Directeur général des élections du Québec c. Depelteau-Paquette | 2025 QCCQ 1316 |
Dépenses électorales - Bénévolat des employés
COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
LOCALITÉ DE MONTRÉAL |
« Chambre criminelle et pénale » |
No : | 500-61-591215-232 |
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DATE : | Le 22 avril 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE MADAME JOHANNE WHITE JUGE DE PAIX MAGISTRAT | |
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Directeur Général des élections du Québec |
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Poursuivant |
c. Marie Depelteau-Paquette |
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Défenderesse |
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JUGEMENT
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CONTEXTE :
- Le Directeur général des élections du Québec (ci-après « DGE ») reproche à madame Marie Depelteau-Paquette d’avoir aidé madame Carole Leroux, agente officielle du parti Projet Montréal-Équipe Valérie Plante, à transmettre un rapport de dépenses électorales incomplet ou qui contenait une mention ou un renseignement faux[1].
- En 2017, madame Depelteau-Paquette occupe le poste de directrice générale du bureau de la permanence du parti Projet Montréal depuis 2015. Elle y supervise et coordonne le travail de quatre employés permanents. 2017 étant une année d’élection pour les villes et municipalités, ces employés permanents ont donc effectué un grand nombre d’heures supplémentaires pendant la période électorale.
- Aux fins du financement des partis politiques et du contrôle des dépenses électorales, en 2017, la période électorale débute le 22 septembre et se termine le jour de élections, soit le 5 novembre. Madame Carole Leroux, en tant qu’agente officielle du parti, a la responsabilité d’engager et d’acquitter les dépenses électorales.
- Toute la problématique du présent dossier découle du traitement des heures supplémentaires effectuées par les employés permanents du bureau de la permanence du parti durant la période électorale, donc du 22 septembre au 5 novembre 2017. Le DGE considère qu’il s’agit de dépenses électorales qui auraient dû être déclarées par madame Leroux dans son rapport électoral. Madame Depelteau-Paquette estime plutôt qu’il s’agit de bénévolat, activité normale pour des employés enthousiastes et engagés d’un parti politique en quête de victoire en année électorale. Conséquemment, elle a fourni à madame Leroux, avec l’assentiment des autorités du parti, des feuilles de temps ne contenant aucune des heures supplémentaires effectuées durant la période électorale ainsi que des déclarations de ces quatre employés, consignées par écrit, y attestant que ces heures supplémentaires étaient en fait du bénévolat . Ces employés ont par la suite bénéficié de reprise de temps.
QUESTIONS EN LITIGE :
- Les heures supplémentaires effectuées en période électorale par les employés permanents d’un parti sont-elles des dépenses électorales ?
- Dans l’affirmative, le poursuivant a-t-il fait la preuve hors de tout doute raisonnable que les heures supplémentaires effectuées par les employés de la permanence de Projet Montréal l’ont été durant la période électorale?
- Peut-on considérer ces heures supplémentaires comme étant du bénévolat?
- Par son acte ou son omission, madame Depelteau-Paquette a-t-elle aidé l’agente officielle Carole Leroux à transmettre un rapport de dépenses électorales incomplet ou qui contenait un renseignement faux ?
- Madame Depelteau-Paquette savait-elle ou aurait-elle dû savoir que son acte ou son omission aurait comme conséquence probable d’aider à la perpétration de l’infraction ?
ANALYSE
- Les heures supplémentaires effectuées en période électorale par des employés permanents d’un parti sont-elles des dépenses électorales ?
- C’est à l’article 451 de la Loi sur les élections et référendums dans les municipalités[2] (ci-après « la LERM ») que l’on retrouve la définition du terme « dépense électorale ». Ainsi, constitue une dépense électorale, le coût de tout bien ou service utilisé en période électorale, notamment pour favoriser l’élection d’un candidat ou celle des candidats d’un parti. L’article 453 (6) de la LERM comporte toutefois une exception. Ainsi, ne sont pas des dépenses électorales les « frais raisonnables ordinairement engagés pour l’administration courante du bureau permanent du parti, dont l’adresse est inscrite au registre du directeur général des élections depuis au moins trois mois avant la publication de l’avis d’élection ».
- Cette exception est interprétée de manière à inclure le salaire normal des employés permanents du parti. Toutefois, selon le DGE, les heures supplémentaires effectuées au cours de la période électorale ne sont pas visées par cette exception et demeurent donc des dépenses électorales puisque ces heures ne sont pas considérées comme « des frais ordinairement engagés pour l’administration courante du bureau permanent du parti » (nos soulignements).
