Décision

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Gabarit CFP

Hall Munn et Québec (Ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion)

2015 QCCFP 22

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIERS Nos :

1301442
1301488
1301489

 

DATE :

17 décembre 2015

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Sonia Wagner

______________________________________________________________________

 

 

Lynda Hall Munn

Requérante

Et

Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN ANNULATION DE DÉSISTEMENT

(Article 119, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

LA REQUÊTE

[1]           Mme Lynda Hall Munn souhaite que soit annulé le désistement qu’elle a produit le 10 août 2015 à l’égard de ses trois appels déposés à la Commission de la fonction publique (ci-après la « Commission »).

[2]           La réception de ce désistement a donné lieu, le même jour, à la fermeture des dossiers 1301442, 1301488 et 1301489, par le greffe de la Commission, tel qu’indiqué à la requérante le 11 août 2015.

LES FAITS

[3]           Le 12 mars 2015, Mme Munn est congédiée par son employeur, le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (ci-après le « MIDI »).

[4]           Le 17 mars 2015, Mme Munn interjette appel à la Commission, en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (ci-après la « LFP »), de la décision du MIDI de la congédier (dossier 1301442). Une audience est planifiée le 3 juin 2015, mais remise au 22 septembre suivant, après que la Commission eût accepté une demande de remise de l’intimé.

[5]           Le 6 août 2015, une conférence préparatoire téléphonique est tenue par la commissaire alors chargée du dossier, MLouise Caron, en vue de l’audience du 22 septembre 2015. Un procès-verbal de cette conférence est dressé et transmis aux parties. Celui-ci rapporte que la commissaire Caron explique entre autres à Mme Munn le fardeau de la preuve imposé à l’employeur en matière disciplinaire. Elle invite également Mme Munn à consulter la jurisprudence pertinente à sa préparation en vue de l’audience. À la suite de cette conférence, une deuxième journée d’audience est fixée le 5 novembre 2015.

[6]           Le 9 août 2015, la requérante signifie à la Commission un autre appel, cette fois en matière de conditions de travail en vertu de l’article 127 de la LFP, ainsi qu’une plainte de harcèlement psychologique fondée sur l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail[2] (dossiers 1301488 et 1301489).

[7]           Le 10 août 2015 à 21 h 55, la Commission reçoit un courriel de Mme Munn, adressée à la commissaire Caron, dans lequel elle écrit notamment :

[…] Cela a assez duré. J’ai suffisamment été affecté inutilement par les manigances de Suzie Melançon et de ses supérieurs depuis deux ans, sans que personne ne m’écoute. Je n’ai pas l’intention d’aller me faire démolir davantage devant une Commission qui va mettre sur un piédestal les supérieurs du Ministère, leurs avocats et leurs témoins […].

Je n’irai pas à l’audition, à VOTRE audition. […]

Je n’ai vraiment plus l’intention d’aller faire rire de moi devant votre Commission. […]

C’est le dernier courriel que je vous adresse. […]

Alors vous n’avez maintenant qu’à fermer vos beaux dossiers avec tous les articles inutiles qui s’y rattachent puisque j’estime maintenant avoir été niaisée assez longtemps depuis le 12 mars 2015 […].

[La Commission souligne]

[8]           Le 11 août 2015 à 8 h 02, la Commission reçoit un autre courriel de Mme Munn dans lequel elle écrit :

[…] J’ai suffisamment parlé en vain et écrit en vain depuis deux ans pour le dénoncer, sans succès. Je baisse les bras, j’abandonne. […] Je n’irai pas à votre audition le 22 septembre 2015. De ce que j’ai constaté, lu et entendu, ce serait une démolition additionnelle à mon égard, rien de plus. […]

[La Commission souligne]

[9]           Pour donner suite à ces deux courriels, le greffe de la Commission a fermé les dossiers de Mme Munn en prenant acte du désistement. Le courriel qu’adresse alors le greffe de la Commission à Mme Munn à 9 h 44, le 11 août 2015, est rédigé comme suit :

Nous accusons réception de votre désistement en date du 10 août 2015 pour vos dossiers 1301442 (art. 33 de la Loi sur la fonction publique), 1301488 (art. 81.20 de la Loi sur les normes du travail) et 1301489 (art. 127 de la Loi sur la fonction publique). En conséquence, la Commission ferme ces dossiers.

