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Ordre des travailleurs sociaux et  des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : |
37-15-017 |
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DATE : |
 Le 22 juin 2016. |
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LE CONSEIL : |
Me Julie CHARBONNEAU |
Présidente |
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Mme DOMINIQUE ALLAIRE, T.S. |
Membre |
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Mme YVETTE GAGNON, T.S. |
Membre |
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MARCEL BONNEAU, en sa qualité de syndic l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec |
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Partie plaignante |
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c. |
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MÉLANIE BOUCHARD |
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Partie intimée |
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DÉCISION SUR L’ARTICLE |
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE
[1] Le Conseil de discipline s’est réuni le 19 avril 2016, pour procéder à l’audition de la plainte disciplinaire déposée par le plaignant, Marcel Bonneau, en sa qualité de syndic de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, contre l’intimée, Mélanie Bouchard.
[2] La plainte portée contre l’intimée est ainsi libellée :
« L’intimée, alors qu’elle était régulièrement inscrite au Tableau des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, a commis des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité de la profession, soit :
1. Le ou vers le 24 avril 2015 a fait l’objet d’une décision d’un tribunal canadien la déclarant coupable d’une infraction criminelle par l’honorable Josée Bélanger, de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, no. 615-01-022228-145, à savoir :
« Entre le 1 avril 2013 et le 20 octobre 2013, Ă
Val-d’Or, Trécesson, Senneterre, district de l’Abitibi et Lac Témiscamingue,
district de Témiscamingue, a, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du
corps de […] vis-à -vis duquel elle était en situation d’autorité ou de
confiance ou à l’égard duquel […] était en situation de dépendance, commettant
ainsi l’acte criminel prévu à l’article
laquelle infraction criminelle a un lien avec
l’exercice de la profession de travailleuse sociale, commettant ainsi une
infraction aux dispositions de l’article
[3] En début d’audience, l’intimée n’enregistre pas de plaidoyer puisqu’il s’agit de déterminer s’il existe un lien entre la condamnation alléguée au chef d’infraction et l’exercice de la profession de travailleuse sociale. L’intimée reconnaît ce lien.
[4]
Le Conseil constate que
la condamnation de l’intimée à l’égard des accusations criminelles décrites
au chef de la plainte a un lien avec l’exercice de la profession de
travailleuse sociale et décide qu’il est à propos d’imposer une des sanctions
prévues à l’article
[5] Les parties se déclarent prêtes à procéder aux représentations sur les sanctions.
QUESTION EN LITIGE
[6]
Considérant que le Conseil a constaté que la condamnation
de l’intimée à l’égard des accusations criminelles décrites au chef de
la plainte a un lien avec l’exercice de la profession de travailleuse sociale
et qu’il a décidé qu’il est à propos d’imposer une des sanctions prévues
à l’article
CONTEXTE
[7] Le plaignant témoigne et dépose une preuve documentaire[1].
[8] L’intimée est à l’emploi du Centre jeunesse de l’Abitibi Témiscamingue au cours des années 2012 et 2013 à titre de travailleuse sociale. Dans le cadre de ses fonctions, elle intervient en urgence auprès d’un client mineur aux prises avec différentes problématiques.
[9] À la suite de son intervention, l’intimée demande à demeurer au dossier de ce client et de sa famille malgré que les suivis lui occasionnent des déplacements additionnels. Une chef de service du Centre jeunesse accepte cette demande.
[10] L’intimée débute alors une relation affective avec ce client alors que ce dernier est mineur. Il atteindra l’âge de la majorité environ six mois après le début de la relation. Celle-ci s’est poursuivie après l’atteinte de la majorité, et ce, pour plusieurs mois.
[11] La preuve démontre que l’intimée entretenait des familiarités intimes avec le client. Ces familiarités sont rapportées par des témoins qui ont fréquenté l’intimée et le client.
[12] En août 2012, l’intimée devient l’intervenante principale du client.
[13] Le dossier de l’intimée tenu au sujet du client contient notamment quatre plans d’intervention et des notes évolutives pour une période d’environ trois mois.
