligne que l’intimée invoque à titre de défense le critère de l’importance relative décrit dans la seule décision rendue à ce sujet dans l’affaire Lacroix[61], qui, par ailleurs, rejette ce moyen de défense.
- L’intimée argumente que l’importance relative est une question de jugement professionnel et que chaque cas est un cas d’espèce. Dans le présent dossier, la faible importance des sommes en jeu, soit les dépenses du maire de la Ville qui ont été remboursées sans pièces justificatives, fait en sorte qu’un manquement en de telles circonstances ne constitue pas une infraction déontologique.
- Dans les faits mis en preuve dans l’affaire Lacroix, la décision du comptable professionnel agréé d’arrondir à 10 000 $ le seuil quantitatif de signification à 1 % considérant que la valeur des actifs est de 1,4 M $[62].
- Le Conseil cite cet extrait de la décision Lacroix pour mieux en saisir la portée[63] :
[103] Pour illustrer l’application de cette notion, il donne l’exemple de la décision de l’intimé d’arrondir à 10 000 $ le seuil quantitatif de signification du résultat obtenu en utilisant le pourcentage type appliqué de 1 % sur la valeur des actifs totaux établie à 1 468 091 $.
[Références omises]
- Dans la décision Lacroix, la plainte portée contre le comptable professionnel agréé lui reproche aux chefs 1 a) et b) de ne pas avoir respecté les normes applicables. Ce moyen de défense n’a pas été retenu par le conseil de discipline.
- Retenant l’avis de l’expert de la partie plaignante, le conseil de discipline statue en ces termes[64] :
[211] Le comportement de l’intimé par rapport à la norme constitue un écart suffisamment marqué pour constituer selon le Conseil une faute déontologique. On n’est pas non plus dans l’autonomie du jugement professionnel ni à l’intérieur du concept du seuil d’importance relative auquel réfère l’expert Moisan.
- Le conseil de discipline déclare le comptable professionnel agréé coupable des chefs 1 a) et b) de la plainte, lesquels prennent appui sur l’article 19 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
- Après analyse, le Conseil décide que la décision Lacroix[65] ne peut être invoquée par l’intimée dans le dossier à l’étude, et ce, pour plusieurs motifs.
- Dans le cadre du présent dossier, il n’est donc pas reproché à l’intimée d’avoir contrevenu aux normes en vigueur ou d’avoir commis une infraction à l’article 19 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés lors d’un audit ou lors de la préparation d’états financiers.
- De plus, les infractions reprochées à l’intimée et les dispositions de rattachement sont différentes.
- Enfin, aucun précédent en droit disciplinaire n’a fait droit à ce moyen de défense qui permettrait de l’appliquer à un comptable professionnel agréé à qui des manquements similaires aux chefs 1 et 2 de la plainte sont reprochés.
- Le Conseil juge que cette décision et les circonstances de la présente affaire ne peuvent soutenir ce moyen de défense de l’importance relative et il est donc rejeté.
La défense de diligence raisonnable
- Sur le premier chef de la plainte, le Conseil doit déterminer si la preuve présentée permet à l’intimée de se décharger de son fardeau de preuve et si elle donne une ouverture à la défense de diligence raisonnable[66].
- Dans un jugement rendu en 2023 par le Tribunal des professions dans Asseraf[67], il est statué que la défense d’erreur de fait ou de diligence raisonnable peut être invoquée en droit disciplinaire. Le Tribunal rejette l’appel du dentiste au motif qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que les faits donnent ouverture à cette défense. Dans ce jugement, on peut lire ce qui suit :
[53] L’appelant allègue que puisqu’il s’est conformé à l’article 3.08.04 du Code de déontologie et que le Conseil l’a acquitté de cette infraction, il bénéficierait d’une défense d’erreur et de diligence raisonnable.
[54] L’erreur de fait raisonnable découle d’un état de fait inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent. Or, aucune allégation de l’appelant ne donnait ouverture à cette défense.
[55] Quant à la diligence raisonnable, l’appelant devait démontrer qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter que l’événement ne se produise. Il s’agit d’examiner l’attitude d’une personne raisonnable placée dans des circonstances semblables.
[56] Or, soutenir qu’en agissant de façon conforme au Code de déontologie, l’appelant ne pouvait commettre une infraction au Code des professions ne répond pas aux critères requis pour se prévaloir de ce moyen de défense comme l’a conclu le Conseil.
[57] Comme le souligne l’intimée, l’appelant n’allègue pas avoir effectué un suivi quant aux modalités de paiement du traitement, ni avoir effectué une vérification auprès de l’Ordre quant à l’encaissement de l’avance d’honoraires ou avoir pris toute autre mesure de précaution raisonnable pour éviter la commission de l’infraction prévue à l’article 89 C.prof.
[58] En somme, l’appelant n’a pas satisfait son fardeau de démontrer que le Conseil aurait erré en écartant sa défense d’erreur et de diligence raisonnable de sorte qu’il n’y a pas matière à réformation de la décision sur culpabilité du Conseil.
[Références omises]
- Le Conseil souligne que la défense de diligence raisonnable doit faire appel à une norme objective et elle requiert l’examen de l’attitude d’une personne placée en pareilles circonstances[68].
- L’inaction d’une personne s’oppose à une conduite permettant d’invoquer la diligence raisonnable[69].
- Afin de statuer sur le moyen de défense soulevé par l’intimée, soit la diligence raisonnable ou l’erreur de fait ou de droit, le Conseil rappelle qu’il existe trois catégories d’infractions[70] :
1. Les infractions de « mens rea », c’est-à-dire les infractions dans lesquelles un état d’esprit, comme l’intention, la connaissance ou l’insouciance, doit être prouvé par le plaignant[71].
2. Les infractions de responsabilité stricte[72], c’est-à-dire les infractions qui comportent un élément d’intention blâmable ou de conscience volontaire. Le plaignant n’a pas besoin de faire la preuve d’un élément intentionnel de la part de l’intimé, il n’a qu’à faire la preuve de l’élément matériel. S’opère alors un renversement du fardeau de la preuve : l’intimé peut faire valoir que son geste était dénué de toute intention blâmable. Il peut aussi faire valoir une erreur de fait raisonnable, laquelle consiste généralement à une confusion à l’égard de l’un des éléments matériels de l’infraction[73].
3. Les infractions de responsabilité absolue, c’est-à-dire les infractions où il n’est pas loisible à l’intimé de se disculper en démontrant qu’il n’a commis aucune faute.
- En 2003, dans l’affaire Renaud[74], le Tribunal des professions reprend les enseignements de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Sault Ste-Marie[75] et Strasser[76] et résume les grands principes applicables en droit disciplinaire :
[84] Il ne fait aucun doute que le Code des professions et toute la réglementation qui en découle participe de la législation relative au bien-être public.
