Université Bishop c. Flynn | 2023 QCCS 3073 | ||||||
COUR SUPÉRIEURE | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | SAINT-FRANÇOIS | ||||||
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No : | 450-17-008259-211 | ||||||
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DATE : | 18 juillet 2023 | ||||||
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| L’HONORABLE | CLAUDE DALLAIRE, J.C.S. | |||||
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UNIVERSITÉ BISHOP | |||||||
Demanderesse | |||||||
c. | |||||||
Me MAUREEN FLYNN, EN SA QUALITÉ D’ARBITRE DE GRIEFS | |||||||
Défenderesse | |||||||
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et | |||||||
ASSOCIATION DES PROFESSEURS DE L’UNIVERSITÉ BISHOP | |||||||
Mise en cause | |||||||
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JUG EMENt sur révision judiciaire
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[1] Nous devons décider si le pourvoi en révision judiciaire de Bishop (l’employeur), signifié le 25 octobre 2022, visant à annuler la sentence arbitrale de Maureen Flynn, du 27 septembre 2021, rejetant un premier grief, portant sur des allégations de harcèlement psychologique, de la part de Dre Virginia Stroeher, professeure à l’université en cause, à l’endroit d’une étudiante, et qui a accueilli un deuxième grief, dans lequel l’Association contestait l’à-propos d’un avis disciplinaire écrit émis par l’employeur, à l’endroit de Docteure Stroeher, devrait être accueilli.
[2] Ce n’est que le deuxième grief, tranché dans la sentence arbitrale, qui est soumis à notre révision, parce que l’avis disciplinaire écrit de l’employeur (warning), a été mis de côté, sans être remplacé par une autre sanction disciplinaire, ce que Bishop considère comme étant « complètement déraisonnable », la sentence étant « entachée d’une incohérence globale », par rapport au résultat final découlant de cette partie de la décision, selon l’employeur.
[3] Pour comprendre qui a fait quoi et de quelle manière, un peu de contexte s’impose, surtout que les perceptions des parties divergent diamétralement, sur ce que l’arbitre a retenu de la preuve, ce qui explique leurs prémisses et divers reproches, ou commentaires approbateurs, en lien avec cette sentence arbitrale.
[4] Bishop est une université anglophone, dont la mission consiste à offrir de l’enseignement supérieur aux étudiants qui fréquentent son établissement.
[5] L’Association représente notamment les professeurs qui enseignent à cette université, dont la principale visée par la sanction disciplinaire imposée, que l’arbitre a annulée, Dre Stroeher.
[6] Le premier grief (dont l’issue n’est pas remise en cause) découle d’une plainte de harcèlement psychologique déposée par une étudiante, participant au cours dispensé par Dre Stroeher (ci-après la salariée), en octobre 2018.
[7] Conformément à la politique sur le harcèlement en vigueur, à l’Université, une enquête a été initiée par une avocate, sur neuf allégations de harcèlement.
[8] L’enquêtrice a conclu qu’il n’y avait pas eu de harcèlement psychologique, mais a tout de même écrit, dans son rapport, que la salariée de l’Association, visée par l’enquête, avait tenu des propos inappropriés, manquant de professionnalisme et parfois même, d’empathie, dans le rapport déposé en février 2019.
[9] Quelques semaines plus tard, le 19 mars 2019[1], Bishop a décidé d’imposer une mesure disciplinaire à sa salariée, soit un avis écrit, sur la foi des conclusions du rapport[2].
[10] Le 1er avril 2019, l’Association dépose un grief, en lien avec l’imposition de cette mesure disciplinaire[3].
[11] Lors des auditions tenues sur les griefs, seule Dre Stroeher est entendue. Elle donne alors sa version des faits, sur les divers reproches que Bishop a retenus du rapport d’enquête.
[12] Du côté patronal, l’étudiante, à l’origine de la plainte de harcèlement, et apparemment lésée par son professeur, ne témoigne pas.
[13] Seuls l’avocate qui a révisé le rapport, avec les ressources humaines et la direction de Bishop, et le doyen, sont entendus.
[14] Le 27 septembre 2021, après avoir entendu cette preuve et les arguments des parties, l’arbitre décide d’intervenir, et modifie la sanction disciplinaire de Bishop, dans une sentence de 23 pages, dont trois d’entre elles disposent du grief, sur la sanction disciplinaire.
[15] En résumé, et nous y reviendrons plus loin, l’arbitre estime qu’au regard de la preuve, l’employeur n’aurait pas dû imposer de sanction disciplinaire, pour les gestes qu’elle a reconnu avoir posés, et qui se résument à des paroles, prononcées devant des étudiants, à l’occasion de ses cours, et des paroles prononcées à l’endroit de l’étudiante, qui avait déposé une plainte de harcèlement contre elle, après que la salariée ait fourni son point de vue, sur les intentions qui l’animaient, et sur les circonstances ayant mené aux paroles ainsi prononcées par elle, et qui ont servi de base à son employeur, pour lui imposer un avis disciplinaire écrit, à mettre dans son dossier[4].
[16] À la fin de son analyse, l’arbitre fait entre autres référence à la clause d’amnistie, incluse dans la convention collective négociée entre les parties, pour finaliser les motifs qui justifient sa conclusion, que l’avis disciplinaire écrit, était disproportionnel, après avoir pris connaissance de toutes les circonstances mises en preuve, dans cette affaire[5].
[17] Le 21 octobre 2021, en temps opportun, Bishop demande la révision judiciaire de cette partie de la sentence arbitrale, dont l’arbitre dispose, aux paragraphes 93 à 115, de sa décision.
[18] Mais pour quels motifs Bishop demande-t-elle cette révision? C’est ce que nous abordons, dans la prochaine section.
[19] Bishop reconnaît que l’arbitre a bien saisi le rôle qui lui était conféré, dans le cadre du grief relatif à l’imposition de la mesure disciplinaire, lorsqu’elle énonce qu’elle doit déterminer si l’avis écrit de l’employeur, était justifié.
[20] Bishop souligne que la salariée, visée par cette mesure, a admis avoir prononcé diverses paroles qui lui ont été reprochées, devant l’arbitre, ce que cette dernière a bien noté, dans sa décision.
[21] La faute avouée, étant constatée par l’arbitre, cette dernière aurait dû respecter la règle voulant qu’en semblables circonstances, l’employeur ait le droit d’imposer une sanction disciplinaire à sa salariée, et qu’il doit choisir parmi l’arsenal convenu, avec l’Association, dans la convention collective[6].
[22] Si l’employeur a considéré que les reproches méritaient un avis disciplinaire écrit, qui se trouve être la sanction la moins sévère, à l’article 8.16 de la convention collective, l’arbitre ne pouvait ensuite passer par-dessus sa tête, pour annuler cette sanction, n’en imposer aucune, et conclure que celle qui a été retenue, était disproportionnée; une telle décision ne pourrait être que déraisonnable, au regard des principes fondamentaux en droit du travail.
[23] L’arbitre s’étant insurgée, dans la prérogative de l’employeur, la demande de révision serait justifiée, puisque l’arbitre ne pouvait tout simplement décider de passer l’éponge, sur les fautes de la salariée.
[24] La seule chose que l’arbitre devait faire, après avoir reconnu le caractère inapproprié des paroles prononcées par la salariée, était de rejeter le grief P-4, point barre.
[25] La conclusion de l’arbitre que les paroles reprochées, incluant le mot « Fuck » et l’expression « Bitch on wheels », étaient « inappropriées »[7], ne lui permettaient pas de conclure qu’il y a d’autres manières qu’un avis disciplinaire écrit, pour régler ce genre de situation, surtout lorsqu’elle ne prend pas la peine d’énoncer lesquelles.
[26] En agissant ainsi, l’arbitre prive l’employeur des effets de l’avis disciplinaire qui s’imposait, en l’espèce et cela fait en sorte qu’en cas de récidive, en semblable matière, le principe de la gradation des sanctions devra recommencer à zéro, alors qu’il y a pourtant un antécédent en semblable matière, dans l’historique de la salariée.
[27] En agissant ainsi, l’arbitre se trouve à avoir réécrit la convention, ce qu’il ne lui appartenait pas de faire, dans le cadre d’une sentence arbitrale. Tout ce qu’elle devait faire, était d’appliquer la convention négociée, conformément aux intentions des parties.
