Commissaire à la déontologie policière c. Vig |
2019 QCCDP 16 |
COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE |
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MONTRÉAL |
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DOSSIER : |
C-2015-4062-3 (13-0896-2) |
LE 26 AVRIL 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE LOUISE RIVARD, JUGE ADMINISTRATIF |
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le commissaire à la déontologie policière |
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c. |
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L’agent SANJAY VIG, matricule 5144 |
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Membre du Service de police de la Ville de Montréal |
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DÉCISION SUR SANCTION |
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[1] Le 26 octobre 2018, le Comité de déontologie policière (Comité) rend une décision sur le fond dans le présent dossier et statue :
« Chef 1
[110] QUE
l’agent SANJAY VIG, matricule 5144, membre du Service de police de la
Ville de Montréal, le 18 juillet 2012, à Montréal, n’a pas respecté l’autorité
de la loi et des tribunaux à l’égard de M. Khalid El-Dabbagh en
exigeant de lui un cautionnement sans lui avoir signifié au préalable un
constat d’infraction et que, en conséquence, sa conduite constitue un acte
dérogatoire à l’article
Chef 2
[111] QUE l’agent SANJAY VIG, matricule 5144, membre du
Service de police de la Ville de Montréal, le 18 juillet 2012, à Montréal, n’a
pas respecté l’autorité de la loi et des tribunaux à l’égard de M. Khalid El-Dabbagh
en l’arrêtant sans droit et que, en conséquence, sa conduite constitue un
acte dérogatoire à l’article
Chef 3
[112] QUE
l’agent SANJAY VIG, matricule 5144, membre du Service de police de la
Ville de Montréal, le 18 juillet 2012, à Montréal, n’a pas respecté l’autorité
de la loi et des tribunaux à l’égard de M. Khalid El-Dabbagh en
utilisant la force sans droit contre lui et que, en conséquence, sa conduite constitue
un acte dérogatoire à l’article
[2] Le 18 juillet 2012, les agents Sanjay Vig et Mathieu Chassé sont affectés à une opération de sécurité routière au rond-point situé au-dessus du boulevard de l’Acadie. Ils agissent en application du Code de la sécurité routière[1] quant au respect de la ligne pleine continue.
[3] Les policiers portent l’uniforme avec par-dessus une veste fluorescente. Il y a deux véhicules de police sur place avec gyrophares allumés, ceci afin de s’assurer d’être vus de façon sécuritaire.
[4] Un véhicule franchit la ligne blanche continue à une vitesse d’environ 20 km/h. L’agent Vig constate l’infraction, se dirige dans la voie de circulation et agite les bras en l’air, puis il donne deux coups de sifflet. Le véhicule s’immobilise.
[5] L’agent Vig s’approche du conducteur, M. Khalid El-Dabbagh, et l’informe qu’il a franchi une ligne continue. Le policier lui demande son permis de conduire, ses papiers d’assurance et son immatriculation.
[6] M. El-Dabbagh ne donne pas ses papiers, tel qu’il est requis. L’agent Vig lui dit que, s’il ne les produit pas, qu’il l’arrêtera pour refus de s’identifier. M. El-Dabbagh lui répond qu’il peut lui donner tous les constats d’infraction qu’il veut puisqu’il retourne en Alberta et qu’il ne paiera pas. L’agent Vig lui demande de répéter ce qu’il lui a dit et il le fait. M. El-Dabbagh finit par remettre son permis de conduire.
[7] L’agent Vig vérifie la plaque d’immatriculation. Celle-ci est bien de l’Alberta. Il informe M. El-Dabbagh qu’il doit fournir un cautionnement en raison de ses mauvaises intentions. M. El-Dabbagh lui répète qu’il ne paiera pas. L’agent Vig lui dit en quoi consiste un cautionnement et comment le tout se déroulera.
[8] L’agent Vig lui demande de sortir du véhicule. M. El-Dabbagh répond qu’il n’a pas d’argent, qu’il ne paiera pas et qu’il ne sortira pas de son véhicule. L’agent Vig l’informe qu’il l’arrête pour entrave et refus de payer le cautionnement.
[9] Comme M. El-Dabbagh refuse toujours de sortir du véhicule, l’agent Vig ouvre la portière et l’agrippe par le bras. M. El-Dabbagh se libère et met ses mains sur le volant.
[10] L’agent Vig réussit à lui faire lâcher le volant alors que l’agent Chassé détache la ceinture de sécurité. M. El-Dabbagh est amené au sol.
[11] L’agent Vig fait une fouille sommaire de M. El-Dabbagh avant que celui-ci soit placé dans le véhicule de police et conduit au centre de détention.