[…]
[91] Il y a lieu de rappeler que […] les infractions contre le bien-être public de la catégorie de responsabilité stricte peuvent comporter un élément intentionnel. Cependant, le ministère public n’est pas obligé d’en faire la preuve. La preuve de l’élément matériel emporte la preuve, de prime abord (prima facie) de l’élément intentionnel. Il se crée alors un renversement du fardeau de la preuve sur le défendeur à qui il appartient de démontrer qu’il n’a pas d’élément intentionnel.
[Soulignement ajouté]
- Le Tribunal des professions conclut ensuite que, même si cette jurisprudence est tirée du droit pénal, ces enseignements trouvent application en droit disciplinaire tout en faisant les adaptations nécessaires[77].
- Il faut retenir de ces enseignements[78] que les infractions contre le bien-être public peuvent comporter un élément d’intention blâmable ou de conscience volontaire.
- Cependant, la partie plaignante n’a qu’à faire la preuve de l’élément matériel, il n’a pas besoin de faire la preuve d’un élément intentionnel de la part de l’intimé.
- Il s’opère alors un renversement du fardeau de la preuve. L’intimée peut alors faire valoir que son geste était dénué de toute intention blâmable. De plus, elle peut aussi faire valoir une erreur de fait raisonnable, laquelle consiste généralement à une confusion à l’égard de l’un des éléments matériels de l’infraction[79].
- À la lumière de ces principes, le Conseil doit maintenant procéder à l’analyse de la preuve et tenir compte de l’ensemble des circonstances.
- Il s’agit d’un moyen de défense différent de l’erreur de droit qui découle notamment d’avoir agi sur les conseils d’un avocat.
- Suivant plusieurs décisions et jugements, l’erreur de droit ne constitue pas une défense recevable[80]. C’est la position adoptée par le Tribunal des professions en 2007 dans l’affaire Coutu[81].
- Concernant le fait d’avoir agi sur la foi d’un avis juridique, le Conseil souligne que ce n’est pas l’intimée qui aurait obtenu un avis juridique établissant que sa fréquentation avec le maire de la Ville était légale. C’est ce dernier qui l’a obtenu comme il en a témoigné quoique cet avis juridique n’a pas été produit lors de l’audition.
- L’intimée invoque cette défense en soutenant qu’elle a pris tous les moyens pour obtenir les pièces justificatives découlant de l’utilisation de la carte du crédit par le maire de la Ville.
- Elle ajoute que le Conseil de la Ville a toujours approuvé son travail et que le paiement de la carte de crédit, incluant celle du maire de la Ville, a été autorisé par une résolution du Conseil de la Ville. De plus, aucune demande d’annulation de ces autorisations n’a été déposée en Cour supérieure.
- L’intimée soutient qu’elle a toujours été rigoureuse et qu’elle a personnellement fourni ses reçus concernant l’utilisation de sa propre carte de crédit.
- De surcroît, l’intimée signale la mise en place d’une déclaration d’honneur lorsque des pièces justificatives sont manquantes ou encore l’installation d’un casier (pigeonnier) près du bureau du maire de la Ville devant servir à y déposer les pièces justificatives liées à l’utilisation de sa carte de crédit.
- En plus, le Conseil doit statuer concernant l’erreur de fait.
- Pour le Conseil, l’erreur de fait ne s’applique pas. En effet, l’intimée n’a pas démontré qu’elle a pris toutes les précautions pour prévenir la commission de l’infraction. Elle ne peut donc échapper à sa responsabilité déontologique pour ce motif.
- En effet, le Conseil n’est pas en présence d’une croyance par l’intimée d’un état de fait pouvant justifier les gestes qu’elle a posés.
- Elle sait que le maire de la Ville a fait défaut à de nombreuses reprises de fournir les pièces justificatives liées à l’utilisation de sa carte de crédit.
- Dans la présente affaire, la preuve administrée devant le Conseil démontre que l’intimée n’a pas posé des gestes concrets pour obtenir les pièces justificatives du maire de la Ville. La déclaration d’honneur ou l’installation d’un pigeonnier près du bureau du maire de la Ville ne sont pas des moyens suffisants.
- Le Conseil juge que l’intimée ne peut invoquer la négligence du maire de la Ville à les fournir, ce qui est constaté depuis quelques années.
- En effet, la preuve démontre que pour la période de juillet 2014 à février 2019, 100 pièces justificatives sont manquantes sur un total de 196 transactions liées à la carte de crédit du maire de la Ville[82].
- La preuve administrée devant le Conseil démontre l’absence de mesures formelles prises par l’intimée pour veiller au respect des politiques de la Ville qui exige les pièces justificatives. En effet, l’intimée abdique ses responsabilités et ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par la Loi sur les cités et villes[83] et par les politiques de la Ville.
- Au contraire, l’intimée donne instruction tant verbalement que par écrit à madame McIntyre du Service des finances de payer la carte de crédit du maire de la Ville sans avoir toutes les pièces justificatives[84].
L’indépendance et les conflits d’intérêts
- Sur cet enjeu, le Conseil s’en remet à des autorités et à de la doctrine.
- Dans la décision Monger[85], le conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec souligne l’importance de l’obligation de loyauté pour un professionnel envers son client et met aussi en cause le concept d’indépendance professionnelle. On peut y lire :
[64] Quant au deuxième chef de la plainte, le Conseil est d’avis que le professionnel doit veiller à préserver son indépendance professionnelle en tout temps.
[65] Comme l’affirme le Tribunal des professions dans la cause Marcoux c. Avocats (Ordre professionnel des), en matière de conflit d’intérêts, la norme retenue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Succession MacDonald c. Martin est celle qui vise à éviter non seulement les situations de conflit d’intérêts, mais également les conflits qui ne sont qu’apparents.
[Références omises]
- L’obligation d’éviter toute situation de conflits d’intérêts découle par ailleurs de l’obligation du professionnel de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité. Le professionnel doit aussi veiller à préserver son indépendance professionnelle en tout temps.
- Dans l’affaire Marcoux c. Avocats (Ordre professionnel des)[86], le Tribunal des professions réitère qu’en matière de conflit d’intérêts, la norme retenue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Succession MacDonald c. Martin[87] est celle qui vise à éviter non seulement les situations de conflit d’intérêts, mais également les conflits qui ne sont qu’apparents.
- Ainsi, il a été déterminé que, pour trouver application, l’article 36.12 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés ne requiert que la démonstration d’une apparence de conflit d’intérêts et non l’existence d’un réel conflit d’intérêts.
- Le Conseil rappelle que son analyse porte sur les conséquences de la fréquentation de l’intimée avec le maire de la Ville et sur l’accomplissement de ses obligations à titre de comptable professionnelle agréée d’agir avec dignité, d’éviter toute méthode ou attitude susceptible de nuire à la réputation de la profession et de sauvegarder son indépendance professionnelle.
