Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 19 juillet 2023

Référence neutre : 2023 QCTAQ 07347

Dossier  : SAI-Q-263839-2209

Devant le juge administratif :

JACQUELINE FRANCOEUR

 

RÉJEAN GOSSELIN

Partie requérante

c.

MUNICIPALITÉ DE SAINTE-SOPHIE-D'HALIFAX

MRC DE L'ÉRABLE

Parties intimées

 

 


DÉCISION


 


 


APERÇU

[1]                    Monsieur Réjean Gosselin, conteste la valeur inscrite au dépôt du rôle triennal 202220232024 de sa propriété, englobant sa résidence et des dépendances, le tout sur un terrain d’un peu plus de 85 hectares, sise au [...] à Sainte-Sophie-d’Halifax.

[2]                    Le présent recours est entendu par une formation constituée d’un seul juge, et ce, en référence à l’application de l’article 79 et du troisième alinéa de l’article 82 de la Loi sur la justice administrative[1].

[3]                    L’inscription contestée est la suivante :

Matricule :

32023-1114-83-9717

Lots :

[#1 et #2][2]

Superficie :                            

85,26 hectares (ha)

Évaluation du Terrain :

809 800 $

                       Bâtiment :

160 900 $

 

970 700 $[3]

[4]                    Le requérant a déposé une demande de révision administrative étant donné l’augmentation de la superficie de son terrain de 14 % à la suite de la réforme cadastrale. Il est également en désaccord avec l’ajout de cette superficie additionnelle à la catégorie agricole amélioré.

[5]                    La réponse de l’évaluateur à cette demande de révision est une baisse de valeur pour le terrain à 717 800 $. Les bâtiments demeurent au même montant, ce qui porte l’inscription proposée à 878 700 $ pour l’unité en litige.

[6]                    Le requérant refuse cette offre et dépose son recours au Tribunal dans les délais prescrits où les motifs sont : « superficie incorrecte du terrain agricole concerné et surévaluation du terrain mal classifié ».

[7]                    À l’audience, c’est l’évaluateur agréé, M. Patrick Milot qui témoigne pour les parties intimées. Il dépose une expertise[4] dans laquelle il conclut à une valeur de 1 094 000 $ ce qui représente une hausse de 12,75 % de la valeur inscrite au rôle. En plaidoirie, l’avocate des parties intimées recommande une hausse de la valeur inscrite au rôle.

[8]                    Pour les raisons qui suivent, le Tribunal rejette le recours de la partie requérante et considère que la valeur inscrite au rôle triennal 2022-2023-2024 doit être maintenue.

PRINCIPES LÉGAUX DE BASE

[9]                    Il convient de rappeler que le Tribunal doit déterminer la valeur réelle selon les règles prescrites par la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)[5].

[10]               La valeur recherchée par le Tribunal en fiscalité municipale, est la valeur réelle[6] d’un immeuble, définie comme la « valeur d’échange sur un marché libre et ouvert à la concurrence, soit le prix le plus probable qui peut être payé lors d’une vente de gré à gré[7] », dans les conditions où le vendeur et l’acheteur :

  • désirent respectivement vendre et acheter, mais n’y sont pas obligés;
  • sont raisonnablement informés de son état, de l’utilisation qui peut le plus probablement en être faite et des conditions du marché immobilier.

[11]               Pour établir cette valeur réelle, « il faut notamment tenir compte de l’incidence que peut avoir sur son prix de vente le plus probable la considération des avantages ou désavantages qu’elle peut apporter, en les considérant de façon objective[8] ».

[12]               Le Tribunal doit rechercher le prix de vente le plus probable de l’immeuble à l’étude en fonction de l’état de l’unité d’évaluation et des données du marché à la date d’évaluation pertinente, laquelle est prescrite comme date de référence à la LFM, dans le présent cas au 1er juillet 2020[9].

[13]               De plus, les articles 144 et 145 de la LFM stipulent que :

 

144.   Le Tribunal n'est tenu de modifier, ajouter ou supprimer une inscription que si l'erreur ou l'irrégularité constatée est susceptible de causer un préjudice réel.