- En défense, on soutient qu’en l’espèce, le salaire normal du personnel permanent du parti est un salaire annuel, et conséquemment, un employé rémunéré sur une base annuelle n’est pas visé par l’article 55 de la Loi sur les normes du travail[3] et n’a pas droit au paiement d’heures supplémentaires. La rémunération basée sur un salaire annuel implique qu’elle ne peut varier durant l’année et qu’elle n’est pas tributaire d’un nombre d’heures travaillées par le salarié. Il convient de souligner ici que les jugements soumis à l’attention du tribunal et portant spécifiquement sur ce point[4] ne traitent aucunement de situations se déroulant en période électorale pour des employés permanents d’un parti.
- On souligne également en défense la différence entre la version française et anglaise de l’article 453(6) de la LERM, et plus particulièrement de l’expression « administration courante du bureau », traduite en anglais par « day-to-day operations of the permanent office », argumentant que cette dernière serait plus fidèle à la situation décrite par le témoignage de madame Depelteau-Paquette. Le Tribunal n’y voit pas de différence ayant une incidence quelconque sur l’interprétation à donner à cet article.
- Par ailleurs, la Loi d’interprétation[5] est claire :
41. Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.
Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
- Compte tenu de ce principe, il faut donc donner à la LERM une interprétation large et libérale qui assure l’accomplissement de son objet. Quel est donc cet objet ?
- Comme le rappelait notre Cour d’appel[6] :
[26] Un des objectifs de la LERM consiste à contrôler les moyens financiers qui peuvent être mis en œuvre dans le cadre d'exercices démocratiques fondamentaux, qu'il s'agisse d'élections ou de référendums. En cela, la LERM entretient un rapport étroit avec la Loi électorale et la Loi sur la consultation populaire. Toutes deux contiennent des dispositions de nature analogue.
[27] La philosophie sous-jacente à ces dispositions postule que la qualité du processus démocratique exige le maintien d'un équilibre de force entre les différents candidats ou les différentes options proposées aux votants. L'objectif visé par les règles de financement lors d'élections s'inscrit donc dans la promotion d'un modèle électoral dit égalitaire.
- Comme le soulignait récemment la Cour du Québec [7]:
[19] Les déclarations au DGE sont liées au contrôle des dépenses des candidats, lequel est important pour l‘égalité des chances des candidats dans une société démocratique, mais aussi pour la transparence et la reddition de compte dans un contexte de financement public d’un pourcentage des dépenses électorales et d’une limite prévue de celles-ci.
- Un parti bénéficiant de plus grands moyens est nettement plus avantagé par rapport à un plus petit parti ou face à un candidat indépendant qui n’aurait pas d’employés permanents. Ces derniers auraient en effet l’obligation de déclarer comme dépenses électorales les salaires payés aux employés temporaires embauchés durant la période électorale. Ainsi, un parti ayant des employés permanents à plein temps, qui travaillent en accomplissant de nombreuses heures supplémentaires en période électorale, sans que ces heures ne soient déclarées, bénéficie clairement d’un avantage indu par rapport aux autres. Conclure autrement entraînerait un déséquilibre des forces entre les options proposées aux électeurs.
- Évidemment, en période électorale, un employé permanent d’un parti politique pourrait certainement effectuer du travail bénévole, mais il doit le faire en dehors du cadre de son travail et sans utiliser les ressources liées à son emploi. Autrement, les heures supplémentaires effectuées en période électorale par les employés d’un parti doivent être déclarées comme dépenses électorales pour éviter un déséquilibre nuisible en démocratie.
2. Dans l’affirmative, le poursuivant a-t-il fait la preuve hors de tout doute raisonnable que les heures supplémentaires effectuées par les employés de la permanence de Projet Montréal l’ont été durant la période électorale?
- Pour répondre à cette question, un rappel de la chronologie des évènements s’avère utile.
- Madame Carole Leroux est l’agente officielle ainsi que la représentante officielle du parti Projet Montréal. Le rôle de l’agent officiel est important et comporte de grandes responsabilités. Ainsi, durant la période électorale, seul l’agent officiel peut faire ou peut autoriser les dépenses électorales. Tout manquement aux prescriptions de la LERM peut entraîner sa responsabilité pénale.
- Dès le début de la campagne électorale, soit le 26 septembre, madame Leroux communique avec monsieur Simon Couture, au bureau du DGE, afin de vérifier si les heures supplémentaires effectuées par les employés de la permanence du parti Projet Montréal pendant la période électorale devaient être considérées comme des dépenses électorales[8]. Elle fait cette vérification à la demande de madame Depelteau-Paquette qui lui pose la question par courriel daté du 26 septembre 2017[9].
