R. c. Leblanc |
2018 QCCQ 2253 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
KAMOURASKA |
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LOCALITÉ DE |
RIVIÈRE-DU-LOUP |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
250-01-028923-174 |
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DATE : |
6 avril 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
LUCE KENNEDY, J.C.Q. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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Poursuivante |
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c. |
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SÉBASTIEN LEBLANC |
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Accusé |
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JUGEMENT |
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[1] La poursuivante reproche à l’accusé d’avoir eu la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur alors que son taux d’alcoolémie dépasse la limite légale et que sa capacité de conduire est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue.
[2] L’accusé admet l’arrestation du 18 décembre 2016 à Ville-Dégelis, sa capacité de conduire un véhicule à moteur affaiblie par l’alcool ainsi que les taux obtenus lors des prélèvements[1].
[3] L’accusé a-t-il établi, selon la balance des probabilités, qu’il n’occupait pas le siège du conducteur dans le but de mettre en marche le tracteur routier[2].
[4] Le cas échéant, la poursuivante a-t-elle prouvé, hors de tout doute raisonnable, les éléments constitutifs de l’infraction de garde ou contrôle[3].
CONTEXTE
[5] Depuis plus de 10 ans, l’accusé exerce le métier de camionneur. Il est courtier pour une compagnie de déménagement. Depuis cinq ans, il conduit le même tracteur routier, un Peterbilt de 18 roues.
[6] Le 12 décembre 2016, il débute sa semaine de 70 heures. Il se rend à Toronto et Niagara Falls pour des chargements. À la suite d’une recommandation d’un client, il achète des bouteilles de vin qu’il souhaite donner en cadeau à ses parents et sa sœur à Noël.
[7] Le 18 décembre, il quitte Drummondville avec des livraisons pour Moncton, Sakeville et Halifax. En route, il s’arrête à Québec récupérer son employé. Aux alentours de 23 h 30, ils arrivent à Ville-Dégelis.
[8] Il immobilise son tracteur routier dans le stationnement près du Bar Mon Copain. Il complète sa fiche journalière en y indiquant l’heure, le kilométrage parcouru et son arrêt obligatoire de 36 heures sur les lieux. Il ne peut pas faire plus de 70 heures en sept jours. Sa semaine de travail débute le lundi et se termine le samedi.
[9] Le bar est situé le long de l’autoroute 85, à proximité d’un restaurant. Le stationnement est vaste. Les résidences sont plus éloignées et ne sont pas dérangées par le moteur bruyant du tracteur routier. Ce n’est pas la première fois qu’il utilise ce stationnement pour dormir dans son camion.
[10] Il met les freins d’urgence, ajuste le RPM du moteur à 1 000 tours, prend son trousseau supplémentaire, verrouille le bras de vitesse ainsi que les portières et se dirige, avec son employé, vers le bar. Il y consomme quatre à cinq bières et environ trois « shooters ». Il paie « la traite » à son employé.
[11] Son plan est de rester sur place 36 heures, de dormir dans le tracteur routier équipé de deux lits superposés, d’un frigo et d’un micro-ondes. En cas de besoin, ils utiliseront les toilettes du restaurant, du bar ou de l’hôtel à proximité.
[12] Vers 3 h 40, à la fermeture des bars, les policiers circulent dans le secteur. Ils aperçoivent le tracteur routier stationné du côté nord du bar. Les lumières sont éteintes, mais le moteur tourne. Des ombres bougent dans la cabine et les policiers croient apercevoir quelqu’un du côté du passager. Puisqu’il est inhabituel de voir ce genre de véhicule stationné la nuit à cet endroit, ils font demi-tour.
[13] Dès son arrivée près de la portière, la policière Pelletier éclaire l’intérieur et aperçoit l’accusé assis sur le siège du conducteur. Il baisse la vitre. Il y a bel et bien un individu assis sur le siège du passager.
[14] Une forte odeur d’alcool se dégage de l’habitacle. À la demande de la policière Pelletier, l’accusé arrête le moteur et sort du camion. Les policiers constatent divers symptômes démontrant qu’il a les capacités affaiblies. À 3 h 44, ils l’arrêtent.