[28] Cette façon de faire constituerait une « façon inédite en droit du travail », pour l’exercice des fonctions d’un arbitre, et elle envoie un message aux employeurs, que même s’ils ont des raisons valables, d’exercer leur pouvoir de gestion sur un employé, dont le comportement le mérite, ils peuvent s’attendre à ce qu’un arbitre s’arroge leur prérogative, pour décréter qu’aucune sanction n’aurait dû être imposée, pour des manquements constatés, admis et jugés valables[8].
[29] L’arbitre aurait omis de se rappeler que « c’est le principe même de la discipline au travail et de la discipline progressive qu’un employeur, face à des fautes, doit imposer des mesures disciplinaires progressives pour amener le salarié à s’amender »[9].
[30] Pour les paroles « You don’t belong in a laboratory environment », que l’arbitre reconnaît comme ayant pu être perçues comme étant intimidantes, par l’étudiante à qui elles sont été prononcées, sa décision, de revenir sur la décision de l’employeur, et de n’imposer aucune sanction, serait tout aussi déraisonnable et comme elle va à l’encontre de plusieurs principes fondamentaux, en droit du travail, elle ne ferait pas partie des issues possibles.
[31] Parmi ces principes, l’employeur dénonce le fait que l’arbitre ait invoqué la clause d’amnistie, dans la convention collective, pour asseoir sa décision, que l’imposition d’une quelque sanction était injustifiée de la part de l’employeur, parce disproportionnée, à cause des effets de cette clause, qui maintient ledit avis au dossier de la salariée, durant cinq ans, ce qui est plutôt un avantage, que s’il devait y demeurer à vie[10].
[32] Ce serait donc le manque de cohérence dans le raisonnement et les effets illogiques, produits par la décision, qui rendent cette décision déraisonnable.
[33] Le maintien de cette décision, qui « produit des effets absurdes tant dans l’immédiat que dans l’avenir », ne se justifierait donc pas, car cette décision « stérilise complètement les droits de gérance et de discipline de l’Employeur à l’égard des salariés fautifs (…) qui va à l’encontre des principes applicables en matière de gradation des sanctions »[11] et qu’elle crée un accroc important au principe de l’autonomie, dont les universités jouissent dans la gestion de leurs affaires, reconnu par les tribunaux supérieurs, depuis longue date[12].
[34] Pour qu’une telle intervention ait pu être maintenue, il aurait fallu que l’arbitre arrive à la conclusion que la sanction imposée était clairement déraisonnable, abusive ou discriminatoire[13]. Elle ne pouvait intervenir ainsi, parce qu’elle préférait que l’employeur ait agi autrement, pour des motifs qui lui sont purement personnels[14].
[35] En l’espèce, la décision de l’arbitre empêche l’employeur d’envoyer un message clair à la professeure impliquée, que de tels propos ne sont pas tolérés, à l’Université Bishop, mais aussi, que nonobstant la manière dont l’Université voit la manière dont l’enseignement qui est dispensé en son sein, qu’un arbitre peut passer outre aux ententes intervenues entre l’Association et l’employeur, et qu’il peut unilatéralement décider de « passer l’éponge », sur des matières relevant de la prérogative universitaire.
[36] En agissant comme elle l’a fait, l’arbitre a privé l’Université de faire valoir les valeurs qu’elle prône, en matière de professionnalisme exigé du corps professoral qui enseigne à son institution, ce qui ne relevait pas de sa juridiction.
[37] L'Association plaide qu’il ne revient pas au Tribunal de réécrire la mesure disciplinaire en litige, et elle concède qu’il ne revenait pas davantage à l’arbitre, de le faire.
[38] La preuve, présentée à l’arbitre Flynn, sur les divers reproches formulés dans le rapport d’enquête, sur la foi duquel l’employeur a décidé d’imposer un avis disciplinaire à la salariée, était lacunaire, et c’est le défaut de l’employeur, de remplir le fardeau exigé de lui[15], qui a motivé l’arbitre à intervenir, au motif que la mesure imposée ne se justifiait pas, en l’absence de fautes disciplinaires commises par la salariée, même si ses propos ont été jugés inappropriés.
[39] Selon l’Association, l’employeur a certes mis en preuve diverses paroles prononcées par la salariée, mais celles-ci n’ont pas été considérées comme étant des fautes, après avoir pris connaissance du contexte dans lequel ces propos ont été prononcés.
[40] Ainsi, en l’absence de preuve de telles fautes, aucune sanction ne devait être imposée, sur la foi de simples faits, de sorte qu’il aurait été abusif de maintenir la sanction imposée, sans droit, d’où l’intervention de l’arbitre.
[41] Seuls les deux mots, « Fuck » et « Bitch on wheels », que le procureur de l’Association qualifie de vulgaires, ont été dûment mis en preuve, comme étant des « manquements » de la salariée.
[42] Cela dit, une fois le contexte expliqué par l’unique témoin entendu, l’arbitre n’avait rien pour contredire les états d’âme de la salariée, entourant l’énoncé des propos ni le contexte humoristique dans lequel certaines de ces paroles ont été dites.
[43] La vision de l’employeur, selon laquelle l’arbitre aurait reconnu que la salariée a commis des « fautes » sujettes à une intervention disciplinaire, ne serait pas conforme à ce qui se dégage du libellé global de la sentence arbitrale.
[44] L’arbitre a bien analysé les trois manquements allégués 1) manque d’empathie 2) propos inappropriés à divers étudiants (Fuck… et Bitch on wheels) et 3) propos tenus à l’étudiante « You don’t belong to a laboratory environment », tel qu’elle se devait de le faire, à la lumière de la preuve.
[45] Sur le premier manquement, elle conclut qu’il n’y a aucune preuve, au paragraphe113. Donc s’il n’y a pas eu manque d’empathie de la part de la salariée, aucune sanction ne s’imposait à cet égard.
[46] Sur le deuxième manquement, relatif aux divers mots utilisés, l’arbitre retient les explications de la salariée, qui reconnaît les avoir utilisés, mais qui explique qu’ils ont été prononcés, dans un contexte d’humour. Elle retient les excuses de la salariée, deux fois plutôt qu’une, et les juge sincères, aux paragraphes 108 et 111.
[47] L’Association est en désaccord avec la position de l’employeur, que le simple fait pour l’arbitre d’avoir considéré que ces propos étaient « inappropriés » et que cela suffisait, pour qu’elle maintienne la sanction disciplinaire imposée, alors que les autres reproches n’ont soit pas été reconnus, faute de preuve ou qu’ils ont été expliqués de manière satisfaisante, par le contexte et les intentions particulières déclarées par la salariée.
[48] Sur le troisième manquement, l’arbitre analyse l’ensemble de la preuve, et retient la version de la salariée. Elle replace les propos reprochés, dont la salariée dit ne pas se souvenir des détails précis, sans les nier, dans leur contexte, et elle ne les considère pas particulièrement graves.
[49] Lorsqu’il plaide que l’arbitre a reconnu que les propos prononcés en lien avec le troisième manquement, étaient de nature intimidants, l’employeur commettrait une erreur. Tout au plus, elle aurait conclu qu’ils pouvaient être interprétés comme étant a priori intimidants, sans nécessairement l’avoir été, concrètement.
[50] Le défaut, de faire témoigner l’étudiante et l’enquêtrice, pour établir que ces paroles avaient réellement été être perçues, comme étant intimidantes, aurait été fatal à l’employeur, et l’analyse et les conclusions auxquelles en arrive l’arbitre, en retenant les explications de la salariée, seraient tout à fait raisonnables, dans les circonstances.
[51] L’Association plaide donc, que l’employeur a « échoué à prouver deux des trois fautes qu’il reprochait à la salariée dans l’avis disciplinaire », et que le seul « reproche », contenu dans cet avis, était mineur, isolé et sans incidence, ce qui explique la décision d’intervenir, de manière rationnelle et logique[16].
[52] Ce serait à bon droit, que l’arbitre a annulé la sanction, étant donné que les deux tiers des fautes reprochées, n’ont pas été prouvées, la mesure ayant été décidée, sur la base que tous les manquements étaient démontrés, selon les conclusions du rapport d’enquête, qui ne liait pas l’arbitre[17].
[53] Dans un tel contexte, le Code du travail permettait à l’arbitre de confirmer, modifier ou annuler la décision de l’employeur, et, le cas échéant, d’y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire[18].
[54] Dans un tel contexte, c’est le maintien de la sanction, qui aurait été déraisonnable, à l’endroit de la salariée, puisqu’un avis disciplinaire, rempli de reproches non prouvés, aurait ensuite garni son dossier disciplinaire, alors qu’une partie insignifiante dudit avis, a été mise en preuve, et qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat, en matière disciplinaire, pour reprendre une expression populaire.