L’audience prévue le 22 septembre et le 5 novembre est donc annulée.

[10]        Le même jour, la Commission avise l’intimé du désistement de Mme Munn.

[11]        Toujours le 11 août 2015, Mme Munn écrit de nouveau un courriel à la commissaire Caron à 21 h 34 :

[…] En effet, je suis encline au pardon et à la réconciliation. Voilà pourquoi je n’ai pas contesté les sanctions à la CFP et que je me suis désistée de mes appels à la suite de mon congédiement abusif […]. Mon désistement ou mon audition ne changent absolument rien aux injustices du Ministère [...]. 

[La Commission souligne]

[12]        Le 17 août 2015, la Commission reçoit par courriel la demande suivante de Mme Munn :

Bonjour,

Je demande une révision. […] La Commission de la fonction publique a été très rapide à fermer mon dossier lors d’un moment de découragement fort légitime lorsque je me suis adressée par courriel à MCaron qui ne m’a pas appelé [sic] et a fermé mon dossier sans même me parler. […] et je trouve que la Commission a été « très rapide sur la gachette de fermeture de mon dossiers [sic] sans m’avoir appelée et sans m’avoir entendue ». Je suis en attente du formulaire de révision de la Commission des normes du travail. J’ai également déposé une plainte à la Commission des droits de la personne et à la Commission de l’intégrité du secteur public. Je ne me désiste pas du tout. […]

[La Commission souligne]

[13]        Le jour même, la Commission expédie à Mme Munn un accusé de réception d’une requête en annulation de désistement.

L’ARGUMENTATION

[14]        Après que la Commission leur eût proposé deux options pour entendre la présente requête, les parties choisissent de procéder par la transmission d’argumentations écrites plutôt que de se faire entendre dans le cadre d’une audience.

de la requérante

[15]        Mme Munn prétend ne pas avoir consenti à son désistement et en demande donc l’annulation.

[16]        Voici un extrait de l’argumentation de Mme Munn au soutien de ses prétentions:

[…]

Je n'ai jamais consenti à ce désistement. Je demande l'annulation de ce désistement caduque, qui a été fait sans mon consentement, après que la Commission ait interprété faussement mon courriel du 10 août 2015.

En effet, j'ai simplement fait mention de mon abattement et de mon découragement face à cette grosse machine gouvernementale dans mon courriel et je n'ai jamais parlé de « désistement ». Un courriel d'abattement et de découragement n'est pas un désistement et n'est pas un consentement au désistement. Je n'ai jamais signé non plus de formulaire de désistement de mes appels.

[…]

Que la procédure suive son cours normal, que l’interprétation cesse, que la vérité sorte et que justice soit faite.

[…]

[La Commission souligne]

[17]        De plus, en réplique à l’argumentation de l’employeur, Mme Munn ajoute :

[…]

Depuis mon congédiement le 12 mars 2015, je suis laissée à moi-même de la part de mon employeur, le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. Je ne suis pas représentée ni défendue par mon employeur : seule Suzie Melançon, gestionnaire, l’est, ce qui est fort injuste, inégal, inéquitable et discriminatoire à mon égard. Ce n’est pas égal ni juste.

J’ai porté appel de la décision de mon employeur sur ce congédiement planifié et injuste dès le premier jour de mon congédiement. […]

[…]

[…] Justice n’a d’ailleurs pas été rendue non plus sur cette situation préjudiciable à mon égard et il semble bien que ni la Commission ni l’employeur ne veulent m’entendre... C’est d’ailleurs pour cela que vous voulez délibérer. Vous vous demandez seulement si vous voulez et si vous allez m’entendre... Alors que moi, je croyais que la Commission rendrait plutôt un jugement équitable concernant mon congédiement et demanderait réparation des préjudices qui m’ont été causés à l’employeur depuis mai 2012.