- Dans le cadre de cette analyse, le Conseil cite un article publié par Me Christiane Brizard et Me Guillaume-François Larouche portant sur l’indépendance du professionnel et les conflits de loyauté[88].
- Ceux-ci écrivent ce qui suit :
[151] Les professionnels sont appelés à jouer un rôle fondamental dans l’accompagnement de leurs clients ou de leurs patients. Les conférenciers proposent de discuter des devoirs d’indépendance et d’objectivité des professionnels à l’aune des défis éthiques de la société. Dans ce contexte, l’importance de sauvegarder l’indépendance professionnelle pour conserver la capacité de poser les actes professionnels à l’abri de toute forme d’intervention, tant réelle qu’apparente, de la part de toute personne permet de favoriser la confiance du public. Comment ces devoirs se déclinent-ils dans la réalité ? Varient-ils selon les professionnels ou selon leur statut ? Quel est le rôle des ordres professionnels en cette matière ?
[152] En regard des obligations d’indépendance professionnelle, on peut aussi lire :
L’indépendance est une valeur chère au système professionnel. Elle se traduit dans tous les codes de déontologie sous différentes formes. On la retrouve édictée expressément et elle se décline en diverses thématiques, dont les obligations d’objectivité, d’intégrité, de loyauté et de prohibition des conflits d’intérêts et d’apparence de conflits.
[…]
Sauvegarder son indépendance professionnelle, c’est conserver la capacité de poser des actes professionnels à l’abri de toute forme d’intervention, tant réelle qu’apparente, de la part de toute personne y compris l’employeur, les clients et les patients.
L’indépendance est fondée sur l’autonomie de jugement qui, elle-même, est une condition essentielle à la capacité pour un professionnel de poser des actes professionnels. Rappelons qu’un professionnel n’est pas un exécutant. Mettre en péril l’indépendance affecte directement la crédibilité et la légitimité du professionnel, et par le fait même, le fondement même du système professionnel et des institutions. L’indépendance et l’autonomie de jugement sont d’ailleurs des facteurs à considérer pour constituer un ordre professionnel.
[Soulignements ajoutés; Références omises]
- Pour le Conseil, les principes réitérés dans l’article de doctrine précédent visant les avocats peuvent s’appliquer à d’autres professionnels, et ce, en faisant les adaptations nécessaires.
- Un autre article de doctrine concernant les conflits d’intérêts s’avère pertinent pour statuer dans le présent dossier.
- En effet, la notion de conflit d’intérêts a fait l’objet d’une étude dans un article publié par le professeur Me Alain Roy, notaire[89], article repris dans la décision rendue en 2016 par le conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec dans l’affaire Lavoie[90].
- Il est opportun de citer de larges extraits de l’article de Me Roy où il écrit ce qui suit :
82. Est en situation de conflit d’intérêts le notaire dont « les intérêts sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux et que son jugement ou sa loyauté peuvent être défavorablement affectés.
83. Cette définition campe le devoir déontologique du notaire en amont de tout manquement à l’indépendance ou l’impartialité. Le notaire ne peut agir dès lors que les conditions matérielles d’une affaire permettent objectivement d’anticiper un conflit d’intérêts, indépendamment de la propension ou de la capacité réelle du notaire à demeurer impartial et désintéressé. La potentialité du manquement est donc clairement sanctionnée, sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, de s’interroger sur la faute dont le notaire a pu effectivement se rendre coupable dans les faits, en favorisant ses intérêts personnels au détriment de ceux des parties. En somme, on prohibe non seulement le péché, mais également la tentation du péché!
[…]
85. En ne reconduisant pas la règle de l’article 3.04.04, le gouvernement consacre le caractère d’ordre public du devoir déontologique du notaire. S’agissant d’un devoir qui dépasse la seule cause des parties directement concernées pour embrasser celle de la profession tout entière, celles-ci ne pourront plus, à l’avenir, cautionner la situation de conflit d’intérêts potentiel dans laquelle le notaire pourrait se retrouver et, par le fait même, l’exonérer de toute faute déontologique. Si le notaire accepte un contrat de service alors qu’objectivement, ses intérêts sont tels qu’il pourrait être porté à préférer certains d’entre eux et que son jugement ou sa loyauté pourrait être défavorablement affecté, il sera en faute, indépendamment de la transparence dont il aura su faire preuve à l’égard des parties.
86. Cela dit, la notion « d’intérêts » mérite certaines précisions. De quels types d’intérêts peut naître le conflit ? À notre avis, l’intérêt susceptible de poser problème peut être direct ou indirect, financier, personnel ou moral. En raison du fondement même des nouvelles règles sur le conflit d’intérêts, nous considérons qu’une interprétation très rigoureuse s’impose. La profession notariale est desservie lorsque les apparences laissent croire à un éventuel manquement à l’impartialité de l’officier public.
87. Ainsi, le notaire commet une faute déontologique s’il accepte d’instrumenter un acte dans lequel comparaît une partie qu’il pourrait être amené à privilégier, naturellement ou inconsciemment, en raison des liens financiers, personnels ou moraux qui l’unissent à elle, directement ou indirectement. Pensons simplement aux liens qui découlent de l’emploi, des affaires, de la parenté ou même de l’amitié.
88. Certes, dans certains cas, l’acte reçu par le notaire demeurera, malgré la faute déontologique, parfaitement valide. Ainsi, en vertu de l’article 62 de la Loi sur le notariat et sous réserve des règles relatives au testament, l’acte reçu par un notaire qui est parent ou allié de l’une des parties demeure authentique, de même que celui reçu par un notaire qui est dirigeant ou employé d’une personne morale partie à l’acte. Cette disposition confirme l’absence de toute conséquence négative sur l’acte notarié, mais n’absout d’aucune façon le notaire fautif sur le plan déontologique.
[Soulignement ajouté; Références omises]
- Dans un autre article de doctrine, Mes Pierre Pépin et Sevgi Kelci expriment également leur position concernant les conflits d’intérêts[91] :
En ce sens, dès que le notaire constate la présence d’éléments qui portent à conclure qu’il serait objectivement en conflit d’intérêts, il ne peut continuer à agir, malgré sa capacité réelle à demeurer impartial et désintéressé dans le contexte. Ainsi, avant d’accepter un mandat, la question que le notaire devrait se poser ne concernerait plus son aptitude à mener à terme son travail sans trahir son client. Il pourrait souvent et en toute conscience répondre par l’affirmative à cette question. Par contre, il lui sera bien plus difficile de réfuter complètement la potentialité d’une situation de conflit d’intérêts. Or, si on interprète le deuxième alinéa de l’article 30 de façon littérale, le fait qu’une telle possibilité existe oblige le notaire à déclarer forfait.
