Décision

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Carle et Ministère des Transports et de la Mobilité durable

2025 QCCFP 16

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIERS Nos :

2000194 et 2000195

 

DATE :

15 juillet 2025

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Nour Salah

______________________________________________________________________

 

 

Michel Carle

Stéphane Guillette

Parties demanderesses

 

et

 

MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DE LA MOBILITÉ DURABLE

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 127, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

  1.                Les 28 mars et 1er avril 2025, MM. Michel Carle et Stéphane Guillette déposent un recours à la Commission de la fonction publique (Commission) en vertu de l’article 127 de la Loi sur la fonction publique (Loi) à l’encontre de leur employeur, le ministère des Transports et de la Mobilité durable.
  2.                À leur demande, la Commission accepte de joindre leurs recours puisqu’ils contestent le même article de la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires (Directive)[1] et qu’ils sont tous deux des pilotes non syndiqués de la division des hélicoptères travaillant pour le Service aérien gouvernemental (SAG).
  3.                Ils allèguent que le nouvel article 19.8 de la Directive, qui est entré en vigueur le 11 mars 2025, est inéquitable. En effet, il en résulte que leur banque de congés est créditée de 29 jours annuellement comparativement à 35 jours pour les pilotes d’hélicoptère syndiqués.
  4.                Le 12 juin 2025, le ministère demande à la Commission de rejeter sommairement les deux recours, car ils contestent les règles déterminées par le Conseil du trésor dans la Directive et non une décision qui leur est imposée. Or, ces directives constituent un cadre normatif obligatoire auquel les ministères et organismes ne peuvent pas déroger et la Commission n’a pas le pouvoir de les modifier.
  5.                Le ministère ajoute qu’à défaut pour la Commission d’accueillir sa demande de rejet sommaire, à la simple lecture des éléments allégués, il pourra soumettre des arguments plus détaillés.
  6.                Le 17 juin 2025, la Commission demande au ministère de préciser ces arguments, afin de permettre à MM. Carle et Guillette d’y répondre, avant qu’une décision sur dossier ne soit rendue.
  7.                L’argumentation du ministère est reçue le 27 juin 2025 et celle de MM. Carle et Guillette est soumise le 7 juillet 2025.
  8.                MM. Carle et Guillette indiquent que, n’ayant aucun autre recours, ils demandent à la Commission de rendre une décision pour modifier la Directive « afin de normaliser les conditions de travail des pilotes d’hélicoptères non syndiqués avec les pilotes d’hélicoptères syndiqués et d’établir une équité ».
  9.                Après analyse des prétentions des parties, la Commission accueille la demande du ministère et rejette les recours déposés par MM. Carle et Guillette.

CONTEXTE ET ANALYSE

  1.            MM. Carle et Guillette ne sont pas syndiqués et occupent respectivement les postes de chef et d’assistant-chef pilote d’hélicoptère au sein du SAG. Ils sont notamment responsables de superviser d’autres pilotes et agissent à titre de pilotes instructeurs des aéronefs de leur service. Ainsi, ils assument des fonctions administratives et des fonctions de gestion.
  2.            MM. Carle et Guillette indiquent que, selon la dernière mise à jour de la Directive, les crédits de congé pour les pilotes non syndiqués de la division des hélicoptères ont été établis à 29 jours annuellement alors que leurs collègues syndiqués bénéficient de plus de jours de congé.
  3.            Ils demandent donc à la Commission de leur accorder des crédits de congé supplémentaires afin d’obtenir la parité avec leurs collègues syndiqués.
  4.            Pour sa part, le ministère affirme que le recours est voué à l’échec et se doit d’être rejeté, au stade préliminaire, par la Commission.
  5.            L’article 127 de la Loi mentionne qu’un fonctionnaire non syndiqué peut soumettre un recours à la Commission en matière de conditions de travail :

127. Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu’il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d’aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.

Ce règlement établit, en outre, les règles de procédure qui doivent être suivies.

La Commission de la fonction publique entend et décide d’un appel. Le paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 116, en ce qui concerne les règles de procédure, ne s’applique pas à cet appel.