 

145.   Pour déterminer s’il y a préjudice réel aux fins de l’article 144, il faut tenir compte de l’unité d’évaluation ou de l’établissement d’entreprise dans son entier.

[14]               La jurisprudence abondante est à l’effet que l’inscription d’une valeur au rôle d’évaluation jouit d’une présomption de validité et d’exactitude[10]. Celle-ci n’est cependant pas irréfragable et peut être renversée, entre autres lorsque l’évaluateur municipal ou son remplaçant recommande au Tribunal de modifier la valeur inscrite au rôle. 

[15]               La présente cause est donc jugée selon la règle de la prépondérance de la preuve présentée respectivement par les deux parties qui conservent le fardeau de prouver devant le Tribunal la justesse de leurs allégués en fonction de leurs prétentions respectives.

[16]               Dans ce contexte, le Tribunal explique à la partie requérante qu’en fonction de la preuve soumise, la valeur réelle de l’unité d’évaluation peut être maintenue, diminuée ou augmentée[11]. La partie requérante décide de poursuivre son recours.


ANALYSE DU TRIBUNAL

[17]               Le requérant explique avoir consulté deux spécialistes dans le domaine qui lui ont confirmé que la superficie de sa terre à la suite de la rénovation cadastrale est juste. À partir de cette information, il ne conteste plus la superficie au rôle, mais uniquement la répartition des superficies selon les différentes catégories ainsi que la valeur du terrain.

[18]               Il est d’avis que la superficie additionnelle de terrain qui fut ajouté entièrement à la catégorie de terrain amélioré au dépôt du rôle ne reflète pas la réalité. Il dépose à cet effet un document accompagné d’un plan préparé par M. Daniel Beaudoin, ingénieur forestier.

[19]               Les parties intimées semblent lui donner raison sur ce point. Le document[12] déposé en preuve établissant pour chaque type de terrain la superficie au rôle et le taux à l’hectare (ha) s’y rattachant au dépôt du rôle et lors de l’analyse ayant suivi la demande de révision administrative présente une révision des superficies pour deux catégories.

[20]               Les changements proposés au moment de la demande de révision administrative sont au niveau des superficies des catégories agricoles et incultes qui passent respectivement de 49,020 ha à 39,030 ha et de 3,730 ha à 13,730 ha. Les taux à l’hectare demeurent les mêmes qu’au moment du dépôt du rôle pour toutes les catégories.

[21]               Les superficies pour chaque catégorie de terrain mentionnées au rapport de M. Milot sont différentes de celles au rôle et de celles proposées à la demande de révision administrative[13]. Toutefois, les superficies agricoles et boisées de façon globale correspondent à celles établies par l’ingénieur forestier, M. Daniel Beaudoin.

[22]               Monsieur Gosselin explique au Tribunal que la portion de sa terre en agricole amélioré n’a pas autant de valeur que d’autres terres en culture de la région à cause du relief et de la présence d’ilots de boisés et de caps de roche. Le locataire doit contourner ces obstacles et cela n’est possible qu’à cause de l’utilisation de machinerie plus ancienne.

[23]               Il réfère également le Tribunal au document de l’ingénieur forestier qui mentionne que :

La présence de cap (affleurement rocheux) et de sol très mince est estimée à plus de 50 % de la superficie agricole. Ce qui affecte grandement la qualité agricole.[14]

[24]               Il affirme donc que 50 % de la portion considérée comme agricole amélioré par M. Milot doit plutôt être dans la catégorie inculte et que l’autre 50 % doit être considéré comme agricole à faible rendement[15].

[25]               Sur la base de ces superficies et des taux apparaissant au rôle, il demande au Tribunal d’établir la valeur de sa terre à 440 694 $[16] et de maintenir la valeur pour les bâtiments à 160 900 $ pour une valeur globale de 601 594 $.