[15] À la suggestion des policiers, l’accusé remet 180 $ à son employé pour qu’il couche à l’hôtel situé tout près. Ils amènent l’accusé au poste. Il se soumet aux prélèvements et échoue. Le taux le plus bas obtenu est de 131 mg/100 ml. Une citation à comparaître, pour le 3 avril 2017, lui est remise.
[16] Comme il le fait toujours avec ses fiches journalières, après l’écoulement d’un délai de 14 jours, l’accusé détruit celle du 18 décembre 2016.
ANALYSE ET DÉCISION
[17] Lorsque la preuve démontre que l’accusé occupe la place du conducteur, il est réputé avoir eu la garde ou le contrôle du véhicule, à moins qu’il n’établisse qu’il ne l’occupe pas dans le but de le mettre en mouvement[4].
[18] L’accusé prétend qu’il n’a nullement l’intention de conduire, car il a rempli sa fiche journalière en y indiquant un arrêt de 36 heures. Lorsqu’il retourne dans le tracteur routier, il n’a pas l’intention de le conduire, mais plutôt d’y dormir. Lorsque les policiers arrivent, il est dans la couchette et se prépare pour se coucher. Il revient s’asseoir sur le siège du conducteur. Il ouvre la fenêtre et discute avec la policière Pelletier, qui est sur le marchepied.
[19] En établissant qu’il n’y a pas pris place afin de le mettre en mouvement, il renverse la présomption édictée par la loi. Par conséquent, il en résulte que la poursuivante doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, les trois éléments essentiels de l’infraction de garde ou de contrôle d’un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies par l’alcool. Ces éléments sont[5] :
a) Une conduite intentionnelle à l’égard d’un véhicule à moteur;
b) Par une personne dont la capacité de conduire est affaiblie ou dont l’alcoolémie dépasse la limite légale;
c) Dans des circonstances entraînant un risque réaliste, et non une infime possibilité de danger pour autrui ou pour un bien.
[20] L’accusé admet que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool et qu’il a volontairement et intentionnellement choisi de dormir dans le tracteur routier. La température extérieure de -12 °C l’oblige à laisser le moteur tourner, sinon après trois heures, il ne démarre plus. Pour que la chaleur s’installe dans l’habitacle, une heure peut être nécessaire. Quand il dort, le moteur du camion vire toute la nuit.
[21] Ainsi, avec ces admissions de l’accusé, le Tribunal conclut que les deux premiers éléments constitutifs de l’infraction sont prouvés, hors de tout doute raisonnable. Il ne reste qu’à évaluer la preuve afin de déterminer si l’accusé a pu soulever un doute raisonnable quant à l’absence de risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.
[22] En l’absence de toute preuve contraire, la capacité actuelle de conduire en état d’ébriété présente un risque intrinsèque de danger. Pour éviter d’être déclaré coupable, l’accusé doit présenter des éléments de preuve crédibles et fiables tendant à prouver que ce risque n’est pas réaliste[6].
[23] Le risque de danger peut survenir d’au moins trois façons. Premièrement, une personne ivre, qui initialement, n’a pas l’intention de conduire, peut ultérieurement, alors qu’elle est encore intoxiquée, changer d’idée et prendre le volant. Deuxièmement, si elle est assise à la place du conducteur, elle peut involontairement mettre le véhicule en mouvement. Enfin, à la suite d’une négligence ou d’un manque de jugement ou autrement, un véhicule stationnaire ou inutilisable peut mettre des personnes ou des biens en danger[7].
[24] Il faut que le risque soit réaliste, pas seulement possible en théorie, quoiqu’il n’a toutefois pas à être probable ni même sérieux ou considérable. L’existence d’un plan bien arrêté est l’un des facteurs particulièrement pertinents à ce genre d’affaires, s’il est objectivement concret et fiable et que l’accusé ne l’abandonne pas[8].