[12] À la suite de l’enregistrement à l’écrou de M. El-Dabbagh, les agents Vig et Chassé rencontrent un sergent-détective à la section des enquêtes. Ce dernier suggère à l’agent Vig de procéder par l’émission de constats d’infraction, selon le Code de la sécurité routière, pour l’entrave et pour ne pas avoir eu en sa possession la preuve d’assurance ni l’enregistrement du véhicule.
[13] Au centre de détention, trois constats d’infraction sont remis à M. El-Dabbagh, soit un constat d’infraction pour entrave, un autre pour avoir traversé une ligne continue et le troisième pour ne pas avoir eu les papiers d’assurance ni ceux d’enregistrement du véhicule.
[14] M. El-Dabbagh s’entretient avec son avocat. Ce dernier lui recommande de payer les contraventions et de les contester par la suite, ce qu’il fait.
[15] M. El-Dabbagh est trouvé coupable devant la cour municipale d’avoir franchi une ligne continue et il est acquitté des deux autres contraventions.
[16] Le Comité a décidé que l’agent Vig avait dérogé à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec[2] (Code), en exigeant de M. El-Dabbagh un cautionnement sans lui avoir signifié au préalable un constat d’infraction. De plus, il a conclu que le policier avait arrêté M. El-Dabbagh sans droit et qu’il avait utilisé la force sans droit à son égard.
Commissaire
[17] Concernant le chef 1 de la citation, comme facteur aggravant, la procureure soutient que l’agent Vig est un policier d’expérience, ayant 12 ans d’ancienneté au moment des événements. Cela faisait déjà huit ans que le policier était affecté à la sécurité routière.
[18] Elle
soumet que l’article
[19] Elle ajoute que l’agent Vig admet ne pas avoir eu de formation particulière à ce sujet. L’erreur commise par le policier est grave. Il s’agit d’une ignorance inacceptable de la loi.
[20] La procureure recommande, comme sanction, l’imposition d’une suspension sans traitement de deux jours ouvrables pour chaque chef de la citation.
[21] Bien qu’il n’y ait aucune jurisprudence du Comité sur le sujet, elle réfère aux décisions suivantes du Comité :
· Dans l’affaire Audet[4], le Comité a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrables au policier pour avoir demandé illégalement à M. Mentor de s’identifier.
· Dans l’affaire Paquet[5], le Comité a imposé une suspension sans traitement de trois jours ouvrables au policier pour avoir demandé à M. Conille de s’identifier sans droit.
· Dans l’affaire Mayrand[6], le Comité a imposé aux agents Mayrand, Boisclair, Dussault et Litynski une suspension sans traitement de deux jours ouvrables à chaque policier pour avoir exigé sans droit que MM. Amiot et Lapierre s’identifient.
[22] Concernant le chef 2 de la citation, la procureure recommande l’imposition d’une suspension sans traitement de deux jours ouvrables comme sanction. Elle réfère aux décisions suivantes du Comité :
· Dans l’affaire El-Khoury[7], le Comité a imposé une suspension sans traitement de cinq jours ouvrables au sergent El-Khoury pour avoir arrêté illégalement M. Sirzyk, et il a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrables à l’agent Jetté pour avoir arrêté M. Sirzyk.
· Dans l’affaire Ciancio[8], le Comité a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrables aux policiers pour avoir arrêté illégalement M. Juste pour entrave.
· Dans l’affaire Malo[9], le Comité a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrables au policier pour avoir arrêté illégalement M. Buri.
[23] Pour le chef 3 de la citation, la procureure recommande l’imposition d’une suspension sans traitement de deux jours ouvrables comme sanction. Elle réfère aux décisions suivantes du Comité :
· Dans l’affaire El-Khoury[10], le Comité a imposé une suspension sans traitement de cinq jours ouvrables au sergent El-Khoury pour avoir utilisé la force contre M. Sirzyk, et a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrables à l’agent Jetté pour avoir utilisé la force contre M. Sirzyk.
· Dans l’affaire Ciancio[11], le Comité a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrables aux policiers pour avoir eu recours à la force contre M. Juste.
· Dans l’affaire Malo[12], le Comité a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrables au policier pour avoir utilisé la force à l’égard de M. Buri.
Policier
[24] Le procureur du policier soutient que l’agent Vig n’était pas de mauvaise foi au moment des événements, qu’il est un bon policier, tel qu’en fait foi les appréciations du rendement[13] et la mention de qualité[14] déposées, et qu’il n’a aucune inscription déontologique à son dossier.