[26]               Il considère injustifiée la hausse de valeur inscrite d’un rôle à l’autre pour la portion terrain qui est passée de 213 900 $ au rôle 2010-2011-2012 à 809 800 $[17] au rôle 20222032024, laquelle fait l’objet de la présente requête.

[27]               Concernant ce dernier argument, le Tribunal a, à de nombreuses reprises, rappelé que chaque rôle d’évaluation constitue un nouveau départ et possède sa propre date d’évaluation aussi appelée date de référence. L’exercice de détermination de la valeur réelle d’une unité d’évaluation doit être effectué selon les conditions du marché et l’état de l’unité observés à chaque date de référence.

[28]               L'indépendance des rôles doit donc être rappelée puisque l’argumentaire de la partie requérante repose en partie sur la variation entre le rôle actuel et les précédents.

[29]               La jurisprudence constante[18] nous enseigne que la valeur inscrite à un rôle antérieur n’est d’aucune utilité dans la détermination de la valeur réelle, car, dans les faits, rien ne vient démontrer que les valeurs inscrites au rôle précédent ne sont pas elles-mêmes sous-évaluées[19]. Le Tribunal constate régulièrement ce réflexe de comparaison par une partie requérante. Toutefois, cet exercice de comparaison d’augmentation des valeurs d’un rôle à l’autre ne peut être retenu.

[30]               Le Tribunal rejette donc cet argument de la partie requérante.

[31]               Qu’en est-il de l’autre partie de l’argumentaire de la requérante, à l’effet que cette terre possède des caractéristiques physiques désavantageuses?

[32]               L’évaluateur des parties intimées y répond dans son expertise en présentant une méthode de comparaison pour chacune des différentes composantes du terrain. Pour déterminer les superficies de la section agricole (37,56 ha) et forêt (47,70 ha) il se base sur le plan de gestion forestier de l’ingénieur forestier M. Daniel Beaudoin mentionné précédemment.

[33]               Monsieur Milot procède toutefois à une catégorisation plus détaillée. Le tableau suivant présente le détail de sa conclusion pour le terrain pour chacune des catégories :

 

 

Superficie

(Ha)

Taux retenu

($/Ha)

Valeur

 

 

 

 

 

 

 

 

SECTION AGRICOLE

 

 

 

 

 

Emplacement

0,50

15 000 $

7 500 $

 

 

Amélioré

37,06

7 500 $

277 950 $

 

 

Total

37,56

 

285 450 $

 

 

 

 

 

 

 

 

SECTION FORÊT

 

 

 

 

 

Zone Blanche

0,47

3 500 $

1 645 $

 

 

Inculte

7,20

1 500 $

10 800 $

 

 

Boisé

22,08

3 500 $

77 280 $

 

 

Érablière

17,95

30 000 $

538 500 $

 

 

Total

47,70

 

628 225 $

 

 

 

 

 

 

 

 

VALEUR TOTALE

 

 

 

 

914 000 $

 

[34]               L’expert mentionne : 

Afin de déterminer des valeurs de terrains (prix de vente par hectare) applicables pour la section agricole et la section érablière, nous devons d'abord déduire la valeur des portions de ces ventes de terres ayant un autre usage (friche, boisé sans érablière, repousse et inculte) ainsi que la valeur contributive des bâtiments dépréciés et des équipements.[20]

[35]               Il débute son analyse avec l’ajustement pour le facteur temps. En se basant sur la moyenne d’augmentation annuelle entre 2016 et 2020 pour le Québec publié par Financement Agricole Canada dans l’édition 2020, il retient un taux de progression annuel de 7,6 %, et ce, pour toutes les catégories de terrain. Il fournit un extrait de ce rapport en annexe de son expertise.[21]

[36]               Lorsque le Tribunal le questionne sur l’extrait fourni indiquant « Les régions de la Montérégie et du Centre-du-Québec ont affiché une activité d’achat normale et un marché stable, de sorte que la valeur moyenne des terres agricoles n’a pas fluctué dans les deux régions », il maintient son choix de retenir le taux qui s’applique à l’ensemble du Québec.