Le principe de l’indépendance professionnelle est indubitablement ancré dans la mission de confiance individuelle dont est investi le notaire à qui l’on reconnaît d’ailleurs le rôle d’officier public. Suivant ce principe, le notaire doit, dans l’exercice de sa profession, adopter une conduite qui soit empreinte d’indépendance et de désintéressement devant les affaires de son client, son statut d’officier public en dépend. Ces qualités constituent d’ailleurs la garantie d’un professionnel qui saura dissocier son intérêt personnel de celui de son client, pour ne se préoccuper que de ce dernier.
[Soulignement ajouté; Références omises]
- L’opinion de Mes Pépin et Kelci citée précédemment est reprise dans la décision rendue par le conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec dans l’affaire Chartrand[92].
- Dans cette affaire, sur les chefs 2 et 5 de la plainte modifiée, le notaire est déclaré coupable par le conseil de discipline d’avoir contrevenu à l’article 29.1 du Code de déontologie des notaires.
- Sur le chef 2 de cette plainte, le notaire a mis en péril l’indépendance, le désintéressement, l’objectivité et l’intégrité requis pour l’exercice de la profession de notaire en acceptant d’être désigné à titre de liquidateur au testament d’une cliente reçu par un autre notaire, soit Me André Hébert, ledit testament lui attribuant des pouvoirs discrétionnaires incompatibles avec la volonté du testateur.
- Dans le cas du chef 5, le notaire a également mis en péril l’indépendance, le désintéressement, l’objectivité et l’intégrité requis pour l’exercice de la profession de notaire en recevant une procuration et un mandat en cas d’inaptitude de son client, notamment en permettant que soit nommé à titre de mandataire l’un de ses employés et en lui attribuant des pouvoirs discrétionnaires incompatibles avec les intérêts du mandant.
- Dans l’affaire Poulin[93], le Tribunal des professions cite des extraits des articles de Me Roy ainsi que de Mes Pépin et Kelci au soutien de son analyse où il énonce :
[61] De l’avis du Tribunal, le Conseil motive suffisamment sa conclusion de culpabilité sous le chef 1. On comprend que le fait de vendre à son employée sans l’approbation du bénéficiaire de la Succession, la Fondation Mira, place la notaire dans une situation de conflit d’intérêts qu’elle n’a pas cherché à éviter.
[62] Le Conseil s’appuie sur l’article des auteurs Pierre Pépin et Sevgi Kelci où ils énoncent :
L’article 30 du Code de déontologie crée une présomption irréfragable à l’effet que c’est la possibilité que le notaire ait pu manquer à son devoir qui serait le critère déterminant pour constituer la faute déontologique, indépendamment de l’intérêt du client qui n’a pas nécessairement été défavorablement affecté dans les circonstances.
(…) En ce sens, dès que le notaire constate la présence d’éléments qui portent à conclure qu’il serait objectivement en conflit d’intérêts, il ne peut continuer à agir, malgré sa capacité réelle à demeurer impartial et désintéressé dans le contexte.
- Dans Dragon[94], le conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec se penche également sur la notion de conflit d’intérêts et statue que :
[160] L’article 30 du Code de déontologie crée une présomption irréfragable à l’effet que c’est la possibilité que le notaire ait pu manquer à son devoir qui est le critère pour constituer la faute déontologique. Le client n’a pas nécessairement à être affecté dans les circonstances. Dès que le notaire constate la présence d’éléments qui le portent à conclure qu’il est « objectivement » en conflit d’intérêts, il ne peut continuer à agir, malgré sa capacité réelle à demeurer impartial et désintéressé dans le contexte.
[161] Cela dit, les intérêts qui sont susceptibles de poser des difficultés peuvent être directs ou indirects, financiers, personnels ou moraux. Le notaire commet donc une faute déontologique lorsqu’il instrumente un acte dans lequel comparaît une partie qu’il pourrait privilégier, naturellement ou inconsciemment, en raison des liens financiers, personnels, moraux, professionnels, affectifs, d’affaires, de parenté ou d’amitié, qui les unissent directement ou indirectement.
[…]
[163] Indépendamment de la transparence dont le notaire fait preuve à l’égard des parties ou de sa propension réelle à demeurer impartial, si ses liens sont tels qu’il pourrait être porté à préférer certains d’entre eux et que son jugement ou sa loyauté pourrait être défavorablement affecté, il sera en défaut.
[Références omises]
- Dans une décision rendue dans l’affaire Prévost[95], le conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec déclare le notaire coupable de quatre chefs d’infraction (chefs 3, 4, 5 et 6) pour avoir notamment contrevenu aux articles 29, 29.1 et 30 du Code de déontologie des notaires pour avoir agi à titre de notaire instrumentant dans des actes impliquant une société dans laquelle il a ou avait des intérêts. L’appel de cette décision sur culpabilité et sanction est rejeté par le Tribunal des professions[96].
- Dans une autre décision, soit dans Cardinal c. Chartrand[97], le conseil de discipline de l’Ordre des comptables agréés du Québec s’exprime en ces termes :
[5] Le trésorier d’une municipalité est responsable des deniers de la ville. Il a l’obligation légale d’obtenir les pièces justificatives de tous les paiements qu’il fait et de les déposer dans les archives de la ville. Les paiements de la carte de crédit du maire étaient sous la responsabilité de l’intimée; elle avait l’obligation d’obtenir les pièces justificatives au soutien des paiements de la carte de crédit du maire et de les déposer dans les archives;
[Soulignement ajouté]
- Cette analyse est retenue dans le présent dossier.
- Afin de respecter les obligations prévues par le Code de déontologie des comptables professionnels agréés et la réglementation applicable à l’exercice de ses fonctions de directrice du Service des finances et trésorière, le Conseil juge que l’intimée devait s’assurer d’avoir toutes les pièces justificatives[98].
- Conformément au Code d’éthique et de déontologie des employés de la ville de Chambly[99], l’intimée devait aussi agir avec intégrité et loyauté et éviter tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts.
- Elle devait aussi aviser son supérieur immédiat de toute situation de conflit d’intérêts réelle, potentielle ou apparente[100].
- Par ailleurs, le fait que le Conseil de la Ville ait autorisé par résolution le remboursement des dépenses du maire de la Ville liées à sa carte de crédit, que ces résolutions n’aient jamais été contestées devant les tribunaux ou qu’aucune réserve n’a été inscrite aux états financiers de la Ville à ce sujet ne relève pas l’intimée de ses obligations déontologiques.
- Pour ces motifs, le Conseil conclut que la preuve prépondérante démontre qu’en fréquentant le maire de la Ville comme révélé par la preuve, l’intimée se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.
Décision du Conseil concernant le chef 1 de la plainte
- C‘est à la lumière des principes résumés précédemment que le Conseil doit analyser la preuve administrée par les parties et statuer quant à la responsabilité déontologique de l’intimée concernant le premier chef de la plainte, et ce, en fonction de chacune des dispositions de rattachement invoquées, soit les articles 5, 36.12, 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et de l’article 59.2 C. prof.