[…]

Je n’ai pas mis autant d’efforts dans l’écriture de mes courriels pour ma défense depuis le 12 mars 2015 dans le but simplement de ne pas être entendue par la Commission... Au contraire, si je n’avais pas voulu être entendue par la Commission, je n’aurais pas porté appel... même si ma confiance à l’égard de la Commission s’est effritée après six mois d’attente... non pas pour être entendue afin que justice soit faite, mais pour décider si je serais entendue... Cela me porte ainsi à croire que nous ne vivons plus, désormais, dans une société démocratique puisqu’il y a parti pris pour la gestionnaire Suzie Melançon, sans aucune volonté d’entendre l’employée subalterne âgée de 56 ans qui, selon la Commission et le Ministère, ne mérite pas d’être entendue en regard de son âge avancé, alors que cette employée, moi, comme se disent la Commission et le Ministère, devrait être à la retraite comme la plupart de ses collègues de son âge du même statut qu’elle... Je trouve ce raisonnement de l’employeur et de la Commission discriminatoire : j’ai le droit de prendre ma retraite quand je veux et je ne veux pas prendre ma retraite avant, au moins, 12 ans. Qu’est-ce que l’employeur ne comprend pas là-dedans? Dois-je écrire en hiéroglyphes sur une tablette ou sur un téléphone intelligent pour que l’employeur comprenne mon message et me respecte dans ma décision et dans mon choix d’être utile sur le marché du travail jusqu’à l’âge de mon choix?

[…]

Pour revenir à mon courriel du 10 août adressée à l’ancienne Commissaire, on voit clairement mon abattement et mon découragement, ce qui est fort compréhensible face à cette grosse machine gouvernementale qui appuie uniquement la gestionnaire Suzie Melançon et compte tenu que je ne suis pas représentée, que mon employeur ne me défend pas, que mon employeur me renie et m’ignore.

[…]

Dès que je me suis adressée au Ministère en août 2013 pour dire que j’étais surchargée (j’occupais alors quatre postes en un, de mai 2012 à août 2013), tout comme lorsque j’ai adressé mon courriel pour exprimer mon découragement à la Commission en août 2015, je n’ai reçu aucun appui ni aide de part et d’autre... de la part du Ministère, j’ai eu droit à des représailles... et de la part de la Commission, j’ai eu droit à la fermeture intempestive de mon dossier et à l’annulation des auditions du 22 septembre et du 5 novembre 2015. Après m’être plainte à la Commission des droits de la personne, la Commission de la fonction publique a accepté de délibérer pour savoir si l’employeur et la Commission m’entendraient. Voilà ou nous en sommes.

La Commission et l’employeur en ont profité pour tout fermer, sans même me parler et surtout pas m’offrir quelque aide que ce soit puisque toute l’aide est apportée à la gestionnaire stratégique qui m’a mise à la porte et qui a planifié mon congédiement dès août 2013, Suzie Melançon, sur ordre de ses supérieurs. […]

J’ose espérer que la Commission des droits de la personne ne me laissera pas tomber... comme la Commission a été empressée de fermer mon dossier le 11 août 2015, sans même me téléphoner, dès le lendemain que j’ai eu un moment de faiblesse, d’abattement et de découragement fort normal dans ces circonstances inégales du traitement accordé à Suzie Melançon par rapport à moi, qui ne suis pas représentée, ni défendue et qui suis totalement exclue. Il n’y a eu aucune justice à ce jour dans mon dossier dans la Fonction publique québécoise depuis mai 2012 et justice doit être faite.

[…]

Suzie Melançon est représentée par les avocats du Ministère qui paie tout pour elle. Pourtant, Suzie Melançon a bien les moyens financiers de se payer un avocat sur sa propre paie. L’employeur ne devrait pas lui fournit gratuitement des services d’avocats pour se défendre. Elle n’a même pas à se soucier de sa défense, ni de rien n’assumer... c’est bien pour cela qu’elle se permet, elle, de faire n’importe quoi pour entraver mon audition! L’employeur la défend et fait tout à sa place... Il est évident que, si bien entourée et si bien supportée, Suzie Melançon ne peut avoir aucune faiblesse pour sa part, ne peut être que parfaite et peut certes se permettre de reporter et de remettre en question mon audition ad vitam aeternam, sans aucune conséquence et sans aucun préjudice à l’endroit de l’employeur et de la Commission qui font ce qu’ils veulent, comme ils le veulent et peuvent reporter ou annuler les auditions à volonté parce que l’égalité et l’équité en matière d’emploi au Ministère, ce n’est vraiment pas destiné au personnel de 56 ans.