  1.            L’article 2 du Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective[2] (Règlement) prévoit les matières pouvant faire l’objet d’un tel recours :

2. Un fonctionnaire qui se croit lésé peut en appeler d’une décision rendue à son égard en vertu des directives suivantes du Conseil du trésor, à l’exception des dispositions de ces directives qui concernent la classification, la dotation et l’évaluation du rendement sauf, dans ce dernier cas, la procédure relative à l’évaluation du rendement :

[…]

8° la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires ;

[…]

  1.            Le 11 mars 2025, la Directive est modifiée afin d’actualiser, entre autres, les conditions de travail de certains emplois du SAG, dont celles de MM. Carle et Guillette. Ainsi, l’article 19.8 de la Directive, qui porte sur certaines conditions de travail applicables au chef pilote ou à l’assistant-chef pilote d’hélicoptère, se lit dorénavant ainsi :

19.8. Les dispositions suivantes s’appliquent au chef pilote et à l’assistant-chef pilote :

1° L’horaire de travail de l’employé est constitué alternativement de cinq jours consécutifs de travail suivis de deux jours consécutifs de congé. La durée quotidienne moyenne de travail est de huit (8) heures par jour.

Le sous-ministre peut déplacer des jours de travail et des jours de congé, pour répondre au besoin du service.

Le sous-ministre peut, en raison des besoins du service, assujettir l’assistant-chef pilote à l’horaire prévu à la sous-section A de la section IV de l’annexe A de la convention collective des fonctionnaires ;

2° Les 13 jours énumérés à l’annexe de la convention collective des fonctionnaires qui traite des jours fériés et chômés sans réduction de traitement pour l’employé visé et les dispositions prévues à la section 8-35.00 de la convention collective des fonctionnaires s’appliquent ;

3° Pour chaque mois civil pendant lequel l’employé a eu droit à son traitement pour la moitié ou plus des jours ouvrables, le sous-ministre crédite à l’employé 2,42 jours lesquels ne pourront être utilisés avant la fin de ce mois. S’il ne répond pas à la condition exigée, l’employé perd son droit au crédit pour ce mois.

Les congés ainsi accumulés ne peuvent être pris qu’en jours complets ou en demi-jours à un moment qui convient au sous-ministre et à l’employé. Pour chaque jour ou demi-jour où l’employé est autorisé à s’absenter, une déduction correspondant à la durée quotidienne de travail ou à la moitié de celle-ci est effectuée à même cette réserve de crédits de congés.

Au terme de chaque année financière, les congés accumulés qui n’ont pas été pris sont payés à l’employé dans les 60 jours, à moins que l’employé ne soit autorisé par le sous-ministre à reporter ses congés ou une partie de ceux-ci à l’année financière suivante. Toutefois, les congés accumulés du 1er janvier au 31 mars qui n’ont pas été pris sont reportés à l’année financière suivante ;

4° Le sous-ministre paye à l’employé qui cesse d’être désigné comme chef pilote ou assistant-chef pilote, dans les 60 jours suivant la fin de sa désignation, les jours de congés accumulés en application du paragraphe 3° mais non utilisés.

  1.            Ces conditions de travail sont spécifiques aux pilotes d’hélicoptère non syndiqués. Les différences qui intéressent la Commission dans la présente affaire portent notamment sur l’horaire de travail et le calcul des crédits de congé.
  2.            MM. Carle et Guillette demandent une modification à leurs conditions de travail en matière de journées de congé afin de les uniformiser avec celles de leurs collègues syndiqués.
  3.            De ce fait, ils sont en désaccord avec le nombre de journées de congé qui leur sont octroyées annuellement à la suite de la mise à jour de la Directive. Ils souhaitent que le sous-ministre leur crédite un nombre plus important afin de bénéficier des mêmes conditions de travail que les pilotes d’hélicoptère syndiqués.
  4.            Or, la Commission ne peut pas se prononcer sur la demande de MM. Carle et Guillette.
  5.            En effet, les articles 30, 31 et 32 de la Loi sur l’administration publique[3] prévoient spécifiquement que le seul organe responsable de déterminer les conditions de travail des fonctionnaires est le Conseil du trésor :

30. Le Conseil du trésor associe les ministères et les organismes dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique (chapitre F 3.1.1) à l’élaboration du cadre de gestion qui leur est applicable.

31. Le Conseil du trésor établit des politiques de gestion des ressources humaines de la fonction publique, en tenant compte des objectifs de la Loi sur la fonction publique (chapitre F 3.1.1).

Il favorise notamment l’élaboration, par les ministères et organismes, d’un plan de développement des ressources humaines et d’un plan de relève.