- Aux fins de statuer sur le premier chef de la plainte en regard de l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, le Conseil juge qu’en donnant instruction à madame McIntyre de payer la carte de crédit du maire de la Ville sans avoir toutes les pièces justificatives, l’intimée n’agit pas avec dignité et n’a pas évité des méthodes ou des attitudes susceptibles de nuire à la réputation de la profession.
- Sur le chef 1, le Conseil décide que la plaignante s’est déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a présenté une preuve prépondérante pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’intimée sur l’article 5 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
- Après analyse de la même preuve, le Conseil en arrive à la conclusion que l’intimée en raison de sa fréquentation avec le maire de la Ville s’est placée en situation de conflit d’intérêts ou en a donné l’apparence.
- Ainsi, le Conseil décide que la plaignante s’est déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a présenté une preuve prépondérante pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’intimée sous l’article 36.12 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
- Sur le chef 1, l’administration de la preuve démontre aussi de façon prépondérante alors qu’elle se trouvait en situation de conflit d’intérêts ou en donnait l’apparence, l’intimée n’a pas refusé d’agir dans le traitement des demandes de remboursement des dépenses liées à la carte de crédit du maire de la Ville. De surcroît, elle donne instruction à madame McIntyre de ne pas exiger de pièces justificatives du maire de la Ville[101].
- Pour ces motifs, le Conseil décide que la plaignante s’est déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a présenté une preuve prépondérante pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’intimée sous l’article 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
- Selon la même preuve, le Conseil décide aussi que sur le chef 1, la plaignante s’est aussi déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a présenté une preuve prépondérante pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’intimée sous l’article 59.2 C. prof. pour avoir posé un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession.
- Pour le Conseil, le fait pour l’intimée de ne pas exiger du maire de la Ville toutes les pièces justificatives découlant de l’utilisation de sa carte de crédit en donnant instruction à cet effet à madame McIntyre du Service des finances, alors qu’elle fréquente le maire de la Ville et se trouve en situation de conflit d’intérêts constitue un acte portant atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession. L’intimée a donc contrevenu à l’article 59.2 C. prof.
- Sur le chef 1, la plaignante demande au Conseil de retenir comme disposition de rattachement l’article 59.2 C. prof., demande à laquelle le Conseil fait droit.
- En vertu de la règle interdisant les condamnations multiples[102] et sur le chef 1, le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant aux renvois aux articles 5, 36.12 et 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
Chef 2 – Avoir fait défaut, alors qu'elle occupait les postes de directrice du Service des finances, de trésorière et de directrice générale adjointe (incluant la Direction des ressources humaines) de la Ville de Chambly, de révéler à son employeur qu'elle fréquentait le maire de ladite Ville et de prendre quelconque mesure visant à gérer cette situation (Code de déontologie des comptables professionnels agréés, art. 5, 36.12, 36.14 et 37 et C. prof., 59.2)
- Pour le chef 2 de la plainte, le Conseil doit décider de l’acquittement ou de la culpabilité de l’intimée en vertu de chacune des dispositions de rattachement invoquées, soit les articles 5, 36.12, 36.14 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et l’article 59.2 C. prof.
- Concernant le chef 2, plusieurs témoignages sont pris en compte, incluant ceux de Me Michaud, de monsieur Marc Bouthillier, de madame Lucette Robert, du maire de la Ville et de celui de l’intimée.
- Le Conseil doit déterminer si l’intimée, entre le 3 juin 2014 et le 27 février 2019, a omis de révéler à son employeur, la Ville, qu’elle fréquentait le maire de la Ville ni pris aucune mesure visant à gérer cette situation.
- Dans le cadre de son enquête, la plaignante obtient divers documents, notamment les réponses de l’intimée à plusieurs questionnaires, dont ceux des 19 décembre 2022 et 4 février 2023[103].
- Comme mentionné précédemment, la plaignante obtient les notes sténographiques et les enregistrements des audiences des 31 janvier et 9 mars 2020 devant le TAT dans le dossier du congédiement de l’ex-directeur général de la Ville, monsieur Michel Larose[104].
- Le Conseil a déjà décidé que les déclarations de l’intimée faites à cette occasion constituent des aveux, lesquels établissent sa fréquentation avec le maire de la Ville.
- Dans son analyse pour le chef 2 de la plainte, le Conseil ne reprend pas les principes résumés concernant les conflits d’intérêts ni les divers éléments pris en compte (chef 1, paragr. 111) qui lui ont permis de conclure à l’existence d’une fréquentation entre l’intimée et le maire de la Ville et à l’existence d’un conflit d’intérêts ou d’une apparence de conflit d’intérêts.
- Le Conseil souligne que lors des auditions des 31 janvier et 9 mars 2020 où elle témoigne devant le TAT dans le dossier de monsieur Larose, ancien directeur général de la Ville[105], l’intimée déclare qu’elle a fréquenté le maire de la Ville, et ce, depuis son embauche à la Ville il y a sept ou huit ans.
- Elle reconnaît qu’elle n’a pas discuté avec le directeur général Michel Larose de sa fréquentation avec le maire de la Ville et qu’elle n’a pas raison de croire que des mécanismes supplémentaires doivent être mis en place pour éviter toute question de conflit d’intérêts ou de manque d’indépendance. Elle ajoute qu’aucune mesure à cette fin n’a été mise en place.
- Le Conseil souligne que le fait que les anciens directeurs généraux de la Ville étaient informés de la fréquentation de l’intimée avec le maire de la Ville ne la relève pas de s’acquitter de ses obligations déontologiques.
- L’intimée ne peut invoquer l’erreur de fait ou de bonne foi parce que, selon elle, la situation de sa fréquentation avec le maire de la Ville était connue de tous dès 2013 et qu’aucun reproche ne lui a été formulé à cet égard.
- Le même raisonnement s’applique à la défense de l’intimée se basant sur un avis juridique qui aurait été obtenu par le maire de la Ville et non par elle, lequel aurait conclu que la fréquentation de l’intimée avec le maire de la Ville ne contrevenait pas à la loi.
- L’intimée déclare avec force qu’elle n’a jamais eu de conflits d’intérêts professionnels réels ou apparents.
- Selon la preuve, la Ville a adopté le règlement 2012-1258 intitulé Règlement concernant le Code d’éthique et de déontologie des employés de la Ville de Chambly[106].
- L’article 6.1. paragr. 3 de ce règlement est libellé ainsi :
[…]
- L’employé doit éviter les conflits d’intérêts réels, mais également toute situation susceptible de créer un conflit d’intérêts ou une apparence de conflit d’intérêts pouvant ternir sa réputation ou celle de la Ville.
- Par ailleurs, l’article de ce Code d’éthique indique :
7. L’employé, qui croit être placé, directement ou indirectement, dans une situation de conflit d’intérêts réelle, potentielle ou apparente, ou qui est susceptible de contrevenir autrement au présent code d’éthique et de déontologie, doit en aviser son supérieur immédiat.
