Décision

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R. c. Poirier

2021 QCCQ 7814

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GASPÉ

LOCALITÉ DE

HAVRE-AUBERT

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

115-73-000155-203

 

 

 

DATE :

18 août 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MONSIEUR LE JUGE

DENIS PARADIS, C.Q.

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La Reine

Poursuivante

c.

Francis Poirier

Accusé

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE

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[1]           Monsieur Francis Poirier plaide coupable à l’accusation d’avoir eu en sa possession du crabe de dimension inférieure à la largeur permise, soit 69 crabes sur une cargaison de 18 000 livres.

[2]           Les parties soumettent communément une peine de 6 000,00 $ d’amende. Le Tribunal indique aux avocats que le montant de l’amende paraît trop élevé. En conséquence, il leur permet de faire des observations additionnelles lors d’un terme subséquent.

[3]           Au moment du complément des représentations, la peine suggérée demeure la même, mais une preuve supplémentaire est présentée.

LES FAITS

[4]            L’agent-superviseur de Pêches & Océans aux Îles de la Madeleine, monsieur Simon Richard, explique que les 69 crabes font partie d’un échantillonnage sur toute la cargaison débarquée à quai. Il y a environ 1 500 livres de crabes qui sont mesurés sur les 18 000 livres.

[5]           À partir de l’échantillonnage mesuré, il évalue qu’environ 4 % de la cargaison ne rencontre pas la largeur minimale exigée. Il convient qu’il s’agit d’une projection.

[6]           Monsieur Richard ajoute que depuis l’instauration des mesures pour contrer le déclin de la population des baleines noires, la capture de petits crabes est plus fréquente. C’est que la fermeture temporaire de certaines zones de pêche pour protéger les baleines force les pêcheurs à prendre leur quota sur un plus petit territoire, et dans une plus courte période de temps.

[7]           Ensuite, le superviseur pour le secteur des Îles entretient le tribunal sur la disparité entre les amendes pour le même type d’infraction, que les pêcheurs soient des Îles de la Madeleine, de la Gaspésie, ou des Maritimes.

[8]           Récemment, une réunion s’est tenue à Moncton avec les représentants de Pêches & Océans afin de tenter de trouver une façon de recommander des amendes plus uniforme pour les pêcheurs du Québec et des Maritimes.

[9]           Il évoque une recommandation qui veut que pour le 1er crabe de taille inférieure à la limite permise, qu’une amende de 1 500,00 $ soit proposée, et 100,00 $ par crabe additionnel.

[10]        Dans le cas de monsieur Poirier, l’amende globale est même diminuée, dit-il, puisque suivant ce calcul, l’amende recommandée aurait été de 8 300,00 $.

[11]        Monsieur Richard convient que les stocks de crabes ne sont pas en danger dans le golfe Saint-Laurent. Cependant, il insiste pour dire que les interventions visant le petit crabe ont pour but de préserver la ressource et d’en assurer la pérennité.

LE POIDS DE LA SUGGESTION COMMUNE

[12]        Les tribunaux donnent leur aval à de nombreuses suggestions communes que leur font les avocats. Ce n’est que dans des situations bien particulières que ces suggestions sont écartées.

[13]        L’arrêt Anthony-Cook[1], rendu par la Cour suprême en 2016, trace la voie à suivre en la matière.

[14]        En fait, ce n’est que si le juge d’instance en vient à la conclusion que la suggestion commune « est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public[2] » qu’il interviendra.

[15]        Une suggestion commune rejetée en est une qui ne correspond pas à ce que peuvent s’attendre les personnes raisonnables au courant des circonstances du dossier traité. Tellement qu’elles pourraient conclure qu’une suggestion semblable ferait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale. Bref, la confiance de ces personnes raisonnables dans l’institution judiciaire serait ébranlée[3].

ANALYSE ET DÉCISION

[16]         L’article 78 a) de la Loi sur les Pêches[4] prévoit une amende maximale de 100 000,00 $ pour une première infraction.

[17]        La suggestion d’imposer une amende de 6 000,00 $ va à l’encontre de l’intérêt public. Cette suggestion occulte certains principes et objectifs de la détermination de la peine, de sorte qu’elle est contraire à l’intérêt public dans le sens où l’entend la Cour suprême.

[18]        D’abord, l’accusé plaide coupable à l’infraction portée contre lui. Aussi, il est sans antécédent judiciaire, que ce soit en matière pénale réglementaire ou en vertu du Code criminel.

[19]        La quantité de crabes de petite taille est négligeable, soit 69 crabes sur 18 000 livres de captures. Le Tribunal ne peut donner son aval à un estimé sur un échantillonnage afin de déterminer un pourcentage de petits crabes. Cette méthode comporte trop d’aléas et n’atteint pas le degré de preuve requis en matière d’imposition d’une peine.