[14] Le 7 novembre 2013, l’intimée signe une lettre de démission de son emploi au Centre jeunesse.
[15] À compter du mois de novembre 2013, l’intimée habite au domicile des parents du client et vit une relation affective avec ce dernier.
[16] Lors de l’enquête du plaignant, l’intimée affirme ne pas avoir posé de geste à caractère sexuel envers le client.
[17] Le 7 avril 2015, l’intimée signe un engagement envers l’Ordre à ne pas exercer une activité réservée aux membres de l’Ordre ni à utiliser le titre de «TS» autant dans le réseau public que privé, et ce, de quelque façon que ce soit.
[18]
Le 28 avril 2015[2],
devant la juge Josée Bélanger, J.C.Q., l’intimée plaide coupable d’avoir, entre
le 1er avril 2013 et le 20 octobre 2013 à Val-d’Or, Trécesson,
Senneterre, district de l’Abitibi et Lac Témiscamingue, district de
Témiscamingue, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps du client vis-à -vis
duquel elle était en situation d’autorité ou de confiance ou qu’il était en
situation de dépendance, commettant ainsi par voie de procédure sommaire, une
infraction à l’article
[19] L’intimée témoigne. Depuis le dossier criminel, sa vie est complètement bouleversée. Elle a eu des idéations suicidaires. Elle regrette d’avoir plaidé coupable devant la Cour du Québec, chambre criminelle. Elle a plaidé coupable parce qu’elle n’avait pas la force de vivre un procès où plusieurs de ses connaissances étaient appelées à titre de témoins.
[20] Son incarcération a été réduite à six fins de semaine puisqu’il a été déterminé qu’elle n’a pas de profil criminel et qu’il n’y avait pas de risque de récidive.
[21] L’intimée insiste qu’elle a attendu la majorité du client avant d’avoir des contacts physiques et sexuels.
[22] Elle a occupé trois emplois à la suite de son départ du Centre jeunesse. Elle a perdu les emplois. Elle a quitté la région de l’Abitibi et elle ne fréquente plus le client depuis six mois.
[23] Elle a reçu des soins qui l’ont aidée à cheminer à la suite du dossier criminel.
[24] Elle est en accord avec les recommandations du plaignant sauf en ce qui concerne la publication de l’avis de radiation. Elle occupe maintenant un nouvel emploi et elle risque de perdre son emploi advenant la publication de l’avis de radiation.
[25] Le plaignant recommande l’imposition d’une période de radiation de trois ans et d’une amende de 1 500 $ ainsi que la publication de l’avis de radiation. La sanction de radiation à être purgée au moment où l’intimée redeviendra membre de l’Ordre et l’avis ne devrait être publié qu’au moment où la période de radiation deviendra exécutoire.
[26] De plus, le plaignant suggère au Conseil de recommander au Comité exécutif de l’Ordre d’imposer une supervision à l’intimée selon les modalités suivantes :
« Objectif du projet
Revoir son processus d'intervention clinique auprès de sa clientèle, dans le but de :
Clarifier son offre de services offerts aux clients
Établir des frontières dans sa relation avec ses clients
Baliser les actions Ă poser tout au cours de ses interventions
Thèmes abordés
1. Processus d'intervention clinique incluant l'évaluation psychosociale de la personne et son environnement, élaboration et actualisation d'un plan d'intervention et d'un plan de service avec les partenaires impliqués s'il y a lieu
2. Définition du mandat confié par le client en lien avec le poste occupé
3. Priorisation des tâches à accomplir pour réaliser le mandat
4. Établissement du lien thérapeutique avec le client incluant des frontières claires quant aux actes professionnels posés dans le cadre de ses responsabilités
5. Réévaluation périodique du plan d'intervention élaboré et identification des ajustements requis selon les besoins du client en lien avec son mandat.
6. Maîtrise de la rédaction et la tenue des dossiers sous sa responsabilité
Durée de la supervision :
20 heures : en présence directe auprès du superviseur
60 heures : de travail de la part du membre pour effectuer les lectures, rédactions et écoute des enregistrements d'entrevues avec ses clients.