Il est normal d’avoir des moments de découragement et d’abattement dans une telle situation d’inégalité et d’inéquité au travail. L’employeur a refusé toute médiation; a reporté l’audition du 3 juin au 22 septembre, audition qui a été annulée dès que j’ai montré un signe de faiblesse, d’abattement et de découragement fort normal dans un courriel pour exprimer toute l’inégalité d’une situation de travail inéquitable entre une gestionnaire et une employée subalterne âgée qui doit se défendre seule contre une grosse machine gouvernementale qui paie tout à sa gestionnaire pour assurer sa défense malgré ses inconduites, ses manigances stratégiques, ses ordres abusifs, ses irrégularités, ses refus de collaboration et ses injustices à mon égard. Ainsi, par la seule expression d’un ‘’signe de faiblesse, d’abattement et de découragement fort normal’’ dans un courriel du 10 août exprimé à l’ancienne Commissaire, cela a permis, de façon intempestive, à la Commission et à l’employeur d’annuler les auditions reportées au 22 septembre et au 5 novembre 2015 et de fermer mon dossier de façon tout aussi intempestive, sans même me téléphoner... Tous les articles de loi étaient fin prêts à justifier le maintien de fermeture et d’annulation des auditions.

C’est comme si l’employeur et la Commission ‘’s’étaient dépêchés de me tirer dans le dos dès que je me suis penchée la tête dans un moment de découragement, d’abattement et d’isolement’’... C’est là que je me rends compte, encore une fois, que l’employeur et la Commission n’ont aucune sympathie à l’égard du personnel subalterne âgé, à qui ils n’excusent rien et ne permettent même pas d’être parfois découragée, abattue, face à autant d’injustices, pas même le temps d’un courriel de deux minutes... Aucune sympathie ni excuse n’est attribuable au personnel subalterne âgé de 56 ans...

Il n’y a aucune compassion de la part de l’employeur et de la Commission, aucune. Rien n’est excusé... seuls les articles de loi comptent, rien d’autres! Les avocats et avocates au dossier n’ont aucune idée de ce que c’est que le ‘’vrai droit’’ et le ‘’vrai respect de la personne humaine’’ sur lesquels originent tous les articles de loi qu’ils apprennent par coeur à l’Université et au Barreau. La base n’y est pas... Les articles de loi appliqués à la lettre par les avocates et avocats de l’employeur focusent sur les articles visant à ne pas m’entendre oublient, encore une fois, la base même du droit et oublient que la personne humaine existe dans notre société et travaillait au MIDI, tout simplement.

Il est vrai que je ne suis pas parfaite comme Suzie Melançon, la représentante de l’employeur, la gestionnaire aux mille maîtrises, celle que l’employeur défend et celle pour qui l’employeur paie tout et excuse tout. Je ne fais pas le poids, c’est évident, diront l’employeur et la Commission.

C’est vrai. Je ne suis pas parfaite, moi, mais je dis la vérité et je n’ai aucune stratégie ni manigance, moi.

[…]

Je vous laisse le soin de délibérer afin de savoir si vous allez finir par m’entendre... de guerre lasse...

[La Commission souligne]

de l’intimé

[18]        L’intimé soutient que la Commission ne doit pas accueillir la requête en annulation de désistement présentée par Mme Munn.  À l’appui de ses présentions, le MIDI souligne d’abord l'affaire Dolbec[3] dans laquelle la Commission des relations du travail définit comme suit le désistement :

[32] Le désistement d'une plainte déposée en vertu des dispositions de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail est un acte juridique relevant de la seule volonté du plaignant qui manifeste par ce moyen son intention de mettre fin au recours qu'il a entrepris. On parle d'un acte juridique unilatéral.

[19]        Selon le MIDI, la requérante a transmis à la Commission trois courriels dans lesquels son intention de se désister est clairement exprimée.