- Dans la preuve administrée devant le Conseil, il est retenu que madame McIntyre, commis aux comptes payables au Service des finances de la Ville, témoigne qu’à sa connaissance personnelle, aucune mesure n’a été mise en place par l’intimée vu la relation existante entre le maire de la Ville et l’intimée[107].
- La preuve retenue par le Conseil, incluant les aveux extrajudiciaires de l’intimée, établit qu’elle n’a pas informé le directeur général de la Ville ni pris des mesures pour gérer le confit d’intérêts découlant de sa fréquentation avec le maire de la Ville[108].
- En plus de ce qui précède, le Conseil retient de la preuve administrée devant le TAT le 9 mars 2020 que la relation de l’intimée avec le maire de la Ville n’a pas été dénoncée par l’intimée[109].
- Comme c’est le cas pour l’article 36.12, l’article 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés comporte aussi dans son libellé les notions de conflit d’intérêts ou d’apparence d’un tel conflit.
- Sur le chef 2 et suivant la preuve administrée, le Conseil décide que la plaignante s’est déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a présenté une preuve prépondérante pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’intimée sous l’article 36.12 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés pour s’être placée dans une situation où la loyauté envers son client a pu être entachée.
- Selon la même preuve, le Conseil décide que la plaignante s’est aussi déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a présenté une preuve prépondérante pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’intimée sous l’article 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés pour avoir omis de révéler à son employeur (son supérieur immédiat, le directeur général) qu’elle avait une fréquentation avec le maire de la Ville.
- Après analyse de la même preuve, le Conseil décide que la plaignante s’est aussi déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a présenté une preuve prépondérante pour entraîner une déclaration de culpabilité de l’intimée sous l’article 59.2 C. prof. pour avoir posé un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession.
- En effet, refuser d’assumer ses responsabilités et d’exiger des reçus du maire de la Ville pour les dépenses liées à sa carte de crédit alors qu’elle se trouve en conflit d’intérêts constitue aussi un acte portant atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession.
- Sur le chef 2 de la plainte, la plaignante demande au Conseil de retenir comme disposition de rattachement l’article 36.12 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
- Le Conseil fait droit à cette demande.
- En vertu de la règle interdisant les condamnations multiples[110] et sur le chef 2, le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant aux renvois aux articles 5, 36.14 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et à l’article 59.2 C. prof.
Chef 3 - Avoir fourni à la plaignante des renseignements inexacts ou incomplets relativement à la nature de sa relation avec le maire de la Ville (Code de déontologie des comptables professionnels agréés, art. 61 et C. prof., 59.2 et 114).
- Sur le chef 3 de la plainte, le Conseil doit décider de l’acquittement ou de la culpabilité de l’intimée en vertu de chacune des dispositions de rattachement invoquées, soit l’article 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et les articles 59.2 et 114 C. prof.
- Relativement au chef 3 de la plainte, le Conseil doit décider si l’intimée, le 19 décembre 2022, a fourni à la plaignante des renseignements inexacts ou incomplets concernant sa relation avec le maire de la Ville.
- Concernant ce troisième chef de la plainte, plusieurs témoignages sont pris en compte, incluant celui de la plaignante, du ministre Éric Caire, du maire de la Ville et de celui de l’intimée.
- Le 7 décembre 2022, la plaignante interroge l’intimée sur la nature de sa relation avec le maire de la Ville[111].
- Dans le questionnaire du 19 décembre 2022, l’intimée répond à la plaignante qu’elle a une relation d’amitié avec le maire de la Ville. Elle ajoute que les mots fréquentation et amis ne sont pas synonymes. Elle ne comprend pas pourquoi il y aurait une apparence de conflit d’intérêts[112]. Elle nie l’existence de tout conflit d’intérêts et indique qu’aucune mesure n’a été prise.
- Dans son analyse pour le chef 3 de la plainte, le Conseil ne reprend pas les principes résumés concernant les conflits d’intérêts ni les divers éléments pris en compte (chef 1, paragr. 111) qui lui ont permis de conclure à l’existence d’une fréquentation entre l’intimée et le maire de la Ville et à l’existence d’un conflit d’intérêts ou d’une apparence de conflit d’intérêts, contrairement à ce qu’elle déclare dans les questionnaires des 19 décembre 2022 et 4 février 2023 transmis à la plaignante.
- Lors de l’enquête de la plaignante, le 19 décembre 2022, l’intimée répond dans un questionnaire qu’elle remplit « que la relation en est une d’amitié »[113]. L’intimée ajoute qu’en aucun temps, elle n’a été placée dans une situation de conflit d’intérêts.
- Dans un second questionnaire complété par l’intimée le 4 février 2023 portant sur le contenu de son témoignage devant le TAT en janvier et mars 2020 dans le dossier lié à la plainte déposée par monsieur Michel Larose, ancien directeur général, où elle déclare une fréquentation avec le maire de la Ville, celle-ci réitère qu’elle fréquente ce dernier de façon amicale[114].
- L’intimée mentionne qu’elle n’est pas la conjointe du maire de la Ville et qu’elle n’a pas cohabité avec lui. Ainsi, elle estime que sa fréquentation avec le maire de la Ville ne pose aucun problème légal tel qu’il appert de l’opinion juridique obtenue par le maire de la Ville confirmant que sa fréquentation avec lui était légale.
- En premier lieu, le Conseil rappelle les principes applicables en matière d’entrave.
Principes applicables en matière d’entrave
- Dans Marin c. Ingénieurs forestiers[115], le Tribunal des professions rappelle que l’obligation qui incombe au professionnel de remettre les documents demandés par le syndic ou de collaborer à son enquête en est une de résultat.
- Les tribunaux ont d’ailleurs confirmé à plusieurs reprises qu’il est de première importance pour un professionnel de collaborer et de donner suite aux demandes du syndic.
- Les contraventions à cette obligation compromettent le fonctionnement du système disciplinaire, ébranlent la confiance du public et portent ombrage à l’ensemble de la profession.
- Lorsqu’un professionnel n’apporte pas toute sa collaboration au syndic de l’Ordre, c’est le système disciplinaire au complet qu’il met en péril[116]. Le processus disciplinaire repose sur l’entière collaboration du professionnel avec le syndic de son ordre et de ses collaborateurs[117].
- La confiance du public envers la capacité d’un ordre professionnel de veiller à leur protection est minée lorsque cet ordre n’est pas en mesure d’enquêter sur un dossier disciplinaire en raison de la non-collaboration d’un professionnel. En répondant de manière inadéquate et incomplète à la plaignante, l’intimée paralyse son processus d’enquête et transmet au public l’impression que ni le professionnel ni la plaignante ne sont en mesure de le protéger.