[37]               Interrogé par la partie requérante sur les ventes analysées dans le rapport de Financement agricole Canada, il affirme que l’étude concerne uniquement les terres améliorées en grande culture.

[38]               L’expertise de M. Milot mentionne que la portion améliorée de l’unité en litige appartient à la classe 5-TP[22]. Le résumé des codes de classification du potentiel des sols[23] précise toutefois pour cette classe de sol :

Les sols de la classe 5 comportent des facteurs de sol, de climat et autres, tellement limitatifs qu'ils ne sauraient se prêter à la production continue de récoltes annuelles de grande culture.

[39]               Le Tribunal est en désaccord avec le choix de l’expert de retenir ce taux d’augmentation du marché puisque celui-ci s’appuie sur des données provinciales et non sur des données du marché pour la région où est située l’unité en litige alors que l’extrait indique que le marché dans la région du Centre-du-Québec où est situé l’immeuble est stable entre 2019 et 2020.

[40]               De plus, ce taux de progression du marché provincial selon le témoignage de M. Milot est basé uniquement sur des transactions de terres cultivées en grande culture alors que l’unité en litige présente un type de sol non propice à la grande culture.

[41]               De plus en appliquant cette étude intégralement à toutes les autres catégories de terrains, certaines ventes dans les catégories de terres incultes et d’érablières sont majorées de plus de 30 % pour le facteur temps sans qu’aucune preuve probante ne soit fournie pour appuyer cet ajustement.

[42]               Le taux de progression du marché étant le premier ajustement réalisé par l’expert, le Tribunal est d’avis que l’analyse présentée est faussée dès le départ. L’expertise ne contient aucune donnée pour établir le taux de progression du marché pour chacune des catégories de terrain que l’expert présente.

[43]               De plus, pour les raisons qui suivent, l’analyse des ventes faite par l’expert Milot pour la partie de la terre dans les catégories agricole améliorée et érablière ne convainc pas le Tribunal.

[44]               Pour la partie agricole améliorée, l’expert relève six transactions de terres améliorées et une qu’il qualifie de non améliorée. L’ensemble de ces transactions offrent toutes un potentiel de sols de classe 3 sur 60 % ou plus de leur superficie à l’exception de la vente rejetée de l’analyse (vente no 6), puisque transigée dans un contexte de succession.

[45]               Cette dernière vente (no 6), qui est localisée la plus près de l’unité en litige, a un potentiel de sol de classe 4-TP sur 60 % et 5-TP sur 40 %. Il s’agit donc de l’unique vente ayant en partie un potentiel de sol des contraintes similaires à l’unité en litige. Rappelons que pour l’unité en litige, les sols sont de classe 5-TP à 100 %.

[46]               L’expert rejette cette vente automatiquement de son analyse vu le contexte de la vente. Il précise que cette propriété a été en vente avec un agent d’immeuble pendant une période d’une année et que la vente s’est réalisée à 30 % de moins que le prix affiché. Pour lui il s’agit d’une indication que le prix est en deçà du marché. Il mentionne en audience toujours rejeter les ventes de successions, peu importe le prix de la transaction.

[47]               Le prix de vente ajusté pour le temps pour la portion agricole amélioré de cette transaction est de 5 300 $/ha. Les autres transactions ayant des classes de sol 3 et 4 présentent des taux ajustés variant entre 10 300 $/ha et 15 400 $/ha. La vente de terre non améliorée est à 4 100 $/ha.

[48]               L’expert conclut à un taux de 7 500 $/ha en affirmant :

Basé sur l'ensemble des ventes analysées et le fait que le terrain de notre sujet possède un potentiel des sols inférieur à celui des ventes #1 à #4, nous retenons une valeur de 7 500 $/Ha pour la section agricole amélioré, soit un taux largement inférieur à la moyenne des ventes #1 à  #4 (12 600$/ha).[24]

[Transcription conforme]

[49]               L’expert ne fournit aucune explication additionnelle pour justifier le taux retenu, il mentionne uniquement avoir baissé le taux moyen de 40 % pour tenir compte de la classe de sol sans justifier d’où provient ce pourcentage. De plus, il ne peut dire si les ventes sont constituées de terres drainées ou non alors qu’il s’agit d’un élément important dans l’évaluation d’une terre améliorée.