[55] Sur l’erreur commise par l’arbitre, qui aurait considéré, à tort, que la clause d’amnistie est un facteur atténuant, pour annuler la sanction disciplinaire, ce ne serait pas ce qui fonde la décision. Les paragraphes 98 à 114, constitueraient le corps de cette décision, la référence finale à la clause d’amnistie, même si elle devait être erronée, ce que conteste l’Association, ne suffisant pas à rendre la décision déraisonnable, dans l’ensemble[19].
[56] La référence à cette clause ne visait qu’à illustrer le caractère disproportionné des effets de la mesure, sur une salariée de longue date, au dossier disciplinaire vierge, qui s’est excusée d’avoir tenu des propos remis dans un contexte très particulier et non contredit.
[57] Lue dans son ensemble, plutôt que phrase par phrase[20], la sentence arbitrale n’aurait établi aucun nouveau concept, en droit du travail.
[58] De l’avis de l’Association, la décision d’exclure l’avis du dossier disciplinaire de la salariée, ferait partie des issues possibles et raisonnables et les motifs pour y arriver, seraient à la fois intelligibles et transparents.
[59] La décision de l’arbitre serait donc « conforme aux objectifs et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne(rait) d’une approche raisonnable compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision », tel que requis par l’arrêt Vavilov[21].
[60] L’arbitre aurait suivi la méthode d’analyse à la lettre, en matière disciplinaire, en se demandant si l’employé est responsable de la mauvaise conduite qui lui est reprochée, si sa conduite constitue une cause juste justifiant une mesure disciplinaire et si la mesure, choisie par l’employeur, était appropriée, dans les circonstances.
[61] L’employeur ayant échoué dès la première partie du test, cela expliquerait la suite des choses et la conclusion retenue par l’arbitre. Ainsi quelques mots inappropriés, prononcés « à la blague », à défaut d’avoir d’autres versions, pour contredire ce contexte, pouvaient raisonnablement mener l’arbitre à l’annulation de l’avis disciplinaire, en l’absence d’une faute concrète de nature à justifier une sanction disciplinaire.
[62] Même si les motifs énoncés ne sont pas parfaits, l’ensemble de la sentence, sur le grief remis en cause, permet très bien de comprendre ce qui a mené l’arbitre à ce résultat[22].
[63] Pour disposer du pourvoi logé par Bishop, une seule question doit être tranchée, et il s’agit de la suivante : est-ce que la décision du 27 septembre 2021 est déraisonnable, en ce qu’elle comporterait de graves lacunes, au point de ne pas satisfaire les exigences de justification, de l’intelligibilité et de la transparence, et rendant ainsi une intervention de la Cour supérieure nécessaire, par la révision judiciaire demandée?
[64] De manière sous-jacente, nous devons décider si le résultat de la sentence arbitrale, est illogique et contraire aux principes reconnus en droit du travail.
[65] Les parties s’entendent sur le fait que notre analyse, de la décision de l’arbitre, doit se faire à la lumière de la norme de la décision raisonnable, puisque l’arbitre est en plein cœur de sa compétence, en matière de relations de travail, et que les questions qui lui ont été soumises, ne sont pas nouvelles, dans le cadre de sa pratique.
[66] Dans les enseignements qui ressortent des décisions soumises par les parties, et tout particulièrement de l’arrêt Vavilov[23], nous n’avons rien trouvé pour remettre en cause la position commune des deux parties, sur ce sujet[24].
[67] C’est donc en tenant compte des enseignements des tribunaux supérieurs, sur l’analyse qui doit être effectuée du caractère raisonnable ou non de la globalité de la décision rendue sur le deuxième grief tranché par l’arbitre, que nous entreprenons notre analyse.
[68] Et comme il s’agit de déterminer si cette sentence est raisonnable, en voici les détails pertinents.
[69] Dans l’aperçu, l’arbitre campe bien le résultat de l’enquête sur le harcèlement psychologique, en énonçant qu’un tel harcèlement n’a pas été démontré. Elle dresse ensuite la table, en énonçant ce que l’enquêtrice a toutefois retiré de la preuve, en énonçant que « Dre Stroeher a tenu à quelques reprises des propos inappropriés et manqué d’empathie ». C’est sur la base de ce qui est ressorti du rapport, que Bishop a décidé de discipliner la salariée.
[70] Elle rapporte que l’Association considère la mesure disciplinaire comme étant « injustifié(e) et disproportionné(e) ».
[71] Sur les propos tenus par la salariée, dont l’enquêtrice fait état, et qui ont servi de base à Bishop, pour discipliner Stroeher, l’arbitre résume bien la position de l’employeur, que de tels propos ne rencontrent pas les valeurs de l’Université, d’où la mesure disciplinaire.
[72] Sur l’avis, l’arbitre cible avec justesse son mandat : déterminer si la mesure est justifiée, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire. Elle annonce qu’elle considère la mesure injustifiée, et s’en explique, entre les paragraphes 93 et 115.
[73] Tous les paragraphes qui précèdent ceux-là, outre l’aperçu, ne sont pas pertinents à la décision, sur le deuxième grief[25].
[74] Lorsqu’elle aborde l’autre sujet qui nous concerne, l’arbitre met une fois de plus la table, de manière plus formelle, en reproduisant intégralement l’avis disciplinaire, pour que l’on puisse comprendre d’où elle part, le chemin qu’elle emprunte et là où elle aboutit.
[75] Elle reproduit ensuite les allégués auxquels Bishop réfère, dans son avis écrit, ainsi que les conclusions de l’enquête de harcèlement, sur les allégations 2 et 3.
[76] La première allégation, numérotée (2), s’intitule « creating a negative environment with inapropriate threats ». La deuxième, numérotée (3), s’intitule « inapropriate and disrespectful comments in the lab ».
[77] Sur l’environnement négatif, il est fait référence à des mots utilisés par la salariée, à l’endroit d’étudiants, lesquels ont été considérés comme étant des menaces, tels « If you f..k up this lab, you’re stuck with me all night and I’m a bitch on wheels ».
[78] Ces commentaires n’auraient été proférés, « in a teaching manner », lorsque les étudiants essayaient de répondre à des questions, en classe.
[79] Quant aux reproches liés aux commentaires, qui auraient été prononcés dans le laboratoire, on y lit que lors d’une expérience de dissection de poulets, alors que les produits chimiques faisaient en sorte qu’une odeur nauséabonde se dégageait des bêtes, la salariée aurait demandé à l’étudiante, se disant victime de harcèlement, pourquoi elle avait des morceaux de Kleenex dans les narines. Elle lui aurait répondu, que ça sentait mauvais, qu’elle ne voulait pas perdre de temps en quittant le laboratoire, et que c’était la solution qu’elle avait trouvée (pour contrer l’odeur). La salariée lui aurait répliqué, devant tous les élèves « haha, you obviously don’t belong in a laboratory environment ».
[80] L’arbitre écrit que l’enquêtrice, sur la première allégation (la no 2), conclut que ces mots ont effectivement été prononcés, mais qu’elle n’a pas retenu qu’il constituaient du harcèlement psychologique. Mais elle a tout de même conclu que l’enquêtrice avait considéré que « Such language seems out of character and decorum for a tenured university professor and could be construed as a form of incivility ».
[81] Sur la deuxième allégation, (la no 3), elle conclut que la preuve supporte l’allégation, et que l’enquêtrice a retenu la déclaration de la salariée, dans une section portant sur la nature vexatoire des propos, et qu’elle a conclu que ces propos avaient pu avoir un impact, sur la dignité de l’étudiante qui a entendu ces propos.
[82] L’arbitre reproduit un passage, tiré des conclusions générales du rapport d’enquête, car l’employeur met de l’emphase, sur celui-ci. Le voici :
[96] Aussi, l’Employeur réfère à un passage des conclusions globales que l’enquêtrice a tiré de l’ensemble de la preuve entendue. Les passages pertinents méritent également d’être reproduits dans leur entièreté :
115. Potential lack of empathy. Although never formally identified by any of the Witnesses, it has come quite evident that some of the behaviors displayed by the Respondent are indicative of a lack of empathy on her part. Keeping a student waiting for long periods of time to meet with her, and keeping her waiting with the knowledge that time will not permit to do so, shows either an error in assessing the situation or a lack of empathy. The latter has been retained as qualifying comment in respect to the Respondent.