32. Pour la fonction publique, le Conseil du trésor :

1° établit la classification des emplois ou de leurs titulaires y compris les conditions minimales d’admission aux classes d’emploi ou aux grades ;

2° définit les modes de dotation qui peuvent être utilisés pour combler des emplois ;

détermine la rémunération, les avantages sociaux et les autres conditions de travail des fonctionnaires.

Le Conseil du trésor peut, en outre, établir le niveau de l’effectif d’un ministère ou d’un organisme.

Le Conseil du trésor peut établir des équivalences aux conditions minimales d’admission visées au paragraphe 1° du premier alinéa, lesquelles peuvent être établies à l’égard d’un emploi.

[Soulignements de la Commission]

  1.            De plus, l’article 39 de la Loi ajoute que les sous-ministres et les dirigeants d’organismes sont tenus de respecter les politiques de gestion des ressources humaines établies par le Conseil du Trésor :

39. Les sous-ministres et les dirigeants d’organismes gèrent les ressources humaines dans le cadre des politiques du Conseil du trésor en matière de gestion des ressources humaines.

 

La gestion des ressources humaines comprend, notamment, la planification, l’organisation, la direction, le développement et l’évaluation des ressources humaines.

  1.            Ainsi, ni la Commission ni le ministère ne peuvent octroyer des conditions de travail particulières à MM. Carle et Guillette. Il leur est impossible de déroger aux directives et au cadre normatif qui sont imposés par le Conseil du trésor afin de bonifier des conditions de travail qui peuvent sembler inéquitables entre les fonctionnaires.
  2.            La jurisprudence est sans ambiguïté à ce sujet.
  3.            Dans l’affaire Procureur général et Association des juristes de l’État[4], la Cour d’appel s’est déjà exprimée à ce sujet :

[49] En effet, en matière de promotion, de recrutement du personnel et de rémunération, c’est le Conseil du Trésor qui établit les politiques. En vertu de l’article 39 LFP, comme déjà mentionné, les sous-ministres et dirigeants d’organismes sont tenus de les respecter. On pourrait difficilement concevoir que, dans la fonction publique, les règles d’embauche, de promotion et de rémunération puissent varier d’un ministère ou d’un organisme à l’autre. L’arbitre devait donc interpréter les dispositions de la Directive dans le contexte de la fonction publique et en rechercher la finalité.

[Soulignement de la Commission]

  1.            La Commission a également déjà statué sur le caractère obligatoire des directives et des politiques du Conseil du trésor en matière de gestion des ressources humaines, notamment dans la décision Vigneault[5] :

[44]      L’acte de nomination initial de M. Vigneault comporte une erreur. Cependant, la Commission souligne, comme elle l’a déjà énoncé dans d’autres décisions[…], que l’erreur n’est pas créatrice de droit.

[45]      Même la promesse d’un représentant de l’employeur ne peut permettre de déroger aux conditions de travail qui doivent être appliquées uniformément aux employés, comme celles prévues dans une convention collective[…].

[46]      Le ministère est soumis à plusieurs règles puisqu’il fait partie de la fonction publique. La LFP, les règlements en découlant, la LAP, les directives et les politiques du Conseil du trésor en matière de gestion des ressources humaines ainsi que les conventions collectives forment un cadre normatif que les ministères et les organismes doivent appliquer. Ils ne peuvent aucunement y déroger.

[47]      À cet égard, la Cour d’appel souligne le caractère obligatoire de ces règles[…] :

[48]    À mon avis, l’interprétation donnée par l’arbitre aux articles 8, 13 et 15 de la Directive est déraisonnable, car elle a pour effet de permettre à un dirigeant d’organisme ou un sous-ministre de contourner les règles établies pour tous les fonctionnaires au regard de l’attribution des échelons et du traitement.

[49]      En effet, en matière de promotion, de recrutement du personnel et de rémunération, c’est le Conseil du Trésor qui établit les politiques. En vertu de l’article 39 LFP, comme déjà mentionné, les sous-ministres et dirigeants d’organismes sont tenus de les respecter. On pourrait difficilement concevoir que, dans la fonction publique, les règles d’embauche, de promotion et de rémunération puissent varier d’un ministère ou d’un organisme à l’autre. L’arbitre devait donc interpréter les dispositions de la Directive dans le contexte de la fonction publique et en rechercher la finalité.