Le projet de supervision débuterait au moment où madame Bouchard commencerait une nouvelle affectation en tant que travailleuse sociale et devrait se réaliser à l'intérieur d'un délai maximal de 12 mois.
Superviseur
À être identifié par le membre et approuvé par le Comité exécutif. Si le superviseur offre ses services dans le cadre d'une pratique autonome, ses honoraires seraient à la charge de madame Bouchard.
Projet de supervision
Un projet détaillé de supervision devrait être élaboré par le superviseur et déposé au Comité exécutif pour approbation.
Évaluation
Une évaluation des résultats obtenus devrait être complétée par le superviseur avec madame Bouchard pour dépôt au Comité exécutif pour approbation.»
[27] Dans l’élaboration de ses recommandations sur la sanction, le plaignant a tenu compte de facteurs objectifs et subjectifs et des précédents jurisprudentiels. Ces éléments seront évalués sous la rubrique Analyse.
ANALYSE
[28] La sanction à être imposée doit reflétée que l’intimée a posé des actes contraires à son Code de déontologie directement en lien avec l’exercice de la profession de travailleuse sociale et qui minent la confiance du public à l’égard de cette profession.
[29] La sanction vise non pas à punir le professionnel fautif, mais à assurer la protection du public. En outre, la sanction doit dissuader la récidive du professionnel et être un exemple pour les autres membres de la profession[3].
Les facteurs objectifs
[30] Le Conseil souligne les enseignements du juge Chamberland de la Cour d’appel dans Pigeon c. Daigneault[4] « […] il faut voir si le public est affectĂ© par les gestes posĂ©s par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, […].»Â
[31] La protection du public est le premier critère à évaluer lors de l’imposition d’une sanction. Toutefois, « chaque cas est un cas d’espèce »[5].
[32] Au sujet de la protection du public, le Tribunal des professions nous enseigne ce qui suit dans l’affaire Chevalier[6] :
« [18] Le Tribunal note que le juge Chamberland a parlé « au premier chef » de la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, puis l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession et enfin le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession. Ainsi, ce droit du professionnel ne vient qu'en quatrième lieu, après trois priorités. »
[33] L’intimée a porté atteinte à la protection du public puisqu’elle a manqué à des obligations déontologiques qui se situent au cœur même de l’exercice de sa profession
[34] En matière de gravité objective, la conduite reprochée à l’intimée est objectivement très grave et porte ombrage à l’ensemble de la profession.
[35] L’objectivitĂ© qui devait ĂŞtre maintenue par l’intimĂ©e Ă l’égard du client a certainement Ă©tĂ© perdue au cours du cheminement du dossier. Cette objectivitĂ© est nĂ©cessaire afin de permettre au travailleur social d’exercer son jugement professionnel le plus adĂ©quatement possible.Â
[36] Le plaignant souligne que la profession de travailleuse sociale repose sur la relation d’aide et de confiance. L’intimée a transgressé cette relation et a ignoré son devoir de respecter les frontières thérapeutiques, et ce, à l’égard d’un mineur, en situation de détresse et de vulnérabilité de surcroît.
[37] Le volet d’exemplarité doit être reflété par les sanctions que le Conseil doit imposer. Il s’agit de l’un des objectifs reconnus dans le cadre de l’imposition d’une sanction en droit disciplinaire. Pour les chefs sous étude, cette notion d’exemplarité trouve son fondement dans la gravité des infractions et dans la nécessité d’assurer la protection du public.
Les facteurs subjectifs
· Les facteurs atténuants
[38] L’intimée a reconnu le lien entre l’infraction criminelle avec l’exercice de sa profession de la plainte.
[39] Elle n’a pas d’antécédents disciplinaires.
[40] Elle a offert une bonne collaboration à l’enquête du plaignant.
[41] Elle accepte de se soumettre à la supervision qui sera recommandée au Conseil exécutif de l’Ordre.