- Suite à plusieurs échanges de courriel, monsieur Couture répond, dès le 10 octobre 2017, qu’il fallait qu’une facturation soit faite par à l’agente officielle (madame Leroux), pour que les heures supplémentaires en période électorale, payées ou compensées, soient acquittées à même le fonds électoral[10].
- Entretemps, dans l’attente de la réponse de monsieur Couture, madame Leroux écrivait à madame Depelteau-Paquette afin d’obtenir les feuilles de temps incluant les heures régulières et les heures supplémentaires afin qu’elle puisse faire les paies.[11]
- Le 11 octobre 2017, madame Leroux demande à madame Depelteau-Paquette les informations sur les heures supplémentaires effectuées par les employés, lesquelles devaient, selon elle, être comptabilisées à taux et demi, et inscrites au rapport de dépenses électorales selon le DGE. Madame Depelteau-Paquette lui répond qu’il n’y a pas de problème et qu’elle verrait comment procéder[12].
- Le même jour, madame Leroux transmet un courriel aux dirigeants de Projet Montréal, précisant que même si les heures supplémentaires étaient compensées en temps, elles devaient être facturées à l’agent officiel et être inscrites dans le rapport de dépenses électorales[13].
- Après les élections, le comité exécutif du parti tient une réunion le 14 novembre. Au procès-verbal de cette rencontre,[14] on retrouve la mention suivante : « on souligne qu’il faudra également réfléchir à ce que l’on fait avec les vacances cumulées et les heures supplémentaires cumulées pendant les élections ». Monsieur Robert Prévost, alors trésorier du comité exécutif du parti, demande un tableau répertoriant l’ensemble des données[15].
- Madame Leroux explique qu’après les élections, le parti éprouvait des problèmes de liquidités, et ce, bien que le plafond des dépenses électorales ne fût pas encore atteint. On avait donc encore la possibilité de faire des dépenses mais on manquait de liquidités pour pouvoir les faire.
- Le 1er décembre, madame Leroux s’informe auprès du DGE concernant les heures supplémentaires. Elle veut vérifier si les heures supplémentaires doivent être payées dans les 60 jours des élections pour pouvoir obtenir un remboursement des dépenses électorales. Le 5 décembre 2017, monsieur Couture, au service du DGE, lui répond que l’agent officiel doit recevoir les factures dans les 60 jours suivant le scrutin et qu’elles doivent être payées avant le dépôt du rapport électoral, lequel doit être déposé 90 jours après les élections.[16]
- Le 3 décembre, madame Valérie Plante écrit à madame Depelteau-Paquette et l’informe qu’elle avait mis un arrêt sur les chèques de remboursement d’heures supplémentaires des employés de la permanence au motif que cette mesure n’avait jamais été discutée et qu’il s’agissait d’une question de bonne gouvernance et d’équité envers tous les employés.[17] Celle-ci lui répond qu’elle n’avait jamais eu l’intention de payer ces heures. Elle explique que madame Leroux avait demandé à connaître le nombre d’heures supplémentaires puisqu’elle soutient qu’il s’agit de dépenses électorales. Madame Depelteau-Paquette précise que madame Leroux et elle se sont entendues pour ne pas avoir à payer ces heures en argent et ajoute que cette situation devait faire partie d’une discussion au comité exécutif.
- Dans un courriel daté du 6 décembre[18] et adressé à plusieurs personnes, madame Leroux explique que les heures supplémentaires devaient être payées avant le dépôt du rapport de dépenses électorales. Madame Depelteau-Paquette lui demande s’il y avait moyen de ne pas payer ces heures sans contrevenir à la Loi.
- Le 12 décembre 2017, lors d’une rencontre du comité exécutif, on discute le sujet du temps supplémentaire en élections. Le procès-verbal de cette rencontre mentionne au point 5.2 qu’on ne prévoyait pas compter ces heures.[19] Par contre, madame Leroux a spécifiquement demandé, pour une question de légalité, de les calculer dans le budget électoral. Une partie de la discussion s’est tenue à huis clos, en l’absence de madame Leroux. Cette discussion se conclut par l’adoption, à l’unanimité, de la résolution CE 121217-05[20], par laquelle monsieur Prévost propose que les employés reconnaissent avoir fait du travail bénévole pendant la campagne électorale et qu’ils ne perçoivent pas de salaires pour les heures supplémentaires accumulées.
- Deux des témoins entendus affirment qu’il s’agissait de la solution proposée par madame Depelteau-Paquette. Quoiqu’il en soit, madame Leroux n’était évidemment pas d’accord avec cette résolution. Dès le lendemain, soir le 13 décembre 2017, elle écrit à plusieurs personnes, dont madame Depelteau-Paquette et madame Valérie Plante, pour leur souligner qu’en vertu de la Loi sur les normes du travail, un employeur ne peut conclure une entente avec un salarié afin de se soustraire à l’obligation de payer des heures supplémentaires[21].