[48]      Le cadre normatif régissant la gestion des ressources humaines dans la fonction publique prime sur tout contrat qui pourrait être conclu entre un employé et un ministère ou un organisme.

[49]      Le ministère ne peut accorder à un employé une condition de travail contrevenant à une règle édictée dans une convention collective ou dans une directive du Conseil du trésor.

[Soulignements de la Commission, références omises]

  1.            Pour ce qui est de la notion d’équité invoquée par MM. Carle et Guillette, la Commission s’est aussi déjà prononcée à ce propos dans certaines de ses décisions[6] :

[41]      Le fait que Mme Durocher trouve sa situation inéquitable ou injuste ne peut pas amener la Commission à accueillir son recours. Cette dernière ne peut pas « juger en équité », mais uniquement selon la preuve présentée et le droit applicable.

[42]      À ce propos, la Commission s’exprime ainsi dans la décision Lavoie Isebaert[7] qui concerne également un employé réclamant un avancement d’échelon :

[57]     La Commission considère que, dans les circonstances, la méthode privilégiée par le ministère dans le dossier de Me Isebaert, soit de comptabiliser en nombre de jours ouvrables la durée de travail minimale exigée pour avoir droit à l’avancement d’échelon annuel, est raisonnable. En effet, le rôle du tribunal est de juger en regard de la preuve et de la norme de droit applicable qui lui a été soumise et non de juger en équité. Ainsi, dans le cas de Me Isebaert, la règle qui s’applique à lui est claire et le tribunal n’a d’autre choix que de rejeter son appel.

[Soulignement de la Commission]

  1.            La Commission ne peut pas s’inspirer de cette notion pour apprécier, dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 127 de la Loi, le caractère juste des différentes règles de droit qu’elle se doit d’interpréter[8] :

[40] Comme l’a déjà mentionné la Commission dans les décisions Auclair[[9]] et Cheeney[[10]], l’article 3 de la Loi est de portée générale et n’est pas attributif de compétence. L’équité est un principe de la Loi, comme une valeur à prôner et à protéger, mais elle doit être appliquée en fonction des normes plus précises de la Loi. Cet article ne permet pas à la Commission d’apprécier, dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 127 de la Loi, le caractère juste des règles relatives à l’attribution du taux de traitement prescrites par la Directive. La même conclusion doit s’appliquer aux articles 30 à 36 de la Loi sur l’administration publique ; ils ne confèrent aucune compétence particulière à la Commission à cet égard. L’article 31 énonce simplement que le Conseil du trésor établit des politiques de gestion des ressources humaines en tenant compte des objectifs de la Loi.

[Soulignement de la Commission]

  1.            En conséquence, les recours de MM. Carle et Guillette doivent être rejetés, car ils sont manifestement voués à l’échec.

POUR CES MOTIFS, la Commission de la fonction publique :

ACCUEILLE la demande de rejet sommaire du ministère des Transports et de la Mobilité durable ;

REJETTE les recours de MM. Michel Carle et Stéphane Guillette.

                                 Original signé par :

 

__________________________________

Nour Salah

 

 

MM. Michel Carle et Stéphane Guillette 

Parties demanderesses

 

Me Xavier Berwald-Grégoire

Procureur du ministère des Transports et de la Mobilité durable

Partie défenderesse

 

Date de la prise en délibéré : 8 juillet 2025

 


[1]  C.T. 203262 du 31 janvier 2006 et ses modifications (R.P.G. 7 1 4 1).

[2]  RLRQ, c. F-3.1.1, r. 5.

[3]  RLRQ, c. A-6.01.

[4]  Procureur général du Québec et Association des juristes de l’État, 2008 QCCA 689.

[5]  Vigneault et Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2017 QCCFP 54.

[6]  Durocher et Secrétariat du Conseil du trésor, 2023 QCCFP 22, par. 4042 ; Ruel et Ministère de la Justice, 2015 QCCFP 4 par. 3941.

[7]  Lavoie Isebaert et Ministère de la Justice, 2022 QCCFP 3, par. 57.

[8]  Ruel et Ministère de la Justice, préc., note 6, par. 40.

[9]  Auclair et Centre de services partagés du Québec, 2012 QCCFP 40, par. 136.

[10]  Cheeney et Ministère de la Sécurité publique, 2012 QCCFP 27, par. 301 et 363.

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