Décision

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Association of McGill Professors of Law (AMPL) / Association McGillienne des professeur.e.s de droit (AMPD) c. Boulet (Ministre du Travail)

2024 QCCS 3029

COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

NO :

 

500-17-130955-241

 

 

DATE :

16 août 2024

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

 

L’HONORABLE

 

PASCALE NOLIN, J.C.S.

ASSOCIATION OF MCGILL PROFESSORS OF LAW (AMPL)

ASSOCIATION MCGILLIENNE DES PROFESSEUR.E.S. DE DROIT (AMPD)

Demanderesse

c.

JEAN BOULET EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DU TRAVAIL

Défenderesse

et

UNIVERSITÉ MCGILL

Mise en cause

_____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Demande d’ordonnance de sursis) _____________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]          Le Tribunal doit trancher la demande de Association of McGill professors of law (AMPL)/Association Mcgillienne des professeur.e.s de droit (AMPD) (lAssociation) de prononcer le sursis de la décision du défendeur Jean Boulet, en sa qualité de ministre du Travail, de déférer à l’arbitrage le différend qui oppose l’Association et la mise en cause, l’Université McGill (McGill) dans le cadre de la négociation d’une première convention collective[1].

[2]               Cette demande de sursis est accessoire à un pourvoi en contrôle judiciaire qui demande l’annulation de la décision du ministre du Travail.

LE CONTEXTE

[3]               En novembre 2022, à la suite d’une décision rendue par le Tribunal administratif du travail[2] l’Association est accréditée pour représenter «Tous les professeurs.e.s à temps plein de la faculté de droit de l’Université McGill».

[4]               McGill a déposé une demande en contrôle judiciaire recherchant l’annulation de la décision d’accréditation, ce pourvoi devant être entendu les 18 et 19 décembre 2024[3].

[5]               À la suite de l’accréditation de l’Association, la négociation de la première convention collective ente l’Association et McGill débute.

[6]               En mars 2023, après quatre séances de négociations, un conciliateur est nommé à la demande de l’Association[4]. Depuis, 19 séances de conciliation auraient eu lieu, dont la dernière le 7 juin 2024.

[7]               Le 13 juin 2024, McGill, considérant la conciliation infructueuse, demande au Ministère du Travail que le dossier soit référé à un arbitre de différend[5].

[8]               Le 19 juin 2024, le conciliateur convoque les parties à une rencontre de conciliation extraordinaire.

[9]               Le 19 juillet 2024, malgré la contestation de l’Association formulée au conciliateur au dossier[6], le ministre du Travail défère à l’arbitrage le différend qui oppose McGill et l’Association[7]. Cette décision est datée du 19 juillet 2024, mais transmise à l’Association le 24 juillet 2024.

[10]           Le 6 août 2024, l’Association dépose une demande en contrôle judiciaire afin que la décision du ministre du Travail soit annulée[8].

[11]           L’Association demande aujourd’hui au Tribunal d’ordonner le sursis de la décision du ministre du Travail jusqu’à ce qu’il se prononce sur sa demande en contrôle judiciaire. Cette demande de sursis est rejetée, voici pourquoi.

l’ANALYSE

1.        Le Tribunal doit-il ordonner le sursis de l’exécution de la décision rendue par le ministre du Travail jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande de pourvoi en contrôle judiciaire de l’Association?

1.1 Les critères d’octroi d’un sursis

[12]           Dans AAA Canada Inc. c. Tribunal administratif du travail[9], les critères d’octroi d’un sursis sont ainsi décrits :

[13]      Une demande de pourvoi en contrôle judiciaire n’opère pas sursis de l’acte contesté, à moins que le Tribunal n’en décide autrement.

[14]      Les critères d’octroi d’un sursis sont bien connus : l’apparence de droit, le préjudice sérieux ou irréparable et la prépondérance des inconvénients. Ces facteurs doivent s’apprécier les uns par rapport aux autres.

[15]      Il est aussi utile de rappeler que :

15.1.       Le sursis constitue une mesure exceptionnelle.

15.2.       Le sursis relève de la discrétion judiciaire.

15.3.       Il appartient à la partie qui demande le sursis de convaincre le Tribunal que les critères d’octroi sont satisfaits.