- Monsieur Robert Prévost témoigne que le 14 décembre, une réunion est tenue au bureau de Valérie Plante, réunion à laquelle participent Madame Depelteau-Paquette et monsieur Cloutier, mais non madame Leroux. La recommandation prise par le comité exécutif le 12 décembre est entérinée par madame Plante, puisque selon monsieur Prévost, cela correspondait à la volonté de cette dernière que le temps supplémentaire ne soit pas payé aux employés.
- Le 15 décembre, les quatre employés permanents signent un document se lisant ainsi : « Je, soussigné, [prénom et nom] affirme avoir effectué du bénévolat pour Projet Montréal en dehors de mes heures régulières de travail lors de la dernière campagne électorale. Je n’y ai été ni forcé, ni obligé et l’ai fait de bonne foi. Je ne réclamerai donc pas, ni en temps ni en argent, des sommes liées à ces heures de bénévolat. »[22]
- Par courriel le 10 janvier 2018, madame Leroux demande à madame Depelteau-Paquette si le comité exécutif a pris une décision concernant les heures supplémentaires. Celle-ci lui répond le lendemain que « comme exposé en décembre, les employés ont signé une décharge concernant leurs heures supplémentaires en campagne électorale; ils considèrent que ces heures sont du bénévolat ».[23]
- Madame Leroux insatisfaite de cette solution, demande une rencontre au bureau de madame Plante. Le rapport de dépenses électorales doit être remis le 5 février. Une rencontre est fixée au 26 janvier 2018.
- Madame Depelteau-Paquette quitte le 20 janvier 2018 pour un congé de maternité, mais rencontre sa remplaçante pour lui expliquer le fonctionnement du bureau de la permanence. Elle la met en garde contre madame Leroux et lui explique que les heures reprises par les quatre employés doivent l’être en cachette de cette dernière.
- Le 26 janvier 2018 se tient la réunion au bureau de madame Plante pour discuter du traitement des heures supplémentaires en campagne. Madame Leroux précise que cette rencontre dure cinq minutes. Outre cette dernière, sont présents monsieur Zoubris, monsieur Cloutier, madame Gagnon, madame Lopez. Madame Depelteau-Paquette y participe par téléphone puisqu’elle est en congé de maternité. Madame Plante l’appelle et lui dit de « régler çà ». La journée même, madame Depelteau-Paquette transmet à madame Leroux les feuilles de temps « finales et approuvées pour 2017 ».[24]
- Il est clair que les employés permanents du parti Projet Montréal ont effectué des heures supplémentaires durant la campagne. Le document, que madame Depelteau-Paquette nomme « décharge », et qu’ils ont tous signé en est la preuve. Sinon, pourquoi ce document serait-il nécessaire si les heures supplémentaires découlent du travail effectué avant ou après la période électorale ? En outre, s’il n’y a pas eu d’heures supplémentaires effectuées par les employés permanents du parti, pourquoi avoir amené ce sujet au comité exécutif et surtout, pourquoi ce dernier a-t-il adopté une résolution ayant pour effet de transformer le travail en bénévolat ?
- Les témoignages entendus, tant de la part de ces employés que par celui de madame Depelteau-Paquette démontrent hors de tout doute raisonnable que les heures supplémentaires effectuées durant la campagne électorale n’avaient qu’un seul but, faire fonctionner « la machine de guerre », pour reprendre l’expression employée par la défenderesse. Or, cette « machine de guerre » est déployée en période électorale pour gagner les élections. On s’éloigne considérablement de « l’administration courante du bureau » ou du « day-to-day operations » mentionné au paragraphe 453(6) de la LERM, puisqu’en dehors de la période électorale, l’administration courante du bureau ne requiert pas de faire fonctionner une machine de guerre. Le DGE a donc prouvé, hors de tout doute raisonnable, que les heures supplémentaires effectuées par les employés de la permanence du parti l’ont été durant la période électorale.
3. Peut-on considérer ces heures supplémentaires comme étant du bénévolat?
- Dans l’éventualité où le Tribunal se trompe dans sa réponse à la première question, il lui faut tout de même déterminer si, en l’espèce, les heures supplémentaires travaillées par les employés de la permanence du parti Projet Montréal peuvent être considérées comme étant du travail bénévole.
- En défense, on argumente en effet que ces heures supplémentaires effectuées en période électorale ne peuvent être des dépenses électorales puisqu’elles sont faites bénévolement. On soutient que la nature même d’un parti politique implique la mobilisation de nombreux bénévoles, de même que la nécessité que les employés, surtout en campagne électorale, fassent également du bénévolat car ceux-ci sont avant tout des militants.