· Les facteurs aggravants
[42] Le Conseil n’est pas en présence d’un acte isolé. Le Conseil constate que l’intimée a dérogé à son Code de déontologie à plusieurs reprises dans le dossier de son client.
[43] La durée de l’infraction et l’incapacité manifestée par l’intimée de reconnaître certains signes d’alerte quant à une inconduite déontologique de sa part sont des éléments pris en compte par le Conseil.
[44] Le présent dossier n’est pas sans risque de préjudice pour le public. L’intimée a posé des gestes qui dérogent au fondement même de l’exercice de la profession de travailleuse sociale.
[45] Les infractions ont été commises auprès d’un client particulièrement vulnérable.
[46] Il s’agit de facteurs aggravants que le Conseil considère dans la détermination de la sanction.
[47] La sanction à être imposée doit être significative afin d’avoir un caractère dissuasif. En effet, une sanction qui se veut généralement dissuasive est celle qui vise à décourager ou à empêcher les autres membres de la profession de se livrer aux mêmes gestes que ceux posés par l’intimée[7].
[48] Le plaignant a soumis le tableau suivant qui démontre que la sanction proposée se retrouve à l’intérieur de la fourchette de sanctions habituellement imposée par des Conseils de discipline pour ce type d’infraction.
Dossier |
Gestes reprochés |
Considérants |
Sanction |
Collège des médecins du
Québec c. J.D.,
|
Chef 1 : A été déclaré coupable d’une infraction criminelle, à savoir, en
ayant, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de (…), une
enfant âgée de moins de quatorze ans, ayant commis ainsi l’acte criminel
prévu à l’article
(art.
Chef 2 : A été déclaré coupable d’une infraction criminelle, à savoir, en
ayant, commis un acte de grossière indécence avec (…), une enfant âgée de
moins de quatorze ans, ayant commis ainsi l’acte criminel prévu à l’article
(art. Appel au Tribunal des professions rejeté :
|
Constatation de l’infraction criminelle Absence d'antécédents |
Chefs 1 et 2 : Radiation 4 ans
Limitation permanente d'exercice de la médecine auprès de patients âgés de moins de 18 ans
|
Infirmières et
infirmiers du Québec c.
G.D., C.D., |
Chef 1 : Ayant été reconnu coupable des infractions criminelles suivantes ayant un lien avec l'exercice de la profession:
a)
a, à des fins d'ordre sexuel, touché une partie du corps de (...), enfant
âgĂ©e de moins de quatorze (14) ans, commettant l'acte criminel prĂ©vu Ă
l'article
b)
a, à des fins d'ordre sexuel, touché une partie du corps de (...), enfant
âgĂ©e de moins de quatorze (14) ans, commettant l'acte criminel prĂ©vu Ă
l'article
c)
s'est livré à des voies de fait contre (…), commettant ainsi l’acte criminel
prévu à l’article
(art.
|
Constatation de l’infraction criminelle Absence d’antécédents |
Chef 1 : Radiation 3 ans
Limitation permanente d’exercice |
Infirmières et
infirmiers du Québec c
C.M., no. |
Chef 1 : A été trouvé coupable d’infractions criminelles ayant un lien avec l’exercice de la profession (voir la décision, 10 chefs d’infractions).
(art.
|
Constatation de l’infraction criminelle Absence d’antécédents |
Chef 1 : Radiation 4 ans |
Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec c. Baron, 2012 CanLII 99574 |
Chef 1 : A été trouvé coupable d’une infraction ayant un lien avec l’exercice de la profession :
a) a commis une action indécente dans un endroit public, en présence
de (…), commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de
culpabilité prévue à l’article
b) a, à des fins d’ordre sexuel, exhibé ses organes génitaux devant
(…), enfants âgés de moins de seize ans, commettant ainsi l’infraction prévue
à l’article
(art.
|
Constatation de l’infraction criminelle Absence d’antécédents |
Chef 1 : Limitation du droit de desservir une clientèle de moins de 16 ans, et ce, tant individuelle, de groupe ou de famille, peu importe la nature de l’intervention |
Collège des médecins du Québec c. Vanier, 2006 CanLII 76180 |
Chef 1 : a fait défaut d’avoir une conduite irréprochable à l’endroit de (…), en transgressant les limites de la relation thérapeutique, en permettant que s’établisse avec sa patiente une relation intime comprenant des échanges de cadeaux, don d’argent, caresses, baisers ainsi que relations sexuelles complètes et régulières.