15.4.       Le jugement qui dispose d’une telle demande ne répond qu’à la question de savoir si un sursis doit être émis en application des critères ci-dessus. Il ne se prononce pas sur le fond du débat.

[Notes omises]

[13]           La jurisprudence enseigne également que plus le droit est clair, moins les critères du préjudice irréparable et de la balance des inconvénients sont importants et à l’inverse, moins le droit est clair, plus les deux autres critères seront importants à analyser[10].

[14]           Le Tribunal rappelle que bien qu’il se livre à l’analyse de chacun des critères d’octroi d’un sursis, il ne décide aucunement du pourvoi en contrôle judiciaire puisque c’est le juge qui en sera saisi au mérite qui en disposera.

1.2 L’application des critères d’octroi d’un sursis

1.2.1 L’apparence de droit

[15]           Afin de trancher le critère de l’apparence de droit, le Tribunal doit procéder à un examen limité du fond de l’affaire afin de s’assurer que la demande n’est ni futile, ni vexatoire. Si le Tribunal conclut que la demande n’est ni futile ni vexatoire, il conclura à cette étape qu’il existe une apparence de droit.

[16]           La décision du ministre du Travail, Jean Boulet, tient sur une page et se lit ainsi[11] :

Monsieur,

Après étude de votre demande en vertu de l’article 93.1 du Code du travail relative au différend qui oppose les parties en cause, dans le cadre de la négociation d’une première convention collective, je vous avise de ma décision de déférer ce différend à l’arbitrage :

Université McGill

et

Association of McGill Professors of Law (AMPL)

Association mcgilienne des professeur.e.s de droit (AMPD)

Accréditation : AC-3000-1683

Comme le prévoit l’article 77 du Code du travail, les parties ont dix (10) jours à compter de la réception du présent avis pour se consulter sur le choix d’une personne pour agir à titre d’arbitre dans ce dossier. Dans l’éventualité d’une entente à l’intérieur de ce délai, le ministre du Travail nommera la personne de leur choix.

Si à l’expiration de ce délai de dix (10) jours, les parties n’ont pas réussi à s’entendre, le ministre se verra dans l’obligation de nommer une telle personne d’office.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

La sous-ministre, par intérim

Caroline Clark,

Isabelle Merizzi

[17]           L’article 93.1 du Code du travail (CT) prévoit :

93.1 Dans le cas de la négociation d’une première convention collective pour le groupe de salariés visé par l’accréditation, une partie peut demander au ministre de soumettre le différend à un arbitre après que l’intervention du conciliateur se sera avérée infructueuse.

93.1 Where a first collective agreement is negotiated for the group of employees contemplated by the certification, a party may apply to the Minister to submit the dispute to an arbitrator after the intervention of the conciliator has not been successful.

 

[18]           L’Association soulève que la décision du ministre de déférer à l’arbitrage le différend qui l’oppose à McGill est déraisonnable pour deux raisons qui peuvent se résumer ainsi :

1)      La décision n’est pas motivée et l’Association ne comprend pas le cheminement emprunté par le ministre pour conclure que la négociation doit désormais se poursuivre devant un arbitre plutôt que devant le conciliateur.

2)      L’une des conditions pour soumettre le différend à un arbitre n’est pas satisfaite à savoir que la conciliation ne pouvait être qualifiée d’infructueuse au moment où le ministre a rendu sa décision.

[19]           Le Tribunal analysera ces deux raisons de façon distincte.

1)       Décision non motivée

[20]           L’Association déplore que le ministre n’ait pas tenu compte de sa contestation formulée en juin 2024[12] quant à la demande de McGill que le différend soit déféré à l’arbitrage.

[21]           D’abord, rien ne permet de conclure que dans le cadre de l’exercice de sa discrétion, le ministre n’a pas tenu compte de la position de l’Association formulée dans deux lettres distinctes qui lui ont été transmises ainsi qu’au conciliateur.

[22]           De plus, dans Vavilov[13], l’on peut lire qu’il est de jurisprudence constante que l’équité procédurale n’exige pas que toutes les décisions administratives soient motivées.