117. Despite the fact that psychological harassment is not retained, the University still has to evaluate how to address improprieties emanating from Dr. Stroeher, namely her inappropriate comment towards Ms, Vickers and her use of language in the lab which was heard by several students. […].
[83] Elle fait ensuite le point sur l’état du droit, sur l’impact d’un rapport d’enquête, devant un arbitre.
[84] Citant des autorités, elle énonce que dans une telle situation, elle ne doit pas tenir les divers éléments ressortant de l’enquête, et doit plutôt « faire sa propre enquête », pour déterminer si les allégations de l’employeur, sont démontrées, l’employeur ayant le fardeau de convaincre l’arbitre, dans un tel cas[26].
[85] Elle fait ensuite état de la preuve présentée devant elle, en évoquant que la salariée a décrit le contexte relationnel entre elle et l’étudiante qui s’est plainte d’elle, sachant que cette étudiante ne l’appréciait pas et qu’elle cumulait des preuves contre elle, selon ce que d’autres étudiants lui avaient déclaré.
[86] En ce qui concerne les paroles rapportées au cours d’un laboratoire, qui avait rendu la salariée nerveuse, l’arbitre rapporte le contexte, et l’on comprend que l’expression « bitch on wheels », n’est pas venue d’elle, à l’origine, mais d’une étudiante.
[87] L’arbitre note que la salariée a répété ce qu’une autre étudiante lui avait dit en premier, soit qu’elle était « a bitch on the wheels », la déclaration ayant eu lieu dans un contexte humoristique, et la salariée ayant admis avoir dit « if you fuck up this lab you will be stuck with me and I’m a bitch on wheels».
[88] Elle note que la salariée a dit avoir regretté de s’être exprimée ainsi, ajoute qu’elle ne l’avait jamais fait, auparavant, et qu’elle ne le referait pas, à l’avenir, même si le contexte qui a donné lieu à ces paroles, était humoristique.
[89] Sur les reproches portant sur les paroles prononcées à l’endroit de l’étudiante qui ramassait, lors du laboratoire, elle précise qu’ils disséquaient certaines parties très odorantes d’un poulet, avec des produits toxiques, et que l’étudiante avait mis des Kleenex dans ses narines, pour bloquer les odeurs.
[90] Elle rapporte que la salariée,« gentiment », a déclaré à l’étudiante, qu’elle n’avait jamais vu une telle façon de faire, au cours de toutes ses années d’enseignement, ce à quoi l’étudiante aurait mal réagi.
[91] La salariée a déclaré qu’elle voulait rassurer l’étudiante, afin qu’elle sache qu’elle pouvait quitter le laboratoire, sans conséquences négatives, pour elle, et que c’est dans ce contexte, qu’elle aurait ajouté que ce n’est pas tout le monde, qui était fait pour ça (travailler dans un laboratoire), et que la recherche était peut être plus appropriée pour elle, surtout qu’elle avait de très bonnes notes, en recherche, même si ses notes en laboratoire, étaient très bonnes.
[92] Sur les propos litigieux, l’arbitre écrit, que la salariée ne se souvient pas exactement de ce qu’elle a dit, lors de cet échange, mais elle se rappelle avoir dit « haha », au moment où l’étudiante tentait de maintenir les bouts de Kleenex, dans ses narines.
[93] Elle aurait déclaré qu’elle avait tenté de rassurer son étudiante, car elle la sentait très anxieuse, et qu’elle voulait l’aider. Elle a déclaré ne pas savoir comment elle s’exprimerait, si une telle situation se reproduisait.
[94] L’arbitre résume ensuite les réactions de l’employeur, par rapport au rapport d’enquête et aux conclusions qu’ils ont tirées du rapport, après en avoir discuté, avec les ressources humaines de l’Université.
[95] C’est le fruit de cette réflexion, qui aurait mené l’employeur à la conclusion, que les propos (fuck(…) et I’m a bitch on the wheels) étaient inappropriés, ainsi que ceux prononcés dans le laboratoire, « You do not belong in a laboratory environment », pouvaient être perçus comme étant intimidants, du point de vue d’une étudiante, ces paroles contrevenant aux valeurs de l’Université, et étant considérées comme ne correspondant pas à une façon adéquate, de traiter un étudiant, puisque cela manque de professionnalisme.
[96] Le recteur aussi a appuyé cette preuve, et s’est exprimé, sur le rôle de modèle, joué par les professeurs, en matière de respect.
[97] C’est à la suite de ce résumé de la preuve, que nous venons de faire, que l’arbitre conclut que malgré qu’elle considère les paroles « fuck… » et « bitch on the wheels » comme étant inappropriées, dans un milieu d’enseignement « de haut savoir », elle juge que la mesure imposée par l’employeur, lui paraît disproportionnée, après avoir tenu compte de toutes les circonstances. Elle décide qu’il en est de même, par rapport aux propos tenus au laboratoire, qu’elle reconnaît comme ayant pu être perçus comme étant intimidants, tels que rapportés au paragraphe 108, de la sentence.
[98] L’arbitre amorce ensuite l’étude de divers facteurs, pertinents à la détermination de la sanction.
[99] Des paragraphes 109 à 111, l’on comprend que le contexte humoristique, dans lequel la salariée n’a fait que répéter les propos d’une étudiante, même si elle les considère inappropriés, (paragraphe 111), et que les regrets de la salariée, au sujet de ces propos, jugés sincères, jouent un rôle particulier, dans la conclusion que la mesure disciplinaire retenue, est disproportionnée, alors que la salariée cumule 21 années de bons services, selon le doyen, sans avoir aucun antécédent disciplinaire, et jouent dans la décision de ne pas retenir la sanction, imposée à la salariée.
[100] Sur les paroles prononcées lors du laboratoire, l’arbitre retient le témoignage de la salariée, lorsqu’elle déclare que son intervention ne visait pas à nuire à l’étudiante ni à l’intimider, mais plutôt à la calmer et à l’aider, vu l’inconfort de cette dernière, face aux odeurs nauséabondes dégagées lors de la séance de dissection des poulets.
[101] L’arbitre concède que les paroles rapportées, (mais dont la salariée ne se souvient pas précisément du contenu) puissent avoir été « perçues comme étant intimidantes », mais elle les remet ensuite, dans le contexte décrit par le seul témoin des faits, soit ceux de l’émettrice des propos, alors que la récipiendaire de ceux-ci n’a pas été entendue, pour venir confirmer la réelle perception que ceux-ci ont pu provoquer.
[102] L’arbitre écrit que le fait qu’il s’agisse de deux événements isolés et de courte durée, et que la salariée ait donné des versions constantes et assuré sa collaboration à l’enquête, de même que lors de l’audition, ont eu un effet, dans sa décision consistant à annuler la sanction imposée par l’employeur.
[103] Au paragraphe 115, elle conclut que l’imposition d’une réprimande écrite, est injustifiée et disproportionnée, dans les circonstances. C’est ensuite, qu’elle réfère à la clause d’amnistie, et explique qu’en plus d’être injustifié, à la suite de son analyse, l’avis restera 5 ans, dans le dossier de la salariée.
[104] Voyons si cette analyse résiste au critère de la décision raisonnable.
[105] Personne ne remet en cause le fait qu’il revient à l’employeur, donc à Bishop, de démontrer les reproches inscrits dans l’avis disciplinaire qui a été remis à Dre Stroeher, la salariée représentée par l’Association.
[106] Personne ne remet également en cause, le fait qu’il ne nous revient pas de refaire l’analyse du grief, de la preuve et des arguments de droit présentés à l’arbitre, comme si nous avions été nous même saisi du grief no 2.
[107] Tous conviennent que la décision de l’arbitre doit être étudiée dans sa globalité, afin de déterminer si elle contient un raisonnement qui fait du sens, si elle est transparente et logique, et si les motifs exposés, ou que l’on peut extrapoler de l’ensemble, mènent rationnellement à la conclusion que l’arbitre a retenue, au vu des faits mis en preuve et du droit applicable. Le résultat doit faire partie des issues possibles, dans le domaine d’expertise de l’arbitre.