[25] Le procureur recommande, comme sanctions, l’imposition d’une réprimande ou au plus un blâme pour chaque chef de la citation. À l’appui de ses recommandations, il réfère aux décisions suivantes du Comité :
· Dans l’affaire Théoret[15], le Comité a imposé un blâme aux policiers pour avoir exigé sans droit de fournir des renseignements permettant de confirmer l’identité de M. AB.
· Dans l’affaire Lafleur[16], le Comité a imposé une réprimande à l’agente Chenard pour avoir arrêté sans droit M. Hébert.
[26] Les dispositions de l’article 235 de la Loi sur la police[17] précisent que, au moment de la détermination de la sanction, le Comité doit prendre en considération la gravité de l’inconduite, compte tenu de toutes les circonstances, ainsi que la teneur du dossier de déontologie du policier.
[27] Dans son rôle de gardien du respect des normes et des conduites prescrites à l’ensemble des policiers du Québec que lui a confié le législateur, il incombe au Comité de tenir compte de l’objectif premier mentionné à l’article 3 du Code, soit la protection du public.
[28] Cet article se lit comme suit :
« Le présent Code vise à assurer une meilleure protection des citoyens et citoyennes en développant au sein des services policiers des normes élevées de services à la population et de conscience professionnelle dans le respect des droits et libertés de la personne dont ceux inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne. »
[29] C’est donc à la lumière de cet objectif que le Comité évaluera la justesse et le caractère raisonnable des sanctions qu’il doit imposer au policier dans le présent dossier.
Chef 1 (Exiger un cautionnement sans avoir signifié au préalable un constat d’infraction)
[30] Pour le Comité, exiger d’un non-résident du Québec un cautionnement sans lui avoir signifié au préalable un constat d’infraction, résulte essentiellement d’une méconnaissance par l’agent Vig du droit applicable et de la procédure que lui impose le Code de procédure pénale en la matière.
[31] Il convient de rappeler ce que le Comité a précisé dans sa décision sur le fond :
« [97] Le libellé de l’article
[98] L’agent Vig admet qu’il ne savait pas que le contrevenant devait être en possession du constat d’infraction avant de pouvoir lui demander de fournir un cautionnement.
[99] Les jugements et les décisions concernant la portée de
l’article
" La simple lecture et selon la règle d’interprétation littérale, l’article 76 est clair et limpide. Ce n’est que lorsque le constat d’infraction est signifié et si les autres conditions sont respectées, que l’agent de la paix peut exiger un cautionnement. Il s’agit d’un pouvoir restreint et circonscrit par la loi. "
[100] L’agent Vig affirme qu’il n’a jamais eu de formation sur la notion de cautionnement, que ce soit à l’École nationale de police ou depuis qu’il est policier. À défaut de savoir avec assurance ce qu’il fallait faire en pareilles circonstances, il aurait dû sur les lieux de l’événement consulter un officier supérieur afin d’être conseillé à ce sujet.
[101] L’agent Vig a erronément imaginé qu’une signification verbale du constat d’infraction au contrevenant était suffisante. En l’espèce, il s’agit d’une ignorance inacceptable d’une disposition de la loi de la part du policier. » (Référence omise)
[32] La gravité de l’inconduite se caractérise par le fait que l’agent Vig, au moment des événements, avait douze ans d’expérience professionnelle et que, depuis huit ans, il était assigné à la circulation. Ce dernier se devait de connaître cette disposition du Code de procédure pénale.
[33] Dans le présent dossier, la procureure du Commissaire recommande l’imposition d’une suspension sans traitement de deux jours. Le procureur de l’agent Vig recommande une réprimande ou un blâme.
[34] Après avoir considéré la jurisprudence soumise, la gravité de l’inconduite, les circonstances de l’événement et l’absence de dossier déontologique, le Comité est d’avis qu’une suspension sans traitement de deux jours ouvrables est appropriée comme sanction.
Chef 2 (Arrestation illégale)
[35] Dans le cas d’arrestation illégale, les sanctions imposées par le Comité varient entre la réprimande et la suspension sans traitement de plusieurs jours. Par ailleurs, la majorité des sanctions consistent en des suspensions sans traitement.
[36] Pour le Comité, l’arrestation de M. El-Dabbagh résulte essentiellement d’une méconnaissance du droit applicable en matière de cautionnement à la suite du refus par un non-résident de la province de Québec de payer un constat d’infraction.
[37] Dans le présent dossier la procureure du Commissaire recommande l’imposition d’une suspension sans traitement de deux jours. Le procureur de l’agent Vig recommande une réprimande ou un blâme.