[20]        Il poursuit en indiquant que même si le terme « désistement » n'a pas été utilisé par la requérante dans son courriel du 10 août 2015 à 21 h 55, il ressort clairement de cette communication que Mme Munn ne sera pas présente lors de l'audition et qu'elle désire mettre un terme à ses recours :

[...] Je n'ai pas l'intention d'aller me faire démolir davantage devant une Commission [...] Je n'irai pas à l'audition, à VOTRE audition. [...] Je n'ai vraiment plus l'intention d'aller faire rire de moi devant votre Commission. [... ] Alors, vous n'avez maintenant qu'à fermer vos beaux dossiers [...].

[21]        Le MIDI ajoute que la requérante confirme clairement son intention dans son courriel du 11 août 2015 à 8 h 02 :

[...] Je baisse les bras, j'abandonne. [...] Je n'irai pas à votre audition le 22 septembre 2015. [...]

[22]        Pour le MIDI, ce désistement est reconfirmé par la requérante de façon non équivoque dans son courriel du 11 août 2015 à 21 h 34 :

En effet, je suis encline au pardon et à la réconciliation. Voilà pourquoi je n'ai pas contesté les sanctions à la CFP et que je me suis désistée de mes appels à la suite de mon congédiement abusif [...]. Mon désistement ou mon audition ne changent (sic) absolument rien aux injustices du Ministère [...].

[Le MIDI souligne]

[23]        Le MIDI ajoute que s'il n'était pas de l'intention réelle de la requérante de se désister de ses recours, celle-ci aurait immédiatement tenté de rectifier la situation dès la réception du courriel de la Commission l'informant qu'elle accuse réception de son désistement et qu'elle ferme ses dossiers. Or, loin de contester la décision de la Commission, la requérante répond plutôt en exposant les motifs justifiant son désistement.

[24]        Quant au fait que la requérante n'a pas rempli de formulaire de désistement, le MIDI rappelle que l'article 9 du Règlement sur les appels à la Commission de la fonction publique[4] prévoit :

9. Si l'appel fait l'objet d'un désistement ou d'un acquiescement à la demande, qu'il soit total ou partiel, l'appelant ou l'autre partie, selon le cas, doit en informer par écrit la Commission avant que la décision ne soit rendue. [...]

[Le MIDI souligne]

[25]        Le MIDI se réfère également aux sections Recours et Foire aux questions du site Web de la Commission qui expliquent les conséquences d’un désistement.

[26]        Pour le MIDI, devant le désistement clairement exprimé par la requérante, c'est à bon droit que le greffe de la Commission a procédé à la fermeture des dossiers 1301442, 1301488 et 1301489 ainsi qu'à l'annulation des audiences prévues les 22 septembre et 5 novembre 2015 sans autre avis ni délai.

[27]        Le MIDI renvoie ensuite la Commission aux articles 1398 et 1399 du Code civil du Québec, qui énoncent les principes permettant d’évaluer la validité d’un consentement, ainsi qu’aux affaires Lussier[5] et Bélanger[6] dans lesquelles la Commission des lésions professionnelles énonce les principes permettant d'évaluer la validité d'un désistement. Le MIDI cite enfin la Commission qui mentionne dans la décision Harvey[7] :

[18] [...] De plus, pour obtenir l'annulation d'un désistement, celui qui l'a produit a le fardeau de prouver qu'il n'a pas été fait de façon libre et volontaire. Enfin, une fois produit, le désistement dessaisit le tribunal du recours, celui-ci perdant de ce fait compétence.

[28]        Pour le MIDI, le désistement transmis par courriel le 10 août 2015 ainsi que les deux autres courriels du 11 août 2015 proviennent de la requérante elle-même de son adresse courriel et portent tous sa signature. Ce désistement n'a donc pas été produit sans son consentement ni à son insu.

[29]        Le MIDI considère que la preuve démontre plutôt que la requérante a changé d'avis. Il renvoie à ce sujet la Commission à la décision de la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Munoz Martinez[8].

[30]        Le MIDI conclut que Mme Munn n'a pas démontré que son désistement n'était pas valide et qu'il devait être annulé.

