La requérante présente une requête pour être autorisée à remettre un bien à un commerçant (Loi sur la protection du consommateur., art. 107).
L'intimée conteste.
La requérante est débitrice envers la Banque en vertu d'un contrat de vente à tempérament signé le 30 mars 2000 relatif à l'achat par Serge Berthiaume et la requérante d'un véhicule Ford Taurus, modèle P58 de l'année 1999 (pièce I-1) ; le solde étant de 28 364,62 $ en date du 8 septembre 2000 (pièce l-2) ; la valeur du véhicule se situerait, en novembre 2000 entre 14 250 $ et 15 300 $ (pièce l-3).
Les parties ont produit les admissions suivantes :
1. Les parties sont liées par le biais d'un contrat de vente à tempérament signé le 30 mars 2000 relativement à l'achat par Serge Berthiaume et Lyne Rousseau d'un véhicule automobile de marque Ford Taurus, modèle P58 de l'année 1999 portant le numéro de série 1FALP58U1XG259579 ;
2. La requérante admet avoir reçu un état de compte récent du compte de Serge Berthiaume et Lyne Rousseau à la Banque de Montréal portant le numéro 0663-2907-185 établissant le solde dû à la Banque de Montréal à 28 364,62 $ en date du 8 septembre 2000 ;
3. La valeur actuelle du véhicule, pour les fins du procès, est de 14 250$ ;
4. Qu'au moment de contracter chez le concessionnaire automobile, la requérante a déclaré travailler chez Bombardier et avoir des revenus de 2 580 $ brut par mois depuis deux ou trois mois et a remis copie de sa déclaration de revenu pour l'année 1999 établissant son revenu de 1999 à 14 000 $ et que son conjoint d'alors, Serge Berthiaume, a remis un talon de paie indiquant 800$ brut par semaine et qu'il n'a pas remis de déclaration de revenu ;
5. Que Serge Berthiaume a fait faillite le ou vers le 16 juin 2000 ;
6. Que la requérante a des revenus annuels bruts de 32 600 $ ;
7. Que la requérante a présenté sa requête dans le délai prévu par la loi.
La requérante s'est séparée de Serge Berthiaume le 20 mai et, au surplus, ce dernier a fait cession de ses biens.
La requérante et son ancien conjoint Berthiaume n'ont effectué que deux versements de 592,78 $ chacun (30 avril et 30 mai 2000). Le véhicule était pour l'usage de Berthiaume ; la requérante en avait un de moindre valeur.
Les actifs de la requérante sont négligeables :
- des meubles meublants ;
- un véhicule Chevrolet Cavalier (que la requérante n'a même pas immatriculé, n'en ayant pas les moyens) ;
- le véhicule Taurus, dont le syndic à la faillite de Berthiaume n'a, semble-t-il, pas voulu : il est dans la cour, de la mère de la requérante ; cette dernière ne l'a assuré que pour vol et vandalisme.
Ses passifs prouvés (R-12, R-13, R-14), hormis la dette envers l'intimée, sont de plus de 5 800 $.
Quant aux moyens de la requérante, ils sont bien maigres. La majeure partie de la preuve est constituée de l'explication de son état de revenus et dépenses montrant qu'elle mène un train de vie modeste. La plupart des éléments de cet état sont prouvés à la satisfaction du Tribunal :
- son relevé de paie montre un revenu brut (heures supplémentaires comprises) de 593,79 $ par semaine et un net de 374,39 $ (1 609,88$ par mois) ;
- ses dépenses comprennent plusieurs incompressibles :
· loyer, assurances, électricité-chauffage, téléphone domestique, soins dentaires, lunettes, pension alimentaire (payée à un premier conjoint qui a témoigné, le tout en vertu du jugement de divorce R-3), remboursements d'autres prêts, soit 932,36$.
Quant aux autres dépenses mentionnées à l'état, la requérante a subi un contre-interrogatoire pointu et serré (frôlant en un certain moment le vexatoire) ; on lui reproche :
· l'usage d'un téléphone cellulaire (qui, selon elle, lui permettrait d'être rejointe en tout temps par sa fille) ;
· que sa facture d'épicerie est trop élevée (R-11 en liasse) ;
· qu'elle inclut 40 $ d'immatriculation dans ses dépenses, alors qu'actuellement la Cavalier n'est pas immatriculée ;
· de fumer, alors qu'elle est « non fumeuse » pour son assureur-vie.
Même en comprimant ces dernières dépenses, même en ne fumant pas du tout et en ne buvant pas, même en mangeant moins, en oubliant les journaux, revues et disques, ainsi que les repas à l'extérieur pour le loisir, le Tribunal chiffre les autres dépenses à 670 $ - soit un total de 1 612,36 $ (plutôt que les 2 465,14 $ allégués à l'état). - Reste une première conclusion de fait : les dépenses vitales de la requérante sont égales à son revenu net disponible ; il n'y a pas de marge de manœuvre.