[50]               La partie requérante questionne l’expert Milot sur le choix des ventes qui sont toutes situées dans la plaine du St-Laurent à l’exception de la vente no 6 (vente non retenue) et de l’unité en litige qui sont dans la chaîne des Appalaches. La localisation de ces dernières implique des contraintes dues au relief. Pour M. Gosselin les ventes retenues par l’expert ne sont pas comparables.

[51]               Le Tribunal partage l’avis du requérant que des ventes avec un sol de classe 3 ne peuvent se comparer avec des ventes avec un sol de classe 5. Si l’expert n’a d’autre choix que de retenir ces ventes, il doit identifier l’ajustement devant être apporté à l’aide de données du marché et non uniquement fournir un pourcentage arbitraire d’ajustement.

[52]               L’avocate des parties intimées plaide sur le choix de l’expert de rejeter la vente impliquant une succession et fournit deux décisions concernant le rejet de vente dans ce contexte. Le Tribunal note que dans l’affaire Di Buono[25], il s’agit d’une vente qui concerne uniquement une partie des droits de propriété alors que dans l’affaire Chapleau[26] il s’agit de la décision de l’expert des parties intimées.

[53]               Tel que le Tribunal le souligne dans l’affaire Jean Boulanger[27] :

 

[12]   Le fait qu'une vente d'immeuble le soit pas une succession et sans garantie légale n'est pas un motif valable pour son rejet systématique.

 

[13]   Toutefois, suivant une jurisprudence constante, pour qu'une vente dite de succession puisse être retenue par le Tribunal, il faut que la partie requérante démontre que la vente rencontre les conditions de l’article 43 de la LFM, c’est-à-dire que le prix de vente soit en conformité avec le marché.

[54]               De l’avis du Tribunal vu la localisation de cette transaction et puisqu’il s’agit de la seule transaction ayant une classe de sol et des contraintes similaires à l’unité en litige, elle nécessitait une justification plus élaborée que le fait qu’elle implique une succession et que son prix de vente soit inférieur de 30 % au prix affiché pour justifier son rejet. Le Tribunal note par ailleurs que contrairement à toutes les autres transactions, l’expert n’a procédé à aucun ajustement pour le facteur temps pour cette transaction qui est survenu cinq mois après la date de référence.

[55]               L’unité en litige possède une superficie améliorée sur 43,5 % de la superficie totale alors que pour les ventes retenues cette superficie se situe entre 65 % et 86 %. La vente de succession est améliorée à 31 %, donc le pourcentage le plus comparable à l’unité en litige.

[56]               Pour la portion érablière avec contingent, l’expert relève cinq transactions d’érablières bénéficiant également d’un contingent. Une vente est fournie uniquement à titre indicatif puisqu’elle s’est transigée près d’un an et demi après la date de référence.

[57]               L’expert explique autant à son expertise que lors de son témoignage que le contingent est associé à la terre et qu’il est important dans la détermination de la valeur d’où le choix de retenir des ventes d’érablières également avec contingent. Le Tribunal partage cette opinion et ce point n’est d’ailleurs pas soulevé par le requérant. 

[58]               Les quatre transactions retenues sont analysées uniquement sur la base du prix résiduel à l’hectare pour la portion érablière. Les données sur le nombre d’entailles et le nombre de livres de sirop d’érable pour le contingent sont mentionnées au tableau de ventes pour la plupart des transactions, toutefois l’expert précise lors de son témoignage que ces données ne sont pas nécessairement autant fiables que la superficie en hectares de l’érablière.

[59]               Les transactions fournissent des taux ajustés par hectare d’érablière entre 23 000 $ et 33 800 $ pour des superficies entre 10,2 ha et 34,4 ha. L’expert conclut à un taux de 30 000 $/ha d’érablière avec contingent sur la base du taux moyen et médian des quatre ventes retenues et mentionne que :

La vente #2 (présentée à titre indicatif car elle s'est transigée en novembre 2021) procure également une bonne indication de valeur, avec un prix de vente de 31 000 $/Ha »[28].