[38] Le Comité a consulté quelques décisions en semblable matière.
[39] Dans l’affaire Audette[18], le Comité a imposé une suspension sans traitement de trois jours ouvrables pour une arrestation sans droit.
[40] Dans l’affaire Blémur[19], le Comité a imposé une suspension sans traitement de trois jours ouvrables pour une arrestation illégale et sans justification.
[41] Avec égard, la suggestion du procureur du policier ne tient pas compte de la gravité de l’inconduite. Le Comité est d’avis que la suggestion du Commissaire répond davantage aux critères de dissuasion et d’exemplarité et il y donne suite.
[42] Après avoir considéré la jurisprudence soumise par les parties, celle consultée par le Comité et la gravité de l’inconduite, le Comité est d’avis qu’une suspension sans traitement de deux jours ouvrables est appropriée comme sanction.
Chef 3 (Utilisation de la force sans droit)
[43] Le Comité ayant conclu que l’agent Vig ne pouvait arrêter M. El-Dabbagh, il en a également conclu qu’il s’ensuivait qu’il ne pouvait utiliser quelque force que ce soit à son encontre.
[44] Il convient de rappeler ce que le Comité a précisé dans sa décision sur le fond :
« [59] L’agent Vig ordonne à M. El-Dabbagh de sortir de son véhicule, l’informe qu’il est en état d’arrestation pour avoir entravé un agent de la paix et avoir refusé de fournir un cautionnement.
[60] M. El-Dabbagh refuse de sortir du véhicule. L’agent Vig ouvre la portière et agrippe le bras de M. El-Dabbagh. Ce dernier se déprend de la prise et tient le volant. L’agent Vig réussit à lui enlever les mains du volant pendant que l’agent Chassé détache la ceinture de sécurité. M. El-Dabbagh est amené au sol. »
[45] Dans le présent dossier, la procureure du Commissaire recommande l’imposition d’une suspension sans traitement de deux jours. Le procureur de l’agent Vig recommande une réprimande ou un blâme.
[46] Le Comité a consulté l’affaire Boulay[20] dans laquelle le Comité a imposé une suspension sans traitement de deux jours ouvrable au policier pour avoir utilisé la force sans droit à l’endroit du plaignant.
[47] Après avoir considéré la jurisprudence soumise par le Commissaire et celle consultée par le Comité, la gravité de l’inconduite et les circonstances de l’événement, le Comité est d’avis qu’une suspension sans traitement de deux jours ouvrables est appropriée comme sanction.
[48] POUR CES MOTIFS, le Comité IMPOSE les sanctions suivantes à l’agent SANJAY VIG, matricule 5144, membre du Service de police de la Ville de Montréal :
Chef 1
[49]
une suspension sans traitement de deux jours ouvrables de huit heures
pour avoir dérogé à l’article
Chef 2
[50]
une suspension sans traitement de deux jours ouvrables de huit heures
pour avoir dérogé à l’article
Chef 3
[51]
une suspension sans traitement de deux jours ouvrables de huit heures
pour avoir dérogé à l’article
[52] Les suspensions seront purgées de façon concurrente.
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Louise Rivard |
Me Leyka Borno |
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Procureure du Commissaire |
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Me Mario Coderre |
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Procureur de la partie policière |
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Lieu de l’audience : Montréal |
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Date de l’audience : 25 février 2019 |
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[1] RLRQ, c. C-24.2.
[2] RLRQ, c. P-13.1, r.1
[3] L.R.Q., c. C-25.1
[4] Commissaire à la déontologie policière c. Audet,
[5] Commissaire à la déontologie policière c. Paquet, 2002 CanLII 49236 (QC CDP).
[6] Commissaire à la déontologie policière c. Mayrand,
[7] Commissaire à la déontologie policière c. El-Khoury,
[8] Commissaire à la déontologie policière c. Ciancio,
[9] Commissaire à la déontologie policière c. Malo, 2010 CanLII 44944 (QC CDP).
[10] Précité, note 7.
[11] Précité, note 8.
[12] Précité, note 9.
[13] Pièce SP-2 en liasse.
[14] Pièce SP-1.
[15] Commissaire à la déontologie policière c. Théoret,
[16] Commissaire à la déontologie policière c. Lafleur, 2005 CanLII 59893 (QC CDP).
[17] RLRQ, c. P-13.1
[18] Commissaire à la déontologie policière c. Audette, 2006 CanLII 81638 (QC CDP).
[19] Commissaire à la déontologie policière c. Blémur, 2005 CanLII 59864 (QC CDP).
[20] Commissaire à la déontologie policière c. Boulay,
AVIS :
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