[23]           Saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire de deux décisions du Comité sur la sténographie constitué par le Législateur québécois, le juge Mark Philips écrit ce qui suit quant à la raisonnabilité d’une décision administrative[14] :

[167]       La raisonnabilité d’une décision administrative repose sur les motifs et sur l’issue. En ce qui a trait aux motifs, comme nous l’avons déjà dit, là où, en raison des caractéristiques du décideur, celui-ci n’est pas appelé à motiver ses décisions, comme c’est le cas en l’espèce, la Cour supérieure «doit examiner le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision et […] elle découvrira alors souvent une justification claire pour la décision». Dans l’appréciation de la raisonnabilité de la décision, il y a aussi tout un contexte dont il faut tenir compte et qui fait partie des «contraintes factuelles» à l’intérieur desquelles le décideur était appelé à agir.

[Notes omises]

[24]           L’Association ne convainc pas le Tribunal que la décision du ministre du Travail de déférer le dossier à l’arbitrage heurte l’équité procédurale puisque, dans l’exercice de sa discrétion, le ministre n’avait pas à motiver sa décision après avoir examiné le dossier à la lumière de la demande de McGill, de la contestation de l’Association et d’une possible consultation avec le conciliateur en place.

[25]           L’apparence de droit est à première vue faible quant à cet argument de l’Association.

2)       La conciliation ne pouvait être qualifiée d’infructueuse

[26]           Toutes les parties conviennent que le ministre doit respecter deux conditions pour que le mécanisme de soumettre le différend à un arbitre prévu à l’article 93.1 CT soit enclenché, à savoir : 1) une partie le lui demande, et 2) la conciliation s’avère infructueuse.

[27]           L’Association plaide que cette deuxième condition n’était pas satisfaite lorsque le ministre a rendu sa décision.

[28]           L’Association soutient qu’elle et McGill ont participé à 23 séances de négociations dont la durée variait entre une demi-journée et une journée complète[15].

[29]           Toujours selon l’Association, les parties se seraient entendues sur de nombreux points importants,[16] mais elle reconnaît du même souffle que plusieurs points demeurent non résolus pour le moment[17].

[30]           Une grève, déclenchée par l’Association, s’est tenue du 24 avril au 20 juin 2024.

[31]           En mai 2024, l’Association réclame du conciliateur qu’il convoque les parties à la table de négociation (art.56 CT), alléguant que la partie patronale refuse systématiquement des dates de rencontre, qu’elle ne répond pas aux propositions syndicales et qu’en agissant ainsi, McGill retarde le processus[18].

[32]           Le conciliateur aurait alors avisé l’Association qu’elle devait faire une concession d’importance préalablement à ce qu’il entrevoit convoquer une telle réunion avec la partie patronale[19].

[33]           Le 7 juin 2024, l’Association avise ses membres que McGill ne négocie pas de bonne foi[20].

[34]           Quatre séances de conciliation demeurent fixées du 19 août au 4 septembre 2024. McGill considère cependant qu’à ce stade, il n’y a pas lieu de retourner en conciliation[21].

[35]           Contrairement à ce qu’elle véhiculait auprès de ses membres préalablement à la demande de nomination d’un arbitre, l’Association soutient aujourd’hui qu’il y avait un progrès constant pendant les séances de négociations.

[36]           De la même façon, McGill prétend que lors des séances de négociations, les parties n’ont réussi à s’entendre que sur quelques sujets mineurs[22]. Pourtant, dans un communiqué sur son site Internet, McGill mentionne que des progrès significatifs ont eu lieu dans le cadre des séances de négociations[23].

[37]           Aujourd’hui, afin de défendre leur position, chacune des parties revient sur certains articles de la convention collective pour démontrer le statut des négociations[24] et minimise ce qu’elles ont véhiculé auprès du public.

[38]           Dans les jours qui ont précédé la demande de McGill au ministre du Travail de déférer le différend à un arbitre, l’Association s’exprime ainsi publiquement : « This strike actions comes a week after the latest bargaining session with McGill, at which senior administrators once again bargained in bad faith, retracted offers they had previously made, and generally confirmed that their only goal is not to negotiate a collective agreement, but to kill the union. »[25]

[39]           La demande de McGill de déférer le dossier à l’arbitrage énumère les sujets qui demeurent en litige : nomination et reconduction, permanence et promotion, congés, nomination et reconduction du doyen, monétaire[26].