[Transcription conforme]

[60]               Toutefois, le Tribunal note que bien que cette vente (no 2) soit survenue près d’un an et demi après la date de référence, elle n’a pas fait l’objet d’ajustement pour le facteur temps[29] comme les autres transactions de 7,6 % annuellement[30] ce qui aurait réduit le taux à l’hectare d’environ 10 %.

[61]               La portion érablière occupe pour chacune des ventes une superficie entre 47 % et 76 % de la superficie totale de ces terres qui varie entre 20,9 ha et 67,4 ha. Pour l’unité en litige, l’érablière occupe uniquement 21,1 % de la superficie totale de la terre[31] de 85,26 ha.

[62]               Le Tribunal est d’avis, que puisque le contingent est important dans la valeur, que l’expert doit s’y attarder de façon plus approfondie dans l’établissement de la valeur.

[63]               Ainsi, pour retenir l’approche basée uniquement sur un taux à l’hectare, sans aucun ajustement, le Tribunal est d’opinion que l’expert doit démontrer qu’une terre qui possède plus d’entailles ou un meilleur contingent à l’hectare se vendra le même prix à l’hectare qu’une autre qui en possède moins. Cette démonstration n’a pas été faite.

[64]               L’expert doit également démontrer que la superficie occupée par l’érablière sur la totalité de la terre n’influence pas le prix de vente par hectare lorsque l’écart entre l’unité en litige et les ventes retenues est aussi important que dans le présent dossier. Rappelons que pour l’unité en litige l’érablière occupe à peine 21 % de la superficie de la terre alors que les comparables ont entre 47 % et 76 % de la terre occupée par l’érablière.

[65]               Somme toute, ce relevé de ventes comparables est pertinent quant à la recherche de la valeur réelle de l’immeuble en cause, mais l’analyse qui en est faite par l’évaluateur des parties intimées ne convainc pas le Tribunal que sa conclusion de recommandation à la hausse de la valeur à inscrire au rôle est appropriée.

[66]               Le Tribunal fait siens les propos tenus par les juges Proulx et Lécuyer dans l’affaire Cuggia[32] :

[29]   Le Tribunal rappelle qu’il doit déterminer la valeur réelle d’une unité d’évaluation selon la preuve présentée devant lui, notamment par l’entremise des rapports et témoignages des experts. Rappelons le rôle du témoin expert qui a été très bien décrit dans Beauchamp c. Mascouche (Ville de)11 :

Le Tribunal rappelle le rôle d’un témoin expert : celui-ci doit éclairer le Tribunal, le convaincre qu’il maîtrise parfaitement les règles de l’art de sa discipline et que son analyse est complète, rigoureuse, pertinente et utile à l’enquête. Il doit rendre une opinion motivée, crédible et objective. Il doit défendre son expertise, en soutenir les conclusions, et ce, de manière à ne pas induire le Tribunal en erreur.

[Soulignements du Tribunal]

[30]   Le Tribunal n’est pas lié par un rapport d’expert et il lui appartient d’en apprécier la valeur probante. Le Tribunal ne peut écarter arbitrairement un rapport d’expertise, mais il peut le faire pour des raisons sérieuses12.

[31]   Les juges administratifs du Tribunal ont une spécialisation liée à la nature des recours de leur section, ce qui leur permet d’apprécier la force probante de la preuve présentée devant eux, même si celle-ci n’est pas contredite.

[32]   Le Tribunal est d’avis que les raisons évoquées précédemment sont sérieuses et que ni le rapport d’expertise ni les témoignages entendus ne lui apportent l’éclairage et n’atteignent le niveau de certitude requis en preuve. Ils ne peuvent pas être qualifiés de probants. Le Tribunal rejette donc l’expertise et maintient les valeurs telles qu’inscrites au rôle. 