- Deux articles de la LERM réfèrent au travail bénévole :
428. Ne sont pas des contributions :
1° le travail bénévole effectué personnellement et volontairement et le fruit de ce travail, sans compensation ni contrepartie;(soulignements ajoutés)
461. Nul ne peut, pour un bien ou un service dont tout ou partie du coût constitue une dépense électorale, réclamer ou accepter un prix différent du prix ordinaire pour un tel bien ou service fourni en dehors de la période électorale, ni y renoncer.
Le premier alinéa n’empêche pas une personne d’effectuer un travail visé au paragraphe 1° de l’article 428.
- Les conditions de travail inscrites dans la ‘Politique des conditions de travail de Projet Montréal’[25] prévoyaient à l’époque ce qui suit :
8.1 Horaire normal de travail
Selon les clauses indiquées au contrat individuel de la personne employée sur une base régulière, la semaine normale de travail à temps plein est de 35 heures, du lundi au vendredi. La prestation de travail doit être répartie entre 8 h 00 et 18 h 00.
8.2 Flexibilité de l’horaire et horaire normal de travail
Nonobstant la clause 8.1, l’horaire de travail est réputé flexible sur la base du nombre d’heures prévues dans le contrat individuel de la personne salariée.
Tout travail fait en surplus de la semaine normale de travail (calculé sur une base hebdomadaire) ou en dehors de l’horaire normal de travail et approuvé par la direction générale est considéré comme des heures supplémentaires. Aucune heure de travail supplémentaire n’est rémunérée. Après entente avec le gestionnaire, la personne salariée a le droit de reprendre le temps de travail supplémentaire accumulé et
approuvé. Un employé ne peut accumuler plus de 35 heures ou l’équivalent d’une semaine de travail sans l’approbation de la direction générale. (nos soulignements)
- Les feuilles de temps déposées en preuve démontrent que durant la période électorale, les employés de la permanence du parti ont consigné leurs heures supplémentaires. L’examen de ces feuilles de temps révèle une augmentation substantielle des heures supplémentaires cumulées en période électorale. À plusieurs endroits, les commentaires inscrits démontrent que ces heures supplémentaires ont un lien avec la campagne électorale[26]. Est-ce qu’il y a eu des heures supplémentaires effectuées avant la période électorale ? Probablement, puisqu’il s’agissait d’une année électorale. Toutefois, comme le démontrent les feuilles de temps en dehors de la période électorale, le nombre d’heures cumulées y est moindre et les tâches qui y sont décrites sont différentes[27].
- La période électorale bénéficie d’un traitement particulier dans la LERM. Comme le précise la Loi, le travail bénévole doit être effectué sans compensation ni contrepartie. Un employé ne peut donc pas être rémunéré ni compensé pour ce travail bénévole. Or, la remise de temps est clairement une compensation.
- Madame Marie-Dominique Giguère, engagée comme directrice générale du bureau de la permanence en remplacement de madame Depelteau-Paquette, témoigne qu’à son arrivée en poste, les consignes qui lui sont données par cette dernière étaient que les employés devaient prendre leurs congés en temps compensé pour le temps effectué pendant la campagne électorale en cachette de madame Carole Leroux.
- Or, seules les heures supplémentaires effectuées durant la période électorale doivent être déclarées par l’agent officiel. Pourquoi avoir voulu cacher à madame Leroux les heures reprises par les employés s’ils ne s’agissaient pas d’heures effectuées durant la période électorale ?
- En raison du trop grand nombre d’heures supplémentaires accumulées, madame Giguère explique qu’il lui était impossible de remettre en temps aux employés permanents l’entièreté de ces heures. Une entente avec chacun d’entre eux a été prise, leur permettant de reprendre entre une et trois semaines selon le cas. Son témoignage, crédible et surtout désintéressé, démontre sans l’ombre d’un doute que des heures supplémentaires cumulées durant la période électorale ont été compensées, du moins, en partie[28]. Le nombre exact importe peu. Il y en a eu, et elles n’ont pas été déclarées[29]. On ne peut donc conclure que les heures supplémentaires effectuées pendant la période électorale par les employés sont du bénévolat.