- Dans un jugement du Tribunal des professions rendu en 2021 dans Serra[118] l’infraction d’entrave est analysée selon les divers cas de figure et le Tribunal y distingue l’entrave active par rapport à l’entrave passive.
- Dans le dossier à l’étude, le Conseil est en présence d’une entrave active puisque la plainte modifiée reproche à l’intimée de lui avoir transmis des renseignements inexacts ou incomplets ayant entravé l’enquête de la plaignante.
- Selon les conclusions du Tribunal des professions dans Serra[119], cette distinction s’avérera particulièrement importante au moment d’évaluer la sanction devant être imposée selon la nature de l’entrave mise en preuve.
- Le Conseil examine comment cette notion d’entrave a été définie dans diverses décisions.
- Dans la décision rendue dans Gallien[120], le conseil de discipline de l’Ordre des denturologistes du Québec en propose une définition et identifie diverses situations d’entrave, et ce, en ces termes :
[49] La définition du mot « entraver » a été analysée dans la cause Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Renaud qui reprend celles retenues dans Acupuncteurs c. Jondeau où le Tribunal des professions reprend les définitions du dictionnaire pour définir le mot entraver ainsi: « Selon le second sens que lui donnent le Petit Robert ainsi que le Multi Dictionnaire de la langue française, entraver signifie freiner, gêner l’action de, pour l’un, le Petit Robert suggère embarrasser, enrayer, gêner, obstruer, contrarier en guise de mot ayant un grand rapport de sens avec entraver. »
[50] Voici quelques exemples d’entraves :
• La falsification ou reconstitution d’un dossier transmis au syndic sans en faire mention;
• Ne pas donner accès à sa comptabilité;
• Refuser de rencontrer le syndic qui équivaut à un refus de collaborer avec le syndic;
• Fournir de fausses informations au syndic;
• Refus de répondre au syndic;
• Défaut de respecter un engagement de transmettre des renseignements et documents;
• Refus de remettre des dossiers.
[Références omises]
- Par ailleurs, pour déterminer si le professionnel a commis une infraction d’entrave, il faut tenir compte du contexte.
- C’est la conclusion retenue par la Cour supérieure dans Villeneuve c. Tribunal des professions[121] :
[51] La jurisprudence a refusé de condamner pour entrave en diverses occasions. Par exemple, dans l’affaire Villeneuve c. Tribunal des professions, la Cour supérieure maintient la décision du Tribunal des professions qui a acquitté l’intimé d’entrave en s’expliquant comme suit :
[33] Une instance disciplinaire ne peut statuer sur une plainte d’entrave au syndic sans tenir compte du contexte.
[34] L’analyse du contexte porte largement sur l’interaction entre le syndic et le professionnel.
[35] Ce faisant, le Tribunal des professions n’excède pas sa compétence.
[36] Au départ, tant le syndic que le professionnel sont présumés de bonne foi.
[37] Mais l’analyse du contexte peut révéler des indices de mauvaise foi, de malveillance, d’intransigeance, de déraisonnabilité, etc.
[38] Aussi, sans que la bonne foi de quiconque soit mise en doute, l’analyse du contexte peut révéler des quiproquos, des malentendus, des ambiguïtés, etc.
[39] Quand le reproche en est un d’entrave au syndic, l’analyse du contexte ne peut faire abstraction des faits et gestes du syndic. Le droit professionnel ne confère pas à celui-ci une présomption de perfection et d’infaillibilité.
[40] Les propos qui précèdent ne remettent pas en question la jurisprudence bien établie qui interdit à un professionnel visé par une plainte de transformer l’instance disciplinaire en forum pour remettre en question les méthodes d’enquête du syndic. Autrement dit, dans une instance disciplinaire, il n’y a qu’un seul professionnel visé par la plainte, et ce n’est pas le syndic.
[41] Mais, lorsqu’accusé d’entrave au syndic, le professionnel peut faire la preuve d’un contexte démontrant qu’il n’y a pas eu d’entrave vu le comportement du syndic.
[Soulignements ajoutés; Références omises]
- Néanmoins, cette obligation de collaborer est réitérée par le Tribunal des professions comme étant une obligation de résultat dans son jugement rendu dans l’affaire Chené[122] :
[61] Le professionnel doit collaborer et fournir le renseignement ou le document relatif à la vérification ou à l'enquête tenue par le syndic. Les articles 114 et 122 du Code des professions ne prévoient pas de délai.
[…]
[66] Le fait que la visite de la syndique soit imprévue ne vient en aucun cas diminuer l'obligation du professionnel. Ce sont des dossiers complets qu'on a demandés. Il a remis des dossiers incomplets. Et l'un d'eux n'a pas été remis du tout. Il avait une obligation de résultat dont il ne s'est pas déchargé.
[67] L'ensemble du dossier laisse plutôt voir la désinvolture de l'appelant et son comportement constitue une entrave. L'appelant n'a pas pris son obligation au sérieux. Il doit être déclaré coupable.
[Soulignement ajouté]
- En ce qui a trait à la preuve d’intention, dans le jugement Morris c. Médecins (Ordre professionnel des)[123], le Tribunal des professions statue :
[136] L’accusation d’entrave en matière disciplinaire n’exige pas la preuve d’une intention malhonnête ou spécifique. Le syndic n’a pas à prouver la mauvaise foi.
Application du droit aux faits
- Suivant les enseignements du Tribunal des professions et de décisions de divers conseils de discipline, le Conseil examine le contexte prévalant au moment où l’intimée transmet des renseignements à la plaignante dans le cadre du questionnaire daté du 19 décembre 2022.
- À première vue, l’intimée est bien informée du contexte dans lequel les questions lui sont posées par la plaignante concernant sa relation avec le maire de la Ville. Elle peut difficilement invoquer qu’elle n’a pas connaissance dudit contexte lorsqu’elle répond aux questions de la plaignante. Elle répond par écrit à des questions qui lui sont posées dans le cadre de plusieurs questionnaires et elle n’est pas appelée à répondre de façon spontanée.
- Lors de son enquête, la plaignante est informée par divers témoins que l’intimée fréquente le maire de la Ville et qu’elle a une relation avec lui.
- Au moment de son témoignage lors de l’audition de la plainte de l’ex-directeur général Michel Larose devant le TAT[124], l’intimée déclare ce qui suit :
- Lors de l’audition, le 31 janvier 2020, devant le TAT dans le dossier de monsieur Michel Larose, l’intimée reconnaît qu’elle fréquente le maire de la Ville[125];
- Lors de l’audition, le 9 mars 2020, devant le TAT dans le même dossier, l’intimée reconnaît qu’elle a commencé à fréquenter le maire de la Ville à la suite de son embauche par la Ville, soit depuis sept ou huit ans[126];
- Lors de cette même audition, l’intimée déclare qu’elle n’a jamais discuté des impacts de cette fréquentation avec monsieur Michel Larose, ex-directeur général, et qu’elle n’a mis en place aucune mesure pour gérer cette situation[127].