[25] Dès son arrivée à Ville-Dégelis, l’accusé, qui est sobre, décide d’immobiliser son tracteur routier dans le stationnement du bar pendant 36 heures. Il prévoit repartir vers 11 h 30 le lundi matin. Entre temps, ils dormiront dans le tracteur routier. Ils peuvent également y manger. En cas de besoins, ils utiliseront les toilettes du bar, du restaurant ou de l’hôtel à proximité.
[26] L’accusé soutient que le tracteur routier leur sert d’abri pour y passer la nuit. Il dort dans son camion plus souvent que chez lui. Tout est prévu. Dès son arrivée, il complète sa fiche journalière en le précisant. Malheureusement, il détruit ce document deux semaines après l’événement, car il conserve seulement les 14 dernières.
[27] L’arrestation a lieu le 18 décembre 2016 et la poursuivante signe sa dénonciation le 31 janvier 2017, alors que la fiche est déjà détruite. L’accusé ignorait qu’il en aurait ultérieurement besoin.
[28] Le Tribunal doit déterminer s’il croit l’accusé. Même si pour certains ce plan est questionnant, cela ne le rend pas pour autant invraisemblable.
[29] Il est évident que tous les faits et gestes de l’accusé démontrent une absence totale d’intention de conduire et une absence totale de risque de mettre le tracteur routier en mouvement. Rien dans la preuve n’indique que l’accusé, de par ses gestes, est sur le point ou peut ultérieurement changer d’idée, malgré sa consommation d’alcool.
[30] Le Tribunal retient, entre autres, les éléments suivants :
a) L’accusé établit son plan alors qu’il est sobre et le consigne sur sa fiche journalière;
b) Le trajet parcouru rend plausibles les prétentions de l’accusé à l’effet qu’il a atteint les 70 heures permises et qu’un arrêt de 36 heures est requis;
c) La présence de bouteilles de vin pleines provenant de Niagara Falls confirme son passage là-bas;
d) La possibilité qu’il a d’attendre au lundi midi pour quitter puisque sa livraison est prévue le mardi à Moncton;
e) La présence de l’accusé dans la couchette et la confirmation des policiers à l’effet qu’il n’était pas assis sur le siège du conducteur avant que la policière Pelletier monte sur le marchepied et éclaire l’habitacle;
f) La décision de l’accusé de mettre les freins d’urgence et de verrouiller le bras de vitesse rendant ainsi tout déplacement du camion impossible;
g) La connaissance des lieux par l’accusé qui a déjà dormi dans le tracteur routier stationné à cet endroit;
h) La présence de trois commerces à proximité pour utilisation des toilettes, boire ou manger.
[31] Peut-être qu’un autre camionneur n’aurait pas fait le même choix. Par contre, cela ne permet pas au Tribunal de conclure que le plan de l’accusé n’est pas structuré objectivement concret et fiable.
[32] La proposition suivant laquelle le fait pour un conducteur d’être assis derrière le volant d’un véhicule, avec la clé dans le contact, entraîne nécessairement une condamnation est trop absolue. Dans la très grande majorité, ce sera le cas, mais devant des circonstances particulières, un Tribunal peut sans errer en droit conclure que ce n’est pas le cas.
[33] En l’espèce, comme la crédibilité de l’accusé n’a nullement été attaquée, le Tribunal refuse de conclure mécaniquement à sa culpabilité et use de souplesse. L’utilisation d’un véhicule à une fin manifestement innocente ne saurait emporter la stigmatisation d’une condamnation criminelle[9].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[34] ACQUITTE l’accusé des deux chefs d’accusation.
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__________________________________ LUCE KENNEDY, J.C.Q. |
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Me Manon Gaudreault |
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Avocate du Directeur des poursuites criminelles et pénales |
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Me Yves Desaulniers |
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Avocat de l’accusé |
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Date d’audience : |
11 janvier 2018 |
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[1] 142 mg/100ml et 131 mg/100 ml (P-1).
[2]
Article
[3]
Article
[4]
Article
[5]
R. c. Boudreault,
[6] Id., page 163.
[7] Id., para. 42.
[8]
Labelle c. R.,
[9] R. c. Boudreault, préc., note 5, par. 49.
AVIS :
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