- En défense, on soutient que les heures reprises par les quatre employés sont des heures de travail effectuées avant et après la période électorale. Ce n’est pas ce que le Tribunal retient de la preuve. Par ailleurs, s’ils invoquent que ces heures sont travaillées à l’extérieur de la période électorale, ils leur appartenaient de le démontrer par prépondérance de preuve, tel que le prévoit l’article 64 du Code de procédure pénale, ce qu’ils n’ont pas fait[30] :
64. Le poursuivant n’est pas tenu d’alléguer dans le constat d’infraction que le défendeur ne bénéficie à l’égard d’une infraction d’aucune exception, exemption, excuse ou justification prévue par la loi. Il incombe au défendeur d’établir qu’il bénéficie d’une exception, d’une exemption, d’une excuse ou d’une justification prévue par la loi.
4. Madame Depelteau-Paquette, par son acte ou son omission, a-t-elle aidé l’agente officielle Carole Leroux à transmettre un rapport de dépenses électorales incomplet ou qui contenait un renseignement faux ?
- Il ressort de la preuve que madame Leroux a réclamée à plusieurs reprises, tant par courriel qu’en personne, qu’on lui remette le cumul réel des heures supplémentaires effectuées par les employés de la permanence afin de pouvoir compléter le rapport de dépenses électorales. En dernier lieu, ce que madame Depelteau-Paquette a remis à madame Leroux, ce sont des feuilles de temps ne contenaient aucun temps supplémentaire. Celle-ci, en tant qu’agente officielle du parti devant soumettre le rapport de dépenses électorales ne pouvait deviner ce qu’elle devait ajouter car elle ne disposait pas de toute l’information.
- Or, l’article 637 de la LERM se lit ainsi :
637. Toute personne qui, par son acte ou son omission, en aide une autre à commettre une infraction est coupable de cette infraction comme si elle l’avait commise elle-même, si elle savait ou aurait dû savoir que son acte ou son omission aurait comme conséquence probable d’aider à la perpétration de l’infraction.
Toute personne qui incite ou en amène une autre à commettre une infraction est coupable de cette infraction comme si elle l’avait commise elle-même ainsi que de toute autre infraction que l’autre commet en conséquence des encouragements, des conseils ou des ordres, si elle savait ou aurait dû savoir que ceux-ci auraient comme conséquence probable la perpétration de ces infractions.
Ne constitue pas une défense le fait qu’aucun moyen ou mode de réalisation n’ait été proposé pour la perpétration de l’infraction ou que cette dernière ait été commise d’une manière différente de celle proposée.
- La notion « d’aide » au sens de cet article n’est pas définie dans la LERM. La Cour supérieure[31], analysant l’article 566 de la Loi électorale[32], lequel reprend les mêmes termes que l’article 637 de la LERM détermine qu’il s’agit d’une infraction secondaire par mode de participation.
- À maintes reprises, madame Leroux lui a fait part de l’obligation d’inclure ces heures dans le rapport de dépenses électoral. Cette dernière a de plus sollicité et obtenu une opinion juridique sur cette question, dont elle a elle-même défrayé le coût, pour s’assurer de ne pas commettre d’erreur. Au cours de son témoignage, madame Depelteau-Paquette a mentionné que « la transparence avec Carole ce n’était pas la bonne façon ». Et bien qu’elle affirme « se fier beaucoup sur Carole pour la loi », elle lui remet des feuilles de temps ne contenant aucune heure supplémentaire pour la confection du rapport de dépenses électoral malgré le fait que celle-ci lui ait dit que la loi exigeait qu’elles soient déclarées suite à ses vérifications auprès du DGE.
- Madame Leroux savait qu’il y avait des heures supplémentaires effectuées par les employés, elle voulait qu’elles soient payées ou compensées, mais surtout qu’elles soient déclarées dans le rapport des dépenses électorales. Elle a tenté de convaincre les autorités du parti et madame Depelteau-Paquette de l’importance qu’elles soient déclarées, en vain. Cette dernière lui remet des feuilles de temps sans heures supplémentaires.
- Dans le courriel du 9 janvier 2018, un peu moins d’un mois avant la date limite pour la remise du rapport de dépenses électoral, madame Leroux s’enquiert auprès de madame Depelteau-Paquette de la décision du comité exécutif concernant les heures supplémentaires en période électorale. Tel que mentionné plus haut, le lendemain madame Depelteau-Paquette lui répond : « comme exposé en décembre, les employés ont signé une décharge concernant leurs heures supplémentaires en campagne électorale; ils considèrent que ces heures sont du bénévolat[33]. »
- La preuve révèle que madame Delphine Vincent, une des quatre employés en 2017, tenait à la demande de madame Depelteau-Paquette une double comptabilisation des heures effectuées les employés de la permanence[34]. Le témoignage de Madame Marie-Dominique Giguère est sans équivoque : les consignes qui lui sont données à son arrivée en poste par madame Depelteau-Paquette étaient que les employés devaient prendre leurs congés en temps compensé pour les heures supplémentaires effectuées pendant la campagne électorale en cachette de madame Leroux. Ils le faisaient généralement les jeudi et vendredi alors que cette dernière n’était pas au travail. Pourquoi a-t-elle donné cette consigne si les heures prises en congé par les employés n’étaient pas des heures supplémentaires travaillées en période électorale ?
