Sivilla c. Boukendakdji | 2024 QCTAL 34900 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Laval | ||||||
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No dossier : | 661075 36 20221102 G | No demande : | 3703081 | |||
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Date : | 31 octobre 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Annie Hallée | |||||
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Anthony Sivilla
Toni Scaglione |
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Locateurs - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Khalida Boukendakdji |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande des locateurs, déposée le 2 novembre 2022, afin d’ordonner à la locataire de se départir de son chien, en exécution provisoire de la décision malgré l’appel et pour les frais.
[2] Par amendement verbal lors de l’audience, le nom du co-propriétaire de l’immeuble, Toni Scaglione, a été ajouté à titre de partie demanderesse.
[3] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 1 160 $.
[4] Le logement de la locataire est situé au deuxième étage d’un immeuble comprenant quatre (4) logements.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Témoignage de Toni Scaglione
[5] Il allègue que la locataire fait défaut de respecter ses obligations découlant du bail dans lequel il est interdit de posséder un animal.
[6] Il affirme se rendre à l’immeuble une fois par semaine pour une durée d’environ quinze (15) minutes. Il entend le chien japper dans le logement de la locataire lors de ces visites.
[7] Il demande que la locataire se débarrasse de son chien puisque la possession d’un tel animal est interdite dans le bail. Il aurait aimé que la locataire lui demande la permission de posséder cet animal.
[8] Il admet la présence d’un autre chien dans l’immeuble.
[9] Lors de l’audience, il dépose certains documents, dont le bail, au soutien de leur demande.
Témoignage de la locataire
[10] Elle habite dans le logement depuis 2016. Elle déclare que sa fille, aujourd’hui âgée de 13 ans, souffre d’anxiété sévère.
[11] En 2020, le médecin traitant de sa fille lui a prescrit un chien thérapeutique en raison de son état de santé suivant un enlèvement à l’âge de deux (2) ans, qu’elle a obtenu le 15 septembre 2020.
[12] Le chien de sa fille, Molly, lui procure un support psychologique et émotionnel important, ce qui l’aide à réduire son anxiété et à mieux dormir.
[13] Elle mentionne que Molly est un petit chien calme. Il dort sur ses genoux durant la journée lorsqu’elle fait du télétravail.
[14] Elle précise que Molly peut japper lorsqu’elle aperçoit M. Scaglione dans le stationnement par la fenêtre du salon.
[15] Elle affirme qu’elle n’a jamais reçu de plaintes des voisins concernant la présence de Molly dans le logement.
[16] Elle invoque qu’elle ne peut pas se débarrasser du chien en raison des bienfaits qu’il apporte au bien-être de sa fille et ne souhaite pas quitter le logement afin de ne pas porter atteinte à la santé de cette dernière qui a un grand besoin de stabilité.
[17] Lors de l’audience, elle dépose les pièces L-1 à L-5 au soutien de sa défense, soit un certificat médical, une photo du chien, un document de revenu Canada, un permis de la ville de Laval pour un chien d’assistance et un courriel.
Argumentations du locateur
[18] Il affirme qu’il est prêt à trouver un autre logement pour la locataire.
[19] Il soutient que le chien jappe, mais il mentionne n’avoir aucune preuve que la présence du chien dérange les autres locataires de l’immeuble.
Argumentations de l’avocat de la locataire
[20] Il invoque que la fille de la locataire a besoin du chien pour contrôler son anxiété. Il s’agit d’un chien d’assistance prescrit par le médecin dans un contexte de zoothérapie.
[21] Il mentionne la présence d’un autre chien dans l’immeuble.
ANALYSE ET DROIT APPLICABLE :
[22] Le Tribunal rappelle tout d’abord qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal[1].
[23] Ainsi, il doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue. Il suffit que le fait litigieux soit, par la preuve, probable[2].
[24] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal, elle verra sa demande rejetée.
