Décision

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Décision

Boisvert-Lessard c. Haddad

2021 QCTAL 4304

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

548418 31 20201208 G

No demande :

3132838

 

 

Date :

15 février 2021

Devant la juge administrative :

Karine Morin

 

Julie-Anne Boisvert-Lessard

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Ramsey Haddad

 

Samy Haddad

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande introduite le 3 décembre 2020, la locataire demande l’émission d’une ordonnance de travaux, la relocalisation durant l’exécution de ces travaux, une diminution de 100% du loyer depuis le 2 août 2020, des dommages ainsi que les intérêts.

LES FAITS

[2]      Les parties sont liées par un bail initial du 1er novembre 2017 au 31 octobre 2018 reconduit jusqu’au 31 octobre 2021 au loyer mensuel de 1 245 $. 

[3]      Le logement concerné comporte 6 ½ pièces, situé au rez-de-chaussée de l’immeuble comprenant trois logements. La locataire y habite avec son conjoint qui n’est pas signataire du bail. Elle a accès au vide sanitaire de l’immeuble, mais elle ne peut l’utiliser à quelque fin que ce soit.

[4]      En septembre 2018, la locataire témoigne avoir constaté la présence de moisissures dans la salle de bain et l’apparition de mouches. L’homme de maintenance du locateur se rend sur les lieux et y exécute des réparations.

[5]      Le 1er octobre 2019, un refoulement d’égout survient. Les eaux usées sortent par le bain, le lavabo et la toilette. L’homme de maintenance, sans formation de plombier, débouche le tuyau qui se rend au vide sanitaire. Il confirme que les tuyaux d’évacuation de l’immeuble ne sont pas dotés d’une valve de non-retour.


[6]      Par sa formation en architecture et par son expérience de travail comme chargée de projet en construction et en développement immobilier, la locataire est d’avis que les tuyaux d’évacuation de chaque logement de l’immeuble doivent être dotés de clapets antiretour. Elle réfère à un règlement de la Ville de Montréal à cet effet.

[7]      Le 10 janvier 2020 survient un autre important refoulement d’égout dans la salle de bain. L’homme de maintenance retourne déboucher le tuyau et précise à la locataire qu’elle ne devra plus utiliser de papier hygiénique pour éviter que la problématique ne survienne à nouveau.

[8]      Le 2 août 2020 se produit une inondation dans le vide sanitaire de l’immeuble. L’eau y monte d’environ trois pieds et laisse une odeur nauséabonde. La locataire s’inquiète de la présence du panneau électrique et contacte d’urgence le locateur pour lui dénoncer la situation.

[9]      L’homme de maintenance se rend au logement dans les jours suivants, il procède à nouveau à déboucher les tuyaux et lui réitère de ne pas utiliser de papier hygiénique. Selon ce dernier, le locateur n’a pas l’intention de procéder aux travaux nécessaires afin d’enrayer cette problématique puisque ceux-ci seraient trop coûteux. Il explique avoir installé une valve antiretour sur le tuyau principal de l’immeuble, mais sans en faire autant sur les tuyaux de chacun des logements.

[10]   Suite à cette inondation, la locataire constate le retour des mouches. Le locateur défraie le coût d’un exterminateur en vue de les enrayer.

[11]   Le 10 octobre 2020, la locataire subira un autre refoulement d’égout dans la salle de bain. Le même scénario se reproduit; l’homme de maintenance procède uniquement à déboucher le tuyau.

[12]   Suite à ces évènements, le locateur procède à une analyse de la qualité de l’air dans l’immeuble concerné. Le rapport, daté du 29 octobre 2020, est déposé à l’audience. Il conclut à la présence de moisissures et d’un taux d’humidité élevé dans le vide sanitaire. Il indique aussi un taux d’humidité élevé (allant jusqu’à 90% dans certaines pièces) ainsi qu’un taux de CO2 élevé dans le logement de la locataire.

[13]   Ce rapport propose des actions à poser afin de solutionner certaines des problématiques dénoncées par la locataire. Le locateur demande à celle-ci de se procurer des déshumidificateurs, d’aérer son logement et de chauffer davantage le vide sanitaire.

[14]   La locataire est en désaccord avec les exigences du locateur puisqu’elles impliquent des dépenses personnelles dont elle ne saurait être tenue responsable. Par ailleurs, elle considère que les problématiques de refoulement et d’inondations n’en seront pas pour autant solutionnées. Elle considère que le locateur est dans l’obligation de lui fournir un logement sain et exempt de ces problèmes récurrents.

[15]   Par ailleurs, la locataire explique que, bien que le vide sanitaire ne fasse pas partie de l’espace qu’elle loue, le chauffage de cette pièce est facturé sur son compte d’électricité. Elle dépose des photos sur lesquelles apparait un fil électrique rouge qui, selon ses explications, se rend du système de chauffage du vide sanitaire à son compteur électrique. Elle réclame le remboursement des frais d’électricité payés en supplément à cet effet. Calculés sur une moyenne de 85 $ par mois pour la période de novembre 2017 à octobre 2019, soit pour 23 mois, elle réclame 1 955 $. Au soutien de sa demande, elle dépose ses factures d’Hydro-Québec.