- À la lumière des témoignages entendus, il est clair qu’en remettant à madame Leroux pour la confection du rapport de dépenses électorales des feuilles de temps ne contenant aucune des heures supplémentaires effectuées par les employés, madame Depelteau-Paquette a aidé madame Leroux à remettre un rapport de dépenses électorales incomplet et/ou faux.
5. Est-ce que madame Depelteau-Paquette savait ou aurait dû savoir que son acte ou son omission aurait comme conséquence probable d’aider à la perpétration de l’infraction ?
- Pour que madame Depelteau-Paquette soit déclarée coupable, il faut non seulement que le DGE fasse la preuve que son acte ou omission aide à la perpétration de l’infraction, mais il doit également établir hors de tout doute raisonnable qu’elle savait ou aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence d’aider madame Leroux à remettre un rapport de dépenses électorales incomplet.
- Comme le mentionne la Cour supérieure[35], le DGE n’a pas à prouver que madame Depelteau-Paquette avait spécifiquement l’intention d’aider l’agente officielle du parti, à commettre une infraction, en l’occurrence, soit celle de remettre un rapport de dépenses électorales incomplet :
[59] En effet, comment pourrait-on, d’une part, exiger une preuve que le défendeur avait l’intention spécifique d’aider une personne morale à contrevenir à la loi et, d’autre part, respecter le texte selon lequel un défendeur peut être reconnu coupable si on conclut qu’il aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider une personne à contrevenir à la loi.
[60] Le seuil minimal de la responsabilité pénale s’applique donc ici quant à la preuve de l’état d’esprit blâmable et ce seuil se mesure par rapport à la personne raisonnable. Le fait qu’il s’agisse ici d’une infraction de manœuvre électorale frauduleuse ne rehausse pas, à lui seul, ce seuil minimal requis.
[61] On ne peut non plus conclure que la sévérité des sanctions prévues à l’article 568 de la Loi électorale (notamment la perte du droit de se livrer à un travail de nature partisane, de voter et d’être candidat à une élection pour une période de 5 ans) justifierait de rehausser le niveau requis quant à la preuve de l’état d’esprit blâmable. La preuve d’une prévisibilité objective suffit.
- Le témoignage de madame Depelteau-Paquette démontre son expérience du monde politique, tant par ses études que par ses expériences de travail. Elle explique lors de son témoignage qu’elle a été embauchée au bureau de la permanence du parti Projet Montréal pour le « professionnaliser ». Pourtant, elle a mentionné ne faire aucune différence entre les heures supplémentaires faites durant la période électorale et celle faite à l’extérieur de cette période. Compte tenu de son expérience et de sa formation, elle aurait dû comprendre à quel point il est fondamental pour un parti politique de respecter les principes d’équité qui se traduisent par un contrôle des dépenses électorales dans la LERM.
- Elle reçoit à plusieurs reprises des informations de la part de madame Leroux au sujet des heures supplémentaires en période électorale, et est mise au courant que le DGE considère que celles effectuées par les employés permanents durant la campagne doivent être déclarées dans le rapport de dépense électorale. Au procès, elle prétend que Carole Leroux mélangeait un peu toutes les lois et soutient qu’elle n’a aucun souvenir que cette dernière lui ai dit « qu’on contrevenait à la Loi électorale » en ne déclarant pas les heures supplémentaires effectuées durant la période électorale. Son témoignage sur ce dernier point est tout à fait invraisemblable, compte tenu des courriels déposés en preuve, notamment, celui du 3 décembre[36] dans lequel elle explique à madame Plante que madame Leroux a demandé à connaître le nombre d’heures supplémentaires puisqu’elle soutient qu’il s’agit de dépenses électorales et du fait qu’elle donne comme consigne à sa remplaçante de faire en sorte que le temps compensé soit repris en cachette de madame Leroux.
- Faut-il répéter que l’agent officiel n'est concerné que par les dépenses effectuées en période électorale, incluant les heures supplémentaires travaillées, mais aucunement par celles faites en dehors de la période électorale ? Même si madame Leroux portait aussi le chapeau de représentante officielle, les heures reprises en dehors de la période électorale ne la concernait pas puisque ces heures étaient reprises en temps et ne requéraient pas qu’elle en tienne compte au niveau budgétaire. D’ailleurs, il n’a jamais été question lors du procès que celle-ci, qui occupait ses fonctions auprès du parti depuis plusieurs années, ait demandé un compte rendu des heures supplémentaires effectuées en dehors de la période électorale.