ANALYSE ET MOTIFS

[31]        La Commission doit déterminer s’il y a lieu d’accueillir la requête en annulation de désistement présentée par Mme Munn qui a le fardeau d’en démontrer le bien-fondé.

[32]        Pour ce faire, la Commission doit déterminer, en premier lieu, si Mme Munn a effectivement produit un désistement. Dans l’affirmative, la Commission doit statuer si une absence ou un vice de consentement invalide ce désistement.

[33]        D’abord, bien que la LFP ne contienne aucune disposition qui traite spécifiquement de l’annulation d’un désistement, la Commission est compétente pour disposer d’une requête qui vise à statuer quant à la validité d’un désistement en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 119 :

119. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa compétence; elle peut notamment rendre toute ordonnance qu'elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider toute question de fait ou de droit.

[34]        La Commission rappelle que le désistement d’un recours est un acte juridique relevant de la seule volonté de la partie qui manifeste par ce moyen son intention de mettre fin au recours qu’il a entrepris, tel que l’indiquait la Commission des relations de travail dans l’affaire Dolbec[9]. Une fois produit, le désistement dessaisit le tribunal, celui-ci perdant de ce fait compétence. Le désistement est un acte unilatéral et définitif entraînant la fermeture d’un dossier, sans autre avis ni délai.

[35]        Comme l’a souligné le MIDI, la seule exigence quant à la forme d’un désistement se retrouve à l’article 9 du Règlement sur les appels à la Commission de la fonction publique qui prévoit que celui-ci doit être présenté par écrit à la Commission. Il n’est donc pas nécessaire de compléter un formulaire pour qu’un désistement soit valide et que le greffe de la Commission procède à la fermeture d’un dossier.

[36]        Les 10 et 11 août 2015, Mme Munn a transmis à la Commission deux courriels dans lesquels elle exprime sa volonté de mettre un terme à ses appels : « Je n'irai pas à l'audition, à VOTRE audition. […] vous n'avez maintenant qu'à fermer vos beaux dossiers »; « Je baisse les bras, j'abandonne. [...] Je n'irai pas à votre audition le 22 septembre 2015. »

[37]        Mme Munn confirme d’ailleurs à la commissaire Caron s’être désistée de ses appels dans un courriel transmis en soirée le 11 août 2015 :

[...] En effet, je suis encline au pardon et à la réconciliation. Voilà pourquoi je n'ai pas contesté les sanctions à la CFP et que je me suis désistée de mes appels à la suite de mon congédiement abusif [...]. Mon désistement ou mon audition ne changent absolument rien aux injustices du Ministère [...].

[La Commission souligne]

[38]        Considérant la teneur des courriels de Mme Munn, la Commission constate qu’il s’agit véritablement d’un désistement. Le greffe de la Commission était donc justifié de fermer les dossiers d’appel de Mme Munn en date du 10 août 2015.

[39]        Il ne s’agit pas là d’un geste intempestif de la Commission comme le prétend Mme Munn dans son argumentation : la décision de fermer un dossier en est une de nature purement administrative qui relève de la gestion des dossiers d’un tribunal par son greffe.

[40]        Ainsi, à la réception d’un désistement, le greffe donne suite à la volonté de l’appelant de mettre fin à son recours et procède systématiquement à la fermeture du dossier visé. Le greffe prend acte du désistement : il n’a pas à juger de sa pertinence, ni de son caractère opportun.

[41]        En conséquence et contrairement à ce qu’allègue Mme Munn, ni le greffe de la Commission, ni la commissaire Caron, n’avait à la contacter avant de procéder à la fermeture de ses dossiers, pour questionner les raisons de son désistement ou pour en comprendre les motifs.

[42]        Considérant que Mme Munn s’est désistée le 10 août 2015, la Commission doit maintenant déterminer si ce désistement peut être annulé. À cet égard, il est important de souligner que l’annulation d’un désistement affecte la stabilité de la situation juridique des parties. Néanmoins, la jurisprudence reconnaît qu’un désistement peut être déclaré invalide lorsqu’il y a absence de consentement ou que le consentement de la partie qui se désiste est entaché d’un vice. Les articles 1398, 1399, 1400 et 1401 du Code civil du Québec traitent du consentement et des vices qui peuvent l’affliger :

1398. Le consentement doit être donné par une personne qui, au temps où elle le manifeste, de façon expresse ou tacite, est apte à s'obliger.