[40]           La décision du ministre du Travail de conclure que la conciliation est infructueuse ou «not successful» dans la version anglaise de l’article 93.1 CT est-elle déraisonnable comme le prétend l’Association? Aucune définition du mot «infructueuse» ne se retrouve au Code du travail, laissant une part d’arbitraire ou de discrétion à celui qui doit trancher.

[41]           La Cour supérieure a très récemment été saisie d’une question en litige similaire traitant de l’article 93.1 CT, à l’exception près que c’est la partie patronale qui réclamait le sursis de l’exécution de la décision du ministre du Travail de déférer le différend à un arbitre[27].

[42]           Le juge Thomas M. Davis s’exprimait alors ainsi :

[25]           FTM allègue que la décision du ministre a une incidence sur ses droits, privilèges et intérêts. Devant le Tribunal, elle soulève le droit de pouvoir négocier une convention collective, versus la possibilité d’en faire imposer une.

[26]           La décision de déférer un dossier de négociation d’une première convention en est une qui relève de la discrétion du ministre. Deux critères sont requis pour que le ministre agisse, une demande de l’une des parties et une conciliation qui s’est avérée infructueuse. Ces critères sont présents dans le présent dossier et il n’y a rien qui permette de conclure que le ministre a exercé sa discrétion d’une manière inappropriée.

[27]           Le Code n’oblige pas le ministre à obtenir les observations de l’autre partie avant de déferrer le dossier à un arbitre. Le contraire serait surprenant, car l’arbitrage de la première convention est un droit dont chaque partie jouit, sous réserve de la décision du ministre.

[…]

[29]           Plus important encore est le fait que les droits de FTM ne sont pas brimés par l’arbitrage, comme elle prétend. Le fait que le différend soit soumis à un arbitre ne met pas fin à toutes négociations. Il demeure ouvert aux parties de continuer à négocier et toute entente doit être entérinée par l’arbitre.

30]           De plus, l’arbitre entend les parties avant de rendre sa sentence sur le contenu de la première convention. Or, ce qui est important dans un dossier comme celui-ci, est que les deux parties aient l’occasion de faire leurs représentations devant l’arbitre, non pas devant le ministre, lequel n’a aucun pouvoir quant au contenu de leur convention.

[…]

[32]           Le Tribunal estime le droit que FTM fait valoir très douteux, si non inexistant.

[43]           Dans cette affaire, la partie patronale reprochait au ministre de ne pas lui avoir demandé ses observations sur le statut des négociations préalablement à sa décision de déférer le différend à un arbitre.

[44]           Dans le présent dossier, le ministre a obtenu la position respective des parties préalablement à sa décision.

[45]           L’Association prétend que le ministre ne pouvait conclure à la lecture des faits que la conciliation était infructueuse. Après avoir pris connaissance des positions respectives des parties, et fort probablement des délais encourus depuis l’accréditation de l’Association, il en a décidé autrement. Le ministre a exercé sa discrétion à première vue de façon raisonnable.

[46]           Le Tribunal conclut que l’apparence de droit ne favorise pas l’Association sur cette question.

1.2.2  Le préjudice irréparable

[47]           Le Tribunal doit maintenant déterminer si l’Association subira un préjudice sérieux ou irréparable s’il n’accorde pas le sursis recherché. C’est l’Association qui a le fardeau de prouver à l’aide d’éléments précis et détaillés qui établissent une probabilité réelle qu’un préjudice irréparable surviendra si la demande de sursis n’est pas accueillie[28].

1.2.2.1 La position de l’Association

[48]           L’Association prétend qu’elle subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé car, en vertu des articles 93.4 et 93.5 CT, l’arbitre peut mettre fin aux négociations et aux moyens de pression de l’Association notamment celui de faire la grève[29]. De plus, cette décision du ministre mettrait en péril la poursuite de la conciliation.