[25] En matière d’animaux, le juge Richard Landry de la Cour du Québec dans la décision D. C. c. Berthierville (Office municipal d’habitation de)[3] analyse la question de l’applicabilité d’une clause interdisant la présence d’animaux dans un logement et indique ce qui suit:
« [32] L'état du droit au Québec sur la question amène Me Gagnon à faire les constats suivants (pages 342 à 350):
- la clause d'interdiction de posséder un animal n'est pas en soi déraisonnable (article 1901 C.c.Q.), ni contraire à la Charte québécoise des droits et libertés;
- la « tolérance » du propriétaire de la présence d'animaux n'équivaut pas automatiquement à une renonciation à l'application de la clause d'interdiction, mais peut, dans certaines conditions, être invoquée avec succès par le locataire pour faire déclarer la clause sans effet (ex: tolérance constante et généralisée d'animaux dans l'immeuble);
- lorsque le propriétaire demande la résiliation du bail, il doit prouver un « préjudice sérieux » (article 1863 C.c.Q.); toutefois, s'il ne demande que l'expulsion de l'animal (exécution en nature), il n'a pas à prouver l'existence d'un tel préjudice;
- la « zoothérapie » a une influence grandissante au Québec faisant en sorte que la jurisprudence québécoise admet plus volontiers l'utilité thérapeutique de l'animal de compagnie; cela amène des décideurs à considérer la clause déraisonnable « lorsqu'une preuve médicale convaincante est versée en preuve », telle la preuve d’« un préjudice affectif et psychologique évident pour le locataire et sa famille. »
[Référence omise]
[26] En l’espèce, comme les locateurs ne demandent pas la résiliation du bail, mais une ordonnance demandant à la locataire de se débarrasser de son chien, le Tribunal n’a pas à évaluer la notion de préjudice sérieux. Il devra plutôt se pencher sur le caractère raisonnable d’une telle clause dans les circonstances.
[27] Ainsi, une jurisprudence majoritaire énonce qu'un locataire peut établir qu’une clause est déraisonnable en prouvant que la présence de son animal a une utilité thérapeutique et que l'application de la clause d'interdiction du bail lui causerait un préjudice affectif ou psychologique[4].
[28] À ce sujet, l’article 1901 du Code civil du Québec se lit comme suit :
« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.
Cette clause est nulle ou l’obligation qui en découle réductible. »
[29] La preuve médicale fournie par la locataire ainsi que son témoignage lors de l’audience démontrent clairement que la présence d’un chien constitue pour sa fille un important support émotionnel ayant un impact certain sur son état de santé général.
[30] L’application de la clause d’interdiction de posséder un animal serait déraisonnable dans les circonstances parce qu’elle causerait à la locataire et à sa fille un énorme préjudice en privant cette dernière d’un soutien émotionnel nécessaire à son bien-être physique et mental et à celui de sa famille.
[31] La preuve prépondérante démontre également que les locateurs n’en subissent aucun préjudice puisqu’ils n’ont reçu aucune plainte d’autres locataires de la bâtisse et n’ont démontré aucun dommage réel causé par le chien. Ils semblent plutôt contrariés par le simple fait que la locataire ne les ait pas avisés de la présence du chien dans le logement.
[32] Pour ces motifs, le Tribunal ne peut faire droit à la demande des locateurs.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[33] REJETTE la demande des locateurs qui en supportent les frais;
[34] AUTORISE la locataire à garder son chien actuel;
[35] DÉCLARE déraisonnable à l’égard de la locataire et de sa fille la clause d’interdiction de posséder un animal dans son logement, soit son chien actuel.
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Annie Hallée | ||
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Présence(s) : | le locateurToni Scaglione la locataire Me Jérémy Zerdoun, avocat de la locataire | ||
Date de l’audience : | 15 août 2024 | ||
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[1] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.
[2] Les jardins du roi société en commandite c. Jean-François Plante, RDL, 419462 18 20180921 No demande : 2590921, 4 février 2019.
[3] D. C. c. Berthierville (Office municipal d’habitation de), 2012 QCCQ 1524.
[4] Berniqué c. Office municipal d’habitation de Salaberry-de-Valleyfield, 2021 QCCQ 7326; D.C. c. Berthierville (Office municipal d'habitation de); J.L. c. Coopérative de l'Ébène, C.Q., 2004-11-30, [2005] R.J.Q. 267.
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