(art. 2.02.01, 2.03.08 (pour la période antérieure
au 7 novembre 2002) du Code de déontologie des médecins, art. 4, 17,
22 du (pour la période postérieure au 7 novembre 2002) du Code de
déontologie des médecins et art.
Appel au Tribunal des professions rejeté :
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Constatation de l’infraction criminelle Absence d’antécédents |
Chef 1 : Radiation 3 ans Amende de 1000$ |
Conseillers et conseillères d’orientation et psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec c. Houde, C2007 CanLII 82860 |
Chef 1 : a posé, à trois reprises, des gestes à caractère sexuel envers X, une étudiante âgée de moins de 14 ans.
(art. 6 du Code de déontologie de l’Ordre) |
Plaidoyer de culpabilité |
Chef 1 : Radiation 3 ans |
[49] Les précédents soumis par le plaignant démontrent que la sanction recommandée, soit l’imposition d’une période de radiation de 3 ans et le paiement d’une amende de 1 500 $ est juste et raisonnable en les circonstances.
[50] Le Conseil recommandera au Conseil exécutif la supervision suggérée par le plaignant, l’intimée y ayant consenti tout comme la condamnation au paiement des débours.
Le Conseil doit-il donner suite à la demande de dispense de publication de l’avis de la décision de radiation requise par l’intimée?
[51]
L’avis de publication de la décision est la règle lorsqu’il y a imposition
d’une radiation temporaire en vertu de l’article
[52] Cette publication ne constitue pas une sanction disciplinaire à la conduite de l’intimée, mais bien une conséquence à cette conduite fautive.
[53] La jurisprudence nous enseigne cependant que, pour des raisons exceptionnelles, le Conseil peut ordonner que l’avis de la décision ne soit pas publié.
[54] Dans l’affaire Pellerin c. Avocats (Ordre professionnel des)[8], le Tribunal des professions s’exprime ainsi à ce sujet :
[27] Il importe de rappeler que le principal but de la publication d’un avis de la décision est la protection du public et qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, la jurisprudence constante établit qu’elle sera ordonnée (références omises).
[28] L’objectif de protection du public comporte deux volets, à savoir :
- La nécessité d’informer le public que les comités de discipline veillent à sa protection;
- La nécessité d’informer le public qu’un professionnel ne peut pas, pendant une certaine période, exercer sa profession ou que son exercice est limité, de manière à éviter que des mandats lui soient confiés.
[29] La discrétion conférée aux comités de discipline au 5°alinéa de l’article 156 relativement à la décision de faire publier ou non l’avis de radiation doit être exercée judicieusement, en tenant compte de l’ensemble de la preuve administrée, en gardant à l’esprit la finalité de cette disposition mais aussi en soupesant les répercussions non seulement envisageables ou appréhendées mais probables pour le professionnel.
[30] Lorsqu’il est question de circonstances exceptionnelles, chaque cas doit être étudié en fonction des faits qui lui sont propres.
[Nos soulignements]
[55] Le Conseil de discipline doit donc, à la lumière des faits de chaque cas, décider si la protection du public commande la publication d’un avis de la décision en prenant en considération que l’intérêt public doit primer sur l’intérêt privé du professionnel.
[56] Le Conseil est sensible aux arguments soulevés par l’intimée au soutien d’une dispense de publication et au parcours qu’elle a accompli depuis les événements reprochés.
[57] Pour des raisons qui lui sont propres, l’intimée a préféré ne pas dévoiler au Conseil la nature actuelle de ses occupations professionnelles et de ne pas dévoiler à son employeur le présent dossier.