1399. Le consentement doit être libre et éclairé.

Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.

1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.

L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.

1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.

[43]        Les circonstances suivantes ont été reconnues comme viciant le consentement donné par une partie lors d’un désistement :

·        lorsque le désistement est produit à l'insu d'une partie[10];

·        lorsque le désistement résulte d'une erreur de fait[11];

·        lorsque le désistement est obtenu à la suite de menaces ou sous l'effet de la contrainte[12];

·        lorsque le désistement est donné par une personne qui est dans un état dépressif[13] ou sous l'effet d'une médication[14] qui, dans ces deux cas, altère son jugement au point où celle-ci n'a pas la capacité de comprendre la portée de son acte.

[44]        En l’espèce, Mme Munn n’a pas fait la démonstration, de manière probante, que le désistement qu’elle a produit au greffe de la Commission n’était pas libre et volontaire.

[45]        En effet, Mme Munn fait état de son abattement et de son découragement pour expliquer ses courriels des 10 et 11 août 2015. Elle mentionne également la difficulté de ne pas être représentée par avocat et l’injustice qu’elle ressent par rapport à cette situation.

[46]        Toutefois, Mme Munn n’a pas démontré à la Commission que son désistement a été produit à son insu, qu’il a résulté d’une erreur de fait, qu’il a été obtenu à la suite de menaces ou sous l’effet de la contrainte, ou qu’elle était dans un état dépressif ou sous l’effet d’une médication altérant son jugement, au point où elle n’avait pas la capacité de comprendre la portée de son acte, lorsqu’elle a demandé à la Commission de fermer ses dossiers dans son courriel du 10 août 2015.

[47]        La preuve au dossier ne permet pas de déceler que Mme Munn a subi des pressions, de la part du MIDI ou de la part de quiconque, pour produire son désistement. Le découragement et le fait de ne pas vouloir « subir » une audience à la Commission, audience au cours de laquelle elle aurait eu à croiser des représentants de l’employeur, sont les seules contraintes que la Commission perçoit avoir été vécues par Mme Munn. Or, la Commission est d’avis que de telles contraintes ne sont pas de nature à vicier son consentement et à invalider son désistement.

[48]        Dans la décision Harvey[15], la Commission indiquait d’ailleurs à l’égard d’une situation similaire :

[23] La preuve ne révèle nullement que des pressions quelconques pour qu’elle produise le désistement ont été exercées indûment par l’intimé ou par quiconque. La seule contrainte qu’elle a pu subir a été celle qu’elle se sentait démunie de se présenter seule à l’audience pour faire valoir son point de vue. Elle déclare que « ça ne [lui] tentait pas de vivre çà [sic] ». Une telle contrainte ne peut, à elle-seule, vicier son consentement et invalider le désistement déposé à la Commission.

[La Commission souligne]

[49]        La Commission est d’avis que Mme Munn s’est librement désistée de ses recours, mais qu’elle a changé d’idée par la suite. Comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bédard et Camoplast Inc.[16] :

[77] Or, la jurisprudence[[17]] a retenu qu’un changement d’idée n’est pas assimilable à la notion de consentement vicié pas plus que le simple regret n’est synonyme d’un consentement non éclairé.

[50]        Ce même tribunal le rappelle d’ailleurs dans l'affaire Munoz Martinez[18]:

[59] La travailleuse semble bien avoir changé d'idée depuis la signature de ces désistements. Cependant, un changement d'idée ou un regret face aux documents produits ne sont pas assimilables à la notion de consentement vicié. Cela ne permet donc pas d'annuler les désistements et de rouvrir les dossiers.

[La Commission souligne]

[51]        Au surplus, même si elle arrivait à la conclusion que Mme Munn ne saisissait pas l’implication du geste qu’elle a posé le 10 août 2015, la Commission rejetterait néanmoins sa requête en annulation de désistement. En effet, le fait de ne pas bien saisir toutes les conséquences de son geste est assimilable à l’ignorance de la loi et ce motif ne constitue pas un motif suffisant pour invalider un désistement librement consenti[19].