1.2.2.2 La position de McGill

[49]           McGill soutient, quant à elle, ce qui suit quant au préjudice irréparable[30] :

62. Contrairement à ce qu’affirme l’Association, la décision administrative du ministre du Travail ne met pas fin aux échanges entre les parties, pas plus qu’elle ne la prive de son droit d’exercer des moyens de pression.

63. En effet, le Code du travail prévoit explicitement, à ses articles 93.3 et 93.7, que les parties peuvent, si elles le souhaitent, poursuivre leurs échanges malgré la nomination d’un arbitre de différend.

64. Qui plus est, le Code du travail prévoit explicitement, à son article 93.5, que ce n’est pas la décision administrative du ministre du Travail qui suspend le droit d’exercer des moyens de pression, mais plutôt la décision de l’arbitre de différend à l’effet «qu’il a jugé nécessaire de déterminer le contenu de la convention collective pour régler le différend».

65. Dans les faits, la décision du ministre du Travail n’occasionne rigoureusement aucun préjudice à l’Association (d’autant que celle-ci ne souhaite pas poursuivre la conciliation avec le Conciliateur actuellement saisi du dossier).

1.2.2.3  La position du ministre du Travail

[50]           Le ministre du Travail soutient, quant à lui, que le préjudice soulevé par l’Association est hypothétique. D’une part, les parties peuvent continuer de négocier[31] et la conciliation peut se poursuivre[32]. D’autre part, la première étape devant l’arbitre en est une dite de médiation i.e. que l’arbitre doit d’abord et avant tout « tenter de régler le différend» i.e. de rechercher des voies de compromis acceptables de part et d’autre. Ce n’est que lors de la deuxième étape, soit celle de l’arbitrage, que l’arbitre peut décider d’arrêter d’autorité les conditions de travail[33].

[51]           Tant que les parties en sont à l’étape dite de médiation devant l’arbitre, la grève est un moyen de pression qui demeure ouvert à la partie syndicale[34].

[52]           Les négociations pouvant se poursuivre et le moyen de pression qu’est la grève étant possible pour les membres de l’Association lors de la phase préalable de médiation qui débutera lorsque l’arbitre sera nommé font en sorte qu’aucun préjudice irréparable ne sera causé si la demande de sursis est rejetée.

[53]           Quant au préjudice éventuel de se voir imposer des conditions de travail lors de l’étape arbitrage qui pourrait suivre l’étape de médiation, à défaut d’entente, ce «préjudice» vaut pour les deux parties.

1.2.3 La balance des inconvénients

[54]           Les principaux inconvénients soulevés par l’Association sont bien résumés à sa correspondance adressée à l’actuel conciliateur et au ministre le 13 juin 2024 suite à la demande de McGill de soumettre le différend à un arbitre. L’Association s’exprime ainsi[35] :

Si notre différend est soumis à un arbitre de différend, vu les délais actuels pour obtenir des dates d’audition, il est clair que nous n’aurons pas de décision avant plusieurs mois, voire possiblement en 2025. Il nous semble que la partie patronale utilise l’arbitrage de différend comme moyen de mettre fin à des négociations productives et éviter d’avoir une convention dans un délai rapproché vu sa contestation sur l’accréditation. Il appert également qu’il vise à bloquer toute possibilité pour le syndicat d’avoir recours à des moyens de pression qui pourront être très efficaces à l’automne vu la rentrée scolaire et mener à la conclusion d’une convention collective très rapidement. Cette façon de procéder nous semble comme étant un détournement du processus d’arbitrage de différend qui doit plutôt servir à résoudre des différends sclérosés pour lesquels une issue négociée est impossible. Le droit à la négociation collective, incluant l’exercice des moyens de pression, découle de la liberté d’association et ne devrait pas être écarté sauf si c’est absolument nécessaire.

[55]           Le principal inconvénient soulevé par le défendeur, le ministre du Travail, est qu’il a un intérêt à protéger l’efficacité du processus d’arbitrage des premières conventions collectives, sans qu’une partie, patronale ou syndicale, mécontente avec le positionnement de l’autre dans les négociations puisse le court-circuiter, tel que soulevé et discuté dans la décision du juge Thomas M. Davis précité[36].