[16]   Le 17 novembre 2020, elle envoie une mise en demeure au locateur lui réclamant de procéder aux travaux nécessaires dans son logement et au remboursement de ses dommages.

[17]   Elle considère sa perte de jouissance du logement telle que, depuis l’inondation d’août 2020, elle demande une diminution de loyer de 100%, jusqu’à ce que les travaux nécessaires à la réfection complète et totale de la tuyauterie soient complétés. Elle désire rester dans le logement puisqu’il est difficile de trouver à se reloger avec un chien.

[18]   La locataire témoigne avoir une importante infection oculaire depuis l’inondation du 2 août 2020. Elle a dû consulter à deux reprises à l’hôpital et faire un suivi en clinique. Elle dépose une attestation médicale, des photos et des preuves de paiement de médicaments. Elle réclame la somme de 185 $ en frais de médicaments non couverts par son assurance ainsi que la perte de quatre jours de travail en raison des visites médicales nécessaires totalisant 940 $.


[19]   Son conjoint, occupant au logement, vit une problématique d’asthme et de bronchite chronique amplifiés par les problématiques vécues. Elle réclame pour celui-ci la somme de 76,65 $ en frais de médicaments non couverts et cinq jours de travail perdus pour un total de 1 100 $.

[20]   Au surplus, la locataire dépose des photos de ses appareils électroménagers (réfrigérateur et sécheuse) achetés en 2017 et endommagés par le taux d’humidité très élevé dans le logement. La sécheuse ne fonctionne plus et le réfrigérateur est tacheté de rouille, photos à l’appui. Elle réclame une somme totale de 1 722,33 $ pour le remplacement de ces deux appareils électroménagers.

[21]   Elle indique aussi avoir acheté un lit, un matelas et de la literie en remplacement de ceux achetés en 2018, abimés par l’humidité. Elle précise ne pas utiliser ces articles présentement puisqu’elle souhaite les préserver de l’humidité jusqu’à ce que les travaux soient complétés. Elle dépose les factures des articles achetés en 2020 pour un total de 3 397,92 $.

[22]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve de la locataire.

QUESTIONS EN LITIGE 

[23]   La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer? 

[24]   Y a-t-il lieu d'émettre une ordonnance d'exécution en nature des travaux de réfection nécessaires? 

[25]   Dans l’affirmative, y a-t-il lieu de déterminer les conditions dans lesquelles se feront ces travaux?

[26]   La locataire a-t-elle droit à des dommages matériels?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de preuve

[27]   Les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.

[28]   Il appartient au Tribunal d'apprécier la preuve présentée et d'en évaluer la force probante afin de déterminer si l'existence d'un fait qu'on désire mettre en preuve est plus probable que son inexistence. Ainsi, il ne suffit pas de présenter des allégations devant un tribunal. Chacune des prétentions d'une partie doit être démontrée par des faits qui doivent s'appuyer sur des preuves probantes et crédibles.

Le droit applicable 

[29]   Le locateur a, notamment, l'obligation de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement, de garantir qu’il peut servir à l’usage pour lequel il est loué et de l’entretenir durant toute la durée du bail (article 1854 C.c.Q.), le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité (article 1910 C.c.Q.) et l'exécution de toutes les réparations nécessaires, sauf les menues réparations d'entretien à moins que celles-ci ne résultent de la vétusté ou d'une force majeure (article 1864 C.c.Q.).

[30]   L'obligation du locateur de procurer la libre jouissance des lieux loués constitue l'essence même du bail, une obligation fondamentale et essentielle. Cette obligation en est une de « résultat ».

[31]   L'inexécution d'une obligation prévue par la Loi confère au locataire le droit de demander, entre autres, l'exécution en nature des obligations du locateur, une diminution de loyer et des dommages[1].

[32]   En ce qui a trait au recours en diminution de loyer, la locataire doit démontrer, par prépondérance de preuve, que le locateur a failli à son obligation de lui procurer la jouissance paisible de son logement et qu'elle en a subi une perte de valeur locative qui est réelle, sérieuse, significative et substantielle[2].

[33]   Pour justifier une diminution de loyer, le trouble ne doit pas être mineur ou n'être qu'un simple préjudice esthétique. Il doit s'agir d'un trouble sérieux.


[34]   Le recours en diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre entre le loyer payé par la locataire et la prestation de service du locateur[3].

La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer?

[35]   Après analyse, de manière prépondérante, la locataire a démontré une problématique récurrente de refoulement d’égout et d’inondation, la présence de moisissures au vide sanitaire et des taux d’humidité et de CO2 très élevés dans son logement. Ces problématiques ont aussi été dénoncées au locateur par messages textes, échanges téléphoniques et par la mise en demeure du 17 novembre 2020.

[36]   Le Tribunal conclut que la locataire subit une perte de jouissance suffisamment importante pour justifier une diminution de loyer.

[37]   Afin de déterminer le montant de la diminution de loyer à laquelle la locataire a droit, le Tribunal doit effectuer une évaluation de la perte de valeur locative de façon objective, globale et équitable[4].