[108] ¨Pour comprendre d’où l’arbitre part, où elle aboutit, et suivre le chemin qu’elle emprunte, et comprendre la position de Bishop, qui critique le parcours et le résultat, de même que comprendre la position de l’Association, qui considère le tout comme étant cohérent, et qui plaide que la décision attaquée est raisonnable, voici le contenu de l’avis, que l’arbitre prend d’ailleurs la peine de reproduire, au paragraphe 93 de sa décision, pour permettre aux parties, de comprendre son raisonnement :
[93] Le 19 mars 2019, l’Université remet un avis disciplinaire écrit à Dre Stroeher et motive sa décision essentiellement à partir du rapport d’enquête:
As you know, On October, 2018 a complaint of harassment was filed against you by a Bishop’s student, Ms Merrin Vickers. Pursuant to the Policy on Prevention of Harassment, the Corporation mandated external assessors to conduct an investigation. On February 20, 2019, you received a copy of the assessors’ report.
With respect to Allegation 3 (“Inappropriate and disrespectful comments in the lab’) the assessors concluded that the evidence satisfied the definition of psychological harassment (paragraph 111 ( c)). They concluded that “… the body of evidence supports that Dr. Stroeher said words of a vexatious nature towards Ms Vickers…” (paragraph 68) and they determined your behavior with a “… potential impact on the dignity of the Complainant” (paragraph 69 (b)).
Furthermore, with respect to Allegation 2 (“Creating a negative environment with inappropriate threats”) the assessors concluded that the “Evidence indicates that Dr. Stroeher occasionally uses improper language and display behavior deemed intimidating to some students” (paragraph 60 and paragraph 61 (a)). However, they concluded that the language used did not meet the definition of harassment (paragraph 61 (b))” Nonetheless, they concluded that the “…language seems out of character and decorum for a tenured University professor and could be construed as a form of incivility” (paragraph 61 (b)).
The assessors also concluded that “some of the behaviours displayed by the Respondent are indicative of a lack of empathy on her part” (paragraph 115).
We conclude from the assessors’ report that you have, on occasion, created a negative academic environment for one or more of your students. The Corporation cannot tolerate such behavior by a professor. You are expected to act at all times professionalism and respect for your students and colleagues.
Consequently, we require you to refrain from any vexatious comments or improper behavior that could be harmful to students or any other member of the Bishop’s community.
In addition to this warning letter, the Corporation also requires that you attend a training session on prevention of harassment and vexatious behavior. […]
[109] L’arbitre énonçant ensuite, qu’elle doit faire sa propre enquête, et qu’elle ne peut se fier au rapport résultant de l’enquête sur la plainte de harcèlement psychologique, c’est là qu’intervient le fardeau de Bishop, consistant à prouver l’existence des reproches adressés à la salariée, qui se trouvent dans ledit rapport, et sur la base desquels Bishop a décidé qu’une sanction disciplinaire s’imposait, puisque la salariée avait commis diverses fautes, à son avis.
[110] Si les trois reproches formulés à la salariée n’étaient pas prouvés, devant l’arbitre, celle-ci pouvait alors voir la situation d’un œil différent de celui de l’employeur, et elle pouvait ensuite tirer des conclusions différentes de celles que ce dernier a tirées, et ce, en se fondant sur que la preuve administrée devant elle, a révélé par rapport aux manquements fondant l’avis disciplinaire.
[111] La particularité de ce dossier, vient du fait que le seul témoin entendu, sur les reproches de l’employeur, est la salariée.
[112] La victime alléguée n’a pas été entendue, donc elle n’a pu infirmer, modifier ou autrement contredire le témoignage de la salariée, sur ce qui s’est passé, en salle de classe ou lors du laboratoire. Il n’y a donc aucune preuve directe, de la perception des propos reprochés ni des effets concrets de celles-ci, sur la victime alléguée. Et rien d’autre, sur les circonstances dans lesquelles la salariée est intervenue, auprès des élèves et de celle, en particulier, qui a déposé une plainte de harcèlement contre son professeur.
[113] À la fin de l’audition tenue devant elle, l’arbitre ne sait donc pas si l’une ou l’autre des paroles prononcées, ou l’ensemble de celles-ci, ont réellement pu intimider cette étudiante, en indisposer d’autres, qui les ont entendues et si l’ambiance qui a résulté des propos reprochés, était de nature telle que la sanction imposée par l’employeur, était justifiée.
[114] Personne n’étant venu contredire le contexte dans lequel les paroles reprochées à la salariée, ont été prononcées ni les intentions qui animaient celle-ci, lorsqu’elle s’est adressée aux étudiants, l’arbitre a donc sauvé une étape importante et délicate, dans son analyse, soit celle consistant à déterminer s’il y a des versions contradictoires, et, le cas échéant, déterminer laquelle elle se devait de retenir, tout en expliquant pourquoi.
[115] Cela dit, même en l’absence d’autres témoins directs des faits reprochés, l’arbitre aurait pu juger le témoignage de la salariée, non crédible, et ses excuses, comme manquant de sincérité.
[116] Mais tel n’est pas le cas. Elle a jugé que ce seul témoignage était crédible, et que les excuses répétées de la salariée, étaient sincères. Elle a aussi retenu les intentions déclarées par cette dernière, pour expliquer ses commentaires, ains que le contexte ayant donné lieu aux divers commentaires, que Bishop considère inappropriés, et pour lesquels elle a voulu envoyer un message clair, à sa salariée, par l’avis disciplinaire.
[117] C’est donc à partir de la preuve de faits non contredits, mis en preuve, devant elle, et non à partir des allégations de Bishop, découlant de l’analyse de l’avocat qui a fait enquête, et qui est arrivée à certaines conclusions, sur la nature des paroles, et leurs effets sur les personnes qui les ont entendues, ou à qui elles étaient destinées, que l’analyse de l’arbitre s’articule.
[118] C’est ce qui s’infère facilement, des paragraphes 93 à 115 de la décision, qui font le tour de la décision sur le deuxième grief.
[119] Du côté patronal, seule l’avocate, qui a travaillé avec l’administration et les ressources humaines de Bishop, pour gérer les effets des conclusions énoncées au rapport d’enquête sur le harcèlement psychologique, afin d’en tirer certaines conclusions, jugées légitimes pour agir, dans le contexte plus particulier des relations de travail, versus la plainte de harcèlement, qui n’a pas été retenue, et le recteur, ont été entendus.
[120] Ils sont venus faire état des valeurs, prônées par l’Université, dans l’enseignement dispensé par les professeurs, faire état des démarches effectuées, pour émettre l’avis disciplinaire litigieux, et sur les messages, qu’ils jugeaient important d’envoyer à la salariée, ainsi qu’au corps professoral tout entier, sur le professionnalisme et la courtoisie exigés d’eux, dans l’exécution de leur prestation de travail.
[121] L’arbitre ayant énoncé qu’elle ne pouvait prendre le contenu du rapport d’enquête sur le harcèlement, pour avéré, et qu’elle devait « mener sa propre enquête », afin de suivre les enseignements applicables, en semblable situation, c’est cette preuve, qui fonde les motifs de son analyse.
[122] Dans les paragraphes sur la première série de paroles à l’origine de l’avis disciplinaire : « if you fuck up this lab…. » et « I’m a bitch on the wheels », il est évident que l’arbitre accorde une attention particulière au contexte humoristique à l’origine des paroles que la salariée reconnaît avoir prononcées, en répétant ainsi les mêmes propos que ceux qu’une étudiante venait de dire[27].
[123] Les motifs de l’arbitre nous permettent aussi de comprendre, qu’elle considère la version de la salariée, comme étant constante et crédible, et qu’elle accorde foi aux excuses, qu’elle a prononcées à deux reprises, en lien avec ces paroles, ajoutant que la salariée avait précisé qu’elle n’avait jamais agi ainsi, au cours de ses 21 années au sein de l’Université, et qu’elle n’avait pas l’intention de récidiver, dans le futur[28].
[124] Il est vrai que plus loin, au paragraphe 108, l’arbitre écrit que les paroles que la salariée reconnaît avoir prononcées, et pour lesquelles elle a fourni des explications et des excuses, sont « inappropriées », dans un milieu universitaire.
[125] Bishop a raison d’attirer notre attention, sur cette partie du raisonnement de l’arbitre, surtout qu’elle le réitère, au paragraphe 111.
[126] Il ne peut donc s’agir d’une méprise ni d’une erreur : à l’issue de la preuve administrée devant elle, l’arbitre en vient à la conclusion que les paroles, dont nous avons précisé le contenu, précédemment, étaient inappropriées.
[127] Cela constitue-t-il nécessairement une reconnaissance de « faute disciplinaire »?
[128] Là est toute la question et c’est précisément sur ce point, que les parties divergent d’opinion, sur ce que nous devrions retenir, de la sentence arbitrale.