[52]        Les dossiers de la Commission révèlent que, le 3 juin 2015, le greffe a invité Mme Munn à consulter un avocat et l’a informée du service de consultation juridique offert gratuitement ou à faibles coûts par le Barreau du Québec. Il l’a également référé aux sections Recours et Voies de règlement du site Web de la Commission ainsi qu’aux décisions de la Commission en matière de congédiement.

[53]        Le site Web de la Commission présente l’information pertinente et nécessaire afin de bien se préparer à l’audience et pour en comprendre le déroulement. Il expose également ce que constitue un désistement et ses conséquences pour un recours.

[54]        Toutefois, il est important de garder à l’esprit que la Commission est un tribunal administratif neutre et indépendant. Son greffe ne peut donc pas donner de conseils juridiques ni assister personnellement un appelant dans sa préparation en vue d’une audience. Même devant un tribunal administratif, il existe un désavantage certain à ne pas être représenté par avocat. La Commission ne peut pallier à ce désavantage par souci de neutralité et d’impartialité.

[55]        La Commission fait siens les propos de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bédard et Camoplast Inc.[20] : « le désistement constitue un acte juridique, à caractère définitif et irrévocable, lequel acte ne peut être invalidé à moins d’une preuve établissant qu’il résulte d’un consentement vicié ». Cette preuve n’a pas été faite par Mme Munn.

[56]        En conclusion, la Commission est d’avis que la requérante s’est désistée de ses recours le 10 août 2015. Mme Munn ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer le caractère invalide de son désistement, en raison d’une absence ou d’un vice de consentement. En conséquence, la Commission ne peut pas annuler ce désistement.

[57]        POUR CES MOTIFS, la Commission :

·        REJETTE la requête de Mme Lynda Hall Munn d’annuler le désistement qu’elle a produit le 10 août 2015 concernant les dossiers 1301442, 1301488 et 1301489;

·        DÉCLARE qu’elle a perdu compétence pour se saisir du fond du litige dans les dossiers 1301442, 1301488 et 1301489.

Original signé par :

 

__________________________________

Sonia Wagner, avocate

Commissaire

 

Mme Lynda Hall Munn

Requérante non représentée

 

Me Natasha Lapointe

Procureure pour le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion

Intimé

 

Requête prise en délibéré : 3 octobre 2015

 



[1]     RLRQ, c. F-3.1.1.

[2]     RLRQ, c. N-1.1.

[3]     Dolbec et Ministère du Revenu, 2004 QCCRT 596.

[4]     RLRQ, c. F-3.1.1, r. 1.

[5]     Lussier et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P.E. 99LP-241.

[6]     Bélanger et Pneus Bélisle St-Jérôme inc., 2014 QCCLP 4845.

[7]     Harvey et Ministère de la Sécurité publique, 2009 CanLII 24935.

[8]     Munoz Martinez et Jack Victor ltée, 2009 QCCLP 2511.

[9]     Précité, note 3.

[10]    Lussier et Jean-Jacques Lussier, 87597-64-9704, 99-05-11, S. Di Pasquale.

[11]    Duchesne et Nutrinor Coop agro-alimentaire, [1998] C.A.L.P. 290.

[12]    Dessureault et Jempak Canada inc., 191558-62-0209, 03-08-20, H. Marchand.

[13]    M. (M.A.) et Commision C., [1993] C.A.L.P. 1177.

[14]    Proulx et Aliments surgelés Conagra ltée, 181166-63-0203, 04-11-17, F. Mercure.

[15]    Précitée, note 7.

[16]    Bédard et Camoplast Inc., 2009 QCCLP 644.

[17]    Lupien et Orica Canada inc., 181075-64-0203 et autre, G. Morin; Fromagerie de Corneville (Agropur) et Plante, 197176-62B-0301, 8 décembre 2004, N. Blanchard.

[18]    Précitée, note 8.

[19]    Samson et Dozier boutique inc., [1994] C.A.L.P. 849.

[20]    Précitée, note 16, par. 69.

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