Il ne reste pas de sous pour payer un véhicule dont elle n'a pas voulu et dont elle n'a aucun besoin (puisqu'au moment de l'achat de la Taurus elle avait sa Cavalier - et elle l'a toujours).
La preuve révèle qu'elle a signé le contrat parce que Berthiaume "ne passait pas à la Banque seul", son crédit n'était pas suffisant, ça prenait un codébiteur, et la requérante a signé... parce qu'à ce moment-là, ça allait bien avec Berthiaume.
Bien sûr, le procureur de la, Banque rappelle qu'un contrat est un contrat et que la requérante a signé comme codébitrice solidaire et qu'elle savait ce à quoi elle s'engageait.
L'article 107 de la Loi dit :
"Si le consommateur ne remédie pas au fait qu'il est en défaut dans le délai prévu à l'article 106, le solde de son obligation devient exigible à moins que, sur requête du consommateur, le tribunal ne modifie les modalités de paiement selon les conditions qu'il juge raisonnables ou n'autorise le consommateur à remettre le bien au commerçant."
Comme le dit Masse, l'objectif du Tribunal est d'évaluer la situation financière du consommateur :
"Dans le cas d'une situation sans issue, le Tribunal acceptera sans peine la remise du bien, lorsque cela est possible, mais refusera de modifier les modalités de paiement puisque cela ne servirait qu'à prolonger la situation intenable du consommateur sans profiter au commerçant."[1]
Parlant du fardeau de preuve du consommateur, Masse écrit :
"Il faut donc démontrer que la situation financière difficile était imprévue et qu'elle ne dépendait pas de la, volonté du débiteur : cas de perte d'emploi, de maladie grave pour le consommateur ou son conjoint, d'accident, de grève collective prolongée, etc. En d'autres termes, le consommateur doit démontrer qu'il n'a pas été fautif dans la gestion de son patrimoine et de ses revends, qu'il a été de bonne foi."[2]
Enfin, Masse conclut :
"L'article 107 L.P.C. donne de plus au Tribunal le choix entre la permission de remettre le bien dans le cas d'une vente à tempérament ou de location à long terme et la modification des modalités de paiement. Les tribunaux sont en général très réticents à permettre la remise du bien puisque cette remise éteint entièrement la dette du consommateur (art. 110 L.P.C.). C'est une solution de dernier recours lorsque la situation financière du consommateur est définitivement compromise. Lorsque la valeur dépréciée, du véhicule ou du bien vendu à tempérament est bien inférieure au solde de la dette et que les revenus et les actifs du consommateur permettent de croire qu'un remboursement complet de l'obligation est possible si on lui accorde une diminution du montant des remboursements périodiques, le Tribunal opte en général et avec raison pour la modification des modalités de paiement."[3]
L'article 109, après avoir employé le mot "notamment", donne au juge certains critères :
a) le total des sommes que le consommateur, doit débourser en vertu du contrat :
· 35 566,80 $ (27 489,06 $, plus assurance-vie et frais de crédit) ;
· la Banque propose comme solution alternative que la requérante fasse des paiements moindres, mais étalés ; à cela, le Tribunal répond que les intérêts (9.10%) annuels sont de 2 581.18 $, ou mensuels de 215,10 $. Même en vivant encore plus modestement, même en ne payant que les intérêts, la requérante devra toujours, que ce soit dans quelques mois ou quelques années, les mêmes 28 000 $ ;
b) les sommes déjà payées :
négligeables, soit 1 185,56 $ ;
c) la valeur du bien au moment où le consommateur est devenu en défaut :
14 250 $, selon l'admission, soit, six mois, après la date du contrat, environ 50% du coût du bien (excluant les frais de crédit) - une dépréciation plus que rapide ;
d) le solde dû au commerçant :
28 364,62 $ (au 8-09-00) ;
e) la capacité de payer du consommateur :
telle que prouvée en détails et analysée ci-avant, elle est nulle ; même en serrant la ceinture à l'extrême, la requérante arriverait mal à payer ne, serait-ce que les intérêts ;
f) la raison pour laquelle le consommateur est en défaut :
il y a solidarité mais "l'acheteur, principal" Berthiaume, celui qui a vraiment acheté le véhicule, a fait cession de ses biens. La "coacheteuse" (ainsi que la nomme le contrat) n'a pas et n'a jamais eu les moyens d'acheter ce véhicule. Donc, la consommatrice-requérante est en défaut à cause d'un acte (cession de biens) d'un autre, l'acheteur.
L'absence de moyens, une cause de défaut étrangère à la requérante, une valeur très dépréciée du bien, une dette insurmontable pour la requérante, malgré ces faits brutaux, la Banque insiste pour que, plutôt que d'accorder la remise du bien, le Tribunal modifie les modalités de paiement.
Le bien a maintenant si peu de valeur ou une valeur tellement dépréciée (et pauvre par rapport à la dette) que la situation est intenable pour les deux parties.