[20]        Même si le tribunal acceptait cette façon de calculer les prises, il n’y aurait que 4 % du volume total sous la barre de la taille minimale. Somme toute, l’accusé ne retire aucun bénéfice financier qui en vaille la peine. Cela conduit à la conclusion que nous ne sommes pas en présence d’un acte délibéré de braconnage de la ressource. Il n’y a pas non plus de préméditation.

[21]         Le Tribunal tient aussi compte des impondérables du travail en mer. Dans le district de Gaspé, il est de connaissance judiciaire[5] que mesurer chaque crabe d’une cargaison de 18 000 livres comporte son lot de difficultés.

[22]        La Loi sur les pêches prévoit un éventail de peines aux articles 78 à 79.3[6]. Surseoir au prononcé de la peine, soumettre le fautif à une ordonnance de probation, et la suspension de permis sont notamment prévus.

[23]        Le Tribunal ne partage pas l’avis de la poursuivante qu’en toutes circonstances, l’amende de base devait être de 1 500,00 $ et 100,00 $ par crabe additionnel. Chaque cas est unique et l’imposition d’une sanction juste et appropriée est un exercice délicat de jugement et de pondération de différents facteurs. La préméditation, l’organisation et le profit illégal devraient être, avec respect, des éléments à considérer dans l’analyse de la peine à proposer.

[24]        C’est qu’une base de 1 500,00 $ d’amende et 100,00 $ par crabe additionnel impose une rigidité qui n’est pas souhaitable. L’imposition d’une peine ne peut se réduire à un simple calcul arithmétique. De plus, procéder de la sorte impose « un carcan » par la mise en place d’une « peine plancher », c’est-à-dire une peine minimale que le législateur n’impose pas. Cet « automatisme » dépouille le juge d’instance de son devoir d’analyse de toutes les circonstances qui entourent l’infraction ainsi que sa nature.

[25]        Reprenant à leur compte l’arrêt Hamelin[7], rendu par la Cour d’appel en 1991, les professeurs Parent et Desrosiers avancent que « Loin d’être un processus déductif, l’imposition d’une peine est une opération complexe dont les fondements s’enracinent dans les particularités propres à l’infraction et à la personnalité du délinquant. Dans cette poursuite de la peine idéale, il est du devoir le plus strict du tribunal de considérer chaque cas à son mérite et d’éviter de faire rentrer chaque cas particulier avec toutes les circonstances individuelles qui lui sont propres, dans un moule sentenciel préfabriqué[8]. »

[26]        Une première offense sans facteurs aggravants commande la retenue. Une récidive avec un élément de préméditation, sûrement pas. N’oublions pas non plus que l’amende est une mesure punitive.

[27]        Dans leur traité sur la détermination de la peine, les auteurs Parent et Desrosiers écrivent aussi ce qui suit concernant la façon de déterminer le montant de l’amende :

« […] Parmi les facteurs pouvant commander une amende plus sévère, mentionnons la gravité objective de l’infraction, le besoin de dénonciation, l’absence de remords et les profits générés par l’entreprise illégale[9]. »

[28]        Rappelons que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. La suggestion que font les parties ne respecte pas ce principe fondamental du droit de la détermination de la peine. La peine suggérée, comme mentionnée ci-devant, est contraire à l’intérêt public.

[29]        La peine telle que suggérée transforme le processus de détermination de la peine en une procédure inflexiblement prédéterminée[10], ce que proscrit la Cour suprême du Canada. Cette peine est nettement contraire à l’intérêt public.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[30]        CONDAMNE l’accusé à une amende de 1 500,00 $, plus les frais, payable dans un délai de trois mois.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

Denis Paradis, J.C.Q.

 

 

 

Me Joanie Bujold

Avocate de la poursuivante

 

Me Denis Huet

Avocat de l’accusé

 

Dates d’audience :

9 août 2020

 

21 avril 2021

 



[1]     La Reine c. Anthony-Cook [2016] 2 R.C.S. 204.

[2]     Ibid., paragraphe 18.

[3]     Ibid., paragraphe 33.

[4]     L.R.C. 1985, CH. F-14.

[5]     La connaissance judiciaire est l’acceptation d’un fait sans qu’il ne soit nécessaire d’en faire la preuve. Les faits qualifiés de connus judiciairement sont si notoires qu’ils ne font l’objet d’aucune contestation de part et d’autre.

[6]     Op. cit., note 4.

[7]     La Reine c. Hamelin [1991] J.C. No 1217.

[8]     Hughes PARENT et Julie DESROSIERS, La Peine, Traité de droit criminel, tome 3, les éditions Thémis, Montréal, 2012, Page 162.

[9]     Op. cit. note 8, pages 275-276.

[10]    La Reine c. M.L. [2008] 2 R.C.S. 163.

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