[38]   Dans les circonstances et après analyse de la preuve, le Tribunal estime juste et raisonnable d’accorder à la locataire une diminution de loyer de 35 %, soit 435,75 $ par mois à compter du 2 août 2020, et ce, jusqu'à l'accomplissement complet des travaux par le locateur.

Y a-t-il lieu d'émettre une ordonnance d'exécution en nature des travaux de réfection nécessaires? 

[39]   La preuve révèle, de manière prépondérante, que les problématiques de refoulement d’égout, d’inondation, d’humidité et de taux de CO2 élevés n’ont pas fait l’objet des réparations nécessaires et sont toujours présentes.

[40]   Le Tribunal ordonne au locateur d’effectuer les travaux nécessaires aux fins d’enrayer l’ensemble de ces problématiques dans un délai de 60 jours de la présente décision.

Y a-t-il lieu de déterminer les conditions dans lesquelles se feront ces travaux?

[41]   Le tribunal est d’avis que cette demande est prématurée. L’ampleur des travaux et les conditions dans lesquelles ils devront s’exécuter seront déterminés par le locateur, tout en respectant les exigences du Code civil du Québec reliées aux travaux.

LA LOCATAIRE A-T-ELLE DROIT À DES DOMMAGES MATÉRIELS?

Les biens matériels

[42]   Le Tribunal partage l'opinion de sa collègue Luce De Palma, laquelle s'exprime ainsi concernant la réclamation d'un locataire pour perte matérielle[5] :

« Le Tribunal ne peut finalement faire droit aux autres chefs de réclamations des locataires, notamment quant à la perte d'objets mobiliers invoquée, ces derniers n'ayant aucunement démontré que ces effets ne pouvaient être nettoyés et traités convenablement afin de servir de nouveau à l'usage auquel ils étaient destinés. »

[43]   De plus, tel que l'indiquait la juge administrative Francine Jodoin dans l'affaire Henry c. Beaupérin, les locataires n'ont jamais avisé formellement le locateur de leur intention de se départir de leurs biens, au préalable, empêchant ainsi ce dernier de constater l'étendue des dommages et la valeur de ceux-là, le cas échéant.

[44]   En l’espèce, bien que la locataire témoigne que le bris de sa sécheuse est relié au taux d’humidité élevé dans le logement, outre ce témoignage, aucune preuve ne vient établir la relation entre ceux-ci. Cette demande est donc rejetée.


[45]   Concernant le réfrigérateur, le Tribunal est d’avis que les photos sont éloquentes quant à l’usure prématurée du bien, empli de taches de rouille, alors qu’il a été acheté en 2017 au prix de 1 033,63 $. Le Tribunal accorde une somme de 400 $ à la locataire à titre dédommagement pour la dépréciation de celui-ci.

[46]   Pour les articles de literie, la locataire n’a pas démontré avoir tenté de les traiter et de les nettoyer convenablement et elle n’a pas, au préalable, informé le locateur de son intention de remplacer ces biens. La demande est rejetée.

Les frais d’électricité

[47]   Après avoir consulté les factures d’électricité déposées par la locataire, le Tribunal est d’avis que la locataire a démontré, par une preuve probante, une hausse de ses frais reliée au branchement de la plinthe électrique du vide sanitaire au compteur de son logement. Le Tribunal arbitre la somme totale de 600 $ en dommage relié aux frais d’électricité excédentaire.

Les frais afférents aux médicaments et pertes de journées de travail

[48]   La locataire demande le remboursement des frais de médicaments non couverts par son assurance ainsi qu’un dédommagement pour les journées de travail perdues, et ce, pour elle et son conjoint.

[49]   De prime abord, le Tribunal constate une lacune au niveau de la preuve quant au lien entre les troubles de santé dénoncés et les problématiques constatées dans le logement. Le Tribunal rejette donc les dommages réclamés pour ceux-ci.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[50]   ORDONNE au locateur de procéder aux travaux nécessaires aux fins d’enrayer complètement les problématiques de refoulement d’égout, d’inondation, de taux d’humidité et de CO2 élevés dans le logement et de moisissures dans le vide sanitaire, dans les 60 jours de la présente décision;

[51]   CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 2 614,50 $ à titre de diminution de loyer pour la période du 2 août 2020 au 31 janvier 2021;

[52]   MAINTIENT la diminution de loyer de 435,75 $ par mois à compter du 1er février 2021 et pour l’avenir, jusqu’à ce que les travaux ci-haut décrits soient exécutés;

[53]   CONDAMNE le locateur à payer à la locataire un montant de 1 000,00 $ avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 3 décembre 2020;

[54]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine Morin

 

Présence(s) :

la locataire

Date de l’audience :  

26 janvier 2021

 

 

 


 



[1] Article 1863 C.c.Q.

[2] Denis Lamy, La diminution de loyer, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 29-30.

[3] Girard c. Placements Bédard J.L. 84-53 (R.L.).

[4] Précité note 3, p. 19.

[5] 31 050826 032 G, 31 071121 095 G, Lalonde c. 9099-7685 Québec Inc; 4 février 2010; Luce De Palma.

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