[129] Le contenu des propos de l’arbitre, au paragraphe 108, ne s’arrête pas qu’au caractère inapproprié des paroles. Et c’est à notre avis dans la suite du paragraphe, que se trouve la réponse à la question que nous venons de poser.
[130] Après le constat de l’arbitre, au paragraphe 108, celle-ci énonce son opinion, et l’on comprend immédiatement, que malgré le caractère inapproprié des paroles prononcées, « (…) toutes les circonstances propres à l’affaire » lui font conclure, que la mesure imposée par l’employeur, pour de telles paroles, est disproportionnée.
[131] Sans qu’elle le dise clairement, nous comprenons qu’elle ne voit pas de faute disciplinaire, dans ces paroles inappropriées, à cause de tout ce qui les entoure.
[132] Le paragraphe 111, fait état des excuses et des regrets exprimés, jugés sincères, ainsi qu’état du « contexte d’humour », dans lequel de telles paroles ont été prononcées. Comme si cela venait mettre un bémol, et dédramatiser le constat fait au paragraphe 108, pour tout remettre en perspective, et déterminer s’il s’agissait bien d’un cas méritant une sanction disciplinaire, ou plutôt d’un cas, qui aurait pu être adressé, autrement que par un tel processus formel.
[133] Plus tôt, nous avons énoncé que la référence répétée, au caractère inapproprié des paroles, ne peut être une méprise ni une erreur. En toute logique, les références répétées au contexte des propos tenus, et les références aux excuses, qui accompagnent à chaque fois, la qualification des paroles, ne peuvent également pas être une erreur ni une méprise.
[134] Nous y voyons un message clair, que ce qui l’emporte pour l’arbitre, entre la qualification qu’elle fait, des paroles reprochées, et le contexte ayant entouré ces paroles, un contexte d’humour, et qu’en présence de repentement jugé sincère, cette situation n’aurait pas dû donner lieu à une mesure disciplinaire, point barre.
[135] Même si l’arbitre ne précise pas que ces paroles, admises par la salariée, jugées inappropriées, ne constituent pas une faute, dans le contexte particulier dans lequel elles ont été prononcées, nous sommes d’avis qu’une lecture globale et attentive des motifs énoncés aux paragraphes 93 à 115, permet de conclure qu’aucune sanction disciplinaire n’aurait dû être imposée, parce que les gestes ne suffisaient pas, pour être qualifiés de fautifs, aux fins du droit disciplinaire.
[136] À notre avis, tout se tient, logiquement, expliqué suffisamment, et mène raisonnablement à la conclusion, tirée de l’ensemble de la seule preuve disponible, et des principes applicables, que ce dossier n’aurait pas dû se rendre en discipline, par rapport au dossier vierge de cette salariée, dont l’ancienneté, et les bons services, tels que confirmés par le recteur, remontaient à 21 ans.
[137] C’est vraisemblablement pourquoi elle ajoute, à la toute fin du paragraphe 115, le dernier avant les conclusions de la sentence, qu’il « existe d’autres moyens que la voie disciplinaire pour sensibiliser un salarié sur son comportement ».
[138] La seule conclusion que l’on peut inférer de tout l’exercice, est qu’il n’y a pas eu de faute disciplinaire de commise par Dre Stroeher, en lien avec la première série de paroles.
[139] Qu’en est-il des paroles prononcées lors de la dissection des poulets, survenue lors d’un laboratoire et qui sont les suivantes : « haha, you obviously don’t belong to a laboratory environment »?
[140] Encore une fois, la séquence des événements, telle que rapportée par le témoin unique des faits reprochés, et jugée crédible, à l’égard de cette deuxième série de propos, est capitale.
[141] En effet, le contexte et l’appréciation des intentions déclarées par la salariée, pour expliquer pourquoi elle a fait ce commentaire, sont tout aussi importants, que cela l’était, pour la première série de paroles.
[142] Mais avant d’entrer dans ce contexte, et ce qu’en a dit la salariée, il faut dresser la table, en ce sens, que nous devons rappeler, que les paroles reprochées à la salariée, telles qu’inscrites dans l’avis disciplinaire, lequel est inspiré du contenu du rapport d’enquête, ne sont pas de la preuve.
[143] Ces paroles ne sont donc pas a priori démontrées, du simple fait qu’elles soient alléguées par l’employeur, ou qu’elles lui aient été rapportées par l’enquêtrice, qui rappelons-le, n’a pas été entendue.
[144] Qu’est-ce que l’arbitre avait alors en preuve, sur les paroles fondant le deuxième reproche de l’employeur?
[145] Peu de choses, mais suffisamment, sur l’idée générale, car la salariée a déclaré qu’elle n’avait pas de souvenir précis des paroles prononcées, lors de cet événement, mais une fois confrontée aux propos, en contre-interrogatoire, ses réponses, sur le contexte et l’idée générale développés par la salariée, tournant autour des notes de l’étudiante, en laboratoire et en recherche, permettent de conclure, à partir de ce que l’arbitre écrit, qu’ils ont été mis en preuve, de manière indirecte.
[146] Le souvenir des circonstances, des perceptions et des intentions qui animaient alors la salariée étant clair, voici ce qu’il ressort des paragraphes 103 à 105, 108, 112 et 113, de la sentence arbitrale.
[147] L’on comprend des parties du témoignage de la salariée, résumées par l’arbitre, que des odeurs nauséabondes flottaient dans l’air, lors de cet exercice de dissection de poulets, et qu’elles étaient dues tant aux poulets, qu’aux produits toxiques, utilisés en laboratoire.
[148] À un moment, la salariée constate qu’une étudiante met des bouts de Kleenex dans ses narines, et elle lui demande pour quelles raisons elle faisait cela.
[149] L’étudiante aurait expliqué que c’était à cause des odeurs nauséabondes, et que c’était le truc qu’elle avait trouvé, pour ne pas avoir à sortir du laboratoire.
[150] C’est après cela, que la salariée lui aurait répliqué n’avoir jamais vu personne faire cela, au cours de toutes ses années d’enseignement et qu’elle lui a dit quelque chose, dont elle ne se souvient pas précisément, mais qui a un lien avec le fait que l’étudiante n’était peut-être pas faite pour œuvrer en laboratoire, à la blague, d’où le « haha » allégué, au début des paroles reprochées, dont elle se souvient (le haha), par ailleurs.
[151] La salariée déclare que l’étudiante aurait réagi négativement, à son propos[29].
[152] Sur ce contexte, dans lequel les paroles reprochées sont prononcées, l’arbitre retient la seule version qu’elle a, de cet événement, celle de la salariée. L’arbitre précise que c’est après que la salariée ait constaté les Kleenex dans le nez de l’étudiante, qu’elle lui a « gentiment » dit, qu’elle n’avait jamais vu une telle façon de faire, au cours de toutes ses années d’enseignement et que l’étudiante a réagi négativement, à son propos.
[153] L’arbitre retient que le but de l’intervention de la salariée, était de calmer l’étudiante, qui était anxieuse, et de l’informer qu’elle pouvait quitter le labo, sans conséquence (négative) pour elle.
[154] L’arbitre rapporte que confrontée aux propos contenus dans le rapport, la salariée s’est expliquée, sur la réalité académique de cette étudiante; celle-ci avait de bonnes notes, pour la portion « laboratoire » de son cours, mais elle en avait encore de meilleures, pour la portion « recherche ». Elle a pensé que le laboratoire n’était peut-être pas un lieu propice pour cette étudiante, si elle avait besoin de mettre des Kleenex dans son nez, à cause des odeurs nauséabondes, et c’est ce qui a inspiré le commentaire, qu’elle ne se souvient pas des mots précis, outre qu’il débutait par « haha(…) » puisqu’il a été fait à la blague.
[155] Techniquement, les paroles reprochées « you don’t belong to a laboratory environment », ne sont pas démontrées par la preuve, telles quelles. Cependant, il est possible de conclure, des propos et explications données par la salariée, que quelque chose du genre de ce qui lui est reproché, a pu être dit à cette étudiante, pour que la salariée donne toutes les explications que nous venons de résumer, à partir de ce que l’arbitre écrit, dans ses motifs.
[156] Ce que l’arbitre retient, des intentions derrière les propos reprochés, est que la salariée souhaitait aider et calmer l’étudiante, qui était anxieuse. Du côté de l’émetteur des propos, voilà ce que retient l’arbitre.
[157] Et le « haha », avec l’image qui vient avec, laisse entendre que la salariée a trouvé que la manière de faire de l’étudiante, était comique.