[58] Â Le Conseil doit, quant Ă lui, faire preuve de plus de transparence.
[59] En effet, le Conseil considère important que le public soit informé quand un professionnel se voit imposer une période de radiation pour la faute qu’il a commise. Cela est essentiel au maintien de la confiance du public quant aux mécanismes mis en place pour assurer sa protection.
[60] Les craintes de l’intimée de perdre son emploi en l’absence d’autres éléments corroborant ces craintes ne suffisent pas à convaincre le Conseil qu’il s’agit ici de circonstances exceptionnelles justifiant une dispense de publication.
[61] Le Conseil décide donc que l’avis de la décision doit être publié. Cet avis ne sera publié qu’au moment où la période de radiation deviendra exécutoire.
POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL :
LE 19 AVRIL 2015 :
A CONSTATÉ que la condamnation de l’intimée à l’égard des accusations criminelles décrites au chef de la plainte a un lien avec l’exercice de la profession de travailleuse sociale;
A DÉCIDÉ qu’il
est à propos d’imposer une des sanctions prévues à l’article
ET CE JOUR :
IMPOSE à l’intimée sous le chef 1 : une période de radiation temporaire de trois ans;
CONDAMNE l’intimée à une amende de 1 500 $
DÉCLARE que cette période de radiation temporaire ne deviendra exécutoire que lorsque l’intimée, le cas échéant, redeviendra membre en règle de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec;
ORDONNE au secrétaire du Conseil de discipline l'Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé avait son domicile professionnel; cet avis ne sera publié qu’au moment où la période de radiation deviendra exécutoire;
RECOMMANDE au Comité exécutif de l'Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec d’imposer une supervision à l’intimée selon les modalités suivantes :
Objectif du projet
Revoir son processus d'intervention clinique auprès de sa clientèle, dans le but de :
Clarifier son offre de services offerts aux clients
Établir des frontières dans sa relation avec ses clients
Baliser les actions Ă poser tout au cours de ses interventions
Thèmes abordés
1. Processus d'intervention clinique incluant l'évaluation psychosociale de la personne et son environnement, élaboration et actualisation d'un plan d'intervention et d'un plan de service avec les partenaires impliqués s'il y a lieu
2. Définition du mandat confié par le client en lien avec le poste occupé
3. Priorisation des tâches à accomplir pour réaliser le mandat
4. Établissement du lien thérapeutique avec le client incluant des frontières claires quant aux actes professionnels posés dans le cadre de ses responsabilités
5. Réévaluation périodique du plan d'intervention élaboré et identification des ajustements requis selon les besoins du client en lien avec son mandat.
6. Maîtrise de la rédaction et la tenue des dossiers sous sa responsabilité
Durée de la supervision :
20 heures : en présence directe auprès du superviseur
60 heures : de travail de la part du membre pour effectuer les lectures, rédactions et écoute des enregistrements d'entrevues avec ses clients.
Le projet de supervision débuterait au moment où madame Bouchard commencerait une nouvelle affectation en tant que travailleuse sociale et devrait se réaliser à l'intérieur d'un délai maximal de 12 mois.
Superviseur
À être identifié par le membre et approuvé par le Comité exécutif. Si le superviseur offre ses services dans le cadre d'une pratique autonome, ses honoraires seraient à la charge de madame Bouchard.
Projet de supervision
Un projet détaillé de supervision devrait être élaboré par le superviseur et déposé au Comité exécutif pour approbation.
Évaluation
Une évaluation des résultats obtenus devrait être complétée par le superviseur avec madame Bouchard pour dépôt au Comité exécutif pour approbation.
CONDAMNE l’intimée au
paiement de l’ensemble des débours conformément à l’article
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__________________________________ Me Julie Charbonneau, présidente
__________________________________ Mme Dominique Allaire, T.S., membre
__________________________________ Mme Yvette Gagnon, T.S., membre
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Me Véronique Brouillette |
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VBrouillette |
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Avocates du plaignant |
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Mme Mélanie Bouchard |
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Intimée |
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Date d’audience : 19 avril 2016
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.