__________________

1  2014 QCTAQ 11281.

2  Lachance c. Bertrand, 2018 QCCA 718 voir aussi Townsend c. Clermont, 2007 QCCA 528.

 

[Transcription conforme]

[67]               De son côté, M. Gosselin identifie correctement les points désavantageux de sa terre, mais il ne suffit pas de soumettre ces aspects désavantageux lorsque l’on conteste la valeur inscrite au rôle de sa propriété. Le requérant ne fait pas de démonstration du niveau d’impact de ces éléments sur la valeur, il ne soumet aucune indication du marché pour permettre au Tribunal d’en estimer la valeur réelle[33].

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

REJETTE le recours;

MAINTIENT les inscriptions de valeur au rôle d’évaluation 2022-2023-2024;

CHAQUE PARTIE assume ses frais.

 

 


 

 

JACQUELINE FRANCOEUR, j.a.t.a.q.


 

Burelle inc.

Me Martine Burelle

Avocate de la partie intimée


 


[1] RLRQ, chapitre J-3.

[2]  Cadastre du Québec.

[3]   La proportion médiane du rôle est de 100 % et le facteur comparatif de 1.00. La valeur uniformisée est donc la même que la valeur déposée au rôle.

[4]  Pièce I-3, rapport d’expertise de M. Patrick Milot.

[5]  RLRQ, chapitre F-2.1.

[6] Article 42 de la LFM.

[7] Article 43 de la LFM.

[8] Article 45 de la LFM.

[9] Article 46 de la LFM.

[10]  Denise Truchon c. Saguenay (Ville) (La Baie), 2017 QCTAQ 04483. Paragraphes 43 et 44.

[11]  Article 147 de la LFM.

[12]  Pièce R-1, page 69 de 87.

[13]  Voir pièce I-3, page 9 et pièce R-1, pages 44 et 69 de 87.

[14]  Pièce R-1, page 58 de 87.

[15]  Pièce R-1, page 73 de 87.

[16]  Pièce R-1, page 74 de 87.

[17]  Pièce R-1, partie intitulée « évolution de l’évaluation », pages 15 à 18 de 87.

[18] Caisse populaire Saint-Sylvère c. Saint-Sylvère (Corp. municipale de), B.R.E.F., no Q90-0359, 1990-05-16 ; Florent c. Sillery (Ville de), B.R.E.F., no Q91-0154, 1991-05-30 ; Ringuette c. Saint-Tite (Ville de), TAQ SAIQ-082547-1012, 2002-08-30 ; Fortin c. Saint-Étienne-de-Beaumont (Paroisse de), TAQ SAIQ0918550212, 2003-03-03 ; Beaudoin c. Saint-Honoré-de-Shenley (Municipalité de), 2009 QCTAQ 03835.

[19]  Paquin c. Ripon (Municipalité de), 2011 QCTAQ 10479.

[20]  Pièce I-3, page 17.

[21]  Pièce I-3, page 17 et annexe 10.

[22]  Pièce I-3, page 20.

[23]  Pièce I-3, annexe 6.

[24] Pièce I-3, page 21.

[25]  Antonio Di Buono c. Montréal (ville de), 2008 QCTAQ 0538.

[26]  Gilles Chapleau c. Québec (ville de), 2011 QCTAQ 09529.

[27]  Jean Boulanger c. Canton de Lingwick et MRC Le Haut-Saint-François, 2022 QCTAQ 04270.

[28]  Pièce I-3, page 26.

[29]  Pièce I-3, tableau de la page 22, voir colonne Prix vente ajusté temps versus colonne Prix de vente pour la vente no 2 ou le prix est de 450 000 $ dans les deux cas.

[30]  Pièce I-3, page 22.

[31]  Pièce I-3, page 9.

[32]  Gerard Cuggia c. Sherbrooke (ville de), 2023 QCTAQ 04332.

[33]  Mehran Mohammadi c. Ville de Montréal, Shirin Roozbahani, 2021 QCTAQ 07533, paragraphe 28.

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