- Près de deux ans plus tard, le 7 décembre 2022, la plaignante interroge l’intimée sur sa relation avec le maire de la Ville[128].
- Dans le questionnaire du 19 décembre 2022, l’intimée déclare qu’elle a une relation d’amitié avec le maire de la Ville. Elle insiste sur le fait que les mots « fréquentation » et « amis » ne sont pas synonymes. L’intimée ajoute qu’elle ne comprend pas pourquoi il y aurait une apparence de conflit d’intérêts[129].
- Appelée à commenter et à concilier sa réponse au questionnaire du 19 décembre 2022 concernant sa relation avec le maire de Ville par rapport à sa déclaration faite les 31 janvier et 9 mars 2020 devant le TAT, elle écrit : « Ma réponse va être brève, car les deux affirmations sont cohérentes. La conciliation est la suivante : je fréquente le maire de façon amicale ».
- Après analyse de la preuve, le Conseil juge qu’il est pour le moins inhabituel de qualifier une relation d’amitié de « fréquentation amicale ».
- L’intimée, s’appuyant sur la définition contenue à un dictionnaire, soutient que le mot « fréquentation » n’implique pas l’existence d’une relation amoureuse.
- Il ne s’agit pas en l’instance pour le Conseil de se prononcer sur la légalité de la fréquentation de l’intimée avec le maire de la Ville ou si cette fréquentation constitue une faute[130].
- De même, ce n’est pas strictement le recours à la définition au dictionnaire[131] du mot « fréquentation » qui doit permettre au Conseil de statuer quant à la responsabilité déontologique de l’intimée ou à s’en remettre à l’interprétation que plusieurs peuvent proposer d’une fréquentation.
- Cette dernière approche est nettement subjective.
- Le Conseil doit s’en remettre aux aveux extrajudiciaires de l’intimée et aux autres éléments de preuve administrés devant lui. Cette trame factuelle a permis au Conseil de conclure que l’intimée a une fréquentation avec le maire de la Ville, et ce, comme elle l’a déclaré lors de son témoignage devant le TAT.
- Ces déclarations faites par l’intimée concernant notamment sa fréquentation avec le maire de la Ville qui sont comprises dans l’Avis de dénonciation d’aveux extrajudiciaires[132] s’avèrent davantage compatibles avec la trame factuelle décrite précédemment.
- D’emblée, le Conseil souligne que, lors de son argumentation, l’intimée reconnaît qu’elle a une fréquentation avec le maire de la Ville[133].
- Pour les motifs énoncés précédemment, le Conseil a décidé que la version de l’intimée n’est pas jugée crédible ou fiable lorsqu’elle a affirmé qu’elle n’a pas fréquenté le maire de la Ville.
- Contrairement à la décision rendue dans l’affaire Cournoyer[134], le Conseil juge que l’intimée n’a pas déployé tous les efforts pour répondre clairement aux demandes de la plaignante.
- La preuve administrée devant le Conseil révèle que la position de l’intimée concernant la qualification de sa relation avec le maire de la Ville a été, pour le moins que l’on puisse dire, évolutive.
- Le Conseil juge que l’intimée n’a pas répondu avec franchise et transparence aux questions de la plaignante.
- Elle a fourni des réponses ambiguës ou différentes concernant sa relation avec le maire de la Ville. Il s’agit de renseignements inexacts ou incomplets concernant sa relation avec le maire de la Ville.
- Ces renseignements inexacts ou incomplets de l’intimée constituent l’une des formes d’entrave reconnues par la jurisprudence, ce qui inclut des réticences ou des tromperies comme définies dans la décision Leblanc[135].
- Le Conseil reprend la preuve administrée afin de déterminer si l’intimée a fourni des renseignements inexacts ou incomplets concernant la nature de sa relation avec le maire de la Ville.
Décision concernant le chef 3
- Vu ce qui précède, dans le cadre du chef 3 de la plainte, le Conseil juge que la preuve prépondérante démontre que, le 19 décembre 2022, l’intimée ne s’est pas assurée de l’exactitude ou de l’intégrité des renseignements fournis à la plaignante de l’Ordre relativement à la nature de sa relation avec le maire de la Ville.
- De ce fait, le Conseil déclare l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés.
- Par ailleurs et suivant la même preuve, le Conseil est d’avis que la preuve prépondérante démontre que, le 19 décembre 2022, l’intimée a fourni à la plaignante des renseignements inexacts ou incomplets en indiquant qu’elle n’était pas en relation avec le maire de la Ville ou n’avait pas une fréquentation avec lui et qu’elle a ainsi entravé l’enquête qu’elle menait concernant sa conduite.
- De ce fait, le Conseil déclare l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 114 C. prof., disposition qui crée l’infraction d’entrave[136].
- Suivant la même preuve, le Conseil considère que fournir des renseignements inexacts ou incomplets à la plaignante dans le cadre de son enquête concernant la nature de sa relation avec le maire de la Ville est un acte dérogatoire qui porte atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession et qui contrevient à l’article 59.2 C. prof.
- Conséquemment et sur le chef 3, le Conseil déclare aussi l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 C. prof.
- Sur le chef 3, la plaignante demande au Conseil de retenir comme disposition de rattachement l’article 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, demande à laquelle le Conseil fait droit.
- En vertu de la règle interdisant les condamnations multiples[137] et sur le chef 3, le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant aux renvois aux articles 59.2 et 114 C. prof.
POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :
SUR LE CHEF 1
- DÉCLARE l’intimée coupable d’avoir contrevenu aux articles 5, 36.12, 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et à l’article 59.2 C. prof.
- ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi aux articles 5, 36.12, 36.14 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés. SUR LE CHEF 2
- DÉCLARE l’intimée coupable d’avoir contrevenu aux articles 5, 36.12, 36.14 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et à l’article 59.2 C. prof.
- ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant aux renvois aux articles 5, 36.14 et 37 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et à l’article 59.2 C. prof.
SUR LE CHEF 3
- DÉCLARE l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 61 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés et aux articles 59.2 et 114 C. prof.
- ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant aux renvois aux articles 59.2 et 114 C. prof.
- ORDONNE à la Secrétaire du Conseil de discipline de convoquer les parties à une audience sur sanction à une date à être fixée par cette dernière.
| ____________________________________ Me GEORGES LEDOUX Président ____________________________________ M. ALAIN CHASSÉ, CPA auditeur Membre ____________________________________ M. JOCELYN PATENAUDE, FCPA, auditeur Membre |
|
Me Alexandre L. Racine et Me Marie-Claude Dagenais |
Avocats de la plaignante |
|
Me Alexandre Cayer |
Avocat de l’intimée |
|
Dates d’audience : | 30 septembre, 1er, 2, 3, 4 octobre 2024, 13, 14 janvier 2025, 10 et 28 avril 2025 |
| | |