Le Tribunal ne peut ignorer que la Banque a son mea culpa à faire. La situation n'est pas devenue mauvaise subitement : elle était déjà néfaste à la signature du contrat :
· elle a acquis un contrat de vente à tempérament d'un bien qu'elle savait ou aurait dû savoir se déprécier rapidement ;
· elle n'aurait pas accepté de prêter à l'un ou l'autre des acheteur et coacheteur séparément ;
· le montant dû représentait, sur ce bien si dépréciable, la totalité de la valeur du bien au moment de la vente, les acheteur et coacheteur n'ayant donné aucun comptant ;
· dès le lendemain du contrat, compte tenu du genre de bien, la garantie de la Banque était bien inférieure à la somme prêtée.
Au sujet d'une dépréciation trop rapide du bien, le juge Sarto Cloutier écrit :
"Il est tout de même étrange qu'une automobile usagée vendue 6 322 $ le 25 octobre 1984 ne vaille plus que 2 500 $ (c'est la valeur admise par les parties à l'audience) à la fin d'août 1985, car c'est là une dépréciation de 60% en 10 mois... mais, comme il n'en est pas saisi, le Tribunal ne se prononcera pas sur le débat que pourrait entraîner l'application des articles 8 et 9 de la Loi sur la protection du consommateur.
À tout événement, ce déficit de 1 800 $ ne peut en rien être attribué à une faute quelconque du consommateur. C'est en fait une éventualité que pouvait, prévoir le commerçant lorsqu'il a contracté, un risque normal qu'il devait accepter."[4]
Nous sommes bien loin , de la situation de l'affaire Banque Nationale du Canada c. Ayotte[5] où la situation du consommateur était peut-être intenable, mais où il y avait une caution solvable ; d'ailleurs dans ce cas, c'est précisément parce que l'emprunteur-acheteur ne donnait pas de comptant que la banque avait exigé un cautionnement Le juge Bisson souligne d'ailleurs que la capacité de payer de la caution n'avait pas été examinée.
Ici, l'acheteur Berthiaume étant failli, c'est justement la capacité de payer de la coacheteuse que le Tribunal examine.
Les faits sont également très différents dans l'affaire Gravel c. Crédit Chrysler Canada[6] citée par la Banque, tout comme de l'affaire Jussaume c. General Motors Acceptance[7] où la requérante était responsable de la baisse de son traitement (elle avait opté pour un traitement différé pour fin de sabbatique).
Notre collègue Sarto Cloutier écrit :
"Considérant que l'article 109 de la loi invite les tribunaux à faire la balance des inconvénients : le total des sommes à débourser est-il hors de toute proportion avec les moyens du consommateur ? Les sommes qu'il a déjà payées sont-elles assez appréciables pour constituer une certaine indemnité pour le commerçant ? La valeur du bien, au moment du défaut, permet-elle de croire que le commerçant pourra recouvrer substantiellement (pas nécessairement entièrement) sa créance ? Le solde dû est-il tel qu'il dépasse la capacité de payer du consommateur ou qu'il ne puisse être amorti dans un délai raisonnable par des paiements (versements) modifiés ? Suivant le caractère nécessaire ou superflu du bien dont il s'agit, le consommateur est-il en mesure de le payer sans pour autant se priver des nécessités de la vie (logement, nourriture, vêtements) ? Le consommateur est-il en défaut par suite de « circonstances imprévisibles » (maladie, chômage, accident...) ou par suite d'une prodigalité équivalant à incurie ou d'un calcul malhonnête équivalant à fraude ?"[8]
Les faits de notre cause donnent une réponse à chacune de ces questions. Il y a des inconvénients sérieux pour la requérante : elle ne peut tout simplement pas payer. L'énormité de la dette est telle que la requérante ne s'en sortirait jamais. Il y a un inconvénient sérieux pour la Banque : elle retrouve un bien fort déprécié mais, contrairement à la requérante, elle n'est pas étrangère à son malheur.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la présente requête ;
AUTORISE la requérante à remettre le bien au commerçant et ORDONNE à l'intimée de le reprendre à ses frais ;
DÉCLARE éteinte l'obligation de l'a requérante ;.
AUTORISE l'intimée à conserver les paiements qu'elle a reçus ;
LE TOUT avec dépens.
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Me Marc Brosseau |
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Me Patrick Ouellet |
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Audition : 22-11-00 & 11-12-00 |
[1] Claude MASSE, Loi sur la protection du consommateur - Analyse et commentaires, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1999, p. 510.
[2] Op. cit. pp 510 et 511.
[3] Op. cit., p. 512.
[4] Huard c. Banque de Commerce Canadienne Impériale et al, [1988] R.J.Q. 1104 , à la page 1107.
[5] [1985] C.A. 182 .
[6] L'honorable juge Monique Sylvestre, J.C.Q. Joliette, 705-02-000005-900, 31 janvier 1990.
[7] J.E. 92-301 (C.Q.)
[8] Supra, note 4.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.