[158] Aucune preuve contraire ne fait état d’un autre contexte, que celui exprimé. Rien ne vient davantage contredire ses intentions.
[159] C’est donc dans ce contexte, que l’arbitre enchaîne sur ce que l’avocate et le recteur pensent, de ces propos, du point de vue d’une étudiante.
[160] Or, leur opinion ne fait pas preuve de ce que la principale intéressée a perçu, ressenti, et encore moins des dommages que ces propos ont pu lui causer, le cas échéant.
[161] C’est ce qui fait conclure à l’arbitre, que le contexte de l’intervention faite par la salariée, et les paroles vraisemblables qu’elle a pu prononcer, ne justifiaient pas davantage la sanction imposée par l’employeur, et que nous comprenons qu’elle ne retient pas que ces faits constituent une faute disciplinaire, lorsqu’elle prend le soin de préciser, au paragraphe 108, que la mesure imposée est disproportionnée, tout autant pour ces derniers propos, que les précédents.
[162] Ce qu’elle dit ensuite, au paragraphe 112, laisse clairement comprendre qu’elle retient la version de la salariée, que son intention était d’aider l’étudiante et la calmer, plutôt que de lui nuire ou de l’intimider.
[163] Cela nous ramène encore au fameux contexte, lorsqu’elle infère ensuite, que les paroles prononcées, « puissent être perçues comme étant intimidantes ».
[164] Mais ce qu’elle retient, au final, ce sont les explications de la salariée, et elle ne peut donc conclure que dans les faits, les paroles prononcées, étaient intimidantes, pour l’étudiante, qui n’a pas exprimé son état à l’arbitre, à la suite des propos tenus.
[165] Que l’arbitre arrive à la conclusion que le reproche, sur le manque d’empathie de la salariée, n’a pas été prouvé, ne peut être qualifié de déraisonnable, alors qu’elle n’a rien entendu à cet effet, et que le contexte ne mène pas nécessairement à cette conclusion.
[166] Les motifs de l’arbitre ne sont pas parfaits, mais ce n’est pas ce à quoi les parties étaient en droit de s’attendre.
[167] Ce qu’ils pouvaient valablement s’attendre d’elle, est qu’elle tienne compte de leur point de vue, qu’elle traite leurs arguments, et cela, de manière suffisante pour qu’elles puissent comprendre que tout cela a été analysé, que les arguments aient été accueillis, ou rejetés, et qu’elle se soit exprimée suffisamment, en faits qu’en droit, sur ses décisions.
[168] À notre avis, c’est ce que l’arbitre Flynn a fait.
[169] Sans qu’elle ne le dise, elle a appliqué la maxime latine de minimis not curat lex, qui signifie que les incidents reprochés à la salariée, qu’elle considère isolés et de brèves durées, « sans plus », au paragraphe 112, une fois remis dans leur contexte et à la lumière des seules explications disponibles et jugées crédibles, ne justifiaient pas l’imposition d’une quelconque sanction disciplinaire, et que ce dossier aurait dû se régler autrement, que par un tel processus.
[170] Contrairement à ce que plaide Bishop, l’on ne peut retenir qu’elle conclut à une faute, pour les deux séquences de propos, et qu’elle a tout simplement décidé de passer l’éponge, malgré la commission de fautes disciplinaires, qu’elle aurait par ailleurs reconnues.
[171] Voilà comment l’interprétation de la globalité des motifs nous permet de conclure, que la décision de l’arbitre est intelligible, transparente, cohérente, et que bien qu’imparfaite, sans que cela ne soit un reproche, il n’y a rien à redire sur la suffisance des motifs énoncés dans cette sentence arbitrale ni dans leur contenu, sur le fond, et qu’il s’agit d’une décision raisonnable qui s’inscrit tout à fait dans les issues possibles, à partir de la preuve et de l’application du droit à cette preuve, dans le cadre d’un dossier en relations de travail.
[172] Que l’on aime le résultat, ou pas, il ne nous revient pas de réviser cette décision.
[173] Le pouvoir discrétionnaire, qui nous est accordé, pour surveiller l’exercice de la juridiction exclusive et spécialisée d’un arbitre de grief, n’a pas lieu d’être exercé, en l’espèce.
[174] Nous n’aborderons les paragraphes 109 à 114 de la décision, que pour exprimer qu’ils révisent adéquatement les critères aggravants et atténuants, lorsqu’une « faute » est commise, et qu’il y a lieu d’imposer une sanction disciplinaire, ou d’apprécier le caractère adéquat, de celle qui est remise en cause.
[175] À notre avis, cet exposé de droit et l’analyse factuelle propre au dossier de la salariée en cause qui s’en suit, nous permettent de déduire, que l’arbitre a conclu que la salariée n’a commis aucune des fautes « disciplinaires » qui lui étaient reprochées, même si certains faits se sont produits, que des paroles ont été prononcées, et que la salariée en a reconnu certaines.
[176] Nous comprenons de cette sentence, que le comportement de la salariée n’a pas été jugé comme étant exemplaire, mais que de là à la sanctionner, en droit disciplinaire, il y avait une marge.
[177] Même la conclusion de l’arbitre, au paragraphe 113, que le manque d’empathie « n’a pas été prouvé », ne permet pas d’inférer que les autres manquements l’ont été, a contrario.
[178] À notre avis, la révision des divers critères, par l’arbitre, vise la démonstration que le caractère inapproprié des paroles prononcées, ne constitue pas une faute militant en faveur de l’imposition d’une quelconque sanction disciplinaire, en l’espèce. Voilà l’essence de la décision de l’arbitre.
[179] Si des paroles du genre avaient été prononcées, dans un autre contexte que celui révélé par la preuve, que les effets de ces paroles, sur la ou les victimes de celles-ci, avaient été introduits en preuve, devant l’arbitre, que ces paroles avaient été prononcées par un salarié de peu d’ancienneté, plutôt que par une salariée, cumulant 21 années d’ancienneté, que ces paroles avaient été prononcées par un salarié ayant des antécédents disciplinaires, plutôt qu’un dossier vierge, comme c’est le cas, que le contexte, à l’origine des paroles reprochées, n’en avait pas été un « à la blague » ou « humoristique », il aurait été incongru que l’arbitre n’arrive pas à la conclusion que de telles paroles constituent une faute, génératrice de sanction disciplinaire. Si elle avait décidé d’écarter la sanction la plus légère, imposée par l’employeur, selon la convention négociée, alors là, nous aurions pu donner gain de cause à Bishop, puisqu’une faute « disciplinaire », alors reconnue, n’aurait pu demeurer sans conséquence.
[180] Dans un contexte tel celui décrit dans le paragraphe précédent, ou comportant certaines des caractéristiques qui y sont énumérées, Bishop aurait eu raison, de faire réviser la décision d’un arbitre, car il ou elle aurait alors commis l’erreur révisable, puisque les principes d’autonomie décisionnelle des universités, le pouvoir de gérance des employeurs, et les principes fondamentaux en droit disciplinaire, dès lors qu’une faute disciplinaire est avouée par l’auteur de celle-ci, ou reconnue par le décideur, auraient été contournés, ce qui aurait eu pour effet que la décision soit déraisonnable, et susceptible de révision judiciaire, par notre Cour.
[181] En l’espèce, même si la ligne est mince, nous considérons qu’il s’agit d’une issue possible, par rapport au dossier soumis à l’arbitre, et que la décision comporte suffisamment de motifs, pour la comprendre et considérer que le résultat de l’exercice d’analyse de l’arbitre, est logique et rationnel, tant en faits qu’en droit.
[182] La vision de l’arbitre n’est peut-être pas parfaite, mais elle n’est pas à ce point déraisonnable, lorsqu’elle écrit, du même souffle, que les paroles prononcées sont inappropriées, ce qu’elle fait, in abstracto, et qu’elle n’en tire pas la conclusion qu’il s’agit d’une faute susceptible de mener à l’imposition d’une sanction disciplinaire, in concreto. Comme quoi tout est fonction du contexte et de l’appréciation globale de la sentence arbitrale.
[183] Entre le constat de l’arbitre, que les paroles en cause sont « inappropriées », tout comme Bishop le plaide, mais qu’elle n’y voit pas de faute disciplinaire justifiant l’imposition d’une quelconque sanction, et la conclusion que Bishop tire, du fait que la salariée a prononcé des paroles inappropriées, comme signifiant que la salariée a nécessairement commis une faute disciplinaire, justifiant l’imposition d’une sanction, puisque l’arbitre a bien compris que l’on ne s’attendrait pas à ce qu’un professeur d’université « de grand savoir », s’exprime ainsi, la ligne est mince, nous en convenons.