- Il ressort de la preuve qu’il régnait une certaine animosité entre la directrice générale du bureau de la permanence et l’agente officielle du parti[37]. Madame Depelteau-Paquette la décrit comme « simple comptable » alors que madame Leroux est agente officielle et représentante officielle du parti, avec les responsabilités légales que cela impose, et ce, depuis plusieurs années. Il est étonnant qu’une personne ayant l’expérience et la formation de madame Depelteau-Paquette ne comprenne pas les exigences du rôle de l’agent officiel en période électorale. Devant des informations qu’elle estime contradictoires, une directrice générale diligente aurait minimalement pris la peine de creuser le sujet, soit en faisant ses propres démarches auprès du DGE ou d’un juriste.
- En défense, on argumente que madame Depelteau-Paquette était en congé de maternité à la date reprochée de l’infraction, soit le 5 février 2028 et qu’en conséquence, elle ne pouvait savoir ce qui était écrit dans le rapport de dépenses électorales. La date du 5 février 2018 est retenue par le poursuivant parce qu’il s’agit de la date butoir pour le dépôt du rapport de dépenses électorales, soit 90 jours après les élections. Jusqu’à cette date, il aurait été possible d’inclure les heures supplémentaires effectuées pendant la période électorale si madame Depelteau-Paquette avait transmis l’information à l’agent officiel du parti, madame Leroux.
- Elle soutient avoir agi selon la décision de ses supérieurs, c’est-à-dire le conseil de direction du parti. Pourtant, si elle avait soutenu la position de l’agente officielle devant le comité exécutif, il leur aurait été plus difficile de justifier la résolution du 12 décembre 2017 au sujet du bénévolat. Or la preuve révèle qu’à la rencontre du 12 décembre 2017 deux positions sont présentées : celle de madame Leroux et celle de madame Depelteau-Paquette. Celle-ci suggère que les heures supplémentaires soient reconnues par les employés comme du travail bénévole. Comme elle n’est pas membre du comité exécutif, c’est monsieur Robert Prévost qui a proposé cette résolution pour adoption, laquelle fut adoptée. Par contre, il est important de souligner que dans l’optique du comité exécutif, du moins selon le témoignage de monsieur Prévost, les employés ne percevraient aucune compensation, que ce soit en salaire ou en temps compensés. Les dirigeants se sont donc fiés sur elle et ignoraient que le temps supplémentaire serait ensuite compensé par la défenderesse.
- Est-ce que d’autres personnes impliquées dans ce parti auraient pu faire l’objet de constat d’infraction en raison de leurs décisions ? Possiblement, car plusieurs personnes, exerçant un rôle important au sein du parti Projet Montréal - Équipe Valérie Plante, ont fait bien peu de cas des demandes de leur agent officiel, démontrant ainsi soit une ignorance flagrante de la Loi, soit un aveuglement volontaire. Mais, le Tribunal n’est saisi que du dossier de madame Depelteau-Paquette laquelle ne peut esquiver sa responsabilité pénale en invoquant avoir obéi à ses patrons. Cela deviendrait une excuse trop facile pour tout employé ou cadre, et un lien d’emploi ne peut légitimiser une action illégale.
- Le Tribunal en vient donc à la conclusion qu’en raison de sa formation, de son expérience politique, et des consignes données à sa remplaçante, madame Depelteau-Paquette savait ou aurait dû savoir qu’en remettant à l’agente officielle des feuilles de temps sans les heures supplémentaires effectuées par les employés de la permanence du parti Projet Montréal durant la période électorale, cela aurait comme conséquence probable d’aider madame Leroux à remettre un rapport de dépenses électorales incomplet.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
DÉCLARE la défenderesse coupable de l’infraction reprochée;
FIXE au 13 mai 2025 à 14:00, salle 6.08, les représentations conformément à l’article 224 du Code de procédure pénale. Si les parties n’ont aucune représentation à faire au sujet du montant de l’amende suggérée, du délai accordé pour le paiement de cette amende, ou quant aux frais, elles sont dispensées d’être présentes. Dans ce cas, les frais seront imposés, et le délai accordé pour payer l’amende minimale de 5000,00$ sera de trois (3) mois.
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| _____________________________ JOHANNE WHITE Juge de paix magistrat |
Me Pascal Defoy Me Laurie Mongrain Pour le Directeur général des élections du Québec Me Guillaume Pelegrin Me Marilou Simard Fasken Martineau Dumoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. Pour la défenderesse, madame Marie Depelteau-Paquette Dates d’audience : | 17,18,19 et 20 mars 2025 |
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