[56]           Pour sa part, McGill s’exprime ainsi au sujet de la balance des inconvénients[37] :

66. À l’inverse, suspendre la décision du ministre du Travail priverait l’Université de son droit de soumettre ses différends avec l’Association à un arbitre et serait susceptible de prolonger indûment la période durant laquelle les parties sont susceptibles d’être affectées par des moyens de pression, contrairement aux objectifs du Code du travail.

[57]           Le Tribunal conclut que la balance des inconvénients favorise d’abord le défendeur qui souhaite s’assurer que l’économie du CT qui vise à faciliter les rapports collectifs par des procédures qui se veulent efficientes, peu complexes et expéditives soit respectée[38] et ensuite la mise en cause qui exerce un droit prévu au Code du travail.

[58]           L’analyse globale des critères que doit satisfaire l’Association afin que le Tribunal ordonne le sursis d’exécution de la décision du ministre ne convainc pas et la mesure exceptionnelle que constitue le sursis ne sera pas accordée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[59]           REJETTE la demande d’ordonnance de sursis de la demanderesse;

[60]           LE TOUT, avec les frais de justice en faveur du défendeur et de la mise en cause;

 

 

 

PASCALE NOLIN, j.c.s.

Me Sibel Ataogul

Melançon Marceau Grenier Cohen

Avocate de la demanderesse

 

Me Étienne Tremblay

Bernard, Roy (Justice-Québec).

Avocat du défendeur

 

Me Frédéric Massé

Borden, Ladner, Gervais  s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocat de la mise en cause

 

Date d’audience :

13 août 2024

 


[1]  P-5 (décision du ministre du Travail) et Application for Judicial Review and Application for a Stay Order (séq.3 au plumitif).

[2]  P-1.

[3]  500-17-123248-224.

[4]  FL-1 et FL-2.

[5]  FL-8.

[6]  P-3 et P-4.

[7]  P-5.

[8]  Séq.3 au plumitif.

[9]  2023 QCCS 3739.

[10]  Agropur Cooperative. c. Saputo Inc., 2023 CanLII 909, par.32; Deschênes & Fils ltée c. Commerce Noble inc., 2010 QCCS 5679, par.8.

[11]  P-5, p.3.

[12]  P3 et P-4.

[13]  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[14]  Bolduc c. Comité sur la sténographie, 2022 QCCS 1389, par.167.

[15]  Pourvoi en contrôle judiciaire, par.13.

[16]  Pourvoi en contrôle judiciaire, par.15.

[17]  Pourvoi en contrôle judiciaire, par. 16.

[18]  P-2.

[19]  P-2.

[20]  FL-9.

[21]  Déclaration sous serment (DSS) de Fabrice Labeau, représentant de McGill au comité de négociations, par.60.

[22]  DSS de Fabrice Labeau, par.14.

[23]  P-11.

[24]  DSS de Fabrice Labeau et DSS de Evan Fox-Decent.

[25]  FL-9 p.2.

[26]  FL-8 p.3.

[27]  Face Trois Musique inc.\ Third Side Music Inc. c. Boulet (Ministre du Travail), 2024 QCCS 2228. La demande pour permission d’appeler de ce jugement a été rejetée le 9 juillet 2024, 500-09-031076-243, 2024 QCCA 893.

[28]  Hak c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 2145, par. 65-67; Karounis c. Procureur général du Québec, 2020 QCCS 2817, par. 31; Canada (Procureur général) c. Oshkosh Defense Canada Inc., 2018 CAF 102, par. 30; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Alberta (Procureur général), 2019 CF 1195, par. 136.

[29]  Pourvoi en contrôle judiciaire, par. 64-67.

[31]  Art. 93.7 CT.

[32]  Art. 93.3 CT.

[33]  Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE, Dominic ROUX et Jean-Pierre VILLAGGI, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Wilson & Lafleur, 2010, par.147.

[34]  Art. 93.4 et 93.5.CT.

[35]  P-3 p.5.

[36]  Face Trois Musique Inc.\ Third Side Music Inc. c. Boulet (Ministre du Travail), 2024 QCCS 2228, par.38.

[37]  DSS de Fabrice Labeau, par. 66.

[38]  AAA Canada Inc. c. Tribunal administratif du travail, 2023 QCCS 3739, par.56.

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