[184] Mais au regard d’une sentence intelligible, transparente et logique, dans laquelle tout est question de contexte, pour la mise en scène des propos reconnus comme étant « inappropriés », cela ne donne pas ouverture à la révision judiciaire, qui est un recours d’interprétation restrictive et essentiellement discrétionnaire, rappelons-le.
[185] Le fait que l’arbitre fasse référence à la clause d’amnistie, dans le dernier paragraphe de la sentence arbitrale, ne peut être interprété comme une erreur suffisante, pour intervenir, puisque ce n’est pas le fondement de la décision, et cela, à supposer que le fait d’avoir référé à une telle clause, à la toute fin, puisse constituer une erreur, ce qui n’est pas notre conclusion.
[186] La manière dont l’arbitre s’exprime, sur ce sujet, laisse plutôt entendre qu’elle pousse son argumentaire jusque-là, pour démontrer que les effets de la sanction disciplinaire seraient disproportionnés, dans les circonstances, la salariée devant vivre avec cette tache dans son dossier, pour une longue période.
[187] En référant à cette clause, l’arbitre n’a pas contourné la raison d’être d’une clause d’amnistie, habituellement favorable aux salariés de l’Association qui a négocié qu’elle puisse être incluse, dans la convention collective, plutôt que chaque sanction disciplinaire passée d’un salarié, puisse venir le hanter, pendant toute la durée de son lien d’emploi, au lieu de disparaître, après un certain nombre d’années.
[188] Ce que nous comprenons, de la référence de l’arbitre, est que pour une situation qu’elle a considéré banale, comme celle mise en preuve devant elle, dans le contexte révélé par la preuve, le simple fait d’hériter d’un avis disciplinaire écrit, dont l’employeur aurait pu se prévaloir contre Dre Stroeher, pendant cinq ans, est un peu comme la cerise sur un sundae, rendu indigeste, par analogie, sur le plan de la proportionnalité de la sanction, ainsi imposée.
[189] REJETTE le pourvoi en révision judiciaire;
[190] Avec frais de justice.
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_________________________________ CLAUDE DALLAIRE j.c.s. | ||
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Me Stéphane Filion | |||
FASKEN MARTINEAU LLP | |||
Avocat pour la demanderesse | |||
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Me Marie-Josée Dufour | |||
UNIVERSITÉ BISHOP | |||
Avocate pour la demanderesse | |||
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La défenderesse n’est pas représentée | |||
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Me Gabriel Hébert-Tétrault | |||
HÉBERT THIBAULT S.E.N.C. | |||
Avocat de la mise en cause | |||
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Date d’audience : | 12 juin 2023 | ||
Date de délibéré : | 12 juin 2023 | ||
[1] Pièce P-2.
[2] Written warning, pièce P-2.
[3] Elle conteste aussi le processus d’enquête en matière de harcèlement psychologique, mais ce sujet n’est pas remis en cause, dans le pourvoi donc nous ne nous étendons pas indûment, sur celui-ci.
[4] Par. 108 de la sentence.
[5] ALL WARNINGS, SANCTIONS, AND DISCIPLINARY ACTIONS BECOME NULL AND VOID AFTER FIVE (5) YEARS AND SHALL BE REMOVED FROM THE « MEMBER’S FILE ».
[6] Fraternité des policiers et policières de Gatineau inc. et Gatineau (Ville de), 2016 QCTA 140, par. 73‑79.
[7] Paragraphe 108 de la sentence.
[8] BERNIER, Linda, BLANCHET, Guy et SÉGUIN, Éric, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail, par. 2.002; Association des salariés du contreplaqué de Ste-Thérèse (ASCST) et Compagnie Commonwealth Plywood ltée (Usine de déroulage - Ste-Thérèse), SOQUIJ AZ-50678281, 2010 CanLII 58084, par 19-21.
[9] Par. 30 de la demande de révision.
[10] Paragraphe 115 de la sentence.
[11] Paragraphe 41 de la demande de révision judiciaire. Voir Lapointe et Chauffeur express location inc., 2012 QCCSST 250, par 132-134; Fraternité des policiers et policières de Gatineau inc. et Gatineau (Ville de), 2016 QCTA 140, par. 76-79; Syndicat des salariés de production de portes et fenêtres de la Rive-sud de Montréal c Fenplast inc, 2014 CanLII 50880 (QC SAT), par.177.
[12] Friesen c. Université du Québec à Montréal, [1996] R.J.Q. 249, p. 13. Voir aussi Su c. Foster, [1996] R.J.Q. 170, p. 23-24; Université de Montréal c. Charles, [1993] R.D.J. 83, p. 5; Université de Montréal c. Cloutier, [1988] R.J.Q. 511, p. 21-25.
[13] Centre d'accueil Dollard-des-Ormeaux et Union des employés de service, section locale 298 (F.T.Q.), SOQUIJ AZ-92145011, A.A.S. 92A-12, p. 11 et 12; Association des salariés du contreplaqué de Ste-Thérèse (ASCST) et Compagnie Commonwealth Plywood ltée (Usine de déroulage - Ste-Thérèse), SOQUIJ AZ-50678281, 2010 CanLII 58084, par. 21.
[14] Association des salariés du contreplaqué de Ste-Thérèse (ASCST) et Compagnie Commonwealth Plywood ltée (Usine de déroulage - Ste-Thérèse), SOQUIJ AZ-50678281, 2010 CanLII 58084, par. 20-21.
[15] Syndicat démocratique des employés de garage Saguenay-Lac-St-Jean (CSD) et Chicoutimi Chrysler Dodge Jeep inc., 2010-08-20, 2010 CanLII 50099 (QC SAT), SOQUIJ AZ-50669310, par. 34; Syndicat des travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 et Élopak Canada inc., 2015-02-12, 2015 QCTA 111, SOQUIJ AZ-51150901, par. 39-40; Union internationale des journaliers d'Amérique du Nord, local 62 c. Joe Nicoletti & fils, 2006 CanLII 37968 (QC SAT), par. 19-20.
[16] Paragraphe 31 du mémoire de l’Association.
[17] Même genre de décision que dans Syndicat des travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 et Élopak Canada inc., 2015-02-12, 2015 QCTA 111, SOQUIJ AZ-51150901, par. 39-40, donc partie des issues possibles.
[18] Ville de Lévis c. La Forge, 2021-12-20, 2021 QCCS 5360, par. 34.
[19] Sur la manière de considérer une clause d’amnistie, voir BERNIER, Linda, BLANCHET, Guy et SÉGUIN, Éric, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail, par.3.445; Syndicat des employés municipaux de la Ville de Chapais (CSN) et Ville de Chapais, 2017 QCTA 418, par. 24, qui cite avec approbation, les paragraphes 48 à 50 d’une autre décision rendue par l’arbitre Denis Provençal; Agropur, coopérative laitière et Syndicat des salariés (es) de la fromagerie (CSD), 2016 QCTA 868, par. 95.
[20] Dans Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013-06-14, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, par. 54. cette manière de faire, est jugée inadéquate, par la Cour suprême.
[21] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 93. Voir aussi Lebrun c. Tribunal administratif du travail, 2020-03-06, 2020 QCCS 926, par. 49; Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, 1997-02-27, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 49.
[22] Syndicat des travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 et Élopak Canada inc., 2015-02-12, 2015 QCTA 111, SOQUIJ AZ-51150901, par. 41; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 90, 91 et 100.
[23] Vavilov, précité, note 21.
[24] Paragraphe 22 de la demande de révision et par. 12 du mémoire de l’Association.
[25] Il y est question d’équité procédurale, pour la tenue de l’enquête, et de la manière dont cette enquête de harcèlement psychologique s’est déroulée, ce qui n’a aucun lien, avec la deuxième grief.
[26] Voir Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal - local 301 et Ville de Montréal, 2020-03-17, 2020 QCTA 148.
[27] L’expression utilisée par l’arbitre est « jovialement », tel que rapporté au paragraphe 101, mais ce que la salariée a dit à l’enquêtrice, et qu’elle a répété, lors de l’audition, est qu’elle a prononcé ces paroles « dans un contexte d’humour ».
[28] Paragraphes 101-102.
[29] Il s’agit de l’étudiante qui a déposé une plainte de harcèlement psychologique, mais ce fait n’est pas connu de la salariée, au moment de cet événement, dans le laboratoire.
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